Les épreuves élémentaires - Tome 2 - Yélèna Vaugeois - E-Book

Les épreuves élémentaires - Tome 2 E-Book

Yélèna Vaugeois

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Beschreibung

Markus Olsen, qui a mystérieusement disparu à bord d’un navire de la flotte royale, transporte avec lui des passagers clandestins. Les Élus, survivants de la Bataille, émergent sur une île dévastée par le conflit. Cependant, l’heure n’est plus au repos. Soutenus par d’étranges alliés, il est temps pour eux de se remettre en chasse de leur adversaire. La situation est d’autant plus critique que Olsen ne dirige plus seulement une compagnie de mercenaires, mais commande désormais toute une armée royale. Sont-ils prêts à affronter une telle force ? Les Élus parviendront-ils à sauver les disparus avant qu’il ne soit trop tard ?


À PROPOS DE L'AUTRICE 


Autrefois une vague idée dans son esprit, Yélèna Vaugeois décide de créer l’univers du récit Les épreuves élémentaires pour offrir aux lecteurs un monde nouveau dans lequel ils pourront facilement se plonger et s’imaginer y vivre.

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Seitenzahl: 520

Veröffentlichungsjahr: 2023

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Les épreuves élémentaires

Tome II

Roman

© Lys Bleu Éditions – Yélèna Vaugeois

ISBN : 979-10-377-9945-6

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122- 5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122- 4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335- 2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Ceci est une œuvre de fiction.

Toute ressemblance avec des personnages, lieux, organisations ou évènements existant ou ayant existé ne serait que purement fortuite.

Prologue

02/06/1900

Archipel du Void

Milieu de la nuit

La terre se met brutalement à trembler et force les combattants à s’éloigner. Le fort s’effondre subitement, dans un fracas de pierre et de poussière. La guerre laisse place au silence.

Les combattants se regroupent près des décombres, oubliant qui est l’ennemi et l’allié, à la recherche de quelques malheureux survivants. Certains poussent des pierres, pendant que d’autres s’enfoncent sous les ruines.

Les hommes se relaient pour tenter de sortir des corps. Au détour d’un tas de briques, une main se dresse. Les gens la soutiennent et la poussent vers la sortie. Un homme à la peau hâlée et aux cheveux noirs s’étale sur le sol et toussote difficilement. Une autre femme sort des décombres et s’agrippe du mieux qu’elle le peut aux deux autres.

Sans accepter l’aide des autres, ils se penchent de nouveau vers les décombres et tirent un dernier corps. Le jeune homme à la peau hâlée porte le corps inanimé de son ami. Le blessé est posé sur une civière et transporté d’urgence à l’hospice, créé en début de soirée. Les deux femmes se serrent dans les bras et regardent le blessé disparaître dans les nuages de fumée.

La pluie commence lentement à tomber et vient laver les visages des combattants exténués. Certains s’efforcent d’éteindre l’incendie. Des flammes ont ravagé l’archipel, brûlant d’innocentes victimes prises au piège.

Un homme hurle dans la nuit, forçant les derniers survivants à se retourner. Au loin, voguant sur l’océan, un bateau de la flotte royale s’éloigne du port. À son bord, le puissant mage et ses derniers fidèles.

S’ils ont tous compris, ils se retiennent bien de se l’avouer : le combat qu’ont mené les quatre loyaux élus est vain : le marquis s’est enfui avec à son bord, des passagers clandestins.

Chapitre 1

02/06/1900

Duché des de Bellecour

Début de matinée – Heyden Alby

L’infirmière m’offre un verre d’eau, avant de se retourner vers Amalia. Je bois difficilement et finis par m’allonger sur la couchette de fortune. Je me tourne dans tous les sens, mais ne parviens pas à trouver le sommeil. Mon esprit est embué par les derniers événements.

D’un côté, notre attaque s’est soldée par un échec cuisant : Markus Olsen s’est enfui, comme un lâche. Au moins, nous pouvons toujours nous réjouir : nous avons détruit son fief. Certes, il est toujours vivant, mais il est parti.

De l’autre côté, je suis extrêmement préoccupée par l’état de santé de Sebastian. Quand les flammes ont envahi le souterrain, le sol s’est effondré. Un pan de mur s’est écrasé sur Sebastian, qui a eu beaucoup de mal à ressortir. Nous l’avons tiré de toutes nos forces et sommes parvenus à trouver une issue.

Malgré notre rapidité, ses jambes ont été écrasées par les débris. Je doute qu’il puisse remarcher un jour. Je doute même qu’il survive dans les jours qui viennent. Mais si je commence à désespérer de sa situation, il n’a aucune chance de revenir. Nous devons le convaincre qu’il n’aura aucune séquelle, au moins jusqu’à ce qu’il soit suffisamment guéri, pour accepter la vérité.

Et puis, je ne cesse de repenser aux révélations d’Avraen : Lisa. Ma petite sœur est décédée dans les bras de mon ami, parce que j’étais plus occupée à faire la guerre qu’aller la sauver. Je n’avais qu’elle ; et désormais, je n’ai plus personne.

Je ne peux pas considérer mon père comme un membre de ma famille. Il y a bien longtemps que je ne l’ai pas vu. De toute manière, je doute même qu’il se souvienne de moi.

Il a sombré dans la folie, peu de temps après le décès de ma mère, en 1885. Deux ans plus tard, des soldats sont venus le chercher. Le duc Eronn avait reçu une missive de l’enquêteur en charge de l’affaire : toutes les nuits, un homme agressait les passants, hurlant des propos incompréhensibles.

Après plusieurs semaines d’enquête, ils ont découvert que c’était Austen Alby. À l’âge de sept ans, j’ai été placée dans l’orphelinat de la Mère Houlart ; une vieille femme, à la soixantaine, grande adepte du silence. J’ai passé trois ans chez elle, jusqu’à ce que la comtesse de Sainte Augustine vienne me chercher.

〰〰〰〰〰

Je finis par me réveiller d’un mauvais rêve. Le soleil est à son paroxysme dans le ciel, où j’aperçois encore des fumées grises. Le foyer incendiaire aurait atteint une grande partie de l’île. L’église, les ports, les demeures… tout a été détruit dans l’affrontement.

Une question s’impose à moi et me taraude rapidement. Désormais, qui est à la tête de l’archipel ? Même s’il est aux mains du roi, le duc était chargé des lieux. Maintenant que le duc, le comte et le marquis ne sont plus là, cela devrait être le baron Lucius aux commandes.

Étant donné qu’il n’est pas présent non plus, cela devrait être son fils : Sebastian. Ce même Sebastian, qui se bat pour rester en vie. Et comme lui n’a pas d’enfant, l’archipel n’a pas d’autorité directe.

Quoique selon la hiérarchie royale, après Sebastian, cela devrait être Simon, qui est mort. Puis Chryzalis, qui est bien trop faible pour un tel pouvoir. Et enfin, Amalia. Bien que ce soit une femme, elle est vicomtesse et la seule demoiselle de haute-cour qui soit toujours en vie et présente sur l’île.

Toutefois, j’ai cru comprendre qu’elle avait abandonné son titre de noblesse il y a quelques semaines. Ma foi, j’espère qu’elle voudra bien prendre les choses en mains.

Je me redresse et m’habille en silence. Avraen et Amalia se sont couchés dans le même lit, pendant que notre ami est entouré par plusieurs médecins, qui tentent tant bien que mal de le soigner. Je crains vraiment le pire : en plus de ses jambes, il doit aussi combattre le coup qu’Eronn lui a porté.

