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Sylvain a quitté le pays des châteaux et doit affronter d’autres formes d’enfermement. Entraîné dans une spirale de délinquance et perdu entre la prison, la drogue, les femmes et les voyages, il plonge dans l’univers carcéral et ses sombres réalités. Alors qu’il pense avoir touché le fond de l’abîme, une main invisible le propulse à la surface. Parviendra-t-il à surmonter l’adversité et à trouver la voie de la résilience ?
À PROPOS DE L'AUTEUR
Journaliste, travailleur social et enseignant, la passion pour l’écriture n’est pas récente chez
Bernard Abchiche. Ce dernier enregistre un grand nombre de textes rédigés qui n’ont cependant jamais été soumis au jugement des lecteurs. "Les lieux clos – Deuxième partie" est la suite d’une œuvre qui explore les mécanismes de l’enfermement.
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Seitenzahl: 241
Veröffentlichungsjahr: 2024
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Bernard Abchiche
Les lieux clos
Deuxième partie
Roman
© Lys Bleu Éditions – Bernard Abchiche
ISBN : 979-10-422-1874-4
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
À jacqueline, dite : « Manou »
Le romancier est fait d’un observateur et d’un expérimentateur.
ÉmileZola,
Le roman expérimental
Dans la petite cabine du fourgon cellulaire qui transportait Sylvain du palais de justice à la prison de Fresnes, c’était le noir total.
L’absence de lumière avait pour effet d’amplifier les sons qu’il percevait, de leur donner plus de relief. Habituellement, il ne prêtait pas d’attention particulière à ces bruits familiers d’une ville en mouvement.
À présent, ils résonnaient étrangement et prenaient à ses yeux une importance qu’il n’aurait pas soupçonnée quelques heures auparavant.
Dès le départ du fourgon, il avait bien tenté d’en suivre mentalement le parcours, d’évaluer la distance qui le séparait de sa destination finale, cette prison inconnue qu’il redoutait et espérait tout à la fois, tant les dernières quarante-huit heures l’avaient épuisé, vidé.
Devant la difficulté de l’entreprise, il avait finalement renoncé, et s’attachait à présent à son seul souci : sortir au plus vite de ce long tunnel d’angoisse. Combien de temps ce supplice allait-il durer ?
Il respirait à peine dans l’étroite cellule où il était enfermé avec un autre détenu qu’il ne connaissait pas, et dont la présence si proche lui était insupportable. Bouche-à-bouche répugnant qui exhalait une odeur écœurante.
Les conditions si inconfortables de ce voyage étaient peut-être pour son organisatrice, l’administration pénitentiaire, une manière de signifier aux futurs détenus qu’il ne s’agissait pas d’une promenade de santé. Comme un avant-goût de ce qui les attendait derrière les barreaux de la prison.
C’est ainsi que Sylvain prenait peu à peu réellement conscience de la situation dans laquelle il se trouvait.
Jusqu’ici, les évènements s’étaient enchaînés si rapidement les uns après les autres qu’il n’avait pas encore pris le temps d’en mesurer la gravité et la signification profonde.
À présent, le film des heures qui avaient suivi son arrestation se projetait brusquement, violemment, sur l’écran de sa mémoire.
Les coups frappés à la porte du studio, les deux jeunes flics qui le braquent et l’allongent à terre sans ménagement, le trajet, menottes dans le dos, jusqu’au commissariat, les questions auxquelles il ne veut pas répondre, les gifles, les menaces, alternant avec les propos rassurants et la gentillesse feinte du policier sympa. Les heures qui passent dans la cellule grillagée, l’angoisse, la fatigue et la faim.
Sylvain avait fini par reconnaître sa participation à un cambriolage somme toute assez minable et dont les flics avaient eu connaissance presque par hasard lors d’une perquisition chez un de ses copains où ils avaient découvert une partie du butin provenant d’un vol dans un bureau de tabac.
