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Désormais membre à part entière de la résistance, Aliénor n'a de cesse de contrer les manigances des Corbeaux. Espionnage, sabotage... tout est bon pour empêcher Rosalind et ses acolytes d'étendre leur influence sur la France. Quand elle n'est pas en mission, Aliénor doit gérer son quotidien de vivante. Car être une Élue n'empêche pas la jeune femme d'être confrontée aux mêmes problématiques que tous ceux de son âge. Son environnement change, ses relations avec ses amis évoluent et elle doit faire des choix cruciaux pour son avenir. Pour autant, Aliénor n'a pas oublié le passé. Il va revenir la hanter, la poussant à prendre des décisions qui seront loin de faire l'unanimité. A-t-elle raison de prendre autant de risques ? "La cérémonie" est le deuxième tome de la saga "Les Flammes de l'Ombre".
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Seitenzahl: 563
Veröffentlichungsjahr: 2023
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Du même auteur
Les Flammes de l'Ombre
La promesse
À tous les fantômes de mon existence
Chapitre 1
Chapitre 2
Chapitre 3
Chapitre 4
Chapitre 5
Chapitre 6
Chapitre 7
Chapitre 8
Chapitre 9
Chapitre 10
Chapitre 11
Chapitre 12
Chapitre 13
Chapitre 14
Chapitre 15
Chapitre 16
Chapitre 17
Chapitre 18
Chapitre 19
Chapitre 20
Chapitre 21
Chapitre 22
Chapitre 23
Chapitre 24
Chapitre 25
20 juin 2008
Aliénor déposa son stylo sur la table et consulta sa montre. Il était onze heures et dix-sept minutes. Cela faisait maintenant plus de trois heures qu’elle était concentrée sur l’énoncé de l’épreuve d’histoire-géographie du baccalauréat. Autour d’elle, les élèves étaient penchés sur leurs copies. Certains écrivaient avec application, d’autres mâchaient le bouchon de leur stylo et d’autres encore regardaient le plafond, en quête d’inspiration.
Aliénor observa les cheveux roux et bouclés de son amie Swann qui était installée quelques rangées devant elle. Une fois leurs copies rendues, les deux jeunes femmes avaient l’intention de célébrer la fin des épreuves du bac autour d’un déjeuner. Aliénor imagina pendant un instant le plat qu’elle allait manger avant de se rappeler que l’épreuve n’était pas encore terminée. Elle reprit son stylo et regarda à nouveau la carte du monde sur laquelle elle avait dessiné des flèches et inscrit des indications pour mettre en avant la puissance mondiale des États-Unis. Pendant un quart d’heure, elle compléta sa carte avec application. Elle relut ensuite le sujet d’histoire qu’elle avait rédigé, corrigeant parfois une formulation ou une faute d’orthographe.
Après cette dernière relecture, Aliénor rassembla ses stylos, attrapa sa copie et son brouillon, se leva et se dirigea vers le professeur qui surveillait l’épreuve. Swann avait déjà quitté la pièce quelques minutes auparavant, suivie par plusieurs autres élèves. Après avoir remis sa copie, Aliénor chercha son sac parmi tous ceux disposés devant le tableau noir. Elle rejoignit la porte sur la pointe des pieds. Une fois sortie, elle poussa un soupir de soulagement et traversa le couloir en direction de la cour du lycée.
Swann l’attendait, assise sur un banc, profitant de la légère brise de ce vendredi ensoleillé. Aliénor s’installa à côté d’elle, posant ses stylos et son brouillon sur le banc pour pouvoir ouvrir son sac. Swann attrapa la feuille de son amie et l’étudia attentivement. Elle esquissa un sourire en constatant qu’elle était tellement recouverte de dessins qu’il était presque impossible de lire ce qui était écrit dessus.
— Le pire dans tout ça, c’est que tu vas quand même avoir une bonne note, s’amusa Swann.
— Je l’espère, c’est quand même ma matière de prédilection !
répondit Aliénor tout en reprenant la feuille et la rangeant dans son sac.
D’un même mouvement, les deux amies se levèrent et quittèrent le lycée. Elles se dirigèrent vers le café où elles venaient parfois déjeuner, tout en continuant de discuter.
— Tu te rends compte, on est libres, s’enthousiasma Swann. Plus de révisions, plus de fiches, c’est terminé !
— Pas tout à fait, lui rappela Aliénor. Il y a encore le rattrapage.
— Oh ça, on s’en inquiètera le 4 juillet, quand on aura eu les résultats, déclara Swann avec désinvolture.
Aliénor était très loin de partager l’insouciance de son amie. Ses parents, Paul et Nathalie, avaient toujours été très stricts concernant sa scolarité et ils ne tolèreraient pas qu’elle échoue au bac. Comme souvent, Aliénor se fit la réflexion qu’ils agissaient avec elle comme si elle avait toujours onze ans. Swann n’avait pas la même relation avec sa mère, Kate. Toutes deux étaient très complices, elles pouvaient tout se raconter et Kate ne se formalisait pas d’une mauvaise note.
Voyant qu’Aliénor était plongée dans ses pensées, Swann reprit joyeusement la parole :
— Ali, arrête de stresser pour le rattrapage. On a bien mieux à faire, comme parler de l’Écosse !
— Ça a quand même un lien avec le bac, fit remarquer Aliénor.
Les deux amies avaient prévu de passer quinze jours en Écosse avec Kate au cours de l’été. Cependant, ce projet ne pourrait aboutir que si Aliénor et Swann obtenaient leur baccalauréat, Nathalie et Paul avaient été formels à ce sujet.
Aliénor rêvait depuis longtemps de ce voyage. Non seulement ce serait la première fois qu’elle voyagerait à l’étranger sans ses parents, mais en plus elle était impatiente de découvrir l’Écosse. Elle était fascinée par cet endroit qui était décrit comme une terre de mythes et de légendes, regorgeant de paysages à couper le souffle et de fantômes.
Aliénor n’était pas tout à fait étrangère aux fantômes. Lorsqu’elle avait onze ans, elle avait découvert qu’elle pouvait voir et communiquer avec les personnes décédées. Elle était ce qui s’appelait une Élue et possédait, outre la possibilité de voir les fantômes, la capacité de faire de la télékinésie et de rêver de scènes passées, présentes ou futures. C’était son plus grand secret, celui qu’elle ne partageait qu’avec une poignée de personnes, dont Swann et Kate puisque Kate était elle-même une Élue. C’était également la raison pour laquelle un tel fossé s’était creusé entre Aliénor et ses parents. Ces six dernières années, elle avait été forcée de leur mentir à de nombreuses reprises, cachant ses pouvoirs, puisqu’elle savait qu’ils ne les comprendraient pas et, pire encore, que cela pourrait les mettre en danger.
— Je sais, admit Swann. Mais il faut qu’on se prépare, au cas où.
La bonne humeur de la jeune femme était communicative. Aliénor se prit au jeu, imaginant les vastes étendues verdoyantes et les routes sinueuses.
— Tu sais ce que Kate a prévu concernant l’itinéraire du voyage ? demanda-t-elle.
La mère de Swann, qui avait vécu en Écosse quelques années, connaissait parfaitement le pays. Une grande partie de sa famille résidait sur place et elle y avait emmené Swann à de nombreuses reprises pendant les vacances scolaires.
— Elle ne m’a pas tout dit, indiqua Swann. Mais je sais qu’elle a prévu d’aller sur l’île de Skye. Je suis sûre que tu vas adorer. Aliénor posa de nombreuses questions à son amie, essayant de visualiser au mieux les lieux qu’elle lui décrivait.
Lorsqu’elles eurent terminé leur déjeuner, les deux amies retournèrent près de leur lycée où elles prirent le bus pour rentrer chez elles, tout en rêvant du jour où elles auraient enfin leur permis de conduire. Swann fêtait ses dix-huit ans le 21 juin et espérait pouvoir passer l’examen pendant le mois de juillet. Aliénor, quant à elle, devrait prendre son mal en patience encore quelque temps, puisqu’elle ne serait pas majeure avant la fin octobre.
