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Le Hom connaît des jours peu glorieux. En réalité, il est sur le point de fléchir et de se consumer.
Serena, la Serdonis du royaume, n’a plus foi en personne et est déterminée à déceler des vérités qui l’affligent, quitte à y laisser quelques plumes. Celles-ci viennent se déposer au sol à mesure que la réalité s’impose à elle et qu’elle met des mots sur ce que représente son existence.
Calvis, un esclave dont le destin n’inquiète personne, risquerait de se montrer bien plus important qu’il n’y paraît ; prêt à ramasser chaque plume à terre.
Mais est-ce pour les faire briller ou bien pour les embraser ?
À PROPOS DE L'AUTRICE
Era Moon est une passionnée de lecture depuis sa tendre enfance… Non, pas tout à fait, elle commence par détester lire, puis finit par tomber amoureuse des livres lorsqu’elle découvre des fan-fictions sur Internet.
Un jour, elle se dit qu’elle n’aurait rien à perdre d’essayer à son tour ; alors son amour pour l’écriture est né et est devenu son échappatoire. Pour Era, l’écriture est à la fois une thérapie et un moyen d’exprimer sa créativité aux travers d’aventures humaines et imaginaires.
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Seitenzahl: 263
Veröffentlichungsjahr: 2024
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Couverture par Ecoffet Scarlett
Maquette intérieure par Ecoffet Scarlett
Correction par Sophie Eloy
© 2024 Imaginary Edge Éditions
© 2024 Era Moon
Tous droits de traduction, de reproduction et d’adaptation réservés.
Le code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou production intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
ISBN : 9782385723538
Des thèmes sensibles peuvent être abordés dans ce roman. Il vous appartient de juger s’ils sont en adéquation avec votre sensibilité.
À tous ceux dont l’imagination dépasse l’entendement.
Laissé-pour-compte,voilà ce que je suis.
Quelques heures plus tard...
M
es doigts tapent frénétiquement contre la table. Le regard fixé sur la cheminée, je me perds dans les profondeurs de mon esprit saccagé. J’entends des effusions de voix autour de moi, mais elles semblent venir des ombres qui m’habitent et non pas de mes soldats.
— Comment ça a pu nous exploser à la gueule ?
J’ai beau essayer de me soustraire au monde, l’écho de leurs voix parvient jusqu’à mes oreilles et mes poils se hérissent en réponse. La colère me brûle la gorge et arrive à s’infiltrer dans mes veines, annonçant une tempête prête à se déchaîner tout autour de moi.
Mes yeux se mettent à me piquer et j’ai le réflexe de les fermer avant que ma rage ne se déverse inutilement. J’essaie de faire preuve de self-control, mais la patience n’est pas inscrite dans mes gènes. Je respire lentement avant d’ouvrir à nouveau les paupières, continuant à fixer le feu qui crépite devant moi, à l’instar du trouble qui produit des étincelles dans mon échine.
— Un connard nous a balancés, c’est pas possible autrement ! lâche un autre homme, le timbre déformé par la fureur.
— Ouais, et le connard est ici, putain ! s’évertue à s’énerver un autre.
L’animosité que je conservais jusqu’alors s’impose à moi et je n’arrive plus à la contrôler ; elle prend possession de mon corps. Je me lève en un temps record et, avant même que je ne puisse prononcer un seul mot, une vague s’abat sur la pièce, éteignant les flammes du feu, mais pas celles qui nous animent.
Aucun son ne passe la barrière de mes lèvres, pourtant, le silence devient maître des lieux en une seule seconde. J’observe les dégâts avec recul, absente, tellement je me sens loin de la scène.
Le vieillard qui a eu la générosité de nous proposer son toit pour la nuit a le regard dépité en constatant l’état de son domicile. Les chaises en bois ont été brisées net sous la violence de mon don et la table s’est renversée un peu loin, emportant certains de mes hommes.