Gérard, à qui Sylvain avait imprudemment confié quelques briquets et autres babioles insignifiantes après en avoir revendu la plus grande partie, ne s’était pas trop fait prier pour leur en avouer la provenance et leur indiquer où trouver Sylvain.
Pour la police, le travail était terminé. À présent, c’était à un juge d’instruction de décider de son sort.
Dans les sous-sols du palais de justice sombres et froids, Sylvain n’a d’autres choix que de suivre le garde mobile qui l’entraîne vers le bureau du juge.
Après une succession de couloirs aux murs pisseux ; d’étroits escaliers, ils finissent par déboucher dans le vaste et imposant hall du palais dont le décor somptueux contraste violemment avec celui du dépôt, sordide et crasseux.
Flanqué de son garde, Sylvain attend sagement, assis sur la banquette de bois que la porte du bureau du juge s’ouvre enfin.
L’attente, et surtout l’ignorance de sa durée, de son dénouement, voilà la préoccupation principale de Sylvain.
À la seconde même de son arrestation, il avait compris qu’il ne s’appartenait plus, qu’on l’avait immédiatement dépouillé de son libre arbitre, de sa liberté de décider lui-même de son destin. La fin de ses attentes était dorénavant suspendue au bon vouloir des autres, aux décisions qui seraient prises à son encontre en fonction des réponses qu’il apporterait aux questions posées. En reconnaissant les faits qui lui étaient reprochés, il se savait condamné à attendre.
La porte finit par s’ouvrir, et le garde l’entraîna rapidement dans le cabinet du juge d’instruction.
Assis derrière un immense bureau sur lequel s’entassait un nombre impressionnant de dossiers de diverses couleurs, un petit homme à l’allure austère, vêtu d’un costume gris lui ordonna, sans même le regarder, de s’asseoir après que le garde lui eut retiré ses menottes.
L’homme était assurément antipathique, silencieux, il lisait quelques feuillets posés devant lui, les procès-verbaux de la police le concernant sans doute…
Cette fois, Sylvain n’eut pas longtemps à attendre. Sa lecture terminée, le juge lui marmonna quelques mots où il était question de faits suffisamment graves, de mandat de dépôt et d’une prochaine convocation.
Une femme, assise un peu plus loin devant une machine à écrire qui crépitait depuis que le juge avait pris la parole, se leva et s’approcha de Sylvain avec une feuille de papier qu’elle posa sur le bureau devant lui.
— Signez là ! lui ordonna-t-elle sur un ton qui laissait peu de place à la contestation.
Fatigué, étourdi, impressionné par le climat qui régnait dans ce bureau, Sylvain s’exécuta et signa le document sans même le lire.
La scène avait duré à peine quelques minutes, d’un signe de la tête, le petit homme gris signifia au garde qu’il pouvait emmener le prévenu. Celui-ci lui remit les menottes auxquelles il était lui-même attaché, tel un frère siamois, et l’entraîna rapidement vers la sortie.
Le fourgon s’immobilisa un peu plus longuement qu’à un simple feu rouge, Sylvain reconnut distinctement le son d’une porte qui s’ouvrait dans un sinistre grincement métallique, de l’acier sans doute, et qui signifiait vraisemblablement la fin de son calvaire. La porte du fourgon s’ouvrit à son tour et un bruit de clef qu’on introduit dans une serrure indiqua que c’était le moment de la délivrance.
C’était la fin de l’après-midi et les rayons d’un petit soleil de mai s’engouffrèrent brusquement dans le fourgon, déchirant les ténèbres et blessant le regard de ses occupants.
Le gardien qui avait ouvert les portes des cellules leur aboya de se dépêcher de sortir. Aveuglé, Sylvain ne distingua tout d’abord que quelques marches face à lui.
