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Dans l'ombre des bois de Lisart, Gabrielle a toujours été rejetée pour son absence de pouvoirs naturiens. Mais lorsqu'elle croise le chemin d'Élisiaelle, une guerrière aussi redoutée que légendaire, son destin s'éclaire enfin. Prise entre le désir d'échapper à sa vie monotone et la peur des dangers qui les guettent, Gabrielle décide de suivre Élisiaelle dans une quête épique, défiant ainsi son statut d'adolescente ordinaire. Élisiaelle, réputée pour être une barbare sanguinaire, porte en elle une soif de vengeance implacable. Mais Gabrielle, animée par une compassion rare, voit en elle bien plus qu'une guerrière assoiffée de sang. Convaincue que derrière cette réputation se trouve une âme en quête de rédemption, Gabrielle s'engage à lui rendre son humanité perdue. Au sein d'un monde où la magie et la brutalité s'entremêlent, Gabrielle se découvre un don exceptionnel : la prescience. Ses visions du passé et du futur deviennent une arme puissante, changeant le cours des événements et bousculant les destinées. Dans leur quête commune, les deux femmes devront combattre les troupes d'un démoniste impitoyable et déjouer les pièges tendus par un univers implacable. Ensemble, elles affronteront les pires dangers, explorant des terres inconnues, rencontrant des créatures fantastiques et prenant part à des combats épiques. Plongez dans "Les Lames du Destin", un roman captivant où l'amitié improbable entre une jeune paria et une guerrière assoiffée de vengeance se transforme en une alliance hors du commun. Entre secrets, quête de rédemption et découvertes surprenantes, chaque page vous entraînera plus loin dans un tourbillon d'aventures inoubliables. Découvrez la force d'une héroïne qui n'aurait jamais dû exister et embarquez pour un voyage envoûtant où les épreuves forgeront son destin. "Les Lames du Destin" vous transportera dans un monde où les rêves peuvent devenir réalité, et où la persévérance d'une jeune fille ordinaire peut changer l'histoire tout entière. Dans ce récit empreint de magie, d'amitié et de rédemption, Gabrielle et Élisiaelle vous guideront vers un dénouement inattendu, révélant la véritable nature de la barbare sanguinaire et la puissance de l'humanité retrouvée.
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Seitenzahl: 381
Veröffentlichungsjahr: 2023
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CHAPITRE 1 : RENCONTRE
CHAPITRE 2 : PREMIÈRE ÉCHAUFFOURÉE
CHAPITRE 3 : SOUVENIRS DOULOUREUX
CHAPITRE 4 : LES ABOULES
CHAPITRE 5 : TOUT FEU, TOUT FLAMME
CHAPITRE 6 : LA FORTERESSE ROUGE
CHAPITRE 7 : TROK LE GÉANT
CHAPITRE 8 : PAR LE POISON ET PAR LE FER
CHAPITRE 9 : PORTER SA CROIX
CHAPITRE 10 : LA BATAILLE DES COLOSSES
CHAPITRE 11 : ESPRIT ES-TU LÀ?
CHAPITRE 12 : LE CHAMPION
CHAPITRE 13 : PROMENONS-NOUS DANS LES BOIS
CHAPITRE 14 : RETOUR AU BERCAIL
LEXIQUE
Qu’est-ce que je faisais en face de moi ?
Une étrange impression m’enveloppait. Celle de flotter en apesanteur, comme si je n’existais plus de façon tangible. En même temps, quoi de plus normal puisque mon corps se tenait là, à quelques pas. Seule ma conscience demeurait encore « en moi ». Je me contentais d’observer, extérieure à cette scène tandis qu’un soldat se chargeait de ligoter mes membres. Une imposante croix installée à terre et faite de deux larges poutres d’un bois marron presque noir tant il était imbibé d’eau me servait de pilori. Allongée dessus, celle qui était aussi « moi » avait les yeux rivés au loin pour ne pas voir ce qui se jouait. Pourtant, de là, tout m’apparaissait très clair et je ne perdais pas une miette du spectacle.
Quand soudain, je regagnai mon corps. Comme happée par un grappin invisible je fus tirée vers lui sans ménagement. D’un coup, je sentis toute la cruauté de la gravité, telle une claque brutale et fulgurante. Mais, plus pesant encore que cette enveloppe charnelle réintégrée, je perçus un profond accablement.
À ce fardeau s’ajoutaient de vives et pénétrantes douleurs qui me parcouraient de la tête aux pieds. Des picotements, agressifs et déplaisants cheminaient en rythme le long de mon système nerveux tandis que le soldat à mon côté frappait de son lourd marteau. À coups redoublés, il enfonçait les clous chargés de me maintenir en place. Chaque choc créait un insoutenable lancinement manquant à tout instant de me faire sombrer dans l’inconscience. Les pointes transpercèrent bientôt mes poignets, mais plus que ces entraves ce fut la souffrance physique qui me paralysa.
Une fois cette tâche finie l’homme délassa les cordes autour de mes bras et mes jambes, et s’éloigna.
Alors, par je ne sais quel miracle, cette cuisante sensation disparut aussi vite qu’elle était apparue. Tous mes maux s’effacèrent comme par magie. Seule une vague conscience de mon pénible état persistait encore, m’empêchant d’oublier totalement que j’étais clouée à une croix.
Rassérénée, je laissai lentement ma tête tomber sur le côté. J’entrevis une autre personne qui subissait le même châtiment. À son tour, elle tourna son regard dans ma direction.
Tout m’apparaissait flou. Autour de moi, aucun contour ne se dessinait de façon claire. Néanmoins, je savais qu’elle me fixait. Qui était-elle ? Qu’avait-elle fait pour se retrouver ainsi martyrisée ? Et moi ?
Du monde s’agita autour de nous, prêt à relever les deux piloris et à les planter dans le sol. Nous continuâmes à nous contempler, les yeux dans les yeux. Je ne parvenais pas à déterminer qui elle était et pourtant je sentais au fond de moi que je la connaissais. Nous avions tant partagé.
Des secousses firent renaître mon calvaire tandis que nos croix se soulevaient.
« Réveille-toi », me susurra avec tendresse la personne crucifiée à mon côté.