Plusieurs regards me font face, et ils ne sont ni coléreux, ni agressifs, mais peinés. Une taupe se cache parmi les personnes qui me sont les plus loyales et nos frères sont morts au combat. L’heure n’est pas au conflit, ni aux règlements de compte, mais au deuil.
— Trahison est le mot qui n’ose pas franchir nos bouches et pourtant il nous consume tous. Un coupable est ici et ne se dénoncera probablement pas, mais les évènements joueront forcément contre lui. Et ce jour-là, je serai aux premières loges pour voir ce traître tomber. Sa chute sera sans équivoque, la seule fin possible sera la mort.
Plusieurs hochent la tête, et personne ne s’aventure à me contredire.
— Maintenant, disparaissez de ma vue. Je veux être seule.
Alors que les pas de mes soldats s’éloignent, je hèle l’un d’entre eux :
— Solis, l’appelé-je, et il se retourne immédiatement vers moi. Dis au vieillard que nous lui offrirons de nouveaux meubles.
— Bien sûr.
— Tu sais ce qu’il te reste à faire.
— Oui, ma dame.
Nous échangeons un regard entendu et il quitte la pièce à son tour. Malgré les récents évènements, je sais que ce coup bas ne vient pas de lui ; je le connais depuis l’enfance et sa foi en le Hom n’a aucun égal. Je sais qu’il fera au mieux pour surveiller mes soldats.
L’idée que le traître ne soit pas ici, mais au Hom et nous a vus partir m’a effleuré l’esprit, tout comme l’idée qu’un ennemi nous ait croisés en chemin. Mais je ne suis pas dupe, la trahison vient bien souvent d’une source plus proche que l’on ne l’imagine.
Aujourd’hui, nous avons perdu dix-sept personnes, dont l’esclave. En l’embarquant dans cette affaire, je n’aurais jamais pensé qu’il puisse y laisser sa vie. Cela m’était inimaginable. Je n’aurais jamais volontairement envoyé mes hommes dans une tombe assurée. Ils nous attendaient là-bas, j’en suis intimement convaincue. Nous avons filé tout droit vers un piège et j’en suis la seule et unique responsable.
Un gigantesque filet d’eau m’entoure et trouve une cible au hasard. Il se déverse contre un mur, qui se voit voler en éclats, à l’image de mon cœur qui est au bord de l’explosion.
Comment je n’ai pas pu pressentir cela ?
Je n’ai pas pour habitude de me faire surprendre. Ma source m’a peut-être vendu une fausse information ? C’est une piste que je compte creuser, malgré qu’elle me paraisse peu probable. Il s’agissait d’une nourrice qui avait entendu des amis de son mari parler de cette livraison. Je suis persuadée qu’elle m’a raconté la vérité, parce que j’ai vu la peur qui voilait ses yeux lorsqu’elle me racontait sa trouvaille. Elle a des enfants, et elle sait que je détiens cette information. Ce n’est pas dans son intérêt de me mentir, elle n’avait rien à y gagner et tout à perdre. La traîtrise se trouve autre part.
Je pense un instant à Lys, la femme qui semble être si proche de Calvis. Semblait puisqu’il n’est plus. Il a placé sa confiance en elle et je crois en son jugement, étrangement. Avait placé.
J’ai un pincement au cœur que je n’aurais pas imaginé ressentir pour cet homme sans avenir, qui ne représentait pas grand-chose à mes yeux. Pourtant, je ne peux m’empêcher d’être affectée par sa mort. Probablement parce que je me sens coupable de celle-ci ; il n’aurait jamais dû mourir aujourd’hui, mais il est trop tard.