Sa poitrine se soulève difficilement et des spasmes lui parcourent le corps à chaque fois que quelqu’un le touche. J’espère sincèrement qu’il va s’en sortir. Je ne sais pas ce que nous deviendrons s’il mourait. Nous sommes déjà séparés depuis notre sortie des décombres, si en plus l’un de nous y laisse sa peau…

Quant à moi, je n’ai été blessée que brièvement au visage et aux bras, rien de bien douloureux. Et même si j’avais mal, je ne supporte pas de rester allongée dans mon lit, au chaud et au calme alors que des victimes payent pour nos actes.

Nous avons lancé cette guerre. Ce n’est pas à la population de reconstruire la ville et d’enterrer les morts.

〰〰〰〰〰

Je marche dans les décombres de l’église avec prudence, à la recherche des personnes qui y avaient trouvé refuge. La pluie s’est stoppée il y a quelques minutes, ce qui nous permet de mieux travailler. Aidée par deux gaillards, je soulève un bloc de pierre et le jette plus bas, près de ceux qui chargent les débris jusqu’à l’orée des bois.

Quand j’ai pénétré l’enceinte de la ville, les habitants se sont tous retournés vers moi, comme s’ils savaient qui j’étais et ce que j’avais fait. D’abord réticents, ils ont fini par sourire lorsqu’ils ont compris que je venais faire pénitence.

Un bras ensanglanté apparaît devant moi. Délicatement, je soulève la roche afin de découvrir la catastrophe. Une mère porte son enfant dans les bras. Elle est morte en le tenant fermement, avant que l’église ne s’écroule sur elle. La pauvre mère était au cœur du bâtiment.

J’approche la civière et tire doucement sur leurs corps inanimés. Un adolescent s’accroupit près de moi et attrape le petit garçon, lui aussi décédé. Déposés dans les bras l’un de l’autre, je regarde les deux corps s’éloigner et être amenés près du grand bûcher.

Voilà donc d’où venait la fumée que j’ai aperçue de l’infirmerie. Une décision fut prise dans la journée : pour éviter la propagation des maladies, les corps devaient être brûlés.

Nous nous éloignons de l’église et passons à une taverne. Le silence, ponctué par les efforts des derniers habitants, est soudainement brisé. Le feu a presque tout détruit, épargnant juste le clocher. D’ici, j’aperçois un gamin aux haillons déchirés qui fait sonner les cloches. Le bruit se répand dans toute l’île, rappelant à quel point nous allons vivre de bien sombres jours.

Je ne me sens plus à ma place. Si tout cela est arrivé, c’est ma faute. J’étais la première à insuffler l’idée de tuer Olsen. Nous étions au bal de Raven, quand j’ai prononcé ces mots. Même si nous avons mené cette guerre à plusieurs, si je n’avais rien dit, rien de tout cela ne se serait produit.

Lisa, Simon, Alex, Joshua, Aureum, les mentors… ils seraient tous encore vivants. D’ailleurs, je ne sais même pas si Eleazar va bien. Depuis notre arrivée à Napol, je l’ai perdu de vue. Je sais qu’Adelaïde est restée dans le bateau de la flotte royale, en compagnie de quelques soldats de Bekvir, qui étaient chargés de protéger les innocents.

Une pensée s’envole vers les trois filles et le petit garçon. Sebastian ne le sait pas encore, mais un marin aurait envoyé Syana et ses deux sœurs ainsi que Marcel se réfugier dans un bateau.

Markus aurait pris ce même navire, pour prendre le large. Quel est son but, quels sont ses intérêts ; pourquoi les avoir gardés ? Une seule pensée me vient : la vengeance. Quoiqu’il en soit, quand Sebastian l’apprendra, il essaiera de les retrouver, ce qui est tout à son honneur.

〰〰〰〰〰

À la fin de soirée, je rentre après des heures éreintantes, passées à déblayer les débris. Lorsque je pénètre dans le dortoir de fortune, mes deux amis me dévisagent, comme s’ils avaient vu un fantôme.

Je ne prends pas la peine de leur parler et m’enferme dans une salle d’eau, où je fais chauffer le bain à l’aide de mes dernières forces. Le reflux des vaguelettes enlève la crasse de ma peau et la rend douce. Mes cheveux reprennent de la couleur, au même titre que mon corps s’apaise.

Chapitre 2

03/06/1900

Infirmerie

Matin – Amalia de Sainte Augustine

Amalia,

Je t’écris ces quelques lignes, avant de repartir travailler dans les décombres de la ville. À cause de l’attaque que nous avons menée, il y a eu de nombreux blessés ; mais également, des morts.

Toi aussi, tu dois affronter de lourdes pertes. Même si je n’ai pas de mots encourageants et que je parais froide, je tiens à te présenter mes plus sincères condoléances pour ta famille.

Comme tu as dû le remarquer, tous les hommes de la haute-cour sont morts. Eronn était à sa tête, Olsen est parti, ton père est décédé, le père de Sebastian a disparu depuis des années, Simon a été tué, Chryzalis n’est pas en état et Sebastian se bat pour rester en vie.

Tu es la dernière de l’ordre à avoir un semblant d’autorité sur cette île. Alors si tu trouves le courage de te redresser, je pense sincèrement que tu devrais écrire une lettre au roi. Demande-lui, – le temps qu’il faudra – si tu peux prendre les commandes de l’archipel, afin de remettre les choses en ordre.

Enfin, si vous avez le courage, une aide serait la bienvenue. La capitale est ensevelie sous les décombres. Nous avons terminé avec l’église et la taverne, mais il reste tant de parcelles à déblayer, tant de corps à découvrir.

Comme personne n’a pris de décisions, le prêtre Lavallée a autorisé des hommes à allumer un bûcher, afin d’honorer les disparus. Une messe aura lieu chaque soir, pour soutenir le deuil.

Tu devrais peut-être passer, un soir de cérémonie, afin d’honorer ceux que tu as perdus. D’ailleurs, si tu souhaites leur rendre un dernier adieu, ils sont sur la place.

Beaucoup se sont recueillis près de Charli ; tous m’ont confirmé qu’il était un grand homme, charmant et respectable.

Je ne doute aucunement de leurs mots, Amalia.

Sangh écume l’île afin de trouver les derniers corps. Quant à moi, je serai dans les commerces de la capitale. Si jamais vous passez me voir, donnez-moi des nouvelles de Sebastian.

Bien à toi,

Heyden Alby

〰〰〰〰〰

Je dépose la lettre sur mes genoux et inspire l’air maritime qui s’infiltre dans le dortoir. Je n’ai pas pu fermer l’œil de toute la nuit, à cause de mes pleurs. J’étais si fatiguée que je crois m’être évanouie de fatigue.

Heyden a raison, nous devons nous relever de cette défaite douloureuse et prendre les choses en main. Ce n’est pas terminé : notre but est d’éliminer Markus. Notre première tentative a échoué, alors nous essaierons une seconde fois. Et cette fois-ci sera la bonne.

J’attrape un parchemin propre et rédige ma lettre en pesant mes mots. Je ne veux pas que le roi me pense profiteuse d’une situation dramatique. Encore une fois, mon amie dit vrai.

Quelqu’un doit prendre la tête de l’archipel. Si Chryzalis était en état, c’est à elle que reviendrait cette tâche. Néanmoins, elle est plongée dans un songe de douleur, tourmentée par la disparition de ses filles et la perte de son époux. Heureusement, elle ne connaît pas le visage de son assassin.

Je sors lentement de la chambre et regarde par la fenêtre. Les gens s’activent là, au-dehors, et s’efforcent de retrouver la vie qu’ils avaient avant notre intervention. La lettre me glisse des mains en même temps qu’une poignée de larmes coule à nouveau sur mes joues.

Je m’enferme dans la chambre et me jette sur le lit. Je ne peux pas, je n’ai pas encore assez de force. Le soleil est levé depuis plusieurs heures, mais je préfère me reposer, encore un peu. Je ne suis pas prête à affronter les regards des gens. Je tenterai à nouveau demain.

