Les épreuves élémentaires - Tome 1 - Yélèna Vaugeois - E-Book

Les épreuves élémentaires - Tome 1 E-Book

Yélèna Vaugeois

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Beschreibung

Comment survivre à un tournoi mortel lorsque vous êtes choisi par un pur hasard ? Les épreuves élémentaires - Tome I met en scène quatre Élus qui vont devoir se battre pour préserver leurs vies dans un monde qui désire les voir mourir. Ils apprendront également à se servir de leurs nouveaux dons de magie élémentaire. De ce fait, arriveront-ils à terminer les épreuves qui leur sont réservées ? Parviendront-ils à déjouer les plans machiavéliques, les tentatives d’assassinats répétées et les regards malsains qui se posent sur eux ?


À PROPOS DE L'AUTEURE


Autrefois une vague idée dans son esprit, Yélèna Vaugeois décide de créer l’univers des Épreuves Élémentaires pour offrir aux lecteurs un monde nouveau dans lequel ils pourront facilement se plonger et s’imaginer y vivre.

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Seitenzahl: 597

Veröffentlichungsjahr: 2022

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Yélèna Vaugeois

Les épreuves élémentaires

Tome I

Roman

© Lys Bleu Éditions – Yélèna Vaugeois

ISBN : 979-10-377-5607-7

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Prologue

06/04/1900

Sous-sol du fort – Pleine nuit

Les regards se croisent dans la nuit, à la lueur des torches enflammées. Cette réunion a été faite expressément ; tous ont reçu un corbeau dans la matinée. Certains habitent la Capitale, d’autres bien plus loin. L’Organisateur les a convoqués à la suite d’un problème qui n’est pas évoqué dans les courriers. Certains des membres pensent à une fuite des noms choisis pour le Tournoi, d’autres attendent patiemment son arrivée. Le chuchotement des hommes commence à se faire entendre dans tout le fort, si bien que les bourgeois s’inquiètent déjà des rumeurs.

La lourde porte de bois s’ouvrit et le brouhaha cessa soudainement ; tous se taisaient lorsqu’il arrivait, y compris les hommes plus importants que lui. Depuis qu’il avait repris la place du grand Iann Gaspard, le Marquis Markus Olsen avait su se faire une place et un nom importants dans le Void. Tous le connaissaient, y compris le plus pauvre des paysans. Rares étaient ceux qui pouvaient lui parler ou juste le voir. C’était un homme très prisé qui se mélangeait rarement à la foule. Cela se comprenait facilement : sa fonction au sein du royaume était si dangereuse et risquée qu’il était plus prudent pour lui de ne pas se faire remarquer.

Le visage grave, les cheveux dérangés et la fossette sur son menton sont les caractéristiques du Marquis. Sa longue jaquette noire lui donne un air élégant ; son épée luit à la lueur des flammes. Cet accoutrement offre aux hommes qui l’observent un sentiment de force et de pouvoir.

Le Marquis pose ses yeux sur chacun des hommes présents dans la pièce avant de dénouer son épée et de la donner dans un geste brusque à son valet. Le jeune serviteur trembla des pieds à la tête et manqua de s’affaler sur le sol en marchant sur le tapis de soie. Il s’installa en retrait du Marquis et écouta des bribes de conversation durant cette réunion.

— Mes chers amis, le Marquis Markus Olsen, prononça alors un homme avec une voix grave en faisant une révérence.

— Merci messieurs, asseyons-nous. Mes excuses pour cette réunion tardive mais il était important que tous soient là pour entendre les résultats. Je sais, ils sont précipités mais nous avons rencontré un problème lors du tirage au sort. Deux noms en sont ressortis, deux noms importants. Je ne peux les dévoiler à la capitale sans l’accord du Comte de Sainte Augustine et du Baron Lucius. Néanmoins, aucun des deux n’est présent ce soir, alors j’ai plaisir à croire que nous saurons prendre une décision qui saura ravir les attentes.

— Que se passe-t-il avec ces noms Marquis ?demanda un homme d’affaires.

— Lady Amalia de Sainte Augustine a vu son nom être tiré la nuit dernière.

— Impossible ! s’écria un homme âgé d’une vingtaine d’années, se levant de son fauteuil le visage anxieux. Mademoiselle Amalia est trop sage pour commettre une erreur qui lui vaudra d’être choisie pour le Tournoi de cette année ! C’est une erreur !

— Avec tous nos regrets, son père nous a accordé la permission de l’inscrire à la suite d’un problème politique entre sa fille et les de Bellecour. Lady Amalia a prestement refusé d’épouser Lord Simon de Bellecour.

— Vraiment ? Pourquoi a-t-elle refusé un si beau parti ? s’enquit un autre homme.

— Elle s’est éprise d’un autre jeune homme, un étranger, semble-t-il. Ce ne sont pas les questions que vous devez vous poser. Sommes-nous vraiment prêts à laisser une jeune demoiselle telle que cette Lady prendre part à ce Tournoi ? Elle n’a que 18 ans.

— Dans combien de temps devez-vous révéler les résultats Marquis ? demanda un avocat.

— Le choix est mien.

— Quel est l’autre nom ?

— Sebastian Lucius, membre de la garde personnelle de Lady Syana de Bellecour.

— Pourquoi ce jeune homme se retrouve dans le tirage au sort du Tournoi ?

— Il s’est révélé récemment qu’il s’était lui aussi épris d’amour pour une jeune demoiselle. Rien de bien dérangeant me direz-vous ; il s’est épris de Lady Syana.

— Je pense que pour ce jeune homme, nous n’avons pas à hésiter. Nous savons tous que l’amour ne se choisit pas mais le révéler au grand jour, à une femme de cette condition, est impardonnable. Une chance que le Duc n’ait pas choisi de l’exécuter pour cette erreur.

L’écuyer du Marquis était resté en retrait pendant toute la réunion. Il se retenait de contester le choix des hommes quant à Sebastian. Lui et le jeune chevalier avaient grandi dans le même orphelinat. Le Baron Lucius était un preux guerrier qui défendait les lignes du pays dans une contrée lointaine, depuis la naissance de son fils. Sa mère était décédée quelques années plus tard d’une maladie. Sebastian s’était retrouvé seul, tout comme le valet. L’un avait eu la chance de s’élever au sein de la société alors que l’autre était resté en bas de l’échelle. Peu importe leur place actuelle, il se devait – en tant qu’ami – de lui dire la vérité avant les résultats. Certes, il était tenu au secret, sinon il serait exécuté, mais l’amitié était plus forte.

Alors que la réunion se termina, un jeune homme travaillant au poste de police se précipita vers la sortie et monta son bel étalon. Son amie était en danger, jamais elle ne réussirait à survivre aux épreuves qui l’attendaient. Il galopa à travers la capitale du Void et traversa les bois de nuit, juste pour aller retrouver son amie. Il fallait qu’il lui dise. C’était son devoir de la protéger.

Chapitre 1

06/04/1900

Chambre du château – Début de matinée

Heyden Alby

Je m’éveille à cause du froid et de mon corps endolori. Bien que je sois servante, j’estime qu’un peu de chauffage ne serait pas du luxe. Enfin, si quelqu’un m’entendait penser, je serais renvoyée sur le champ. J’ai pourtant l’habitude de dormir dans une pièce froide mais cette nuit fut particulièrement rude. Je ne sais pas si c’est à cause des corbeaux qui ont croassé toute la nuit, perchés sur le chêne à côté du château ou bien du temps glacial de l’extérieur, ou encore à cause du froid venant de la terrasse.

