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La légendaire Citadelle est tombée. Les Reliques ont été enterrées dans un endroit inconnu de tous, sauf d'une femme qui s'est volatilisée avec les secrets d'un pouvoir inégalable. Qui la trouvera en premier ? Face à Eudikos et son objectif démesurément dangereux, Eiliana et Gurvan joignent leurs forces. Parviendront-ils à l'arrêter avant qu'il ne mette la main sur le Sceptre de Peste ? De l'autre côté de la mer, l'Oracle possède enfin sa flotte toute-puissante. Il compte se diriger vers le Nord, et seule une Taskum dont la fin semble proche ose encore lui faire face. Aristokas, nouveau roi de Siramos, doit tout faire pour se préparer à l'affrontement inévitable. Une seule erreur pourrait lui être fatale.
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Seitenzahl: 477
Veröffentlichungsjahr: 2022
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À mes proches, pour leur soutien inconditionnel et leur bienveillance.
Royaume de Siramos :
- Aristokas : Iliate, nouveau roi de Siramos, ancien capitaine de la Phalange Fraternelle.
- Calandia : Targite, ancienne chasseresse, nouvelle capitaine du groupe d’élite du royaume.
- Dimos : Iliate, bras-droit du roi.
- Jahia : fille du Patriarche Général de Taskum, conseillère du roi.
- Terkan : ancien roi de tous les Targites, exilé au Nord et conseiller du roi.
- Adnan : Targite, ancien gladiateur.
- Pedrig : Teutane, réputé pour sa discrétion.
- Léobotès : Héros de Taskum retraité. Amant d’Aristokas.
Royaume de Florin :
- Gurvan : Teutane, membre de la garde de Barvig.
- Renan : apprenti druide, proche et sauveur de Gurvan.
- Barvig : roi de Florin.
- Keel : garde de Barvig blessé honorable, chef de clan urbain. Ami de Gurvan.
Taskum :
- Aalif : sergent de la garnison de Taskum.
- Le Patriarche Général, chargé des affaires militaires.
- Aasim : vétéran des Héros de Taskum, chef de cette unité d’élite.
- Diané : Héros natif de Taskum.
Protecteurs :
- Eiliana : Teutane, aux talents de scribe, cheffe d’expédition.
- Mangaal : Teutane, général des Protecteurs. Amant d’Eiliana.
- Dama : Mawu, scribe, membre du groupe d’Eiliana.
Sauveurs :
- Eudikos : Iliate, fondateur du mouvement sécessionniste.
- Nakhia : Cyrsienne aux talents de scribe. Seconde des Sauveurs.
- Vaeria : Rémulienne, réputée pour sa discrétion et sa brutalité. Proche d’Eudikos.
- Boanna : Teutane, guerrière loyale. Proche d’Eudikos.
(en gras, personnages dont les points de vue sont les plus souvent exposés.)
Chapitre 1
Chapitre 2
Chapitre 3
Chapitre 4
Chapitre 5
Chapitre 6
Chapitre 7
Chapitre 8
Chapitre 9
Chapitre 10
Chapitre 11
Chapitre 12
Chapitre 13
Chapitre 14
Chapitre 15
Chapitre 16
Chapitre 17
Chapitre 18
Chapitre 19
Chapitre 20
Chapitre 21
Chapitre 22
Chapitre 23
Chapitre 24
Chapitre 25
Chapitre 26
Chapitre 27
Chapitre 28
Chapitre 29
Chapitre 30
Chapitre 31
Chapitre 32 : FIN
Ils étaient comme dans un autre temps. La lueur des flammes éclairait des reliefs fantastiquement sculptés, comme venus d’un monde mythique. On y voyait des géants les bras grand ouverts et des fidèles, minuscules en comparaison, se prosterner devant eux. Soumis. Seulement désireux de manger les restes des plus forts. Les rois-mages étaient-ils si grands à cette époque ? Eudikos ne pouvait que se demander ce qu’Eiliana en aurait pensé.