〰〰〰〰〰

La scène se rejoue à l’infini devant mes yeux, sans que je puisse intervenir. Je revois l’attaque des deux mercenaires, qui nous ont soudainement sautés dessus. Alors que nous sommes au galop, elle et moi manquons de tomber lorsqu’ils se dressent devant nous, juchés sur leurs destriers.

L’un d’eux esquisse une parade dans ma direction, que je pare avec facilité. Le temps que je me retourne, ils essaient de s’en prendre à mon amie.

Sorti des fougères, son cri transperce le chaos ambiant. Il se place devant nous et pare les attaques des mercenaires avec peine. De sa main libre, il nous fait signe de fuir. Nous repartons au galop, en direction des autres.

Dans un dernier espoir, je me retourne au moment fatidique : un agrippe sa tête alors que l’autre lui tranche la gorge. Je hurle mon désespoir et tente de le rejoindre. Elle m’attrape le bras et me force à continuer vers nos amis.

Je ferme les yeux et subitement, le cauchemar recommence. Les deux sortent du bois et tentent de nous tuer. Il nous défend et nous fait quitter les lieux. Alors que je me retourne, un homme lui tranche la tête. Je ferme les yeux et la scène se joue encore, et encore.

〰〰〰〰〰

Il me caresse gentiment et me chuchote des mots calmes. Je me redresse lentement et m’allonge contre lui en pleurant. Il me berce doucement et pose sa tête sur moi. Je ne sais pas combien de temps j’ai dormi, mais je suis tout autant épuisée qu’avant.

Est-ce qu’un jour, je pourrais m’endormir sans le revoir ?

Chapitre 3

05/06/1900

Dortoir

Matin – Avraen Letos

Je dépose la couverture sur ses épaules et sors discrètement. J’ouvre la porte de l’infirmerie et m’approche du lit de notre ami.

Des poches se sont formées sous ses yeux ; son cœur se soulève difficilement et peine à résister. Je pose une main sur ses jambes et ferme les yeux. Il a besoin d’une aide magique, il a besoin de Marie. C’est la seule qui pourra le sauver. Peu importe qu’il perde l’usage de ses deux jambes s’il reste en vie.

Je m’assieds sur le petit tabouret et le regarde longuement.

— Bonjour Sebastian, c’est Avraen. Je sais que tu m’entends. Je ne vais pas te déranger longtemps. Je passais prendre de tes nouvelles. Je vais m’occuper de Rosalis, le temps que tu reviennes. Ne t’inquiète pas pour ta jument, elle est entre de bonnes mains. Sois fort mon Ami, tu peux résister.

〰〰〰〰〰

J’observe les vagues de loin, en caressant l’encolure de sa jument. Elle me donne des coups de tête et hennit désespérément, comme si elle savait que son compagnon de route n’était pas bien. Je panse sa robe noire et nettoie ses sabots, avant de la faire marcher un peu le long de la plage.

Nous sommes séparés. Heyden s’en veut terriblement de ce qu’il s’est passé et fait tout pour aider les habitants à reconstruire la ville. Amalia n’arrive pas à tenir quelques heures. Elle pleure toutes les nuits, en criant le nom de son frère. Enfin, Sebastian est entre la vie et la mort.

Nous ne sommes plus aussi soudés qu’avant. Cette attaque nous a fait des torts qui sont durs à réparer. Nous devons nous retrouver, maintenant plus que jamais. Olsen s’est enfui. Nous n’avons pas terminé avec lui.

Même si nous décidons de ne pas attaquer une seconde fois, lui le fera. Nous lui avons déclaré la guerre et je ne pense pas qu’il restera les bras croisés pour le restant de sa vie.

Si nos amies n’y parviennent pas, alors je le ferai. Je réunirai notre groupe.

〰〰〰〰〰

Je descends de Buki et accroche sa bride au poteau de bois. Sangh relève la tête et m’offre une poignée de main. Il nous a tant aidés depuis le début. Et puis, il a sauvé la vie de Sebastian pendant l’attaque. Il est arrivé au bon moment pour égorger Eronn ; alors que ce dernier menaçait de lui planter une épée dans le cœur.

J’attrape les pieds du cadavre et le soulève avec facilité. J’aide mon ami à le transporter jusqu’à la charrette, remplie de victimes, celles d’une guerre qui n’était pas la leur.

Le pirate ne parle pas et travaille seul, comme à son habitude. Bien qu’il vienne des mers et ne respecte que son code, il s’est démarqué par sa dignité et son honneur.

— Sangh.

— Quoi ? répond-il nerveusement, sans me regarder.

— Pourquoi nous aides-tu ?

— Qu’est-ce que tu m’chantes ?

— Ce n’est pas à toi d’effectuer ce travail.

— Alors, qui le fera ? Ces pauvres gens qui s’acharnent à déblayer les décombres en ville ? Je doute sincèrement qu’ils soient prêts à charrier des cadavres – peut-être même des proches – jusqu’au bûcher. Si personne ne le fait, ce sera pire.

— Je suis d’accord, mais pourquoi toi ?

— Tu penses que j’ai changé et que j’ai désormais de l’empathie ? Au diable, j’attends mon carrosse !

— Tu comptes repartir ?

— Oui. Je vous avais promis quelque chose et je crois que je l’ai tenu, ce qui est rare chez moi.

— C’est vrai, tu as tenu ta promesse. Et au nom de notre groupe, je te suis infiniment reconnaissant. Merci, Sangh ; merci pour tout, répondis-je finalement.

— Va voir ailleurs ! conclut le pirate, qui déteste les compliments.

— Une dernière chose, si jamais tu as besoin, appelle-nous.

Je talonne Buki sans un regard pour mon ami et trotte jusqu’à la ville, où je suis sûr de trouver Heyden. En entrant sous les remparts, je me stoppe soudainement. Je n’étais pas revenu ici depuis l’attaque.

L’église est détruite. Seul résiste le clocher, où un môme sourd fait sonner les cloches. Les bâtiments sont devenus des décombres, où ils s’efforcent de soulever les blocs de pierre afin de trouver des corps.

Une petite troupe passe devant moi, tirant des brouettes chargées de décombres. Ils marchent difficilement jusqu’à un carrosse reconverti en charrette, où ils les balancent.

À l’orée des bois, d’autres courageux se chargent de jeter les corps sur un immense bûcher, qui brûle depuis des heures. Sangh a raison, ils ne sont pas prêts à voir les autres. Ce dernier se dessine derrière moi et s’arrête près d’eux. Ils les aident à déposer les malheureux sur le sol, avant de remonter à l’avant de la voiture ambulante.

Un cri perce le ciel, suivi d’un second. Je lève la tête à temps pour percevoir nos deux phénix survoler la ville, à la recherche de l’un d’entre nous. Icarus plonge en piqué vers moi et se dépose sur l’encolure de mon étalon.

J’observe dans le petit sac de cuir accroché dans son dos, une lettre, avec le sceau de la famille royale. Je sais qu’Amalia n’a pas envoyé la lettre qu’elle avait commencé à rédiger. Serait-ce l’idée d’Heyden ?

Je patiente devant la porte, papier en main, qu’elle se décide à m’ouvrir. Heyden était introuvable et désormais, Amalia s’est enfermée dans une piaule plongée dans le noir et refuse de voir du monde. Bon, je dois bien prévenir quelqu’un. Je retourne m’asseoir près de mon ami et déchire l’enveloppe.

Chapitre 4

05/06/1900

Infirmerie

Milieu de l’après-midi – Sebastian Lucius

Mes chers Amis,

Quelle peine m’envahit en écrivant ces mots. Je suis désolé de vous savoir dans une telle position. J’ai appris qu’Olsen s’était enfui en bateau, avec à son bord, vos proches. Je suis peiné que vous ne soyez pas parvenus à ce que vous désiriez.

