Les Élémentaires - Emilie Graziella - E-Book

Les Élémentaires E-Book

Emilie Graziella

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Beschreibung

"5 incendies, 1 mois. C'est pas normal. Comment on en est arrivé là ? " Cette question, Etian, 17 ans (presque 18 !) n'arrête pas de se la poser. Cependant, banal et inintéressant comme il est, ce n'est pas lui qui sauvera ce monde des flammes ! Alors qu'il n'a comme seul objectif de se trouver une copine, il va rencontrer une fille qui va voir en lui le seul capable d'aider sa tribu, la protégeant d'une guerre perdue d'avance. Il quitte sa vie monotone et rejoint cette inconnue dans un voyage à travers le monde, découvrant tout autour de lui des merveilles qu'aucun autre humain n'avait pris la peine de remarquer. Qui sait, peut-être même qu'il finira avec la jolie fille ! Mais d'ailleurs, il y a un détail à son sujet : cette charmante personne qui a besoin d'Etian n'est pas aussi banale que lui. Non, c'est certain. Elle est une saule.

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Seitenzahl: 630

Veröffentlichungsjahr: 2024

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À toi Théo, Mon ami si précieux, Que j’aimerai toujours

J’aurais aimé que tu lises mon premier roman, J’espère que, de là où tu es, Tu as enfin le temps de finir ta pile de livres.

Sommaire

Prologue

Chapitre 1 : Etian Irving

Chapitre 2 : Macaronis

Chapitre 3 : Une petite pousse

Chapitre 4 : Route forestière

Chapitre 5 : Clairière

Chapitre 6 : Fuite

Chapitre 7 : Réflexions

Chapitre 8 : Décision

Chapitre 9 : Premier jour de voyage

Chapitre 10 : À travers champ

Chapitre 11 : Au fond du gouffre

Chapitre 12 : Village de passage

Chapitre 13 : Sous l’océan

Chapitre 14 : D’une beauté sans pareille

Chapitre 15 : Väle, la Grande Prêtresse

Chapitre 16 : Visite impromptue

Chapitre 17 : Conversation de sourds

Chapitre 18 : Suivons Väle

Chapitre 19 : Fuite du palais

Chapitre 20 : Il est parti…

Chapitre 21 : Continuons

Chapitre 22 : Proche et inconnu

Chapitre 23 : Compréhension du monde

Chapitre 24 : Aujourd’hui, c’est la fin

Chapitre 25 : La flamme

Chapitre 26 : La Capitale du Feu

Chapitre 27 : Fajro, la Reine du Feu

Chapitre 28 : Désespoir

Chapitre 29 : Alev

Chapitre 30 : Suivis par une lueur

Chapitre 31 : Aller au sommet du monde

Chapitre 32 : Prendre son envol

Chapitre 33 : Au-dessus des nuages

Chapitre 34 : Dans la ville aérienne

Chapitre 35 : Faaiüu, le Sage de l’Air

Chapitre 36 : Un nouvel objectif

Chapitre 37 : Prêts pour notre quête

Épilogue

Message de l’auteure

Prologue.

Jour de la grande pousse, 21 grand soleil.

Je ne sais pas pourquoi j’écris.

Est-ce pour me rassurer ? Peut-être. De quoi exactement ? Je n’en sais vraiment rien. J’ai bien plusieurs idées, mais pourquoi ce jour précisément ? Pourquoi maintenant, alors qu’il est bientôt trop tard ? Pourquoi ici, au beau milieu de la forêt, dans un endroit qui n’est pas ma maison ? Pourquoi là, sous cet arbre, qui semble m’observer chaque jour ?

Je pourrais aider les autres, et tenter une nouvelle fois d’argumenter avec mon père, mais je ne le fais pas… Pourquoi ? Pourquoi ai-je abandonné les miens à leur sort ?

Malgré toutes ces questions, me voilà, une petite branche entre les mains. De la sève s’en échappe, me permettant d’écrire ces mots sur cette écorce si fine.

Je regarde le bois, et le relève légèrement, empêchant l’encre ambrée de couler. Par quoi commencer ? Est-ce que j’ai seulement besoin de commencer ? Finalement, je vais fermer les yeux, et laisser les mots me guider.

Je les ouvre de nouveau.

Je tremble un peu. Je ne sais pas ce qui va arriver. Je ne sais pas si quelqu'un trouvera ce message. Hé, et même si quelqu’un le trouve, est-ce qu’on arrivera à le relire ? Les roches ont déjà du mal à nous comprendre, alors que nous sommes si semblables… Qui seulement pourra entendre ces mots de sève ?

Je sais que les humains n’y arriveront pas. Leur langue est bien trop compliquée… Quelle

idée aussi, plusieurs alphabets, phonétiques ou non, avec 26 ou 30 ou 416 lettres différentes ? Ils se compliquent tant la vie…

De toute manière, qu’est-ce que je veux laisser sur ce message ? Je ne sais pas. J’avais juste besoin d’écrire. Pour évacuer.

Finalement, je crois que je sais pourquoi je le fais. Pour laisser une trace de moi sur ce monde. Pour ne pas être oubliée. Pour que les générations futures, si elles existent, savent ce qu’il s’est passé.

L’avenir est si incertain… Demain peut-être, ou dans quelques jours, Père, Kafllef, ils vont partir en guerre, pour on ne sait combien de temps. Je ne sais même pas où exactement, il n’y a pas de champ de bataille prédéfini. Et même si Kafllef me rassure, je ne peux m’empêcher d’être inquiète.

Le Feu ravagera tout, ils courent à leur perte, et je ne peux rien faire… Excepté laisser cette trace derrière moi.

Pour tous ceux qui liront ce message : protégez ce monde. Car je l’aime, je veux qu’il survive, même lorsque je ne serais plus là.

Mais si je dois vous demander de le protéger, je dois encore vous dire dans quel état il est, à l’instant où j’écris. Peut-être qu’il changera pour le pire… Je dois me préparer à tous les scénarios, même les plus sinistres.

Ce monde est magnifique. Un monde, ou plutôt deux qui se partagent une même planète. Des paysages à couper le souffle. De la vie partout… Il suffit de lever les yeux, pour apercevoir le magnifique trésor des déesses.

Du moins, pour le mien.

Je ne connais pas celui des humains. J’aimerais y aller, au moins une fois dans ma vie. Je vois parfois des lumières, d’ici, partant jusqu’au ciel. Père me dit que ce sont d’immondes demeures d’humains. Il ne les aime pas, depuis que leur avidité et leur envie d’agrandir leur territoire m’ont privée de ma mère.

Mais moi, je veux les connaître, et qu’ils ouvrent enfin les yeux. S’ils pouvaient simplement nous voir, tant de problèmes seraient résolus, tant de conflits seraient réglés… Hélas, malgré mes efforts, ils demeurent aveugles. Pourtant, je suis persuadée que sans leur aide, nous n’arriverons pas à survivre.

Car oui, tout n’est pas si merveilleux.

Les deux mondes sont en danger, à cause de…

De quoi d’abord ? Pourquoi font-ils cela ? Personne ne le sait. Père lui-même l’ignore malgré ses supplications. Et comment leur demander ? Ils risquent de nous tuer, ils ne veulent pas nous écouter…

Même si j’aimerais pouvoir leur parler, je sais que Père ne me laissera jamais partir. Il a toujours eu tendance à me surprotéger. Je ne lui en veux pas vraiment, il me laisse tout de même m’éloigner un peu, mais pour une fois, une seule fois…

Je le ferai tout de même. Peut-être que je suis un peu trop têtue, mais s’ils osent faire du mal à mes amis, à ma famille, j’irais les voir. La voir, pour être exacte, et je lui demanderais: « pourquoi. »

« Pourquoi vouloir détruire ce monde, alors qu’il est si beau… Des lacs perdus, des forêts riches, des prairies verdoyantes… Mon monde est enchanteur. Je ne veux pas le voir disparaître dans les flammes. Savez-vous seulement comme la forêt a pleuré, lorsqu’un de nos villages a disparu, en cendres ?

Sans y connaître personne, j’étais dévastée.

Quelques jours plus tard, sans prévenir, c’est le mien qui a brûlé.

Mais mon cœur était en lambeaux lorsque j’ai réalisé que c’était entièrement de sa faute, de la faute de ce feu que j’admire et que j’aime tant.

