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Le grand conseil de la guilde va enfin se tenir dans la forêt d'Ereenda. Mais tous les convives ne sont pas encore arrivés. Au prix de terribles sacrifices et avec l'aide de l'archer nain Aïtak, Nina et Kialos parviennent à rejoindre le pays des elfes avec une partie du Grimoire de la création. En revanche, Elten et Alda, accompagnés du conteur Gilian, puis de Radagast et Filigrane la farfadet, connaissent bien des déboires dans la cité de Glithaor. Lors d'un affrontement avec les terribles alviones, des êtres fantomatiques aux pouvoirs surnaturels venus tout droit du Kartawak, Gilian est capturé par le Culte. Ses compagnons profitent d'un soulèvement de la cité pour fuir à travers la montagne et tenter de rejoindre la forêt des elfes. À l'aube du Grand Conseil et malgré l'aide du Grimoire, de nombreuses questions restent sans réponses. À la vue des forces en présence, les chances de la Guilde et des peuples libres semblent bien minces. Quelle est cette mystérieuse prophétie, susceptible de révéler le pouvoir absolu d'un seul homme? Elten est-il l'élu, traqué sans relâche par la puissance grandissante du Culte? Qui est ce mystérieux personnage qu'on appelle le Maître, qui enfermé dans la citadelle de Pieltaos, semble être devenu invincible après avoir découvert des pierres de magie liées à la prophétie du Grimoire?
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Seitenzahl: 419
Veröffentlichungsjahr: 2022
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Chapitre
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Mon talisman comme seul repère.
Impossible de savoir combien de temps j'avais dormi. Le silence autour de nous était assourdissant. Même les sabots des chevaux n'émettaient pas le moindre son. La forêt semblait étouffer tous les bruits, aussi infimes soient-ils. L'obscurité était totale elle aussi. Seule la lueur vert pâle de la pierre elfique que m'avait confiée Myriam, me laissait deviner la présence de silhouettes autour de moi.
Kialos, mon fidèle compagnon, avait récemment perdu l'usage d'un bras en essayant de conserver au péril de sa vie, la copie du grimoire qu'il nous fallait ramener chez les elfes. Chevauchant derrière moi, je surpris son regard fermé, fatigué. Je l'étais tout autant que lui. Et même si Kialos avait vaillamment combattu, avec tout le courage que je lui connaissais, nous n'y serions jamais arrivés sans notre sauveur.
Ce sauveur, un nain nommé Aïtak, avait été mis sur notre chemin par la Guilde à la ferme Lenchatin, de laquelle il nous avait permis de nous échapper alors que la situation semblait totalement perdue. Aïtak chevauchait à ma droite. Silencieux lui aussi, il guidait par la bribe la monture de mon oncle Joseph, sur qui nous étions tombés par hasard à la lisière de la forêt d'Ereenda. Jospeh somnolait, et j'eus pitié de lui en apercevant les cicatrices encore fraîches des tortures que les soldats du Culte lui avaient fait subir.
Maudit soit le Culte. Maudit soit ce satané grimoire! Mon père et mes frères étaient morts dans d'atroces souffrances. Ma mère avait été violentée, violée, battue, puis laissée pour morte, mais pourtant bien vivante. A cet instant je n'avais qu'une envie, me blottir dans ses bras. Des larmes coulèrent le long de mes joues, et je serrai les dents en étouffant un sanglot.
Nos compagnons elfes eux aussi, avançaient en silence. Ils devaient être une dizaine, devant et derrière nous. Je savais que beaucoup d'autres étaient restés à l'orée des bois, et luttaient encore contre les soldats du Culte. Et aussi contre l'incendie volontaire provoqué par Aïtak.
Ma notion du temps s'était évanouie depuis longtemps. Mais peu à peu, une clarté faisait son apparition autour de nous. D'abord ténue et très proche, cette pâle lueur blanche devenait progressivement plus forte, jusqu'à révéler notre environnement. Une cathédrale d'arbres, énormes, espacés, et dont la hauteur se perdait vers le ciel, nous entourait à présent. Des lueurs, tantôt rouges, vertes ou bleues, éclairaient des ponts qui semblaient suspendus dans les arbres, dans lesquels on apercevait des cabanes, et même des grandes maisons. A travers la forêt s'élevait un chant léger, doux comme un murmure. Aussi ébahis que moi, mes compagnons levaient les yeux vers le ciel, détaillant chaque aspect de ce sanctuaire extraordinaire où peu d'humains avaient mis les pieds.
Soudain, un de nos guides prononça une phrase en elfique. Aïtak nous fit signe de nous arrêter. L'attente ne fut pas longue. Sur la piste que nous empruntions à travers les arbres, apparut alors un elfe sans âge, entouré de soldats qui eux, semblaient bien plus jeunes. Mais qu'est-ce que la jeunesse pour un elfe ? Ses longs cheveux gris étaient tressés de fils d'or, encadrant un visage fin, aux traits saillants, mais apaisés. Son grand manteau blanc traînait majestueusement sur le sol. Sur le front haut de ce visage sérieux, trônait une couronne tressée dans des végétaux dont j'ignorais l'existence. Notre escorte s'écarta pour me laisser approcher de lui. Ne sachant que dire, l'elfe me facilita la tâche, et parla en premier.
« Nina, bienvenue à toi, déclara t-il en souriant. Je suis Fialdan, le roi de la forêt d'Ereenda. Bienvenue à vous tous dans notre sanctuaire. »
*
L'Exil était assurément un lieu haut en couleurs.
Il avait déjà eu un aperçu de la diversité des peuples qui habitaient la cité de Glithaor en la traversant un peu plus tôt. Cependant, il ne s'attendait pas à un contraste aussi saisissant. La grande salle de l'établissement devait bien faire dix fois la taille de celle qu'il connaissait à Itangé. Elten détailla la scène : des tables à n'en plus finir, couvertes de victuailles. Des hommes, des femmes. Mais aussi des elfes, calmes et prudents. Des nains, bruyants et buveurs. Des gnomes, encore plus petits que les nains, à la démarche trébuchante, alors qu'ils glissaient de tables en tables, essayant de vendre des babioles aux clients. Gilian glissa un mot à l'aubergiste quelques pas plus loin, puis revint auprès d'Elten.
« Notre guide se nomme Althaïr. On m'a confirmé qu'il était bien dans l'établissement. »
Elten observa la grande salle avec plus d'attention, essayant de se concentrer sur les elfes. Pas facile, tant les attroupements étaient disparates. La musique, forte et entraînante, provenait de nombreux endroits comme si plusieurs groupes de musiciens étaient postés à différents coins de la salle. Et c'était effectivement le cas. Quelle cacophonie ! Alors qu'il se trouvait encore sur le seuil de l'établissement, impossible pour Elten de discerner quoi que ce fut, d'harmonieux.