Ces paroles m’interpellèrent de par leur singularité. Je haussai un sourcil interrogateur. Quand à nouveau, la sensation de souffrance s’évanouit. Petit à petit, elle fut remplacée par une impression de bien-être. J’avais encore une fois délaissé mon enveloppe physique et je voguais sur une vague de douceur. Devant moi, le tableau s’était volatilisé en même temps que les maux…
« Réveille-toi feignante ! »
L’air frais du matin me saisit toute entier à l’instant où ma couverture me fut retirée sans égards. J’ouvris des yeux encore pleins de sommeil et tandis que les images de mon rêve s’estompaient, celles de la vraie vie me submergèrent. Plantée face à moi, ma sœur aînée ma couverture dans la main, me toisait la mine sévère. Sous une épaisse crinière blonde comme les blés, son regard se montrait dur malgré des traits qui au premier abord apparaissaient gracieux et amènes.
Réveillée en sursaut je pris le temps de battre des paupières, toujours perturbée par ce songe si réaliste qui venait de se dérouler dans ma chambre, ou plutôt dans la remise qui me tenait lieu de chambre.
Avec une lenteur exaspérante, je détaillai ma sœur des pieds à la tête. Vêtue comme à son habitude d’une interminable robe en lin beige et d’un long tablier par-dessus, elle me toisait de toute sa hauteur. De sa botte en cuir noir abîmé elle tapait avec impatience sur le plancher.
« J’espère que tu ne comptes pas roupiller toute la journée ? poursuivit Amalée déjà passablement énervée malgré l’asthor matinal. Tu crois peut-être que les gloutons vont se nourrir tout seuls ? Allez, dépêche-toi un peu ! » aboya-t-elle en accompagnant ses derniers mots d’un coup de pied dans le tibia.
Avant de quitter les lieux, elle fixa à nouveau ses yeux méprisants sur moi et sourit. Elle n’avait pas besoin de parler. Je savais exactement à son air hautain ce qu’elle pensait. Ce rictus me remémora le dîner de la veille.
« Gabrielle, Faurgar consent à te prendre pour femme », annonça ma mère comme si c’était une faveur immense qui m’était accordée.
Ma sœur émit alors ce même ricanement satisfait, car elle savait comme moi que c’était davantage une punition qu’un honneur.
« Quoi ? Ce vieux naturien croulant qui vit dans une ruine ? » m’offusquai-je.
En mon for intérieur, je me rendais bien compte que l’âge et la situation matérielle de mon futur époux ne constituaient pas le cœur du problème. Me forcer à m’unir à un homme que je n’avais pas choisi, voilà le véritable souci. Mais je m’étais résignée. Depuis longtemps déjà ma famille cherchait à se débarrasser de moi et avait convenu à une union arrangée. Restait à trouver un parti honorable, et peu regardant… Il allait sans dire que mon opinion n’intéressait personne.
« Faurgar est un naturien respecté ! Renchérit ma mère. Ce mariage nous permettrait d’asseoir encore plus notre réputation. »
À la manière des gloutons que nous dressions pour les revendre, je me voyais reléguée au rang de simple créature dont ils pouvaient user à leur guise et céder sans scrupule au plus offrant.
« Ce type est fou ! tentai-je. Il se prend pour un lapin !
— Si tu étais toi aussi naturienne, tu saurais qu’il faut atteindre un niveau très élevé de maîtrise pour parvenir à se métamorphoser en animal ! » Contra ma mère véhémente.
Nous y voilà. Mon absence totale de pouvoirs naturiens revenait encore une fois sur le tapis. Je lus dans le regard de mes parents la profonde déception que je représentais pour eux. Cela justifiait sans doute qu’ils disposent de ma vie comme ils l’entendaient…
À la suite de cette nuit agitée et de ce rêve dont le souvenir commençait de plus en plus à s’effacer, je restai l’esprit quelque peu embrumé. Ainsi, malgré un réveil brutal, j’eus encore besoin de plusieurs longues éclires avant de parvenir à me recentrer sur le présent. Assise sur ma couche constituée d’un simple matelas de paille et d’une couverture, je m’étirai sans retenue. Puis, me levant sans brusquerie, je regardai autour de moi. Tout se révélait calme dans cette remise. Je demeurais de toute façon la seule habitante de ce qui ressemblait plus à un vieux cabanon en bois pourri et ouvert aux intempéries. Par chance, dans un angle où les planches de la cloison ne laissaient pas passer trop l’air, j’avais réussi à installer un coin pour dormir. À l’aide d’un ballot de paille et d’une antique couverture mitée, mais suffisamment épaisse pour me tenir chaud par temps hivernal, j’avais organisé mon cocon. L’endroit ne s’avérait pas luxueux, mais il me permettait au moins de disposer d’un chez moi. Ici, les visiteurs se montraient rares, autant que les quolibets désagréables de ceux qui représentaient ma famille.
Au total, notre maisonnée se constituait de cinq personnes : mes parents Hecliot et Géma, ma grande sœur Amalée et mon petit frère Niin.
« Allez ! »
Enfin bien réveillée, je m’encourageai à voix haute, prête à endurer une nouvelle journée de labeur. Décidée, j’attrapai mes bottes longues. En cuir rouge, elles s’étaient sans doute trouvées belles à une époque. Maintenant, elles apparaissaient usées jusqu’à la corne et pleines de boues. Hélas, pour obtenir une autre paire je devais attendre que ma sœur change les siennes…
D’un geste habitué, j’époussetai ma robe de lin des brins de paille qui s’y étaient accrochés, et quittai la remise. Au passage, j’attrapai deux lièvres morts. Mon frère les avait suspendus là la veille pour éviter qu’ils se fassent dévorer par les rats. Mes deux victimes sur l’épaule, je me dirigeai d’un bon train plus en profondeur dans les bois, vers l’enclos des gloutons.
Le jour se levait à peine lorsque je pénétrai sous le couvert des arbres. La maison de mes parents et la remise, avaient été construites au centre d’une petite clairière. Elle-même se situait au cœur de la forêt de Lisart, dans la partie centre-nord d’Ohorat. Vaste forêt dans laquelle la lumière du soleil filtrait avec difficulté, l’atmosphère s’y trouvait en permanence lugubre.
M’y rendre se révélait toujours une épreuve. Du haut de mes seize points vernaux, je restais sur mes gardes à tout instant. Il n’était pas rare de rencontrer des naturiens agressifs ou encore des orques en vadrouille en provenance des Terres Brutes de Kragmaure, région plus au nord.
Après plusieurs éclires de marche, j’arrivai en vue des enclos. Les gloutons se tenaient tapis dans l’ombre.
