Les Gardiens du Secret - Isabelle Maistrello - E-Book

Les Gardiens du Secret E-Book

Isabelle Maistrello

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Beschreibung

Une confrérie secrète nommée « Les Gardiens du Secret » œuvre depuis la nuit des temps pour protéger le Secret de l’existence d’une civilisation très avancée, disparue il y a des milliers d’années, qui aurait bâti les grandes pyramides dans le monde. Héline, une jeune et riche archéologue, persuadée de l’existence de cette civilisation, va mettre tout en œuvre pour percer à jour ce secret. Dans sa quête à travers le monde (Mexique, Pérou, Chine, France…), elle se fait aider par Alex, un jeune génie informatique qui va recruter les meilleurs scientifiques mondiaux dans le domaine de l’ingénierie archéologique. Au cours de son périple, elle rencontrera Halcon Rey, chargé de mission pour l’UNESCO, qui se révèlera être un membre éminent de la confrérie et être bien plus concerné par le sujet des grands bâtisseurs que l’on ne l’aurait supposé. Héline et Halcon vont vivre un amour aussi passionné que tumultueux, l’une cherchant à percer le mystère, l’autre à le protéger à tout prix.


À PROPOS DE L'AUTEURE


Isabelle Maistrello est née en 1974 à Chambéry en Savoie. Elle a eu plusieurs vies professionnelles : enseignante en sciences économiques et sociales, responsable de boutiques et, depuis 10 ans, assistante de direction à Courchevel. Elle aime l’art contemporain, l’architecture, la musique métal, les polars et la SF. Elle s’intéresse aux civilisations précolombiennes et à l’astrophysique. Elle écrit depuis deux ans et termine son troisième roman. « Les Gardiens du Secret » est le premier à être publié.

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Isabelle Maistrello

Les Gardiens du Secret

 

Les gardiens

New York, un bel après-midi de mai. John était assis à son bureau, perdu dans ses pensées. Il regardait les familles se promener dans Central Park du haut de son building. Il apercevait les enfants qui jouaient au ballon ou qui tentaient d’approcher les écureuils qui passaient, à découvert, d’un arbre à l’autre. Cette vue splendide, les couleurs changeantes à chaque saison, il ne s’en lassait pas. Mais aujourd’hui, il n’arrivait pas à apprécier le spectacle à sa juste valeur. Il était inquiet. Très inquiet. Il s’était fermement opposé au projet de cette équipe internationale de chercheurs mais le conseil avait voté et le oui l’avait emporté. Son homologue égyptien avait donc autorisé plusieurs équipes de scientifiques, parmi les meilleurs au monde, à installer tout leur matériel ultra-sophistiqué sur site et, pendant deux longues années, ils avaient étudié et scanné Khufu – Khéops dans sa transcription grecque – sous toutes les coutures. Aujourd’hui, leurs fabuleuses découvertes avaient été rendues publiques et faisaient la une de toutes les revues scientifiques, et même des journaux télévisés. Les conséquences pourraient être désastreuses. Hussein lui avait affirmé, au début de la campagne d’exploration, que tout était sous contrôle. Ce retentissement médiatique était tout à fait normal puisqu’il s’agissait de l’édifice, à la fois le plus connu au monde et le plus mystérieux. Scan pyramides avait déjà œuvré dans d’autres pyramides en Égypte, celle du site de Dahchour par exemple, et même au Mexique. Ils y avaient aussi découvert des cavités. Mais cela avait suscité plus d’interrogations que de réponses. Pourquoi s’inquiéter ? Tout était verrouillé, sécurisé, surveillé depuis si longtemps. Les gardiens veillaient sur le plus grand Secret de l’humanité. John ne pouvait pas s’empêcher d’imaginer, qu’un jour, un scientifique, plus malin, plus têtu que les autres, finirait par découvrir le pot aux roses. Un mensonge qui avait perduré pendant des milliers d’années. Un mensonge qui devrait continuer pendant plusieurs siècles encore. Il en allait de la survie de l’humanité. Comme les quelques dizaines de personnes triées sur le volet qui faisaient partie, comme lui, du conseil, il avait consacré une grande partie de sa vie à protéger ce Secret, à déployer tous les moyens possibles afin de mener à bien la mission de la confrérie. Il avait juré de le défendre à tout prix. Au prix de sa propre vie s’il le fallait. Il ne faillerait pas. Jamais.

Il finit par décrocher son téléphone. Il n’y tenait plus. Il composa le numéro sécurisé et le code spécifique pour joindre le chef des antiquités égyptiennes. Son confrère. Un gardien lui aussi.

– J’écoute. Mot de passe ? interrogea Hussein Al Mahmoud, à l’autre bout du fil.

– « Horus, maître de l’eau, je te fais le serment de protéger l’homme de sa propre nature », récita John Marconi depuis son bureau situé à quelques milliers de kilomètres.

– Bonjour John, que me vaut la joie d’entendre un vieil ami ?

– Vous devez vous en douter mon cher. Les médias parlent de vous en boucle ce matin.

– Je sais. Ma popularité est un sujet souvent évoqué au Conseil mais, que voulez-vous, je suis une célébrité malgré moi ! plaisanta Al Mahmoud.

– Je vous admire Hussein. Capable de plaisanter dans un moment pareil… Nous n’avons jamais été aussi près de faillir à notre mission, de laisser échapper LE Secret et vous… vous êtes détendu.

– Je vous assure que tout est sous contrôle. Il est vrai que grâce à la muographie, une technologie ultra-sophistiquée, les équipes scientifiques présentes ici ont découvert une immense cavité dans la grande pyramide, expliqua Al Mahmoud. Cette technique étonnante permet d’intercepter, à l’aide de capteurs faits de plaques d’aluminium recouvertes d’un film sensible, une infime partie des muons, particules produites par les rayons cosmiques quand ils percutent les atomes et les molécules de la haute atmosphère, qui traversent ensuite tout ce qui se trouve sur leur passage. Ces étranges corpuscules ont laissé une trace sur les capteurs.

– Je sais tout cela Hussein, rétorqua John qui trouvait que son ami n’allait pas à l’essentiel. La densité des muons n’était pas homogène partout, cela a donc démontré un déficit de matière et donc la présence d’une cavité de 30 mètres de long !

– C’est exactement cela.

– Vous ne semblez pas inquiet de cette découverte extraordinaire.

– Extraordinaire pour eux.

– Mais pas seulement pour les équipes scientifiques ! Pour l’humanité entière ! s’inquiéta John.

– Vous savez, comme moi, que l’affolement médiatique ne durera pas. Dans nos sociétés de l’information à outrance, une nouvelle en chasse une autre. Ce qui fait la une aujourd’hui sera très vite relégué dans les dernières pages des revues scientifiques spécialisées, lues uniquement par quelques universitaires et étudiants en thèse, répondit calmement Hussein.

– J’aimerais tant avoir vos certitudes…

– Vous savez parfaitement que nous ne laisserons pas ces scientifiques aller plus avant. Quelles que soient les techniques utilisées, elles ne seront jamais aussi avancées que celles des bâtisseurs. Et les leurres mis en place ont été efficaces jusqu’à aujourd’hui.

– Et il faut absolument que cela dure…

– Nous y veillerons.

– Très bien mon ami, je vous fais confiance. Je vais essayer de ne pas trop m’inquiéter.

– Voilà une sage résolution. Laissons-les s’amuser avec les muons et restons vigilants face aux véritables menaces… dit Hussein presque dans un murmure.

John se raidit sur son fauteuil en cuir. Quelque chose dans le ton pris par son ami pour prononcer les mots « véritables menaces » avait alerté son cortex. Il se mit à transpirer. Il sentait le danger.

– Parlez mon ami ! Que devons-nous craindre ? interrogea-t-il, angoissé.

– Eh bien, finalement je suis comme vous… je me fais peut-être du souci pour rien mais…

– Hussein !

– Vous avez déjà entendu parler de Mark Rowland ?

– Le magnat de la presse ? Bien entendu. L’un de ses buildings se trouve à deux rues de mon bureau et je lis ses journaux tous les matins.

– Il ne possède pas qu’une cinquantaine de journaux et magazines à travers le monde – ce qui fait déjà de lui un homme très riche et très puissant – il est aussi actionnaire majoritaire de plusieurs sociétés de gestion de fonds de pension américains. Sa fortune est colossale, expliqua Hussein.

– Je ne le savais pas.