J’enfile mon tablier et noue mes cheveux dans une tresse rapide. Si mes souvenirs sont corrects, aujourd’hui nous recevons la famille du Duc de Bellecour. Je sais que je ne travaille pas pour eux mais le regard du Duc m’effraie. Tout en lui m’effraie : sa façon de se déplacer silencieusement, sa façon de parler ou encore sa façon d’intensifier son regard lorsqu’il nous observe. Il est vicieux et sombre. Si ma mère vivait encore, elle toucherait sa croix à chaque fois qu’elle le verrait ; elle et ses superstitions m’ont toujours influencée. Elle m’aurait sûrement forcé à prier tous les soirs pour éloigner les mauvaises ondes que le Duc apporte. Je n’ai pas le temps de penser à ma mère aujourd’hui, je dois me concentrer sur les tâches qui me sont confiées.

La femme du Compte, la Comtesse Laura, m’observe de son regard noir et fait claquer sa langue, comme chaque fois qu’elle est agacée. Elle me fixe à nouveau puis tourne les talons, ses cheveux de jais se soulevant au rythme de ses pas sur le carrelage. En m’assurant qu’elle est loin, je souris et l’imite avec ses grands yeux et sa langue fourchue. Lisa rit discrètement en essuyant les assiettes de porcelaine. Je dépose un baiser sur son front en lui faisant promettre de ne pas me dénoncer.

La matinée passe rapidement, occupée à éplucher, écraser et faire cuire des légumes frais du matin. L’horloge sonne les onze heures et le repas est presque terminé. La calèche noire qui provoque un bruit monstrueux s’arrête dans la cour pleine de gravillons. La grande porte du château est ouverte et donne une vue imprenable sur les jardins. Le Duc et sa femme descendent en premier de la grande calèche, suivis de leurs trois filles. C’est la première fois que celles-ci déjeunent ici, j’espère que tout va bien se passer.

Avec tous les rendez-vous secrets entre le Comte et le Duc, ces deux derniers ont donc souvent déjeuné ensemble. Comme je suis la cuisinière la plus expérimentée du château, je dois alors souvent leur préparer un repas et l’apporter dans la salle privée du Comte. Tout en coupant ma feuille de choux, j’observe les filles du Duc. Lady Theresa est si belle dans cette robe blanche. Tout comme Lady Syana est magnifique dans sa robe pourpre. Même Lady Joris est magnifique à regarder dans sa petite robe bleu foncé.

Le Duc de Bellecour entre dans la cuisine, suivi de près par sa femme et ses filles. Tous sont d’une beauté éclatante ; la richesse brille sur eux, les rend puissants. Habillé d’un élégant costume à jaquette en soie gris et de souliers noirs, son épée faite à partir de matériaux rares brille à la lumière du jour, gravée par les noms de ses porteurs. Les yeux noirs du Duc m’observent, un air satisfait sur le visage. Ses cheveux bruns coiffés, sa dague familiale au doigt, sa calèche toute neuve tirée par deux magnifiques et puissants chevaux noirs, tout en lui indique sa position sociale.

Parfois, je rêve d’être à sa place juste l’espace d’une seconde et de ne pas avoir à mesurer tous mes propos par peur de mourir si je dis une quelconque maladresse. Toutefois, je me doute qu’être Duc n’est pas aisé ; il est nécessaire qu’il remplisse des devoirs qui ne sont pas toujours agréables. Il pose ses yeux sur Lisa et la fixe intensément, puis suit le Comte dans son bureau. Encore une fois, ils vont disparaître le temps d’une heure, à discuter d’affaires politiques ou d’une quelconque enquête.

Quant aux épouses, elles rejoignent la terrasse ensoleillée. La Duchesse Chryzalis de Bellecour est certes plus jeune que le Duc mais je crois qu’il réside en eux une sorte d’amour incompréhensible pour moi. Je ne comprends pas comment je pourrais aimer quelqu’un lorsque je suis forcée de l’épouser.

Tout comme le Duc, la Duchesse aspire à la beauté et à la richesse. Ses cheveux blonds, coiffés dans une élégante tresse relâchée, sa robe à la dentelle dorée et ses jolis talons blancs font de la Duchesse une femme agréable à regarder. Si j’en crois les ragots de la capitale, elle serait incapable de donner naissance à des garçons à cause d’un mauvais présage. Je n’ai jamais vraiment cru à ce genre d’histoires ; moi, je pense que si elle a donné naissance à trois filles, c’est parce que le destin en a décidé ainsi. Leurs trois filles se nomment Syana, Theresa et Joris.

Ses deux filles entrent dans la cuisine ; l’une d’elles sourit joyeusement et l’autre est plus occupée à observer les plats posés sur la grande table de bois. Je vois dans son regard qu’elle meurt de faim. Je lui aurais volontiers proposé une part de cake aux fruits mais j’ai si peur qu’elle le prenne mal que je n’ose même pas la regarder.

Je coupais un navet quand la Comtesse revint vers moi, le regard plus froid que d’habitude. Je sais au plus profond de moi qu’elle se doit d’être froide devant moi et ne pas me parler avec un immense respect ; ainsi va la classe sociale entre deux individus. Elle est Comtesse et je suis sa servante. Si elle me vouvoie et m’adresse la parole en prenant en compte qui je suis, personne ne la respecterait. Excepté les hommes et femmes qui ont des idées respectueuses, personne dans ce royaume ne me parlera avec une infime once de respect. Elle me jauge de sa hauteur démesurée et m’observe comme si j’étais un animal de foire.

— Faites visiter les lieux aux filles du Duc. Laissez la cuisine à votre sœur, elle doit apprendre seule. N’oubliez pas que vous n’êtes pas irremplaçable. Venez nous chercher à la terrasse lorsque le repas sera prêt.

Je baisse les yeux et me pince l’intérieur des lèvres. Si je n’avais pas besoin d’un toit et d’un salaire pour payer l’hospice de mon père, je l’enverrais voir ailleurs. Elle me tourne le dos et repart avec grâce dans la salle à manger. Lady Syana me fixe et sourit. Elle se retourne vers son garde du corps et lui susurre quelque chose à l’oreille qui les fait sourire tous les deux.

— Je me mets à votre place, ça ne doit pas être agréable d’entendre une chose pareille. Toutefois, vous savez qu’elle a raison. Pouvons-nous visiter maintenant ?

Elle non plus, elle n’est pas indispensable ; le Duc a trois filles, si elle vient à mourir, il en restera toujours deux. Je serre le poing et me lave les mains, puis commence à leur faire visiter. J’entends les rires des demoiselles derrière moi ; je les entends pouffer dans mon dos. Je meurs d’envie de me retourner et de les gifler, surtout l’aînée. Je grince des dents et ouvre la porte de la bibliothèque puis m’efface dans le couloir. Le chaton passe devant moi, me darde de ses yeux noirs et saute sur le fauteuil où il a l’habitude de se reposer. Même le félin est plus respecté que moi au sein du château. Certains diront que je n’ai pas à me plaindre : j’ai des repas chauds, un lit et de l’argent. Parfois, je préférerais vivre dans une chaumière, en plein bois juste pour avoir ma tranquillité et avoir la possibilité de faire ce que je veux. Les invités ressortent, m’interrogeant du regard. Les seules pièces qui restent sont les salles d’eau et notre chambrette. Je n’ai pas l’intention de leur faire visiter le seul espace privé qui nous appartient un tant soit peu. La cadette passe devant moi et rejoint la terrasse. Les mains tremblantes, je salue les invités poliment et descends les escaliers de bois. Alors que mon pied se posait sur le carrelage du hall d’entrée, une voix fluette intervient dans mon dos.