Dans ma famille, tous les membres bénéficiaient de facultés naturiennes. La magie qu’ils puisaient dans la nature leur permettait de s’allier avec les animaux même les plus farouches. Ces compagnons pouvaient alors devenir de véritables partenaires en toutes choses, et notamment dans le cadre de combats. Mais le dressage d’un familier requérait du temps et un savoir-faire certain, dont les autres naturiens ne disposaient pas toujours. Profitant de cet écueil, mes parents s’étaient lancés dans l’élevage de ces mammifères. En grande partie carnivores, les gloutons qui ressemblaient à de petits ours avec une queue velue ne m’inspiraient qu’antipathie. Très agressifs et dangereux, ils avaient bien failli m’arracher un doigt à plusieurs reprises. Ainsi chaque jour je redoutais le moment où il fallait leur apporter leur repas. Pourtant, c’était bien leur côté féroce qui s’avérait recherché par leurs acquéreurs.
Avec d’infinies précautions, j’ouvris la porte de leur geôle et y abandonnai sans traîner les deux pauvres lièvres attrapés par mon frère. Ils leur serviraient de déjeuner. D’un même mouvement vif, je refermai. Les trois monstres à la fourrure dense et marron, presque noire, se jetèrent aussitôt avec avidité sur les petits cadavres.
Je m’attardai quelques instants, les regardant s’arracher les corps de ces êtres chétifs, tellement moins détestables.
Quand tout se figea autour de moi.
Comme d’habitude, ma catalepsie dura à peine quelques éphémérises ; il me fallut une bonne éclire ensuite pour revenir à la réalité.
Quelle décision prendre ? Devais-je laisser filer ou agir ? Les conséquences pourraient s’avérer désastreuses si je choisissais de me faire confiance. Pourtant, l’éventualité d’un heureux dénouement existait aussi.
Je secouai la tête, résolue. Tournant les talons, j’abandonnai les horribles bestioles. Le chemin pour rentrer chez moi se trouvait derrière ; je m’aventurai encore plus en avant dans la forêt.
Je savais ce qui allait se produire et mon cœur battait la chamade rien que d’y penser. Je pouvais toujours faire demi-tour… Malheureusement, ma conscience m’en empêchait. Je poursuivis donc ma route au milieu des bois, sans me retourner. La progression devint de plus en plus ardue au fur et à mesure que je m’enfonçai dans une zone où personne ne se hasardait jamais. J’essayai de me frayer un passage parmi les branches et les fougères, butant de façon régulière contre les racines qui couraient en tous sens aux pieds des arbres. Enfin, j’atteignis mon but.
Un minuscule espace vide de végétation. Pas la moindre trace de ronces. Un terrain plat et dégagé, le tout entouré d’immenses conifères. Je me glissai dans la zone.
Le campement se trouvait bien là. Aucun feu, j’imaginais pour éviter de se faire repérer. Même si au beau milieu de cette forêt dense j’avais du mal à envisager que la fumée puisse percer et conduire ici quiconque aux intentions hostiles. Non loin d’une souche d’arbre creuse, un couchage ainsi que quelques ustensiles et provisions avaient été installés avec soin.
Je scrutai les environs, mais personne ne semblait présent sur place. Je m’apprêtais à avancer à pas feutrés pour m’en assurer quand je m’arrêtai net : la lame d’un poignard venait de se poser sur ma gorge et un avant-bras m’enserrait les épaules m’immobilisant. J’avais les yeux grands ouverts, apeurée, n’osant plus bouger d’un pouce.
« Qu’est-ce que tu fais là ? »
Une voix féminine me surprit, mais qu’importait, la menace demeurait.
« Je suis venue vous prévenir que des soldats allaient arriver… Balbutiai-je.
— Qu’est-ce que tu me chantes là ? Comment pourrais-tu le savoir ? Et d’abord, comment m’as-tu trouvée ? Me questionna la femme en plantant un peu plus la pointe de son arme sous mon menton faisant perler une goutte de sang.
— J’ai eu une vision… M’empressai-je de préciser.
— Tu m’en diras tant ! ironisa-t-elle en desserrant légèrement sa prise tant ma réponse l’amusait. Explique-toi ou je te tranche la gorge ! aboya-t-elle redevenant soudain sérieuse.
— Non je vous assure ! J’ai des sortes d’intuitions, et je perçois des choses qui doivent arriver ! Des soldats vont débarquer pour vous attaquer ! tentai-je de la convaincre.
— Tu as eu ta chance… »
J'entendis les cloches de ma destinée funeste retentir. La lame du poignard glissa plus haut vers mon oreille gauche, prête à plonger dans ma chair. Il ne resterait plus qu’à tirer d’un coup sec jusqu’à mon oreille droite et je m’effondrerai en projetant une giclée d’hémoglobine.
Quand une flèche fila sous mes yeux et alla se ficher dans un tronc juste à côté. Elle fut suivie aussitôt par d’horribles hurlements belliqueux qui retentirent de diverses directions.
La femme qui me retenait abandonna son idée de m’égorger. Avec rudesse, elle me jeta à terre et dégaina de sa main libre une épée longue. Des soldats se découvrirent alors, sortant des bosquets alentour. Il en arriva de tous les côtés. Les armures qu’ils portaient et que je jugeais légères se trouvaient constituées de fines bandelettes de métal cabossées et corrodées par la crasse. Des courroies de cuir noires de saleté les maintenaient entre elles. Sur la tête, ils arboraient pour la plupart des casques du même métal et dans un état identique. Des oreillettes leur tombaient sous le menton et des palettes à l’arrière. Censée protéger leur nuque, la majorité ballait, loin de remplir leur fonction. Sur certaines de ces pièces, un emblème avait été griffonné à la vavite. Il ressemblait à un soleil noir sur fond rouge que je ne reconnus pas. À leur ceinture pendait enfin l’étui vide de leur épée courte, actuellement levée en direction de leur adversaire.
Mais leur accoutrement ne s’avérait pas notable. Ceux qui le revêtaient en revanche m’apparurent sortir de l’ordinaire. Bas sur pattes puisqu’ils n’excédaient pas trois pieds de haut, leur peau s’ornait de jaune-ocre et leurs yeux d’un orangé luisant. Leur visage plat était entouré de chaque côté d’oreilles démesurées et pointues qui dépassaient de leur casque de façon risible, preuve que leur harnachement n’avait pas été étudié pour eux à l’origine. Enfin, de leur large bouche on pouvait entrevoir de petites dents acérées qui pointaient et qui me rappelaient un peu les crocs de ces satanés gloutons.