Pendant que les autres détenus sortaient un à un du fourgon, et à mesure que l’éblouissement provoqué par la brusque entrée du soleil dans sa cage plongée dans le noir se dissipait, Sylvain découvrait le décor étrange de la cour de la prison de Fresnes.
Derrière lui, une immense porte métallique doublée d’une grille et qui s’était refermée aussitôt, le fourgon entré dans l’enceinte de la prison.
En face, la volée de marches qui menait à une imposante porte-fenêtre blanche.
Une fois le dernier détenu descendu du fourgon, la petite troupe s’ébranla en direction d’une simple porte qui venait de s’ouvrir sur la gauche, en haut des escaliers, la grande porte-fenêtre étant certainement réservée à des visiteurs de marque.
Une fois la porte franchie, Sylvain comprit que, cette fois, il venait de quitter un monde pour un autre sans savoir exactement ce qui l’attendait et pour combien de temps.
Ils longèrent d’autres couloirs, franchirent d’autres grilles aux barreaux verdâtres. À chaque étape de leur parcours, à chaque croisement de couloir, se dressait une guérite vitrée d’où les observait un homme en uniforme sombre.
En cette fin de journée, c’était le silence qui dominait, les écrasait, pesait sur leurs épaules de toute sa force comme un manteau d’éternité.
Seul l’écho des invectives hargneuses des gardiens zélés venait troubler par instant l’apparente quiétude de ces lieux hors du monde des vivants.
Sylvain comprenait qu’il n’y avait pas d’autres choix que de se plier immédiatement aux exigences des gardiens.
— Les mains derrière le dos ! En rang ! Silence !
Silence et obéissance deviendraient comme une vieille habitude dont on ne se départirait que dans la solitude d’une cellule.
On les fouille encore, plus minutieusement, cette fois. Il faut lever la jambe, tousser et endurer sans broncher les rires gras des gardiens devant un cul pas propre.
Les surveillants les accompagnent partout. Il faut désormais s’y habituer. En prison, on est rarement seul physiquement, mais souvent moralement. Ils ne les lâchent pas d’une semelle et sont inquiétants avec leur casquette étoilée, surtout les plus jeunes qui ne leur épargnent aucune insulte, aucune vexation.
Un à un, ils se présentent devant le greffier qui leur énumère la liste des effets personnels qui leur ont été confisqués au commissariat lors de leur garde à vue et qui leur seront restitués le jour de leur libération.
Montre, bijoux, papiers, argent, ceinture sont ainsi scrupuleusement répertoriés, symboles d’une ancienne existence qui, à présent, ne leur appartient plus.
On prend leurs empreintes, on les photographie et pour en terminer avec cette entreprise de déshumanisation, on leur attribue un numéro d’écrou qui sera désormais leur carte d’identité pénitentiaire.
Le passage au greffe terminé, ils sont parqués par petits groupes dans une cellule dite d’attente, pièce vide de tout mobilier, aux murs d’une couleur improbable, couverts de graffitis qui racontent la misérable histoire de quelques-uns de ces milliers de prisonniers anonymes passés par là.
C’est l’immédiate expression de la douleur, le moment vrai du désespoir qui s’exprime sur les murs. Cela étant, on redevient un autre… « Jamais un mur ne verra mon écriture », se promet Sylvain ce jour-là.
On leur distribue les éléments du paquetage : couvertures, draps, gamelle, fourchette, cuillère, bol, papier toilette. Objets dits de première nécessité et indispensables à la survie du corps. C’est la panoplie du détenu dont les règlements en vigueur interdisent de se séparer, sous aucun prétexte. Pas de danger que cela arrive, sans eux, ils ne seraient vraiment plus rien…
Une fois toutes les formalités d’entrée terminées, chacun de ces nouveaux arrivants est dirigé vers une division déterminée en fonction de l’âge et de l’ordre alphabétique de son nom.
Pour Sylvain, qui n’a pas encore atteint sa majorité, c’est donc le quartier des mineurs.