« Inutile de le chercher, ajouta Gilian en lui glissant un clin d’œil. C'est lui qui nous trouvera. En attendant, je me dois de faire honneur à cet établissement en faisant simplement mon travail. »
Un sourire aux lèvres, le vieil homme se dirigea vers le fond de la salle. Elten le suivit en se frayant un chemin à travers la foule bruyante. Des effluves de bière et de viande rôtie l'assaillirent de tous les côtés, montant vers le haut plafond, où de nombreuses torches étaient accrochées en forme d'étoile, à d'imposants chandeliers. Gilian arriva au fond de la salle, et Elten aperçut enfin la grande scène. Malgré les nombreux musiciens présents dans la salle, celle-ci était vide. Gilian se retourna vers son compagnon, un sourire mystérieux sur le bout des lèvres.
« Soyons prudents mon garçon. Ne bouge pas, et reste dans mon champs de vision. »
Gilian monta lentement sur scène, dans le brouhaha et l'indifférence manifeste du public. Elten prit place à une table non loin, salua poliment les quelques personnes présentes, puis commanda une bière au passage d'une serveuse. Un mal de tête, comme un bourdonnement, commençait à se faire sentir. Sans doute le bruit et l'atmosphère enfumée, se dit-il.
Alors que son vieil ami se tenait enfin seul, au milieu de la scène, il frappa soudain les planches de son bâton, en un geste majestueux. Toutes les torches de l'auberge s'éteignirent d'un coup, alors que le conteur semblait flotter au dessus de l'assistance, enveloppé d'un halo bleuté. D'abord abasourdie et apeurée, toute la clientèle se tût, captivée par ce spectacle inattendu.
« Gilgathan, cria une voix. C'est Gilgathan ! »
Des murmures s'élevèrent parmi la foule. Les gens approuvaient, hochaient la tête, comprenant peu à peu qu'ils allaient assister à un sacré spectacle. Les murmures devinrent des cris, puis des hourra adressés à Gilian. En quelques secondes, il avait gagné l'attention de toute l'auberge. D'un geste dont il avait le secret, le vieil homme sortit son nouveau luth de son manteau. Toujours aussi impressionnant, se dit Elten en grimaçant. Son mal de tête ne s'arrangeait pas, mais il essaierait tant bien que mal de profiter de ce moment.
En vain, car d'autres pensées lui traversaient l'esprit. Il pensa à Alda, puis à Filigrane et Radagast, qui les attendaient dans la montagne. Ils devaient les rejoindre plus tard avec leur guide. L'elfe nommé Althaïr. Où était-il, d’ailleurs ? Pourvu que tout se passe bien.
Gilian s'était lancé dans une chanson entraînante qu'Elten n'avait jamais entendue. Ce qui ne devait pas être le cas de son auditoire, qui se fit une joie de l'accompagner bruyamment avec entrain. Mais Elten n'eut pas le loisir d'admirer le spectacle. Essayant de maîtriser sa respiration, le jeune homme transpirait maintenant à grosses gouttes. Les fourmillements dans son crâne devinrent une douleur à la limite du supportable. La bière arriva, et Elten se rua sur sa choppe, tellement sa bouche était sèche. Il but une gorgée, la reposa tant bien que mal, et s'effondra sur le sol alors que le chant de Gilian retentissait dans toute la salle. Rapidement, Elten fut à l'agonie. Mais qu'était-il en train de se passer ? D'où venait cette atroce douleur qui lui était totalement inconnue ?
Dans la pénombre de la grande salle, personne n'avait encore remarqué son malaise, et il parvint à se retourner pour ramper en direction de la scène, où se trouvait son vieil ami. Gilian jouait toujours de son luth, mais ne chantait plus. Il fixait le jeune homme d'un air attentif et prudent. Manifestement, quelque chose n'allait pas, et il l'avait compris lui aussi.
C'est à cet instant que la salle fut soudainement happée par un éclair aveuglant qui surprit tout le monde. Les chants se changèrent en cris de stupeur, et le luth de Gilian cessa, lui aussi. Souffrant le martyr, Elten fit un effort considérable qui lui arracha un cri, et parvint à se redresser. Il chercha la provenance de cet éclair et posa son regard vers l'entrée de la grande salle. Trois personnes se dressaient sur le seuil. Deux hommes et une femme. Leurs corps étaient nus, leur peau d'une blancheur inquiétante, minérale. Mais le plus impressionnant restait leurs yeux. Noirs. D'un noir total, sous des paupières qui ne cillaient pas. Après la surprise, des rires moqueurs s'élevèrent de l'assistance. L'aubergiste, prudent, vint à la rencontre des trois nouveaux arrivants.
« Messieurs dames, veuillez m'excuser, mais dans cette tenue, vous ne pouvez pas... »
Un seul regard de la femme en direction de l'aubergiste suffit. Celui-ci s'écroula, pris de spasmes, suffoquant. Elten se laissa glisser sur le sol dans un dernier effort. Pourquoi, il n'en savait rien. Instinct de survie, probablement. Il entendit alors un des hommes déclarer, d'une voix d'outre tombe :
« Le jeune homme est là, dans ce lieu ! Donnez le nous, et il ne vous sera fait aucun mal, car lui, doit mourir. »
A travers les cris de surprise et d'incompréhension, Elten eut juste le temps d'apercevoir un elfe bondir sur une table à la vitesse de l'éclair, et planter une flèche à travers le cou d'un des hommes pâles. En quelques instants, ce fut le chaos. Un froid intense saisit le jeune homme, avant qu'il ne s'évanouisse à nouveau sur le sol.
*
« Je sens à nouveau cette présence ! C'est... Et Radagast sembla chercher ses mots. C'est tellement dense. »
Autour de lui, Filigrane faisait les cent pas, l'air soucieux, laissant traîner derrière elle une pâle lueur jaunâtre.
Cela faisait maintenant plusieurs heures qu'ils étaient cachés dans la montagne, depuis que Gilian et Elten étaient partis vers la cité de Glithaor, dans l'espoir de revenir avec un guide qui les conduirait sains et saufs dans la forêt d'Ereenda. C'était le plan le plus logique.
Après avoir été traqués dans les contreforts de la montagne les jours précédents, leur situation était devenue quasiment intenable. Alda était très inquiète. La mort dans l'âme, elle avait laissé partir son ami de toujours, admettant malgré elle que c'était la meilleure chose à faire. Car le soldat qu'ils avaient capturé et fait avouer la veille avait été très clair : le Culte était à la recherche d'un groupe de plusieurs personnes, assez différentes. Les patrouilles aux aguets dans la région ne s'attendaient pas à devoir mettre la main sur seulement deux personnes. Ainsi, Gilian et Elten étaient partis seuls, espérant endormir la vigilance de leurs poursuivants.
Autant se jeter dans la gueule du loup, songea Alda, maintenant terrorisée. Le soldat capturé là aussi, avait été très clair : il avait parlé de tuer le garçon et de ramener sa tête au maître. Mais qui était ce maître ? Qu'avait-il contre Elten ? La jeune femme sentait bien que Gilian et Radagast leur cachaient encore des choses ; ou qu'ils renonçaient à leur en dire plus à propos des atrocités qui avaient lieu dans la lointaine province nordique du Kartawak. Atrocités probablement liées aux disparitions récentes de nombreux jeunes descendants de la Guilde, résistante acharnée au pouvoir grandissant du Culte. Et Elten faisait partie de ces descendants.