Accroupie dans un coin, je demeurais immobile pour ne pas me faire remarquer. J’en profitai pour observer la femme. Elle portait une cuirasse d’un cuir marron mordoré, taillée a priori spécialement pour elle, car elle épousait ses formes à la perfection. Une tunique, sorte de jupe, lui descendait à micuisses. Pour compléter sa tenue, elle chaussait de hautes bottes de la même facture qui lui montaient jusqu’aux genoux.
Ses longs cheveux bruns suivaient chacun de ses mouvements. Ils volaient sans jamais retomber sur ses épaules du fait de l’intensité du combat. Elle se battait en même temps contre trois voire quatre de ces avortons hargneux. Elle luttait avec une telle rage que ses traits ressemblaient à ceux d’une furie. Les coups d’acier pleuvaient dans tous les sens. De fines entailles parsemaient de plus en plus ses membres à découvert dès qu’une ouverture laissait le champ libre à un ennemi. Cependant, cela ne paraissait pas l’inquiéter. Au contraire, elle semblait s’ennuyer. Comme si ces êtres ne représentaient rien de plus qu’une perte de temps futile.
Grâce à sa rapidité et sa force d’exécution, sans oublier son allonge plus grande, elle les mettait tous en déroute les uns après les autres ; le gros des troupes gisait déjà à terre, mort ou agonisant.
Avec son épée longue qu’elle avait basculée dans sa main droite, certainement plus habile, la gauche conservant le poignard, elle émettait de larges moulinets du poignet. De cette manière, elle tenait en échec ses adversaires en les maintenant sans peine à distance. Deux des petites créatures postées face à elle essayaient d’approcher, mais sans succès. Leurs tentatives les mettaient encore davantage en difficulté. Quoiqu’impuissants devant la maîtrise de leur rivale, les deux êtres aux oreilles pointues continuaient à donner des coups inutiles de leur fer rouillé. Je compris bientôt pourquoi lorsque, arrivé au pas de charge par-derrière, un troisième soldat bondit par surprise sur le dos de la guerrière. Mais c’était sans compter sur son incroyable célérité.
L’être batailleur avait à peine atterri et n’avait donc pas encore eu le temps de la transpercer de son arme, que la femme, ayant lâché son poignard, le saisit de sa main libre. Ni une, ni deux, elle le renvoya avec violence et une facilité déconcertante sur ses deux alliés comme s’il ne pesait rien. À terre et empêtrés les uns sur les autres, il ne lui restait plus qu’à les achever.
Malgré l’horreur que m’inspiraient ses actes, je ne pouvais quitter cette guerrière des yeux. Impressionnée de sa prestance, je ne remarquai alors pas la créature qui en avait profité pour venir se planter près de moi. Lorsque je la vis, il était trop tard.
Sa bouche déjà large s’étira encore davantage et je compris qu’à sa manière ce petit humanoïde souriait. À deux mains, il souleva sa masse d’arme au-dessus de sa tête, prêt à frapper et à m’ouvrir le crâne. Toujours par terre, je ne disposais de rien pour me protéger et je ne me trouvais pas en position pour fuir.
Je levai les bras devant mon visage. J’avais conscience que cela ne servait à rien, mais je réagis par réflexe. Une nouvelle fois, mes derniers instants semblaient venus. Soudain, sa masse d’arme tomba au sol. Elle atterrit lourdement entre mes jambes, en même temps que sa tête. De longues éphémérises encore furent nécessaires avant que ce ne soit au tour de son corps de basculer.
La femme se tenait là. La lame de son épée couverte de sang, elle la nettoya à la hâte de la main. Les cadavres des soldats jonchaient le sol dans le désordre le plus total.
« Dépêche-toi, il faut partir ! M’intima-t-elle en rengainant ses armes dans leur fourreau. Ils n’étaient pas une dizaine, le reste de leur groupe ne doit pas être très loin, et il vaudrait mieux éviter de tomber sur eux. »
Je conservai mon attention fixée sur la tête de la créature devant moi, dont les yeux paraissaient ne pas vouloir me quitter. Des tremblements convulsifs parcouraient l’ensemble de mon corps. Sous le choc, je demeurai paralysée. Aussi malfaisantes qu'elles s'avèrent, ces petites créatures ne méritaient certainement pas ça.
Je réussis à détacher mon regard, mais partout où il se posait, ce n’était que sang et chair. Le premier était déjà en train de s’infiltrer avec paresse dans la terre et maculait bon nombre d’arbres et plantes. La seconde allait bientôt servir de nourriture à d’autres bestioles plus infimes. Et je sentis que la nature profonde de ce lieu venait de changer. En l’espace de quelques éclires la présence inédite des humanoïdes que nous représentions, avait transformé cette zone vierge et pure. La mort s’était installée. Plus jamais cet endroit ne retrouverait sa sérénité d’antan.
Bien que remuée par les sanglants événements qui s'étaient déroulés, je finis par me lever et courus sur les talons de la femme sans réfléchir. Elle avait en moins de deux, pendant que je me remettais de mes émotions, réuni ses affaires, et son baluchon pendait désormais dans son dos.
« Dépêche-toi ! » M’enjoignit-elle encore en disparaissant derrière des buissons.
Trop bouleversée pour raisonner, je me contentai d’obtempérer et me faufilai à sa suite dans les bois.
Au bout d’une dizaine d’éclires à bonne allure et à crapahuter au milieu des arbres, des fougères et autres ronces qui ne nous facilitaient pas la progression, elle finit par ralentir, à mon grand soulagement. À bout de souffle, j’en profitai pour récupérer et tenter d’éliminer le point de côté qui me martelait le flanc depuis plusieurs centaines d’enjambées déjà.
Nous nous trouvions toujours dans les bois, mais avions pénétré dans une partie plus densément arborisée encore. La pénombre nous environnait, oppressante. Les rares manifestations du vent qui arrivaient à s’infiltrer faisaient osciller les branchages en une danse désordonnée et angoissante. Au milieu de cette atmosphère inquiétante, non loin, nous parvenait aux oreilles le clapotement régulier et apaisant d’une rivière, seul bruit, en dehors de ma respiration haletante, que l’on distinguait aux alentours.
Jamais je ne m’étais aventurée aussi en avant dans la forêt de Lisart. Lugubre déjà à son orée, elle m’avait toujours fait horreur et cette escapade en terrain inconnu n’allait pas améliorer mon ressenti. Sans compter que si je ne faisais pas marche arrière de suite je risquais de me perdre pour rejoindre la maison.