La fatigue, la faim, l’incompréhension, l’incertitude, l’angoisse, la pression des dernières heures, le voyage en fourgon, la peur, l’ignorance, tout cela fait de Sylvain une sorte de zombi qui se traîne misérablement en compagnie du petit groupe de garçons vers un ailleurs qu’il ne connaît pas, mais qui lui apparaît déjà comme une sorte de terre promise, de petit paradis au regard de ce qu’il vient de vivre !
Enfin arrivés au quartier des mineurs, un gardien et un détenu les accueillent. Ils leur indiquent les cellules qu’ils occuperont pour la nuit.
Une lourde porte en bois vernie équipée en son centre et à hauteur d’homme d’une sorte d’œilleton se referme sur eux.
Ce claquement sec, suivi du son métallique d’une clef qu’on tourne dans une serrure, ajouté au silence qui règne dans les lieux confère à l’instant une signification pire encore que le simple enfermement.
Sylvain en est convaincu, ce moment-là, il ne l’oubliera jamais.
Ainsi, ils sont à trois dans un réduit de deux mètres sur cinq, un lit à étages, un WC, appelé « tinette » posé dans un coin de la cellule sans rien pour se protéger du regard des autres. Ici, l’uniformité est la règle.
Il n’est pas difficile de deviner que les centaines de cellules de la division sont calquées sur le même modèle.
Les compagnons de cellule de Sylvain ne sont pas plus bavards. Ayant vraisemblablement suivi le même parcours que lui, ils arrivent ici dans le même état. Chacun perdu dans ses pensées, presque sans réaction, ils n’échangent pour l’instant que les quelques mots nécessaires à leur cohabitation forcée.
L’heure habituelle du repas des détenus étant largement dépassée, ils doivent se contenter d’un infâme morceau de pain accompagné d’une sorte de pâté dont la consistance, la couleur et le goût rappellent étrangement une certaine nourriture pour chien et chat. La faim qui les tenaille depuis le matin leur permet facilement d’ignorer ce détail.
Une fois le triste repas terminé, l’esprit et le corps ne désirent qu’une seule chose dormir, quitter le cauchemar, oublier où ils se trouvent, demain sera un autre jour…
À peine Sylvain a-t-il pu constater, en voulant l’éteindre, que la lumière de la cellule se commande de l’extérieur. Ainsi, l’obscurité se fait dans la pièce presque comme par miracle.
Sylvain entame sa première nuit derrière les hauts murs de sa prison.
Au matin, une porte s’ouvre. Enfin, un uniforme apparaît dans l’encadrement.
— Debout ! Vite ! Magnez-vous le train là-dedans !
Il faut donner sa gamelle au détenu qui sert le café. En fait, un infâme brouet noirâtre dont l’odeur et le goût n’ont de café que le nom.
Les compagnons de cellule de Sylvain sont sensiblement du même âge que lui. Les raisons de leur présence ici, il les connaît, comme ils connaissent les siennes. Les longues heures d’attente résonnent encore et toujours du récit de leurs histoires. Plus ou moins arrangées, plus ou moins enjolivées selon les cas, selon les interlocuteurs… On tâche de se fabriquer une peau pour mieux donner le change. Elle les accompagne au hasard des rencontres et se quitte aussi facilement qu’elle s’endosse.
Ils effectuent les gestes mécaniques de la vie carcérale qu’ils apprennent avec une déconcertante facilité. Sylvain éprouve cependant beaucoup de difficulté à admettre la terrible réalité. Il est en prison ! Quelques jours auparavant, il n’aurait pu imaginer que cela fût possible, inconscient qu’il était de la portée de ses actes et convaincu que sa jeunesse était une protection suffisante contre une telle extrémité.
On frappe discrètement à la porte. Ce simple bruit les remplit de joie. Derrière la porte de la cellule, il y a la vie. Une voix se fait entendre…
— Eh toi !