Les journées s’écoulèrent lentement jusqu’à la date des résultats du baccalauréat. Aliénor ne savait plus si elle voulait que le jour fatidique arrive le plus rapidement possible, ou si elle souhaitait que les horloges arrêtent définitivement leur angoissant compte à rebours. L’Élue occupa son temps en dessinant, en lisant un guide touristique sur l’Écosse que lui avait prêté Swann, en répondant aux questions anxieuses de ses parents et en rêvant sans cesse qu’elle avait raté la totalité des épreuves.
Le matin du 4 juillet, Aliénor se réveilla en sursaut après avoir fait un cauchemar dans lequel elle se voyait rédigeant toute l’épreuve d’anglais en espagnol. Elle consulta son réveil et vit qu’il était sept heures trente. Les résultats du baccalauréat ne seraient affichés qu’à partir de quatorze heures, sur des panneaux disposés dans la cour d’un lycée rouennais.
Aliénor savait qu’elle ne parviendrait pas à se rendormir, elle était beaucoup trop nerveuse. Elle s’apprêtait à se lever lorsqu’elle entendit un bruissement caractéristique. L’Élue se figea, la main levée, prête à parer à toute éventualité. Elle se détendit instantanément en constatant que le fantôme qui venait de se matérialiser dans sa chambre était un homme d’une soixantaine d’années aux grands yeux argentés. Le défunt salua joyeusement Aliénor qui reposa sa tête sur son oreiller et ferma les yeux.
Le passage vers le plan de réalité des fantômes était l’un des pouvoirs que l’Élue maîtrisait le mieux, avec la télékinésie. En se concentrant sur le pendentif en pierre de lune qu’elle portait en permanence autour de son cou, Aliénor pouvait quitter son corps et devenait alors une version fantomatique d’elle-même qui se déplaçait en flottant et se transportait d’un endroit à un autre par la seule force de la pensée. Elle n’était cependant pas totalement un fantôme, elle respirait toujours et restait en permanence liée à son corps. Si celui-ci était blessé d’une manière ou d’une autre, l’Élue le ressentait aussitôt et devait le regagner au plus vite.
Aliénor s’éleva dans les airs avec aisance. Elle avait passé tellement de temps sur le plan de réalité des fantômes ces dernières années que cela lui était devenu aussi machinal que de marcher. Elle s’assit sur son lit, à côté de son corps, et regarda l’homme qui s’était installé face à son bureau. Il attrapa une feuille de papier et commença à dessiner sans se départir d’un petit sourire amusé.
— Tu es bien matinal aujourd’hui, grand-père, commenta Aliénor.
— Je me doutais que tu ne dormirais pas. J’ai des nouvelles.
— Les Corbeaux ?
Aliénor avait appris qu’elle était une Élue il y a un peu plus de six ans lorsque sa meilleure amie, Maxine, était décédée des suites d’une leucémie. Après la découverte de ses capacités, Aliénor était partie à la recherche de sa meilleure amie pensant, à juste titre, qu’elle était peut-être devenue un fantôme. Ses recherches lui avaient permis d’en apprendre davantage sur la façon dont les fantômes s’organisaient. Ainsi, Aliénor avait appris qu’il existait en France une monarchie des fantômes avec un roi régnant pendant cinquante ans.
Cette monarchie, portant le nom de Flammes de l’Ombre, avait pour but initial d’apporter un cadre aux fantômes, de leur donner un but dans une existence étrange et infinie. Une tâche était attribuée à chaque nouveau défunt pour que tous puissent cohabiter en harmonie. Mais, progressivement, la monarchie avait imposé de nouvelles règles bien plus restrictives aux fantômes. Ils étaient toujours plus contrôlés et une milice secrète avait été créée. Cette milice, appelée les Corbeaux, s’était vu attribuer les pleins pouvoirs pour faire régner l’ordre. Ses membres n’hésitaient pas à utiliser des méthodes peu recommandables pour arriver à leurs fins.
Michel, le grand-père décédé d’Aliénor, avait découvert les agissements de la milice alors qu’il travaillait pour la monarchie. Il avait commencé à lutter, de façon pacifique, contre les Corbeaux en créant la résistance normande. L’engagement de Michel dans la résistance avait pris une nouvelle tournure lorsqu’Aliénor avait été torturée par des membres de la milice. Accompagné de Kate, le fantôme n’avait pas hésité à prendre tous les risques pour sauver sa petite-fille.
Si Aliénor s’était retrouvée entre les mains des Corbeaux, c’est parce qu’elle avait découvert que sa meilleure amie Max était sur le point de signer le pacte qui la relierait pour toujours à la milice. Aliénor avait tout fait pour l’en empêcher, mais Max avait malgré tout fini par signer, poussée par sa grand-mère, Rosalind, un membre éminent de la branche normande des Corbeaux. Peu après l’adhésion de Max à la milice, Aliénor avait exprimé le souhait de rejoindre la résistance normande. Max et elle étaient désormais dans des camps opposés, elles étaient devenues ennemies jurées.
Les membres de la milice étaient liés par un contrat qu’ils ne pouvaient réfuter. Lorsqu’ils apposaient leur signature sur le livre du pacte, ils s’engageaient à remplir toutes les missions qui leur étaient attribuées sans poser de questions. S’ils ne respectaient pas leurs engagements, leurs proches vivants mourraient et leurs proches défunts disparaîtraient définitivement. Les Corbeaux portaient d’ailleurs la marque de leur appartenance à la milice sous la forme d’un corbeau noir tatoué sur leur avant-bras. Les proches de ceux qui avaient signé le pacte étaient, quant à eux, marqués par un corbeau blanc sur le plan de réalité des fantômes. Une façon de leur rappeler qu’ils étaient liés à la milice contre leur gré.
Aliénor passa inconsciemment la main sur la marque blanche de son avant-bras et regarda avec insistance son grand-père qui ne lui avait pas répondu.
— Non, rien à voir avec les Corbeaux, la rassura Michel. Je ne sais pas si je devrais t’en parler, en réalité.
— C’est bien le jour pour faire du suspense, marmonna Aliénor. Tu n’as pas oublié que c’est aujourd’hui que les résultats… Elle s’interrompit brusquement, une pensée lui traversant l’esprit.
— Ne me dis pas que tu les connais ! s’exclama-t-elle.
Michel lui adressa un sourire énigmatique. Aliénor flotta jusqu’à lui, fébrile, son estomac fantomatique noué.
— Il est en effet possible que je sois allé faire une petite promenade du côté de Rouen. Je n’y peux rien, je suis curieux, expliqua malicieusement Michel. Autant il était évidemment hors de question de t’aider pour passer les épreuves, autant je me suis dit que je pouvais peut-être t’éviter quelques heures de doutes supplémentaires. À condition que tu le souhaites bien sûr, sinon je peux me taire et te laisser découvrir ce qu’il en est par toi-même à quatorze heures.
Aliénor s’aperçut que ses mains tremblaient.
— Hors de question d’attendre !
— Tu vas devoir faire l’étonnée quand tu verras les résultats avec tes parents, lui rappela Michel.
— Peu importe, j’ai l’habitude de mentir.
L’Élue se dit qu’elle aurait tout de même beaucoup de mal à dissimuler sa déception devant Paul et Nathalie si son grandpère lui annonçait qu’elle n’avait pas obtenu son baccalauréat.
L’idée de passer une année de plus dans son lycée lui serra encore davantage l’estomac. Elle n’avait qu’une envie : ne plus jamais y remettre les pieds.
— D’accord. Tu es prête ? demanda Michel, amusé.
— Plus que prête ! s’exclama Aliénor. Je vais faire une crise cardiaque si tu ne me donnes pas vite la réponse.
Michel prit une grande inspiration.
— Je suis désolé… commença-t-il.
L’Élue eut l’impression que son estomac s’était transformé en pierre.
— … Tu vas devoir dire adieu à ton lycée, tu as ton bac !
annonça fièrement Michel en faisant un grand geste théâtral.
Aliénor poussa un cri de joie tandis que son grand-père la félicitait chaleureusement.
Après le départ de Michel, Aliénor alla prendre une douche, puis elle descendit au rez-de-chaussée en faisant semblant d’être stressée. Depuis trois ans maintenant, Constance, la sœur aînée d’Aliénor, ne vivait plus au domicile familial et l’Élue était donc seule avec ses parents. Elle remonta dans sa chambre dès qu’elle eut terminé son petit déjeuner et y resta toute la matinée, prétendant être de plus en plus nerveuse.