– Il est tombé malade. Les médecins lui ont annoncé qu’il avait un cancer du pancréas. Les chances de guérison sont faibles.

– Quel est le rapport avec notre confrérie ?

– Sa fille.

– Sa fille ? Je ne comprends pas, dit John qui ne saisissait pas où son ami voulait en venir.

– Rowland a décidé de se retirer des affaires pour prendre soin de lui et pour profiter du temps qui lui reste. Il est en train de revendre ses parts aux plus offrants. Il liquide tous ses avoirs et par je ne sais quel passe-passe juridique, il a fait en sorte que sa fille, Héline, vingt-huit ans, empoche la totalité de sa fortune avant même qu’il ne soit question de succession. Elle devient l’une des femmes – ou plutôt l’une des personnes, puisque son compte en banque va approcher ou même dépasser celui de Bill Gates ou de Georges Soros – les plus riches dans ce bas monde.

– Et quel est le métier de cette jeune femme ?

– Je vois que vous commencez à comprendre John… Elle est archéologue.

– Elle veut utiliser sa fortune pour faire des fouilles ?

– Bien plus que ça mon ami… Bien plus que ça. Elle s’est toujours intéressée aux techniques de construction des pyramides à travers le monde. Elle adhère aux théories qui expliquent que les anciens, avec les techniques dont ils disposaient à l’époque de la construction supposée des édifices, n’ont pas pu édifier – ou en tout cas pas seuls – de tels monuments. Autant dire, que jusqu’à aujourd’hui, sa voix n’a pas porté au-delà du cercle des sceptiques ou des illuminés. Ses articles sont restés confidentiels.

– Je lis pourtant tout ce qui se rapporte à ce type de recherche – sérieuse ou farfelue – et je n’ai jamais relevé son nom.

– Elle écrit sous un pseudonyme. Bartet. Le nom de sa mère. Une Française.

– Oui ce nom me parle en effet, dit John qui avait une excellente mémoire.

– Vous devinez la suite ?

– Elle veut consacrer son argent à prouver ses hypothèses…

– Malheureusement pour nous. Et pour l’humanité.

Malgré la climatisation, John avait maintenant de grandes auréoles de sueur sur sa chemise blanche. Il comprit que ce serait le plus grand défi de sa vie, la plus grande bataille de la confrérie. Mais comment lutter contre les milliards et la détermination de cette femme ? La confrérie avait, certes, des moyens importants, amassés au fil des siècles par les protecteurs mais ils étaient certainement bien dérisoires face à une telle fortune. Il ne voulait pas que cela recommence. Il ne voulait pas que le conseil ait de nouveau recours à la violence. Mais si c’était la seule solution pour protéger le secret ? Il avait prêté serment. Il devait protéger. Cela justifiait n’importe quel moyen utilisé. Pourquoi penser à cela pour l’instant ? Il ne serait peut-être pas nécessaire de recourir à de telles extrémités.

– John ? Vous m’entendez ? demanda Hussein, inquiet de ne plus entendre son ami.

– Pardonnez-moi Hussein. Je suis un peu abasourdi par cette nouvelle. Nous pensions avoir envisagé tous les scénarios possibles, toutes les complications… Mais ça…

– Je sais… C’est un coup dur. Nous lutterons. Comme nous l’avons toujours fait.

– Bien entendu. Et puis cette Héline Rawland n’est peut-être pas si douée dans son domaine. Elle va peut-être chercher dans la mauvaise direction et gaspiller son argent, tenta John.

– J’aurais aimé, comme vous, que ce soit le cas. Mais elle fait partie des archéologues les plus doués de sa génération. Elle n’est pas reconnue dans la profession car ses idées sont tranchées et dissidentes mais je vous assure que ses travaux sont remarquables. Et maintenant qu’elle va avoir à sa disposition des moyens gigantesques, je ne doute pas qu’elle va monter en puissance et que sa voix va compter.

– Ferons-nous le poids ?

– Seuls non. Mais vous savez que nous avons des appuis puissants.

– Je n’ai jamais aimé qu’ils se mêlent de tout ça, répondit John irrité.

– Moi non plus mais il faut bien reconnaître que leurs interventions nous ont sauvés à plusieurs reprises.

– Sauvés, je n’irais pas jusque-là Hussein… Aidés c’est certain. Mais leurs méthodes… dit John de plus en plus sous tension.

– Je ne les approuve pas non plus.

– Devoir collaborer avec ces gens alors que nos objectifs sont totalement opposés…

– Vous vous trompez mon cher. Nos objectifs sont les mêmes : ne pas modifier le cours de l’histoire et garder Le Secret. Par contre, nous avons des raisons complètement différentes d’agir comme nous le faisons. Leurs intérêts représentent tout ce que nous haïssons depuis des millénaires.

– Mais nous n’avons pas le choix… Nous ne pouvons pas nous passer d’eux… soupira John.

– En effet. Mais nous devrons, comme toujours, veiller à garder les rênes des opérations.

– Vous allez demander la tenue du Conseil, j’imagine.

– Je vais solliciter une rencontre en urgence, dans deux jours.

– Vous pouvez compter sur moi, je serai présent.

– Le Grand Maître également.

– Comment ? ! Mais vous l’avez contacté ? ! interrogea John, interloqué.

– J’ai utilisé le code d’urgence absolu.

– Vous pensez réellement que nous en sommes à ce point ?

– Je le crains en effet.

– Et il a décidé d’assister au Conseil ? !

– À ma grande surprise…

– Cela fait presque trente ans qu’il n’y a pas assisté… Ni vous, ni moi, ni la grande majorité des gardiens ne l’ont jamais rencontré.

– Ce sera un grand honneur.

– Un grand honneur assurément… Mais cela signifie aussi…

– Qu’il prend la menace très au sérieux…

Après avoir salué son homologue égyptien et raccroché, John se dirigea sans attendre dans le cabinet de toilette attenant à son bureau pour se rafraîchir et changer sa chemise trempée. Il commanda ensuite un taxi, direction l’aéroport Kennedy et prit le premier vol pour Paris. Le conseil se tiendrait dans deux jours. Il avait juste le temps d’organiser la rencontre. Il faisait, en effet, partie de la cellule chargée de la logistique des conseils. Première chose, comme toujours, il faudrait un endroit discret. Un endroit particulier pour un conseil particulier. Un endroit qui n’avait encore jamais accueilli de réunion du conseil. Il avait son idée. Son homologue parisien l’aiderait dans cette tâche.

Héline Rowland

– Mesdames, messieurs, nous allons atterrir dans quelques minutes, merci de regagner vos sièges, de ranger vos affaires dans les casiers prévus à cet effet et d’attacher vos ceintures.

Il était 19 heures, heure locale. La nuit n’allait pas tarder à tomber. Héline ferma son ordinateur portable, le rangea dans sa mallette souple qu’elle plaça dans le coffre au-dessus d’elle. Elle se pencha ensuite vers le hublot pour apercevoir la ville tentaculaire qui apparaissait enfin. Les hommes avaient étendu leurs constructions sur tous les versants des collines alentour. C’était gigantesque. Effrayant et fascinant à la fois. Ce n’était pas la première fois qu’elle atterrissait à Mexico mais cela lui faisait toujours le même effet : elle y voyait à la fois la grandeur et la folie des hommes !

La descente vers l’aéroport fut rapide. Elle récupéra sa petite valise sur le tapis roulant et se dirigea, sans plus attendre, vers le terminal des taxis. Elle en avait réservé un de la compagnie nationale. Mieux valait être prudente dans ce pays où les « gringos », comme ils appelaient les Américains, n’étaient pas franchement les bienvenus. La criminalité avait bondi ces dernières années, en particulier les enlèvements. Héline était une jeune femme, issue d’une très riche famille, qui voyageait seule. Elle était une proie facile.