J’ai eu vent de votre lettre, lady Amalia, m’expliquant la situation politique de l’archipel.

Moi, le roi Junior de Lemia – fils du feu roi Gregor de Lemia et de feu reine Jadis de Lemia – ; autorise par la présente lettre, lady Amalia de Sainte Augustine – fille du feu comte August de Sainte Augustine et fille de feu comtesse Laura de Sainte Augustine – ; à prendre la tête de l’archipel du Void.

C’est à elle que tous devront obéissance et respect. C’est à elle que tous devront se soumettre personnellement. C’est à elle qu’il faudra se référer.

Mes plus sincères Salutations,

Roi Junior de Lemia

Palais de Lemia, Kwasta

Chapitre 5

06/06/1900

Capitale du Void

Début d’après-midi – Heyden Alby

Après avoir passé plusieurs jours à travailler jusqu’à très tard le soir, nous avons enfin fini. La ville est toujours détruite, mais les corps reposent en paix et les décombres ont disparu dans la mer.

Pendant que nous nous chargions de ça, les derniers soldats du Prince Yakov se sont occupés du port. Très tôt ce matin, Avraen et moi avons accueilli un bateau de la flotte avec à son bord, les meilleurs ouvriers de la cité royale. Ils nous ont présenté une lettre du roi en personne, leur ordonnant de nous venir en aide, afin de reconstruire notre ville.

Je profite de cet instant de calme pour déposer un bouquet de fleurs sur la tombe de Lisa. Avraen et moi avons travaillé toute la matinée, afin d’ériger des pierres tombales en terre cuite, adressées à tous nos morts. Nous en avons même fait une pour Aureum. Il me manque terriblement.

Non pas que ma petite sœur ne me manque pas… Bien sûr, je suis profondément attristée ; elle a créé un vide depuis qu’elle est partie. Mais j’aime croire qu’elle est dans un monde meilleur, où elle est traitée dignement. Je sais qu’Avraen était présente lorsqu’elle s’est éteinte. Je suis rassurée qu’elle soit partie avec mon ami.

Je rejoins mon ami sur les rochers de la plage, où il s’évertue de soigner Rosalis. La jument ne mange presque plus et a maigri depuis notre arrivée sur l’île. Je m’assieds sur la pierre et regarde les vagues qui s’étalent sur le sable.

— Heyden.

— Oui ?

— Tu vas bien ?

— Oui, je vais bien, merci Avraen. Comment vas-tu ?

— Je suis inquiet pour Amalia. Elle n’est pas sortie depuis des jours et je n’arrive pas à lui parler. Elle s’est enfermée dans une des chambres du duché et refuse pertinemment de m’ouvrir la porte. Je ne suis même pas sûr qu’elle mange ! Toutes les nuits, elle se réveille en hurlant, à cause de Charli. La première fois, elle a réussi à m’en parler, mais depuis, elle s’est muée dans un silence de plomb.

— Que s’est-il passé ? demandai-je d’une petite voix, incertaine de vouloir connaître la réponse à ma question.

— Quand Syana et elle se sont enfuies vers le port, elles se sont fait attaquer par des mercenaires. Charli est intervenu et leur a sauvé la vie. Les deux femmes ont été obligées revenir. Amalia s’est retournée, afin de s’assurer de l’issue glorieuse du combat. Malheureusement, elle a assisté au pire. Un homme tenait Charli par le crâne et l’autre l’a… L’autre l’a égorgé.

— Bon sang, c’est… terrible. Je n’imagine même pas la douleur qu’elle doit affronter.

— Je ne suis pas seulement inquiet par rapport à elle.

— Sebastian ?

— Heyden, il… il ne tiendra plus longtemps. Seul un miracle l’aiderait. J’ai beaucoup discuté avec ses médecins et ils sont unanimes : Sebastian ne va pas survivre. Au mieux, il finira par ne plus jamais marcher et souffrir de douleur toutes les heures. Au pire, il ne lui reste quelques jours.

— Que pouvons-nous faire pour le sauver ?

— J’avais pensé à Marie. D’après Sangh, elle a le pouvoir de guérison. Peut-être qu’elle pourrait l’aider un peu ? Et même si cela ne marche pas, elle pourra l’accompagner vers une mort plus douce.

— Nous devons la trouver.

— Je ne peux pas venir avec toi. Amalia a besoin de moi et elle m’a nommé à la tête de l’archipel hier soir. Ce papier est mon unique preuve qu’elle est toujours vivante, je ne peux pas l’abandonner. Tu vas devoir y aller toute seule.

— Elle ne sera pas seule, intervient une voix derrière nous.

— Sangh ?

— Je viens de recevoir une lettre de notre amie. Elle envoie un bateau me chercher, il arrivera en fin de journée. Si tu veux la voir, tu dois venir avec moi. Nous partirons en début de soirée. Une escale est prévue à Yal, le temps de plusieurs heures. Mes hommes et moi devons récupérer quelque chose. Nous arriverons au Cae dans deux jours. Ne sois pas en retard.

Nous le regardons s’éloigner au loin, partir comme il est arrivé discrètement. Le rire discret d’Avraen me fait tourner la tête vers l’horizon où il pointe du doigt une forme mouvante. Sang, accompagné par son fidèle destrier, est rejoint par un chien aux poils aussi noirs que les ténèbres.

— Ce chien-là s’appelle Nex. La première fois que je l’ai vu, nous étions à Yeru, après l’attaque des pirates à la cabane. C’était avant notre rencontre avec Marie. J’étais parti faire une promenade nocturne au village et je suis monté dans le grenier d’un bar. J’ai observé Sangh hurler après ses hommes, criant leur incompétence. À la suite de cela, je me suis dit qu’il valait mieux pour moi de revenir. Je traversais une ruelle mal éclairée quand Sangh est apparu derrière moi, perché sur sa jument. À ses pieds, il y avait ce chien aux babines dégoulinantes de bave, prêt à me sauter dessus. La suite, tu la connais. Maintenant que je le revois, je me rends compte que je l’ai déjà vu.

— Lors de ton combat ?

— Exactement. Je venais de sortir de la taverne et je marchais difficilement. Sur le chemin, je me suis fait attaquer par un chien noir, exactement le même. Au dernier moment, Sangh est apparu et a ordonné à son chien de me laisser tranquille. Il m’a relevé et m’a soigné, avant de me proposer un contrat au sein de la Confrérie. J’ai refusé, pour Hope, et c’est là qu’il m’a expliqué qu’à notre prochaine rencontre, il se ferait une joie de me mettre une raclée.

— Avraen, je ne te l’ai jamais dit, mais je suis désolée que tu aies à agir de la sorte.

— Me battre ? Ne t’inquiète pas, j’avais des connaissances. Et puis, vaincre un vieil homme alcoolisé qui ne voit plus que d’un œil, ce n’était pas si compliqué.

— C’est pour cette raison que tu as pris des coups ?

— Non. Les amis de mon adversaire m’ont tendu un piège. Alors que je reculais pour lui asséner un coup dans le ventre, ils m’ont agrippé les bras, permettant à l’autre de pouvoir me frapper sans difficulté.

— C’est de la triche !

— Heyden, c’était un combat illégal ! Il n’y a pas de règles, aucun code d’honneur. Si je l’avais voulu, j’aurais même pu le tuer ; mais j’aurais été recherché pour meurtre.

— Bon, viens avec moi. Je dois savoir quoi prendre pour mon voyage. Et je n’ai pas trop envie de partir toute seule. J’aurais aimé vous avoir à mes côtés.

— Je sais. Je fais tout ce qui est en mon pouvoir pour arranger notre situation. Mais entre Sebastian et Amalia, ce n’est vraiment pas évident.