Après un rapide déjeuner, Nathalie, qui avait pris sa journée pour l’occasion, Paul et Aliénor montèrent dans la voiture.
Arrivés à Rouen, ils parvinrent facilement à trouver une place sur le parking du lycée et se dirigèrent d’un même pas vers la cour où étaient affichés les résultats. Ils croisèrent alors Kate et Swann qui venaient également d’arriver. Paul et Nathalie saluèrent froidement Kate et reprirent bien vite leurs distances tandis que Swann et Aliénor marchaient derrière eux.
— Tu as l’air drôlement sereine, fit remarquer Swann.
— Mais non, je suis stressée, mentit faiblement Aliénor.
La fille de Kate l’observa attentivement.
— Tu sais ! s’écria-t-elle.
Aliénor lui fit signe de parler moins fort.
— J’en suis sûre, tu as déjà tes résultats, chuchota précipitamment Swann.
Aliénor hocha la tête, esquissant un sourire radieux. Swann lui tapa dans le dos pour la féliciter.
— Tu feras l’étonnée, lui glissa l’Élue avant de rejoindre ses parents.
Dès qu’ils furent à proximité du panneau d’affichage, Paul, qui était professeur d’histoire-géographie, usa de toute son autorité pour se frayer un chemin jusqu’aux résultats tandis qu’Aliénor et Nathalie patientaient en retrait. Partout, des hurlements de joie ou de déceptions retentissaient. Paul revint vers Aliénor qui, prétendant toujours ne rien savoir, le pressa de parler.
— Tu as ton bac ! Et avec mention Bien, s’exclama-t-il.
Tandis que ses parents la félicitaient chaleureusement, Aliénor adressa un regard surpris à Michel qui l’avait rejointe quelques instants plus tôt.
— Il fallait quand même qu’il te reste un peu de surprise, sourit le fantôme.
Aliénor lui rendit discrètement son sourire avant de suivre ses parents jusqu’à l’endroit où étaient distribués les résultats détaillés et les dossiers scolaires.
Lorsqu’elle eut récupéré ses documents, l’Élue s’éloigna de la foule et elle remarqua qu’à quelques mètres de là, Kate serrait sa fille dans ses bras, affichant une expression ravie. Nathalie et Paul les virent également et ils vinrent poliment féliciter Swann qui tenait à la main son dossier scolaire.
Euphoriques, Aliénor et Swann comparèrent leurs résultats.
— Vingt sur vingt en anglais, bravo ! commenta joyeusement l’Élue.
— C’était trop facile, répondit modestement Swann. En revanche, ton dix-neuf sur vingt en histoire-géo, ça c’est génial !
Voyant que ses parents étaient à proximité, Aliénor se retint de répondre que l’histoire était une matière aussi facile pour elle que l’était l’anglais pour Swann. Il était en effet beaucoup plus simple de retenir des dates et des événements du passé lorsque l’on côtoyait constamment des personnes qui avaient réellement vécu ces moments et qui pouvaient les raconter dans les moindres détails.
Aliénor esquissa un sourire en songeant à Léonard, son ami de longue date. Ce dernier était né en 1636 et décédé sur un champ de bataille alors qu’il avait une vingtaine d’années.
Lorsqu’il avait découvert qu’il était revenu en tant que fantôme, Léonard avait décidé de consacrer son temps à l’étude de tout ce qu’il n’avait pas eu l’occasion d’apprendre de son vivant. Il avait suivi toutes sortes de cours, lu des centaines de livres et emmagasiné un nombre incalculable d’informations. C’était lui qui était parvenu à faire aimer l’histoire à Aliénor qui détestait cette matière par principe, à cause de son père. C’était aussi Léonard qui avait fait réviser l’Élue pour son baccalauréat.
Alors qu’Aliénor se disait qu’elle avait hâte de lui montrer ses notes et de le remercier pour son aide précieuse, elle le vit se matérialiser au milieu de la foule. Léonard lui adressa un petit signe de la main, puis il flotta au-dessus des élèves jusqu’au panneau d’affichage. Il lut attentivement les résultats puis il se tourna vers Aliénor et leva un pouce en l’air. La jeune femme se retint de justesse de lui répondre, se souvenant qu’elle était entourée de vivants.
Aliénor remarqua que Kate avait elle aussi remarqué la présence de Léonard et qu’elle lui adressait un sourire discret tandis qu’elle discutait avec le professeur d’anglais de Swann.
Léonard faisait lui aussi partie de la résistance normande, par conséquent il connaissait très bien Kate, à qui il sourit en retour avant de quitter les lieux.
Swann se pencha alors vers Aliénor et fit un signe de tête en direction de Paul et Nathalie qui étaient en grande conversation avec le directeur du lycée.
— Demande-leur pour l’Écosse, murmura la fille de Kate. Ils ne pourront pas refuser.
Aliénor hocha la tête avant de s’approcher de ses parents.
Elle attendit qu’ils aient terminé leur discussion et qu’ils se soient détournés du directeur pour prendre la parole :
— Ppa, Mman, vous vous rappelez, vous aviez dit que si Swann et moi avions notre bac… Nathalie échangea un regard amusé avec Paul.
— Nous te l’avions promis, déclara-t-elle. Alors, oui, c’est d’accord, vous pouvez partir en Écosse cet été !
Swann fit une petite danse de la joie en voyant Aliénor lui adresser un sourire rayonnant. Elle lui fit signe qu’elle l’appellerait bientôt afin de planifier leur voyage, avant de suivre Kate en direction du parking. Paul ne semblait en revanche pas pressé de partir. Il discutait désormais avec animation avec ses collègues, tandis qu’Aliénor patientait un peu plus loin avec sa mère. Soudainement, elles entendirent une exclamation derrière elles.
— Nathalie ! Ça fait tellement longtemps !
Aliénor et sa mère se retournèrent d’un même mouvement et découvrirent Isabelle Bayens, une ancienne collègue de Nathalie, qui leur souriait chaleureusement. Elle était accompagnée d’un jeune homme métis qui les dévisageait avec intérêt. Aliénor n’en crut pas ses yeux.
— Thomas ? demanda-t-elle avec une certaine incertitude.
— C’est bien moi, répondit-il en souriant. Comment vas-tu depuis tout ce temps, Aliénor ?
L’Élue était tellement surprise qu’elle mit un certain temps à répondre. Elle n’avait pas revu Thomas depuis la fin de son année de sixième, date à laquelle Isabelle Bayens avait décidé de déménager dans une autre région avec ses enfants.
Le jeune homme qui se tenait devant Aliénor ne ressemblait plus vraiment au petit garçon enrobé qu’elle avait côtoyé pendant son enfance. Thomas était désormais grand, la dépassant d’une bonne tête, et avait une silhouette athlétique.
L’expression de ses yeux bleus était en revanche la même que celle qu’il arborait lorsqu’il avait onze ans. Amicale, mais également emplie de doutes.
Se rendant compte que Thomas attendait toujours une réponse de sa part, Aliénor se reprit.
— Bien, et toi ?
— Très bien.
Le regard du jeune homme se posa sur le dossier scolaire que l’Élue tenait à la main.
— Félicitations pour ton bac.
Aliénor baissa la tête et constata qu’il tenait le même document.
— Félicitations à toi aussi.
Un ange passa. Les deux anciens amis se regardèrent en silence, mal à l’aise. Les derniers mois qu’ils avaient passés dans la même classe avaient été rythmés par la mort de Max et par de grosses disputes. Aliénor eut l’impression que les six années qui s’étaient écoulées n’avaient été qu’un rêve et qu’elle était redevenue la fillette perdue et triste qu’elle avait été à cette époque.
Sans le savoir, Nathalie vola au secours de sa fille en se tournant vers Thomas.
— Comme tu as grandi ! s’exclama-t-elle.
Thomas haussa les épaules et sourit, visiblement embarrassé.
— Vous devriez échanger vos numéros, ça vous permettra de rester en contact, ajouta Nathalie avec un air d’organisatrice de mariage.