– Je crois que ces reliefs représentent en réalité la taille de leur ego…
Il se retourna et vit Nakhia à quelques centimètres de lui, un sourire cynique aux lèvres. Il ne l’avait même pas aperçue approcher bien que la torche la rendait difficile à rater. Elle ne le regardait pas, et semblait plutôt aspirée par l’œuvre murale. Les scribes avaient constamment l’air de ressentir quelque chose de plus que les autres quand ils se tenaient dans des ruines. Comme s’ils arrivaient à se transporter dans le passé.
– Rien de nouveau sur celle-ci, dit froidement l’Iliate en continuant son chemin.
– Toujours pas. Mais notre quête serait tellement moins amusante si on trouvait tout de suite des réponses…
Ce cynisme ambiant l’avait plutôt berné dans les premières semaines. Il s’était demandé si cette Cyrsienne comprenait vraiment les enjeux de leur actuelle mission, et avait eu du mal à lui faire confiance. Puis elle s’était illustrée comme l’une des scribes les plus brillantes de leur nouvelle confrérie et son esprit de génie ne tarda pas à les faire avancer à une vitesse impressionnante. Elle était sacrément intelligente. Beaucoup plus que lui.
Pourtant, tout le monde suivait Eudikos depuis son discours à la grotte de l’Ours, en tout cas tous ceux qui avaient décidé de le rejoindre. Ceux qui se rendaient compte de la réalité de ce monde, et de l’unique moyen de mettre fin à une telle obscurité.
Mais être autant écouté impliquait des responsabilités, une capacité de décision encore inédite jusque là, et Nakhia était sa plus grande alliée. Elle lui répétait toujours la même phrase, qui depuis revenait couramment dans son esprit. Ne pas se laisser aveugler par ses sentiments, réagir froidement pour le bien de la mission. Hors de question de libérer sa colère devant des scènes d’injustice. Il perdrait son temps. Maintenant, ses camarades et lui avaient la solution pour remédier à ce genre de problèmes. Pour de bon.
Un cri féminin se fit entendre à l’avant. Il vit les lueurs des flambeaux s’immobiliser simultanément. L’une d’entre elles était au sol. Foutues ruines. Il courut pour rejoindre son avant-garde. La guerrière, surprise, ramassa son flambeau et le jeta devant elle. Tous eurent un haut-le-cœur en apercevant ce dernier entamer un parcours apparemment sans fin dans le vide.
– Je comprends pourquoi même les pilleurs de tombes viennent pas ici, finit-elle par lâcher.
– Et c’est pour ça que c’est là qu’on trouvera la réponse, dit Eudikos. Baissez vos torches. On se concentrera pour lire les inscriptions une fois qu’on saura qu’on est en sécurité. Et allumez quelque chose autour de ce puits.
Ils hochèrent la tête sans remettre ses paroles en question. Si on le lui avait demandé, il aurait poliment refusé de devenir le chef de quelque chose d’aussi important. Mais quelqu’un devait bien se coller à cette tâche et il avait été le seul à réaliser à quel point le monde était pourri jusqu’au noyau. Parfois, il prenait le temps de se reposer, ne parlait plus pendant des heures et des heures. Ses troupes le voyaient, mais ils avaient appris à vivre avec et personne n’avait encore remis sa capacité à diriger en question. Ce sont de braves gens, plus valeureux que ces foutus mercenaires de la Phalange Fraternelle ou que ces Protecteurs aveugles et faibles.
– Nakhia ! Ici !
Boanna, sa camarade qui avait failli y passer un peu plus tôt, venait de découvrir une inscription écrite dans l’alphabet des rois-mages. On alluma un nouveau feu, établissant par là même l’endroit de campement pour la nuit. Ils devaient se trouver sous terre depuis de nombreuses heures et le crépuscule avait probablement envahi le ciel à l’extérieur. Ces demi-dieux démagogues avaient bien pris soin de montrer à tous qu’ils avaient existé et prospéré, tout en s’assurant que personne ne daigne s’introduire sur leur domaine mortuaire avec de multiples pièges et labyrinthes… Une logique bien paradoxale, digne d’individus rendus fous par trop de pouvoir et d’ennui.
Certains continuèrent leur exploration, d’autres posèrent leurs affaires et commencèrent à préparer le souper. Ce savoureux repas de l’aventurier se composait de pois, et uniquement de pois. C’était l’aliment le plus simple à trouver dans les territoires teutanes pardelà les frontières de Florin, là où leurs recherches préliminaires les avaient menés.
