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Extrait : "Elle est très aimable et très intéressante, l'héroïne de votre nouveau livre, la petite Suzanne de Sannois, telle que vous la dépeignez, avec ses riantes vivacités, ses élans charitables, ses avides et intelligentes curiosités. C'est ce que les Allemands appelleraient ein kluges Kind, un adjectif un peu complexe, difficile à traduire. Il implique l'idée d'un enfant à la fois naïf et sagace, qui, deci, delà, ouvre de grands yeux étonnés et sans cesse demande le..."
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● Fiction : roman, poésie, théâtre, jeunesse, policier, libertin.
● Non fiction : histoire, essais, biographies, pratiques.
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Seitenzahl: 228
Veröffentlichungsjahr: 2016
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De M. Xavier Marmier de l’Académie française
À M. Émile Desbeaux
20 octobre 1880.
Monsieur,
Elle est très aimable et très intéressante, l’héroïne de votre nouveau livre, la petite Suzanne de Sannois, telle que vous la dépeignez, avec ses riantes vivacités, ses élans charitables, ses avides et intelligentes curiosités.
C’est ce que les Allemands appelleraient ein Kluges Kind, un adjectif un peu complexe, difficile à traduire. Il implique l’idée d’un enfant à la fois naïf et sagace, qui, deci, delà, ouvre de grands yeux étonnés et sans cesse demande le comment et le pourquoi des images qui le surprennent, des choses qu’il ne comprend pas.
Les pourquoi de Mlle Suzanne avec les réponses de son frère et de son aïeul seront certainement fort bien notés dans la littérature de l’enfance, une bonne littérature qui de plus en plus progresse.
Au commencement de leur vie, les vieux hommes comme moi n’avaient rien de semblable à ces livres si joliment enluminés qui réjouissent maintenant les regards des écoliers. Nos trésors littéraires étaient des contes de fées, imprimés grossièrement sur un gros vilain papier.
Nous leur gardons cependant un tendre souvenir. Et comment oublier les heures que nous avons passées à les lire, nos palpitations de cœur dans les périls du Petit Poucet, nos heureuses surprises avec le Chat botté, nos angoisses quand Barbe-Bleue a tiré son grand sabre et que sœur Anne penchée à la fenêtre ne voit rien venir, nos joies au triomphe de Cendrillon, et nos douleurs à la mort du Petit Chaperon-Rouge ? Y eut-il jamais émotions plus vraies ?
De graves pédagogues disent que ces contes ne sont pas instructifs. C’est vrai qu’on n’y trouve point de nomenclatures, ni de chronologie. La plupart commencent ainsi : Il y avait une fois : voilà pour l’histoire, dans un village : voilà pour la géographie.
Avec de telles formules, il serait difficile, je l’avoue, de se présenter à l’examen du baccalauréat.
Mais nos chers anciens petits livres ont une autre efficacité. Ils récréent l’esprit de l’enfant, développent son imagination, suscitent sa sensibilité. Plusieurs de ces naïfs récits doivent lui inspirer un sentiment de respect pour la vieillesse, de mansuétude pour les animaux. Tous lui donnent un enseignement moral en lui montrant à la fin de diverses aventures, l’orgueil humilié, la méchanceté punie et la vertu glorifiée.
Pardonnez-moi cette digression. Vous êtes jeune ; vous regardez vers l’avenir. Un jour, vous aimerez comme moi à remémorer le passé.
J’en reviens à la nouvelle littérature de l’enfance et me hâte de lui rendre justice. Il y a là des œuvres excellentes où les éléments des études sérieuses sont expliqués en un clair langage par des hommes d’un vrai talent et d’un vrai savoir.
Il y en a qui ont un autre attrait, par un ingénieux mélange de fiction et de réalité, de notions positives et de causeries familières.
C’est un plaisir de voir ces livres d’éducation imprimés avec un soin particulier et de songer aux candides émotions qu’ils doivent produire, aux saines leçons qu’ils doivent répandre dans des légions d’écoliers.
Les publications favorites de l’enfant sont celles qui lui représentent les beautés de l’histoire naturelle. Il a pour tout ce qui tient à cette immense, à cette ravissante histoire un penchant inné.