Ils ne connaissent personne dans la prison et il est impossible de savoir qui se trouve derrière la porte. Seul le mouchard fixé au milieu permet de distinguer les silhouettes. De l’autre côté cependant, on vous voit parfaitement.
— Oui, toi à gauche, celui à la chemise blanche, ça t’intéresse des cigarettes ?
C’est au voisin de Sylvain que la voix s’adresse.
Évidemment que cela l’intéresse. Ils n’ont pas fumé depuis si longtemps. En fait, ils n’ont pensé qu’à ça depuis la veille. Ce généreux donateur les intrigue au plus haut point.
Ils ne tardent pas à comprendre où il veut en venir. La belle chemise de l’autre contre le paquet de cigarettes, c’est le deal qu’il propose.
Il lui suffira de la donner à la prochaine ouverture de la porte et il aura son paquet.
Il accepte après avoir un peu hésité compte tenu de la valeur vingt fois supérieure de la chemise. Mais le besoin de fumer est plus fort que le reste. De plus, Sylvain et le troisième larron ont tout fait pour le persuader d’accepter, malgré ses réticences. Pas de leur faute après tout si leurs chemises à eux ne l’intéressent pas. Sinon, ils auraient fait volontiers l’échange, ont-ils affirmé, hypocrites.
Quelques instants plus tard, la porte s’ouvre et l’échange s’effectue sans que le gardien n’intervienne le moins du monde. À ce moment, Sylvain et ses codétenus comprennent une des lois internes à la prison : avec des cigarettes on achète beaucoup de choses.
Le surveillant revient. Il inspecte la cellule d’un air dégoûté.
— C’est sale ici ! Il faudra nettoyer !
Sylvain tente de lui expliquer qu’ils sont arrivés la veille et que, par conséquent, ils ne sont pas responsables de l’état des lieux. Le gardien ne veut rien savoir.
Sylvain refuse et les autres aussi. Le surveillant suffoque :
— Comment ? Vous refusez !
Il referme la porte violemment, non sans les avoir menacés de toutes les représailles possibles. Sylvain n’est pas fier. Que va-t-il se passer maintenant ?
Ils ne tardent pas à le savoir. Le maton revient, flanqué d’un autre gardien. Il est plus âgé. Son regard est dur, méchant. Sur son uniforme, des galons plus nombreux. Un chef sans aucun doute.
D’une voix doucereuse, paternelle, il leur demande ce qui ne va pas. Sa voix et le ton doucereux qu’il emploie les rassurent et c’est Sylvain qui se décide à prendre la parole pour les autres. Il lui explique la même chose qu’au premier gardien. Il semble écouter attentivement ses explications et même, il hoche la tête comme pour lui donner raison.
Brusquement, sans que rien ne le laisse prévoir, il le frappe violemment au visage. Dans la main, il serre une grosse clef. Sous la violence du coup, Sylvain tombe à terre, des larmes de douleur et de colère lui montent au visage. Pourtant, dans les yeux froids de cette brute, quelque chose l’empêche de se ruer sur lui. Son regard le paralyse, il le tuerait, il en est certain ! Calmement, sans passion, cet homme est dangereux.
Pour Sylvain, commence le long et pénible apprentissage de la discipline carcérale. Fini les libertés du passé, il faut à présent se soumettre, ne pas céder à la tentation de la violence… Il faut vaincre sa propre peur aussi.
Son refus d’obéir lui vaut une punition. Il doit rester debout, sans bouger, dans les limites d’un des carreaux de faïence dont est couvert le sol. Pendant des heures, il reste planté là sur son morceau de ciment.
Journal de Sylvain
La machine judiciaire et l’administration pénitentiaire se distinguent par leurs procédés.
L’une décide et l’autre exécute.