La scribe sortit son carnet et entreprit de comparer les lettres qu’elle voyait sur le mur. Elle maîtrisait cet alphabet mieux qu’Eiliana, et les dieux savaient à quel point la Teutane était douée. Mais elle n’était pas inégalable. De toute évidence, les royaumes cyrsiens n’étaient pas seulement peuplés de marchands cupides. Nakhia avait appris dans la meilleure académie de son foyer natal avant de rejoindre les Protecteurs. Et ce peuple semblait avoir une fascination totale pour les rois-mages, jusqu’à clamer être leurs descendants directs.
Eudikos décida sans surprise de la regarder travailler. Il ne la voyait pas aussi bien qu’à la lueur du jour, mais il reconnaissait ses gestes habituels : remettre ses mèches brunes derrière les oreilles avec agacement, comme si elles la dérangeaient volontairement, frotter les inscriptions de ses mains de manière à se connecter avec, avoir de légers sursauts lors-qu’elle parvenait à faire une avancée majeure…
– C’est le frère de notre vieux Tudhal qui est enterré ici, on avait raison !
Elle laissa échapper un sourire satisfait, mais reprit son sérieux presque aussitôt. Elle venait de passer un quart d’heure sur la première ligne, mais au moins ils avaient la certitude d’être au bon endroit. Jamais ils ne s’étaient trouvés aussi proches du propriétaire du Sceptre de Peste. Tous pouvaient le ressentir.
– Voyons... J'ai quelques doutes, mais l’idée globale devrait être là : « En mémoire » ou « souvenir », « des jeux de chasse avec mon frère dans son domaine » ou « sa maison »… « du sud » ?
– Donc on doit aller voir au Sud d’ici ? demanda Vaeria en surgissant des ombres.
La Rémulienne continuait de lui glacer le sang. Elle n’était pas scribe, mais avait été un des meilleurs éléments de terrain des Protecteurs affectés au royaume de Florin. Eudikos avait aperçu en elle la version féminine de Pedrig, la seule qui pourrait prendre le Teutane à son propre jeu. Il connaissait les compétences d'un tel élément, raison pour laquelle il avait ordonné qu’elle rejoigne son groupe.
– Je ne sais pas, reprit Nakhia. Soit on parle de son domaine au Sud de là où on se trouve actuellement, soit on parle des domaines du sud des terres appartenant à Tudhal, dans le sens où il en aurait plusieurs. Tu vois, comme si tu avais une maison à Florin et une autre vers la mer. Tu dirais « je vais dans ma maison du Sud ».
– Ouais, n’empêche qu’on doit aller au sud, dit-elle pour tout de même avoir le dernier mot.
– Sauf s’il habitait au No… elle soupira. Bref, je vais continuer à déchiffrer tout ça.
Une inscription si banale était devenue cruciale à cause de son sujet caché, si important. Ils avaient la direction ? Mais par rapport à quel endroit ? À quelle distance ? De l’autre côté de la mer ? Ils restaient totalement dans le flou, à étudier des légendes, des récits racontés par ceux qui s’enrichissaient sur la flatterie de leurs maîtres. Ils chassaient des fantômes rendus introuvables par leur propre démesure.
Et pourtant. Mettre la main sur une Relique valait bien tous les efforts du monde. Passer une vie à trimer sans gagner d’argent, à vivre dans la pauvreté, sans reconnaissance… pour avoir une maigre chance de devenir le plus puissant. Pour bien des gens, le dilemme était vite résolu.
Eux ne le faisaient pas pour le pouvoir de marcher sur les autres, de se sentir supérieurs. Ils le faisaient parce qu’il le fallait. Parce que l’être humain était bien trop corrompu pour continuer sur cette lancée. Les mauvais influençaient les innocents, déteignaient sur eux. Comment oser refaire confiance après qu’on ait été trahi ? Pourquoi ne pas se conduire comme les plus malfaisants ? C’était ainsi qu’on voyait des enfants bons et naïfs devenir les plus abjectes personnes. Et le cercle vicieux se reproduisait, pour en finir à des meurtres, des guerres, des massacres, de la violence physique et morale. Partout. Peu importe le pays, peu importe la situation. Tout va changer d’ici peu.