— Madame, puis-je vous poser une question ? Où est votre chambre ?

— Au fond du couloir, à côté de la terrasse, mademoiselle.

— Elle n’est pas chauffée ?

— Non mais cela ne me dérange pas, je n’apprécie pas la chaleur.

— Avec un froid pareil en avril ? Pardonnez-moi, je vous fais perdre du temps. Allons manger, je meurs de faim. Sebastian, dit-elle en se retournant vers l’homme,m’accompagnez-vous ?

— Si vous le désirez, Lady.

Le jeune homme marchant à ses côtés est aussi beau que l’est le reste de la famille. Je ne sais pas qui est ce Sebastian mais il est incroyablement charmant. Ses cheveux blonds et son costume soyeux le rendent parfait à mes yeux. Son épée soyeuse pend le long de sa jambe, se balançant au rythme de ses pas.

Je les observe s’éloigner vers les jardins intérieurs de la propriété puis repense aux paroles de Lady Syana : elle m’a vouvoyé. Je crois qu’elle est la première personne à m’interpeller en disant « Madame », en plus du vouvoiement. Je regrette ce que j’ai pensé plus tôt ; elle est importante.

Chapitre 2

06/04/1900

Jardins du château – Après-midi

Amalia de Sainte Augustine

Au loin, j’observe les filles du Duc de Bellecour qui discutent près de la fontaine. Je connais toute la vérité. Je sais tout ce qui s’est dit cette nuit, au fort du Marquis. Mon nom et celui de ce Sebastian ont été tirés. Nous sommes officieusement inscrits au Tournoi des Épreuves Élémentaires. Je n’ai pas dormi de la nuit à cause de cette mauvaise nouvelle.

Rares sont ceux qui en ressortent vivants, si rares que personne ne sait vraiment de quelle façon les épreuves se passent. Si j’en parle à mon père, il comprendra que quelqu’un m’a raconté la vérité. Je ne veux pas qu’il s’en prenne à mon ami, il n’y est pour rien. Je refuse de faire partie des de Bellecour. Je trouve que quelque chose en eux est glauque, comme s’ils partageaient un secret familial que je serais la seule à ne pas connaître.

Plongée dans mes réflexions, assise sur le banc de pierre le long de la haie, je manque de hurler lorsque quelqu’un pose sa main sur mon bras. Paniquée, je tourne la tête dans sa direction. Mon frère a le sourire jusqu’aux oreilles et se retient de rire.

— Ce n’est pas drôle Charli ! J’ai presque failli hurler !

— Tu as raison, ce n’était pas drôle. C’était hilarant !

— Charli !

— D’accord, je suis désolé Amalia, annonce-t-il en levant les mains en signe de reddition.

— Merci.

— Que t’arrive-t-il ? Tu as l’air soucieuse.

— Rien, je vais bien.

— Amalia, je suis ton grand frère et tu ne peux rien me cacher !

— Je suis inquiète.

— Pour quels sujets t’inquiètes-tu ?

— Je ne peux te le dire sans trahir un ami.

— Un ami ?

— Charli, s’il te plaît !

— Amalia, je suis ton grand frère et tu peux tout me dire !

— Pourquoi répètes-tu quasiment la même phrase ?

— On ne répond pas à une question par une question.

— Je m’interroge sur le Tournoi. Les noms vont sortir officiellement dans peu de temps et j’ai peur d’y trouver des personnes à qui je tiens.

— Ton ami ?

— Oui. Voilà, j’ai répondu à ta question. Heureux ?

— Non parce que ça ne venait pas du cœur. Je veux que tu sois capable de me parler sans te sentir obligé de le faire. Je ne veux pas que tu te comportes avec moi comme tu le fais avec notre père.

— Je suis désolée, Charli.

— Pourquoi t’inquiéter maintenant ? Ton ami et toi vous vous connaissez depuis plusieurs années déjà et cela ne t’a jamais inquiété de savoir si son nom allait être tiré au sort. Ne serais-tu pas plutôt inquiète de savoir si ton nom est dans la boîte ?

— J’ai commis une grave erreur je le sais, mais penses-tu que Père serait capable de me punir en mettant mon nom dans la boîte ? Je n’ai presque aucune chance de survivre au Tournoi.

— Amalia, calme-toi d’accord ? Ton nom n’a pas été tiré. Tu n’as pas été choisie pour participer au Tour…

— Si ! Je le sais. Un ami me l’a dit, un ami qui était à la réunion. Pour me punir, il a mis mon nom dans la boîte mais il n’y avait qu’une chance infime de tirer au sort le mien. J’ai été choisi par le Marquis pour y participer Charli !

— Tu es sûre de toi ? Père n’aurait jamais fait une chose pareille ! Mère ne l’aurait pas laissé faire ! Je n’y crois pas, ton ami t’a menti !

— Je t’assure que c’est la vérité Charli ! M’accuses-tu de mentir ?

— Non, ce n’est pas ce que je dis. Mais je suis sûr que nos parents n’ont pas pu faire une chose pareille.

— Alors qui a mis mon nom dans la boîte ?

— J’ai peut-être une idée mais je ne peux rien dévoiler avant de l’avoir vérifiée.

— Dis-moi ! Je t’en supplie !

— Peut-être eux ? dit-il en chuchotant et en tournant son regard vers les filles de Bellecour.

— Le Duc de Bellecour l’aurait fait seulement pour venger Simon ? Je n’ai pas refusé de l’épouser parce que c’est un homme mauvais ; Simon est quelqu’un de très charmant et respectueux.

— Peut-être qu’il n’a rien dit à son neveu… Je vais me renseigner en toute discrétion d’accord ?

— Ne parle pas de moi !

— Promis, je ne parle pas de toi. Maintenant, va te reposer.

Il m’embrasse sur le front et repart en direction des écuries, là où l’attend son cheval. Il a raison, je devrais aller me reposer et profiter de mes derniers instants de vie avant de mourir. Il faut absolument que j’accède aux archives. C’est l’unique chance que j’ai pour essayer d’y survivre.

Postée en haut de la colline, j’observe à travers la longue-vue le bureau de mon père. Lui et le Duc discutent gaiement. Ils semblent occupés pour un bon moment. Si je dois aller fouiller le second bureau de mon père, je dois le faire maintenant. Une chance que je ne porte qu’une simple robe de tissu aujourd’hui. Si j’avais été en robe de bal, jamais je n’aurais pu courir aussi vite que je le fais actuellement. Je ne sais pas où sont passées les filles du Duc ni ma mère mais je dois d’abord penser à moi, juste pour aujourd’hui.

