Les Femmes qui tuent et les Femmes qui votent - Dumas Alexandre - E-Book

Les Femmes qui tuent et les Femmes qui votent E-Book

Dumas Alexandre

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Beschreibung

En 1880 Alexandre Dumas fils publie ce texte très peu connu où il réclame l'accession des femmes à la vie politique. Deux extraits pour suivre sa pensée : « L'acquittement des coupables, prononcé par le tribunal, imposé par l'opinion, est-il juste ? Non. Mais ce qui fait l'acquittement de ces coupables arrêtés, c'est que la loi ne peut pas sévir contre les véritables coupables qu'elle couvre depuis trop longtemps, et que, ne pouvant pas appliquer la justice absolue, elle est condamnée elle, la loi, à n'appliquer que la justice relative, ce qui est bien près de l'injustice. »

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LES FEMMES QUI TUENT

ET

LES FEMMES QUI VOTENT

A JULES CLARETIE

20 août 1880.

Mon cher Claretie,

Vous avez publié le 24 août un long article dans le Temps, sur les derniers procès de mademoiselle Dumaire et de madame de Tilly. Cet article contenait à la fin les lignes suivantes:

Je m'attendais à ce que M. Dumas prit la parole dans ce vif et poignant débat. Il est le grand avocat consultant de ces causes saignantes, et je ne sais pas de président qui puisse résumer comme lui les faits de semblables procès et en déduire toutes les conséquences. Il doit s'applaudir d'avoir si hardiment et tant de fois soulevé de pareilles questions, lorsqu'il voit que la vie, sévère comme un problème de mathématique, en rend la solution de plus en plus nécessaire chaque jour. Sans doute la comédie est écrite, la Princesse Georges a tout dit; mais j'aurais voulu savoir ce que pensait de la comtesse de Tilly—cette princesse Georges au vitriol——le philosophe du théâtre contemporain.

Chose curieuse, quand cet article m'est arrivé de votre part, j'avais, de puis trois ou quatre jours, commencé le travail que vous attendiez de moi, et j'en étais juste à une phrase, que vous retrouverez dans cette lettre, où je parlais de l'auteur de la Princesse Georges. Il y avait là une sympathie manifeste, des atomes crochus visibles; aussi, je vous demande la permission de vous adresser et de vous dédier ce travail; ce me sera, de plus, une occasion de vous témoigner publiquement toute l'affection et toute l'estime que j'ai pour votre personne, votre caractère et votre talent.

Et puis, nous sommes tout à fait à l'aise pour causer ainsi de ce sujet, étant du même avis, car vous dites encore dans le même article:

Il y a eu, comme toujours débordement de sympathie pour les exécutrices; et les victimes, selon l'usage, ont semblé fort peu intéressantes. Il y a à ceta une raison morale; car cet enthousiasme pour la brutalité serait ironique s'il n'était que le produit d'une admiration malsaine pour les êtres qui, se plaçant au-des-sus de la loi, ont l'audace de se faire justice eux-mêmes. La raison de toutes ces acclamations saluant une meurtrière, c'est que la femme, décidément, n'est pas suffisamment protégée par la loi, qui est essentiellement et uniquement une loi mâle, si je puis dire. L'auteur de la Princesse Georges l'a fort bien montré, dramatiquement et philosophiquement à la fois, lorsqu'il nous présente l'épouse trompée s'adressant tour à tour à sa mère, c'est-à-dire à la famille, puis à la loi, c'est-à-dire à la société, pour leur réclamer une consotation ou un secours. De consolation, il n'y en a point; de secours, il n'en faut attendre de personne. Faut-il donc souffrir, éternellement souffrir dans son amour et dans son amourpropre, dans sa dignité de femme, dans la sécurité même de sa vie, car la ruine matérielle est possible après cette terrible ruine morale? Que faut-il faire, enfin?

Mais tout le monde ne pense pas comme nous, mon cher ami, et, pour tout dire, j'avais d'abord pris la plume pour répondre à un article d'un de vos confrères, M. Racot, lequel, dans le Figaro, exprimait des idées, sinon toutes contraires, du moins très opposées aux nôtres. Je fais donc, comme on dit, d'une pierre deux coups; c'est à vous que je m'adresse, et c'est à M. Racot et à ceux qui pensent comme lui que je réponds.