Aliénor rougit et marmonna quelque chose d’inintelligible à sa mère. Mais Nathalie et Isabelle insistèrent tellement que les deux anciens amis finirent par sortir leurs téléphones de leurs poches pour noter leurs numéros respectifs.
D’excellente humeur, Nathalie se tourna vers Aliénor :
— Tu savais que Thomas allait aussi entrer à la fac de Rouen ?
L’Élue faillit rétorquer à sa mère qu’elle pouvait difficilement le savoir, puisqu’elle venait d’échanger trois mots tout au plus avec lui, mais elle se retient à temps. Thomas la fixait toujours avec un petit sourire.
— Je vais en fac de droit, précisa-t-il.
— Pour moi, ce sera la fac d’histoire, répondit Aliénor.
Paul les rejoignit alors et il échangea avec Isabelle et Thomas pendant quelques minutes. Aliénor et ses parents rejoignirent ensuite leur voiture et rentrèrent chez eux.
Le reste de la journée se déroula tranquillement pour Aliénor, qui avait l’impression de pouvoir enfin respirer librement après avoir retenu son souffle pendant des semaines. Elle dessina et échangea de nombreux messages avec Alexandre, l’un de ses meilleurs amis qui était un Élu et un membre de la résistance normande tout comme elle.
Alexandre avait deux ans et demi de plus qu’Aliénor, il avait passé son baccalauréat avec succès deux ans auparavant et il comprenait parfaitement le soulagement qu’elle ressentait après l’annonce des résultats. Les deux Élus convinrent de se rejoindre en fin de soirée chez Alexandre afin de célébrer ensemble la bonne nouvelle.
Aliénor avait l’intention de se rendre chez son ami sur le plan de réalité des fantômes, aussi lui donna-t-elle rendez-vous à minuit et demi. Elle savait que ses parents ne la laisseraient jamais aller seule chez un garçon, quand bien même il s’agissait d’Alexandre qu’ils connaissaient depuis des années.
Et, contrairement à l’Élue, Alexandre ne parvenait pas à se rendre sur le plan de réalité des fantômes. Ce n’était pourtant pas faute d’essayer, mais il n’avait jamais réussi à se détacher de son corps de vivant. Il excellait en revanche dans l’art de l’interprétation de ses cauchemars alors qu’Aliénor ne parvenait que très rarement à saisir le sens des siens.
Avant de retrouver Alexandre, Aliénor avait prévu d’aller dîner au restaurant avec ses parents, Constance et Gérald, le petit-ami de cette dernière. L’Élue rejoignit Paul et Nathalie au rez-de-chaussée et ils remontèrent dans la voiture. Tandis qu’ils prenaient la direction du restaurant, Aliénor songea à sa sœur.
Après avoir obtenu son baccalauréat avec mention, Constance avait décidé de se lancer dans une carrière scientifique. Son rêve était de faire de la recherche dans un laboratoire et elle avait suivi le cursus nécessaire pour y parvenir. Un an auparavant pourtant, Constance avait brusquement décidé d’abandonner ses études. Elle avait trouvé un emploi d’assistante dans un bureau rouennais et avait annoncé à ses parents qu’elle était désormais en couple avec Gérald, avec qui elle avait l’intention d’emménager.
Paul et Nathalie avaient eu beaucoup de mal à accepter tous ces changements. Ils avaient eu l’impression d’être soudainement mis à l’écart de la vie de leur fille aînée, qui ne les avait pas consultés avant d’interrompre ses études et de choisir la maison dans laquelle elle allait résider avec son petit-ami. Mais Constance rayonnait de bonheur depuis sa rencontre avec Gérald et Paul et Nathalie avaient fini par s’habituer à la situation, du moins en apparence. Aliénor, de son côté, estimait que sa sœur avait raison de suivre son cœur et de mener l’existence qui la rendait la plus heureuse. Ce qui dérangeait en revanche l’Élue, c’est le cauchemar étrange qu’elle avait fait avant de faire la connaissance de Gérald.
La nuit précédant leur rencontre, Aliénor avait en effet rêvé d’un homme qui errait dans les couloirs d’un hôpital. Il marchait lentement au milieu de l’agitation des urgences et regardait les patients affluer. Parfois, il se penchait sur un brancard et y déposait une rose rouge. Invariablement, la rose rouge faisait s’affoler les machines auxquelles était branché le patient. Imperturbable, l’homme poursuivait son chemin.
Aliénor avait été particulièrement déstabilisée lorsque Gérald lui avait été présenté le lendemain soir et qu’elle avait découvert qu’il n’était autre que l’homme de son rêve.
Évidemment, l’Élue avait conservé un visage impassible devant sa sœur et ses parents qui ne connaissaient pas ses pouvoirs. Mais, chaque fois qu’elle se trouvait en présence de Gérald, elle ne pouvait s’empêcher de se rappeler son cauchemar.
Une fois arrivés au restaurant, tous s’attablèrent et trinquèrent à la réussite d’Aliénor. Ils discutèrent de tout et de rien jusqu’au plat de résistance. Aliénor, qui était assise à côté de Constance, trouvait que sa sœur était particulièrement nerveuse. Elle ne cessait de lisser son chignon d’un geste absent et jetait régulièrement des regards à Gérald. L’Élue devina que sa sœur avait quelque chose à dire à Paul et Nathalie et qu’elle redoutait leur réaction. Comme pour lui donner raison, Constance profita d’une pause dans la conversation pour s’éclaircir la gorge :
— Gérald et moi avons quelque chose à vous annoncer.
Évidemment, nous sommes ravis d’être là pour fêter le bac d’Aliénor, mais nous nous sommes dit que c’était également le bon moment pour notre annonce.
Constance saisit la main de Gérald et lui adressa un regard d’adoration absolue qui mit Aliénor mal à l’aise. Paul et Nathalie attendaient, immobiles, réservant visiblement leur jugement.
— Nous allons nous marier, déclara Constance après avoir pris une grande inspiration.
Paul et Nathalie restèrent interdits pendant quelques instants puis, se reprenant, ils se levèrent pour féliciter leur fille et Aliénor fit de même. Gérald resta assis, impassible, souriant légèrement.
— C’est une excellente nouvelle ! s’exclama Nathalie d’une voix plus aiguë que d’ordinaire.
Toujours pragmatique, Paul interrogea Constance :
— Avez-vous prévu une date ?
Constance regarda à nouveau Gérald qui continuait de sourire.
— Le mariage aura lieu dans deux mois, le 30 août.
Paul et Nathalie échangèrent un regard interloqué.
— Si tôt ?
— C’était une surprise, répondit joyeusement Constance.
Nous avons déjà tout préparé, nous sommes fiancés depuis six mois. Mais nous voulions attendre d’avoir tout prévu avant de vous l’annoncer.
Paul et Nathalie firent bonne figure pendant le reste de la soirée, mais Aliénor voyait bien qu’ils étaient pris de court par la rapidité des événements.
Une fois rentrée chez elle et après sa visite à Alexandre, Aliénor resta un moment allongée dans son lit à réfléchir.
Elle était heureuse pour sa sœur et aussi, si elle était totalement honnête avec elle-même, un peu jalouse.
Aliénor avait conscience que ses pouvoirs d’Élue n’allaient pas faciliter la tâche pour qu’elle rencontre un jour quelqu’un.
Il avait déjà été compliqué de mentir à ses parents toute son adolescence, mais ce serait encore beaucoup plus difficile avec un éventuel petit-ami. Et si elle rencontrait quelqu’un et qu’elle décidait de vivre avec lui, comment pourrait-elle justifier toutes les heures qu’elle passait sur le plan de réalité des fantômes ? Ferait-elle assez confiance à quelqu’un pour tout lui révéler ? Et, pour en revenir à Constance, ne faisaitelle pas une erreur en se mariant si vite à cet homme qui n’inspirait aucune confiance à Aliénor ? Ou au contraire, Constance avait peut-être entièrement raison. Elle, au moins, elle ne se posait pas un millier de questions avant d’agir.
Aliénor finit par s’endormir, troublée par toutes les questions qui se bousculaient dans sa tête.
Une valise remplie de vêtements soigneusement pliés était ouverte par terre, en plein milieu de la chambre d’Aliénor.