Je n’avais pas totalement confiance en lui, mais je l’estimais, d’une certaine manière. Son histoire était touchante et, même s’il était esclave, il n’avait pas le dos courbé comme la plupart d’entre eux. Non, sa condition ne le rendait pas faible, il savait se montrer plus fort que ça. Il n’a jamais eu besoin de son don pour être solide, robuste, et c’est ce que je trouvais fascinant chez lui : son charisme alors qu’il était traité comme un moins que rien. Il était au-dessus de tout ça, comme si rien ne pouvait l’atteindre. Pourtant, cette falaise aura eu raison de lui.
Un courant d’air vient heurter ma peau et je me raccroche au moment présent. Des pas dans mon dos finissent de me réveiller de ma torpeur.
Je tourne légèrement la tête pour apercevoir Deamon. Ce dernier, ayant suivi mon conseil de fuite, s’est réfugié à notre point de chute, là où nous avons déposé les voitures à l’allée. Il semble exténué, vidé de toute énergie. Un carnage s’est produit devant ses yeux d’adolescent, mais il souhaitait découvrir ce que représente un Serdonis et il a été servi sur un plateau d’argent. J’espère que cette bataille saura le convaincre que cette fonction apporte de nombreux privilèges, mais aussi beaucoup de sang sur les mains et un sommeil paisible difficile à retrouver.
— Aujourd’hui..., commence-t-il faiblement. C’était... dur.
— La mort est souvent la seule issue possible, que l’on soit soldat ou Serdonis. La faucheuse n’a pas de préférence, son unique prix est le sang frais qui coule hors de tes veines.
Lorsque l’on me regarde, il n’y a aucune tendresse ni affection.
Le lendemain...
L
es yeux lourds, la tête semblant être passée sous un camion, je sors lentement de ma léthargie. Je papillonne des paupières un long moment avant de retrouver une vue correcte. La pièce est sombre, l’air humide et l’ambiance sinistre.
Où suis-je ?
Je ne reconnais pas les lieux et ma mémoire me fait défaut. Je mets quelques minutes à me rappeler les évènements et comprends que je suis très certainement en territoire ennemi. Je suis tombé de cette falaise avec cet homme, je m’en souviens maintenant. Nos corps ont longtemps chuté, comme si nous préparions notre envol et l’impact était imminent, inévitable. Je me rappelle m’être demandé si la mort faisait mal, si la douleur se ferait incommensurable.
Je n’ai rien senti, parce qu’il n’y a jamais eu d’impact.
Le mec qui était tombé avec moi nous a téléportés loin du champ de bataille. J’ai été sonné, interdit le temps d’un instant. Un ridicule instant qui m’a valu une droite bien maîtrisée, puis un coup de lame qui m’a fait tourner de l’œil.
Cet endroit ne m’inspire aucune confiance et je désespère de ne pas me réveiller plus vite. Je me sens encore dans les vapes et me demande si l’on ne m’a pas drogué.
Une fois revenu à moi, je remarque mes bras attachés en croix et mon corps couvert d’égratignures. J’ai le torse nu, sali par la terre et écorché par du sang qui a fini par sécher en l’état. J’ai du mal à respirer avec mes membres rendus prisonniers tandis que l’angoisse de me retrouver ici gagne toujours un peu plus de terrain. J’ai la bouche pâteuse et les lèvres sèches, signe que cela fait un petit moment que je n’ai pas bu, mais je ne ressens pas la faim. Est-ce parce que je ne suis pas resté longtemps dans les vapes, ou bien parce l’anxiété grignote mon estomac ?
J’essaie d’esquisser un mouvement, mais la douleur que je ressens dans les côtes m’arrête. Je souffle, priant pour que ma souffrance parte avec lui. Bien sûr, je suis habitué à avoir des contusions, ce n’est pas la première fois que je me retrouve châtié. Pourtant, cela faisait quelque temps que mon corps n’avait pas saigné. La vie, mesquine, s’amuse toujours à me rappeler d’où je viens et que le danger de mort ne rôde jamais très loin de moi.