« Que doit-il arriver maintenant ? La femme vint se planter menaçante devant moi alors que je parvenais enfin à retrouver mon souffle.
— Pardon ? m’exclamai-je soudain sortie de mes pensées.
— Tu as dit que tu avais eu une vision où tu voyais l’attaque ? Ensuite, qu’est-ce qui se passe ? Me pressa-t-elle.
— C’est-à-dire que… balbutiai-je.
— Quoi ? insista-t-elle en se collant davantage encore à moi.
— Je ne sais pas ! En fait, je suis revenue à moi quand la première flèche a volé devant nous ! Je n’ai pas la moindre idée de ce qui va se dérouler… Confessai-je.
— Génial… Souffla-t-elle dépitée, des signes d’énervement dans la voix.
— Et d’ailleurs, qu’est-ce que…
— Chut ! » M’intima-t-elle avant que je n’aie eu l’occasion de poser ma question, le doigt en l’air pour bien me faire comprendre que je devais me taire.
Elle tendit l’oreille et le silence retentit. Le clapotis de la rivière accrocha en premier lieu mes sens, puis ce fut le bruit du métal qui s’entrechoque et les cris multiples des soldats.
« Elle n’est pas seule ! Entendis-je au loin.
— Ils arrivent ! Prit le temps de me dire la femme même si je m’en doutais déjà. Ils sont à l’extérieur de la forêt, ou au moins sur un sentier dégagé si j’en crois leur nombre. Mais il ne leur faudra pas longtemps pour nous rattraper. Nous allons devoir franchir la rivière ! Avant qu’ils trouvent un endroit pour traverser nous serons loin.
— Je ne vais pas traverser la rivière, j’habite là-bas moi ! Dis-je tout en lui indiquant du doigt la direction opposée, mais elle n’y prêta aucune attention.
— Attrapez-les et tuez-les ! Hurla encore la voix qui semblait se rapprocher.
— Tu n’as pas vraiment le choix, me confirma la femme comme je le redoutais.
— Mais je n’ai rien à voir avec vous…
— Si tu ne viens pas avec moi ils te trouveront sans l’ombre d’un doute, et peu importe qui tu es, ils te tueront ! Et même si tu parviens à regagner ta maison, ils viendront et élimineront tous ceux qu’ils rencontreront. » Me certifia-t-elle sans une once de réserve.
Je sentis qu’elle disait vrai. Ils ne me laisseraient pas tranquille et pourraient tuer toute ma famille.
L’affolement menaça alors de me submerger. L’envie de fuir faillit être la plus forte. Quand la guerrière me saisit par les épaules.
« Viens avec moi si tu veux vivre ! »
Je ne disposais pas vraiment d’autres solutions. Sans compter que les vociférations des soldats en colère après la découverte du sanglant massacre opéré plus loin retentissaient de plus en plus. Elles arrivaient de tout autour de nous comme un écho dans une vaste grotte.
« Vite ! »
À la hâte, je pris la suite de la femme. Après quelques éclires d’une course toujours aussi difficile parmi les broussailles environnantes, nous atteignîmes la rivière. Ou devrais-je dire le torrent plutôt ? Non contents de mesurer près d’une vingtaine d’enjambées de largeur les flots qui le composaient s’avéraient des plus agités. De violents remous venaient exploser de chaque côté éclaboussant les berges.
« Allez ! »
Je jetai un regard incrédule et affolé à ma partenaire qui m’exhorta pourtant d’un signe de tête à sauter. Mon cœur se mit à battre à tout rompre dans ma poitrine. Je posai encore mes yeux dans les siens. Ce qu’elle s’apprêtait à faire ne semblait pas l’émouvoir. Elle me demandait de l’imiter.
Sans vraiment savoir pourquoi, je décidai de lui faire confiance.
Je pris mon courage à deux mains. Comme si cela pouvait aider, je me consolai en pensant pouvoir redonner une nouvelle jeunesse à mes bottes. Et finalement, retenant ma respiration, je m’élançai. Mon acolyte elle, n’hésita pas.
Tandis que nous disparaissions dans les abîmes, des flèches commencèrent à voler à notre intention.
Mon plongeon dans les eaux tumultueuses sembla durer plusieurs éclires. En réalité, il ne me fallut que quelques éphémérises pour pénétrer, les pieds en premier, dans la rivière. Je disparus dans les flots, m’enfonçant jusqu’à la tête dans ce liquide glacé qui me saisit d’un coup. Pétrifiée par le froid mordant, ballottée en tous sens, je parvins à me faire violence, et en seulement deux mouvements de brasse bien appuyés, je remontai à la surface. L’air que je sentis alors effleurer mon visage et s’introduire dans mes poumons me parut libérateur. Hélas, mes tourments commençaient à peine.
Empêtrée dans les rapides, je n’avançais pas d’un pouce en direction de l’autre berge. J’avais beau essayer de ne pas penser aux créatures qui nous avaient rejointes sur le rivage et nous tiraient dessus de leurs arcs courts, pour me concentrer sur mes déplacements à la nage, rien n’y faisait. Malgré tous mes efforts pour nager vers le bord, je demeurais impuissante, emportée sans répit par le courant.
À plusieurs reprises, je me retrouvai la tête sous l’eau, incapable de retrouver la surface. À chaque fois, ce furent les remous qui me libérèrent, mais pas pour longtemps et mes efforts pour rester hors de l’eau ne réussirent qu’à m’éreinter encore davantage. Dans une tentative désespérée pour aller chercher cette oxygène qui me manquait tant, je me sentis soudain tirée vers le haut puis lourdement jetée sur la terre ferme.
Enfin à l'air libre je voulus recracher toute l’eau emmagasinée dans mes poumons, mais ma partenaire ne m’en laissa pas le temps. Sans ménagement, elle me remit sur pieds et me poussa en avant. Nous nous dissimulâmes sous le couvert des arbres, hors de portée des flèches des archers ennemis. Enfin à l’abri, elle m’autorisa à m’asseoir pendant qu’elle scrutait les environs et s’assurait que nous n’avions rien à craindre. Haletante, je pris enfin la peine de retrouver mon souffle tout en frissonnant de peur et de froid.
« Est-ce qu’on ne devrait pas s’éloigner encore davantage ? Parvins-je à articuler entre deux soubresauts.