– Il y a mention d’une cité, enfin je crois…
– Tu reconnais ce mot ? dit Eudikos brusquement rappelé à la réalité.
– Il me semble qu’un des autres groupes d’exploration avait trouvé une inscription similaire, et une zone dans laquelle la ville aurait pu se situer… Il faut passer le message à tout le monde.
– Bien. Boanna, repose-toi en vitesse, tu pars dans quelques heures. Tu donneras ce message au point de relais, à destination des groupes d’exploration.
– Et ceux d’observation ? On en a pas mal chez les Iliates.
– Non. Le Sceptre nous servira à rien s’ils n’accomplissent pas leur objectif.
– Bien, j’ai juste besoin d’une petite heure.
Elle s’allongea et ferma les yeux. La Teutane prendrait sa mission au sérieux, il le savait. Il commença à écrire : aux groupes d’exploration et de combat. Nouvelle piste, un nom : Khratip. Serait l’appellation d’une cité, cherchez vos notes. Supposée au sud des terres iliates (peut-être, étendre à Florin). Si vous avez des nouvelles, passez-les aux points de relais. Courage camarades, nous avançons.
Il replia son parchemin et le posa devant la guerrière, sous le pommeau de son épée. Nakhia continuait toujours son travail. Elle n’arriverait de toute façon pas à dormir tant qu’il resterait des mystères à découvrir.
***
Boanna était partie, les derniers avaient cessé leur exploration et tous étaient désormais près du feu, qui apportait une chaleur nécessaire dans des ruines aussi froides et lugubres. La scribe avait enfin terminé de retranscrire les inscriptions et fouillait dans l’immense tas de notes qu’elle avait réussi à amener avec elle. Sa chambre au quartier général n’était en réalité qu’un dépotoir à feuilles qu’elle seule savait retrouver, comme si le désordre apparent était un rangement pensé et étudié.
Ils se rapprochaient de leur but, même qu’un peu, et cela suffisait. Le moral était bon. Bien mieux que les jours après la chute de la Citadelle.
– N’empêche que j’ai hâte de trouver ce Sceptre, qu’on puisse passer aux choses sérieuses, dit Vaeria.
– Il faut aussi profiter de ce genre de moments, parce que les « choses sérieuses » seront bien dangereuses pour nous, reprit Eudikos.
– C’est la première fois que je vois le monde de manière claire. Je pensais déjà que mourir pour les Protecteurs était la plus belle façon de partir, mais là… J’ai hâte d’arriver dans le vif du sujet…
Il savait ses camarades prêts à se sacrifier pour leur nouvelle cause, et lui l’était également. Le projet qu’il avait imaginé depuis la découverte du Sceptre, alors qu’il était à la Citadelle, avait d’abord semblé infaisable. Mais comme tout ce qui paraît immense et impossible, il l’a démonté en petits segments et les a abordés un par un. Et en plus de cela, il avait trouvé des compagnons d’infortune qui voyaient désormais le monde de la même manière. Il était simplement dommage qu’il leur ait fallu le massacre de leurs proches et la souillure de ce en quoi ils croyaient par-dessus tout pour qu’ils le réalisent.
– On pourra commencer par tes amis de la Phalange Fraternelle ?
– Ils n’ont jamais été mes amis.
– Oui, enfin tu vois ce que je veux dire, répliqua Vaeria alors que tous la regardaient avec intérêt. Profiter de l’effet de surprise, les voir disparaître pour ce qu’ils ont fait.
– Attention. Tu mélanges tes sentiments à notre projet. Il est bien plus grand qu’eux. La mort des mercenaires en fait juste partie. Ils paieront comme tous ceux qui commettent des actes odieux.
– Je sais que j’y mets mes sentiments. Mais que ces rejetons de putains s’en soient sortis parce qu’ils étaient sous un foutu « contrat », ça me dégoûte. Vois-les maintenant pulluler, à prospérer sans aucunes représailles. « Regardez, notre nouveau royaume sert le bien commun, contre l’Oracle », dit Vaeria dans une imitation plutôt dégradante. Ils ont massacré les seules personnes qui œuvraient pour les innocents.