L’enfant qui a le bonheur de vivre à la campagne a, dès ses premières années, des impressions qui ne s’effaceront jamais. La fontaine où il trempe ses petites mains ne produit pas comme celle du paradis terrestre quatre fleuves qui arroseront de grands royaumes ; l’arbre sous lequel il va s’asseoir ne distille pas la gomme et le baume odorant ; l’enclos rustique qui entoure sa demeure n’est pas l’Éden du premier homme. Mais, comme le premier homme, dans sa simplicité et son innocence sans tache, il contemple une des œuvres de Dieu, une des merveilles de la création.
Tout ce qui surgit et fleurit, tout ce qui se meut et palpite, tout ce qui bourdonne et chante autour de lui, attire ses regards, résonne à ses oreilles, captive sa naissante pensée.
Les enfants des villes n’ont pas le même privilège. Ils n’auront point, par le square de leur quartier, l’idée de la vaste prairie ; ni, par les arbres chétifs disséminés le long des rues, l’idée de la mystérieuse et solennelle forêt ; ni, par le bruissement de la charrette du maraîcher et de la laitière, l’idée du réveil de la nature en une belle matinée ; ni, par les becs de gaz des magasins, l’idée des soirs lumineux dans le calme et lointain espace.
Ah ! les pauvres petits captifs des cités ! Il en est qui n’ont pas d’autre horizon que le haut d’un toit noir et le mur d’une cheminée. Ceux-là surtout ont besoin des livres d’histoire naturelle qui, par de lucides descriptions et de véridiques images, leur révèlent au moins quelques-unes des meilleures, des plus admirables choses de ce monde.
Le Jardin de Mademoiselle Jeanne, que vous avez publié, monsieur, l’année dernière, a charmé une quantité de ces intéressants lecteurs. Des lecteurs plus graves en ont reconnu le mérite. L’Académie française lui a décerné un de ses prix.
Justement encouragé par le résultat de ce premier volume, vous en préparez un second que vous avez bien voulu me communiquer. Je l’ai lu avec une sincère sympathie et une réelle confiance en son succès.
Heureux celui qui écrit de sages et intelligents livres pour l’enfance !
Il fait une bonne action qui ne sera pas oubliée.
Veuillez agréer, monsieur, l’expression de mes meilleurs sentiments,
XAVIER MARMIER,
de l’Académie française.
– Pourquoi neige-t-il ?…
Telle est la question que se posait à elle-même, un matin d’hiver terrible, une jolie brunette de neuf à dix ans.
La physionomie de cette petite fille était marquée d’un cachet extrêmement original par des yeux bleus, abrités sous de longs cils noirs, toujours grands ouverts et emplis d’un perpétuel étonnement.
Cette enfant semblait assurément surprise de tout, peut-être même de vivre.
La bouche, mi-close, avait la lèvre intelligente, curieuse et interrogative.
Ces yeux bleus voyaient-ils une chose nouvelle qui les frappât ? Aussitôt cette bouche rose s’ouvrait, qui demandait : « Pourquoi ? »
Suzanne de Sannois était une question vivante.
– Pourquoi neige-t-il ? répétait-elle, toute songeuse, en tenant soulevé le rideau de sa fenêtre.
Suzanne habitait l’un de ces superbes hôtels parisiens qui enserrent le parc Monceaux dans un somptueux cadre de briques et de pierre.
Ce matin-là, la façade de l’hôtel de Sannois disparaissait sous une masse de neige qui s’accrochait aux corniches, aux mascarons, aux saillies des sculptures, aux pointes des grilles dorées, s’étendait en tapis sur les marches du perron descendant jusqu’au parc et mettait de blanches arabesques à l’armature de fer forgé d’une longue serre accotée à l’habitation, où se montraient à travers les vitres, par un contraste étrange, les vertes et luxuriantes plantes des Tropiques.
Suzanne voyait le parc Monceaux tout blanc et tout triste sous la neige épaisse que cette nuit d’hiver avait apportée. Quelques hommes travaillaient à déblayer la route des voitures. Un gardien, le capuchon sur la tête, les surveillait. Plus loin, une rue déserte bordée de petits hôtels, avec des ateliers de peintre, et, çà et là, quelques arbres qui semblaient grelotter.