Alors que j’accédais à la véranda, au détour de la porte d’entrée, je bouscule quelqu’un. Le contenu du pichet de citronnade se renverse sur moi et se brise en mille morceaux sur le sol. Se fondant en de multiples excuses, Heyden – une agréable jeune femme travaillant pour ma mère – se penche au sol et ramasse les débris de verre à la main. Ma belle robe rose est maculée de la boisson et mes souliers sont fichus. Quant à Heyden, elle s’est coupée à la main en ramassant le pichet de verre ; elle est aussi victime dans l’histoire. Je n’ai pas le droit de tout rejeter sur elle. Elle s’excuse à nouveau et retourne à la cuisine, la tête basse. Je monte les escaliers et marche jusqu’à la bibliothèque sans un bruit ; du moins, j’aurais aimé. Le parquet du château est si vieux qu’il grince à chacun de mes pas. Je pousse la grande porte et rentre dans la pièce. L’odeur de vieux livres s’insinue en moi et me fait rêver. J’aime lire, j’aime tant lire que je pourrais passer toute ma vie dans cette pièce, à lire les écrits des autres. Je préfère consacrer mon temps libre à la médecine. Personne ne le sait mais mon plus grand rêve est de devenir médecin.

À droite, la porte menant au second bureau de mon père est fermée à double tour ; sur les trois autres murs, des étagères remplies de livres et d’anciens manuscrits ; enfin, au centre de la pièce trône une causeuse de velours vert, occupée actuellement par Célestin, le chaton de la famille. C’est étonnant qu’il dorme ici, généralement il aime se reposer sur le petit fauteuil près des escaliers. Je lui caresse le dos et traverse les étages de l’œil, afin de chercher quelque chose qui parlerait du Tournoi.

Un vieux manuscrit s’intitulant Traditions et cultures du Void est caché entre deux volumes de politique. Je pose ma main au-dessus et le sors de l’étagère, puis m’assieds au petit bureau près de la grande baie vitrée, face à la porte d’entrée de la bibliothèque. J’ouvre le gros bouquin qui prend la poussière depuis longtemps et lis les gros titres des pages : Fêtes, Guerres, Traditions, Religion et Tournois. Parfait, ce dernier point devrait me révéler beaucoup de choses.

Après une lecture approfondie qui m’aura pris le reste de la journée, j’en apprends beaucoup sur ce Tournoi. Par chance, un tas de feuilles de papiers jaunis était caché sous un dossier appartenant à mon père. J’ai pu prendre beaucoup de notes sur le Tournoi et son fonctionnement. Je dois absolument retrouver Charli et lui montrer ce que j’ai découvert. Je dois également remercier mon ami de m’avoir prévenu. Il était très tôt ce matin et nous n’avons pas pu parler longtemps. De plus, les gardes du château ont trouvé son cheval caché dans les bois et il a dû repartir à pied dans la forêt. J’espère qu’il ne lui est rien arrivé.

Chapitre 3

07/04/1900

Village de forêt – Pleine nuit

Avraen Letos

Bien que les habitants soient tous couchés depuis longtemps, je continue de travailler en pleine nuit. Depuis que je suis enfant, je préfère la nuit. Ma petite sœur dort profondément sur sa couchette de paille dans la maison. De mon établi, j’ai vu sur la chaumière où nous vivons. J’aimerais tellement ne pas avoir besoin de la réveiller d’ici une heure. Toutefois, j’ai commis des choses atroces pour lui payer ce traitement dont elle a tant besoin. Cette fièvre la suivait depuis plusieurs semaines déjà. Maintes fois, je suis resté éveillé la nuit pour surveiller son état de santé. J’ai bien cru qu’elle allait mourir seule dans la nuit pendant que je dormais à poings fermés juste à côté.

Si j’avais su qu’elle n’avait besoin que de feuilles de lantana, je n’aurais pas participé à un combat clandestin dans la taverne de Robin, afin de gagner de quoi lui payer une visite chez un médecin. Cela fait presque un mois qu’elle a une fièvre qui la fait vomir et saigner du nez ; j’ai cru qu’elle avait de graves problèmes de santé. Néanmoins d’après lui, sa fièvre serait due à un froid d’hiver aigu. Je suis sûr que ce type ne s’y connaissait pas en médecine et qu’il voulait juste mon argent. C’est à peine si j’ai eu de quoi le payer. Il m’a bien vu lui donner à contrecœur les pièces nécessaires pour la visite ; en plus de ça, il voulait que je lui achète des médicaments. J’ai mis du temps à obtenir la recette pour préparer des infusions correctes de lantana. Heureusement, cette fleur se trouve partout. Les infusions de fleurs font déjà effet sur Hope, c’est incroyable. En quelques jours, sa fièvre est descendue ; ma petite sœur a même réussi à manger un peu de soupe ce matin.

Je termine de ferrer le cheval et le selle rapidement. J’éteins le feu de cheminée et verse le contenu de la casserole dans une gourde. En silence, je récupère nos maigres affaires et les empile dans les sacs, que j’accroche sur le dos du vieil hongre. Enfin, j’accroche mon arc forgé autour de mon épaule, ainsi que mon carquois. Une fois prêt, je rentre dans la chambrette de Hope et la réveille délicatement. Elle ne pose pas de questions et s’habille chaudement. Elle reste encore faible donc une fois habillée, je la porte dans mes bras et la dépose sur le dos de l’étalon. Sauf si nous devons fuir des soldats ou des animaux sauvages, je marcherai à côté du cheval.

Le vieil animal marche tranquillement dans la nuit, sans renâcler. Je suis impressionné par sa force. Bien que ma sœur ne soit pas lourde, il doit aussi porter toutes nos affaires. Il est vieux ; je crois qu’il a presque 24 ans. Il est même plus âgé que moi, je n’en ai que 20. Hope s’est endormie sur l’encolure de la bête ; son corps ondule au rythme des pas. Même si le contexte ne s’y prête pas, cette situation me plaît. J’aime l’aventure, toutefois je dois rester prudent pour ma sœur. Elle n’a plus que moi ici.

J’aurais aimé rester dans ce petit village situé à proximité de la frontière entre l’État de Charyl et celui du Kwasta. Il porte un nom que je n’aime pas : Ean. Il est entouré par une rivière qui traverse les régions mais qui finit toujours par déboucher sur les deux océans.

Je ne pensais pas m’établir aussi longtemps là-bas. Peut-être est-ce le destin qui en a décidé ainsi. Je crois au destin, je pense que toutes les choses arrivent parce qu’elles doivent arriver. Je dois être le seul à penser ça mais ce n’est pas grave, je garderai cette pensée pour moi.

Je pense que d’ici quelques heures, nous arriverons près de la rivière. Il nous suffira de la longer pour atteindre l’océan Lithie. J’ai un très vague souvenir de ce dernier. Je sais que je l’ai traversé à l’âge de mes 5 ans mais j’étais trop jeune pour vraiment m’en souvenir. Mes parents fuyaient la Capitale du Void – Liaba – mais je n’ai jamais su pourquoi. J’ai grandi près de Sidhur, dans la région de Charyl.

Quand ma mère est décédée, mon père et moi avons déménagé dans le petit village que j’occupais encore hier, Ean. Puis quand j’ai eu 15 ans, mon père est mort dans une bagarre. Je me suis retrouvé à élever ma petite sœur de 5 ans, dans un village qui ne me plaisait guère. Je n’ai pas eu le choix d’y rester. Donc oui, je ne pensais pas vivre là-bas pendant 10 ans.

J’aurais aimé voyager dans le monde, partir à la découverte des autres pays et vivre plein de belles et dangereuses aventures. J’ai toujours voulu devenir explorateur mais je crois que ce n’est pas une fonction appréciée de la haute société. Les grands hommes et grandes femmes ont peur de l’inconnu, peur de ce qu’on peut y trouver. Ce n’est pas mon cas, c’est même mon rêve. Changer de continent, prendre le bateau… Tous mes rêves ont été brisés en morceaux lorsque mon père est mort. Je n’avais plus le droit de voyager et de vivre comme je l’aurais voulu : Hope était orpheline.