Et voilà que Radagast était à nouveau la proie de ces étranges et terrifiantes visions. Quelques jours auparavant, lors de leur traversée désespérée du grand fleuve, alors qu'ils avaient dû affronter les terribles gruathans, l'homme des bois avait déjà mentionné une présence énorme et horriblement inquiétante, mais dont il ignorait tout. Maintenant, il était à nouveau la proie de ces incertitudes.
« Allons-y, décida Filigrane timidement. Nous ne sommes pas si loin, et on peut aisément se dissimuler dans la foule à l'aide d'un sortilège. »
Se remettant totalement à leur jugement, Alda observa tour à tour ses deux compagnons. Radagast semblait indécis. Cependant, il avait été plutôt audacieux ces dernières heures. Les consignes de Gilian avaient été claires : ils devaient attendre leur retour près de la grotte. Mais l'homme des bois n'avait pas pu s'y résoudre. Avec Filigrane et Alda, il les avait suivis à distance en restant bien caché par les arbres de la montagne, tandis que le jeune luthier et le vieux conteur se dirigeaient vers la vallée. Il avait évidemment perdu leur trace au moment où les deux compagnons s'étaient évanouis dans la foule à l'entrée de la ville. D'abord surprise, Alda avait aisément été convaincue que c'était la meilleure chose à faire, tant elle était inquiète pour Elten.
Doucement, des nuages orageux obscurcissaient le ciel, tel un mauvais présage évident. Cachés dans un bosquet à deux pas des premières maisons d'altitude de la cité, les trois compagnons avaient un poste d'observation parfait sur la grande place lointaine. Une énième fois, Radagast se gratta la barbe et secoua doucement la tête.
« C'est à l'Exil que Gilian attend habituellement son guide, il me semble, murmura t-il doucement. S'il leur arrive quelque chose, je ne me le pardonnerai pas. On y va ! »
*
L'apocalypse dans toute sa froideur.
C'est en ces termes que plus tard, en deux simples mots, Elten résumerait le mieux ces quelques instants qu'il était en train de vivre. Alors qu'il venait à nouveau de reprendre ses esprits, Gilian était descendu de la grande scène pour le rejoindre. Agenouillé aux côtés du jeune homme, il luttait, les bras en avant, l'air affreusement concentré. Au bout de l'allée, les trois créatures pâles, à l'apparence humaine avançaient lentement. Très lentement. L'une des trois titubait, une flèche plantée à travers la gorge ; mais elle était toujours debout. La totalité des clients de l'auberge avait fui précipitamment, ou s'était réfugié sous les tables, n'osant plus bouger dans ce chaos.
A présent caché derrière le comptoir, l'elfe qui devait être Althaïr se risquait de temps à autres à une sortie éclair, et décochait quelques flèches en direction des créatures. Bien qu'elles soient d'une précision redoutable, la femme pâle semblait à chaque fois les esquiver en un geste déconcertant, comme si les flèches ricochaient sur un bouclier invisible.
Et les trois avançaient toujours. Lentement, menaçants, et d'un calme effroyable. Quel horrible malaise ! Elten se retint à nouveau de vomir. Son vieil ami, la bile au bord des lèvres, semblait lui aussi affecté. Mais il tenait bon, les mains en avant, charriant de minuscules éclairs qui allaient s'écraser quelques pas plus loin, contre les rayonnements surnaturels des trois créatures. Cela ne durerait pas, Elten en était certain. Et son vieil ami devait lui aussi, bien le sentir. Il tenta un faible sourire à l'attention du jeune homme, comme une excuse. Gilian voulut parler, mais il n'en eut pas le temps.
Un choc assourdissant retentit à l'entrée de l'auberge. S'en suivit un cri sauvage, et un flash où des nuances de vert illuminèrent subitement le lieu. La silhouette massive de Radagast apparut sur le seuil. La diversion ne durerait pas longtemps, mais elle fut néanmoins suffisante pour perturber les créatures. Althaïr en profita pour loger trois flèches dans le crâne de la femme pâle, la mettant hors d'état de nuire, du moins momentanément. Le visage de Gilian s'illumina, et Elten reprit espoir, apercevant maintenant Alda, prête à se battre, ainsi que la minuscule silhouette de la farfadet qui immédiatement, plongea sous les tables, dans sa direction. Redoublant de vigueur, Gilian lutta de plus belle, et la seule des trois créatures qui n'avait pas été blessée sembla reculer, tandis qu'à l'entrée de l'auberge, un combat s'engageait.
« Filigrane arrive, grimaça Gilian à l'intention du jeune homme. Elle vient te chercher. Suis la, ne t'occupe pas de moi ! Fuis ! »
Apercevant la farfadet, Elten rampa sous la table voisine, renversant plusieurs chopes de bière qui éclatèrent au sol, et s'entailla la main au passage. Il se retourna une dernière fois et aperçut le regard bienveillant de son vieil ami, tandis qu'il jetait ses dernières forces dans la bataille. Elten réprima un sanglot, horrifié. Un instant plus tard, Filigrane fut sur lui et s'accrocha à son ventre. Le jeune homme fut happé dans un halo protecteur. Les sons et les couleurs autour de lui semblaient désormais lointains. Il se surprit à se lever, et à marcher au ralenti vers l'entrée de l'auberge. Un vertige apaisant lui embrumait l'esprit, alors qu'il avait l'impression d'être devenu invisible aux yeux des autres, la farfadet toujours nichée au creux de son ventre. Parvenu à la porte, Elten l'ouvrit. Dans la rue, il pleuvait à verse et l'orage grondait. Sans aucune hésitation, le jeune homme sortit, et marcha droit devant lui.
*
Les dernières heures m'avaient parues irréelles.
Sur bien des aspects, la forêt d'Ereenda semblait exister hors du temps. Depuis combien d'heures étions nous là ? Une journée entière ? Et que représentait une journée dans ce lieu mystérieux, où la lueur du jour semblait si loin, au dessus de ces arbres énormes dont les troncs s'élançaient à l'infini vers le ciel ?
Fialdan et son escorte nous avaient conduit à travers la forêt pendant un long moment. Je reprenais peu à peu mes esprits, mais la fatigue de ces derniers jours s'était accumulée. Kialos était visiblement aussi atteint que moi, et somnolait à moitié, chevauchant le Hazufeld, toujours aussi vaillant. Mon oncle Joseph semblait reprendre du poil de la bête. Son regard scrutait les environs attentivement. Il osa quelques questions à un de nos accompagnateurs. D'abord impassible, l'elfe se montra finalement plutôt bavard, et extrêmement bienveillant. Sans doute mon oncle était-il ravi d'obtenir enfin quelques réponses. Après des années comme pisteur dans les sous-bois de la forêt, il avait rarement eu l'occasion de côtoyer des elfes ; et encore moins de venir au cœur de la forêt.