Cette vue donna à Suzanne la sensation du froid du dehors ; elle revint vite au milieu de sa petite chambre qu’un bon feu éclairait dans le ronflement de ses longues flammes jaunes.
Pour la première fois, peut-être, elle sut apprécier le confortable des choses qui l’entouraient.
La chambre à coucher de Mlle Suzanne était fort coquette dans sa simplicité voulue.
Toute calfeutrée, bien à l’abri des courants d’air avec ses fenêtres garnies d’une double mousseline sous les lourds rideaux à gobelets flamands, elle était entièrement tendue de perse rose pâle, et le plafond, en étoile, envoyait dans tous les sens ses rayons de même étoffe.
Le fond du lit, caché par des rideaux de perse à embrasses bouillonnées, était de satinette rose recouverte de tulle avec appliques de fleurs. Auprès, une petite toilette duchesse, puis une étagère chargée de bibelots, le berceau d’une grande poupée qui avait dormi toute la nuit comme sa maîtresse, une table avec des cahiers et des livres, et quelques chaises bébés qui posaient sur un tapis de moquette veloutée dont Suzanne, en marchant, regarda les bouquets de fleurs brillamment enluminés.
Mlle de Sannois s’approcha de son lit où la femme de chambre acheva de l’habiller.
Suzanne continuait à réfléchir.
– Qu’avez-vous donc ce matin, mademoiselle ? dit la femme de chambre.
Suzanne leva ses grands yeux et dit :
– Sais-tu pourquoi il neige, toi, Louisette ?
– Mais, oui, mademoiselle !
– Ah ! Eh bien, dis-le-moi ! fit Suzanne avec vivacité.
– Il neige parce qu’il fait froid ! C’est bien simple !
Il est probable que Suzanne ne trouva pas cette réponse satisfaisante, car elle reprit :
– Et pourquoi fait-il froid ?
– Dame ! parce que… parce que… Ah ! ma foi, mademoiselle, s’écria Louisette en riant, vous m’en demandez trop ! je ne sais pas.
Suzanne garda le silence ; puis, après quelques minutes, elle dit, poursuivant son idée :
– Pourquoi ne sais-tu pas ?
– Parce que, mademoiselle Suzanne, on ne m’a pas appris ces choses-là.
– Mais moi, je veux qu’on me les apprenne ! murmura Suzanne.
– Adressez-vous à madame. Elle pourra, sans doute, vous répondre.
– Tu as raison ! Dépêche-toi de m’habiller.
Et Suzanne, venant en aide à la femme de chambre, eut bientôt fini sa toilette.
Suzanne courut vers la chambre de Mme de Sannois.
– C’est moi, petite mère ! dit-elle en ouvrant la porte.
Mme de Sannois, une charmante femme, paraissant encore jeune quoiqu’elle eût un grand fils de vingt-six ans, embrassa avec tendresse sa chère Suzanne tout en s’étonnant de la voir déjà habillée.
– Je suis venue vite, petite mère, dit Suzanne en montrant de la main les toits tout blancs qu’on apercevait derrière les vitres, pour te demander si tu sais pourquoi il neige ?
Mme de Sannois, habituée à l’heureuse curiosité de sa petite fille, ne put cependant s’empêcher de sourire.
– Je le sais, répondit-elle, mais ton grand-père et ton frère le savent bien mieux que moi. Interroge l’un ou l’autre.
Suzanne regarda la pendule, dont les aiguilles marquaient neuf heures.
– Paul est déjà sorti pour son travail. Il ne me reste que bon papa, je vais aller le trouver.
Mme de Sannois arrêta Suzanne au moment où, toute vive, elle se dirigeait vers la chambre du grand-père.
– Attends un peu, ma chère enfant, dit avec douceur Mme de Sannois. Il sera toujours temps d’aller tourmenter bon papa, qui se lève plus tard que nous, tu le sais bien.
Suzanne dut se résigner à subir ce retard. Elle se mit, en face de sa mère, à une petite table où des tasses de chocolat étaient déjà servies.
Mais à peine était-elle assise que la neige se reprit à tomber avec violence.
Le vent, qui s’était élevé, sifflait, lugubre, enveloppant la neige dans de rapides tourbillons.
Des flocons venaient à chaque instant s’écraser et se fondre contre les carreaux.