L’administration pénitentiaire est aveugle. Pour réprimer, punir, corriger, brimer, elle utilise des moyens classiques : déshumanisation de l’individu en lui ôtant toute identité. Elle écrase, elle broie et elle vide l’homme de sa substance. Elle décide pour lui. Il faut lui faire entièrement confiance, l’écouter, lui obéir aveuglément et tout se passera bien.
Curieusement, elle est sécurisante au point de vous faire oublier vos soucis. Il ne faut plus penser au monde extérieur. Dormez, dormez. « Je le veux », dit-elle…
Mais le détenu, lui, n’est pas censé savoir cela. Il s’insurge, il se révolte contre ce qu’il ressent comme une atteinte profonde à sa personnalité. Plus il est jeune, et plus le refus se manifestera de manière violente.
À dix-huit ans, je me sentais meurtri jusqu’au fond de ma chair par les nécessités de la discipline.
La souffrance ne se mesure pas, elle se subit, s’entasse et puis un jour se libère. Violemment.
Sylvain n’est pas décidé à se soumettre, pas complètement.
Ce qu’il cherche avant tout, c’est à comprendre comment et pourquoi il est arrivé là et de quelle façon s’en sortir.
En attendant, il parcourt plus ou moins docilement les chemins de l’orientation pénitentiaire. Il s’emploie à étouffer l’angoisse qui l’étreint.
Les jours et les semaines amènent de nouvelles découvertes, de nouvelles stupéfactions. Après le coiffeur, le directeur, c’est l’éducateur qui l’a pris en charge, avec les autres détenus arrivés en même temps que lui. L’étude de son dossier aboutit à une affectation. Il sera dirigé dans le quartier dit des « chômeurs ».
La division est composée de plusieurs sections où les détenus sont, en principe, répartis selon leur niveau scolaire.
« Aux chômeurs », c’est le bas de l’échelle, la menace perpétuelle d’y être rétrogradé pour ceux qui sont au-dessus. Les autres bénéficient, paraît-il, de la classe, la télévision, le sport et quelques avantages.
« Aux chômeurs », rien de tout cela. Certains ne font qu’y passer en punition, d’autres y restent indéfiniment, jusqu’à leur libération, leur jugement, ou leur transfert. Sans espoir.
Que faire de sa peau, lorsqu’on est enfermé entre quatre murs, avec pour seule distraction une heure de promenade derrière d’autres murs ? Attendre. Monotonie des heures que l’on ne peut lire faute d’horloge ou du droit de conserver sa montre.
Les pas du gardien qui se rapprochent… Croire un instant que c’est ici que l’on ouvrira, pour on ne sait quelle bonne ou mauvaise nouvelle… Le cœur se vide à force d’espérer.
Dans la petite cellule, il y a trois garçons qui s’observent, se jaugent avant de faire plus ample connaissance.
Il faut faire ses besoins devant les autres, manger devant les autres, dormir devant les autres, mentir devant les autres, effectuer les actes de la vie quotidienne devant les autres. Ne pas montrer sa faiblesse, sa terreur de l’ennui. Il faut dissimuler, taire son désir d’être compris, d’être aimé. Il faut se construire une armure d’où rien ne transparaît de l’affreuse petite musique des ténèbres…
Dehors, certains vous oublient vite. Ils pensent à vous écrire tout d’abord, puis très vite les lettres se font plus rares jusqu’à l’oubli définitif.
Seules, Patricia et Nadine lui font oublier, l’espace de quelques lignes, la laideur du temps qui ne passe pas. Elles l’accompagnent de leur tendresse. Elles le rassurent, le tranquillisent.
Patricia, avec son amitié, confiante. Nadine, amoureuse, préparant un avenir conjugal et tranquille.
Il y a aussi son père, avec sa sollicitude.
Il a pardonné tout de suite parce qu’il ne l’a jamais condamné. Il ne comprend pas, c’est tout. Le reste n’a pas beaucoup d’importance, finalement.