– Pas besoin. Ce serait suicidaire de leur part de vouloir traverser avec leurs armures. Ce ne sont pas les créatures les plus malines d’Ohorat, mais a priori on ne risque rien pour le moment, me rassura-t-elle. Il va leur falloir trouver un endroit pour traverser s’ils veulent nous rattraper et le premier pont est à plusieurs pas de titan de là, dit-elle tout en s'asseyant à côté de moi pour dénouer ses bottes et sa cuirasse afin de les laisser sécher.
– Justement, c'était quoi ces créatures ? La questionnai-je tremblante.
– Quoi, tu n'as jamais vu de gobelins ?
– Des gobelins ? Non, c'était la première fois. On ne croise pas grand monde dans le coin, vous savez ! Hormis des naturiens, parfois des orques... » M'interrompis-je soudain.
Maintenant que la tension retombait, je prenais le temps de détailler mon interlocutrice. Grande et musculeuse elle avait de larges épaules et un maintien altier. Son visage carré était entouré d’une fine, mais longue chevelure brune et raide. Ses yeux étaient petits et renfoncés, mais d’un marron noisette si fascinant qu’ils illuminaient son regard. C'est ainsi que je la reconnus et réussis enfin à mettre un visage à la personne qui partageait depuis des cycles mes nuits ou plutôt mes rêves extravagants.
« Quoi ? s'enquit-elle tout en essorant ses cheveux ruisselants, alors que je restais bouche bée face à elle.
– Hein ? Non, rien du tout... Éludai-je d’un hochement de tête.
– Tiens, dit-elle sans s'offusquer et en tirant de son baluchon en cuir, une couverture qu'elle me tendit. Déshabille-toi et sèche-toi ou tu vas attraper la crève. »
Étonnée par tant de sollicitude, et du fait que les affaires à l'intérieur de son sac ne soient pas imbibées d'eau, je la remerciai d'un signe du menton et entrepris, comme elle me le suggérait, de me débarrasser de mes vêtements trempés.
« Depuis quand as-tu ce genre de vision ? reprit-elle tandis que je retirais ma jupe longue et l’essorais.
– Depuis toujours, je dirais, lui répondis-je sans ambages. D’habitude, je me contente de pressentir le temps qu’il fera, mais il m’arrive aussi de voir, comme aujourd’hui, des combats. En général, ça arrive plutôt la nuit au cours de rêves. D'ailleurs, je vous ai déjà rencontré !
– Ah bon ? Me questionna-t-elle curieuse.
– Oui ! Enfin, je veux dire que vous m’êtes déjà apparue. La dernière fois, vous étiez dans les montagnes et vous aviez déclenché une avalanche pour empêcher une troupe d’orques d’avancer. Ensuite avec votre armée vous les avez pris en tenaille… »
J’arrêtai là mon récit. La pensée de ce qui s’ensuivit me retournait le cœur de par sa violence. Cette nuit-là, il ne m'avait pas fallu bien longtemps pour me réveiller de ce cauchemar tant les images m'avaient troublée.
« Intéressant… Dit-elle songeuse. Comment t’appelles-tu ?
– Gabrielle, répondis-je sans retenue, car, comme au bord des rapides, quelque chose en elle forçait ma confiance.
– Moi c’est Élisiaelle.
– Élisiaelle ? répétai-je interpellée. Est-ce que vous seriez Élisiaelle la guerrière ?
– Tu as entendu parler de moi ? s'étonna-t-elle presque amusée.
– Euh, oui, un peu, comme tout le monde… Répondis-je embarrassée.
– Et qu’est-ce qu’on raconte à mon sujet alors ?
– Que vous êtes l'un des capitaines de l’armée de Garlerich, le Champion de Gazir, et que c’est grâce à vous qu’il a remporté bon nombre de ses batailles !
– Hum… »
En réalité, je ne dis pas toute la vérité. Je mentirais si je racontais que les récits la dépeignaient en tant qu’héroïne. Au contraire, ils brossaient un tableau bien moins flatteur. Élevée au rang de barbare sanguinaire, elle n’hésitait pas à envoyer à la mort ses propres soldats pour vaincre, et à massacrer ses ennemis sans pitié. J’en avais eu un avant-goût ce matin même. Néanmoins, dès que l'une de ses histoires de batailles me parvenait, je ne pouvais m'empêcher d'admirer cette prodigieuse guerrière, et ce malgré les horreurs que cela m’inspirait.
« Si tu veux rentrer chez toi, je te conseille d'attendre la nuit avant de bouger, dit-elle en se levant et en récupérant ses affaires qui avaient eu le temps de se désengorger d'eau. Mais méfie-toi. S’ils suivent ta trace, il est probable qu’ils s’en prennent à toi et à tous ceux qu’ils rencontreront au passage. Le plus simple serait sans doute…
– Est-ce que je peux venir avec vous ? » L'interrompis-je soudain, bluffée moi-même par tant de témérité.
Malgré sa terrible réputation, tout en elle me fascinait. Pourtant, je ne décidai pas de m’imposer du fait de cette attirance étrange. À dire vrai, je souhaitais découvrir la raison de sa présence régulière dans mes songes. Je sentais que nos destins se trouvaient liés, mais jusqu'à quel point ? Et pourquoi ?
Sans rien répondre elle me détailla de la tête aux pieds. En face d’elle ne se tenait rien de plus qu'une gamine tout juste sortie de sa forêt. Bien que fille de naturiens je n'en possédais moi-même aucunes des caractéristiques ni compétences. Leur magie restait pour moi un mystère, malgré les asthors d’entraînement. Je ne lui apporterais rien non plus en terme de combat. Mes seules aptitudes en la matière se limitaient à l'esquive des griffes des gloutons ; et encore, je ne réussissais pas à cent pour cent... Tout bien considéré, je n’apparaissais pas comme la compagne de route idéale pour une guerrière émérite.
Pourtant, à mon grand étonnement elle prit le temps de la réflexion. Elle sembla hésiter quelques instants puis conclut :
« Il va falloir te trouver d'autres bottes ! »
« Où est-ce qu’on va ? »
Nous avions abandonné les bois depuis un moment maintenant et nous trottions désormais à vive allure. De vastes plaines d’herbes hautes jaunies par le soleil s’étendaient à perte de vue. Ces dernières s’accrochaient à ma jupe comme une tique à la peau. Plus nous progressions, plus je ressemblais à un épouvantail en paille, et plus je pestais.