Alors que la Lune se couche et que le Soleil se lève, j’entends au loin le clapotis de l’eau sur les rochers. J’ai eu plusieurs fois l’occasion d’aller chasser jusqu’au cours d’eau mais je ne me suis jamais aventuré plus loin. Je ne suis jamais allé de l’autre côté. Je l’ai déjà parcourue en le suivant complètement, mais comme il forme un rond qui entoure les bois d’Ean, je n’ai pas été plus loin.

Hope somnole toujours sur l’encolure du cheval mais se réveille de plus en plus. J’ai pris autant de nourriture que je pouvais mais malheureusement, nous en avons peu. Avec le temps capricieux de ce mois d’avril, je ne savais pas si je devais prendre des repas chauds ou froids. La semaine dernière, nous avons eu du soleil tous les jours. Récemment, il a neigé dans le village. De plus, les aliments se conservent mal à la chaleur.

Ce serait incroyable d’inventer une machine qui permettrait aux aliments de rester frais longtemps. Je sais que lorsqu’il gèle à l’extérieur, on peut creuser un trou dans la neige et y stocker la viande. Elle reste fraîche quelques jours de plus, ce qui permet d’augmenter les réserves quelque temps. Je sais que quelque part dans le monde, des inventeurs réfléchissent à cette machine de froid.

Je n’ai pas de montre mais je sais lire l’heure, du moins je sais écouter le temps. Dans le village, un homme sonnait la cloche toutes les heures – de 7 heures du matin à 19 heures le soir –. Heureusement, mon père m’a appris à me fier au Soleil pour déterminer une heure plus ou moins précise. De cette façon, je sais qu’il est aux alentours de 9 heures du matin.

Après de longues heures de marche, au détour d’une clairière dans les bois, je découvre une minuscule rivière qui longe le champ. Je laisse le cheval boire à son aise et brouter quelques touffes d’herbes vertes puis le guide par la bride en suivant le cours d’eau. Quelques minutes plus tard, nous arrivons sur l’embouchure de la rivière. À notre droite, l’eau s’écoule vers le port de Voga. Si nous suivons le côté gauche, je crois qu’il mène vers une autre région de Charyl, Dras.

Le lieu est suffisamment éclairé pour se reposer et faire une pause. J’aide Hope à descendre de cheval et sors un quignon de pain, ainsi que deux tranches de lapin séché. Je dénoue un côté de la bride et le noue autour de mon poignet. La corde de cuir n’est pas très longue mais elle l’est assez pour permettre à l’animal de tourner autour de moi et de paître dans la clairière.

Après notre maigre repas, je m’allonge sur des souches d’arbres quelques minutes pour détendre mon corps, surtout mes jambes. Je marche depuis qu’on est sorti d’Ean et je n’ai fait que de brèves pauses. Le mieux pour nous trois était de ne pas s’arrêter. La nuit est sombre dans le bois ; je le sais car je l’ai déjà arpentée seul, plusieurs fois même.

Je ferme les yeux et m’imagine à l’autre bout du monde : sur le dos d’un animal inconnu dans une forêt où de nombreux animaux se perchent sur les arbres, où les fougères bougent toutes seules et où des animaux carnivores me surveillent de loin. La chaleur de l’été brûle ma peau mais le vent rafraîchit mon esprit. Il me permet de repenser à mes autres aventures, dans une ère glaciale ou une autre désertique…

Ma sœur m’appelle de près et pose sa petite main sur mon épaule. J’ouvre les yeux d’un coup et me redresse tant bien que mal. En souriant, elle me chuchote qu’elle m’a laissé dormir quelques instants. Par chance, je sais que « quelques instants » ne veut pas dire toute une journée mais vraiment quelques instants. Je fixe le Soleil à travers les chênes et les pins ; il est environ 11 heures. J’ai peu dormi mais ce repos m’a fait un bien fou. Je suis en pleine forme et prêt à repartir. Même si une douleur persiste à mon mollet, je me relève et aide Hope à grimper sur le cheval. Je vérifie une dernière fois que nous n’avons laissé aucune trace puis guide à nouveau l’animal. Lorsque mes pieds rentrent dans l’eau, je me retiens de hurler. Je ne pensais pas qu’elle serait aussi glacée ! Je serre les dents et marche vite jusqu’à l’autre rive.

Alors que nous marchions en discutant vivement, nos propos furent interrompus par un grondement de tonnerre. Un orage approche de notre région et il faut au plus vite trouver un lieu sûr où s’abriter du froid. L’un comme l’autre avons peur des éclairs ; mais surtout, nous devons mettre à l’abri le cheval et nos provisions. Si j’écoute les rumeurs entendues au bar de Robin, il y aurait quelques chaumières à une dizaine de kilomètres après la rive du fleuve. Il ne nous reste plus qu’à les trouver avant que l’orage n’éclate.

Chapitre 4

07/04/1900

Duché des de Bellecour – Fin de soirée

Sebastian Lucius

Posté en bas des remparts, je compte les minutes qui s’écoulent. Les habitants craignent trop les soldats pour sortir la nuit. Et ceux qui osent le faire s’enfuient en courant dès qu’ils nous entendent marcher. Il n’y a pas d’action la nuit. En plus, à cette heure-là, habituellement, je rejoins Syana dans notre coin secret et je l’écoute lire pendant quelques heures.

J’observe ses cheveux bruns se mouvoir dans la nuit, ses lèvres fines qui prononcent des mots que je n’écoute pas ; et surtout, ces yeux. Ces magnifiques yeux bruns qui dévoilent tout et rien à la fois. Je ressens plus que de l’amour pour elle, j’éprouve un sentiment de passion. Je pourrais mourir pour elle – bien que ce soit déjà le but de mon grade. Je l’aime tant que je serais prêt à tout pour Syana. Toutefois, il m’est interdit de l’aimer. Elle et moi n’appartenons pas au même monde. Il faudrait que je participe à une guerre ou que je fasse fortune dans un quelconque marché. En somme, il faut que je devienne Comte.

Je commençais à m’endormir debout quand quelque chose se cogna contre mon pied. Étonné, je baisse la tête mais ne distingue rien ; quand, une seconde fois, quelque chose heurta ma chaussure. Le caillou rebondit et retomba à côté de moi. Alex Grevett. Nous nous sommes connus, quand nous étions enfants, à l’orphelinat où mon père m’avait placé. Je suis devenu garde personnel pour les de Bellecour tandis que lui s’est révélé être un parfait valet pour un Marquis.

Je lève la tête et fixe mes camarades. Pas un seul d’entre eux ne m’observe. Je profite du silence de la nuit pour m’éclipser vers les écuries, là où m’attend mon ami. Les boxes sont sombres et le regard des chevaux suit mon ombre. Certains d’entre eux renâclent, d’autres me tournent le dos et les derniers demandent une caresse.

— Alex ? Tu es là ?

— Oui, dit-il en sortant de derrière une botte de foin. Je suis désolé mais je n’ai pas pu venir avant.

— Que se passe-t-il ?

— J’ai de terribles nouvelles, Sebastian.

— Tu commences à m’inquiéter Alex.

— Comme tu le sais sûrement, le Tournoi de cette année a débuté. Deux autres noms ont été tirés hier soir, lors d’une réunion secrète au fort du Marquis.

— Pourquoi me dire toutes ces choses ?

— Ton nom est sorti de la boîte.