Le départ pour l’Écosse était prévu le lendemain matin et l’Élue s’assurait qu’elle n’avait rien oublié tout en conversant à voix basse avec son grand-père.
— Tu crois vraiment qu’il pourrait se passer quelque chose ?
demanda-t-elle.
— Oui, confirma Michel. C’est trop calme depuis quelques jours.
Aliénor devait reconnaître que les inquiétudes de son grandpère étaient justifiées. Cela faisait maintenant plus d’une semaine que les Corbeaux se tenaient tranquilles, se contentant d’organiser des réunions dans leur quartier général. Cette attitude était pour le moins surprenante, la milice avait pour habitude d’être très active et ses membres restaient rarement aussi longtemps sans faire parler d’eux, d’une façon ou d’une autre.
— J’ai quand même beaucoup de mal à penser qu’un simple voyage de quinze jours pourrait les intéresser, fit remarquer Aliénor. J’ai déjà quitté le pays une fois avec mes parents quand nous sommes partis en Espagne et il ne s’est rien passé.
Les Flammes de l’Ombre exigeaient que tous les fantômes et les Élus, vivants et décédés, résidant sur le territoire français se signalent auprès d’un agent de la monarchie lorsqu’ils souhaitaient quitter l’hexagone. Cependant, l’appartenance de Kate et Aliénor à la résistance était de notoriété publique et Aliénor était certaine que personne ne s’attendait à ce qu’elles suivent les règles imposées par la monarchie. Elles ne l’avaient d’ailleurs jamais fait.
— Cette fois, tu ne seras pas avec tes parents, mais avec une autre Élue de la résistance. Votre départ ne passera pas inaperçu.
— Tu penses qu’ils pourraient nous suivre jusqu’en Écosse ?
demanda Aliénor, sceptique.
— Non, je suis presque certain que vous serez tranquilles une fois arrivées là-bas, répondit Michel. Ce que je redoute plutôt, c’est qu’ils tentent de vous empêcher de partir.
Aliénor imagina un instant les fantômes de la milice alignés devant la maison de Kate avec une herse disposée au sol. Elle ne put s’empêcher d’esquisser un sourire. Un doute soudain lui fit cependant rapidement perdre sa bonne humeur.
— Qu’en pense Kate ? demanda-t-elle.
— Elle est inquiète elle aussi. Nous avons donc envisagé la possibilité qu’un fantôme de la résistance assure une surveillance devant chez toi et chez elle aujourd’hui et que l’on vous accompagne à l’aéroport demain.
Aliénor s’efforça de dissimuler son agacement. Elle détestait quand Kate et Michel se concertaient en son absence et revenaient ensuite vers elle avec une proposition qui avait tout d’une décision ferme et définitive. Elle aurait voulu leur rappeler qu’elle savait se défendre et qu’elle avait passé l’âge d’être surveillée par un fantôme, mais elle s’abstint, ne souhaitant pas gâcher ses vacances en Écosse à cause d’une dispute.
— Si vous pensez que c’est vraiment nécessaire, marmonna-telle à contrecœur.
— Nous pensons qu’il vaut mieux être prudents, acquiesça Michel.
— Qui as-tu choisi pour moi ?
La question était moins innocente qu’elle n’y paraissait.
Michel était le coordinateur de la branche normande de la résistance et il décidait de l’affectation des fantômes aux différentes missions. En plus d’Aliénor, Alexandre et Kate, il avait sous ses ordres une dizaine de fantômes. Si Aliénor s’entendait très bien avec la plupart d’entre eux, elle avait beaucoup de mal à supporter Travis et Floor, deux fantômes en qui elle n’avait aucune confiance. Elle n’aurait pas aimé que l’un d’entre eux ait pour mission de la surveiller.
— J’ai demandé à Léonard, répondit Michel avec un sourire amusé.
Aliénor poussa un soupir de soulagement. Son grand-père quitta la pièce quelques minutes après lui avoir annoncé que Léonard et lui feraient la route avec elle jusqu’à l’aéroport le lendemain.
Contrairement à ce que pensait Michel, les Corbeaux ne firent pas parler d’eux au cours de la soirée et de la nuit.
Aliénor put boucler sa valise et écouter les nombreuses recommandations de ses parents avant d’aller se coucher. Elle se réveilla tôt le lendemain matin et Kate et Swann vinrent la chercher peu de temps après.
Le trajet se déroula dans le calme. Aliénor, installée à l’arrière de la voiture, discuta avec Léonard et Michel tandis que Kate et Swann écoutaient de la musique à l’avant. Une fois arrivées à l’aéroport Roissy–Charles-de-Gaulle, Kate, Swann et Aliénor déposèrent leurs valises et passèrent les contrôles de sécurité. Elles furent parmi les premières à s’installer dans la salle d’attente pour l’embarquement, toujours accompagnées des deux fantômes.
Alors qu’elles étaient assises depuis une demi-heure sur des sièges peu confortables, Aliénor eut l’impression qu’une petite alarme s’allumait dans son esprit. Inconsciemment, elle se redressa sur son fauteuil. Elle croisa le regard de Léonard qui se leva du rebord de la fenêtre sur lequel il était adossé et regarda attentivement autour de lui, se préparant à toute éventualité. Michel, qui était absorbé par la lecture d’un panneau d’affichage, ne remarqua rien, pas plus que Kate qui pianotait sur son téléphone et Swann qui lisait un livre.
Un instant plus tard, un bruissement retentit dans la salle d’embarquement. Aussitôt, Aliénor posa sa tête contre l’épaule de Swann comme si elle s’était subitement endormie et se concentra sur sa pierre de lune. Elle eut juste le temps de lever sa main fantomatique au-dessus de son corps et de générer un bouclier autour de son grand-père qui venait d’être visé par une boule d’énergie.
Aliénor s’éleva dans les airs et fit face à Max, son ancienne meilleure amie, qui venait de se matérialiser dans la pièce et de lancer l’attaque contre Michel. Elle fut rejointe par cinq fantômes qui arboraient tous le tatouage noir de la milice sur leur avant-bras.
Kate verrouilla brusquement son téléphone portable et feignit à son tour de s’endormir sur l’épaule de Swann qui poussa un soupir résigné. Impassibles, les six Corbeaux levèrent leurs mains à l’unisson et visèrent une fois encore Michel avec de nouvelles boules d’énergie. Le bouclier créé par Aliénor résista et, tout en continuant de l’alimenter, l’Élue contreattaqua. Elle fut rejointe par Kate qui se lança à son tour dans l’affrontement.
Rapidement, Aliénor entreprit d’isoler Max du reste du groupe de fantômes de la milice en lui lançant une série de boules d’énergie. Il en était toujours ainsi. Si Max prenait part à un affrontement contre la résistance normande et qu’Aliénor était présente, alors l’Élue se chargeait de détourner son attention.
Ce n’était pas uniquement parce que les deux anciennes meilleures amies avaient un vieux compte à régler l’une avec l’autre. C’était aussi et surtout parce que Max avait acquis des pouvoirs redoutables au cours des années qu’elle avait passé dans la milice. En plus de la télékinésie et de la possibilité de changer son apparence au gré de ses envies au lieu de conserver l’aspect qu’elle avait au moment de sa mort, elle était capable de faire disparaître les fantômes.
Lors de son décès, un individu était confronté à un choix inconscient. Il pouvait soit décider de revenir en tant que fantôme, soit choisir de partir pour de bon. Il n’y avait pas de retour en arrière possible. Du moins en théorie, car certains fantômes étaient capables de faire disparaître définitivement les fantômes contre leur gré.
Max n’avait jamais eu le moindre scrupule à utiliser ses pouvoirs et Aliénor était la mieux placée pour lui tenir tête parce qu’elle parvenait à anticiper la plupart de ses réactions.
Les deux anciennes meilleures amies se lancèrent dans un affrontement sans merci tandis que Kate maîtrisait les autres Corbeaux.
Voyant que ses acolytes étaient en difficulté face à la mère de Swann, Max esquissa une grimace agacée et riva son regard sur Aliénor :
— Alors comme ça on a décidé de partir en vacances, déclara-t-elle d’une voix dans laquelle perçait un mélange de jalousie et de dédain.
— Oui, j’en avais marre de voir ta tête tous les quatre matins, rétorqua froidement Aliénor.