Elle se rendit au guichet des taxis. La femme de l’autre côté de la vitre consulta son planning de réservation et surligna le nom de Marie Bartet. Elle lui indiqua le numéro du taxi jaune qui l’attendait. Le chauffeur, la cinquantaine, boudiné dans ses vêtements et peu bavard, prit sa valise et la rangea dans le coffre. Elle lui tendit le papier où elle avait écrit l’adresse de son hôtel. Il conduisit à travers la ville sans GPS. Héline se demandait comment il pouvait bien se repérer dans ce labyrinthe. Il aurait pu la conduire n’importe où, s’arrêter dans une ruelle sombre, la dépouiller ou faire appel à des complices pour l’embarquer et demander une rançon à son père. Mais non, moins de quinze minutes plus tard, il s’arrêtait devant son hôtel et lui remettait sa valise. Héline n’était pas quelqu’un de peureux ou d’impressionnable mais poussa quand même un léger soupir de soulagement en descendant du véhicule. Elle tendit un billet de 200 pesos au chauffeur et le salua. Il marmonna quelque chose dans sa moustache qu’Héline ne comprit pas. Elle récupéra sa valise et entra dans l’hôtel. Ce n’était pas le grand luxe, seulement simple et moderne. Elle aurait pu se payer le Hilton ou le Marriott mais les mondanités cela n’avait jamais été son truc. C’était une femme de terrain. Sur les sites de fouille, elle vivait, la plupart du temps avec ses collègues, dans des baraquements ou sous des tentes. Elle ne voulait pas qu’on la voie comme « l’héritière » mais comme n’importe quel archéologue. D’ailleurs, elle utilisait le nom de sa mère et son second prénom « Marie » pour éviter d’être repérée. Le nom de Rowland aurait suscité trop de curiosité, des jalousies et, elle en était certaine, des inimités.

Rowland. Le nom de son père. Son père. Il était si fragile, si faible aujourd’hui. Lui, le puissant homme d’affaires, craint, respecté, haï par certains aussi. Il ne l’avait pas toujours soutenue, bien au contraire. Au départ, le choix de son cursus universitaire l’avait décontenancé. Il aurait souhaité qu’elle suive une grande école de commerce, de gestion ou de management en vue de reprendre, par la suite, l’empire familial. Mais Héline n’avait que faire du business de son père, des milliards qu’il brassait. Au contraire, elle savait que tout cet argent amassé, l’avait été en écrasant des gens, en rachetant des entreprises, en licenciant de pauvres employés. Elle aimait son père, l’homme, mais elle détestait l’homme d’affaires, le magnat de la presse qui faisait et défaisait les réputations, qui gérait son entreprise d’une main de fer, sans aucun scrupule. Elle ne reprendrait jamais le flambeau. Elle l’avait très vite annoncé à son père et avait choisi l’archéologie. Il avait d’abord cru que c’était une lubie de jeunesse, qu’elle voulait se rebeller contre lui et l’ordre établi mais que cela lui passerait dans quelques années et qu’elle le rejoindrait dans la société, qu’elle y ferait ses armes et qu’elle serait sa digne héritière. Mais le déclic ne vint pas et Héline se consacra à sa passion. Les relations furent tendues pendant quelques années et il lui coupa même les vivres, pensant qu’elle viendrait le solliciter pour finir de payer ses études. Il n’en fut rien. Elle se débrouilla seule et coupa les ponts.

À l’annonce de sa maladie, il était devenu, peu à peu, un homme différent. Il avait fini par comprendre que tout l’argent qu’il avait accumulé ne le sauverait pas, au mieux, il ne ferait que retarder de quelques mois l’inéluctable. Il avait plongé dans une profonde dépression et avait voulu à tout prix retrouver l’amour et la compagnie de sa fille unique. Il lui avait demandé ce qu’il pouvait bien faire pour regagner sa confiance. Héline lui avait conseillé de liquider sa société, de faire des dons à des associations, à des fondations, pourquoi pas la recherche contre le cancer, de vivre simplement. Il avait finalement suivi les conseils de sa fille et vendu plus de la moitié de ses avoirs. Il avait ensuite donné une partie de sa fortune mais transféré à Héline plusieurs milliards de dollars. Elle avait protesté et lui avait assuré qu’elle ne voulait pas de cet argent. Mais il y a environ six mois, il lui avait fait la surprise de la rejoindre sur une fouille en Nubie. Pour la première fois, il s’était vraiment intéressé à son travail, il avait posé tout un tas de questions, il l’avait aidée dans ses recherches. Elle lui avait alors exposé ses idées, ses théories. Contre toute attente, il avait écouté religieusement. Il avait compris pourquoi elle s’était tellement investie dans ce domaine, il était vraiment fier d’elle. Au fil des semaines, ils avaient retrouvé peu à peu leur complicité et Mark avait demandé à sa fille de consacrer son argent à ses recherches, à développer ses travaux, à prouver ses intuitions. Il lui avait fait promettre de ne pas se laisser impressionner, de ne rien lâcher. Elle avait promis. Ce ne fut pas difficile, argent ou pas, elle voulait y consacrer sa vie. Bien sûr, effectuer des recherches avec des moyens aussi importants allait être une aventure fantastique. Elle imaginait déjà découvrir des choses extraordinaires, des preuves que les hommes sortant à peine du néolithique, n’ayant que quelques outils rudimentaires et ne connaissant même pas la roue, n’avaient pu ériger, seuls, des monuments d’un tel gigantisme et d’une telle précision architecturale.

Selon elle, ils avaient reçu de l’aide, ils avaient utilisé des techniques modernes de construction. L’aide de qui ? Pourquoi ne restait-il aucune trace de ces mystérieux architectes ? Maintenant elle avait tous les moyens à sa disposition pour trouver des indices. Elle allait pouvoir utiliser des techniques révolutionnaires, faire appel aux meilleurs scientifiques, monter une équipe de spécialistes. Rien ne l’arrêterait.

Elle récupéra la clé de sa chambre à la réception et se dirigea vers l’ascenseur. Elle ne remarqua pas l’homme qui l’observait depuis le petit salon situé dans le hall de l’hôtel. Il l’avait suivie depuis l’aéroport et était, en ce moment même, en train d’envoyer un texto à son supérieur pour lui rendre compte de l’arrivée de la jeune femme à Mexico. Il reçut, en retour, la consigne de maintenir sa surveillance jusqu’à nouvel ordre.

Héline prit une douche, commanda un sandwich et des œufs au room service, et se mit au lit vers 21 heures. Elle voulait être en forme pour démarrer ses investigations tôt le lendemain matin dans l’un des sites qu’elle préférait parmi tous ceux qu’elle avait déjà visités ou explorés : Teotihuacan.

Quetzalcóatl

5 h 30. Alarme de téléphone. Héline avait fait une bonne nuit même si la chambre n’était pas bien insonorisée. Elle se leva rapidement, passa à la salle de bains pour prendre une douche ultrarapide, juste histoire de se réveiller pleinement. Elle commanda un thé et des toasts puis enfila sa tenue habituelle de campagne de fouilles, un pantalon kaki multipoches et un tee-shirt marron. Le room service lui apporta le petit-déjeuner moins de dix minutes après sa commande. Elle l’avala rapidement puis se brossa les dents et appliqua de la crème solaire sur ses bras et son visage ainsi qu’un baume protecteur sur ses lèvres. Elle rassembla quelques affaires dans son sac bandoulière et descendit dans le hall de l’hôtel. Elle se présenta à la réception juste avant 6 heures.

– Bonjour Madame Bartet. Vous êtes matinale ! Avez-vous bien dormi ? demanda le réceptionniste.

– Bonjour, oui, je vous remercie.

– Le taxi que vous nous avez demandé hier soir vous attend devant l’hôtel.

– Merci, c’est parfait. À ce soir.

Elle sortit de l’hôtel. La différence de température entre le hall climatisé et la ville, qui n’allait pas tarder à fourmiller de toutes parts, était déjà notable. Il allait faire chaud dans la « Cité où les hommes se transforment en dieux », la signification de Teotihuacan en langue Nahuatl, le nom donné par les Aztèques au site qu’ils avaient découvert et investi au 13e ou 14e siècle de notre ère. La cité se trouvait à une cinquantaine de kilomètres au nord-est de Mexico, au cœur des plaines d’altitude de la vallée de San Juan. C’était vraiment l’un des sites archéologiques les plus mystérieux au monde. Depuis des décennies, des archéologues travaillaient pour tenter de comprendre cette civilisation encore largement inconnue. Qui avait dirigé la cité ? Quel avait été leur régime politique ? Quelle langue parlaient-ils ? Quelle religion pratiquaient-ils ? Les questions étaient encore tellement nombreuses. Les découvertes de l’un des confrères d’Héline, désormais célèbre, Miguel Ramirez et de son équipe de l’Institut National d’Anthropologie et d’Histoire (INAH), avaient permis de répondre à certaines de ces questions mais en avaient suscité tant d’autres. C’était réellement passionnant !