Je ne sais pas si tu… Si vous voulez m’écouter, mais s’il reste une partie de vous qui a encore de l’estime pour moi, alors lisez ces mots !

Je vous en supplie. Ne prenez pas mes proches, ne prenez pas ce qu’il reste de mon village, ne prenez pas Père, Kafllef… Je suis trop jeune pour partir les rejoindre, trop jeune pour les protéger. »

Je viens de dériver. Je devais écrire ce journal pour laisser une trace de moi, et… Me voici en train de supplier silencieusement Fajro de laisser ma famille en paix. Enfin silencieusement, tout est relatif…

Vous qui lisez ce message, j’espère que vous pourrez lui parler. La raisonner. Ou raisonner son héritière, si jamais elle meurt durant la guerre à venir. Vous, qui lisez ce message, ne le rendez pas vain. Luttez. Luttez pour ramener la paix, ou protéger ce monde, n’importe quoi…

Je ne sais même pas ce que vous pourrez faire, en réalité. Et je ne sais pas en quoi ce message pourra vous aider, aussi… Simplement à exposer la situation, ce qui est utile, mais si insuffisant…

J’espère que les autres villages survivront. Ils sont plus en sureté que nous, dans leurs hautes montagnes. La pierre brûle moins rapidement… Cependant, Fajro serait capable de faire fondre la montagne.

Chère personne qui lisez mes mots, je ne sais pas quand est-ce que vous vivez. Je me demande à quoi ressemble votre monde. Est-ce que les forêts existent toujours ? Les montagnes ? Les mers ? Y a-t-il plus de tornades ? N’y a-t-il plus que des volcans ? Va-t-elle seulement s’arrêter, ou continuer sa folie, jusqu’à attaquer les autres peuples ?

Ils devront bien se défendre, si c’est le cas.

Qui « ils » ? L’Air, bien sûr.

Puisque j’écris dans cette langue, je n’ai pas besoin de le préciser. Vous le savez déjà, vous connaissez ce peuple. Comment ne pas le connaître, je pense que chacun d’entre nous a une envie folle de les frapper.

À moins que non ? Et si c’est un humain qui trouve sur ce message ? Il faut que je le prévois. Humain, excusez mon humain. Je n’ai pu écouter que quelques bribes à peine.

« Bonjour. Moi être Fey, arbre jeune. Écrire massage car besoin aide et envie vus de souvenir de moi. Moi envie vus aider nus car nus pouvoir pas défendre seuls. Si moi être merte, vus essayer sauver monde moi. Partir voir Air. Ou Eau. Ou Feu. Parlez avic eu. Raisonner. Protéger monde moi et monde vus. Vus mourir ossi sinon. »

Non, non je n’y arrive pas… J’espère que c’est un citoyen de l’Air qui tombera là-dessus, puisque ce sont ceux qui risquent le moins d’être en danger. Leur sagesse sera-t-elle capable de raisonner Fajro ? Leur snobisme non, mais certains sont raisonnables… N’est-ce pas ?

Fajro va bien finir par écouter quelqu’un !

Je ne comprends pas ce qui lui arrive, elle semblait si… Si bonne, si juste ! Qu’est-ce qui a pu la changer autant ? Je la connaissais, elle était mon amie, une mère pour moi. Pourquoi ?

Si je creuse vraiment très loin, il y a bien une plus grande chaleur depuis peu. Elle faisait tout pour ne pas laisser cette puissance la surmener, même si parfois, elle ne pouvait pas faire autrement… Nous l’avons laissée brûler des territoires, et en échange elle contrôlait sa chaleur et celle de son peuple. Un arrangement sur des dizaines d’années dorénavant brisé.

Père la tenait en si haute estime ! Ils se parlaient souvent, ils se voyaient souvent… Ils étaient amis. De vrais amis. Non, non, cette personne si sage n’a pas pu changer à cause d’une chose aussi insignifiante.

Il y a peut-être cet autre évènement… Cette lumière aveuglante, d’il y a quelques temps, comme une chose qui cachait un autre mystère.

Certes c’était étrange mais… Comment cela peut justifier un changement aussi conséquent ? Quoique, cela le justifie bien plus que la simple chaleur… Est-ce qu’il serait arrivé quelque chose durant ce flash ? Est-ce que cette lumière a hypnotisé, manipulé, tué Fajro ?

Est-ce qu’elle va bien ?! Déesses, faites qu’elle aille bien, ce n’est peut-être même pas de sa faute… Je n’en sais rien, je plonge dans l’incertitude et la confusion.

Je la respectais, l’aimais profondément… Mais maintenant, elle me terrifie… Je ne veux pas qu’elle… Qu’elle…

Je ne veux pas…

Je tremble de plus en plus, j’arrive à peine à écrire… J’espère que vous pourrez me relire…

Je sais pourquoi j’écris ce message.

Je ne veux pas mourir…

Je ne veux pas que les cendres se répandent sur les terres comme un virus, je ne veux pas que le monde s’étouffe, que l’air soit lourd, que tout se réchauffe et brûle, que tout disparaisse sans aucune raison…

Je ne veux pas mourir…

Je ne veux pas voir un autre village des miens partir en fumée… Je ne veux pas que Kafllef me revienne demain en simple feuille… Je ne veux pas que Père me revienne demain en poussière…

Je ne veux pas mourir…

Je ne veux pas voir son sourire fou ; je veux qu’elle redevienne normale, qu’elle redevienne la Fajro forte et noble qu’elle était…

Je ne veux pas mourir…

Je tremble encore, encore, encore. Pitié, pitié aidez-moi, aidez-nous, qui que vous soyez. Je suis terrorisée, j’ai besoin d’aide, n’importe quelle aide…

Je ne veux pas mourir…

Aidez-moi. Aidez-nus. Moi besoin aide vus. Nus besoin aide vus. Monde vus danger ossi. Ca être urgent et important. Moi avoir peur, très peur…

Je ne veux pas mourir…

Je ne veux pas mourir…

JE NE VEUX PAS MOURIR !

Je jette le journal plus loin. Il atterrit contre un arbre, tombe au sol, perdant un peu de matière. Je tremble un peu, et me recroqueville sur moi-même. Je sens quelque chose de plus froid couler le long de ma joue. Mon bout de bois repose au sol. Il crépite un peu, tant j’ai écrit rapidement sur la fin.

Je serre la mâchoire. Je tremble encore un peu. Une telle frénésie, un tel désespoir… Je n’arrête pas de trembler, j’ai si peur, j’ai si peur…

Je baisse le visage, tentant d’essuyer ces larmes. Cela ne sert à rien de se mettre dans cet état. Il faut que je me calme, il faut que je me calme, il faut vraiment… Que je… Me calme… Tout… Tout ira bien… Je ne dois pas perdre espoir…

Si je perds espoir maintenant, tout sera perdu.

Je m’appuie contre l’arbre le plus proche. J’espère que personne ne va me voir… Je vais seulement les inquiéter pour rien, et ils ont bien plus urgent à faire que de s’occuper de moi.

Qui plus est, je dois rentrer le plus vite possible. Je veux voir Kafllef et Père. Est-ce que j’ai une seule chance de les raisonner ? Une dernière chance ? C’est mon seul espoir, je n’ai pas le choix…

Je redresse la tête, et inspecte l’arbre qui s’élève devant moi. Une forme est visible, semblant me regarder avec tendresse. À ce monument silencieux, je murmure :

-Kofiel Kiara, erif filiaj aiw arokir, rallüf ui…

Chapitre 1 : Etian Irving.

Je m’appelle Etian Irving.

Je suis un ado comme les autres. Je vis comme les autres, je m’habille comme les autres, je respire comme les autres. Lorsque je me regarde dans le miroir, le matin, je me dis :

« Bon sang, qu’est-ce que je suis banal. »

Tout en moi est banal. Mes cheveux bruns sont quelconques. Mon sweat gris n’a aucune particularité. Mes jeans bleus sont tout à fait normaux. Mes yeux verts sont tout ce qu’il y a de plus naturel. Même ma taille est parfaitement dans la moyenne, un classique 1 mètre 75. C’est simple, quand on me regarde on me prend pour un de ces personnages d’animés de remplissage.

Le seul détail qui pourrait sortir de l’ordinaire est cette gemme rouge orangée, de l’ambre je crois, que j’ai trouvée dans le jardin. Une jolie pierre en forme de goutte étirée, ou d’œil de chat. Ma grand-mère a payé quelqu’un pour en faire un pendentif.