Sylvain a conscience des souffrances que son incarcération a pu engendrer. Il ne peut s’empêcher de se détester, mais à quoi bon le remords, lorsque l’on ne sait même pas de quoi il est fait. Derrière la vitre du parloir où il vient le visiter chaque semaine, son père demeure quand même, une sorte d’étranger, malgré son indulgence envers lui. Combien de temps faudra-t-il pour qu’un jour, ils se comprennent enfin ?
Par-dessus tout, il y a la bêtise, l’ignorance, la médiocrité et la peur. C’est tout cela qui, la plupart du temps, génère la violence aveugle.
La violence, c’est le détenu enfant qu’on retrouve au matin, pendu au fond de la cellule.
La violence, c’est le faible que l’on brûle avec des cigarettes, comme ça, pour le plaisir et que Sylvain entend hurler le soir dans une cellule toute proche.
La violence, ce sont les jeux ignobles de la promenade quotidienne où les nouveaux venus sont soumis à des jeux barbares dont le seul objectif est de tester leur capacité à se défendre, de montrer aux autres que l’on est un dur. Le faible n’a pas sa place dans cet univers et il sera frappé jusqu’au sang s’il n’a pas le courage ou la capacité physique de lutter.
La violence, ce sont les frustrations de toutes sortes qui se manifestent à travers les mots orduriers qui ponctuent la plupart des conversations.
La violence, c’est l’impitoyable vengeance du faible sur le plus fragile encore.
La violence, c’est tout ce qu’on lit dans les yeux des gardiens comme des détenus, au moment où les mots ne peuvent plus exprimer l’absurde.
La violence, ce sont les intentions délibérées de l’administration pénitentiaire. Celle de maintenir le détenu considéré, comme irrécupérable dans un état de promiscuité tel, que les résultats démontreront la justesse de leur jugement.
Cette violence-là, Sylvain la côtoie chaque jour désormais et le pire de tout, c’est qu’il s’y habitue.
Parfois, il se surprend à raisonner comme les autres, à agir comme eux. Il s’est battu pour se défendre, mais il a éprouvé un certain plaisir à frapper. N’est-il pas comme eux, après tout ? Il a volé comme eux, a menti comme eux. Il n’est ni meilleur ni pire qu’eux. Ce qu’il ressent immédiatement à leur contact, c’est ce qu’ils ressentent au sien. Ils sont tous frères de misère, ils portent le même costume de toile grossière, ils usent des mêmes qualificatifs pour nommer l’ennemi commun. Les matons, les crabes.
Ils mangent le même pain et la même nourriture infâme, ils sont tous semblables.
Pourtant, Sylvain n’a qu’une seule idée en tête, les quitter, partir loin, ne plus les voir, ne plus les entendre.
Dans sa cellule, Fernand lui donne envie de vomir, ses insanités sexuelles le révoltent. Il est égoïste au point de ne jamais partager ses cantines, il ment, il triche aux cartes, il sent mauvais, il est bête et méchant. Rapidement, il a tenté d’imposer sa loi dans la cellule.
Sylvain ne s’est pas laissé faire devinant ses intentions sadiques lorsqu’allongé sur son lit, il lui a intimé l’ordre de lui faire un bisou.
« Va te faire foutre connard ! » lui a-t-il répondu en empoignant un tabouret et semblant prêt à lui balancer à la tête.
Comme beaucoup de ses semblables, Fernand est un lâche qui se couche si on lui montre que l’on n’a pas peur de lui. Sylvain lui fait savoir qu’il n’est pas prêt à se soumettre et Fernand s’écrase.
Cependant, le lendemain après la promenade, Gilles l’autre détenu de la cellule raconte à Sylvain que Fernand s’est entendu avec d’autres détenus pour organiser une bagarre entre Sylvain et une brute épaisse à la carrure imposante et au trait de garçon boucher qui allait le massacrer.