Héline allait justement rencontrer Ramirez aujourd’hui. Il avait accepté de lui montrer le tunnel et la chambre qu’il avait mis à jour il y a deux ans et sur lesquels il travaillait toujours.

 

Héline traversa la grande banlieue de Mexico, les bâtiments étaient de moins en moins hauts. Les habitants construisaient un premier étage et attendaient d’avoir des économies avant de construire le second. On voyait donc des séries de maisons inachevées, brutes, sans toit, des fers à béton dépassant du second plancher. Le sol était sec et les routes poussiéreuses. Le léger brouillard de pollution empêchait d’apercevoir le Popocatepetl, la montagne sacrée, pourtant proche de la ville. Héline arriva sur le site une petite heure après le départ de l’hôtel. Ramirez avait fait déposer un laissez-passer pour mademoiselle Bartet à la guérite des gardiens et Héline put traverser en taxi la longue entrée bordée de stands de petits vendeurs que les touristes allaient bientôt parcourir à pied. Quelques-uns vendaient de l’artisanat local mais la plupart faisaient au plus simple et écoulaient tout un tas de souvenirs made in China. On était bien loin des objets façonnés autrefois par la civilisation Aztèque, si riche culturellement, et dont une partie de la population mexicaine était issue.

 

La cité avait rayonné de 100 ans av. J.-C. à +750 ans. À son apogée, elle avait compté près de 200 000 personnes et son pouvoir économique, politique et culturel avait eu de l’influence jusqu’au Guatemala puisqu’on en avait trouvé des traces chez le peuple Maya. Une grande civilisation avait vécu ici avant le peuple Aztèque, ceux-ci n’ayant investi les lieux que des siècles plus tard. Elle avait disparu, presque du jour au lendemain et les raisons de cette disparition étaient mal connues. Les hypothèses de cet abandon, les plus largement acceptées par la communauté scientifique et par les historiens, étaient des conflits avec des cités locales et des incendies.

Le chauffeur la déposa au bout de l’allée. Elle paya son dû et se mit en quête de son homologue. Elle était déjà venue visiter trois fois Teotihuacan mais elle n’avait jamais eu la chance d’y travailler. Le site était immense, impressionnant. À chaque fois, comme dans tous les grands sites de ce type aux quatre coins du monde, elle se sentait si petite, si insignifiante, si ignorante devant de tels édifices. Grandioses, majestueux, d’une précision extraordinaire et auréolés de mystères. Parmi les plus grands mystères de l’humanité. Et elle allait consacrer sa vie et la fortune de son père à percer ses secrets ! Elle se retrouva à traverser l’allée des morts, un boulevard de 4 kilomètres, reliant la pyramide de la Lune à celle du Soleil et s’achevant au temple de Quetzalcóatl, aussi appelé pyramide du Serpent à plumes. C’était là qu’elle comptait se rendre, là que l’équipe de Ramirez avait fait des découvertes surprenantes. De part et d’autre de cette allée, se trouvaient des temples et des autels en forme d’escaliers monumentaux. Héline était seule dans cette immensité et elle sentait le poids des millénaires sur elle, elle avait l’impression que la cité allait la happer et la conduire dans l’infra monde peuplé de créatures effrayantes.

Elle aperçut enfin une silhouette. Ramirez l’attendait devant le Temple du Serpent à plumes. Encore une centaine de mètres et elle pourrait enfin rencontrer ce grand chercheur. En 2003, suite à des pluies torrentielles, il avait, avec sa collègue Romy Terzala, découvert un tunnel d’une profondeur de 18 mètres et d’une centaine de mètres de long sous la troisième pyramide du site. Il continuait, depuis, à l’explorer et avait mis à jour une série de galeries et de chambres taillées à même la roche. Il y a quelques mois, il avait également découvert un autre tunnel sous la pyramide de la Lune et des milliers d’objets antiques. Mais ce n’était pas vraiment ce type de découvertes qui intéressait réellement Héline…

Plus elle se rapprochait et plus elle se demandait si c’était bien Ramirez. Il ne ressemblait pas aux photos de lui qu’elle avait pu voir. Elle pensait rencontrer un « vrai mexicain », petit, un peu trapu, cheveux noirs et lisses, un descendant des Aztèques en quelque sorte. L’homme, qui n’était plus qu’à quelques dizaines de mètres d’elle maintenant, ne correspondait pas du tout à cette description. Il était grand, musclé mais pas lourd, une peau mate mais pas ce ton brun lumineux que l’on trouvait chez les gens d’ici, une nuance plus claire, plus effacée. Pour l’instant elle ne distinguait pas grand-chose d’autre. Il portait une chemise camel ample et un chapeau souple à bords larges du même coloris. Ses grosses lunettes de soleil lui mangeaient la moitié du visage. Elle arriva enfin à son niveau.

– Bonjour, je suis Marie Bartet, se présenta Héline en espagnol. J’avais rendez-vous avec Miguel Ramirez, le responsable des fouilles archéologiques sur ce site.

– Bonjour mademoiselle Bartet, répondit l’homme dans un espagnol parfait. Je sais qui vous êtes. J’ai le regret de vous informer que monsieur Ramirez ne pourra finalement pas venir. Il est au chevet de sa fille depuis hier soir. Elle a été victime d’un accident de la route. Il est rentré précipitamment et vous prie de l’excuser pour ne pas vous avoir prévenue.

– Oh je comprends parfaitement. Je suis désolée pour sa fille. C’est grave ?

– Elle a plusieurs fractures, a priori sans grande gravité mais elle a aussi une commotion cérébrale d’où l’inquiétude des parents.

– Eh bien j’espère que tout va s’arranger… Dans ce cas, je le contacterai dans quelque temps afin d’organiser un nouveau rendez-vous…

– Eh bien, si vous le souhaitez je peux me charger de vous faire visiter le site de fouilles. Veuillez m’excuser, je ne me suis pas encore présenté… Halcon Rey, je travaille pour l’UNESCO. Dans le cadre de ma mission de protection du patrimoine, en particulier du patrimoine antique, je suis amené à travailler avec de nombreux archéologues à travers le monde, en particulier avec ceux qui font des recherches ici puisque le site a été inscrit au patrimoine mondial en 1987. Ramirez m’a demandé si je pouvais vous recevoir en son absence. Il a mis le reste de l’équipe en repos pour quelques jours.

– C’est très aimable à vous. Puisque je suis là, je veux bien, en effet, faire une première visite avec vous. Vous êtes donc au fait des découvertes surprenantes faites par Ramirez et son équipe ?

– Bien entendu. Comme je vous l’ai dit, l’UNESCO veille sur tous les grands sites archéologiques mondiaux afin de préserver les splendides trouvailles qui ne cessent d’être faites. Je peux donc également vous montrer une partie des 75 000 artefacts trouvés dans la chambre qui se trouve au bout du tunnel de la pyramide. Il y a des coquillages, des poteries magnifiques et très bien conservées, des statuettes extraordinaires…

L’émissaire de l’UNESCO semblait passionné par ces découvertes. Héline ne doutait pas que la visite serait des plus intéressantes d’un point de vue archéologique mais ce n’était pas exactement le but de sa visite. Dans un premier temps, elle allait le suivre puisqu’il l’y invitait et écouter religieusement ses explications. Elle voulait le jauger pour savoir si elle allait pouvoir aborder avec lui des sujets, disons, soumis à controverse…

Il la conduisit jusqu’à l’entrée du tunnel tout en continuant à faire son exposé.

– On a même découvert dans cette chambre des balles en caoutchouc. Elles étaient très probablement confectionnées pour des jeux de balles. Tous ces objets vont permettre de nous en apprendre plus sur la civilisation aztèque…

Après avoir chaussé leurs lampes frontales, ils descendirent dans la cavité profonde à l’aide d’une série d’échelles puis longèrent l’immense tunnel. Ils durent souvent se courber car il était bas de plafond. Héline se demandait, en souriant intérieurement, si cette hauteur correspondait réellement à la hauteur initiale du tunnel ou si Ramirez avait excavé juste ce qu’il fallait pour tenir lui-même debout. Pendant un instant, elle perdit le fil du monologue de son guide. Il ne s’arrêtait plus de parler…

– Qu’en pensez-vous mademoiselle Bartet ? interrogea l’émissaire de l’UNESCO.