Je le porte en permanence. J’aime penser que c’est juste ce détail qui me différencie des autres. Après tout, qui porte un collier d’ambre autour du cou, à part les bourges et mineurs ? Et pas tous en plus, seulement les chanceux.

Cette description de moi est absolument terrible. Comment qui que ce soit pourrait vouloir de ma compagnie s’il voyait ça ?! J’ai beaucoup trop divagué !

Attendez, je recommence. Hm hm…

Je m’appelle Etian Irving.

Fils de… Deux Irving, du coup ? Ou un et demi, si on ne prend pas en compte le mariage ? Je veux dire, ma mère n’était pas une Irving avant, c’est donc une moitié de Irving ?

De toute façon, je suis surtout le fils de Sirel Irving. Pas vraiment « fils », sûr, c’est ma grand-mère. Mais je vis chez elle.

Non, mes parents ne sont pas morts dans un accident étrange et non justifié, ou tués par la mafia italienne. Non, je n’ai pas eu une histoire triste et clichée. J’en ai une autre.

Mes parents sont juste de grossiers personnages, pour rester poli. Alors je suis parti. Et ils ne m’ont pas cherché. Bref, je suis là maintenant et c’est pour le mieux. Ma grand-mère est la personne la plus gentille qui existe ; je ne regrette absolument pas mon choix !

Je suis un lycéen. 17 ans, citoyen (ou presque ? Normalement oui, même si j’ai 17 ans, je suis citoyen mais je ne peux pas encore voter. Enfin de toute façon, j’ai 18 ans dans quelques mois) français. Je vis au beau milieu de l’Auvergne, près d’Aurières. Entouré de volcans. C’est vraiment chouette ici, j’aime beaucoup.

Je pense que c’est grâce à cet endroit que j’aime tant la forêt.

Je me regarde encore un peu dans le miroir. Je ne suis pas narcissique, mais j’aime bien regarder mes yeux. Ils sont beaux. Évidemment, personne dans la rue ne va me dire : «Etian, qu’est-ce que tu as des beaux yeux » !

Ça serait flippant.

Mais je les aime tout de même.

Ça doit bien être mon seul argument positif dans ma quête de relations.

Je sors enfin de ma chambre. Il est relativement tôt, 8 heures pour un samedi, mais je n’aime pas paresser au lit. Je sais : « exceptionnel pour quelqu’un de mon âge », mais c’est la vérité.

Ma grand-mère, en revanche, ne doit pas encore être levée. La pauvre se fait bien vieille. Elle est en plutôt bonne santé, hein ! Mais elle a de plus en plus besoin de dormir, elle est si souvent fatiguée…

J’arrive dans la cuisine. Notre maison est très simple. Un étage, une cuisine, un salon, trois chambres, une salle de bain, et un couloir qui relie toutes les pièces entre elles.

Et un débarras. Pour pleins de trucs. Même moi j’ignore ce qu’il y a à l’intérieur, sans doute une civilisation inconnue.

Je ne sais pas vraiment quoi faire. Je m’apprête à m’installer devant la télé pour regarder une émission bidon en attendant midi.

Je remarque alors un petit mot sur la table du salon. Je me penche un peu et l’attrape pour lire :

« Etian, puisque tu es très probablement réveillé, pourrais-tu partir chercher du pain ?

Bisous mon chéri !

Ta grand-mère favorite. »

Je ne peux m’empêcher de sourire. Je repose le petit papier, attrape un stylo plus loin, et continue :

« Déjà parti ! »

J’adore ma grand-mère.

De toute manière, je n’avais rien d’autre de mieux à faire.

Je me lève, attrape précipitamment des baskets, et sors. Moi et ma grand-mère vivons plutôt loin du centre-ville. Mais je suis un rapide, et j’ai l’habitude de marcher. Je ne devrais pas en avoir pour longtemps.

Je trotte un peu dans les rues. Il fait gris. Les nuages couvrent le peu de soleil qu’il y a. C’est vraiment une journée à rester couché.

J’enfouis mon visage dans mon sweat. Il fait plutôt froid… Et je déteste, déteste avoir froid ! Je crois que je préfère encore avoir chaud ! Quoique, les deux sont insupportables… Pourquoi est-ce que la température ne peut pas être agréable de façon permanente ?

Je marche en silence. Je n’aime pas vraiment la musique en marchant, du moins pas dans mes oreilles. Soit je ne mets rien, soit je chante moi-même. C’est une drôle d’habitude c’est sûr. J’ignore un peu pour…

Je me fige. Je viens de voir quelque chose devant moi… Héhéhé…

Allez Etian, cette fois, c’est ton moment.

Je me recoiffe rapidement, m’étire un peu, et pars en avant… Ou plutôt, pars à la chasse.

Oulà, non non non, on va seulement dire pars en avant, c’est quand même plus respectueux.

Une jeune fille de mon âge. Elle est seule, et boit un café sur un banc. Comment c’est son nom déjà… Allez, Etian, je sais que tu l’as déjà vue en cours…

Ah oui ! Nora !

Alors, chère Nora, je n’ai jamais eu l’occasion de te parler, mais tu vas voir, tu ne pourras plus jamais m’ignorer.

-Bonjour, Nora !

Je m’approche, alors qu’elle lève ses yeux noirs sur moi. Elle semble confuse, et tourne la tête derrière elle. Non, il n’y a pas d’autre Nora sur ce banc, c’est bien à toi que je parle.

-Bonjour ? On s’est déjà vu ?

Aïe. Un point en moins.

Allez, Etian, je sais que tu peux le faire, surtout ne panique pas !

-Eh bien, si je me souviens de ton nom, c’est que nous nous sommes forcément déjà vus ! Je rétorque.

Parfait, ça c’est de la reprise, bravo champion ! Nora me regarde fixement, clignant des yeux. Puis, son regard devient dédaigneux.

-Est-ce que tu te souviens de toutes les filles auxquelles tu as fait ce discours ?

Rah, encore touché ! Réfléchis, réfléchis, réfléchis…

-Seulement celles avec d’aussi beaux yeux que les tiens.

Et mince.

Rien qu’à voir sa tête, je crois que c’est mort de chez mort.

-Haha. Hilarant. Elle répond.

-Héhé, désolé, c’était peut-être un peu naze. J’avoue, plaçant une main derrière la tête.

-Effectivement. Au moins tu as la sincérité de le reconnaître.

Elle sourit. Elle sourit ! Tout espoir n’est peut-être pas perdu !

-J’essaierais de me souvenir de toi pour la prochaine fois. Ton nom ? elle demande.

-Etian.

-Etian. C’est pas si mal. Elle sourit.

Elle fait un clin d’œil. Etian, tu n’as jamais été aussi près du…

-Nora !

-Ah, te voilà !

Nora termine son café, et se lève. Je me retourne, et perds mon sourire.

Oh. Un autre prétendant.

-Salut, Lex ! Ça fait longtemps ! Lance Nora.

-Trop longtemps ! Renchérit l’autre.

J’enrage intérieurement. Vas-y, vole-moi ma future femme, je vais pas t’en vouloir ! Fichu… Lex ? Quoi, t’as trois lettres dans ton prénom, tu te crois exceptionnel, c’est ça ?!

Bon si je commence à avoir des arguments aussi nuls, c’est vraiment que je commence à m’énerver.

-Désolée, Etian l’inoubliable, je dois te laisser. À plus ! Elle fait.

-À plus.

Je fais un petit signe, souriant faussement, et les deux disparaissent. Ils ne se tiennent même pas la main ou un truc du genre, mince ! Qui c’est ce type ?!

Je soupire finalement, lorsqu’ils sont assez loin pour ne pas m’entendre.

Et me voilà « inconnu-zoned »…

Je me dirige mollement vers la boulangerie. Moi qui pensais enfin trouver une fille, non, bien sûr ! Il faut que le premier pécore du coin me la prenne ! Fichus paysans, toujours à se…

Je crois que j’ai dévié. Un peu trop. On va respirer un coup.

Je pars, traînant un peu la jambe. Voir une fille si tôt, c’était une aubaine ! Je suis tellement, tellement déçu… Enfin, c’est pas comme si je pouvais y faire grand-chose de toute façon.

Je soupire, oui, encore. Cependant, en relevant la tête, je remarque quelque chose d’intéressant.