En effet, plus nous progressions, plus les lumières et les maison se firent nombreuses, et le paysage vallonné. De nombreux elfes le long des chemins : des enfants, des femmes et des hommes. Et toujours cette musique, plutôt lancinante, parfois triste, mais apaisante, qui planait délicatement à travers cet océan de verdure au dessus de nos têtes. Sous nos pieds, le sol était principalement composé de mousse et de lichen. Devant nous, Aïtak s'entretenait en elfique avec le roi Fialdan. Ce dernier se retournait de temps à autres, nous adressant des sourires encourageants. Malgré leur froideur apparente, je me sentais plutôt à l'aise avec ces elfes.
Bientôt, le paysage changea. Les habitations étaient de plus en plus rapprochées, au sol comme dans les arbres. Un bois doré semblait en être la principale matière, et les ponts suspendus qui les reliaient étaient tressés de lianes de la même couleur. Lorsque nous nous arrêtâmes enfin, nous étions parvenus au cœur de ces constructions, qui nous entouraient par leur hauteur et leur densité. Le spectacle était prodigieux. Les habitations étaient tellement imbriquées ou proches les unes des autres qu'elles formaient un véritable palais, soutenu par les arbres les plus immenses qu'il m'ait été donnés de voir. Un palais d'or et de verdure.
« Bienvenue à Eiros mes amis, déclara Fialdan en mettant pied à terre. Vous êtes au cœur du royaume d'Ereenda. »
Nos chevaux furent conduits dans une écurie où on en prendrait assurément grand soin, tandis que nous étions invités à nous installer dans une maison suspendue aux abords du palais. Au moment où je découvris ce lieu de quiétude absolue, un soulagement immense m'envahit. Nous échangeâmes quelques regards souriants avec mes compagnons. Aïtak rit de bon cœur et alla servir le vin qui nous attendait sur la table, accompagné d'un repas composé de fruits, de baies et de pain. Kialos l'imita avec enthousiasme, et tandis qu'ils trinquaient déjà, je leur fis comprendre en un regard que j'avais d'abord besoin de sommeil, plutôt que de nourriture. Depuis combien de temps n'avais-je pas dormi dans un lit ? Je m'assoupis rapidement, bercée par une harpe, un chant lointain et les murmures de mes compagnons de route. Puis je m'abandonnais dans un sommeil sans rêves.
Voilà où nous en étions, alors que je m'étais réveillée peu de temps auparavant.
Joseph et Kialos dormaient à leur tour, et Aïtak, qui était absent, émergea subitement dans l'ouverture de notre habitation, d'un saut agile depuis la passerelle.
« Vous êtes allé aux nouvelles ? le pressais-je un peu brutalement. Quand doit commencer le conseil ?
- Le conseil commencera demain, mademoiselle Nina, répondit doucement le nain pour ne pas réveiller nos amis. Et tant pis si tout le monde n'a pas encore pu...
- Et Gilian ? l'interrompis-je. Gilian est-il arrivé ? »
Aïtak baissa les yeux et secoua la tête, désolé. Ce retard ne ressemblait pas à mon mentor. Rarement je m'étais inquiétée pour lui, mais aujourd'hui pour la première fois, j'eus comme un mauvais pressentiment. Aïtak ne me laissa pas le temps de réfléchir.
« En revanche, mademoiselle Nina, il y a une personne qui vous est chère, et qui a fait elle aussi un long chemin, presque en parallèle du nôtre d'ailleurs. Je me suis permis de... »
Et tandis que le nain parlait, je vis se dessiner dans l'embrasure de l'entrée végétale de notre maison, la silhouette d'une vieille femme. Fatiguée, mais droite et l'air digne, Myriam me sourit tendrement. Elle eut à peine le temps de m'entendre crier son nom que je m'effondrai violemment dans ses bras. Elle me rendit mon étreinte calmement, tandis que je pleurais enfin à chaudes larmes. Gêné, le nain s'effaça et nous laissa un peu d'intimité.
« Comment as-tu pu venir si vite ? lui demandais-je encore sous le choc.
- Contrairement à vous, je n'étais pas traquée. J'ai fui moi aussi, quelques heures après votre départ précipité de chez moi. Comme je l'avais supposé, le Culte n'a absolument rien trouvé et ils m'ont laissée tranquille. Mais je ne pouvais pas rester trop longtemps à Lelisand, ça devenait trop dangereux. »
Je m'écartai enfin de ma vieille amie, et séchai mes larmes d'un revers de manche.
« Et puis, je dois traduire le grimoire. C'est pour ça que je suis là, ajouta Myriam l'air inquiet. Vous l'avez toujours, n'estce pas ? »
A ce moment, Kialos émergea de la pièce voisine, en chemise de nuit, l'air hagard, un gros livre déchiré à la main. Un sourire naquit sur son visage quand il aperçut Myriam.
« Partiellement, annonça le guerrier. Mais oui, nous l'avons toujours. »
Le soupir de la vieille femme fut comme une délivrance pour nous tous ; elle s'avança doucement vers lui alors qu'il lui tendait le livre. Myriam s'en empara avec précautions, et hocha la tête vers le guerrier, pleine de gratitude.
« Alors il faut que je traduise tout ça le plus vite possible, annonça t-elle. Pourvu qu'il ne soit pas trop tard, car en ce moment même, nous avons peu d'influence sur ce qui se trame non loin de nous. Le grand conseil de la Guilde va commencer. Hélas, des personnes importantes manquent encore à l'appel. Pourvu qu'elles soient saines et sauves, et bientôt porteuses de bonnes nouvelles. Sans le premier messager de la Guilde, il n'y a quasiment plus d'espoir. »
Nina ferma les yeux et implora toutes les forces de la nature, pour que Gilian soit encore en vie.
*
Le tonnerre et l'eau cinglante en plein visage.
C'est dans cette atmosphère tout aussi chaotique qu'Elten sortit de l'auberge. Dans la rue aussi régnait une ambiance confuse. Et ce n'était pas seulement dû au mauvais temps. Des soldats se regroupaient au centre de la grande place de Glithaor, au son d'un cor de guerre qui résonnait entre les hauts murs blancs de la cité.
Elten émergea enfin de sa torpeur, et se souvint. Les créatures pâles comme la mort qui tentaient de le tuer. Gilian qui luttait. Alda et Radagast. La farfadet se sépara du jeune homme et glissa maladroitement sur le sol trempé par la pluie.
« Filigrane ! Il faut faire quelque chose, hurla-t-il à travers ses cheveux humides battus par le vent. Il faut y retourner !