Mes poignets, pris au piège par une corde, me font pester. Affaibli par des jours de captivité dans le compteur, en plus de mon tout nouveau kidnapping, je serais prêt à faire une petite exception et à utiliser mon don. Or, le collier fait de titane est toujours présent autour de mon cou, je comprends que l’ennemi n’a pas pris le risque de me sous-estimer. Si tant est qu’il soit au courant pour cet aspect-là.
Je commence à avoir mal dans des endroits toujours plus improbables lorsqu’un son attire mon attention. Des pas s’approchent progressivement de ma cellule et c’est avec une grande inspiration qui m’arrache une plainte que je me prépare à découvrir mon adversaire.
— Comme on se retrouve ! tonne une voix forte et masculine. Je suis heureux que le temps ne nous ait pas séparés longtemps. Tu m’excuseras pour le côté BDSM de la situation, mais nous ne sommes jamais trop prudents, dit-il en ponctuant sa phrase d’un clin d’œil.
Je plisse les yeux, il me semble reconnaître cet homme. Je commence à froncer les sourcils lorsque je comprends qu’il s’agit de Malfox, l’homme qui a attaqué la Serdonis dans son appartement, mais qui est aussi le chef du Clan des Sauvages, d’après ce que j’en sais.
Son attitude est nonchalante et démontre clairement qu’il est le maître des lieux. Son corps transpire le narcissisme et la suffisance, ce qui ne manque pas de m’agacer.
— Arrêtons de tourner autour du pot, qu’est-ce que je fais là ?
Ma voix semble sortir tout droit des enfers tellement l’aridité s’est installée dans ma bouche.
— Il est trop tôt pour poser des questions, et c’est bien plus amusant quand je vois ce regard perdu.
Cet homme est foutrement agaçant, et arrogant aussi. Il domine cette conversation, ainsi que l’issue de celle-ci, ce qui me donne des envies de meurtre.
— Et si tu répondais simplement à ma question, qu’on en finisse, Malfox.
— Je vois que tu connais déjà mon prénom, nous voilà sur la bonne voie.
— Réponds-moi, bordel ! crié-je en forçant sur les attaches qui me lient à ce mur poisseux.
Je vais devenir fou si je ne sors pas d’ici très vite, je ne supporterai plus d’être à nouveau enfermé.
— Chut, mon garçon, tu vas te faire mal. En revanche, moi j’ai une petite question pour toi : es-tu stupide ou complètement stupide ?
— C’est une plaisanterie...
Malfox se met à me sourire avec espièglerie avant de se rapprocher de quelques pas. Ces derniers sont lourds et imposants, presque autoritaires, ce qui détonne avec son attitude légère. Je suis persuadé qu’il surjoue ce moment ; il se montre confiant pour me faire croire qu’il m’est supérieur. Je vois clair dans son jeu.
— Je te pose la question parce qu’il me semblait t’avoir retiré ton collier, mais, pouf, le voilà à nouveau autour de ton cou. Alors, légitimement, je me demande à quel point tu es un imbécile.
Je tique.
Pourquoi évoquer ce collier ?
La réponse est évidente : il sait. La question est plutôt : comment sait-il ?
La Serdonis n’en aurait jamais parlé, au risque de dévoiler une carte qu’elle aurait peut-être fini par jouer. Alors qui ? Nous ne sommes que deux à connaître la vérité.
Un de ses disciples nous a peut-être surpris dans la forêt ? Cela me paraît peu probable, étant donné que nous étions près du Clan des Titans. Ils sont pacifiques, mais peut-être pas au point d’accueillir gentiment des membres du Clan des Sauvages.
Ou alors est-ce une question piège afin que je me pense foutu et que je me dévoile ? Je décide de répondre vaguement.
— Nous savons tous les deux que la Serdonis est la personne la plus puissante du Hom, alors qu’est-ce que, moi, je fais là ?
Il prend une longue inspiration, comme si cette conversation le lassait.