Sonia et Mona. Deux filles dans ma classe. Elles, elles se souviendront de moi : on a travaillé en groupe, après tout ! De toute manière, je ne suis plus à ça près, je me suis déjà fait « inconnu-zoned »…

Ça fait mal de se faire « inconnu-zoned ». Mais j’ai connu des gens qui ont été « familyzoned ». Et ÇA, c’est douloureux. Je n’ai pas encore eu la chance de connaître le célèbre : « T’es comme un frère pour moi ».

Enfin. Ça ne sert à rien de cogiter comme ça, j’ai deux sublimes demoiselles qui n’attendent que moi !

Elles sont en train de parler tranquillement. Étirons-nous un peu… La boulangère peut attendre (Enfin… Roger - 49 ans, peut attendre. Même pas le droit à une boulangère, ici).

Je me recoiffe un peu. Cette fois, je suis confiant ! Ce n’est pas la première fois que je leur parle, je dois leur avoir laissé une forte impression. J’en suis certain.

-Bonjour, vous deux.

-Etian ? C’est toi ? Lance Sonia.

-Comment va ? Reprend Mona.

Elle me sourit, et m’invite à les rejoindre. Ah, Mona, quel rayon de soleil. J’approche du duo sans hésiter.

-Ça va. Et vous ? Ça fait trop longtemps.

-Oui, je suis d’accord ! Tu nous as manqué ! Pas vrai Sonia ? Demande Mona.

-Sûrement. Je suppose. Souffle cette dernière.

-Alors, depuis le temps ? Poursuit Mona.

-Oh, rien de bien spécial. Je prétends.

Je place mes mains derrière ma tête. Les filles a-do-rent ça.

-Je vis ma vie, voilà tout. Rien de vraiment intéressant.

-Oh je t’en prie, Etian, pas de ça avec nous ! Rétorque Mona.

-Mais et vous, que faites-vous ici ? Je demande.

-Nous attendons quelqu’un. Affirme Sonia.

Elle rougit très, très légèrement et détourne la tête. Moi, je me fige.

Oh non… Encore un, sérieusement ? Il peut pas y avoir moins de mecs dans cette foutue ville, non, vraiment pas ? Il n’y en a pas assez pour tout le monde ! C’est injuste !

Je m’énerve un peu intérieurement, mais je ne le montre pas. Si je commence à enrager, je vais leur faire peur, et ça va mal se passer.

-Oh ? Et puis-je savoir qui est l’heureux élu ?

-Oh, eh bien c’est… Commence Mona.

-Mona ! Coupe Sonia.

-Ce cher Théooooo !

-Stop !

Elles se mettent à rire. Je les accompagne, sans trop d’envie. Cependant, en plusieurs années de technique, j’ai appris à rire pour de faux, sans me faire repérer. J’ai l’expérience nécessaire.

-Tiens, mais ne serait-ce pas ton prince charmant ? Lance Mona.

Je me retourne, et saisis le concept de rival. Yeux sombres, cheveux noirs, grand sourire charmeur, bien fringué, derrière moulé…

Il est sacrément sexy, le sale type.

-Salut ! Il lance.

-Hey ! Comment va ? Sourit Mona.

Les deux charmantes filles à mes côtés se lèvent. Mona se tourne vers moi.

-Eh bien, nous allons devoir te laisser, Etian ! Elle fait.

-À la prochaine ! Renchérit Sonia.

-Bye, j’espère vous revoir vite ! Je réponds.

Je fais un petit signe de la main, en voyant mes chères amies partir. Le mec ne m’a même pas accordé un mot. Il se croit mieux que moi parce qu’il s’est fait refaire l’arrière-train, c’est ça ?!

Mais, alors que je baisse la tête, j’entends clairement ce gentil fils à sa maman dire :

-C’est qui lui ?

Et pire. Sonia répond.

-Oh, c’est rien. Laisse tomber.

« C’est rien ».

Ça fait mal, « c’est rien ».

Je soupire, et me relève. Avec toutes ces bêtises, je n’ai même pas acheté mon pain.

Je marche mollement vers la boulangerie. Je n’ose même pas lever le regard. Pourquoi les filles s’obstinent-elles à me considérer comme rien ? Je ne suis pas rien !

J’ose lever les yeux pour me regarder dans une vitre. Celle d’une boutique, peut-être, je m’en fiche. Mais je vois mon reflet.

Je ne suis pas rien ! Je suis Etian Irving, je suis plutôt beau gosse, et… Je sais pas ce qui leur faut.

Que j’aimerais avoir une copine ! Pourtant elles, elle voudraient littéralement n’importe qui d’autre…

Oh, tant pis !

J’arrive devant la boulangerie et arbore un sourire narquois. Même Roger - 49 ans pourrait devenir mon ami,à ce point. Je suis si bas en charisme ? Non, je crois en mes capacités.

Ce sont elles qui sont insensibles, voilà tout.

-Bonjour jeune homme. Que puis-je faire pour vous ? Demande Roger.

-Une baguette pas trop cuite.

-Tout de suite !

Il est sympa Roger quand même. Je ne sais pas ce que je ferais sans lui.

Il me tend une baguette, je lui tends quelques pièces. J’attrape le pain, et commence à reculer.

-Merci, Roger.

-De rien ?

Je sors de la boulangerie sans attendre. Et puis, une fois dans la rue, je me fige… Oh. Mince.

J’éclate de rire.

Il n’y a personne à cette heure-là, je peux me le permettre ! Et puis ce que je viens de faire est si ridicule, bon sang, je suis le pire. Pfff !

Depuis tout à l’heure, j’appelle ce pauvre boulanger Roger. Mais je ne sais même pas s’il s’appelle Roger !

Secouant la tête devant ma propre boulette, j’avance, pain en main, pour rentrer chez moi. Allez, inutile de perdre plus de temps : ma grand-mère doit m’attendre !

Quelques minutes plus tard, après une petite marche paisible, j’arrive enfin chez elle. Je regarde rapidement l’heure sur mon portable. 10 heures. Je suis vraiment resté aussi longtemps dehors ? Pauvre grand-mère.

-Te voilà enfin, Etian.

Je relève la tête. Elle est devant la télé, assise et concentrée.

-Désolé, grand-mère, je suis en… Je tente.

-Viens voir les infos. Elle coupe.

Oh.

Lorsqu’elle parle sur ce ton, je sais que c’est sérieux. Habituellement, elle est toute gentille. Les seules fois où elle ose lever la voix, c’est lorsque je casse quelque chose.

C’est arrivé deux fois. Ça fait 4 ans que je vis ici.

Mais là, ce n’est pas de ma faute, je n’ai rien fait de mal ! Quoiqu’il se passe, je suis innocent cette fois !

Pas vrai ?

Quoi, c’est parce que j’ai dragué trois filles aujourd’hui et une d’entre elles m’a traité de rien ? C’est criminel maintenant ?! Je croyais que je n’étais pas assez lourd pour les énerver…

Non, je suis parano. Comment elle aurait pu savoir ça, en plus ? N’importe quoi, Etian, n’importe quoi.

Je pars la rejoindre, et soupire de soulagement en voyant ce qui est sur la télé. C’est « seulement » les infos, pas une autre erreur de ma part.

Je m’installe à côté de ma grand-mère. Elle semble concentrée sur l’écran… Je tourne mollement la tête pour regarder avec elle. La présentatrice, fixant le prompteur, explique calmement :

-Le feu se propage encore dans la chaîne de montagnes, et rien ne semble pouvoir l’arrêter. C’est hélas le cinquième ce mois-ci, rejoignant le nord de l’Italie, les Alpes françaises et les Alpes suisses. Les pompiers sur place n’ont pas accès au lac le plus proche, alors…

-Encore un incendie ?

Je me tourne vers ma grand-mère. Elle reste neutre, les yeux rivés sur le journal, et ne me répond rien.

-La présentatrice l’a dit elle-même, c’est le cinquième ce mois-ci. Pourquoi tu m’appelles pour celui-là en particulier ? J’insiste.

-Etian, comment peux-tu être aussi froid ? Souffle-t-elle.

Je soupire, attrape la télécommande, et éteins la télé.

-Etian ? Reprend-t-elle.

-J’ai acheté du pain. On devrait le manger, il est encore chaud.

Elle garde le silence, et part plus loin. Elle sait que quand je suis comme ça, ce n’est pas la peine de discuter.