- Non, murmura Filigrane à son oreille. On ne peut rien faire. Tu dois me suivre et... »
La farfadet vomit à son tour, avant de se tordre de douleur sur le sol. Affolé et totalement désemparé, Elten s'empara délicatement du petit corps de son amie, et tenta de se réfugier sous l’appentis d'une échoppe adjacente. Que fallait-il faire ? Filigrane reprenait doucement ses esprits, enveloppée d'une faible lueur jaunâtre. Qui étaient donc ces horribles créatures ? Pourquoi leur proximité dégageait-elle une telle sensation de malaise ?
Une explosion retentit à l'entrée de l'auberge et coupa court en un instant aux réflexions désespérées du jeune luthier. Radagast émergea d'un bond impressionnant, Alda nichée dans ses grands bras musclés, laissant derrière lui un amas de fumée noire. Des cris retentissaient depuis l'intérieur, et les clients restants quittaient enfin l'auberge, affolés. Elten se précipita vers ses amis, Filigrane à ses côtés. De l'autre côté de l'immense place centrale, les soldats s'étaient mis en marche, de manière désordonnée, presque maladroite.
« Alda ! Comment va Alda ? cria Elten, terrifié.
- Ça va. Elle a pris un mauvais coup, répondit l'homme des bois, reprenant son souffle. Elten, les chevaux, vite ! Allons les chercher et hâtons-nous vers le corridor de Glithaor, vers la montagne, plein sud.
- Mais Gilian...
- On ne peut plus rien faire pour Gilian, annonça tristement Radagast. »
Le géant posa une main amicale sur l'épaule du jeune homme, avant qu'Alda, encore sonnée, ne s'effondre dans ses bras pour l'embrasser doucement. Et tandis qu'il lui rendait son baiser, trop heureux de la retrouver, les larmes d'Elten se mêlèrent à la pluie cinglante, lui rappelant avec terreur les dernières paroles de Radagast.
Ces retrouvailles précipitées devant l'auberge n'avaient pas duré plus d'une dizaine de secondes pendant lesquelles le petit groupe avait profité du chaos qui régnait aux alentours. Leur attention fut alors attirée par les soldats sur la grande place. Ces derniers vociféraient en désordre, ne tenant plus en place, et se dirigeaient avec hésitation vers une des grandes avenues qui partait vers l'est. De là où ils se trouvaient, Elten et ses compagnons ne pouvaient pas apercevoir ce qui allait faire face à ces soldats, visiblement peu rassurés.
« Ce ne sont pas des soldats du Culte, cria Alda entre deux bourrasques.
- Tu as raison, confirma le jeune homme. Mais contre qui vont-ils se battre ? »
A cet instant surgirent du coin de l'avenue deux énormes gruathans, qui fondirent violemment sur cette foule fraîchement armée, balançant à des dizaines de mètres les hommes qui avaient eu le malheur de se trouver sur la trajectoire de leurs énormes pattes griffues. D'autres furent coupés en deux par les crocs acérés des imposantes créatures. Derrière elles courraient des soldats armés jusqu'aux dents, flanqués du blason du Culte.
« Une diversion ? proposa Alda.
- Ou une révolte, aucune idée, hasarda Radagast. On s'en fiche, c'est le moment de déguerpir rapidement. J'espère juste que... »
L'homme des bois se retournait encore vers l'auberge fumante derrière eux. L'elfe Althaïr apparut enfin parmi les décombres. Même lui, avait perdu de sa majesté. Il vint vers eux après avoir dégagé un tonneau d'une charrette près de l'entrée de l'auberge. Titubant et toussant, il les toisa, impuissant.
« Gilian ? demanda Elten plein d'espoir.
- Rien pu faire, haleta l'elfe hors d'haleine. Mais elles ont fait comme je le pensais. Elles l'ont vidé de son énergie, puis fait prisonnier.
-Elles ? Qui, elles ? hurla Elten au bord du désespoir. »
De l'autre côté de la place, les combattants de Glithaor semblaient reprendre un léger avantage. De nombreux nouveaux arrivants leur prêtaient main forte, et même les deux gruathans avaient l'air blessés. Le combat contre les brigades du Culte faisait rage.
Entre les pierres fumantes de l'auberge émergea soudain un homme pâle, toujours totalement nu, boitant, mais au regard glacé, toujours aussi mortellement déterminé. Althaïr semblait avoir prévu le coup et décocha une énième flèche, qu'il enflamma à la vitesse de l'éclair, et qui vint se planter dans le crâne de la créature. Celle-ci chancela à peine. Sa seconde flèche fut destinée au fameux tonneau, probablement rempli de poudre. L'elfe jeta ses compagnons à terre, et l'explosion les assourdit momentanément. Quelques instants plus tard, Elten se retourna vers l'auberge. Au sol, la créature gisait, totalement inanimée.
« Elles, annonça Althaïr, ce sont les alviones. Elles sont les âmes damnées de tous les jeunes disparus qui ont été fait prisonniers et amenés au Kartawak ces dernières années. Ces hommes et ces femmes ont été soumis à des expériences horribles, qui dépassent l'imagination elle-même. On ne sait pas tout, mais elles veulent vous tuer. (L'elfe les aida précipitamment à se relever.) Et vite maintenant, partez ! Partez sans vous retourner vers Ereenda. On dirait que la révolte surprise des habitants de Glithaor couvrira votre fuite. »
Althaïr déposa une pierre d'un vert émeraude très brillant dans les mains d'Elten. Puis il fixa intensément le jeune homme.
« Voici un talisman pour rejoindre mon peuple. Je vais faire l'impossible pour délivrer Gilian, je vous le promets ! Hâtez-vous ! Les alviones sont des abominations. Et elles sont immortelles. »
D'un bond, l'elfe disparut derrière l'auberge. Radagast encouragea tout le groupe à courir vers le sud, afin de contourner le tumulte des combats. Elten eut juste le temps de jeter un regard vers la pâle créature qu'il croyait mourante. Le jeune homme poussa un gémissement, totalement désemparé par sa terrible impuissance. L'alvione venait de bouger doucement la main droite, et commençait à se relever, rampant vers lui.
Myriam travaillait vite.
Maîtrisant parfaitement l'ancien langage, avec une longue carrière d'archiviste derrière elle, la vieille femme s'était installée dans la bibliothèque d'Eiros. La longue salle, construite autour des hautes branches d'un arbre millénaire, semblait flotter dans l'espace proche de la cime, là où la lumière du jour était la plus abondante et facilitait la visibilité pour les activités littéraires. D'ingénieux systèmes de cordes, de poulies et de plateformes mobiles lui avaient permis d'atteindre les hauteurs de cet endroit.
A présent remise de son voyage, Nina trépignait d'impatience. Évidemment, elle avait accompagné Kialos et Joseph, lorsque Aïtak, pas peu fier, leur avait proposé une visite guidée de la cité d'Eiros. Tout y était paix et tranquillité. Aucun luxe dans les habitations, mais une saine simplicité, où la nature était toujours mise en avant. Les elfes ne construisaient pas contre elle et ne se contentaient pas d'utiliser ses éléments. Ils bâtissaient autour d'elle, l'accompagnant, la subjuguant dans les formes et les couleurs. Le roi Fialdan les avait accompagnés pendant un temps, très amène, souriant, et d'une gentillesse étonnante. Puis il s'était retiré, laissant au nain le soin de parfaire la visite du palais où tout le monde allait et venait librement, et de ses alentours à travers la cité d'Eiros. Ce dernier semblait connaître le lieu comme sa poche et visiblement, il ne boudait pas son plaisir de revoir le royaume sylvestre, si cher à son cœur.