— C’est impossible Alex. Je crois que seules les personnes qui ont commis de graves erreurs ont leurs noms dans la boîte. Je te rappelle que le Tournoi des Épreuves Élémentaires a lieu car le taux de criminalité a augmenté ! Je ne suis pas un malfrat !

— Écoute Sebastian, écoute-moi. Le Marquis est corrompu depuis longtemps par des familles influentes. Il suffit que quelqu’un offre une grosse somme d’argent à l’Organisateur pour que ce dernier mette lui-même ton nom dans la boîte. Tu avais une chance sur des centaines. C’est tombé sur toi. Je ne sais pas qui a mis le tien mais tu as été choisi pour participer. Tu connais les règles ?

— Non. Tu sais, il y a tellement peu de personnes qui en sortent vivantes que les seules personnes susceptibles de nous expliquer ces règles sont six pieds sous terre. Tu es sûr de toi, Alex ?

— Oui. J’étais présent à cette réunion. On me fera tuer si tu dis à quelqu’un que je t’ai prévenu. Promets-moi de ne rien dire à personne.

— Je te le promets. Tu connais d’autres personnes qui ont été désignées ?

— Oui. Mais je ne sais pas si tu la connais.

— La ?

— Lady Amalia de…

— Sainte Augustine ! C’est impossible ! Pourquoi elle ?

— Son père a offert une somme d’argent au Marquis pour qu’il l’inscrive au Tournoi. Comme toi, son nom a été pioché. Il semblerait que son père l’ait inscrite car elle aurait refusé d’épouser Simon de Bellecour.

— Si Simon apprenait ça… Je te remercie Alex pour avoir pris ce risque de me révéler la vérité sur le Tournoi. Une dernière chose, les quatre noms ont-ils déjà été choisis ?

— Aucune idée. Je ne suis sûr que de toi et de cette Lady.

Je fais demi-tour et retourne me poster devant la tour. Qui aurait pu m’inscrire au Tournoi ? Je n’ai froissé personne depuis longtemps. Je dois mener l’enquête pour découvrir qui nous a enrôlés là-dedans. Je dois aussi aller voir Lady Amalia. Je sais que c’est risqué mais je dois savoir si elle est au courant.

La Lune se couche enfin et le Soleil éclaire la cour. Un soldat prend ma place et me salue. Je n’ai pas le temps d’aller me reposer, je dois aller voir cette jeune fille maintenant. Je me dirige à nouveau vers les écuries et demande à l’écuyer du coin de me préparer mon cheval. Quelques minutes passent et le jeune garçon aux cheveux noirs revient vers moi, une jument noire tenue par la bride. Je grimpe sur ma monture et la fais trotter jusqu’au chemin du bois. Lancée au galop, la brise maritime qui entoure l’archipel du Void me pousse vers l’avant.

Le Soleil éclaire toute la propriété et donne une impression que le château brille, comme s’il était fait de pierres précieuses. Je descends de ma jument devant l’entrée et m’annonce à la porte, le visage aussi plat que possible. Une jeune femme à la chevelure brune et bouclée m’ouvre et me laisse passer. Je reconnais la servante qui nous a fait visiter le château avant-hier.

Chapitre 5

08/04/1900

Château des de Sainte Augustine

Début de matinée – Heyden Alby

J’étais en train de découper des pommes pour le petit déjeuner lorsqu’un homme vint sonner à la porte. Je reconnais le jeune homme nommé Sebastian. Je le laisse entrer et lui demande la raison de sa présence. Je vois bien qu’il est anxieux : le regard vif, les réponses courtes et les gouttes de sueur qui coulent le long de son cou. Soit il est venu en courant, soit quelque chose le stress.

Après qu’il m’a répondu, je le fais patienter dans la cuisine où Lisa surveille l’eau du thé. Je monte les marches et me dirige vers la chambre de Lady Amalia ; puis toque à la porte. La jeune femme vient m’ouvrir, le regard inquiet. Je lui explique qu’un certain Sebastian désire le voir au plus vite. Elle ne prend pas la peine de fermer sa porte et descend les escaliers puis rejoint le chevalier. Je les entends traverser la salle à manger et le salon. Puis finalement, au loin à travers la fenêtre de la chambre d’Amalia, je les vois s’asseoir sur un banc de pierre. J’ai toujours été de nature curieuse, c’est pourquoi je meurs d’envie de savoir de quoi ils parlent avec ces airs moroses. Je sais que je n’ai pas le droit d’être là, c’est pourquoi je fais semblant de refaire le lit quand j’entends des bruits de pas dans le couloir. Avec une vitesse incroyable, une tête brune passe devant la porte et court dans les marches. Quelques secondes après, le chaton suit le garçonnet qui semble traîner une ficelle de laine derrière lui.

Je pliais le nouvel ensemble de Lady Amalia lorsqu’en prenant un veston, je fis tomber un carnet de feuilles de papier. En les ramassant, je lis quelques mots avec curiosité. Elle semble avoir écrit des règles sur une épreuve de force. Je repose les feuilles sur le bureau et observe les deux jeunes gens par la fenêtre. Ils sont plongés dans une grande conversation, qui fait pleurer la jeune fille. La Comtesse Laura est en ville pour la journée, le Comte est à son bureau professionnel en ville, le Vicomte Charli est au poste de police et de ma position, je peux voir les deux derniers enfants. J’ai un minuscule laps de temps pour lire les notes.

J’attrape le carnet et le lis aussi vite que le peux. Elle décrit les épreuves du Tournoi des Épreuves Élémentaires. En levant la tête, je me rends compte que la demoiselle n’est plus sur le banc. Aussi vite que je l’ai trouvé, je cache le carnet et sort de la pièce.

Lorsque je pénètre dans la cuisine, Sebastian et Amalia entrent dans le hall d’entrée. Elle essuie des larmes et lui semble moins anxieux qu’à son arrivée. Ils se saluent chaleureusement puis elle remonte dans sa chambre, muette. Lisa m’observe attentivement avant de poser la question piège.

— Dis-moi ce que t’as vu !

— Je n’ai rien vu Lisa.

— Menteuse ! Allez, partage avec moi. Ils se bécotent ?

— Non.

— Quoi alors ?

— Lisa, je n’ai rien vu !

— Mais tu sais ce qui se passe !

— Non, je faisais un peu de ménage à l’étage.

— Alors pourquoi Lord Marcel m’a dit t’avoir vu dans la chambre de Lady Amalia ?

— Je faisais du ménage Lisa.

— Tu mens.

— Lisa, ça suffit. Finissons ce déjeuner avant midi.

Elle me fixa avec un air déçu puis fit la moue quelques minutes.

Quand l’heure du repas arriva, la Comtesse était rentrée et ses deux fils étaient à table. Le regard glacé de Dame Laura me fit comprendre rapidement sa réflexion. Je dépose le plat sur la table et monte jusqu’à la chambre de son unique fille. La porte grande ouverte, je découvre la chambre sens dessus dessous, tous les vêtements au sol et Amalia assise sur le parquet en train de pleurer à chaudes larmes. Peut-être cherche-t-elle son carnet ? Si je lui demande de ses nouvelles, elle va m’accuser d’avoir fouillé dans sa chambre. C’est la vérité mais je pourrais être renvoyé – ou pire – si la vérité éclate. Finalement, elle se retourne vers moi et se lève, puis m’enlace tendrement. Je la laisse faire et lui chuchote des mots doux. Une fois calmée, je l’aide à s’allonger dans son lit et commence à ranger sa chambre.