L’Élue savait que Max essayait de recueillir des informations sur la résistance normande pour sa grand-mère. Mais Aliénor n’avait pas l’intention de lui donner ce qu’elle attendait. Elle préférait donc s’en tenir aux remarques acerbes. Du coin de l’œil, elle vit que Kate était parvenue à immobiliser les cinq Corbeaux.
— Je crois que tes copains sont dans une position assez inconfortable, ironisa-t-elle.
Un tic nerveux agita le visage de Max qui paraissait examiner mentalement les possibilités qui s’offraient à elle. Elle lança une nouvelle boule d’énergie à Aliénor qui la contra facilement. Le regard de Max changea et l’Élue comprit qu’elle venait de prendre sa décision. Elle généra un éclair qu’elle envoya à Aliénor avant de fermer les yeux et de quitter les lieux en faisant signe à ses troupes toujours immobilisées.
Dès qu’elle fut partie, Kate libéra son emprise sur les Corbeaux qui partirent à leur tour, suivant comme toujours aveuglément les ordres de Max.
D’un geste, Aliénor et Kate dissipèrent les boucliers qui les entouraient et Michel s’avança vers elles, adressant un sourire à sa petite-fille :
— Je suis le premier à te reprocher ton impulsivité Ali, mais je dois reconnaître que, parfois, ça a ses avantages. Merci de m’avoir protégé.
L’Élue rendit son sourire à son grand-père.
— Je suis quand même étonnée que Max soit partie si vite, fit remarquer Kate.
— C’est vrai, acquiesça Aliénor. C’était presque trop facile.
— Je crois qu’elle ne s’attendait pas à ce que vous ayez le temps de venir sur le plan de réalité des fantômes, indiqua Léonard. À voir son expression et celle des autres Corbeaux, je pense qu’elle espérait que vous seriez déjà occupées à embarquer. Ainsi, elle aurait pu attaquer Michel sans craindre une riposte.
— Rosalind risque de ne pas être contente de découvrir que son plan a échoué, commenta Aliénor.
Kate s’apprêtait à ajouter quelque chose lorsque Léonard regarda par-dessus son épaule et leur fit signe :
— Vous devriez regagner vos corps. L’embarquement a commencé.
Kate et Aliénor se retournèrent d’un même mouvement et constatèrent que les passagers formaient une file devant le personnel de bord qui scannait les passeports et les cartes d’identité.
Après avoir adressé un au revoir à Léonard et Michel, les deux Élues regagnèrent leurs corps respectifs.
— Ça va, vous n’avez rien ? demanda Swann en les voyant se redresser.
Tout en se levant, Aliénor la rassura et lui raconta à voix basse ce qu’il venait de se passer.
Le reste du voyage se déroula sans encombre. Aliénor avait choisi une place côté hublot et elle regarda avec émerveillement l’avion s’élever dans les airs, au-dessus de Paris. Lorsqu’il survola la Manche, laissant les côtes françaises derrière lui, l’Élue ressentit un grand soulagement. Enfin elle quittait cet endroit qui l’étouffait, dans lequel elle ne se sentait pas à sa place. Elle admira le relief des côtes anglaises et les champs parfaitement dessinés. L’avion poursuivit sa route vers le nord et le paysage changea, devenant plus sauvage, parsemé de collines et de montages. Enfin, il effectua un large demi-tour au-dessus de l’eau avant de se poser sur l’une des pistes d’atterrissage de l’aéroport d’Édimbourg.
Après avoir récupéré leurs bagages et les avoir déposés dans l’hôtel dans lequel elles allaient séjourner, Aliénor, Kate et Swann partirent explorer la ville. Le ciel était nuageux, mais l’air était doux et Aliénor savoura chaque instant de la visite, de la découverte du château d’Édimbourg posé tout en haut de son rocher volcanique, aux boutiques regorgeant de trésors de la célèbre Victoria Street qui avait inspiré tant d’auteurs.
Allongée dans son lit au soir de cette première journée en Écosse, Aliénor ne parvint pas à trouver le sommeil. Elle repensait avec émerveillement au Dean Village, ce village hors du temps à l’architecture si typique niché au creux de la ville et au Royal Botanic Garden, ce jardin botanique aux mille et une fleurs qu’elles avaient visité au cours de l’aprèsmidi. Après quelques minutes, Aliénor se concentra sur sa pierre de lune, quitta son corps et s’éleva au-dessus de la pièce en glissant lentement.
Elle se rendit sur l’esplanade du château d’Édimbourg et parcourut les rues peuplées de fantômes. C’était sans doute ainsi qu’elle aimait le plus découvrir un lieu, une fois la nuit tombée, lorsque les vivants avaient regagné leurs habitations et que la ville était rendue à ses défunts. Le brouillard était venu de la mer pour recouvrir la ville de mystère et Édimbourg apparaissait dans toute sa magie. Aliénor ne rentra à l’hôtel qu’une fois l’aube levée, plus que jamais sous le charme de la capitale écossaise.
Après deux journées à Édimbourg, les trois femmes récupérèrent la voiture qu’elles avaient louée pour partir à la découverte du reste de l’Écosse. Elles passèrent une journée à se promener le long de la rivière Clyde à Glasgow, puis se dirigèrent vers Fort William. Kate emprunta les plus jolis chemins, s’arrêtant même quelques minutes sur un petit parking sur le bord de la route pour permettre à ses passagères d’admirer les rives du Loch Lomond avec ses eaux grises et tumultueuses. Pendant tout le reste du trajet, Aliénor oublia de participer à la conversation, trop fascinée par le paysage qui défilait sous ses yeux.
Après trois heures de route, Kate se gara devant l’un des hôtels de Fort William. Accompagnée d’Aliénor et de Swann, elle alla à la réception puis gravit les escaliers de l’établissement à la recherche de leurs chambres respectives.
Ces dernières se trouvaient au second étage de l’hôtel et avaient une vue imprenable sur le loch et la colline qui le surplombait. À l’heure du dîner, les trois femmes se rendirent dans le centre-ville de Fort William. Elles rentrèrent ensuite à l’hôtel, bien décidées à se coucher tôt ce soir-là pour entreprendre l’ascension de l’impressionnante montagne portant le nom de Ben Nevis le jour suivant.
Aliénor se réveilla en sursaut quelques minutes avant la sonnerie de son réveil le lendemain matin. Elle venait de rêver qu’elle était enfermée dans une grande cage, totalement immobilisée. Un petit rouge-gorge était posé à l’extérieur de la cage, la regardant fixement. Après un certain temps, l’oiseau avait pris son envol et s’était éloigné sans se retourner.
Aliénor inspira profondément. C’était la première fois qu’elle faisait un cauchemar depuis qu’elle était arrivée en Écosse.
Elle essaya un moment d’en saisir le sens, mais n’y parvint pas plus que les autres fois. Tout ce qu’elle savait, c’est qu’une sensation funeste se dégageait indéniablement de ce rêve. L’Élue se leva tout en s’efforçant de chasser de son esprit les derniers vestiges de son cauchemar. Après avoir pris une douche, elle retrouva Kate et Swann dans la grande salle de l’hôtel pour le petit déjeuner.
Contrairement aux jours précédents, le temps était couvert et de la pluie était annoncée plus tard dans la journée. Les touristes étaient malgré tout nombreux, lorsque les trois femmes arrivèrent au point de départ de l’un des chemins menant au sommet de la montagne. En silence, elles dépassèrent ceux qui s’étaient arrêtés pour boire un café et traversèrent le pont menant au sentier.
Le chemin était sinueux, composé de gros cailloux qui formaient un escalier naturel irrégulier. Aliénor se concentra sur ses pas, oubliant souvent de regarder les nuages qui s’accumulaient en contrebas. Les grimpeurs et les touristes étaient disciplinés, chacun se saluant avant de retourner à son ascension ou à sa descente. Rapidement, la pluie commença à tomber, rendant la randonnée plus difficile. Après trois heures de marche, Aliénor, Kate et Swann arrivèrent, essoufflées, à la moitié de l’ascension. À cet endroit se trouvait une vaste étendue d’eau, le Halfway Lake.