Pour la seconde fois, Nina s'était excusée et avait délaissé ses compagnons pour rejoindre Myriam. Accablée par les tourments et les malheurs qu'avait entraîné le vol du grimoire, la jeune femme avait hâte d'apprendre enfin quels secrets ce satané bouquin allait bien pouvoir leur fournir pour combattre le Culte. Et pour la seconde fois, Myriam avait gentiment congédié sa jeune protégée, lui assurant qu'elle progressait ; mais elle jugeait que révéler ses découvertes par bribes, et seulement à Nina, serait une perte de temps contre productive. La jeune femme le comprenait bien, mais elle peinait à prendre son mal en patience. Elle était aussi très inquiète pour Gilian, qui n'était toujours pas arrivé. L'entrée et les écuries du palais où elle s'était rendue à deux reprises depuis leur arrivée, restaient désespérément vides de nouveaux arrivants. Au moins, elle avait eu le loisir de rendre visite aux deux Hazufelds qui les avaient tant aidés dans leur fuite. Harnis et Bienfaisance avaient élu domicile dans un enclos immense, et semblaient se délecter de la mousse, des arbres, et même des ruisseaux qui y coulaient.
Nina avait bien aperçu un homme blond et barbu, étrangement vêtu et encapuchonné. L'homme était fourbu et semblait avoir fait un long voyage. Au détour d'un couloir, elle avait croisé son regard fatigué. Il lui avait alors adressé une courbette calme et simple, avant de disparaître avec deux elfes vers les cuisines.
Peu à peu, la tension laissait place à la fatigue. Alors qu'elle venait de brosser les chevaux, la jeune femme s'assit lentement contre un arbre pour réfléchir. Sans qu'elle s'en aperçoive, elle fut gagnée par le sommeil. Nina s'endormit paisiblement. Elle n'entendit pas les sabots des chevaux d'un groupe de cavaliers, qui arrivait lentement vers les écuries.
*
La boule au ventre et la gorge en feu.
Nous étions montés dans les collines, pour finalement sortir de la ville sans désagréments. Mais ce fut au prix d'efforts considérables. Radagast ne nous laissa pas un moment de répit, ne voulant prendre aucun risque et le plus d'avance possible sur nos poursuivants. D'abord à cheval, nous avions dû continuer à pieds dès que les premiers reliefs étaient devenus trop pentus.
Quelle horrible journée ! La rencontre avec les alviones m'avait terrifié, à un point que je n'aurais jamais pu imaginer. Ces créatures de mort étaient à mes trousses ; après la peur des gruathans quelques jours auparavant, voilà qu'une nouvelle abomination cherchait à se débarrasser de moi. C'était totalement incompréhensible. Serions nous vraiment en sécurité chez les elfes ? En tout cas, j’espérais rencontrer bientôt des personnes capables de m'en dire un peu plus sur la cause de tous mes malheurs. Je ne me sentais même plus la force de me révolter. J'étais simplement triste et résigné.
La perte de Gilian était dramatique. Et même au cours de cette fuite effrénée vers le sud, alors que nous escaladions les contreforts de la chaîne de Glithaor à travers la forêt, je constatais que mes compagnons semblaient eux aussi très affectés par son absence soudaine. Pourvu que Gilian retrouve ses forces. Althaïr pourrait-il vraiment lui venir en aide ? Face à l'invulnérabilité des alviones, j'en doutais.
Nous atteignions enfin le haut des collines, et la végétation changea ; les arbres disparaissaient peu à peu pour laisser la place à des prairies rocailleuses. L'orage s'était calmé, et depuis le retour du soleil, nous avions tous séché en courant. Plus haut encore, on apercevait les neiges éternelles des sommets les plus élevés. Radagast déclara que le plus dur était fait, et nous autorisa une pause bien méritée. Alda était hors d'haleine également. Seule Filigrane ne semblait pas physiquement affectée.
Radagast se retourna prudemment vers la vallée, comme si un ennemi invisible pouvait surgir à chaque instant.
« Il existe des grottes dans les environs, déclara t-il. Il nous faut trouver la bonne. Il s'agit d'un passage vers la forêt d'Ereenda. Nous irons chez les elfes en passant sous la montagne.
- Mais comment savoir quelle grotte choisir ? demanda Alda en écartant les bras en signe d'impuissance.
- Il y a des symboles, chuchota l'homme des bois. Des symboles liés à la nature ; l'eau, l'air, les arbres. Mais attention ! Les symboles sont inversés, les elfes sont malins.
- Vous y êtes déjà allé ? demandais-je plein d'espoir.
- Non, avoua Radagast. Mais Gilian m'a révélé qu'il nous faudrait emprunter une grotte, au dessus de laquelle serait gravé justement un symbole banal, en totale opposition à ceux du royaume sylvestre. »
D'abord sceptiques, nous commençâmes à chercher aux alentours, tout en surveillant nos arrières. La ville était désormais si éloignée que nous n'entendions plus rien des combats qui devaient encore y faire rage. Et en effet, il y avait de nombreuses grottes. Certaines vierges de tout symbole, d'autres gravées d'arbres, de ruisseaux, de cerfs, de vases, et même d'un arc. Je découvris par hasard celle que Radagast estima immédiatement être la bonne. Presque cachée sous un bosquet dans un ravin aux rochers coupants, un jeu de dés et un bonnet de bouffon étaient gravés au dessus dans la roche.
« Bravo Elten ! me félicita l'homme des bois. Ta pierre ! Ta pierre elfique nous éclairera et nous conduira en sécurité. Ayons confiance ! »
Je sortis le magnifique bijoux de ma poche, tandis que mes compagnons préparaient nos montures à s'engouffrer dans les entrailles de la montagne. Après quelques pas, le passage et la taille de la roche se révélèrent impressionnants, et je constatai que les chevaux y entreraient sans problème. La grotte semblait même creusée dans ce but. Il n'empêche que ce ne fut pas simple de convaincre nos montures réticentes. Une fois dans l'obscurité, la pierre elfique se mit à briller d'un vert émeraude absolument magnifique. Impressionné, je la tins fermement devant moi. Radagast m'intima de prendre la tête de notre petit groupe.
Ce fut le début d'une très longue marche.
Dans l'obscurité, on a tendance à perdre la notion du temps. Le tunnel montait en pente douce dans un premier temps, puis le relief devint plus stable. Le silence était total. L'ambiance minérale, mais peu oppressante tant le plafond était haut. Combien de temps cela avait-il duré ? Impossible à dire. J'étais tellement fatigué qu'au moment où j'entendis deux voix hostiles retentir devant nous, je faillis lâcher notre source de lumière, effrayé et surpris. Quatre elfes, arcs bandés dans notre direction, nous considéraient d'un air suspect. Immédiatement, je m'agenouillai pour nous présenter pacifiquement.