Mme de Sannois avait repoussé sa tasse, et, accoudée sur la table, elle regardait fixement au dehors.
Ses regards essayaient de percer le grand voile blanc qui semblait tomber par lambeaux.
Elle restait grave et recueillie devant cette désolation de la nature.
Suzanne aussi avait interrompu son repas.
Soudain, n’entendant plus de bruit à côté d’elle, elle détacha ses regards de la croisée pour les reporter sur sa mère.
Elle vit Mme de Sannois plongée dans une rêverie si profonde que, d’abord, elle n’osa parler.
Enfin, doucement, timidement, comme si elle eût craint de connaître à l’avance la réponse qu’on allait lui faire, elle dit :
– À quoi penses-tu, maman ?
Mme de Sannois ne répondit pas.
Elle tourna seulement vers sa chère enfant ses yeux emplis d’une immense tristesse.
Suzanne avait compris.
– Papa ! s’écria-t-elle.
Mme de Sannois baissa lentement la tête.
Mais déjà Suzanne s’était jetée dans ses bras ; et elle couvrait de baisers pleins de larmes sa petite mère chérie.
L’épouse et l’enfant cherchaient à se consoler dans leur affection mutuelle.
M. de Sannois était capitaine de vaisseau.
Depuis de longs mois il était parti, en mission du gouvernement, pour notre colonie de la Nouvelle-Calédonie.
Enfin, il venait d’être rappelé en France, et, sans doute, l’heure même où l’ouragan de neige se déchaînait sur l’hôtel de Sannois, le vaisseau qui portait le père de Suzanne était au milieu de l’Océan.
Peut-être était-il livré aux horreurs d’une tempête bien plus terrible encore !
La mère et l’enfant voyaient le navire devenu le jouet des vagues en courroux, les voiles déchirées sous l’étreinte du vent, les mâts brisés ; des montagnes de glace se précipitant sur lui, prêtes à l’engloutir ; et, sur le pont dévasté, un homme commandant à ses marins, aveuglés par la rafale, des manœuvres impossibles à exécuter.
L’homme que Mme de Sannois et Suzanne apercevaient ainsi dans leur imagination, c’était le mari, c’était le père !
Voilà pourquoi Suzanne pleurait, pressée contre sa mère, qui versait aussi des larmes silencieuses.
Mme de Sannois reprit un peu courage et, chassant ces sombres pensées, elle essuya ses yeux et passa son mouchoir sur le visage éploré de sa pauvre Suzanne.
Juste en ce moment la neige cessa de tomber. Une éclaircie se fit dans le ciel et on eût dit qu’un rayon de soleil se donnait quelque peine pour transpercer les vilains nuages qui lui cachaient la terre.
Cette vue ranima Mme de Sannois qui dit à Suzanne :
– Ne pleurons plus, ma chère enfant ; et souhaitons que notre chagrin soit sans motif ! Ton père est un habile marin ; son vaisseau est un des meilleurs qui soient sortis des chantiers de l’État, et rien n’indique qu’il ait, sur sa longue route, à souffrir des temps contraires !
Comme Suzanne restait encore soucieuse, Mme de Sannois ajouta avec un doux sourire :
– Et n’oublie pas ta question !
– Quelle question ?
– Celle que tu veux adresser à ton grand-père.
– Ah ! oui, pourquoi il neige ?
Et, la curiosité reprenant vite ses droits sur elle, Suzanne courut frappera la porte de son bon papa.
M. de Beaucourt, père de Mme de Sannois et, par conséquent, grand-père de Mlle Suzanne, était un beau vieillard, encore solide et presque alerte, toujours correctement tenu, toujours rasé de frais, aux cheveux encore nombreux, mais, hélas ! argentés par le temps. Le nez bourbonien était d’un dessin vigoureux ; la bouche bonne et souriante ; et l’œil pur, très clair, avec des tons de jeunesse, indiquait une longue vie bien vécue.
Quand M. de Beaucourt entendit frapper à sa porte, il reconnut bien vite à quel visiteur il allait avoir affaire.
Mais cela ne l’empêcha point, s’amusant de cela tous les matins, de prendre une grosse voix pour demander :
– Qui est là ?
– Mlle Suzanne ! répondit-on.