Ou du moins c’est ce qui était indiqué sur la carte, car, autour d’elles, il n’y avait qu’un intense brouillard. La brume était tellement dense qu’elle semblait avaler les marcheurs et la température avait chuté de plusieurs degrés. Debout à côté du chemin, Aliénor tentait tant bien que mal de faire passer un point de côté. Elle était épuisée, déçue de ne pas voir le lac et se demandait si elles allaient vraiment continuer l’ascension.
Non loin d’elle, une femme d’une trentaine d’années vêtue d’un simple t-shirt qui laissait voir ses bras tatoués, d’un jean et d’une paire de baskets en toile, la regardait en souriant.
L’Élue se demanda comment elle faisait pour ne pas sentir le froid avant de réaliser qu’il s’agissait d’une fantôme. Elle la regarda s’approcher et ouvrir la bouche. À son grand étonnement, la défunte parla en français :
— Vous devriez continuer.
— Comment vous… s’étonna Aliénor.
— Je vous ai entendue parler il y a quelques minutes, expliqua la fantôme. Et je vois votre tête maintenant. Vous allez le regretter, si vous décidez de redescendre. Pas aujourd’hui, mais plus tard, c’est certain.
Aliénor ne put s’empêcher de se demander si la femme était décédée pendant qu’elle gravissait le Ben Nevis. Elle avait lu quelque part qu’il y avait régulièrement des accidents dans la montagne. Son interrogation dut se lire sur son visage.
— Le Ben Nevis ne m’a pas tuée, déclara la fantôme. Je suis morte en France, mais j’aimais tellement l’Écosse que j’ai décidé d’y revenir après mon décès et d’y rester. Depuis, je refais souvent cette ascension. Je dois d’ailleurs reconnaître que c’est beaucoup plus facile en flottant qu’à pieds.
Aliénor entendit la voix de Swann qui l’appelait quelques mètres plus loin. La fille de Kate voulait justement savoir si elle souhaitait s’arrêter là ou reprendre l’ascension. La trentenaire adressa un clin d’œil à l’Élue et quitta les lieux.
Aliénor indiqua qu’elle souhaitait continuer. Après une courte pause déjeuner, elles se remirent en route.
Le vent soufflait de plus en plus fort à mesure qu’elles approchaient du sommet. Aliénor trébucha plusieurs fois contre des cailloux et elle entendit plus qu’elle ne vit Swann et Kate faire de même. Après deux heures d’ascension, toutes trois parvinrent enfin au sommet, à bout de souffle.
Le paysage qui s’étendait sous leurs yeux était lunaire. Les cailloux étaient partout où leurs yeux se posaient et la neige recouvrait encore certains endroits. La brume était tellement dense qu’Aliénor distinguait à peine l’ancien observatoire, et encore moins la vue imprenable par temps clair sur les Highlands. L’Élue ferma les yeux un instant, s’efforçant de reprendre son souffle et savourant le sentiment d’accomplissement. Même si la vue n’était pas aussi dégagée qu’elle l’aurait souhaité, elle avait réussi, elle était parvenue à gravir cette montagne. La jeune femme se dit que la fantôme avait eu raison, elle avait bien fait de continuer.
Souriant malgré le vent glacial, Aliénor rejoignit Kate et Swann. Ensemble, elles s’amusèrent à prendre des photos pendant plusieurs minutes, se photographiant à tour de rôle près de l’ancien observatoire puis ensemble avec l’aide d’un touriste australien. Aliénor ressentit alors une impression de déjà-vu. Elle se remémora la façon dont elle avait gravi les marches du Mont-Saint-Michel et dont elle avait pris des photos avec Max sur la terrasse, bien des années auparavant.
L’Élue chassa vite ce souvenir de son esprit et se concentra sur l’instant présent.
Les trois femmes mirent quatre heures pour redescendre du Ben Nevis. Lorsqu’elles se réfugièrent enfin dans la voiture, elles étaient trempées de la tête aux pieds, malgré leurs vêtements imperméables et ne pensaient qu’à prendre une douche pour se réchauffer.
Après une fin d’après-midi passé à se reposer et une longue nuit de sommeil, Aliénor, Kate et Swann furent fin prêtes à poursuivre leur voyage. Aliénor savait qu’elles devaient partir pour l’île de Skye dans l’après-midi, mais elle ignorait en revanche le programme de la matinée. Tout au long du petit déjeuner, Swann afficha un petit sourire énigmatique, mais ne parut pas disposée à en dire plus.
— Tu verras quand nous y serons, déclara-t-elle lorsqu’Aliénor la questionna.
Les valises chargées dans la voiture, Kate démarra et prit la route menant, d’après les panneaux, à Glennfinan. Cette information n’aida cependant pas beaucoup Aliénor à se repérer. Elle ne connaissait pas les noms de la région et ne savait donc pas à quoi s’attendre. Après un court trajet en voiture, Kate se gara sur le parking d’une gare. Swann était surexcitée, elle consultait sans cesse sa montre et sortit de la voiture à peine le moteur éteint.
Au grand étonnement d’Aliénor, Swann, qui menait la marche et connaissait visiblement l’itinéraire par cœur, ne se dirigea pas vers la gare, mais vers un petit chemin pédestre en contrebas. L’Élue suivit son amie, intriguée. Alors qu’elles n’avaient parcouru qu’une centaine de mètres, Swann s’arrêta brusquement, leur faisant signe de se taire. Aliénor suivit son regard et constata avec stupeur qu’un grand cerf les observait avec curiosité. Il resta parfaitement immobile quelques instants puis se remit en marche, suivant le tracé du chemin.
Il semblait ouvrir la voie pour les trois femmes qui le suivirent en silence.
Aliénor marchait avec précaution. Elle craignait de faire un geste qui pourrait rompre le charme. Mais le cerf continua d’avancer, imperturbable. Au bout de quelques instants qui parurent durer une heure entière, l’animal releva la tête et partit se cacher dans les hautes fougères qui bordaient le sentier. Swann, Kate et Aliénor échangèrent un regard émerveillé, puis elles reprirent leur route, Swann consultant toujours sa montre.
Après une petite vingtaine de minutes de marche, Swann demanda à Aliénor de s’arrêter et de fermer les yeux. Elle la guida sur le chemin, l’aida à grimper sur le flanc de la colline, puis lui demanda de se retourner et d’ouvrir les yeux. En contrebas s’élevait un grand viaduc en pierre contrastant avec les collines verdoyantes.
— Attends encore un quart d’heure et tu sauras pourquoi nous sommes venues, annonça fièrement Swann.
Autour d’elles, de nombreux touristes arrivaient à leur tour, se plaçant comme elles face au viaduc et sortant leurs appareils photo. Aliénor avait l’impression d’avoir plongé à pieds joints dans un décor de contes de fées. Soudainement, Swann lui donna un coup de coude et désigna un point droit devant elle, au pied de la colline leur faisant face. Un train à vapeur rouge et noir venait d’apparaître, crachant sa lourde fumée blanche. Aliénor oublia de respirer tandis que le Jacobite Steam Train amorçait sa traversée du viaduc. Arrivé au niveau de la large courbe de l’édifice, le train klaxonna à deux reprises puis il poursuivit sa route, caché par la végétation. Seule sa fumée persistait, comme pour assurer à Aliénor qu’elle ne venait pas de rêver.
Une fois le train passé, Kate, Swann et Aliénor firent le chemin en sens inverse et prirent la route en direction de l’île de Skye. Après avoir traversé le pont menant à l’île, elles arrivèrent sur la façade nord. Le paysage avait changé, les montagnes étaient encore plus imposantes, dénuées de tout arbre. Des moutons erraient dans les vastes étendues désertiques ou sur la route. Les trois femmes posèrent leurs valises dans un hôtel de Portree, la ville principale de Skye, et partirent à la découverte de l’île pendant quatre jours. Elles firent une grande randonnée jusqu’à l’imposant rocher emblématique de l’île, le Old Man of Storr, se baignèrent dans les eaux cristallines de piscines naturelles au pied de la montagne et admirèrent les châteaux rocheux qui surplombaient de verdoyantes vallées. Aliénor se fit la réflexion qu’il n’était pas surprenant que certains des lieux qu’elles avaient visités portent des noms féériques, une atmosphère irréelle régnait sur cet endroit à nul autre pareil.