« Dans un premier temps, on va rejoindre le prochain village, m’annonça Élisiaelle. J’ai quelques courses à faire. »
La guerrière, du haut de ses six pieds avançait à grandes enjambées sans jamais se retourner. Elle ne semblait pas se rendre compte que je traînais derrière, incapable de suivre son rythme. De mes deux mains, je devais soulever ma longue jupe encore gorgée d’eau. Qu’est-ce qu’elle me gênait ! Parfaite quand on se baladait en forêt pour éviter les bestioles ou les plantes vénéneuses. Mais, son utilité laissait à désirer lorsqu’il fallait marcher avec, et sur des distances conséquentes.
Le jour défilait à son rythme. La chaleur croissait petit à petit, même si la température ne grimpait jamais beaucoup dans ces contrées septentrionales. La région de Valberge dans laquelle la forêt de Lisart représentait près du tiers, s’étendait dans la tranche nord des Royaumes d’Ohorat. Elle se trouvait coincée entre la Côte de Tousvents et la Mer de Lune au sud, les Terres Brutes de Kragmaure au-dessus, et le grand lac des Esprits à l’est à la frontière de Gazir. Habitée en majorité de fermiers isolés et de naturiens inamicaux et puissants, la forêt de Lisart n’était pas ce que l’on pourrait appeler une zone hospitalière, bien au contraire. La moindre menace faite à l’encontre de la nature de la part d’étrangers se traduisait par un massacre de ceux-ci. De plus, les échanges avec les autres régions se montraient rarissimes. Les locaux préféraient vivre en autarcie et n’avoir recours qu’en d’exceptionnelles occasions aux produits extérieurs. Ce qui s’avérait le cas par exemple pour les matériels en fer qu’ils ne pouvaient forger eux-mêmes et qui demeuraient nécessaires pour leurs cultures. De fait, ce coin sauvage, bien que présentant un sol fertile qui aurait pu attirer les nombreux conquérants alentour, ne faisait l’objet que de peu de tentatives d’invasions. Quelle ne fut donc pas ma surprise au moment de ma vision, quand j’avais constaté que des ennemis inconscients avaient osé s’introduire de façon éhontée dans la forêt.
Il était maintenant midi passé. Mon ventre grondait d’insatisfaction, car je n’avais encore rien avalé de la journée. En plus, mes pieds me brûlaient par manque d’habitude à crapahuter aussi longtemps et aussi vite. Il fallait bien avouer que mes bottes à la semelle usée ne se prêtaient pas vraiment à ce genre d’activité.
À cette gêne s’ajoutait le doute qui commençait à m’assaillir. Avais-je bien fait de quitter ainsi ma maison et ma famille ? Moi qui ne connaissais rien au monde extérieur, me lancer soudain à l’aventure représentait un changement énorme. Peut-être aurais-je dû y réfléchir à deux fois avant de décider sur un coup de tête de tout abandonner ? Est-ce que je ne réagissais pas de manière excessive ? L’annonce faite par ma mère quant à mon union avec le vieux naturien ne m’avait-elle pas bouleversée outre mesure ? Finalement, cette option présentait des avantages. Comme elle l’avait dit, il jouissait d’une excellente renommée malgré son côté sauvage. Devenir sa femme m’assurait une vie à l’abri du besoin, tranquille, sans surprises…
Plus nous nous éloignions de la forêt et plus mon cœur s’emballait. Et Élisiaelle ! Certes, je la rencontrais de façon régulière dans mes rêves. Mais il ne s’agissait rien de plus que de visions ! Qu’est-ce qui me garantissait qu’elle n’allait pas m’éliminer ici et abandonner ma dépouille aux charognes ? En fin de compte, je me trouvais quand même en présence d’Élisiaelle la barbare ! D’après ce que je savais d’elle des histoires et de ce que j’observais dans mes songes, cette réputation semblait bien méritée. J’avais même eu la preuve devant moi ce matin des horreurs qu’elle pouvait commettre… Ou bien, allait-elle me vendre sur le marché de ce village où je me rendais de mon plein gré ? Ma capacité à voir l’avenir lui rapporterait sans doute un peu d’argent. Elle m’était apparue particulièrement intéressée lorsque je lui en avais parlé. Je m’étonnai d’ailleurs que mes parents n’y aient pas déjà pensé…
Indécise je tentai de raisonner. Hélas, à bout de souffle, je peinais à garder les idées claires. Si je rentrais chez moi j’étais destinée à finir en madame Faurgar, la femme sans pouvoir du naturien émérite. Si je demeurais avec Élisiaelle, qui savait ce qui pouvait m’arriver ? Peut-être serais-je offerte en guise de cadeau à un général sanguinaire ? Tuée ? Ou peut-être deviendrais-je moi aussi une guerrière ? Cette pensée me fit sourire. Je ne possédais clairement pas l’étoffe d’une combattante. D’ailleurs, comment en devenait-on une ?
Au milieu de toutes mes réflexions, restaient toujours ces songes que je faisais. Où trouvaient-ils leur origine ? Dans quel but ? Pourquoi détenais-je cette capacité alors que je me voyais inapte à créer un peu d’eau, sort le plus basique qui soit pour un naturien ? Et pour quelle raison Élisiaelle en faisait-elle partie ? Voilà des cycles que je me posais ces questions. Aujourd’hui, le destin avait mis sur ma route la grande guerrière. Si cela ne ressemblait pas à un signe… Je sentais au fond de moi qu’Élisiaelle représentait la clef de toutes mes interrogations.
Tout s’éclaira alors. Je devais saisir cette occasion unique pour comprendre enfin ce qui sommeillait en moi. Même si, tout bien réfléchi, personne de sensé ne m’envisagerait comme compagne de voyage. Je ne savais rien faire si ce n’est prédire les événements à venir, et encore de façon aléatoire et incomplète. Pourtant je voulais entreprendre ce périple au côté d’Élisiaelle, et advienne que pourra.
Ma décision prise je m’élançai pour me placer à la hauteur de la guerrière.
Nous marchâmes plusieurs asthors sans marquer d’arrêts. Je n’en pouvais plus. De nouveau, plusieurs dizaines d’enjambées nous séparaient.
Je finis par stopper ma course et inspirai.
« On ne pourrait pas se reposer un peu ?
— Non, on ne peut pas ! lâcha la combattante sans même daigner se retourner.