« C'est Althaïr qui m'a confié ce talisman, déclarais-je plus fort que je ne l'avais voulu. Gilgathan était avec nous, il a été fait prisonnier. Votre ami tente de le sauver. »
Genoux à terre, mes compagnons m'avaient imité, levant bien haut les mains en signe de paix. Les elfes se consultèrent du regard puis, rassurés, s'approchèrent de nous. Ils nous souhaitèrent la bienvenue, d'une tape amicale sur l'épaule de chacun d'entre nous. Ils saluèrent Filigrane, nullement surpris par la présence d'une farfadet. Puis ils nous demandèrent de les suivre.
La suite du trajet fut étonnement courte. Depuis l'obscurité de la caverne, le chemin nous mena rapidement dans un défilé niché entre de hautes falaises. Il faisait jour, mais l'obscurité était encore dominante. Puis les arbres apparurent. Immenses et verdoyants. Et enfin des constructions dorées, de plus en plus nombreuses, jusqu'à former une sorte d'immense palais, qui brillait dans un environnement verdoyant et profondément paisible. Un doux son planait dans l'atmosphère. Mes compagnons et moi, étions subjugués, incapables d'articuler un mot, conscients que nous vivions un moment rare et incroyable pour des hommes.
Peu à peu, nos guides ralentirent. Alors qu'ils nous indiquaient que nous étions arrivés à destination, une jeune femme blonde marcha vers nous, entre les arbres. Ce n'était pas une elfe. Elle était très belle, mais dégageait une impression d'extrême lassitude, comme si elle aussi, avait vécu d'horribles événements. Instantanément, je ressentis une forme de dualité, un élan de sympathie envers elle. Impossible à expliquer. Et surtout, elle semblait terriblement inquiète.
*
Un éclair déchira le ciel, au-dessus de la citadelle de Pieltaos.
L'orage grondait au loin, par-delà les montagnes enneigées du Kartawak, dont les glaciers descendaient jusque dans la vallée, où se nichait la forteresse.
Depuis une ouverture de sa tour, le Maître contemplait le dernier chantier ; un trou béant à flanc de montagne. Une plaie dans la roche. Ces recherches-ci avaient été infructueuses, mais cela n'avait plus aucune importance, car les trois pierres magiques étaient désormais réunies depuis une lune. Tous les jeunes prisonniers étaient passés devant les pierres de pouvoir. Tous avaient subi mille tourments et des souffrances abominables ; toujours sous bonne escorte. Car si l'un d'eux était l'élu, il fallait l'éliminer aussitôt, juste avant qu'il ne prenne la pleine mesure de ses pouvoirs.
Mais aucun ne s'était révélé au contact des pierres. Pourtant, tous appartenaient à la Guilde et avaient l'âge mentionné par le Grimoire. Qu'importe, le Maître les avait enrôlés dans son armée, à travers un terrible processus issu de la magie noire des pierres.
Cela avait été facile. Tout était écrit dans le Grimoire. Encore fallait-il savoir le lire.
Il restait pourtant des prisonniers qui devaient passer l'épreuve. Et des prisonniers qui n'étaient pas encore arrivés.
Le Maître se détourna du morne paysage et regagna sa table, alors que la pluie commençait à obscurcir le ciel dehors. Il songea à Elten. Un fâcheux contre-temps. A deux reprises déjà, le jeune homme leur avait échappé. Cela n'aurait jamais dû arriver.
Une jeune servante entra dans la pièce, portant avec elle un plateau de fruits. Le Maître n'y accorda aucune attention. Lui-même avait été terrifié la première fois qu'il avait vu les monstrueuses créatures qu'ils avaient réussi à créer à partir des corps des jeunes prisonniers, passés à travers la magie diabolique et obscure des pierres. La prophétie disait donc vrai.
Elten pouvait-il être l'élu ? C'était évidemment possible, mais pas certain pour autant. Le Maître grogna sous son masque, regrettant soudain de ne pas l'avoir tué alors qu'il en avait eu si souvent l'occasion jadis.
Il décida de passer ses nerfs sur la jeune servante. Alors que celle-ci s'approchait du bureau pour y déposer son plateau, le Maître la frappa au visage. Un violent revers de main dans la mâchoire. Les fruits s'éparpillèrent, la fille chuta. Elle se tint la bouche, tentant en vain de retenir le sang qui coulait abondamment depuis son nez.
« Ramasse ! Petite putain ! »
Puis le Maître lui balança un dernier coup de pieds dans les côtes, avant de quitter brusquement la pièce, contrarié.
Les alviones étaient maintenant bien plus nombreuses, et elles seraient bientôt des milliers. Des âmes damnées ne connaissant ni la faim ni la soif, aux pouvoirs immenses, et qui lui obéissaient au doigt et à l’œil. Si Elten était l'élu, celui qui aurait dû mourir à leur place, elles le sentiraient et seraient attirées par lui.
Le Maître descendit dans la garnison. Il était grand temps de lancer ses troupes d'élite vers le sud. Détruire la Guilde pour de bon, trouver l'élu, et le décapiter. Le sanctuaire elfique d'Ereenda ne serait bientôt plus qu'une terre brûlée. Un vague souvenir. Après des milliers d'années, la prophétie, bien cachée au fond du grimoire, allait enfin pouvoir s'accomplir.
*
Les odeurs de pisse et d'excréments saturaient l'air de la cellule.
Après un énième épisode comateux, il se réveilla à nouveau. Derrière l'épaisse grille en acier, seules deux torches brûlaient dans le couloir, faisant trembler les ombres des cachots humides. Les geôles de Glithaor n'étaient pas très accueillantes. Malgré tout, un sourire naquit sur le visage de Gilian. Ses souvenirs revenaient par bribes. Sa prestation à l'exil, l'arrivée des créatures pâles, l'affrontement nauséeux qui avait suivi. Rarement le vieux conteur ne s'était senti aussi mal. Qui étaient ces créatures ? Évidemment, il avait deviné qu'elles étaient les monstruosités décrites dans les visions de Radagast quelques jours auparavant, et qu'elles venaient directement du Kartawak. Mais comment avaient-elles été créées ?
Frustré par son impuissance, Gilian se retourna sur la paillasse. Il avait beau être le Premier Messager de la Guilde, il en savait en ce moment bien moins que ses espions. Et il était prisonnier. Car il avait tout fait pour protéger Elten. Toutefois, il n'avait aucune certitude ; jusqu'à la découverte de la lettre cachetée tombée par accident chez le jeune homme, après leur soirée à Itangé. Puis vinrent les cavaliers, les gruathans, le feu. Il avait vu juste.