– Ouais, en vain, reprit Almo, un autre scribe. Et puis, si tu leur en veux tant pour ce qu’ils ont fait aux Protecteurs, t’as qu’à retourner chez eux…
– Ferme-la, lança-t-elle en contractant la mâchoire les sourcils froncés.
– Je dis simplement que, si on voit la vie du bon côté, on peut se dire que sans leur intervention, on serait encore à croire à ces idéaux impossibles. C’était brutal, mais ils nous ont juste ouvert les yeux.
– Ouais… Si on pouvait éviter d’avoir à se remettre en question après des massacres…
Le moral était plutôt correct, mais l’ambiance n’en restait pas moins morose pour autant. En même temps, leur objectif était noble, mais ils allaient devoir réellement se salir les mains. Comme nul ne l’avait jamais fait. Tous avaient déjà eu au fil des dernières semaines envie de se réveiller, d'enlacer leurs amis de la Citadelle, de se dire que tout ce qui était arrivé n’était qu’un rêve.
Quelque temps auparavant, Eudikos, dans un instant de faiblesse, avait voulu tout arrêter, laisser Nakhia prendre les commandes et partir, vivre en ermite dans une grotte, quelque part, nulle part. Mais il s’était vite ressaisi. Le monde avait besoin d’un renouveau, et l’Oracle était une diversion parfaite. Bien assez tôt, le Nord se rendrait compte de la réelle menace qui émergeait par-delà la mer, et tous les regards seraient rivés dans cette direction.
– Eudikos, je peux avoir un moment ?
Il sursauta.
– Viens.
La scribe et lui s’écartèrent du groupe en empoignant deux torches et partirent assez loin pour ne plus entendre leurs camarades. Ils avaient l’habitude de ce genre de petites escapades, et les autres les respectaient. Ils avaient confiance en eux deux et jusqu’ici les décisions prises semblaient avoir été les bonnes.
– Tu n’as pas l’air totalement là en ce moment.
– Je réfléchis beaucoup, à…
– Arrête de vouloir te justifier en permanence. Ça ne fera que t’affaiblir. Tu sais que tu fais les meilleurs choix, non ? J’ai plus l’impression que c’est Eudikos qui cherche à douter de lui-même plutôt qu’autre chose.
Il sourit.
– Comment ça se fait que tu me connaisses mieux que moi-même ?
– Sûrement parce qu’on pense de la même manière, et qu’on ressent les mêmes choses. Elle sourit à son tour.
Il regarda l’obscurité devant lui. Sans son soutien, il aurait déjà craqué. Les dernières semaines avaient été extrêmement difficiles. Depuis plus d’un mois, il avait créé de toutes pièces un nouveau groupe, avec de nouveaux objectifs, de nouveaux codes. Et le tout lui semblait complètement irréel. Presque mal. Mais il ne pouvait plus douter, il le faisait pour le bien de tous. Seulement, depuis qu’il avait appris à contrôler sa colère, ses motifs lui paraissaient moins forts. Mais plus légitimes.
– Tu penses que les Reliques de la Citadelle ont disparu pour de bon ? demanda-t-elle.
– Je l’espère sincèrement. On les connaît même pas toutes. Et j’ose pas imaginer ce qui arrivera si elles tombent entre d’autres mains que les Protecteurs…
– Et si elles venaient à atterrir entre les nôtres ?
– On les cacherait à nouveau. On n’en a pas besoin. Elles sont que des obstacles à notre mission.
– On pourrait quand même imposer nos termes plus facilement…
– Non.
Sa réponse était sèche. Il la laissait entrer dans son esprit, mais ses idées ne changeaient pas.
– Il est hors de question qu’on s’en serve. C’est pas comme ça qu’il faut faire, c’est tout. On risque d’y prendre goût.
– J’espère simplement que cette éthique ne nous tuera pas tous.
Eudikos se détourna un moment. Si on ne gagne pas avec la morale de notre côté, on aura tout perdu dans cette histoire. Nakhia le regarda et lui octroya un sourire réconfortant. Ils pouvaient être en désaccord, jamais ils ne se trahiraient. Il en avait la certitude.