— Pourquoi ? J’ai mal aux pieds et je suis fatiguée ! » Me plaignis-je sans bouger davantage alors qu’elle s’éloignait toujours.
Comme une mère désespérée par l’ignorance de sa fille, elle s’arrêta. Elle me tournait le dos, mais je sentis ses épaules s’affaisser de dépit. Alors, elle revint sur ses pas pour se placer à ma hauteur. Ses traits étaient crispés et montraient de façon nette qu’elle ne comptait pas me laisser le répit souhaité. Néanmoins, elle prit le temps de m’expliquer sa position.
« Je crois que tu n’as pas bien saisi la situation : les gobelins que nous avons croisés faisaient partie des troupes de Kazaar. Est-ce que ce nom te dit quelque chose ?
— Oui, il me semble que mes parents l’ont mentionné une fois… répondis-je en tentant, mais sans résultat, de me souvenir dans quel contexte je l’avais déjà entendu prononcer.
— Pour ton information, Kazaar est un démoniste d’Ecroth, m’expliqua-t-elle avec patience. Et comme tous les démonistes d’Ecroth, tu dois bien savoir qu’ils massacrent tout ce qui se trouve sur leur passage, sans exception ?
— C’est vrai, maintenant que tu le soulignes…, dis-je, mais de façon peu convaincante. Mais au fait, pourquoi sont-ils après toi ?
— C’est très simple, commença-t-elle. Kazaar tente depuis plusieurs cycles déjà d’envahir Gazir. Comme tu peux t’en douter, Garlerich n’y est pas vraiment favorable. Étant donné je fais partie de l’armée de Garlerich, il est assez facile de deviner que Kazaar veuille m’éliminer moi aussi, finit-elle. D’autres questions ? »
Je réfléchis un instant le temps d’intégrer toutes ces nouvelles informations puis de la tête je lui fis signe que non.
« Bien. Est-ce qu’on peut continuer d’avancer du coup ? »
J’acquiesçai en signe d’assentiment, peu désireuse de revoir ces créatures immondes qu’elle disait être des gobelins, et qui avaient bien failli nous tuer à peine quelques asthors plus tôt.
Nous allions reprendre notre route quand je sentis alors son regard me scruter et passer en revue ma mise : ma vieille jupe trouée et crasseuse aux genoux malgré le bain à remous qu’elle avait subi, mes bottes pleines de boues et toujours trempées.
« Il faut vraiment qu’on fasse quelque chose pour ta tenue », conclut-elle avant de s’éloigner.
Après plusieurs longs asthors de marche depuis la traversée mouvementée de la rivière, nous pénétrâmes en fin d’après-midi dans un hameau du nom de Gobi. Une multitude de maisons en bois délabrées s’entassaient les unes sur les autres le long d’une large rue commerçante sans charme. Des échoppes et divers marchands ambulants tentaient d’attirer de rares badauds. Ceux-là ne jouaient pas des coudes pour se frayer un passage parmi la foule tant celle-ci était réduite. Malgré ces conditions idéales, j’eus du mal à me maintenir juste derrière Élisiaelle. En réalité, me faufiler entre les personnes ne posait aucun souci. Cependant, absorbée dans ma contemplation de ce que je prenais pour une ville alors qu’il s’agissait tout au plus d’une petite bourgade, j’en oubliais presque les raisons de ma présence ici.
Depuis mon plus jeune âge, je n’étais sortie de la forêt qu’à de rares occasions et voilà bien la première fois que je foulais un lieu où se « massaient » les gens. Dans les bois au contraire, plus les individus mettaient de distance entre eux, mieux ils se portaient.
Heureusement, Élisiaelle gardait un œil sur moi et, même si elle me serinait d’un ton agacé de me dépêcher, elle s’amusait de me voir si étourdie par tant de nouveautés. Enfin, elle réussit à me pousser dans un passage perpendiculaire à la rue principale, tout à fait désert et sombre à l’excès. Sans hésiter, elle s’avança dans cet étroit boyau qui ne permettait la circulation que d’une seule personne de front à la fois, s’enfonçant de plus en plus dans la noirceur et la puanteur.
Peu rassurée malgré la présence de la guerrière, car j’avais bien noté que si elle venait à combattre dans cette petite venelle, son épée s’avérerait inutile, je m’engouffrai néanmoins à sa suite. Je marchai si près d’elle qu’au moindre arrêt de sa part je ne pouvais manquer de lui rentrer dedans. Mais cette proximité me donnait l’impression d’être abritée par son aura invisible, comme une bulle de protection qui nous engloberait toutes les deux ; image fabriquée de toute pièce par mon imagination, j’en avais bien conscience.
Plus nous avancions, plus je me recroquevillais sur moi-même afin de me faire la plus petite possible. De même, plus nous progressions, plus je me sentais prise de haut-le-cœur du fait de l’odeur infecte et stagnante qui régnait ici. Le fumet qui se dégageait, loin de plaire à mes narines, reniflait comme un savant mélange entre, entre autres, de l’urine humaine, du vomi de ragoût distillé à la gnaule du coin et des excréments d’animaux.
Enfin, alors que cette traversée semblait ne pas vouloir se terminer, Élisiaelle stoppa sa marche devant une porte. La bâtisse à laquelle elle donnait accès se trouvait construite, comme toutes les autres habitations du hameau, en un bois sombre. Cela donnait l’étrange impression qu’ils demeuraient en permanence humides. Rien ne la distinguait de celles similaires qui l’entouraient.
Sans prendre la peine de frapper, la guerrière entra. Je découvris alors une taverne, poussiéreuse et tout aussi vide que la ruelle. Constituée de deux pièces, dont une à l’arrière. La première, d’environ quatre enjambées sur cinq, possédait un bar qui avait dû recevoir des clients à une époque. L’état plus qu’usé du meuble pouvait en témoigner. Elle comptait également trois petites tables entourées de chaises bancales en bois. L’autre salle devait correspondre à la cuisine, car une odeur un tant soit peu plus agréable qu’à l’extérieur s’en dégageait, accompagnée d’une épaisse fumée grise aux relents de graisse.
La guerrière me fit asseoir au plus proche de l’entrée. Elle s’installa en face de moi. Ainsi, elle conservait une vue sur l’ensemble des lieux et ne se tenait si besoin qu’à quelques pieds de la porte de sortie.
« Je vais commander de quoi nous restaurer un peu, annonça Élisiaelle. Ensuite, nous irons t’acheter un baluchon et des vêtements plus adéquats pour de la marche ! »