Votre confrère ne se contentait pas, lui, de parler de mademoiselle Virginie Dumaire et de madame de Tilly: il parlait aussi de madame Hubertine Auclert, et il paraissait même conclure, philosophiquement, contre cette dernière en faveur de madame de Tilly. C'était vif; mais il résumait quelques-unes des idées que j'ai émises dans la préface de Monsieur Alphonse, et l'enchaînement de son idée concordait parfaitement avec l'enchaînement des miennes. Selon moi, les femmes qui tuent mènent aux femmes qui votent. De là ce titre dont on a déjà fait dans la presse des jeux de mots que j'avais prévus; car, en annonçant la brochure à mon éditeur, je lui disais: «Recommandez bien à l'imprimeur de ne pas se tromper, et de ne pas mettre les femmes qui, etc.»

J'ai donc déjà eu, à ce propos, l'esprit de tout le monde, et je l'ai eu plus tôt; c'est d'un excellent augure. Un ami à moi m'a écrit pour me conseiller de supprimer au moins la seconde partie du titre; je n'en fais rien. Le titre prête à rire, tant mieux! cela le popularisera; et puis le rire est bon. D'ailleurs, nous trouverons encore, de temps en temps, l'occasion de rire, en route, je vous le promets. Si notre esprit ne nous suffit pas, la bêtise des autres nous viendra en aide.

Maintenant qu'on a bien ri du titre, entrons dans le sujet.

M. Racot, tout en s'étonnant et en s'alarmant de ces nouveaux symptômes d'abaissement dans l'ordre moral, ne conclut pas comme nous l'avons déjà fait, vous et moi, dans le passé; il reste toujours l'adversaire du divorce, et il demande, par exemple, ce qu'au point de vue de l'équité, de la justice et de la réparation, madame de Tilly aurait gagné à ce que le divorce existât. Il ajoute: «Supposons le divorce établi avant la scène du vitriol, le mari avait le droit de divorcer et était libre d'épouser la femme qui faisait le désespoir de la première.»

On peut avoir de très bonnes raisons personnelles, dans sa conscience, son idéal et ses traditions, pour être l'adversaire du divorce; mais il ne faut pourtant pas le combattre avec des propositions aussi facilement réfutables que celle-là, et nous ne pouvons, n'est-ce pas, laisser circuler cette première assertion, sans lui barrer le chemin.

Dans aucun des pays où le divorce existe, même en Amérique où il jouit de facilités exceptionnelles, la loi n'eût autorisé M. de Tilly à divorcer d'avec sa femme, et à épouser ensuite mademoiselle Maréchal. Si la loi sur le divorce même aussi étendue que M. Naquet l'a proposée, existait en France, aucun des articles de cette loi, si habilement interprété ou contourné qu'il fût par l'avocat le plus subtil ou l'avoué le plus retors, ne pourrait servir à un homme comme M. de Tilly pour répudier une femme telle qu'était madame de Tilly avant l'attentat qu'elle a commis, attentat que certaines raisons psychologiques peuvent expliquer, mais, disons-le tout de suite, qu'aucune bonne raison morale n'excuse, malgré cette sympathie un peu trop aveugle dont bénéficie la coupable et qui rentre dans ce que Lamartine appelait les surprises du cœur.

J'ajouterai: la loi sur le divorce existant,—pas plus après cet attentat acquitté par le jury, qu'auparavant,—M. de Tilly ne pourrait encore user du divorce, et, dans l'état actuel de la législation, il n'aurait même pas pu obtenir la séparation légale, puisqu'il n'avait rien à reprocher ni à la conduite ni au caractère de madame de Tilly comme mère et comme épouse, et qu'aujourd'hui même où elle est déclarée, sinon innocente, du moins non coupable, il n'aurait pas encore le droit ni de divorcer ni de se séparer. A la demande de M. Racot, voilà la réponse à faire, et le premier venu aurait pu la faire comme moi; elle est claire, simple, irréfutable.

L'erreur de M. Racot et de beaucoup d'autres de nos adversaires, vient de ce que, comme tous les partisans de l'indissolubilité du mariage, il aime à se contenter, un peu trop facilement, des arguments à l'aide desquels l'Église veut mettre les femmes de son côté. Elle leur dit, en effet, sur tous les tons, comme on peut le voir dans le livre de M. l'abbé Vidieu auquel j'ai répondu: «Le jour où le divorce sera rétabli, le mari pourra répudier sa femme quand bon lui semblera et contracter immédiatement d'autres liens.»