Le seul moyen d’échapper au traquenard organisé par le Fernand et quitter cet enfer, c’est d’essayer de se faire porter malade. Alors, au matin, au moment de partir à la promenade, Sylvain se plaint de violentes douleurs dans l’aine. Le surveillant va chercher un infirmier.
Il est soupçonneux, mais ne semble pas vouloir prendre de risque et décide de l’envoyer à l’hôpital de la prison pour des examens complémentaires. Une appendicite peut-être…
On oublie vite la laideur des choses. À nouveau les oiseaux chantent, des arbres, des fleurs, de la verdure juste sous sa fenêtre. Des barreaux l’empêchent de les approcher un peu plus, certes, mais quelle différence tout de même, avec les fenêtres grillagées de la division ! Là-bas, les murs sont partout ternes et gris, leur présence enferme les yeux.
Ici, à l’hôpital de Fresnes, l’homme oublie parfois qu’il est en cage. Médecins, infirmières ne sont pas dans la punition… Ils soignent. Certains surveillants aimeraient peut-être leur ressembler. En service à l’hôpital, ils deviennent plus humains par mimétisme. Et finalement, ce sont les détenus qui en profitent.
Le pseudo appendicite de Sylvain ne trompe personne, mais il sait qu’on le gardera quelques jours, le temps des analyses…
Tout change. La nourriture est meilleure, le soleil entre à flot dans la cellule qu’il partage avec un autre malade. Lui, son ulcère de l’estomac est bien réel. Il est décharné par des mois de maladie mal soignée, dans une centrale, quelque part dans le sud de la France.
La promenade journalière se fait dans une grande cour où les pas peuvent se perdre un peu. Certains se servent de béquilles… Il règne une atmosphère bon enfant, les gardiens sont polis, affables presque… Certains malades sont très vieux. Derrière leur regard éteint, la mort se tapit sans doute… Beaucoup de cancéreux, ici. Certains attendent la liberté médicale, mais on dit ici que, lorsqu’elle est accordée, le bénéficiaire n’en profite pas bien longtemps…
Pour les détenus de ce service, Sylvain n’est qu’un jeunot, un J3, comme on les appelle. Les détenus majeurs ont une confiance limitée envers les J3. D’après eux, chaque fois qu’il y a une brimade collective, dans la prison, c’est à cause de ces petits cons de mineurs qui ne savent pas se tenir. Ils n’ont ni morale ni mentalité.
Sylvain discerne encore très mal les nuances qui existent entre les détenus, mais il comprend très bien qu’elles sont réelles et qu’il va devoir en tenir compte. Ne pas parler à n’importe qui, ne pas fréquenter n’importe qui… Dans la prison, il y a des lois. C’est par leur apprentissage qu’il faut commencer ; si l’on veut avoir le moins d’ennuis possible.
La première des règles, c’est de ne pas emmerder le monde ! Détenus comme gardiens ! Ça, il ne l’a pas encore très bien compris et il lui arrive souvent de se faire remettre en place durement par de plus âgés que lui. Savoir se taire lorsque les « majeurs » parlent, une autre règle à ne pas oublier…
Au calme à l’hôpital, il peut faire le point de sa situation. Elle n’est pas brillante… Alain est à Fresnes avec lui, mais il ne le rencontre pas souvent. D’ailleurs, depuis leur arrestation, beaucoup de choses ont changé entre eux. La prison ne resserre pas forcément les liens d’amitié…
Comme pour Sylvain, l’expérience de la prison l’a sans doute marqué profondément. Il lui en veut probablement de l’avoir entraîné jusque-là. Mais qui a influencé l’autre ?
Jacques et Alain sont plus âgés que Sylvain et ce dernier n’a jamais eu besoin de les forcer à le suivre.
Malgré tout, Sylvain pressent que, dans cette affaire, c’est lui qui portera le chapeau. Il l’avait deviné dans les paroles des flics, du juge, du directeur de la prison. C’était lui le meneur, cela ne fait aucun doute pour eux.
Mais pas pour lui.