– Pardon, je vous avoue que je n’ai pas entendu vos dernières phrases, je suis concentrée sur la progression dans le tunnel… Et, s’il vous plaît, appelez-moi Marie… répondit Héline, revenue à la réalité.

– Je suis navré… Marie. J’ai parcouru plusieurs fois ce tunnel et je dois aller un peu vite certainement… Nous allons ralentir un peu la cadence. Je vous demandais ce que vous pensiez des nouvelles techniques d’exploration utilisées en archéologie ? Vous savez, bien entendu, que ce tunnel a été exploré en 2010 à l’aide d’un robot muni de deux caméras. Vous êtes vous-même adepte de ces nouvelles méthodes ? Ou plutôt une archéologue à l’ancienne avec votre truelle, vos pinceaux et votre tamis ?

– Eh bien l’un n’empêche pas l’autre… Rien ne remplacera les bonnes vieilles méthodes de nos grands prédécesseurs mais grâce à l’utilisation de nouvelles technologies, nous avons accès à tellement de nouvelles données qu’il serait bien dommage de s’en passer. La preuve ici. Vous venez de le dire, c’est grâce à un robot que les fouilles ont pu être, en partie, faites.

– Exact ! Et justement nous arrivons à la grande chambre ! s’exclama le guide d’Héline.

Il la fit entrer dans une pièce de 80 m2 environ à moitié remplie de jarres et de poteries en tous genres.

– Ramirez et son équipe ont, jusqu’à présent, exploré trois chambres funéraires, dont celle-ci, expliqua-t-il. C’est la plus grande. Il ne désespère pas de trouver une sépulture royale. Il est certain que la découverte de la tombe de l’un des seigneurs à la tête de cette cité sacrée pourrait révéler les secrets des rituels funéraires de ce peuple et aiderait à clarifier la façon dont le pouvoir était exercé dans cette civilisation si peu connue.

Puisqu’il commençait à évoquer les mystères de cette cité, il était peut-être temps d’enchaîner, se dit Héline.

– En effet, nous avons bien peu d’éléments sur ceux qui ont bâti ce site gigantesque, bien avant l’arrivée des Aztèques, qui n’ont fait que se réapproprier les lieux. On ne sait pas non plus, ni comment, ni pourquoi, ils ont abandonné la cité qui était le symbole et le joyau de leur empire.

– Il est vrai que l’archéologie est une discipline qui avance à pas de fourmi mais je crois, comme vous, que la technologie va nous faire grandement avancer et que nous sommes à l’aube de découvertes extraordinaires. J’ai pu moi-même assister aux prouesses du robot Tlaloc II-TC dans la dernière tranche du tunnel. C’est un engin tout juste sorti d’un film de science-fiction, un robot, composé d’un véhicule transporteur capable de passer n’importe quel obstacle grâce à son bras manipulateur. Il est porteur d’un scanner permettant d’établir des cartes détaillées de son parcours ainsi qu’une sorte de robot « insecte » équipé d’une caméra infrarouge télécommandée par ordinateur. Sans lui, rien n’aurait été possible et nous serions passés à côté de tous ces objets.

Pendant qu’Halcon s’extasiait sur les prouesses du robot explorateur, Héline parcourait la chambre et observait tout ce qui avait été entreposé dans cette salle. Des statuettes dont le faciès lui rappelait les géants de l’île de Pâques, des objets en jade représentant des animaux, des céramiques, et une caisse remplie de dizaines de petites sphères jaunes.

– Qu’est-ce que c’est ? interrogea Héline, curieuse.

– Nous n’avons pas vraiment d’explications pour le moment, il y en avait des centaines qui recouvraient le sol. Elles sont faites de copal, une résine à moitié fossilisée. De l’ambre « adolescent » pourrait-on dire… Il semble qu’ils s’en servaient, comme d’autres peuples, les Mayas par exemple, comme encens lors de rites funéraires.

– Tout est toujours lié aux rites funéraires on dirait… fit remarquer Héline, sur un ton quelque peu acide.

– Eh bien quand on explore des tombeaux de Rois… répondit Halcon, en tentant de prendre le même ton.

– Justement, nous sommes toujours partis de l’hypothèse que les pyramides, ici ou ailleurs, avaient été construites pour y abriter des sépultures… continua Héline.

– Mais cela ne fait aucun doute ma chère Marie, rétorqua Halcon sur un ton plus sérieux. La plupart des édifices abritent des tombeaux. Bien sûr, ceux-ci n’ont pas tous été découverts ou certains ont été volés par des pilleurs mais…

– … vous n’envisagez aucune autre possibilité… termina Héline.

– Non pourquoi ? Vous avez fait des découvertes qui infirmeraient cela ?

– Pas moi non, pas encore en tout cas… mais certains archéologues ou scientifiques pensent, qu’à l’origine, les pyramides n’ont pas été construites dans ce but. C’est seulement quand elles ont été redécouvertes, par les Aztèques par exemple comme ici, que les souverains ont décidé d’en faire leur dernière demeure.

– C’est possible en effet, mais tant que nous n’avons pas d’éléments probants, nous pouvons bien échafauder toutes les hypothèses que nous voulons, même les plus farfelues, cela ne nous mène à rien. Je suis plutôt pragmatique vous savez. J’aime les preuves concrètes. Je suis certain que l’étude de tous les objets que nous avons sous les yeux et des milliers d’autres qui ont déjà été emportés pour analyse va nous livrer un grand nombre d’éléments.

– Effectivement, nous en apprendrons plus sur les civilisations qui ont vécu ici mais probablement pas sur les bâtisseurs.

– Eh bien je suis plus optimiste que vous. D’ailleurs, une équipe travaille actuellement sur la pyramide de la Lune et, après avoir placé des électrodes dans le sol pour obtenir des mesures de résistivité, un autre tunnel, sous la pyramide, a encore été découvert. Cela démontre donc que les trois édifices du site possèdent tous des galeries souterraines, probablement reliées entre elles, l’avenir nous le dira. Le premier corridor a été mis en évidence dans les années 1970, sous la pyramide du soleil. Puis, il a fallu attendre les années 2000 pour trouver celui-ci et encore une quinzaine d’années pour celui de la Lune. Vous voyez, les choses avancent…

– Et le mercure ? Vous n’en parlez pas ? reprit Héline, essayant de reprendre un ton et une attitude professionnels. Elle ne voulait pas qu’il la range trop vite dans la catégorie des illuminés et pouvoir continuer sa visite du site avec cet homme, rigide certes, mais intéressant… voire même plutôt charmant finalement. En entrant dans le tunnel, il avait ôté son grand chapeau et ses lunettes. Il avait les cheveux noirs, longs bouclés, retenus en catogan sur le haut du crâne et même si elle ne voyait pas grand-chose dans cette chambre souterraine, elle devinait que son regard était sombre et profond. Sa voix… sa voix était grave, chaude et… hypnotisante… Oui c’est vrai, elle se rendait compte que son guide commençait à lui plaire même s’ils avaient très certainement des visions diamétralement opposées quant à l’origine du bâtiment sous lequel ils se trouvaient… Tout à coup, elle eut envie de le convaincre, de lui faire partager ses théories, de le rallier à sa cause. Après tout, si elle arrivait à le convaincre lui, qui paraissait si confiant, si assuré que la thèse qui prévalait chez les archéologues, mais aussi dans toute la communauté scientifique et donc aussi dans l’opinion publique, c’est-à-dire l’histoire officielle des pyramides, n’était qu’une vaste supercherie, comme l’avait si bien dit Napoléon en contemplant les pyramides d’Égypte « L’Histoire est un grand mensonge que personne ne conteste », eh bien elle pourrait convaincre le monde entier. Il serait son cobaye du jour.

– Ah le mercure ! C’est donc cela qui vous intéresse ! Et moi qui vous rebats les oreilles avec mes statuettes et mes poteries !

– Vos statuettes et vos poteries sont fabuleuses et elles m’intéressent au plus haut point ! Mais la découverte de mercure liquide ! C’est inédit ! C’est incroyable !