– Ah ! c’est encore Mlle Suzanne qui vient tourmenter son pauvre grand-père.
– Mais non ! Mais non ! cria Suzanne.
– Comment ? mais non ! Ce n’est pas Mlle Suzanne.
– Mais si ! mais si ! je suis Suzanne.
– Que disiez-vous donc alors ?
– Je disais : Mais non, je ne viens pas pour te tourmenter.
– Et pourquoi, mon Dieu ! venez-vous ?
– Pour te demander quelque chose.
– De quoi s’agit-il ?
– Ouvrez, monsieur bon papa, dit Suzanne en tâchant d’enfler sa petite voix à l’unisson de celle de son grand-père, ouvrez et vous le saurez !
Cette fois, bon papa ne résista pas à cet ordre donné avec une gentillesse si drôle ; il ouvrit.
Suzanne lui sauta d’abord au cou, et puis elle s’installa tranquillement à sa place habituelle, qui était les genoux de son grand-père.
– Bon papa, dit-elle, tu vas me dire pourquoi il neige ?
M. de Beaucourt prit un grand air étonné et, tout heureux de taquiner doucement sa chère petite « Zazanne », comme il l’appelait, il répondit fort sérieusement :
– Pourquoi il neige ?… mais, je n’en sais rien.
– Ah !… ah !… fit Suzanne consternée, en joignant les mains. Tu n’en sais rien, toi qui sais tout. Est-ce possible ?
Et, comme elle le regardait bien en face, elle s’aperçut qu’il ne pouvait s’empêcher de sourire.
– Oh ! dit-elle alors en affectant beaucoup de gravité, oh ! monsieur bon papa, je crois que vous venez de faire un gros mensonge, et vous savez que c’est fort vilain de mentir !
Et, changeant d’accent, elle ajouta, très câline :
– Oh ! j’étais bien sûre que tu le savais, pourquoi il neige. Dis-le-moi, bon papa, et je serai bien sage, tu verras !…
M. de Beaucourt ne put s’empêcher de rire de bon cœur.
– Eh bien, oui, répondit-il, je veux bien te l’apprendre, mais c’est assez difficile à expliquer et je crains bien…
– Tu crains que je ne comprenne pas ? dit Suzanne. Essaye toujours, bon papa !
– Eh bien, il neige parce qu’il fait froid.
Une stupéfaction profonde envahit la jolie figure de Suzanne.
Après un silence, elle dit :
– Mais, bon papa, c’est justement ce que Louisette m’a répondu !… Est-ce que tu n’en saurais pas plus long qu’elle ?…
– Rassure-toi, car je crois bien que la femme de chambre ne sait pas pourquoi il fait froid. Tandis que…
– Tu le sais, toi, bon papa ! s’écria Suzanne en frappant joyeusement des mains. Eh bien, dis-le-moi, pourquoi il fait froid.
– Mais, non, non, pas maintenant ; cela nous entraînerait beaucoup trop loin. Je vais tâcher seulement de répondre à ta première question en t’expliquant pourquoi il neige.
– J’écoute bien, dit Suzanne en prenant son petit air attentif.
– Tu as vu souvent de l’eau sur le feu, n’est-ce pas ? et tu as remarqué que des vapeurs s’en échappaient et formaient comme un nuage qui montait vers le plafond.
– Oui.
– Eh bien, toute l’eau qui se trouve à la surface de la terre laisse constamment échapper des vapeurs semblables.
– Sans qu’il y ait de feu dessous ?
– Sans qu’il y ait de feu.
– Mais on ne les voit pas.
– Tu as raison. On ne les voit pas ordinairement, mais, quand elles s’élèvent dans l’air et qu’elles arrivent dans un milieu plus froid que la terre, elles se réunissent, se resserrent, se pressent les unes contre les autres, et deviennent visibles. Me comprends-tu ?
– Oui, bon papa.
– Alors, dis-moi comment on appelle ces vapeurs devenues visibles.
– Des nuages.
– Très bien ! s’écria bon papa, enchanté de la sagacité de sa chère Suzanne.