Alors que je me redresse après lui, Avraen se retourne et m’enlace lentement. Nous restons ainsi quelques instants, profitant du calme offert par les bruits relaxants des vagues.

Un peu de douceur, dans un monde en danger ; je ne pensais pas cela possible aussi rapidement.

Chapitre 6

06/06/1900

Duché des de Bellecour

Fin de journée – Amalia de Sainte Augustine

J’ouvre la porte lentement et fais face à mon amie. Sans prendre le temps de me parler, elle m’agrippe le bras et me tire en dehors de ma bulle confortable. Elle me conduit jusqu’à l’infirmerie, où j’aperçois Avraen penché au-dessus du corps de Sebastian.

Non… pas lui. Il ne peut pas être mort ! Des larmes coulent sur mes joues sales, venant rattraper les autres. Je cours à ses côtés, prête à lui hurler de revenir.

Soudainement, mes deux amis se poussent et me laissent l’observer. Il respire toujours difficilement. Mais cette fois, il bouge. Il me fixe longuement, avant d’esquisser un sourire léger. Je l’enlace en pleurant de joie. Il est vivant !

— Sebastian, tu… Tu n’avais pas le droit !

— Excusez-moi, Mademoiselle… me répondit-il d’une voix enrouée.

— Tu es un idiot ! Tu m’as fait peur ! J’ai cru que tu étais mort !

— Il faut croire que mon heure n’était pas arrivée.

— Sebastian, commence Heyden en fixant mon ami, nous pensons que Marie pourrait t’aider. Je vais quitter l’île ce soir, avec Sangh. Le bateau doit arriver dans une vingtaine de minutes. Il faut que je parte, sinon Sangh ne m’attendra pas. Je te fais une promesse : je reviendrai.

— Merci, Heyden, chuchote-t-il en l’enlaçant délicatement.

— Soyez prudents, hurle Avraen, alors qu’elle passe la porte dans un dernier regard. Olsen pourrait envoyer ses hommes !

— Maintenant, dites-moi la vérité, ordonne notre ami, le regard perdu.

— Quelle vérité, Sebastian ?

— C’est mauvais, n’est-ce pas ?

— D’après les docteurs, tu avais peu de chance de pouvoir te réveiller un jour. Mais maintenant, je suppose que seules tes jambes te poseront un problème. Tu ne pourras plus marcher, avouai-je, en chuchotant tristement.

— D’accord. Ce n’est pas grave. Je trouverai une solution. Comme dirait Heyden si elle était encore là...

— Il n’existe pas de problèmes sans solutions, conclut Avraen, en prenant une pose imitant notre amie. Nous pourrions faire construire une selle adaptée à tes jambes ? Le roi a envoyé ses meilleurs artisans pour remettre la ville en état. L’un d’eux doit bien savoir comment faire une chose pareille.

— Oui, excellent, je vous remercie. Dites, qui est au pouvoir désormais ? Avec Eronn qui est mort…

— Moi, assurai-je, en posant mes mains sur les bras de mes deux amis, j’ai reçu une lettre du roi. Il m’autorise à prendre le contrôle. Jusqu’ici, je n’avais pas pu me lever. Mais te revoir me gonfle d’espoir. Nous ne pouvons plus nous morfondre, alors qu’Heyden traverse le monde pour te trouver de l’aide. Nous devons nous unir pour rester en vie.

— Pendant qu’Amalia prendra les décisions, je serai à la tête des travaux.

— Et que dois-je faire ?

— Toi, tu restes ici et tu te reposes. Nous avons besoin de toi vivant. Nous avons une mission à terminer. Et nous l’avons commencé à quatre, il est hors de question que nous la terminions à trois, ordonnai-je à Sebastian d’une voix ferme.

— À vos ordres, Madame !

— Avraen, assurai-je alors que le sommeil de notre ami refait lentement surface,nous devrions le laisser un peu se reposer. Nous passerons te voir, régulièrement. En attendant, reste avec nous.

— Je serais là, ajoute-t-il en fermant les yeux, plongeant dans un lourd sommeil.

Je retourne à ma chambre et m’assieds sur le lit. Je ne peux plus me morfondre sur ce qu’il s’est passé. Au contraire, je dois survivre pour honorer les sacrifices.

Je me redresse et tire les rideaux de la chambre. J’ouvre les deux fenêtres et inspire l’air frais du soir. J’ai une magnifique vue sur l’océan. Je tire les couvertures et refais le lit, puis m’enferme dans la salle de bain.

Je fais chauffer de l’eau tranquillement dans le bain. Je finis par m’asseoir face à la coiffeuse et commence à brosser mes cheveux emmêlés. Enfin, je me plonge dans l’eau et ferme les yeux. Je suis toujours triste, mais maintenant, je respire calmement. Je suis prête à prendre les choses en main, mais je vais devoir y aller doucement. Je dois prendre mon temps.

Je sors de ma chambre, habillée d’une robe et rejoins Avraen dans la grande cuisine du duché. Il a planté des panneaux sur toute l’île, invitant les habitants à se rendre au duché à la tombée de la nuit, afin de profiter d’un repas chaud. Des tables ont été dressées dehors, où les filles de la Mère Houlart s’évertuent de les dresser correctement.

〰〰〰〰〰

Malgré la situation à laquelle nous devons faire face, l’ambiance est détendue. Je fais quelques pas derrière ma table, avant de souffler à grand coup. Comment font les hommes pour parler à la foule ? J’ai déjà fait un discours, lors de notre seconde visite à Bekvir, afin de remercier les soldats de s’être portés volontaires.

Ce soir, parmi tous ceux qui étaient avec nous, seule une cinquantaine d’hommes est toujours vivante. Avraen attrape ma main et me tourne face à lui. Il prononce quelques mots encourageants, avant de me pousser au centre de la cérémonie.

Les conversations se tarissent et la population se tourne vers moi, attendant que je prenne la parole. En tremblant, je sors la lettre du roi et entame ma lecture.

Un silence pesant s’installe entre eux et moi, où tous me fixent comme une étrangère. Sentant mon malaise, Avraen se lève et marche dignement jusqu’à moi, avant de poser un genou à terre et de me promettre obéissance et respect.

Je me retiens de déposer un baiser sur ces lèvres et me redresse face aux autres. Je n’aime pas faire cela, mais ils n’ont pas le choix : ils doivent se soumettre à moi.

Lentement, une femme se lève et amorce un pas vers moi, prononçant le même discours qu’Avraen. Les autres font finalement de même, formant un cercle de respect autour de ma personne.

Me voilà dirigeante d’un archipel, obéissant encore plus qu’avant à la couronne et au roi qui la porte. Désormais, je lui réponds, tout comme ces gens répondent de moi.

Chapitre 7

07/06/1900

Duché des de Bellecour

Début de journée – Avraen Letos

Je rentre dans l’office et patiente derrière une file d’hommes, tous habillés en bleus de travail. Tout en parlant avec un homme brun, elle s’approche de moi et m’attrape la main. Elle m’attire à son bureau, recouvert de plans d’architectes.

Comme elle m’a nommée à la tête des travaux, elle veut mon avis avant de donner l’accord aux menuisiers. J’observe ma future femme du coin de l’œil, un sourire sur les lèvres.

Habillée d’une robe violine et de légères chaussures, elle affirme sa nouvelle position sociale. Alors qu’elle n’est au pouvoir que depuis quelques heures, elle a déjà dû régler trois conflits, une disparition et un vol, tout en gérant ses problèmes personnels et les plans des constructeurs.

Devant tous les hommes qui la dévorent des yeux, je m’assieds sur le bureau de chêne et pose une main derrière son dos. Elle se retourne vers moi, un grand sourire sur le visage et finit par déposer sa main sur mon bras. Je me retiens de rire et reporte mon attention sur le plan qu’elle me tend.