Nous avons tous les deux besoin de nous détendre, que ce soit moi en restant seul et elle en partant se préparer un thé. Je sais que mes abrutis de parents n’auraient jamais songé à ce plan aussi simple… Pourtant c’est celui qui marche le mieux.

Je ne devrais pas être aussi affecté. Du moins pas de cette façon, Mais les infos me rendent malade en ce moment.

5 incendies, 1 mois. C’est pas normal. Ces temps-ci, des incendies explosent de partout, pire que des centrales nucléaires. Les experts parlent de réchauffement climatique ou je ne sais pas quoi.

Mais je sens, je sais qu’il y a autre chose. Je suis au courant que 2 degrés ça change une vie, merci ! En plus on est en été !

Cependant… Autant d’incendies en si peu de temps ? C’est trop bizarre. Et trois sont arrivés en Europe. Deux des précédents se sont passés dans les Alpes. Les Alpes, pour l’amour de tous les dieux de cette planète !

C’est pas censé être aussi chaud !

Ça me fait si mal au cœur.

J’inspire un bon coup. Ça ne sert à rien de paniquer, ou d’y repenser plus que nécessaire. Je vais pas partir éteindre les feux avec un arrosoir non plus ! Je ne peux rien faire du tout.

Je soupire et me lève, croisant les bras. Je me sens définitivement perturbé par tout ce qu’il se passe, c’est affreux…

Plus je regarde les infos, et plus je me pose cette question :

-Comment on en est arrivé là ?

Chapitre 2 : Macaronis.

J’ouvre les yeux.

Je les plisse un peu. Le soleil brille trop fort. Je suis fatigué, je veux repartir me coucher. J’ai la flemme de me lever… Encore cinq minutes, on est en week-end en plus…

Je tourne la tête vers mon réveil.

Midi.

MIDI ?!

Je me lève brusquement, ce qui me fait presque sauter, manque de tomber trois fois en trois pas et me prends la porte du placard de plein fouet. Et mince et mince et mince !

J’ai promis à ma grand-mère de ne plus jamais me réveiller à midi ! La dernière fois, je l’ai mise en retard. Elle a dû m’attendre, et bordel de…

Je me lève précipitamment. J’attrape un vieux pantalon, un t-shirt au pif total, et manque de trébucher en enfilant les jambes dans le tissu. Je fais quelques petits sauts, mets vite des chaussettes.

Je dois absolument sortir maintenant, je ne veux pas encore la contrarier !

Je défonce la porte de ma chambre, et cours vers la cuisine. Heureusement qu’elle n’est pas trop loin. Je reste prudent, essayant de ne pas tomber dans les escaliers.

-Grand-mère ! Je crie. Grand-mère ! J’arrive, j’arrive, j’a…

Sans faire attention, je glisse sur le sol…

-OUAH !

Et me casse royalement la figure. Tête la première. Sur le carrelage.

Au sol, étalé comme une étoile de mer morte, j’ai l’air parfaitement ridicule. Mais j’ai vraiment aucune envie de bouger, là, maintenant tout de suite.

-Aïe… J’ai mal…

-Etian ! Tout va bien ?

Je relève la tête. Grand-mère me regarde. Elle semble inquiète, et surprise aussi. C’est sûr que c’est pas une entrée banale que je viens de faire ! Je réponds avec un faible sourire.

-Disons que je viens de tomber sur du carrelage froid alors que je dormais il y a deux secondes. Je me suis jamais senti aussi bien.

Elle se met à rire. Mon visage se détend un peu.

-Et en plus il est midi. Je termine.

-En effet.

Elle sourit de façon narquoise, ce qui lui va à merveille.

-Je sais que je ne veux pas que tu te lèves l’après-midi, mais essaie de ne pas te casser une jambe en allant trop vite.

-Ouais. Désolé du retard. Je soupire, me relevant enfin.

Je m’étire un peu, et me fige soudainement. Renifle. Redresse un peu la tête comme un chat.

-Macaronis au fromage ?! Je lance.

Elle hoche la tête. Mes yeux se mettent à briller : je le sens d’ici, ce plat divin ! La chute d’il y a quatre dixièmes de secondes ? Oubliée ! Je vais manger des macaronis au fromage ! Bon sang, ça se fête !

Je tuerais toute ma famille -sauf elle bien sûr- pour une seule assiette ! C’est le meilleur plat que j’ai mangé de ma vie ! Et j’en ai mangé des plats, croyez-moi !

-En quel honneur ? Je m’écrie.

-Tu ne semblais pas être au top de ta forme, hier. Alors j’ai décidé de te faire plaisir. Répond ma grand-mère.

Elle sourit tendrement.

-Va vite mettre la table. C’est bientôt prêt.

-Tout de suite !

Elle se tourne et part vers le four.

Dieux, que j’aime ma grand-mère.

Je pars vers le placard, attrape des assiettes, des serviettes, des couverts… Bref, je mets la table, rapidement. Grand-mère arrive immédiatement, armée d’un plat blanc rempli de délicieux macaronis au fromage.

Ça sent tellement bon, cette odeur forte et pleine de caractère ; elle me fera toujours craquer. Je m’installe sagement. J’attends patiemment, jusqu’à ce que ma grand-mère, souriante, me dise :

-Sers toi, mon chéri !

Je m’exécute sans attendre, et commence à manger. C’est bon, c’est diablement BON !

-Hmm… Je souris niaisement.

-Etian, cesse donc de sourire bêtement et mange ! Taquine Grand-mère.

-Peux pas m’en empêcher.

Je mange avec énormément de plaisir. C’est un plat idiot, simpliste, mais c’est si bon ! C’est… Comment on dit ? Ah oui ! Ma madeleine de Proust gustative ! Quoique, la madeleine de Proust est déjà gustative… Enfin ce n’est pas important !

Chaque fois que j’ai une mauvaise journée au lycée, ou dehors, grand-mère est là, armée d’un plat en céramique sentant divinement bon, pour me rapporter de la bonne humeur. Je ne sais vraiment pas ce que je ferais sans elle.

-Alors mon chéri. Qu’est-ce qu’il s’est passé hier pour que tu sois si mal, mmm ?

Je mords dans un macaroni. Peut-être que pour vous, ce n’est pas normal de manger alors que votre grand-mère pose une question sérieuse…

Mais les macaronis ont tellement le don de me détendre que je peux parler sans souci en en mangeant !

-Des filles. J’affirme.

-Des filles ?

Elle soupire profondément et secoue la tête.

-Etian, tu devrais arrêter de traîner autour des filles ainsi… Tu as déjà eu trop de problèmes.

-Désolé grand-mère. Mais je peux pas m’en empêcher. Je rétorque.

Elle m’observe un instant, silencieuse. Je cligne des yeux, est-ce que j’ai dit quelque chose qu’il ne fallait pas ? Cependant, elle brise le silence en commençant :

-Etian, serais-tu…

-Ne dis pas ce mot s’il te plaît. Je suis pas désespéré. Je coupe.

Grand-mère soupire de nouveau.

-Trésor, ne te vexe pas, je t’en prie, cependant…

Je lève le regard.

-C’est la quatrième fois ce mois-ci que tu reviens déprimé à cause des filles.

-D’accord, je suis peut-être un peu désespéré. J’acquiesce en soupirant.

Je ne peux pas m’empêcher de secouer la tête, en haussant les épaules.

-Mais je n’y peux rien, je suis comme ça ! Je veux trouver la bonne ! Comme toi avec Papi !

Grand-mère sourit tendrement.

-Lorsque tu auras trouvé la bonne, tu le sauras immédiatement. Elle affirme.

-Mouais…

-Fais-moi confiance, tu veux ?

Elle me donne une petite tape sur la joue, ce qui me fait rire.

-D’accord, d’accord. Je vais te faire confiance.

Je mords un nouveau macaroni, et souris.

-Mais s’il te plaît. Laisse-moi draguer encore un peu ? Je demande.

Elle se met à ricaner gentiment et agite une main.

-Mets les infos, et arrête de dire des bêtises ! Tu es épuisant, Etian Irving !

-Je sais, mais tu m’aimes quand même ! Je réplique.

-Malheureusement pour moi !

Je lui fais un clin d’œil, alors qu’elle reprend son sourire. Je termine mon assiette, et pars vers le salon pour allumer la télé.