— Serena n’est pas le genre de femme à se laisser faire. Elle est plutôt... imprévisible ! C’est aussi frustrant qu’excitant. Serena sait se montrer mordante tout en étant sexy, rit-il, ne se privant pas d’afficher un air pervers sur son visage.
Je me pose des questions sur la nature de leur relation : ont-ils été amants ? Le sont-ils encore ?
— Qu’est-ce que tu cherches exactement ? Je ne lui ferai pas de mal, si c’est ça que tu espères.
— Oh, mais je le sais très bien !
— Je ne me retournerai pas contre le Hom non plus.
— Le contraire m’aurait franchement déçu.
— Alors qu’est-ce que je fais ici ? répété-je à nouveau.
— Nous attendons quelqu’un ! D’ailleurs, l’heure tourne.
Parfois, je me retrouve face à des regards de pitié et c’est ceux-là que je vomis. Je hais cette vision qui me rappelle que je ne suis rien.
L
a claque part sans prévenir.
Ma tête tourne légèrement sur le côté et un sourire sinistre apparaît sur mes lèvres. Cette situation est plus qu’improbable et mes mains me fourmillent, m’intimant l’ordre de riposter. Mais je prends sur moi ; je suis d’ailleurs très fière de cet exploit.
La salle se remplit d’un silence glacial, venant paralyser les quelques membres présents dans la pièce. Je prends une grande inspiration avant d’essuyer le coin de ma bouche, où une goutte de sang perle. Il n’y est pas allé de main morte, ce connard.
Mes yeux se vissent à ceux du Rex, une lueur de défi dans le regard. Je l’invite à recommencer, pour voir s’il en est capable. Il sait très bien qu’il tient encore sur ses deux jambes uniquement parce que je respecte le toit qu’il m’a donné, mais je n’accepterai pas un deuxième coup. Et il le sait très bien.
Cette démonstration de force n’est là que parce que nous sommes entourés des soldats les plus hauts gradés du Hom et de quelques hommes politiques. Dans ce monde, c’est comme ça que ça fonctionne. Asseoir son pouvoir, ce n’est pas seulement posséder des richesses, c’est être plus fort que son voisin. C’est pour cela que le trône nous revient, parce que les autres se sentent inférieurs. Ou peut-être attendent-ils le bon moment pour se rebeller ?
— Tu es inconsciente, en plus d’être indocile ! s’énerve le Rex, une veine apparaissant sur son front.
Mon retour au Hom avec seulement quelques soldats et une mine dépitée n’a pas aidé à faire passer la pilule de cette désobéissance. Si la bataille avait été remportée par notre clan, j’imagine que le Rex aurait trouvé le moyen de présenter cette victoire comme venant de son esprit ingénieux. Mais nous avons perdu. Alors le coupable tout désigné est légitimement le plus haut gradé : c’est-à-dire moi.
J’accepte cette sentence parce qu’il est de mon devoir de prendre mes responsabilités.
— Je ne tolèrerai plus un tel affront, est-ce clair ?
Mes doigts se referment d’eux-mêmes sur mes paumes en des poings qui me font mal aux poignets. Je n’aime pas les ordres, je ne les ai jamais supportés. Même enfant, j’avais du mal avec les consignes, je trouvais toujours un moyen de les contourner, au point d’user de stratégies parfois douteuses. Mais je m’en sortais à chaque fois. Probablement parce que j’étais destinée à devenir Serdonis et que j’étais un pion bien trop utile pour qu’on se le mette à dos. Je l’ai compris un peu tard.
— Est-ce bien clair, Serena ?
Mon prénom sonne comme une insulte, surtout dans cette pièce où mes hommes sont présents. Il fait en sorte de me rabaisser devant eux, pour reprendre le contrôle de la situation et récupérer son rôle de Rex.