Le dernier soir avant de quitter l’île de Skye, Aliénor décida d’utiliser à nouveau sa pierre de lune. Une fois sur le plan de réalité des fantômes, elle se rendit sur un petit plateau naturel surplombant le Old Man of Storr et resta un long moment assise à admirer les étoiles. Avec peu de pollution lumineuse, elles semblaient plus nombreuses et plus proches que jamais et se reflétaient dans les vastes étendues d’eau comme dans un miroir.
Un bruissement avertit l’Élue qu’elle n’était plus seule. Elle généra un bouclier et une boule d’énergie qu’elle dissipa en constatant qu’il s’agissait de la version fantomatique de Kate.
— J’étais certaine de te trouver là, déclara-t-elle en souriant.
— Je ne pouvais pas partir sans avoir vu ça, répondit Aliénor en désignant d’un grand geste le paysage étoilé qui s’étendait à ses pieds.
— C’est une nuit magnifique.
— Dans un endroit sublime.
Aliénor se tourna vers Kate :
— Merci de m’avoir permis de découvrir l’Écosse. Je n’oublierai jamais ce voyage.
La mère de Swann s’installa plus confortablement.
— Je vois bien à quel point cet endroit te plaît. Je me posais d’ailleurs une question. Pourquoi ne viens-tu pas étudier en Écosse ? Il y a d’excellentes universités ici.
Aliénor poussa un profond soupir, le regard perdu dans l’immensité du paysage.
— Ne crois pas que je n’y ai pas songé, confia-t-elle. Mais je ne peux pas.
— Pourquoi ? Je suis persuadée que tes parents pourraient comprendre si tu insistes.
— Mes parents peut-être. Mais il y a la résistance, les missions.
Ce serait égoïste de ma part de partir alors qu’il y a tant à faire pour contrer les actions de la milice.
— Tu sais, nous parvenions à nous débrouiller avant que tu n’intègres l’équipe, fit remarquer Kate. C’est aussi vrai pour Alexandre, d’ailleurs.
Aliénor s’était attendue à cette réponse. Kate s’était toujours efforcée de les tenir éloignés des missions les plus périlleuses, elle et Alexandre. La jeune femme savait que la mère de Swann agissait ainsi parce qu’elle voulait les protéger, Kate disait souvent qu’ils avaient mieux à faire à leur âge que de passer leurs soirées à essayer de déjouer les plans de la milice et à mettre leurs vies en danger. Aliénor et Alexandre en avaient souvent discuté ensemble, même s’ils avaient parfaitement conscience que Kate ne pensait qu’à leur bien-être, ils avaient tous les deux l’impression qu’elle les infantilisait en les mettant ainsi à l’écart. Jamais aucun des avertissements de Kate, et de Michel qui partageait souvent son avis, n’avait empêché Aliénor et Alexandre de prendre des risques pour mener à bien leurs missions.
Aliénor préféra garder le silence, se concentrant sur le paysage pour essayer de dissiper son agacement. Il ne servirait à rien d’argumenter, Kate et elle ne seraient jamais d’accord sur ce point.
Sentant qu’elle retrouvait progressivement son calme, Aliénor se dit qu’il était regrettable qu’elle ne puisse pas revenir en Écosse sous sa forme fantomatique aussi souvent qu’elle le souhaitait.
Lorsqu’ils se trouvaient sur le plan de réalité des fantômes, les Élus vivants restaient liés à leur corps. Ils ne pouvaient trop s’en éloigner sous peine de risquer de lui causer des dégâts irréversibles. Au fil des ans, Aliénor avait essayé de mettre le plus de distance possible avec son corps afin de tester ses limites. Elle était parvenue à la conclusion qu’elle pouvait parcourir approximativement trois cent cinquante kilomètres sans que cela l’affecte. Au-delà, elle ressentait une vive traction émanant de son corps et elle était terriblement malade lorsqu’elle regagnait le plan de réalité des vivants. Il lui fallait un temps considérable avant de reconstituer l’ensemble de ses réserves d’énergie.
— Tu sais, cette situation ne durera pas indéfiniment, reprit gentiment Kate qui paraissait avoir compris qu’Aliénor n’approuvait pas ses propos. D’une façon ou d’une autre, les choses finiront forcément par évoluer. Et, à ce moment-là, tu pourras décider de ce que tu veux vraiment faire de ta vie.
Aliénor acquiesça, songeuse. Kate lui sourit puis se leva et annonça qu’elle allait rentrer à l’hôtel.
— D’accord, répondit Aliénor. Je crois que je vais rester encore un peu ici.
— Profites-en. Skye est à toi ce soir.
Aliénor resta longtemps immobile à contempler le paysage, se disant qu’elle avait enfin trouvé ce lieu qu’elle avait cherché pendant si longtemps, cet endroit où elle se sentait véritablement chez elle.
Le matin suivant, les trois femmes reprirent la voiture en direction d’Inverness. Elles découvrirent le fameux loch Ness et ses eaux sombres et visitèrent les ruines du château d’Urquhart qui veillait depuis si longtemps sur ses rivages.
L’après-midi, elles passèrent un long moment à se promener dans un bois verdoyant menant à une impressionnante chute d’eau portant le nom de Plodda Falls. Le soleil était au rendez-vous et la forêt avait des airs de lieu enchanté. Elles terminèrent la journée à Inverness.
Le jour suivant, Kate, Swann et Aliénor roulèrent vers le nord en direction du Dunrobin Castle, un immense château semblant tout droit sorti d’un conte de fées avec une vue imprenable sur la mer et de magnifiques jardins occupés à la fois par les touristes et par de nombreux fantômes.
Les jours semblaient s’écouler à une vitesse folle et Aliénor voyait bien que Kate et Swann pensaient déjà au retour en France. Les discussions sur la rentrée étaient de plus en plus nombreuses dans la voiture ou lors des repas. Swann avait choisi d’aller étudier en faculté de psychologie à Rouen et elle espérait pouvoir s’installer dans un appartement en colocation dans la ville avant la rentrée. Aliénor aurait aimé habiter avec son amie, mais ses parents avaient catégoriquement refusé d’envisager cette possibilité lorsqu’elle leur en avait parlé.
Mais l’Élue n’avait pas envie de penser à tout cela maintenant, elle voulait profiter de chaque seconde de son voyage. Alors qu’elle prenait son petit déjeuner avec Kate et Swann, elle fut ravie de constater qu’elles allaient découvrir deux nouveaux châteaux dans la journée. L’avantage pendant les visites guidées, c’est qu’il n’était pas possible de parler de la rentrée.
La journée débuta par la découverte du Craigievar Castle, un joli château rose niché sur une colline arborée. De dimension bien plus modeste que les châteaux qu’Aliénor avait visités jusque-là, ce bâtiment atypique dégageait une impression de douceur, de calme et de sérénité. Aliénor écouta avec attention chaque détail donné par leur guide et s’amusa de l’entendre mentionner plusieurs fantômes qui résideraient encore aujourd’hui entre les murs de la solide bâtisse.
Le château que les trois femmes avaient ensuite décidé de découvrir était le Glamis Castle. C’était un immense monument connu notamment pour avoir accueilli la reine Élisabeth II dans sa jeunesse et dans lequel sa sœur, Margaret, était née.
— C’est le château le plus hanté d’Écosse ! s’exclama Swann avec enthousiasme.
Tout au long du séjour, la jeune femme avait été ravie de jouer les guides touristiques pour Aliénor. Elle avait déclaré à plusieurs reprises que cela l’amusait beaucoup plus que les longs déjeuners familiaux auxquels elle était tenue d’assister lorsqu’elle venait d’ordinaire au Royaume-Uni.
— Les autres l’étaient déjà beaucoup, fit remarquer Kate.
— Oui, mais celui-là c’est différent, expliqua patiemment Swann. Certains membres de la famille royale les ont déjà vus et je doute que ce soient des Élus. Peut-être que, pour une fois, moi aussi je verrais un fantôme !
Si Swann gardait en permanence sa bonne humeur et répétait qu’elle n’aurait voulu être une Élue pour rien au monde, Aliénor suspectait que son amie aurait aimé avoir certaines de leurs capacités, ne serait-ce que pour quelques heures.