– Oh oui ! Incroyable ! Du mercure dans les entrailles de la pyramide ! Comme me le racontait Romy, la collègue de Miguel, lors des fouilles en 2014 et 2015, ils ont trouvé du mercure en grande quantité dans la chambre la plus au sud, fermée et protégée actuellement. Il était sous forme liquide et a été très difficile à récupérer car il n’était pas stocké dans des récipients mais mêlé directement à la terre. Lorsqu’ils appuyaient sur les gouttes de mercure, elles se rassemblaient et formaient des boules plus grosses, c’était vraiment étonnant. Je n’ai pas eu la chance de pouvoir observer directement le phénomène car les personnes travaillant sur le site ont dû très vite se protéger de cette substance hautement toxique. Ils ont dû porter des équipements de protection adaptés afin d’éviter tout empoisonnement. Cela n’a pas été la partie la plus sympathique des fouilles. En plus, ils devaient déjà surveiller les niveaux de radon, le gaz radioactif qui émanait de certaines roches… Bref, le site n’était alors accessible qu’à très peu de monde et les fouilles en ont été fortement ralenties.

– Il n’est donc plus possible d’accéder à cette chambre ?

– Non mais cela ne présenterait plus d’intérêt à présent. Le mercure a été entièrement prélevé.

– Cette découverte avait fait les gros titres des médias à ce moment-là mais, comme d’habitude, il n’y a eu aucun suivi de cette information. Personne ne sait pourquoi il y avait du mercure sous cette pyramide…

– Il n’y a toujours aucune certitude à ce sujet mais il semblerait que le mercure liquide était produit par les anciens mésoaméricains en chauffant le minerai de cinabre, de couleur rouge sang, un sulfure de mercure contenant environ 80 % de mercure. Il se présente sous forme de poudre et est l’un des minerais les plus sacrés des civilisations précolombiennes. Les Mayas, par exemple, l’employaient pour colorer les objets de jade. Dans les sépultures, le cinabre recouvrait les os des individus de haut rang, ainsi que certaines offrandes. D’ailleurs, on a également retrouvé du mercure liquide sur certains sites mayas, comme à Copan. Il aurait été placé à cet endroit pour simuler, matérialiser une rivière ou un lac souterrain, des eaux sacrées, sur lesquelles le souverain aurait navigué afin de rejoindre le royaume des dieux pour l’éternité. Cette découverte a donc conforté Ramirez et son équipe sur la découverte prochaine d’une tombe de souverain. C’était pour eux un indice supplémentaire.

– Mais ils n’ont toujours rien trouvé…

– Non, en effet. Mais ils sont persuadés du bien-fondé de leur hypothèse, ils ne lâcheront pas, les fouilles continuent. Et la découverte du nouveau tunnel sous la pyramide de la Lune les a encouragés.

– Et j’espère autant qu’eux qu’ils trouveront d’autres éléments, un tombeau ou autre chose…

– Je l’espère aussi… Ils ont d’ailleurs reçu l’aide inattendue d’une fondation américaine qui finance des projets scientifiques de toutes natures. Des fonds importants d’après ce que m’a dit Ramirez. Il est aux anges ! Il va avoir les moyens de financer l’exploration complète du site ! Vous vous rendez compte, seulement 5 % du site, qui s’étend sur 25 km2 a été fouillé pour l’instant alors que les fouilles ont commencé il y a plus d’un siècle !

– C’est une excellente nouvelle pour l’archéologie et pour l’humanité !

– Je n’ai pas encore eu le temps de faire des recherches sur cette fameuse fondation si généreuse, ni sur ses fondateurs, mais je vais enquêter pour m’assurer que leurs intentions sont purement philanthropiques…

– La prudence toujours…

– C’est mon rôle de veiller au patrimoine de l’humanité !

Le guide d’Héline consulta sa montre et lui indiqua que le site n’allait pas tarder à ouvrir ses portes au public et qu’il valait mieux quitter les lieux afin de refermer hermétiquement l’accès au tunnel. Elle le suivit donc sur le chemin du retour et fut éblouie par la lumière éclatante de l’astre sacré à sa sortie du tunnel. Elle le remercia de lui avoir consacré tout ce temps et l’informa qu’elle allait prendre contact avec Ramirez dans quelques jours pour évoquer encore d’autres sujets sur ce site passionnant. Il avait déjà remis ses lunettes et son chapeau et elle ne put donc vérifier si ses yeux étaient tels qu’elle avait cru les apercevoir. Dommage, elle aurait volontiers continué à converser avec lui. Mais ce n’était pas le sujet du moment. Elle avait beaucoup de travail devant elle. Un long travail passionnant.

– Restez-vous quelques jours à Mexico, Marie ?

– J’avais prévu de le faire mais je vais probablement revoir mon programme suite à l’absence de Ramirez. Je vais avancer mon vol pour Cancún à demain.

– Ah vous vous envolez pour le Yucatan ! Merveilleuse destination également ! Eh bien si vous êtes encore en ville ce soir, puis-je vous proposer un dîner ? À moins que vous ayez déjà prévu quelque chose ou que mon flot ininterrompu de paroles ne vous ait fatiguée pour le reste de la journée ! tenta le chargé de mission pour l’UNESCO.

– Je reconnais que vous êtes intarissable sur votre sujet de prédilection mais cela montre que vous êtes un passionné – tout comme moi – et j’aime les gens qui vont jusqu’au bout des choses. J’accepte avec plaisir votre invitation. Je vous laisse mon numéro. Tenez-moi au courant de l’heure et du lieu du rendez-vous, répondit Héline, ravie de cette invitation.

– Je n’y manquerai pas. Je vous raccompagne jusqu’à l’entrée du site ? proposa Rey, gentleman.

– C’est très gentil de votre part mais ne vous donnez pas cette peine, je connais le site et je crois que je vais rester encore un peu, j’aime tellement cet endroit !

– Comme je vous comprends ! Je ne m’en lasserais jamais ! Ce fut un plaisir de vous rencontrer et de vous servir de guide un court moment. Je ne suis malheureusement pas autorisé à vous faire visiter le tunnel que Ramirez a commencé à excaver dans la seconde pyramide car les lieux ne sont pas encore complètement sécurisés. Je suis moi-même impatient de le parcourir. À ce soir Marie.

– À ce soir.

 

Héline parcourut le site pendant encore près de trois heures, observant les magnifiques bas-reliefs, la précision millimétrique des constructions. Elle se demandait comment les Aztèques avaient bien pu réagir en découvrant ce site. Pas étonnant qu’ils aient cru que la cité avait été édifiée par les dieux et que les souverains aient souhaité y demeurer à jamais !

 

Elle quitta la cité peu avant midi sous une chaleur écrasante et rejoignit son hôtel pour se rafraîchir et se reposer un peu. Elle travaillerait un moment cet après-midi depuis sa chambre puis elle irait se trouver quelque chose à se mettre pour le dîner de ce soir car rien dans ses valises ne pourrait convenir. Il n’y avait que des vêtements pratiques et usés. Il fallait qu’elle fasse honneur à ce monsieur de l’Unesco, Hal Rey. Elle avait envie qu’il la trouve jolie.

La préparation du conseil

John Marconi venait d’atterrir à l’aéroport de Roissy Charles de Gaulle à Paris. Il avait pris une chambre au Royal Monceau, palace en plein cœur de la capitale française. Il réglerait la note sur ses deniers personnels, comme c’était la règle dans la confrérie. Il lui restait moins de deux heures avant l’arrivée de son homologue français, Michel Péronne, qui était depuis près de vingt-cinq ans, le conseiller discret des présidents français au sujet du Secret. Les dirigeants des grandes nations étaient, en effet, informés du grand Secret, dans ses grandes lignes, et avaient souvent collaboré avec la confrérie pour le protéger. L’un d’eux, passionné par le sujet et ayant probablement voulu laisser à la postérité la preuve de son « appartenance » au Club ultra-fermé des sachants, avait fait ériger une splendide pyramide de verre dans la cour du plus grand musée du monde, Le Louvre. John adorait cet endroit, d’autant plus qu’il abritait depuis, les bureaux et les archives du Conseil. Il avait eu le privilège de pouvoir consulter les centaines de documents conservés depuis des millénaires par les gardiens et il était toujours aussi fasciné par ce qu’avaient accompli les initiés avant lui. Rassembler une telle quantité de preuves liées au Secret avait demandé un travail colossal à travers les siècles et à travers le monde. La numérisation de tous ces documents de natures très diverses avait démarré il y a une petite dizaine d’années. Il était hors de question de prendre le risque de voir disparaitre ces richesses dans un incendie ou un conflit futurs. Malheureusement, il savait, comme chaque gardien, que les temps prochains verraient la quasi-extinction de l’humanité, la destruction du monde tel qu’il était aujourd’hui. Les gardiens ne pourraient pas l’empêcher, ils ne pouvaient agir que sur une seule chose : s’assurer que le Secret serait bien gardé.