Non seulement il n'y a rien de vrai, mais il n'y a rien de possible dans une pareille assertion, et il faut toute la candeur et toute la confiance de la foi féminine pour la croire et la propager. Si le divorce avait existé, non seulement M. de Tilly n'aurait pas pu s'en servir contre sa femme, mais c'est madame de Tilly qui aurait pu s'en servir contre lui, au lieu d'en arriver, comme moyen suprême de garantie, à l'action lâche et dégradante qu'elle a commise. Elle aurait demandé une protection à la loi, au lieu de demander une vengeance à l'acide sulfurique, et le Code l'eût libérée d'un mariage qu'elle ne méritait pas, au lieu de la libérer de la prison qu'elle avait bien méritée. Je m'arrête là. Je n'ai nulle envie de recommencer une croisade pour le divorce. Il sera toujours temps, si cela est nécessaire, de reprendre la parole quand le projet sera discuté à la Chambre. Mais, si les crimes, les catastrophes de toute sorte, nés de l'indissolubilité du mariage, continuent dans la progression signalée par les dernières statistiques, la question aura fait toute seule de tels progrès, qu'il n'y aura plus besoin de rien dire et que la nécessité de la loi sera péremptoirement démontrée par les faits.

Mais nous sommes en vacances, les questions politiques sont momentanément ajournées, la controverse centrale n'existe pas, le gouvernement se promène et se repose; sénateurs et députés sont éparpillés sur les routes; gens du monde et bourgeois sont à la campagne, aux bains de mer, aux eaux; nul ne se soucie, en apparence, des questions d'ensemble, et chacun se contente, en lisant son journal, au grand air, des nouvelles du jour, des accidents de chemin de fer, des assassinats et des éboulements. Pour moi, tout au contraire, ce moment me semble toujours opportun pour soulever certaines discussions et tâcher de faire pénétrer quelques idées soi-disant subversives ou tout au moins paradoxales dans des esprits et des consciences non influencés par leur milieu habituel et disposés à la conciliation par une digestion lente et réparatrice. Pour parler sérieusement, la solidarité des intérêts, des passions, des habitudes, des traditions, des compromis, des ignorances est rompue; le grand seigneur, le millionnaire, l'homme du monde, le bourgeois, le fonctionnaire, l'employé, le rentier, le négociant redeviennent, par quarante degrés de chaleur, des hommes à peu près semblables les uns aux autres, dégagés de l'influence des groupes sociaux auxquels ils appartiennent, et, en se reposant en face de la nature, dont l'impassible éternité les domine, ils sont, individuellement et à leur insu, accessibles à ces mêmes idées dont ils se seraient indignés quelques semaines auparavant. Il y a certainement alors une détente, un laisser aller, une complaisance réciproque tenant à plus de bien-être, à plus d'espace, à plus d'horizon, à plus de santé. Les journaux eux-mêmes trahissent plus d'éclectisme; ils se montrent plus accommodants; les adversaires, du mois de février ou de mars, semblent tout près de s'accorder. «Après tout, entend-on dire çà et là dans les deux camps, après tout, ce républicain a du bon, ce libre penseur n'est pas si méchant qu'on le croit, dit l'un.—Ce curé de campagne a une bonne figure; cette petite église, ce petit cimetière sont bien poétiques et bien touchants, dit l'autre; est-ce qu'il n'y aurait pas moyen de concilier tout cela, les traditions du passé et les besoins de l'avenir, les souvenirs de l'enfance et la raison de l'âge mûr? Ce serait possible, certainement, s'il n'y avait pas cette question des jésuites! Je vous le demande un peu, qu'est-ce qu'ils ont contre les jésuites? Ce sont de très braves gens. Cer tainement il y a eu bien des abus, mais enfin tout pourrait s'arranger, avec quelques concessions mutuelles. C'est un peu la faute de M. Thiers. S'il avait voulu, à un certain moment, en 1872, on ne demandait que ça en France; mais aussi les d'Orléans ne bougent pas; et l'autre avec son drapeau blanc! Ah! sans ça, les choses se seraient arrangées! Ça aurait peut-être mieux valu. Nous verrons aux élections prochaines.—Moi, je crois que ça marchera bien. Ah! il fait bon! La belle journée!»