Notre maison n’étant qu’un rez-de-chaussée, avec deux chambres à l’étage, il n’y a pas beaucoup de portes pour donner un aspect plus grand. En gros ? La table de la salle à manger est juste devant l’écran.

J’allume les infos, et m’apprête à revenir sur la table pour me servir une deuxième assiette.

Mais je sens un frisson me parcourir le dos.

-Un nouvel incendie s’est déclaré au sud de…

J’éteins immédiatement.

Un lourd silence s’impose. Rien ne bouge. Rien n’ose bouger. J’ai même l’impression que les atomes d’oxygène se figent. Je laisse la télécommande tomber lourdement sur le canapé.

Je tourne la tête pour regarder Grand-mère dans les yeux. Elle semble soudainement triste. Ça, pour un moyen de casser l’ambiance, c’est un excellent moyen de casser l’ambiance… Je me sens un peu nauséeux, tout à coup…

-Etian… Elle souffle.

Je baisse les yeux, incapable de la regarder en face.

-Désolé, j’ai besoin d’air.

Je pars vers la porte d’entrée, mais je ne veux pas partir sans son accord. Je me tourne vers elle.

-S’il te plaît, laisse-moi me promener un peu. Je demande, presque suppliant.

-Rentre avant 18h. S’il te plaît. Souffle Grand-mère.

-Promis.

Je lui souris faiblement, marche rapidement vers la table, mets mon assiette vide dans l’évier, et repars vers l’entrée. J’enfile une veste, mes baskets.

-Si je passe en ville, je te prends quelque chose ?

-Tu passeras en ville ? Reprend Grand-mère.

-Pour me faire pardonner ?

Elle sourit.

-Ce n’est pas la peine. Contente-toi de rentrer tôt.

Je hoche la tête.

-Bien, j’y vais. À plus.

-À plus tard, Etian.

-Oh, et ne jette pas les macaronis, j’en reprendrai ce soir ! Je lance.

-Je te connais, je n’allais pas y toucher !

Je sors sans plus attendre, refermant la porte derrière moi.

Je soupire un peu. Il fait frisquet, dehors. Mais ce n’est pas non plus une ère glaciaire. Ma veste suffit largement pour ne pas attraper froid.

Je marche, et même piétine. Pas vers la ville cette fois, vers la forêt. J’ai de la chance d’habiter tout près, alors j’en profite au maximum.

J’aime la forêt. J’aime vraiment, vraiment la forêt. D’aussi loin que je me souvienne, j’étais plus à l’aise dans les bois qu’à la maison.

J’aime cette tranquillité, ce calme, cette sérénité… Petit, dès que mes parents levaient la voix, je courais très loin de la maison, droit vers les arbres. Il n’y avait jamais personne, juste des écureuils ou des oiseaux. Ce n’est pas comme si on remarquait mon absence. Donc j’en profitais.

C’est le seul endroit où je pleure. Pleurais, je pleure plus, j’ai plus de raisons de le faire.

Je soupire. Ça sert à rien de ressasser le passé. De toute manière, je suis là uniquement pour rester seul. Paisible. Détendu. C’est un peu injuste pour ma grand-mère, mais j’ai besoin de souffler.

Je ne veux pas penser à ce qu’il se passe dans le monde. Je déteste ce fichu monde. Je veux pas me pendre non plus, mais je hais tout ce qu’il se passe. Je ne veux pas que tout parte en fumée… Pourtant, c’est visiblement ce qu’il se passe !

Je secoue la tête : « Pense à autre chose, Etian. Ça ne sert à rien de déprimer comme tu le fais. Positive ! »

Je lève les yeux, souris, et regarde les arbres. Ils partent très haut, cachant presque le ciel. Il fait drôlement sombre, maintenant. C’est dingue comme le temps passe vite ici.

Je continue à marcher, les mains dans les poches. Je parcours un petit sentier, créé par les dizaines de pas de gens avant moi. Et j’erre un moment surtout. Un long moment.

Il ne fait pas assez humide pour que le sentier soit boueux mais… Lorsque je me tourne, je vois la route, signe que même si je souhaite m’isoler, on me rappelle à l’ordre sans me demander mon avis. Devant moi, il y a un chemin tracé, si prévisible, si déblayé.

Hé ! Je suis banal, oui, mais pas autant.

Je me tourne, et sors, littéralement, des sentiers battus, pour marcher entre les arbres.

Là, je me sens immédiatement mieux.

Je bouge quelques branches me barrant la route. J’observe quelques toiles d’araignées plus loin. De la rosée est encore dessus, à cause de l’humidité ambiante, ce qui rend la chose magnifique, comme une œuvre d’art.

Comment est-ce que les filles peuvent avoir peur des araignées ?! D’accord c’est pas mignon comme les chatons, mais c’est utile, et si inoffensif !

Elles peuvent vraiment être chochottes des fois ! Ça me brise le cœur de devoir en tuer une pour bien me faire voir ! Pauvre petit être innocent.

Je souris, et tourne la tête pour regarder le sol. Je me demande s’il reste des champignons… Oui bon, on est en été, mais certains champignons poussent toute l’année ! Je ne pourrais jamais les prendre cependant : je n’arrive pas à savoir lesquels risquent de me tuer… Donc, dans le doute, je laisse.

J’essaie aussi de ne pas écraser d’escargots, ou de fleurs. Ce sont des créatures si fragiles, cibles favorites des bambins en manque d’attention… Enfin, des sales gosses plutôt. Des futurs psychopathes et tueurs en séries. Techniquement ils sont même déjà des assassins.

En d’autres termes ? Un gamin qui cueille une fleur mérite de mourir pour son crime.

C’est un être vivant bon sang !

Je reprends alors une marche tranquille à travers les bois. Je ne vois pas le temps passer, tant je me sens… bien. La forêt est silencieuse. Personne ne se promène en ce moment. Trop froid, je suppose. Mais c’est tant mieux pour moi !

Je dodeline la tête, profitant des chants des oiseaux. Je sais que ça sonne très propagande écologiste à deux balles, mais j’aime bien plus la forêt que la ville. Les bruissements des feuilles battent tous les cris d’hommes en colère, les klaxons et les insultes des grandes villes.

Ici, il y a plus de paix que de violence, ça change.

Je devrais penser à autre chose.

Comme le fait que ça doit bien faire une bonne heure que je marche plus vite et sans faire attention. D’un coup, je me réalise quelque chose d’affreux, si brusquement que ça a le même effet qu’une claque : tous ces brins d’herbes sur lesquels je marche, ce ne sont pas des êtres vivants, eux aussi ?! Est-ce que je suis un serial-killer ?!

Pffff…

-Hahahahahahahahahahaha !

Je me tiens le ventre, complètement plié de rire. Je suis tellement nul, tellement ridicule ! Je veux bien être un peu écolo, mais pas à ce point quand même ! Y’a exagération !

Quoique, si j’arrive à inventer les chaussures volantes, je serais riche et célèbre non ?

Et j’aurais toutes les filles que je veux !

Ok, j’ai un projet de vie, maintenant ! Les chaussu…

Je me fige, et renifle un peu. Je sens quelque chose… Une odeur familière…

Ça sent le brûlé ?

Je commence un peu à paniquer. Ça sent le brûlé, ici, dans une forêt, alors qu’il y a plusieurs incendies annoncés partout en Europe depuis un mois ?! C’est inquiétant, vraiment inquiétant !

Je tourne la tête dans tous les sens. D’où vient cette odeur ? Bon sang il faut que je rentre chez moi ! J’ai pas vraiment envie d’être coincé dans un incendie !

Je commence à vouloir regagner le sentier, mais remarque du mouvement dans un buisson. Je m’approche.

Un petit écureuil vient de partir, en direction de la sortie de la forêt.

Je reste immobile quelques instants. Est-ce que… Je devrais aller voir ce qu’il se passe. Peut-être qu’il y a un autre écureuil encore coincé ?

Non, je dois partir d’ici au plus vite. Il faut que je me sauve, j’ai pas envie de finir en steak trop cuit !

Je commence à courir en direction du sentier. Par les enfers, je m’étais pas rendu compte que je m’étais éloigné autant !

C’est pas vrai ! Où est ce fichu sentier ! Ça y est, cette fois, je suis complètement paniqué !

Je tourne la tête dans tous les sens. L’odeur de brûlé est de plus en plus faible, certes, mais je la sens toujours… Est-ce que je m’en éloigne pas assez rapidement ? Est-ce qu’il y a seulement un incendie ?! Peut-être que je suis en train d’halluciner et que j’ai fui pour rien ?!