— Alors, dit-elle une fois que tous les autres furent partis, qu’en penses-tu ?

— Je pense que tu vas t’élever d’ici peu de temps et que tu vas leur prouver ta force sans peine.

— Merci pour le compliment, mais je te parle des plans, Avraen.

— Je n’ai pas pu les étudier correctement.

— Pourquoi cela ? demande-t-elle très sérieusement, un regard presque empreint de reproche.

— Disons qu’il y avait une femme, une magnifique femme. Elle perturbait toute ma concentration, il m’était impossible de détourner le regard.

— Avraen !

— Lui-même.

— Tais-toi donc ! Comment va Sebastian ? questionne-t-elle en s’asseyant sur mes genoux.

— Aujourd’hui, il a l’air d’aller bien. Il s’est réveillé ce matin quand je suis passé. Je l’ai aidé à manger et je lui ai parlé de notre allégeance. Il m’a demandé de te transmettre ses salutations et a promis de te faire sermon quand il irait mieux.

— Tu sais, tu n’étais pas obligé de le faire hier. Toi, tu n’es pas comme eux. Tu es avec moi, plus qu’un ami, tu es… mon futur époux.

— Comment ?

— Je n’ai pas oublié ta question, ce soir-là, quand nous étions à Voga.

— Amalia, je t’ai promis de t’épouser, mais je veux le faire dans les règles. Pouvons-nous attendre un peu ?

— Tant que tu n’attends pas autant que Josh…assène-t-elle, en se relevant. Bon, étudie ces plans et cesse de m’observer ainsi. Nous avons du travail à accomplir et il ne risque pas de se réaliser si tu ne fournis aucun effort !

— Je vous promets, Madame, de faire de mon mieux.

Elle me sourit sincèrement avant de se redresser au-dessus des plans laissés par les autres. Je commence à prendre des mesures, lorsque Rybak se présente à la fenêtre, une lettre au bec. Je déchire l’enveloppe en offrant une gourmandise au phénix. Heyden nous prévient qu’elle arrivera au Cae dans la matinée de demain.

Enfin, elle nous annonce que Khala et Tahu, les deux sœurs aux cheveux blancs de Bekvir, sont avec elle. Elles ont tenu à l’accompagner, d’une part pour voyager et d’une autre, pour protéger notre amie. Elles considèrent que leur mission n’est pas terminée.

〰〰〰〰〰

Je passe l’après-midi à évaluer les plans, dont certains que je mets de côté. Même si je suis conseillé par les ouvriers du roi en personne, je me dois d’avoir un maximum de connaissances sur les sujets qu’ils abordent avec moi. D’autant plus que j’ai été nommé contremaître par Amalia. Beaucoup de responsabilités pour un homme tel que moi.

Pour notre dîner, nous mangeons à deux dans l’arrière-cuisine, en discutant du lendemain. Si Sebastian a assez de force, je l’emmènerai se promener un peu. Un des menuisiers a accroché deux roues en bois à une chaise et y a ajouté des poignées, afin que l’on puisse le transporter. Je suis sûr que Rosalis et lui ont hâte de se retrouver.

D’ailleurs, d’après les conclusions médicales, Sebastian va de mieux en mieux. Il mange plus qu’avant, à moins de difficultés pour respirer et souffre un peu moins.

Toutefois, même si sa plaie à l’abdomen guérit lentement, ses jambes ne fonctionnent plus. Ils ont fait appel à un spécialiste afin qu’il détermine s’il pourra remarcher un jour. Et le médecin a été clair : il ne pourra pas. Espérons que Marie pourra faire quelque chose pour lui.

À la tombée de la nuit, je m’allonge dans le lit et fixe le plafond. Amalia se couche sur mon torse et pose une main dans la mienne. Je suis bien de cette façon, apaisé.

L’attaque est terminée, la vie reprend son cours et je suis vivant, tout comme mes amis. J’aimerais que cela dure longtemps, au moins jusqu’à ce que nous soyons suffisamment fort pour contre-attaquer.

Collée à moi, Amalia finit par s’endormir paisiblement. Je crois qu’elle n’est plus hantée par son cauchemar, même si elle se réveille parfois en sursautant. Je veux l’épouser, maintenant, dès demain. Nous ne devons pas perdre une minute de plus !

Nous ne savons pas de quoi sera faite notre vie d’ici quelques mois, et je ne compte pas les passer à me demander quand trouver le bon moment pour épouser mon seul et unique amour.

Chapitre 8

08/06/1900

Écuries

Tôt le matin – Sebastian Lucius

Je tends la main vers ma jument, qui hennit de joie. Je suis ravi d’apprendre qu’elle est saine et sauve, et en aussi bonne santé. Rosalis me donne de légers coups de tête, avant de tendre son encolure vers ma pomme.

J’attrape fébrilement la longe que me tend Avraen. Ma jument n’a même pas besoin que je l’appelle, elle nous suit sans problème. Nous marchons jusqu’à la plage, près des rochers du port. Mon ami me laisse seul, face au reflet des vagues.

J’inspire longuement la brise marine avant de fermer les yeux. Je n’ai qu’un vague souvenir de ce qu’il s’est passé. Je crois qu’Olsen a tué Aureum. Il a ensuite envahi la pièce de flammes bleues et s’en est suivi un effondrement, celui qui m’a aspiré.

Je n’ai aucun souvenir, à part celui d’une douleur constante, qui ne me quitte plus désormais. Je n’ai rien avoué aux autres, mais je suis complètement désemparé. Qu’est-ce que je vais devenir si je ne plus marcher ?

Je suis un soldat, destiné à servir et protéger, je suis vif et adroit. Assis dans ce fauteuil, je ne sers plus à rien. Je ne sais même pas si j’ai encore mes pouvoirs.

Je prends une grande inspiration et fixe la paume de ma main. D’abord lentement, une flammèche vient vers moi et entoure mon bras d’un silo indolore.

Ma pierre m’a grandement aidé, durant ma convalescence. Certes, je ne suis pas encore guéri, mais je suis réveillé et suffisamment en forme pour sortir.

Et je sais que mes dons m’ont aidé, tout autant que les médecins qui se sont occupés de moi.

〰〰〰〰〰

Avraen s’assied à côté de moi en silence, triturant le bouton de sa manche. D’une voix maladroite, il me révèle la vérité. L’espace d’un instant, mon cerveau n’y croit pas. Ce n’est pas possible, c’est faux… elles ne peuvent pas être avec lui ! Que fait-on encore là, à attendre que le temps passe alors qu’Olsen vogue vers l’inconnu, avec eux !

— Qu’attendons-nous ? Il faut partir à leur recherche, maintenant !

— Sebastian, tu n’es pas en état de voyager.

— Et tu crois qu’eux le sont ? Bon sang Avraen, il a enlevé Syana !

— Je sais, mais nous devons attendre.

— Attendre quoi ? Qu’il essaie de nous tuer ?

— Non Sebastian, nous devons attendre qu’Heyden revienne, intervient Amalia derrière moi. Écoute-moi, il a aussi pris mon petit-frère. Tu ne peux qu’imaginer à quel point je meurs d’envie de sauter dans le premier bateau et de partir les chercher. Mais cela ne rimerait à rien. Nous n’avons pas la moindre idée d’où ils sont.

— Et si Marie ne peut rien faire ?

— Alors nous partirons à leur recherche.

— Mais...

— Non, écoute-moi. Peu importe ce qu’il se passera. Nous serons tous les trois derrière toi et nous t’aiderons. Tu es notre ami et notre frère. Nous sommes une famille soudée. Alors nous allons attendre des nouvelles d’Heyden. Et si cela ne fonctionne pas, alors elle reviendra et nous parcourons le monde, jusqu’à ce que nous les trouvions.