 

John prit une douche, se changea, peaufina sa proposition d’organisation du Conseil qui se tiendrait demain et descendit dans l’un des petits salons privés qu’il avait réservé la veille afin de rencontrer Péronne en toute discrétion.

Il pénétra dans la pièce luxueusement aménagée, située à l’arrière de l’établissement, loin du passage des touristes y séjournant et des nombreux employés dédiés à leur confort. Il s’installa dans l’un des fauteuils recouvert de velours couleur cerise Burlat au milieu du salon, écarta les petites bouteilles d’eau d’Évian disposées sur la table basse en verre, en pensant que c’était bien là l’un des milliers de petits signes que l’humanité allait progressivement à sa perte. De l’eau dans du plastique qui finirait, après deux gorgées, dans la corbeille… Il installa son ordinateur portable et ouvrit le document qu’il avait préparé.

Moins de cinq minutes plus tard, il entendit frapper. Son visiteur se présenta à travers la porte et John la déverrouilla, avant de le laisser entrer.

– Michel, je suis ravi de vous voir même si les circonstances ne se prêtent pas aux réjouissances !

– John, cela fait bien deux ans que nous nous sommes vus ! dit d’un ton enjoué Michel Péronne, un homme bientôt septuagénaire, en pleine forme, son âge n’étant trahi que par ses cheveux blancs et les rides de son visage, contrastant avec son allure svelte et sportive et sa tenue chic et décontractée à la fois. Je suis ravi de vous retrouver ici ! Alors que nous avez-vous concocté pour ce Conseil exceptionnel ?

John lui expliqua son idée. Ce conseil en urgence et son caractère exceptionnel du fait de la présence du Grand Maître impliquait une discrétion extrême. Il fallait donc un lieu retiré mais facile d’accès pour les cinquante-huit gardiens qui avaient confirmé leur présence. Un seul manquerait à l’appel car il était hospitalisé suite à un malaise cardiaque. À sa connaissance, ce serait la première fois depuis des décennies que tous les membres du Conseil seraient réunis. La dernière fois c’était en 1947, suite aux évènements survenus le 4 juillet au Nouveau Mexique. Le père de John, qui avait été gardien avant lui, y avait assisté et la crise avait été gérée de main de maître par le conseil. Malheureusement, ce fût à cette occasion qu’ILS étaient intervenus directement dans les affaires des gardiens et qu’ILS avaient failli tout foutre en l’air ! Son père ne les portait pas dans son cœur et avait transmis à John sa méfiance. Depuis, John détestait quand il fallait s’en remettre à eux. Il espérait que ce ne serait pas le cas cette fois-ci. Le Grand Maître ne le souhaiterait sans doute pas, lui non plus. Les choses devaient se régler entre eux, avec leurs méthodes. Le souvenir de cette terrible journée de novembre à Dallas et les images qui avaient tourné en boucle à la télévision quand il n’était encore qu’un enfant lui revinrent d’un coup en mémoire et il serra son poing de rage à l’idée que de telles méthodes soient de nouveau utilisées.

– John, vous allez bien ? Je vous sens très préoccupé. Vous pensez que nous avons de réelles raisons de nous inquiéter pour notre mission ? questionna Michel.

– Je suis plus angoissé par la façon dont va être gérée cette crise que par la crise elle-même ! avoua John.

– Je vois… toujours cette haine envers l’organisation…

– Ne me dites pas que vous cautionnez leur manière d’interférer constamment dans nos affaires ! s’emporta John.

– John ! Cela fait plus de trente ans que nous nous connaissons ! Comment pouvez-vous imaginer que j’ai quelque connivence avec ces fous furieux ? !

– Pardonnez-moi Michel, je suis un peu à cran… se reprit John. Je sais parfaitement que nous nous rejoignons sur ce sujet. Je compte sur vous lors du conseil pour m’appuyer si jamais leur intervention venait à être évoquée.

– Vous pouvez me compter parmi vos fidèles, soyez-en assuré !

– Laissons cela pour le moment et attelons-nous à notre tâche première ! Validez-vous la destination ?

– Absolument ! À cette période, l’endroit est quasi désert mais les infrastructures sont parfaites pour accueillir nos confrères, en particulier l’accès par voie aérienne. Certains d’entre nous auront probablement besoin de séjourner sur place le soir même de la réunion. Qu’envisagez-vous comme hébergement ?

– J’ai effectivement eu douze demandes d’hébergement. J’ai prévu de les installer dans un chalet privé qui compte une dizaine de chambres très spacieuses. La réunion, elle, aura lieu dans un restaurant d’altitude, isolé du reste du village, accessible uniquement par téléphérique.

– Il sera mis en fonctionnement uniquement pour nous, j’imagine. Cela ne va-t-il pas susciter la curiosité, ne serait-ce que parmi le personnel des remontées mécaniques ?

– Ils ont l’habitude des demandes de privatisation de leurs équipements de la part de milliardaires en quête d’originalité. Ils n’ont donc pas été vraiment surpris par ma demande – la réunion d’un club de très riches investisseurs – et l’un de nos amis communs et gardien en Asie connait personnellement le président du directoire de la compagnie des remontées mécaniques de cette station prestigieuse des Alpes. Et comme vous l’avez souligné, la présence de l’altiport facilitera grandement le déplacement de nos confrères, qui transiteront par Genève ou Paris. Je suis persuadé que tout se déroulera parfaitement, du moins en termes de logistique…

– Avez-vous pu parler à Hussein de la teneur de la réunion ? C’est lui qui a lancé la convocation d’urgence.

– En effet, j’ai pu échanger avec lui par téléphone hier.

– Seule une poignée d’entre nous est dans la confidence. Selon Hussein, il avait la consigne de limiter au maximum la divulgation de l’ordre du jour de la réunion.

– La consigne ? Mais qui lui a donné cette consigne ?… Le Grand Maître lui-même ?

– Bien entendu.

– Pourquoi faisons-nous partie des élus ? C’est un honneur mais c’est plutôt inattendu et… étrange.

– Nous en saurons plus dès demain.

– Oui il va falloir patienter encore un peu. De mon côté, j’ai encore quelques détails à voir avec nos collègues du comité d’organisation pour que tout soit parfait demain. Comme convenu, je vous laisse vérifier les réservations des hélicoptères et des jets au départ de l’aérodrome du Bourget du Lac et de l’aéroport de Genève. Aurons-nous des arrivées par train ?

– Cinq, oui. Une en provenance de Bruxelles et quatre de Paris pour nos confrères qui privilégient les rails aux airs. L’arrivée se fera par TGV à Chambéry, la préfecture de la Savoie, puis transfert vers l’aérodrome situé à quelques kilomètres et vol rapide vers notre destination à presque 2000 mètres d’altitude.

– Parfait, je vous remercie pour votre aide Michel.

John raccompagna Michel jusqu’à la porte.

– Au fait Michel, j’ai vu que vous aviez un nouveau président depuis peu. Son grand show d’investiture a eu lieu au Louvre. Simple coïncidence ? demanda John, curieux.

– Pas tout à fait… Plusieurs lieux avaient été évoqués par son équipe de communication, le président a tranché et a choisi la pyramide comme décor de son « accession au trône ». Comme vous le savez, les deux premières informations qui sont divulguées aux nouveaux dirigeants des grandes nations sont les codes nucléaires et le contact du gardien référent. J’ai donc rencontré le jeune président juste après la passation de pouvoir pour lui faire un court briefing sur le Secret, expliqua Michel.

– Comment a-t-il réagi ?

– Surpris ! Je dirais même interloqué ! Il a demandé à me rencontrer à nouveau dans quelques semaines pour en savoir plus. Mais tout Président qu’il soit, il n’apprendra que ce que je voudrais bien lui dire, c’est-à-dire les grandes lignes, comme toujours. La grande Histoire, seuls les gardiens en sont dépositaires !

Les deux amis se saluèrent aux alentours de 17 heures, à la fois impatients de se revoir le lendemain et conscients que les décisions qui seraient prises au cours de cette réunion allaient les engager, pour les mois et même peut-être pour les années à venir, dans un challenge inédit.

John passa encore près de deux heures à travailler sur l’organisation des deux prochaines journées. Il dîna tôt et rapidement dans le restaurant de l’hôtel. Malgré le stress, il réussit à se détendre quelque peu. Ah la gastronomie française ! Le remède à tous les soucis ! Cet endroit raffiné et ces plats délicats lui firent oublier pendant un moment la tâche ardue qui l’attendait. Qui attendait tous les gardiens.