En début d’après-midi, je remonte dans sa chambre et dépose un plateau de nourriture sur son bureau. En faisant légèrement exprès, je pousse du bout des doigts la pile d’habits où j’ai caché le carnet ; cette dernière s’écroule au sol et le feuillet se libère de son emprise. Quand elle le voit enfin, elle se relève d’un bond et s’empresse de le récupérer afin de l’examiner sous toutes les coutures. Instinctivement, elle reprend des couleurs et se rassied sur sa chaise de bureau. Elle l’ouvre et prend son stylo à plume.

Je me retiens de lui demander ce qu’elle écrit et redescends à la cuisine, où je démarre la préparation d’une pâte afin de faire une tarte aux pommes.

Chapitre 6

08/04/1900

Chambre – Début de matinée

Amalia de Sainte Augustine

Je m’assieds sur le banc de pierre, aux côtés du jeune homme. Il ne m’a pas encore dit pourquoi il voulait me voir. Le Soleil réchauffe mon corps et me fait sourire. J’aime le sentir sur ma peau. Je veux profiter de ces derniers instants de liberté. Je sens que le soldat se retient de parler et pèse ces mots. Finalement, il prend une grande inspiration et se tourne vers moi.

— Lady Amalia, je m’excuse de vous importuner en pleine journée.

— Vous ne me dérangez pas, dis-je en observant les jardins.

— Je ne sais pas comment vous dire cela.

— Dites-le simplement. Je vous fais la promesse que tout ce qui est dit maintenant restera entre nous.

— Connaissez-vous le Tournoi des Épreuves Élémentaires ?

— Oui, répondis-je en me raidissant.

— Savez-vous qui a été choisi pour cette année ?

— Et vous, le savez-vous ?

— Oui. J’ai été désigné. Je sais exactement quels risques je prends en vous révélant cette information mais je préfère vous le dire à vous aussi.

— Je le sais déjà, Sebastian. Nous sommes dans le même cas. Nous avons été désignés tous les deux.

— Vous le saviez ? Depuis quand ?

— Deux jours. Mais je n’étais au courant que de ma personne. Je m’excuse que vous soyez vous aussi pris dans ce Tournoi. Savez-vous qui a mis votre nom dans la boîte ? Pardonnez-moi. Nous ne nous connaissons pas et je pose des questions indiscrètes, dis-je.

— Le Duc Eronn de Bellecour.

— Comment l’avez-vous découvert ?

— J’ai payé quelqu’un pour qu’il découvre qui avait mis mon nom. Et vous, savez-vous ?

— Je crois qu’il s’agit du Duc.

— En êtes-vous certaine Lady Amalia ?

— Nous… Je crois que oui.

— Vous avez mis quelqu’un au courant ?

— J’ai une totale confiance envers cette personne. Jamais elle ne révélera la vérité.

— Je ne vous juge pas.

— Et vous, vous l’avez dit ?

— Non. La seule personne à qui je tiens le plus est bien trop proche du Duc pour que je le lui révèle.

— Je suis désolée, dis-je au bout de quelques secondes. Je m’essuyai une larme puis tournai la tête vers la fontaine où les reflets du Soleil ondulent sur l’eau claire.

— Ne vous excusez pas mademoiselle.

— Avez-vous connaissance des règles du Tournoi, Sebastian ?

— Non. Je n’ai pas ces réponses.

— Moi, je les ai. J’ai caché un carnet de notes dans ma chambre. J’ai miraculeusement trouvé un vieux livre dans la bibliothèque de mon père. Dans celui-ci, j’ai trouvé les anciennes règles du Tournoi.

— Vraiment ?

— Je dois avouer que je n’ai jamais été aussi apeurée.

— Dites-les-moi, je vous en prie !

— Je ne peux pas.

— Faisons un marché ?

— Mes excuses Sebastian, mais comment pouvons-nous avoir confiance l’un envers l’autre alors que l’on se connaît à peine ?

— Nous allons tous les deux participer au Tournoi. Nous avons besoin de nous faire confiance.

— Bien. Le tournoi se compose de 10 épreuves ; il a été créé en 1855 à la suite d’un pic de criminalité dans le Void. Le premier organisateur était le marquis Iann Gaspard. À sa mort, le Marquis Markus Olsen a repris le flambeau. Le Tournoi ne devait être maintenu qu’une dizaine d’années. Toutefois, quand la haute cour s’est rendu compte que le peuple craignait de finir inscrit au Tournoi, les crimes ont drastiquement baissé. C’est pourquoi ils ont décidé de le laisser. Aujourd’hui, cela fait 45 ans qu’il existe. Jusqu’à ce jour, seules quatre équipes ont réussi à le gagner.

— Seulement quatre ?

— Oui, pour le gagner, il faut réussir les 10 épreuves et maintenir toute l’équipe en vie jusqu’à la fin du Tournoi. Si une épreuve est considérée comme ratée, les Élus sont disqualifiés ; si un membre décède, les Élus sont disqualifiés.

— Qui sont les Élus ?

— Le nom donné aux quatre participants.

— Et de quels types d’épreuves s’agit-il ?

— Aucune idée.

— Le livre était assez vieux, j’imagine que les règles ont changé depuis.

— D’accord. Peut-on faire un marché maintenant ?

— Oui, je suppose que je peux vous faire confiance.

— Vous le pouvez. Vous, vous essayez de trouver plus d’informations sur ce Tournoi.

— Et vous, vous essayez de découvrir qui a mis mon nom ?

— Marché conclu. Je regrette mais je dois vous laisser. Lady Syana m’attend pour le reste de la journée. Envoyez-moi quelqu’un dès que vous aurez plus d’informations.

Il se lève et me salue de la main. Il a raison, nous devons pouvoir nous faire confiance. Je dois réussir à découvrir plus de choses. Il faut que je trouve qui est le valet du Marquis Markus Olsen. Et que j’enquête pour savoir qui sont les deux autres Élus de cette année.

Chapitre 7

08/04/1900

Chemins de Charyl – Fin de soirée

Avraen Letos

Je ne sais pas si des soldats sont vraiment à nos trousses mais je sais que j’ai fait le bon choix. J’ai gagné le combat ; tous ceux qui avaient misé sur l’autre homme ont perdu un paquet d’argent. Si je ne me faisais pas tuer par les soldats, ça aurait été par eux. Nous avons bien trouvé les petites chaumières longeant le cours d’eau ; toutefois, elles étaient inhabitées et à l’abandon. Ma sœur s’est endormie dans un vieux lit crasseux, au milieu des musaraignes et araignées. Le cheval est plus endurci que je ne le pensais. D’ailleurs, ma sœur veut lui donner un nom. Je la laisserai bien faire mais je crains qu’elle s’attache à lui. Transporter deux personnes sur un bateau est assez coûteux, je n’ai pas les moyens de prendre le cheval avec moi. Mais bon, si elle veut lui donner un nom, je ne lui dirai rien.

Pour ne pas me perdre, j’ai décidé de suivre la rivière. Je sais qu’elle débouche sur la mer. J’ai croisé des marchands en début de matinée qui se dirigeaient vers Sidhur, capitale de Charyl. Ils m’ont assuré être à une journée du port de Voga. Je suis à quelques kilomètres entre la frontière de Grilad et Genco. La réserve de nourriture est descendue si vite qu’il nous reste à peine de quoi tenir une journée. Je dois aller chasser mais je n’aime pas l’idée de laisser ma sœur toute seule. Elle ne sait pas se défendre. Et les hommes sont mauvais dans le coin.