— Et s’il les tue ?

— Alors nous le tuerons.

— La première tentative fut un échec. Regarde autour de toi, il n’y a plus rien sur cette île.

— Je m’efforce de la reconstruire, afin d’offrir à ces pauvres gens un avenir meilleur. Je te fais la promesse de t’aider à les retrouver. Mais pour l’instant, nous devons attendre. Nous finirons par trouver une piste.

Je détourne le regard et fixe l’horizon. Je sais qu’elle a raison, mais je ne veux pas me leurrer avec de faux espoirs. Je préfère me dire que Marie ne me rendra pas ma mobilité. Et si elle ne peut vraiment pas, alors je ferais tout ce qui est en mon pouvoir pour arranger les choses et m’assurer un avenir certain.

〰〰〰〰〰

Je m’allonge dans le lit de camp, aidé par plusieurs infirmières. L’ancienne salle de bal du duché a été convertie en hôpital de secours, pendant que les salles des étages au-dessus sont devenues des dortoirs.

Je sais qu’Amalia essaie de loger tout le monde, le temps que les ouvriers reconstruisent les maisons. Quant au château de ses parents, elle a ordonné que des ouvriers lui redonnent de la valeur, afin de le mettre en vente. Le duché va être remis en état, et ce sans l’accord même de la principale propriétaire. Tant que Chryzalis ne sera pas sortie de sa mélancolie, la propriété est au nom d’Amalia.

J’ai hâte de pouvoir remonter sur Rosalis afin de me promener. J’ai cru comprendre qu’Avraen avait demandé à un ingénieur de me construire une selle adaptée.

Chapitre 9

09/06/1900

Cryptes du Cae

Midi – Heyden Alby

Je lance inlassablement la même balle baveuse à Truffe, le chien de Mason, le pirate à l’œil de verre. Né aveugle, il parvient tout de même à me ramener la balle en se servant de son ouïe. Quant à Boni, il jacasse sans arrêt, me répétant des mots que lui a appris le pirate. Enfin, Édith, la vieille poule aigrie qui ne pond plus depuis des années, est nichée dans une vieille couverture, dans la roche des cryptes.

Mason est très bien accompagné avec ces trois-là. Ils sont insupportables.

Je suis arrivée hier, vers midi. Sangh m’a indiqué une chambre où je pourrais me reposer. En fin de soirée, je suis sortie et je suis tombée sur une fillette nommée Louise.

Je ne lui ai rien dit, mais je suis certaine qu’elle est le prochain corps de Marie. Dans mes souvenirs, la sorcière avait indiqué dans sa lettre qu’elle n’allait pas tarder à en changer ; c’est pourquoi elle avait adopté une orpheline.

Elle n’avait pas menti. Il est vrai qu’elle va changer du tout au tout.

Ses longs cheveux roux, sa peau blanchâtre et ses yeux gris vont être remplacés par une petite blonde aux yeux bleus. Quoiqu’il en soit pour l’instant, Louise vagabonde gaiement dans les cryptes et Marie est en voyage.

J’ai reçu une lettre d’Amalia, envoyée par Meetis, où elle m’expliquait que Sebastian allait de mieux en mieux, mais qu’il ne sentait toujours pas ses jambes. Je ne peux rien faire tant que la sorcière n’est pas là.

〰〰〰〰〰

Les deux sœurs aux cheveux blancs s’installent face à moi en riant. Lors de notre traversée en mer, j’ai eu l’occasion de parler avec Khala, la cadette. Nous avons sympathisé assez facilement. Elle est incroyablement douce, sous ses airs féroces. Des deux, Khala est la plus sociable. Tandis que Tahu m’a vite tourné le dos, la cadette est venue à moi, afin de faire connaissance.

Elles sont nées à Bekvir, de parents fermiers. Très vite, elles ont développé des capacités pour le combat et le maniement des armes. Au fil de leurs entraînements, Tahu s’est spécialisé en tant qu’archère et Khala, elle, est devenue lancière. Pour les avoir vu combattre, je sais qu’elles se débrouillent vraiment bien.

Elles ont pris la décision de m’accompagner ici sur un coup de tête. Nous étions sur le point de partir quand Tahu m’a demandé où nous nous rendions. Je lui ai parlé de la situation précaire dans laquelle se trouvait Sebastian et du fait que je comptais sur l’aide d’une puissante sorcière pour l’aider. Finalement, elles sont montées à bord pour « voir le monde ».

Elles avaient prévu de rentrer, mais lorsqu’elles m’ont vu partir, Tahu aurait murmuré qu’elles devaient m’accompagner. La raison : leur mission n’est pas terminée. Nous les avons engagés pour qu’elles nous aident à tuer Olsen. Ce dernier est toujours vivant, donc elles nous suivront jusqu’à ce qu’il soit mis hors d’état de nuire.

Sangh entre à son tour dans la pièce, accompagné par son molosse aux babines baveuses. J’ai cru comprendre qu’il s’appelait Nex. Ses poils courts et noirs rivalisent avec Truffe, un bâtard aux longs poils sales.

D’ailleurs, Nex ne trouve rien de mieux que de mordre l’autre chien, alors qu’il ne peut pas se défendre. Sangh passe derrière son chien et lui assène un coup de martinet.

Je finis par le rejoindre, un air désespéré sur le visage. Il n’a pas plus de nouvelles que ce matin. Lui non plus ne sait pas où est Marie, ni dans combien de temps elle compte revenir.

Nex darde sur moi ses yeux de chien fou. Alors que je quitte la pièce, un cri perce le calme des cryptes. Aurora se pose sur mon épaule, en roucoulant comme une colombe. La poule de Mason se redresse et se met à piailler après mon phénix. Elle prend de l’élan et saute sur le rebord d’une chaise.

Alertés par les cris des deux volatiles, Mason et Louise arrivent en courant. Nous nous réunissons dans la petite salle de pierre, en rond autour des deux oiseaux. Alors qu’Édith ne cesse de pépier, Aurora le fixe en clignant des yeux, comme s’il se moquait d’elle. Un fou rire gagne la petite fille, bientôt, suivie par les autres.

〰〰〰〰〰

En fin de journée, je rejoins les appartements de Marie, enfin rentrée de son étrange voyage. Elle a envoyé Mason me quérir. Je toque à sa porte et entre quelques secondes après. Je la laisse finir sa conversation avec la fillette et en profite pour observer sa suite.

J’y retrouve les mêmes couleurs que dans sa maison, à Yeru. Dans le coin droit de sa chambre, une immense lyre attend qu’on fasse vibrer ses cordes. Je savais que Marie jouait du piano, mais pas de la lyre. Je me demande quelles surprises elle me réserve encore ?

De l’autre côté de la pièce, un immense lit à baldaquin est recouvert par une couverture de laine orangée. Entre deux oreillers de plume, un ours en peluche cousu main est maladroitement assis. Il était dans le sous-sol du fief d’Olsen. Comment l’a-t-elle récupéré ?

Je suis Marie dans l’autre partie de sa suite, passant par une porte cachée dans l’armoire. Une immense bibliothèque longe le mur gauche. Au fond, une minuscule cuisine et un plan de travail où attendent deux tabourets de bois. Enfin, face à une magnifique cheminée en pierre blanche, un sofa beige où se repose un jeune chaton roux.

Je m’assieds à côté de celui-ci et fixe les flammes qui dansent devant mes yeux. La sorcière revient vers moi et me tend une tasse de thé, avant de prendre place dans son fauteuil noir.

Je lui raconte en détail les événements qui ont suivi notre départ de chez elle. Je lui retrace tout notre parcours : notre rencontre avec Yakov et Liroy d’Edern, notre recherche concernant la fontaine d’Aimée, la blessure d’Avraen, le bal de Raven, notre décision de mettre fin aux plans de son père, la découverte de son cœur originel, la mort de nos mentors et enfin, notre attaque. Je termine mon monologue, en lui parlant de Sebastian.