Eh bien, mon cher ami, ce moment de repos, de paresse, de façons de voir à la Pangloss, de justice inconsciente et d'indépendance d'esprit pour ainsi dire involontaire est tout à fait propice si l'on veut avoir quelque chance d'inculquer à tant de gens, ordinairement distraits, hostiles, ignorants, les idées que l'on croit vraies et utiles. La nature elle-même n'a pas d'autre procédé à l'égard du corps humain; elle lui communique, pendant cette même période, les éléments vitaux dont il a besoin pour se reconstituer et durer un peu plus longtemps. Or il en est du monde moral comme du monde physique: les lois de l'un sont enchaînées et implacables comme les lois de l'autre. A cette heure où je vous écris, le vent de la mer fouette les vitres de ma chambre, il soulève en même temps les flots et enfle les voiles de ceux qui savent se servir de cette colère apparente; il pousse sur le continent les vapeurs qui retomberont en rosée ou en pluie, il transporte et répand dans les champs des milliards de germes invisibles, fécondants ou destructeurs, selon la disposition particulière des sols où ils vont tomber; il fortifie les uns, et tue les autres; rien ne l'arrête ni ne le détourne; il fait ce qu'il a à faire, précipitant la mort de ce qui doit périr, créant, accélérant, prolongeant la vie de ce qui doit vivre. Il en est de même des idées. Elles partent d'un point de l'horizon et elles vont droit devant elles, fécondes pour les sociétés prêtes à les recueillir, mortelles pour celles qui les repoussent ou les dénaturent. Comment naissent-elles? D'où viennent-elles? Comment se fait le vent? D'où vient-il? Des attractions et des dilatations morales, du mouvement, de la pression, du va-et-vient incessant des esprits, créant ainsi des courants irrésistibles. Tout ce mouvement est une des conditions, une des lois de l'humanité, laquelle ne saurait rester immobile dans cet univers où tout se meut, évolue, se transforme et se combine autour d'elle. Tempêtes dans la nature, révolutions dans les sociétés, telles sont les conséquences immédiates et inévitables de la résistance inerte, inutile et finalement vaincue, à ces courants naturels traversant dans tous les sens le monde physique et le monde moral.

Une similitude entre les deux mondes me frappe encore, c'est celleci: Ces germes invisibles, transportés par le vent, prennent, un beau jour, une forme; la végétation se produit là où ils sont tombés; l'herbe pousse; l'arbre s'élève; la forêt s'étend. Même mécanisme pour les sociétés. Au bout d'un certain temps que des idées, nouvelles à première vue, (tandis qu'elles ne sont jamais que des phénomènes consécutifs d'autres idées antérieures et du même ordre), au bout d'un certain temps que des idées nouvelles sont répandues dans l'air, discutées, niées, repoussées par les mœurs et les lois des peuples routiniers, elles se condensent tout à coup en une réalité palpable et visible, pensante et agissante, elles prennent une forme humaine, elles deviennent une personne avec laquelle il faut compter parce qu'elle produit subitement son action matérielle et contradictoire à un état social incompatible. Bref, quand une idée doit vivre, elle se fait homme. C'est tout bonnement le mystère de l'incarnation.

Ceux qui haussaient les épaules ou qui pouffaient de rire quand cette idée était purement théorique, s'arrêtent étonnés et entrent bientôt en fureur, quand ils la voient en chair et en os, marchant à un but déterminé. On honnit d'abord ce précurseur, cet apôtre, ce prophète; on le tue souvent; mais il a fait immédiatement des disciples, il a suscité des croyants, des auxiliaires, des vengeurs, et la lutte commence. L'idée triomphe toujours, et, quand elle est enfin acceptée et consacrée depuis longtemps, quand elle est devenue officielle et banale, elle cherche à s'étendre encore, en raison de besoins nouveaux. On croit à une innovation quand ce n'est qu'une déduction logique et une conséquence fatale de l'idée première. Nouvelle résistance des masses stationnaires, nouvelle incarnation, nouvelle lutte: nouveau progrès. Si une idée ne produit pas son homme