***
Le début de journée du lendemain fut réservé à une dernière série de fouilles avant d’entamer la sortie de la tombe monumentale. À l’extérieur, ces mausolées ressemblaient à des temples avec leurs styles architecturaux bien particuliers, mais une fois les solides portes en pierres contournées ou détruites et le premier escalier emprunté, des réseaux de couloirs de la taille d’une véritable cité se laissaient découvrir. On y trouvait des salles de banquet, des arènes, de morbides casernes mortuaires où les gardes les plus proches des mages étaient enterrés, pour veiller sur eux après leur disparition. Ces bâtiments étaient construits du vivant des seigneurs et on y inhumait tous ceux qui tombaient au combat avant le décès de leurs chefs. Ainsi, ils préparaient le terrain dans l’audelà pour permettre une installation la plus facile possible.
Il semblait donc logique qu’après l’extinction du principal intéressé, ce tombeau devienne une forteresse afin que les vivants ne puissent plus déranger les défunts. Les architectes avaient en conséquence aménagé des pièges divers et variés, qui retenaient les plus raisonnables de s’y aventurer. Les autres périssaient. Mais les Protecteurs, eux, avaient fait de ces explorations une véritable profession. Eudikos n’avait pas eu le temps d’éprouver son initiation, qui était un épisode de deux jours dans un mausolée sécurisé, à une rotation solaire de marche de la Citadelle. Des cordes étaient étendues autour des traquenards, des feux entretenus à côté de notes qui décrivaient certaines mécaniques courantes qui pouvaient tuer les imprudents.
Désormais, le danger advenait également des rencontres auxquelles on s’exposait. En plus des rats, on pouvait y trouver leurs anciens compagnons. La situation ne s’était pas encore présentée, mais elle pourrait sans aucun doute être le premier bain de sang entre les deux factions.
Foutues ruines.
Eudikos sortit enfin. Il goûta à nouveau au plaisir de l’air frais, du vent et du soleil dont les rayons passaient à travers les pins pour venir lui réchauffer le visage. Il esquissa un léger sourire et rejoignit ses camarades là où les gardes étaient restés avec les chevaux.
– Boanna est bien parvenue jusqu’à vous ?
– Oui, on lui a donné la monture la plus rapide. Les consignes devraient déjà être en train de circuler.
– Parfait, en route pour le poste de relais. On retourne au Sud.
Le groupe se mit en marche, deux éclaireurs partirent deux ou trois cent mètres devant. Leur meilleur atout restait la discrétion. Ils pouvaient recourir aux armes et se défendre avec aisance, mais pas réellement mener de vraie guerre.
Les forêts teutanes avaient un certain charme. Plus fraîches, denses et humides que les arbres à moitié morts des terres iliates. On voyait énormément de gibier, peu de routes et surtout peu de monde. Un territoire presque immaculé. Même si la corruption humaine y était bien évidemment installée.
Ils arrivèrent en fin d’après-midi au poste de relais. Des vigiles attendaient aux alentours. Un simple voyageur ne les aurait pas vus. Mais un simple voyageur ne venait pas dans un coin aussi reculé. Ils passèrent entre plusieurs immenses rochers le long d’un chemin sinueux avant d’approcher une cavité naturelle formée sous une pierre considérable qui faisait office de toit. On pouvait trouver quatre grottes comme celle-ci tout autour. La position était facile à cacher, aisée à quitter, et en faisait donc un point stratégique où des équipes se relayaient toutes les semaines. Les troupes avaient beau être loyales au plan, vivre en permanence sans abri au-dessus de leurs têtes ne pouvait être une bonne chose.
Il attacha sa monture vers l’abreuvoir, lui ramena un peu de foin et lui caressa l’encolure avant de se diriger vers le feu principal, où deux archères s’occupaient de dépecer un chevreuil.
– Eudikos.
– Andal. Que fais-tu ici ?
– Je suis en permission. Ils nous laissent rejoindre nos familles en ce moment. Maintenant qu’on est installés et que tout va…
– Qu’ils sont installés, rappela Vaeria sur un ton menaçant.