Avec la vieille carte, j’observe quel est le meilleur chemin pour arriver au port rapidement. J’ai deux possibilités : soit je continue de longer le fleuve en étant sûr d’arriver plus rapidement au port, soit je bifurque à gauche et je débouche dans un village perdu nommé Devher, au creux des montagnes où je pourrais me ravitailler. Le choix n’est pas réellement important ; que je prenne à droite ou à gauche, nous aurons une journée de marche. Néanmoins, je préfère prendre le sentier du village. Je sais que je trouverais de quoi manger là-bas.

Finalement, je prends la décision d’aller à Devher, où je suis sûr d’arriver entier. La nuit tombe doucement sur le chemin éclairé partiellement par le Soleil. Il nous reste une quinzaine de lieues à parcourir pour arriver au hameau. J’ai peur de fatiguer le cheval si je monte sur lui. La seule solution que j’ai c’est de marcher plus vite et quand le Soleil sera pleinement descendu, je monterai Bulle – le cheval –. Le chemin est sableux mais il reste praticable ; il est aussi bordé par des arbres meurtris par le manque d’eau. Les feuilles ne poussent plus et les branches se cassent facilement. Ils longent le sentier qui forme un serpentin interminable et termine sa course derrière deux montagnes. Je vois presque le village d’ici, mais seulement parce qu’il y a des colonnes de fumées qui s’élèvent dans les airs. Je continue de marcher aux côtés du vieil étalon et discute avec ma sœur. Nous approchons le village et je veux passer le plus inaperçu possible. Je sais d’avance que cela va être compliqué.

Nous rentrons entre les deux montagnes qui forment comme deux grandes tours de guets, semblables à un château fort. Le village est construit en profondeur, parfois contre les parois des montagnes rocheuses qui l’entourent. Pour descendre dans le hameau, il faut suivre le chemin escarpé qui longe le flanc droit des montagnes. Enfin, dans les abysses des bois qui cachent une partie de la petite ville, je vois un petit étang d’eau verte où les poissons apparaissent à la surface quelques fois. Il traverse tout le village et termine sa course dans la roche ; j’ai peu de connaissances géographiques mais je sais que le cours d’eau prend appui sur la Lithie et traverse les trois pays.

Si je veux accéder au village, je suis obligé de passer par le chemin rocheux. J’ai si peu de temps pour réfléchir, c’est pourquoi je décide de trouver une cachette près du village. Je quitte le sentier de la montagne et observe les alentours des montagnes, à l’extérieur du hameau.

Au loin, je distingue une grotte dans la montagne, elle me paraît petite mais suffisamment espacée pour y accueillir un animal de grande taille. Je jette un dernier regard sur le village et fais demi-tour, direction la grotte. La nuit est presque tombée, je vois de moins en moins bien où je marche et manque de trébucher sur chaque pierre.

Je laisse ma sœur derrière moi et passe le premier dans la caverne. Je ne voulais pas utiliser la torche maintenant mais il fait bien trop sombre. Je ne veux pas que quelque chose nous saute dessus en pleine nuit. Je craque mon allumette sur la torche et la tends devant moi, l’autre main prise par mon arc. Elle n’est pas très profonde, ce qui m’arrange assez. Si nous avons à partir en urgence, nous pourrons sortir rapidement. De plus, les restes d’un feu de camp éteint sont posés au centre de la grotte, ce qui est fantastique. Il me suffira de ramasser quelques branches pour ranimer le feu. Enfin, et c’est ce qui est formidable, un saule pleureur sec cache l’entrée de la caverne.

À l’appel de son nom, Hope s’avance doucement avec le cheval et découvre à son tour notre nouvelle demeure pour la nuit. Pendant qu’elle tient la torche, ma petite sœur m’éclaire et ramasse avec moi du branchage pour le feu. Je la laisse allumer ce dernier et l’installe confortablement. Avant de sortir chasser, je lui montre quelques formes de défense au cas où elle aurait besoin de se battre.

Je lui laisse son couteau et l’embrasse sur le front, inquiet. Je n’aime vraiment pas l’idée de la laisser seule en pleine nuit mais malheureusement pour moi, c’est l’unique moyen que j’ai de chasser sans me faire remarquer. J’espère juste qu’à cette heure-là, le village est endormi. Je regrette de ne pas avoir sauvé mon chien.

Dans le bois près du lac, j’ai toutes mes chances de tirer un lapin. Et si je n’y arrive pas, je peux essayer d’aller au lac mais je ne suis pas très bon à la pêche. Avec le peu de lumière que j’ai du ciel étoilé, je descends le chemin escarpé contre la roche de la montagne sans faire de bruit. À plusieurs reprises, je manque de dévaler la façade rocheuse. Quelques pierres dégringolent et se fracassent en contrebas mais je crois que ça n’inquiète personne dans le village. En même temps, ils vivent à côté de deux montagnes qui manquent de s’écrouler toutes les heures ; c’est sûr que trois pierres qui cassent ne vont pas les effrayer. Tant que je ne provoque pas un éboulement de caillou, personne ne saura que je suis là.

En bas du chemin, je longe le village sans y rentrer et accède facilement au bois qui n’est pas surveillé. Je commence ma traque et fouille au sol les différents indices laissés par les animaux. Je remonte les collines pendant des dizaines de minutes sans faire de bruit jusqu’à ce que je tombe sur un lapereau esseulé qui grignote une feuille de chêne. Je me penche dans la nuit et lui plante la pointe de ma flèche dans le dos. En l’espace de quelques secondes, le petit animal contracte tous ses muscles, se raidit d’un coup puis son corps lâche dans un dernier mouvement. Dans une portée de lapins, il y en a toujours plusieurs, je ne dois pas être loin du terrier. Sans bouger, j’observe les alentours quand j’aperçois du mouvement dans les fougères plus haut. Je fais un grand demi-tour et me positionne au-dessus du nid, puis patiemment, je tue tous les petits un à un. Je laisse la mère en paix et descends une seconde fois les bois, fier de mes prises. Je pensais que ce serait plus compliqué sans lumière mais j’ai tellement pratiqué la chasse de nuit que je sais reconnaître les bruits de forêt.

Alors que je m’apprêtais à remonter le chemin jusqu’à la grotte, une torche pointa dans ma direction et m’éclaira dans la nuit. Les trois soldats s’approchent de moi en pointant leurs lances vers mon cœur. Il ne me faut pas longtemps pour comprendre que c’est trop tard. Je ne vais pas pouvoir repartir et apporter la nourriture à Hope.

Pris au piège, je pense à m’enfuir mais avec le peu de lumière que j’ai et le chemin escarpé, je n’ai aucune chance. De plus, je ne veux pas mener les soldats à ma sœur. Elle n’a rien fait et donc ce serait injuste de la mettre en prison. Je ferme les yeux et dépose mon sac de cuir à leurs pieds, besace où pendent les cinq lapereaux fraîchement tués. J’aurais dû me douter que des soldats faisaient des rondes, pas forcément dans les bois mais autour du lac. Je me demande comment ils m’ont vu. J’ai pourtant fait preuve d’une discrétion hors pair. Le braconnage est sévèrement puni dans la région. Je n’ai aucune chance de repartir sans payer une rançon ou passer quelques mois derrière leurs barreaux.

Chapitre 8

09/04/1900

Bibliothèque de la ville – Matinée

Sebastian Lucius