Alors qu’aucune réponse ne daigne sortir de ma bouche, je le vois se préparer à m’administrer une seconde gifle. Le sang bout dans mes veines et fait pulser mon cœur bien trop vite. Comme un réflexe, une seconde nature, mes yeux se mettent à scintiller d’un bleu translucide qui se reflète sur son visage.
Son geste se suspend. Brusquement. Il ne s’amuse pas à tenter le diable, il ne voudrait pas que je finisse dans le clan adverse. Il sait que Malfox m’a proposé de rejoindre le Clan des Sauvages, et pas qu’une fois. Je serais un atout utile pour eux et cela signifierait la fin de son règne, et il n’est pas prêt pour cela.
Le Rex finit par accepter mon silence en reculant de quelques pas, puis en se retournant face à ses pairs. Ceux-ci n’ont pas bougé, ni même émis le moindre son, attendant patiemment la suite des évènements.
— Vous serez sanctionnés pour cette transgression ! Quelques jours en prison devraient vous raisonner, scande-t-il d’une voix ferme.
— Ils n’ont rien à voir avec cette bataille sauvage, je leur ai donné l’ordre de me suivre. J’ai précisé que cet ordre venait du Rex, mens-je.
Je sens le regard réprobateur de Solis sur mon visage. Il n’approuve pas mon mensonge, je sais qu’il aurait accepté sa punition sans problème parce qu’il a choisi de venir en toute connaissance de cause. Comme tous mes soldats. Je ne leur mens jamais, ils savent toujours de quoi il en retourne. Mais cette décision était avant tout la mienne et j’en assumerai pleinement les conséquences.
Le Rex effectue un mouvement vers moi, me dévisageant avec amertume. Il n’arrive pas à déterminer si je dis la vérité ou non, je le sens à la manière dont il me regarde.
Je le fixe avec insistance, jusqu’à ce qu’il finisse par céder, comme d’habitude. Il a toujours eu du mal à me regarder dans les yeux trop longtemps, et je ne sais pas si c’est par crainte ou déception.
— Inutile de te préciser que tu es relevée de tes fonctions pour une période indéterminée, ajoute-t-il afin de marquer, une bonne fois pour toutes, son autorité sur moi.
Il ne prend pas la peine de savoir si nous allons bien ou nous demander comment ça s’est passé avant de s’en aller. Il quitte la salle, nous laissant dans l’ignorance des évènements à suivre. Je ne sais même pas qui l’a averti de notre affrontement clandestin.
Je ne m’attarde pas non plus et déserte les lieux.
Je marche sans but autour du chapiteau et finis même par m’en éloigner. J’ai besoin de respirer, de reprendre mon souffle. Je n’arrive pas à me remettre de cette bataille ; pourtant, il y en a eu bien d’autres, malheureusement. Mon statut apporte son lot d’avantages, mais également de sacrifices. À tout moment, nous pouvons perdre un frère, un ami... Je n’étais pas préparée à ce que ce conflit emporte certains de mes hommes les plus loyaux et vaillants.
— Où est-il ? demande une voix paniquée et faible.
Je me retourne et tombe nez à nez avec Lys, les cheveux dans le vent et un châle autour de ses épaules. La nuit est en train de tomber, pourtant il ne fait pas froid. Lys est tremblante malgré la température douce qui ne quitte plus nos soirées depuis plusieurs centaines d’années.
— Où est-il ? répète-t-elle d’une voix chétive.
Je comprends à son regard qu’elle parle de Calvis et, à son ton, qu’elle l’affectionne bien plus qu’elle ne veut bien le laisser paraître. Je l’avais sentie dès l’instant où je l’ai vue interagir avec lui, mais à cet instant, ça me semble bien plus évident encore.
— Il n’est pas rentré avec nous, réponds-je simplement.
Je n’ai jamais su faire dans la délicatesse et la subtilité, alors je ne tourne pas longtemps autour du pot.
— Il est mort au combat, ajouté-je, mettant fin à cette discussion.
Je continue mon chemin, laissant une femme au bord des larmes derrière moi.