Elle se mure dans le silence, fixant la cheminée fermement. Je caresse les poils du chat en attendant qu’elle prenne la parole.

Finalement, au bout d’une dizaine de minutes, elle se lève soudainement et se dirige d’un pas indécis vers sa grande bibliothèque. Elle parcourt les allées des yeux avant d’attraper un gros grimoire marron, datant de plusieurs siècles.

Elle entame sa lecture, oubliant que je suis ici.

— Donc, pouvez-vous faire quelque chose pour l’aider ?

— Comment ? Oui complètement. C’est assez facile à vrai dire, je n’ai juste qu’à attraper la maladie et l’enfermer dans le corps de quelqu’un d’autre.

— C’est-à-dire ? demandai-je en déglutissant difficilement. L’enfermer ?

— Oui. Je vais attraper le mal qui ronge ton ami et le donner à une autre personne.

— Mais c’est injuste !

— Heyden, nous parlons de magie ! Il n’y a aucune règle, tant que nous respectons les âmes. Ne t’en fais pas, je ne vais pas refiler ce mal à un nouveau-né. Il me suffira de trouver un mourant. Personne ne le saura, sauf si tu décides de le leur révéler.

— Qu’attendez-vous de moi, en échange ?

— Qui te dit que j’ai besoin de toi ?

— Vous ne donnez rien par bonté. Que voulez-vous ?

— Tu vas m’aider à changer de corps.

— Je vous demande pardon ? Mais je n’ai pas la moindre idée…

— Je t’apprendrai. Va, j’ai besoin de calme maintenant.

Elle laisse paraître un sourire froid sur son visage, avant de me congédier d’une signe bref de la main.

Chapitre 10

10/06/1900

Liaba

Début de journée – Amalia de Sainte Augustine

J’avale la dernière gorgée de thé, avant de reporter mon attention sur le nouveau plan de l’église. Ils désirent récupérer les débris des bâtiments tombés pour la reconstruire autour du clocher. Je valide l’idée, en apposant mon cachet de cire au bas du parchemin.

J’attrape le livret de compte et l’ouvre à la dernière page usée. Je dois absolument vendre le château de mon père, et maintenant. J’ai envoyé des lettres à la cité royale, afin que la rumeur se répande plus rapidement.

D’après les ouvriers qui y travaillent, il sera prêt dans une semaine. Ils m’ont demandé de passer au plus vite, afin de donner mon avis. Ils l’ont rénové et ont enlevé toutes traces de combat.

Je ne suis pas sûre d’être prête à y passer. Je me remets lentement du deuil de ma famille. Je ne voudrais pas replonger dans le cauchemar vivant, où j’étais enfermée il y a quelques jours. Si le cœur le lui dit, je demanderais à Avraen de venir avec moi. Peut-être vais-je mieux supporter la visite guidée si je suis avec lui.

〰〰〰〰〰

Alors que la nuit est déjà tombée depuis une heure, Avraen toque à ma porte et entre discrètement, un plateau chargé de nourriture dans les bras. À la vue des assiettes remplies, mon estomac se met à gronder. Je souris et embrasse timidement mon amant avant de m’asseoir à côté de lui, au bout du grand bureau.

Rybak se penche subitement sur le rebord de la fenêtre, suivi de près par Meetis. Les deux phénix se chamaillent pour attirer notre attention. Je découpe un morceau de poulet et m’approche des deux.

— Amalia ? chuchote soudainement Avraen derrière moi.

Lorsque je me retourne, je me mure dans la surprise. Je n’y avais pas prêté attention lorsqu’il est entré. Il s’est rasé et a revêtu ses plus beaux habits.

La raison de cette mise en scène se joue devant mes yeux. D’abord silencieuse, j’observe son regard si précieux. J’ai découvert quelques joies de l’amour avec Josh, mais rien de ce que je n’ai vécu n’est comparable à ce que je ressens actuellement.

Je le fixe longuement et finis par sourire avec sincérité.

Chapitre 11

11.06.1900

Office privé

Alentours de minuit – Avraen Letos

Je profite qu’Amalia se soit levée pour mettre mon plan à exécution. J’ai passé la matinée à chercher l’objet idéal. J’ai porté mon attention sur un collier, où pend un anneau noir gravé de nos initiales.

J’étais très sérieux quand je lui ai parlé de mariage, et encore plus quand je lui ai promis de l’épouser.

Je l’appelle, au moment même où je pose mon genou à terre. Elle reste silencieuse un moment, avant de sourire avec amour. Elle avance doucement jusqu’à moi avant de s’accroupir au sol et de prendre délicatement le bijou.

Elle me fixe en essuyant une larme, avant de hocher la tête avec frénésie. Je souris fièrement et l’accroche autour de son cou, puis dépose un tendre baiser sur ses lèvres.

Comme par chance, la pluie s’abat doucement à l’extérieur. J’attrape sa main et la fais courir jusqu’au grand jardin. Nous rions comme deux fous en dansant sous les gouttes d’eau qui ruissellent sur nos visages.

Après une magnifique valse sans orchestre, je la prends dans mes bras et pose une main dans son dos. Elle pose sa tête sur mon épaule, avant de passer ses bras autour de ma taille.

— Comment allez-vous, Madame ?

— Merveilleusement bien, mon cher fiancé.

— L’attente n’était-elle pas trop longue ?

— Que vous êtes bête ! chuchote-t-elle, en me poussant doucement.

— Une chance, que vous ayez accepté, Madame…

— Et si… j’avais refusé ?

— Et bien, je suppose que je serais mort de honte.

— J’aurais aimé voir cela !

— Vous pouvez toujours avoir ce beau rêve. Riez, allez-y ! Ma vengeance sera terrible, susurrai-je dans le creux de son oreille, avant de l’embraser avec fougue. J’espère que vous n’êtes pas fatiguée, ma Dame. La nuit promet d’être longue.

— Il me tarde de découvrir ses surprises !

Je la conduis jusqu’à une des chambres du duché avant de fermer la porte derrière moi. J’éteins quelques bougies avant de m’allonger au-dessus d’elle et de l’embrasser fougueusement.

Pendant ce temps, elle déboutonne ma chemise d’une main experte. Je lui murmure des mots doux, auxquels elle réagit en riant discrètement. Avec une certaine appréhension, je passe une main sous sa chemise de nuit et remonte doucement. Elle ferme les yeux et me laisse agir, complètement sereine.

Une tension érotique s’installe entre nous, tension à laquelle nous répondons sans peur. Rapidement, nous ne faisons qu’un et brûlons d’amour l’un envers l’autre. Plongés dans une ambiance sensuelle, je reste toutefois à l’écoute de ses moindres désirs. Si elle veut arrêter, je dois me reculer et la laisser respirer.

Une délivrance s’empare de nous en même temps. Elle s’agrippe à mes cheveux pendant que j’enfonce mon poing dans l’oreiller.

Petit à petit, la chaleur redescend. Je joue avec ses cheveux bruns, tandis qu’elle s’enroule contre mon torse. Alors que la Lune est bien haute dans le ciel, elle souffle sur la bougie et nous plonge dans le noir.

Rapidement, j’entends sa respiration qui se détend. Je ne tarde pas à la suivre dans un sommeil léger.

Chapitre 12

11/06/1900

Jardins du duché

Matin – Sebastian Lucius

Tenu fermement par l’ouvrier et Avraen, je m’assieds sur la selle spéciale. Rosalis se relève lentement, comme si elle savait que j’étais encore faible. Une fois debout, les deux hommes attachent mes jambes le long du cuir et déposent mes pieds dans les étriers.