Je veux rentrer chez moi bon sang !

Je commence à ralentir. Pas parce que j’ai retrouvé mon chemin, mais parce que je suis fatigué. Je suis pas un sportif, moi !

Je me penche sur mes genoux, et reprends mon souffle. C’est bon, l’odeur a presque totalement disparu, ce qui me rassure. Je vivrai un jour de plus.

Je relève les yeux, et regarde autour de moi. Je ne reconnais pas cette partie de la forêt !

Les arbres sont plus hauts et plus gros, les herbes plus longues, et les fleurs plus… Non, je trouve pas d’autre mot, majestueuses.

Je m’accroupis pour en prendre une entre mes doigts, sans la cueillir. Elle est énorme et magnifique ! On dirait une jonquille blanche et orange, mais… Encore plus blanche, et rouge au centre ?

Et il y en a partout, de ces fleurs ! Je n’imaginais pas qu’une telle beauté puisse exister !

Je me lève, et commence à marcher. C’est mort, je suis trop curieux, il faut que je reste ici plus longtemps. Je prends mon portable, et l’allume pour regarder l’heure. 15h12.

Ça va, j’ai largement le temps pour explorer un peu. Héhé, moi explorateur ! Si on me l’avait dit, je n’y aurais jamais cru et pourtant, me voilà ! Et puis, de toute manière, j’ai toujours mon GPS si besoin.

Minute, ça fait déjà trois heures que je me promène ? La forêt me tuera un jour. Mais hey, je suis trop curieux, n’y pensons pas. Continuons à marcher et à parcourir cet endroit étrange !

J’erre alors dans cette zone inconnue de la forêt. C’est vraiment curieux… Je vis ici depuis des années, mais je n’ai jamais remarqué ça ! Est-ce que grand-mère sait qu’elle existe ? Je ne pense pas, mais tout de même, c’est très mystérieux.

Si je n’étais pas aussi près de chez moi, j’aurais sincèrement les chocottes. Je ressens un frisson le long de ma colonne vertébrale, un mauvais pressentiment, comme si je n’aurais jamais dû être ici… Mais je secoue la tête : ce n’est pas parce que la forêt veut garder ses secrets que je dois faire demi-tour ! De toute manière, je suis seul ici. Personne ne pourra me dicter ma conduite !

-Fiv… Fiv…

-Hein ?

Je tourne, encore, ma tête dans tous les sens. Je rêve pas, j’ai entendu pleurer ! Mais pas pleurer genre ; « snif snif ». Plutôt pleurer genre… Gémissements ? Complaintes ? Des bruits étranges et uniques…

J’en sais rien, mais ce sont des pleurs, et j’ai une âme : je vais pas laisser quelqu’un ici !

Attendez. Quelqu’un ? Il y a quelqu’un ici ?! Mais qui pourrait se trouver dans un endroit pareil ?!

Serait-ce une demoiselle en détresse ?!

-J’arrive, qui que vous soyez, je viens vous sauver ! J’annonce.

Je cours en direction des pleurs. Je ne vais pas laisser une innocente jeune fille ici, en pleine forêt perdue !

-Fiv… Fiv…

-Patience, me voilà enfin !

J’arrive alors dans une petite clairière. Minuscule, vraiment. Il y a seulement un immense arbre au centre, un chêne je crois, et une grosse branche posée dessus, peut-être tombée à cause du vent. Je ne vois rien, pas de jeune fille, même pas un petit sac ou un vêtement, non, vraiment le vide intersidéral.

-Fiv… Fiv…

Oui, les pleurs sont extrêmement proches d’ici ! Pourtant je ne vois personne ! Je ne commence quand même pas à entendre des fantômes ?!

-Mademoiselle ? Je suis là ! Vous pouvez sortir de votre cachette ! Je lance.

C’est dingue, il n’y a toujours rien ! J’entends des voix, ça y est. Je suis si désespéré que je les imagine, les dames ? J’avance, tournant la tête d’un côté puis d’un autre, mais ne vois rien d’autre que des branches et des feuilles.

Peut-être qu’elle est allongée ? Non, ni rien ni personne n’est là. Seules les plantes s’accumulent.

Je deviens fou.

-Ei ?

Je souris. Pas si fou que ça, finalement ! Je l’ai entendue ! Il ne me reste qu’à la trouver, elle est proche d’ici…

Je me fige complètement. Déglutis. Mes yeux s’écarquillent et je me sens pâlir. Le bras tremblant, je pointe quelque chose du doigt.

Là… Là, sur l’arbre… Juste devant moi…

Enfer et damnation est-ce que cette BRANCHE VIENT DE SE DRESSER ?!

Chapitre 3 : Une petite pousse.

-OUAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAH !

Je suis complètement paralysé. Je bouge plus du tout, je panique complètement et POURQUOI CETTE BRANCHE BOUGE ?

Non sérieux ! C’est pas normal qu’une branche bouge de cette façon ! D’accord elle était plutôt grande mais quand même : faire des mouvements pareils c’est impossible ! En fait, je mens quand je dis que je suis paralysé, car j’ai trouvé je ne sais où la force de mettre mes bras devant moi pour me protéger parce que BON SANG UNE BRANCHE BOUGE !

Oui, je sais, je suis en pleine surréaction, j’exagère, je dramatise, mais il y a une raison ! Il n’y a pas une trace de vent ! Rien ! Juste une branche qui s’est levée un matin et qui a dit «oh bah chiche ! Je vais bouger devant ce type » !

AAAAAAAH !

Même si je suis terrifié, je n’arrive pas à me reculer d’un millimètre. Bon sang ! Mais qu’estce qu’il se passe !

Cette branche continue de se redresser, de plus en plus. Ce sont carrément des mouvements fluides, comme si elle avait des muscles ! Je veux bien ne pas être le meilleur en sciences, mais une plante, ça n’est pas censé avoir des articulations !

Soudain elle… se lève ?

J’arrête enfin de crier. Je baisse mes bras.

Et surtout, je n’arrête pas de cligner des yeux.

-Kaf uwyfk kei kuensch weki’ir iulla ? J’entends vaguement.

Je rêve ou… Ou cette branche… A deux bras deux jambes une tête et une poi…

Des formes ?

J’ouvre la bouche, toujours aussi halluciné. Oui ! Cette branche a la silhouette d’une fille ! Mais comment c’est possible ! Une minute ! On m’a jamais dit qu’une branche pouvait être sexy !

Je regarde alors plus attentivement. C’est vrai que ça ressemble à une fille, mais c’est pas vraiment une fille… Mon cerveau a fait des raccourcis, car au final, elle tient bien plus de la branche que d’une silhouette féminine humaine.

Elle (on va supposer que c’est un « elle ») est à peine plus petite que moi, alors que je fais un bon mètre quatre-vingt. Elle est plutôt fine, et robuste à la fois. Comment c’est possible ? Ses épaules, son corps, tout fait maigre et épais en même temps.

En fait, sa taille est droite, rigide. Elle est presque bâtie comme un homme. Mais j’insiste. Il y a en elle ce tracé qui fait que je ne peux décemment pas la comparer à un humain de sexe masculin.

Elle semble pieds nus, sans avoir d’orteils. Mais ça peut être dû au fait que je n’arrive pas à distinguer de limite entre sa jambe et son pied. Pareil avec les bras et, en fait, le reste de son corps. C’est comme si elle ne portait rien…

Et en même temps, elle n’a bizarrement rien à cacher. Elle… Elle n’a même pas de peau… C’est de l’écorce ! Sa peau est en écorce ! À se demander comment elle peut bouger, car elle doit être difficilement souple !

Je vois vaguement des « épaulettes » d’écorces, seulement des branches plus irrégulières qui partent sur les côtés. Les bras partent à peu près de là, ils semblent faits de bois plus mous, c’est peut-être ainsi qu’elle peut bouger.

Je regarde, ou plutôt j’ose regarder son torse. Elle a des courbures plus… Féminines, on va dire. Cependant, c’est presque invisible. J’ai jamais vu de formes, si on peut appeler ça des formes, aussi inexistantes de toute ma vie. C’est plus plat qu’une planche à pain. Mais une vraie planche à pain.