— C’est votre faute ! Il n’aurait jamais dû se retrouver là-bas ! Vous êtes responsable et vous irez en enfer pour ça ! hurle-t-elle, et plus mes pas m’éloignent d’elle, plus sa voix diminue.
La culpabilité m’empêche de me retourner et de me défendre, pourtant Calvis savait que la mort pouvait la cueillir là-bas et ça devrait m’apaiser. Mais c’est tout l’inverse qui se produit.
Quand on me croise au détour d’un couloir, j’inspire du mépris, du dégoût. Et lorsque je me regarde dans le miroir, je ne peux que constater les dégâts, les conséquences de ma vie.
M
es muscles me font un mal de chien. Je retiens difficilement les gémissements qui se coincent dans ma gorge. J’essaie de prendre des inspirations visant à ralentir les pulsations qui me tordent le cœur, mais c’est sans succès. Je ne sais pas si je fais une crise de panique ou si je suis tout simplement à bout.
Pourtant, je suis suffisamment nourri pour me maintenir en vie et on me détache pendant mes repas, mais cela ne semble pas suffire. Je suis dans un état comateux où la fatigue se mélange à une frustration dévorante.
Il n’y a pas que ça. Je suis sale et cette odeur émanant de mon propre corps me répugne. Je sens le vieux sang séché, l’humidité et la crasse. Je fais tellement pitié à cet instant que j’en viendrais presque à réclamer une fin plus rapide, même si celle-ci n’est pas digne. De toute façon, ce n’est pas comme s’il me restait grand-chose de ma dignité, je reste un esclave dans l’âme, et maintenant un putain d’animal en laisse.
Je sais que plus les heures vont s’écouler, plus mon cerveau va se mettre à dérailler, même si l’alimentation ralentit mon rythme de folie.
Un bruit de grincement vient déranger le calme plat de cet endroit sinistre et j’en viendrais presque à être heureux de recevoir de la compagnie, mais je ne me fais pas d’illusions, le divertissement ne se fera que dans un sens. Et inutile de préciser que ce ne sera pas dans le mien.
La silhouette d’une femme se détache du fond du couloir. Elle s’approche avec une lenteur délibérée, cherchant à provoquer un effet chez moi. Soit pour m’intimider, soit pour me menacer. L’un dans l’autre, je ne suis pas vraiment prêt pour la partie qui s’annonce.
Les pas délicats de cette femme sont perturbés par un long objet qu’elle fait traîner à ses côtés. Elle finit par arriver jusqu’aux barreaux de ma cellule qu’elle entoure de ses doigts, après avoir déposé son arme au sol. Son attitude est volontairement charismatique et je ne saurais déterminer s’il s’agit de sa nature ou bien si elle s’invente un rôle pour se donner de l’assurance. Il est clair qu’elle aurait besoin de passer quelque temps avec la Serdonis, elle pourrait lui apprendre deux ou trois petites choses à ce sujet.
— Mon cher Calvis, te voilà pris au piège, dit-elle d’une voix traînante.
Je penche la tête sur le côté, surpris qu’autant de personnes me connaissent. Entre Malfox qui a eu vent de mes dons et elle qui sait comment je m’appelle, je me demande si je ne suis pas en train de cauchemarder. Je ne comprends pas l’intérêt qu’ils me portent. Pourquoi un simple esclave aurait-il tant d’importance pour eux ?
— Tu sembles étonné que je puisse connaître ton nom, rit-elle avant de se détacher des barreaux pour déverrouiller la porte.
Elle entre dans la pièce, suivie par l’objet que je reconnais être une tenaille tandis que ses très longs cheveux virevoltent dans la manœuvre. Je l’observe le temps de voir si elle me rappelle quelqu’un, mais ses traits tirés indiquant une origine asiatique ne me disent rien. C’est d’ailleurs la première fois que je vois une personne venant de ces anciennes contrées. Ces divers aspects physiques se sont perdus avec le temps, et peu sont ceux qui peuvent se vanter de posséder des yeux en amande.