Essayant de s'orienter dans le temps, Gilian conclut qu'il était retenu depuis quelques dizaines d'heures. Peut-être plusieurs jours. On lui glissait régulièrement une assiette de nourriture sans saveur, accompagnée d'un verre d'eau croupie. En guise de latrines, une boite métallique rouillée au fond du cachot. Qu'importe. Gilian avait connu pire. Et plus important, il reprenait des forces. Les créatures pâles l'avaient totalement vidé de son énergie. Plus il avait lutté, pire avait été son malaise. Paradoxalement, dans ces êtres cruels et froids, qui semblaient sans âme, le vieux conteur avait cru déceler une faille : d'horribles tourments, de la souffrance, une tristesse infinie. Il songea aux expériences qui avaient lieu au Kartawak, aux disparitions des jeunes gens de la Guilde, ces dernières années. Le lien était évident, mais pas encore très clair pour lui.
Vivement qu'il sorte d'ici et qu'il puisse retrouver ses compagnons chez les elfes. Si seulement. Au moins, Elten était en sécurité, aucun doute la dessus. Il avait vu la courageuse Alda et la farfadet Filigrane débouler à l'Exil alors qu'il était en plein combat. Accompagnées par Radagast, son plus vieil ami, toujours fiable et fidèle au poste. Il savait qu'ils avaient pu fuir et qu'ils s'en étaient sorti. Althaïr était là pour s'en assurer, et il avait d'ailleurs pris part au combat.
Gilian laissa encore vagabonder ses pensées, quand des voix lointaines se firent entendre au fond du couloir. Il avait beau être rassuré pour Elten, personne ne savait si de son côté, Nina était bien arrivée en Ereenda. Le grimoire avait un rôle crucial, et il fallait à tout prix en déceler les secrets pour espérer s'opposer au pouvoir toujours plus puissant du Culte.
Des murmures. Des bruits de clés. Puis des pas.
Gilian se redressa et plissa les yeux, en direction de la grille. La lumière d'une torche supplémentaire, plus puissante, se révéla. Sur le seuil du cachot, deux silhouettes firent leur apparition. Un homme au crâne rasé, enveloppé dans une longue toge rouge, s'avança devant la grille. Gilian le reconnut aussitôt.
« Quelle belle prise nous avons là ! commença l'homme chauve. Pas celle que j'espérais, mais tout de même.
- Aedonnaz ! Fils des putains de Niwas, cracha Gilian. Tu aurais vendu ta mère pour moins que ça !
- Peut-être, admit le cardinal de Lelisand en souriant. Mais tu n'es pas en mesure de négocier. Et quand bien même, je sais que tu ne le feras pas. »
Gilian s'avança d'un bond vers la grille et l'empoigna. Aedonnaz se recula à peine, par réflexe, sans perdre son sourire cruel.
« Jamais vous n'attraperez Elten ! Qu'est-ce que vous croyez ? Que vous allez pouvoir envahir la grande forêt ? Même avec des milliers d'hommes ? Vous délirez...
- Et que dirais-tu de milliers d'alviones ? ricana le cardinal, interrompant Gilian dans sa colère. Tu as déjà fait la connaissance de trois d'entre elles, n'est-ce pas ? »
Le vieil homme lâcha la grille et se rembrunit en un instant. Le goût du malaise lui revenait à la bouche. C'était donc ainsi qu'on nommait ces horribles créatures. Les alviones. Si comme l'affirmait Aedonnaz, elles étaient des milliers, ce serait catastrophique, même pour les elfes. Peine perdue. Un sentiment de panique s'empara du Premier Messager de la Guilde. Bon sang, il fallait qu'il sorte d'ici, et vite. Il recula et s'installa doucement sur la paillasse, essayant de ne montrer aucune émotion. A travers la pénombre qui dansait derrière les torches, Aedonnaz le fixait intensément.
« Nous savons que tes pouvoirs sont limités. N’espère pas trop t'enfuir. Tu partiras demain pour le Kartawak. Tu seras sans doute plus utile au Maître qu'ici. Il tirera de toi une monnaie d'échange en dernier recours, au cas où. »
Gilian lâcha un rire désabusé.
« Jamais votre Maître de pacotille n'obtiendra mes services. Je le tuerai quand je le verrai.
Aedonnaz éclata de rire. Un rire aiguë et démoniaque. Son crâne chauve plein de sueur brillait à la lueur des torches.
« Je crois que tu n'as pas encore bien réalisé quels sont les pouvoirs du Maître, ricana t-il. Tu ne pourras que te soumettre. Quel dommage qu'il n'ait pas liquidé ton jeune protégé bien avant. Ce ne sont pas les occasions qui manquaient. On aurait gagné du temps. »
Aedonnaz avait repris son sérieux, et il paraissait maintenant en colère. Il toisa Gilian à travers la grille, puis s'adressa doucement à lui avec mépris.
« Je dois te laisser, mon cher Gilgathan. Les habitants de Glithaor se sont découvert de nouvelles velléités révolutionnaires. Le Culte a une rébellion à mater. »
Le cardinal se retourna et partit sans attendre. Gilian restait immobile, pétrifié par ces paroles. Pas celles qu'il venait de prononcer au sujet de cette révolte, non. Celles d'avant.
Prenant sa tête entre les mains, le vieux conteur tenta de réfléchir. Il chercha loin, dans ses souvenirs, et se concentra intensément. Bientôt, une terreur indicible s'empara de lui, ainsi qu'un horrible pressentiment. Il allait falloir vérifier une chose essentielle, cruciale. Mais Gilian ne se faisait plus d'illusions. Si son intuition était exacte, la supercherie était tellement énorme qu'il ne se pardonnerait jamais cette négligence. Il fallait qu'il sorte d'ici le plus vite possible.
Quelques instant plus tard, le vieil homme entendit un bruit au fond de la cellule. Comme une chute de pierre. Il y faisait sombre, mais il avança à tâtons et mit la main sur ce qui semblait être une feuille de papier pliée, attachée à un cailloux. Mais comment était-elle arrivée là ? Gilian se concentra avec attention, orientant son regard vers le coin le plus sombre, là où le mur rejoignait le plafond. En levant une main, il décela un léger souffle. Un soupirail ?
Gilian s'empara du papier et déplia la feuille, s'avançant vers la grille, là où la lumière était assez vive pour espérer déchiffrer quelque chose. Personne dans le couloir. Il balaya les quelques lignes du regard et sourit avec satisfaction.
Il allait sortir d'ici. Et plus vite qu'il ne l'avait imaginé.
*
Une voûte d'arbres, immense, haut perchée.
Des verts foncés, clairs, des teints pastel. Le centre du palais d'Eiros était totalement creusé dans le sol. Tout autour, les arbres gigantesques s'écartaient, comme si ils avaient voulu faire de la place. Une immense clairière s'ouvrait dans cet espace. Creusant la terre profondément. Au fond de ce lieu enchanteur, une grande table ronde, probablement en marbre, trônait majestueusement. Tout autour, des cascades, des petits ruisseaux en provenance du palais, se liaient autour d'eux en canaux, en petites rivières.
Un véritable enchantement.