Juste au-dessus du départ de sa poitrine, donc en-dessous de son cou… Est-ce que c’est seulement un cou ? Je veux dire… Oui, c’en est sans doute un, ça peut pas être autre chose, mais il est plus gros que la normal. Comme si la jonction entre le cou et la tête était inexistante. À la place d’une courbe entre le haut du corps et le menton, il n’y a que du bois droit, qui entoure son visage tel un col encombrant.

Bref, tout ça pour dire qu’à cet endroit, il y a une gemme verte, semblable à un œil, mais plus fin. Un ovale étiré avec des pointes. Elle est d’un vert profond, la même couleur que les feuilles des arbres. Ce n’est pas une émeraude, c’est plus… naturel ? Je ne sais pas vraiment comment le dire mieux que ça…

Par réflexe, j’attrape ma propre gemme autour de mon cou, et la cache derrière mon sweat. Je sais pas pourquoi, je me sens soudainement pas à l’aise à l’idée qu’elle puisse la voir.

La… chose -je ne trouve pas d’autres mots- semble soudainement confuse. Elle se retourne, regardant derrière elle.

-Kaf uwyfk ef viekrusch ? Kae ifulla ekwullf uakuif wirffyf ?

Elle vient de parler ? J’ai bien entendu des bruits étranges, plutôt faibles, voire étouffés, mais est-ce bien elle ?

Donc, cette chose est douée de parole ? Les arbres se rebellent ? Y’a une usine pétrochimique dans le coin et personne m’a prévenu ? Est-ce que je suis en train de regarder UNE BRANCHE VIVANTE ?

Je me gifle le visage. Non, non, reste calme Etian. C’est juste un rêve lucide, tu t’es probablement endormi dans la forêt… Faut que tu te réveilles, Grand-mère va être inquiète ! Peut-être même que je suis déjà mort brûlé vif !

-Afov wyfk weki’ir av kuensch iulla…

La branche se tourne à nouveau vers moi. Je peux enfin voir son visage. Celui-ci est presque humain, si on oublie sa peau en écorce. Ses cheveux ne sont même pas des cheveux. Ce sont des espèces de branches molles, recouvertes de feuilles, qui lui arrivent jusqu’en dessous des épaules. Son front forme même une couronne, du bois bien net et découpé, la chevelure part juste derrière.

Et plus bizarre : ses yeux. Elle ne possède ni lèvres ni nez -et honnêtement je suis plus à ça près- mais ses yeux… On dirait de la sève qui coule continuellement dans des trous.

Non seulement je remarque qu’il n’y a pas de trace de cils ou de pupilles, mais en plus… Je rêve ou de la sève est en train de couler de ses yeux ? J’ai dit plus haut qu’elle tombe sans s’arrêter, mais là, il y en a un peu qui sort. Elle pleurait ? C’est bien elle que j’ai entendu gémir ?

-Erif urke jweller o’r korkyvo… Erif ve veiyu kisch eivisch iulla…

Elle essaie de communiquer, je crois. J’entends toujours ces étranges bruits qui viennent d’elle…

Elle commence alors à partir plus loin. Elle se penche devant un arbre, pour attraper quelque chose. Comme de fines feuilles d’écorces les unes derrières les autres, qui forment un cahier entièrement végétal.

Je suis dans un rêve, définitivement dans un rêve, et je devrais le quitter maintenant ! J’attrape mon bras et m’apprête à me pincer, lorsque je m’arrête, au dernier moment.

Non, quitte à rêver, autant y rester le plus possible !

-Euh… Madame ? Je tente.

La branche se fige complètement. Je cligne des yeux.

-Ou monsieur, peut-être ? Je veux dire… Je sais pas trop ce que vous êtes ?

-Ef…

-C’est bien vous que j’ai entendu pleurer ? Vous allez bien ?

Elle pivote pour faire face à moi. Oh non ! Oh non ! C’est pas bon ça ! J’aime pas la façon dont elle se retourne ! C’est trop lent ! C’est trop flippant ! J’aime pas ça du tout ! J’ai l’impression d’avoir insulté toute sa famille et qu’elle va me casser la figure ! J’ai rien dit de vexant pourtant !

La branche me regarde. Elle a l’air complètement hallucinée. Elle est alors très, très proche de moi…

Beaucoup, beaucoup trop proche !

-Yu kavvfki werffyf fiwell ?

D’accord, elle essaie définitivement de me parler. Le problème, c’est que j’ai jamais, jamais entendu des mots pareils ! J’arrive à peine à les retranscrire ! Comment je pourrais lui répondre !

-Euh… Tu peux répéter plus lentement ? Je demande.

-Yu kavvfki werffyf fiwell, kuensch ? Yu kavvfki awireu werffyf fiwell ?

Elle se rapproche encore de moi ! Je recule d’un pas, les mains devant moi. Ses yeux… La sève qui lui sert d’œil brille encore plus intensément ! Elle fait flipper, à me regarder comme ça !

Quoique… Une fille (en théorie) qui me regarde comme ça, c’est pas tous les jours…

-Tu… Euh… Parles français ?

-Ia, ia, erif jledu wyfk ef werffuf fiare…

Raté. Etian, essaie de te rappeler tes cours de collège ! Réfléchis, réfléchis !

-Habla espagnol ?

-Ei ?

Elle semble plus confuse qu’autre chose. C’est pas vrai ! J’ai pris espagnol, moi ! Je sais rien des autres langues ! Bon…

-Paquito italiano ? Je tente.

Je rêve ou elle gonfle une de ses joues ? On dirait que l’écorce se dilate un peu !

-Af uwyfk av kuensch wile llalliall o’r wirffyf ?

J’aime bien son visage comme ça. C’est chou.

Je secoue la tête. Bon, Etian, on tente le tout pour le tout ! C’est tout ce qu’il me reste en autre langue, de toute façon.

Je n’ai rien à perdre !

-Ich liebe dich ?

Elle recule de plusieurs pas en arrière, inspire si fort que j’entends du vent à travers les trous de l’écorce, en plaquant ses mains contre sa bouche. Je cligne des yeux.

-Tout va bien ?

Mince, est-ce qu’elle vient tout juste de comprendre ce que je viens de dire ?! Je connais que ça en allemand moi ! Et c’est pas vrai, j’ai pas pensé à l’anglais !

-Wius yu wykkoschi efa skriafwi o’r wenfoll o’r iwallro keryvyk ?

-Quoi ?

Ses yeux brillent. Mais comment ? Un reflet du soleil ?

-Kuensch, yu yjysch uvavauel… Yu kowwyraek ey…

Les mains devant moi, je secoue la tête.

-Écoute. Je ne sais toujours pas si je suis dans un rêve ou non et en plus je comprends pas un mot de ce que tu dis ! Si c’est ça je me casse !

Elle semble complètement m’ignorer…

-Yu kavvfki fiarev iwallro skriaf o’r iwallro keryvyk…

-Eeeeeeeet sur ce, je remarque que tu ne pleures plus. Alors je m’en vais !

Je commence à partir. Je trouve ce rêve beaucoup, beaucoup trop bizarre ! Je vais juste… M’en aller, maintenant, et tout ira bien. C’est comme si rien ne s’était passé ! Ouais, c’est un bon plan !

-NAE AAROV ! Afov… Kei eiliuvke…

Je me retourne.

-Un problème ?

-O via kisch viwir ! Erif iao vollwyr avverje wyfk yu… O’rev… Wyfk yu yjysch kuensch !

-Je peux me réveiller maintenant ?

Elle se retourne et commence à se frapper le crâne, comme si elle réalisait quelque chose. Je tends une main vers elle, grimaçant et n’ayant aucune idée de quoi faire.

-Kuw Fey ! Kuw kuw kuw ! Offyvaw wyfk ef ve verkyll werwy, yu ve weki’ar kisch o’r ywwuschiov ! O’rev, via kisch fie wov erif verkall llaviel nae kisch…

-Au revoir, essaie numé… Je tente.

-Toi comprendre moi ?

Je me fige complètement à mon tour, puis bondis en arrière sur plusieurs mètres. Elle… Elle vient de parler en français ?! J’ai pas rêvé (ou rêvé dans mon rêve, je comprends plus rien de toute façon) ! Elle a parlé français ?!

Elle semble confuse et impatiente. Elle veut une réponse. Toujours aussi halluciné, je sors :

-Oui ! Oui, maintenant… Oui !

-Moi bien parler humain ? Elle demande encore.