Son regard d’un noir obscur se plante dans le mien, s’évertuant à me déstabiliser. Mais, soudainement, un sourire vient lui barrer le visage. Un sourire... amical ?
— Je m’appelle Soraya et, comme toi, j’ai momentanément quitté le Hom. Notamment parce que j’ai des dons et que ce stupide Rex les voit automatiquement comme une source de problèmes. Mais j’ai conclu un marché avec lui, alors je m’y tiens.
J’ai un rire qui se bloque dans ma gorge, j’ai tellement du mal à imaginer le Rex négocier pour autre chose que sa vie.
J’arque un sourcil.
— Tu l’as menacé ? demandé-je d’une voix faible.
— Peut-être bien.
Elle hausse une épaule d’une façon si nonchalante que je m’interroge sur la véracité de la situation. Je suis peut-être en train de rêver, tout compte fait.
— Le Rex est une couille molle, c’est la Serdonis qui porte ses burnes. Elle part et le chapiteau s’effondre, et on sait tous qu’elle finira par partir, déclare-t-elle en ramenant sa tenaille entre nous.
Je ne comprends pas ses réelles motivations, ni quel est le genre de marché qu’elle a conclu avec le Rex , je suis sceptique.
— Je ne peux pas décemment te faire sortir d’ici, comme tu l’imagines.
Je le savais, mais je ne peux empêcher un soupir de sortir de ma bouche. N’importe quel brin d’espoir est bon à prendre, mais, visiblement, il a, lui aussi, ses limites.
— Qu’est-ce que tu veux ? la questionné-je finalement, presque dépité.
— Qui te dit que je veux quelque chose ?
— À ce jeu du pouvoir, tout le monde veut quelque chose.
— Tu es un homme fort sage, ça t’aidera. Ou bien ça te fera tuer, mais bon, on a tous une destinée.
Je ne rétorque rien parce qu’il n’y a rien à dire, notamment parce qu’une partie de moi le sait : elle a raison.
Elle s’approche davantage encore, jusqu’à me faire face. Elle est minuscule, surtout pour une hybride, mais j’ai appris à ne jamais sous-estimer mon adversaire.
— Je vais laisser cette tenaille dans la pièce et j’espère que tu sauras t’en servir à bon escient.
— Commence par m’enlever cette corde et on en reparle, d’accord ? tenté-je, mais elle me répond par un simple sourire.
— Tu es insolent de nature ou la situation te fait juste délirer ?
— Probablement un peu des deux.
J’ai soudainement envie de râler comme un enfant et de taper du pied pour exprimer mon mécontentement. J’en ai juste marre, je veux sortir d’ici !
Mon regard est dur, pourtant je ne lui en veux même pas. Je sais qu’elle ne tire aucune ficelle, elle est probablement elle-même le pantin d’un jeu trop grand pour nous, un jeu malsain dont il est difficile de se dépêtrer.
— Quel genre de marché as-tu conclu avec le Rex ?
À nouveau, elle ricane. J’ai l’impression d’être ignorant, laissé-pour-compte. Comme s’il était en train de se jouer quelque chose d’énorme sans que j’en mesure la gravité.
— Des choses sont revenues aux oreilles du Rex, des choses très importantes, qui se préparaient derrière son dos.
Elle dépose la tenaille dans un coin de la pièce avant de revenir me faire face. Elle me fixe un instant, m’analysant. Elle fait la moue, comme si je n’étais pas à la hauteur de ses espérances.
— Je ne connais pas les intentions du Rex, mais deux choix vont s’ouvrir à lui : la puissance ou l’apocalypse.
Puis elle quitte la pièce sur ces paroles énigmatiques, qui me provoquent une nausée que je n’arrive pas vraiment à comprendre.