Le dîner

Héline avait attendu des nouvelles d’Hal toute la journée. Elle reçut un sms à 17 heures : Marie, retrouvons-nous au 103, rue Frida Kahlo à 19 h 30.

Ce simple message suffit à la mettre en joie. Elle avait envie de le revoir. Ce type était… mystérieux. Oui mystérieux. Elle cherchait un qualificatif depuis ce matin. Intéressant, cultivé, érudit, passionné, étonnant… il était tout cela mais il était surtout un peu étrange. Mystérieux. Et elle voulait percer le mystère, creuser pour découvrir ses secrets. Ou alors elle trouvait juste un prétexte pour le revoir car elle était sous le charme. Elle voulait bien se l’avouer… cela faisait longtemps qu’un homme n’avait pas suscité autant d’intérêt chez elle. Alors pourquoi ne pas allier l’utile à l’agréable. Parler archéologie, l’amener vers des théories non conventionnelles et en profiter pour mieux le connaître. Pas l’émissaire de l’UNESCO. L’homme.

Elle referma son ordinateur portable. Elle venait de lire quelques articles sur sa prochaine destination. Demain elle ferait une seconde étape au Mexique, dans la péninsule du Yucatan, à l’est du pays, en bordure des Caraïbes, puis elle s’envolerait pour le Pérou. Mais ce soir, elle avait rendez-vous. Il était temps de faire un peu de shopping.

 

Héline rejoignit en taxi l’Avenida Ejercito puis marcha un peu avant d’arriver à L’Antara Fashion Hall, un centre commercial moderne où elle trouverait, à coup sûr, une tenue pour un dîner – professionnel ? Romantique ? Juste amical et c’était très bien ainsi.

Elle détestait les centres commerciaux mais celui-ci paraissait agréable à parcourir. Une grande allée traversait une série de grands buildings, il y avait des terrasses au milieu de la végétation, des œuvres d’art contemporain, les gens flânaient, bavardaient. Pas d’empressement, pas de stress, on aurait pu oublier que l’on se trouvait dans une mégalopole surpeuplée et sur-polluée. Contre toute attente, Héline apprécia ce moment et prit plaisir à faire des essayages et à bavarder avec les vendeuses des boutiques. Une heure plus tard, elle reprit un taxi, quelques paquets en main et retourna à l’hôtel pour se préparer. Elle passa une robe longue blanc cassé avec des motifs floraux dans les tons prune, qui partaient de l’épaule droite pour descendre en diagonale vers la hanche gauche, légèrement décolletée, des sandales à semelles compensées et des créoles en argent. Une touche de maquillage. Elle arriva au restaurant avec moins de dix minutes de retard, le timing juste pour se faire un peu désirer sans être impolie.

Hal avait choisi un endroit simple et raffiné. Un intérieur art déco, du fer forgé travaillé, des boiseries sombres, du marbre au sol. Ni étoilé, ni chic mais de la cuisine française. C’est exactement ce qu’elle aurait elle-même choisi. La soirée commençait bien. Le serveur la conduisit sur la droite. Là, sirotant un verre de vin blanc, l’attendait Hal. Il se leva à son arrivée. Costume en lin beige, chemise blanche, cheveux détachés seulement maintenus par un bandeau lâche. Il était à tomber !

– Marie, bonsoir, vous êtes superbe.

– Bonsoir Hal, vous faites partie des rares personnes qui m’ont vue ou me verront porter une robe…

– Eh bien je vais apprécier ce privilège…

Hal servit un verre de Chardonnay à son invitée et ils étudièrent la carte. Il choisit un risotto aux asperges et elle des Saint-Jacques. Pour Héline tout semblait parfait à ce moment précis. Le cadre, le vin, son compagnon de table. Durant le dîner ils évoquèrent les fouilles de la jeune femme en Nubie. Hal, toujours aussi passionné l’inonda de questions auxquelles elle répondit avec plaisir. Il lui parla ensuite de sa prochaine destination : Saqqarah.

Héline s’y était rendue deux fois au cours des cinq dernières années. Elle connaissait plutôt bien le site. Saqqarah était située à moins de 30 kilomètres du Caire, c’était la nécropole de la cité de Memphis, une des capitales de l’Égypte antique. Elle abritait les sépultures de nombreux pharaons et hauts fonctionnaires égyptiens. Le site comportait une quinzaine de monuments datant de différentes époques, dont le plus intéressant était certainement la fameuse pyramide à degrés, tombeau du pharaon Djoser de la IIIe dynastie.

– Savez-vous, Marie, quelle est l’origine du nom Saqqarah ?

– Je l’ai su… le nom d’une divinité…

– Exactement, Saqqarah vient de Sokar, un dieu funéraire de Memphis. Les premières tombes firent leur apparition sur le site lorsque la Haute et la Basse Égypte se réunirent en un seul et même royaume. Ce furent d’abord les grands notables qui y établirent leur dernière demeure. À l’époque les tombeaux n’étaient pas encore des pyramides mais des « mastabas ».

– Des constructions rectangulaires en briques, et plus tard, en pierres…

– Oui. La première pyramide égyptienne est aussi le premier tombeau édifié uniquement en pierres, conçu donc pour résister aux épreuves du temps. Et vous savez, bien entendu, quel était le nom de son architecte…

– Le célèbre et génial Imhotep !

– Imhotep « celui qui vient en paix » lui-même ! Il a commencé par construire un mastaba de 125 mètres de long puis il a eu l’idée d’en superposer d’autres, de taille décroissante, sur son sommet. Il a ainsi obtenu une pyramide comportant 6 degrés, d’une hauteur totale de 60 mètres environ. Cela a marqué un pas important dans l’architecture des tombeaux égyptiens, une vraie révolution même ! Puis les Égyptiens ont commencé à lisser les bords des monuments pour obtenir, au final, des monuments comme ceux de Gizeh. Et ce premier tombeau était destiné au pharaon Djoser, dont Imhotep était l’architecte mais aussi le vizir. Son premier ministre en quelque sorte.

– Il était aussi médecin, philosophe, écrivain… C’était un personnage très important et charismatique. Une sorte de Léonard de Vinci de l’Égypte antique…

– Je n’y avais jamais pensé… mais oui on peut dire qu’il y a des similitudes… Mais lui, a été élevé, après sa mort, au rang des divinités… Au cours du moyen empire, il était souvent associé au Dieu du savoir et de l’écriture, Thôt. Imhotep est devenu peu à peu la divinité principale de Memphis. Il a aussi été considéré comme le Dieu de la médecine.

– Un petit temple lui a été dédié sur l’île de Philae… si je me souviens bien.

– Effectivement, non loin du temple principal dédié à Isis, qui a été transformé plus tard en chapelle. Et l’idée d’Imhotep, en construisant sa pyramide à degrés, était de bâtir une sorte d’escalier divin qui faciliterait l’ascension du pharaon défunt vers le ciel et les dieux. D’autres souverains de différentes dynasties se firent inhumer à Saqqarah. Sekhemkhet, le successeur de Djoser mais aussi Pepi II, Menrenrê, Ounas… Le site est donc particulièrement riche en architecture puisqu’on y trouve des pyramides à degrés, des plus classiques et d’autres encore avec des formes peu communes. Les édifices ont progressivement évolué pour devenir finalement des pyramides à bords lisses, les plus connues du commun des mortels. La pyramide rhomboïdale de Snéfrou, à Dahshour, au sud de Saqqarah est un bon exemple de l’évolution progressive de la forme des tombeaux.

– Ou alors les techniques et l’architecture ont peu à peu évolué pour s’approcher au plus près des grandes pyramides qui étaient déjà là…

– Je ne… je ne vous suis pas Marie.

– C’est simple, pour moi, le postulat est inversé. Les grandes pyramides, en Égypte, mais aussi ailleurs dans le monde, ne sont pas l’aboutissement de siècles de progrès de l’architecture et des techniques de construction mais le modèle à atteindre.

– Ramirez m’avait prévenu que vous aviez des idées… disons originales. Je n’ai pas encore eu le temps de lire vos articles – et je ne manquerai pas de le faire, j’avoue que c’est très intrigant pour moi de voir une jeune femme aussi intelligente et passionnée que vous se ranger du côté des théories farfelues.