Cependant on peut voir, en certains cas, ces vapeurs au moment où elles se dégagent de la terre. Lorsque, par un soir d’été, on se trouve sur une montagne, on aperçoit, à mesure que la température se refroidit, d’épaisses vapeurs qui se forment sur les rivières, les ruisseaux, les prairies humides. Alors, si le vent s’élève, il emporte dans les hautes régions de l’air ces vapeurs qui sont maintenant des nuages. Pressés en sens divers par les courants d’air qui passent là-haut, ces nuages changent constamment de formes, et tu as pu en observer toi-même de fort bizarres.
– Oh ! oui, cet été, s’écria Suzanne, j’en ai vu un qui ressemblait à l’un des dromadaires du Jardin d’Acclimatation, et un autre qui avait tout à fait une tête d’homme, mais ça n’a pas duré longtemps. Ils se sont changés en une masse blanche qui ne signifiait plus rien.
– Il faut que tu saches encore que les nuages affectent trois aspects caractéristiques qui permettent de les classer sous les noms de cirrus, cumulus et stratus.
Les cirrus se composent de filaments déliés dont l’ensemble rappelle tantôt un pinceau, tantôt une chevelure crêpelée, tantôt un réseau délicat.
Le cumulus, qui est un nuage d’été, se montre sous la forme d’un globe ou d’un demi-globe. Quelquefois ces globes s’entassent les uns sur les autres et forment ces gros nuages qu’on voit accumulés à l’horizon avec l’apparence de hautes montagnes blanches.
Enfin le stratus est une bande qui se forme ordinairement au coucher du soleil et disparaît à son lever.
Mais ce sont les cumulus qui prêtent le plus par leurs formes changeantes à notre imagination. C’est dans le contour de ces nuages que nous croyons voir des arbres, des montagnes, et, comme tu le disais toi-même, des hommes et des animaux.
– Et ils sont hauts, bon papa, bien hauts ?
– Leur éloignement de la terre est très variable. Quelques nuages rasent le sol tandis que d’autres peuvent s’élever à cinquante kilomètres.
Il y a aussi des nuages presque constamment aux sommets des montagnes ; ils proviennent des vapeurs, qui s’élèvent de la plaine et qui se condensent, se resserrent dans l’air plus froid, car, à mesure que l’on s’élève, la chaleur diminue.
Dans les pays montagneux, les aspects souvent fantastiques des nuages ont fait naître des idées absurdes chez les populations et ont inspiré des sentiments de frayeur qui n’ont aucune raison d’être, comme tu le penses bien.
– Parbleu ! dit Suzanne, comment peut-on avoir peur des nuages ! Mais, dis, est-ce que c’est grand, un nuage ?
– Il en est de dimensions énormes qui ont plus de trente kilomètres de largeur et qui ont une épaisseur de mille mètres. À côté d’eux, il en est d’autres qui n’ont que quelques mètres.
– Ce sont des nuages bébés, dit Suzanne.
Cette réflexion fit voir à M. de Beaucourt que sa petite-fille l’écoutait avec attention.
C’est pourquoi il reprit :
– Si je t’ai parlé des nuages, c’est que ce sont eux qui produisent la neige aussi bien d’ailleurs que la grêle et que la pluie.
Lorsque l’air, déjà froid, où flottent ces vapeurs, se refroidit encore, elles se resserrent davantage, elles se condensent selon l’expression scientifique, et se transforment en petites gouttes d’eau assez pesantes pour vaincre la résistance qu’oppose l’air à leur chute et pour tomber sur la terre.
– C’est la pluie ! dit Suzanne.
– Parfaitement ! c’est la pluie. Et si ces gouttes d’eau traversent en tombant des courants d’air très froids, elles se gèlent et deviennent ces petites boules de glace qu’on nomme la grêle.
À ce moment, la neige recommençait à tomber au dehors en larges flocons.
– Et ça ? murmura Suzanne, en étendant la main vers la fenêtre et revenant à sa première question.
– Nous y voici. Que l’air qui entoure les nuages se refroidisse extrêmement, et, alors, les nuages se gèleront et se transformeront en une véritable petite poussière de glace que son poids entraînera vers la terre. Cette petite poussière de glace…
– C’est la neige ! dit Suzanne impatiente.
– Oui, c’est la neige.
Suzanne réfléchit quelques minutes et dit tout à coup :
– Mais à quoi ça sert-il, les nuages ?
Le bon papa, habitué au caractère de sa chère petite-fillette, ne sourcilla pas, et répondit tranquillement :
– Les nuages servent, en été, à tempérer l’ardeur du soleil ; en hiver, ils s’opposent au trop grand refroidissement de la terre en s’interposant comme un voile entre notre monde et les espaces célestes qui déverseraient sur nous leur température toujours froide. Enfin ils produisent la pluie, et c’est là une chose importante, car, sans la pluie, notre sol se dessécherait, les plantes se faneraient, les animaux mourraient, et notre fin, à nous tous, arriverait bientôt.
– Alors, dit Suzanne, c’est un moyen que le bon Dieu a trouvé pour arroser la terre.
M. de Beaucourt sourit à cette naïve explication.
– Je m’étonne, dit-il, que tu ne me demandes pas : Et la neige, à quoi sert-elle ?
– Sois tranquille, bon papa, répliqua Suzanne sans se déconcerter, j’allais te le demander.
– Eh bien, la neige est très utile ; mais oui, très utile, répéta M. de Beaucourt en voyant Suzanne ouvrir ses grands yeux : d’abord, elle trempe la terre mieux encore que la pluie ; elle contient des substances qui pénètrent dans le sol et servent à faire pousser les plantes ; elle détruit une foule d’insectes nuisibles, et elle empêche le froid de descendre trop profondément dans la terre.
– Oh ! dit Suzanne, elle est froide, et elle empêche le froid de faire du mal à la terre !
– Mais oui, elle joue le rôle d’un épais manteau qui soustrait le sol au refroidissement que lui ferait subir la température de l’air extérieur. Elle est froide, comme tu le dis, mais elle préserve la terre d’un froid plus grand. Elle lui est donc d’une utilité incontestable.
– C’est juste ! murmura Suzanne. Maintenant explique-moi, ajouta-t-elle, ce que c’est que le froid et pourquoi il fait froid.
– Ah ! dit le grand-père, laissez-moi un peu respirer, petite curieuse. D’abord, il est l’heure d’aller déjeuner.
En effet, le valet de chambre venait annoncer que le repas était servi.
– Eh bien, ce sera pour le dessert ! dit Suzanne en prenant son bon papa par la main et en l’entraînant vers la salle à manger de l’hôtel.
Dans la salle à manger où Suzanne conduisait son grand-père se trouvaient déjà Mme de Sannois et M. Paul.
Paul était le frère de Mlle Suzanne, son « grand frère », comme elle l’appelait. Sorti de l’École polytechnique, il était ingénieur des ponts et chaussées. Il aimait grandement sa petite sœur, qui le taquinait souvent, mais qui l’aimait aussi beaucoup. Paul n’était jamais embarrassé devant les questions multiples de Suzanne.
À ses « pourquoi », il trouvait toujours des « parce que » qui satisfaisaient la curiosité de Mlle Suzanne.
On se mit à table, et le silence qui préside aux débuts de tous les repas se fit pendant quelques instants.
Bientôt, pourtant, Mme de Sannois s’aperçut que Suzanne ne touchait pas à ce qu’on lui avait servi.
– Il faut manger, ma chérie ! dit-elle.
– Je n’ai pas faim, répondit Suzanne.
– Tu ne veux donc pas grandir ? demanda M. de Beaucourt.
– Pourquoi me dis-tu cela, bon papa ?
– Parce que, si tu ne manges pas, tu resteras toute petite ! répondit le grand-père très sérieux.
– Vrai ?
– Mais oui, « vrai ! » dit Paul à son tour.
Suzanne regarda son frère.
– Pourquoi ? dit-elle.
– Ah ! te voilà encore avec tes questions ! dit Paul en souriant.
– Oui, pourquoi ? reprit Suzanne sans se déconcerter.
– Parce qu’il faut manger d’abord pour vivre, ensuite pour grandir, enfin pour réparer les forces que l’on perd continuellement.
Et, comme Suzanne attendait une explication complète, son grand frère lui dit :
– Je vais tâcher de te faire comprendre pourquoi il faut manger et à quoi cela sert, mais je te préviens que je serai assez long ; auras-tu la patience de m’écouter jusqu’au bout ?
– Oui, oui ! répondit rapidement Suzanne.