– Oui… pardon. C’est juste plus facile de leur mentir comme ça. J’apporte des herbes de Florin à ma sœur, elle est malade. Les gens aussi bons qu’elle qui nous quittent, alors que les meurtriers gambadent en parfaite santé…
– Nous allons engendrer l’équilibre, camarade. Tu as des informations ?
– J’ai déjà tout transmis au premier point de relais où je me suis arrêté. Je crois qu’ils ont également des espions dans nos rangs. Pour l’instant, les ordres étaient de pas être agressifs. Mais depuis qu’ils sont à l’abri, ils commencent à s’agiter. Faites attention.
– Mais tu restes affecté à Florin ?
– Ouais, je vous tiendrai au courant si ça change. Mais on a une poignée de camarades qui sont envoyés ailleurs.
– Merde.
– Mais peut-être que d’autres arriveront en remplacement. Seulement, je les connais pas.
– S’ils ont passé le recrutement après le Schisme, tu peux normalement leur faire confiance. Comme on le fait avec toi.
– Je m'en doute, c’est juste qu’il suffit d’un agent double pour ruiner toute la mission.
– Si vous en trouvez un, tu sais ce qu’il faudra faire.
Andal hocha la tête, et partit aider à découper les morceaux de viande destinés au ragoût du soir. Enfin autre chose que des pois. En plus d’être les centres névralgiques du réseau des Sauveurs, les points de relais étaient aussi les meilleurs endroits pour dénicher de la bonne nourriture. Et avec les trajets qu’Eudikos et ses camarades enchaînaient au quotidien, il fallait bien se requinquer de temps en temps.
Le cliquetis des armures et des ordres criés par les officiers pouvait constituer le plus doux et réconfortant réveil pour un soldat qui, dans son camp de guerre, était au milieu de son foyer, et pouvait être rassuré que ses camarades ne soient pas morts pendant la nuit. Aristokas se redressa sur son lit d’un bond, afin d’éviter de fermer à nouveau les yeux. Les dernières semaines avaient été éprouvantes et il ne savait pas quand il pourrait prendre un repos bien mérité. En tout cas, ce serait impossible avant un long moment.
Sa chambre était fort spacieuse, et il s’était aisément habitué à ne plus avoir à la partager avec des compagnons. On pouvait même y trouver des décorations, des vases, une statue, des babioles qui remontaient le moral lorsqu’on rentrait exténué d’une journée de campagne. L’Iliate enfila rapidement son chiton et sortit de son appartement de toiles.
Il arriva dans la pièce centrale de la tente, composée d’un bureau, d’une bibliothèque, d’une table à manger et de fauteuils pour y accueillir ses plus proches collaborateurs. Bien évidemment, la salle était tout aussi ostentatoire. Il écarta les bras.
Deux aides de camp vinrent lui apposer sa cuirasse musculaire et tout son ensemble de guerre. Sa nouvelle armure était d’excellente facture et bien plus légère, ce qui permettait un peu de repos à ses épaules fatiguées. Il n’eut qu’à attendre en clignant des yeux pour se réveiller davantage. Enfin, il était habillé et prêt à sortir.
Ah, oui, j’oubliais.
Son serviteur, un jeune homme d’une quinzaine d’années, se tenait à quelques centimètres de lui, sa couronne en main.
– Mon roi.
– Merci, hum…
– Nikos, mon roi.
– Merci, Nikos, tu viens de m’épargner un moment bien embêtant.
L’adolescent rougit et ne put cacher un grand sourire. On dirait qu’il a rempli la mission de sa vie… Petit aristocrate, t’es pas méchant, mais heureusement que tes parents ont retourné leur veste à temps.
Mon roi, se répéta Aristokas. Il expira, satisfait de lui-même, et sortit de la tente.
– Votre Altesse, s’exclama sarcastiquement l’un des gardes avec une révérence faussement maladroite.
Le nouveau monarque laissait ses compagnons de la Phalange garder une certaine proximité avec lui. Il n’aurait jamais pu accomplir ce projet sans eux. Ils restaient des camarades, même si le chef adorait rappeler à ceux qui dépassaient les bornes qui il était désormais.
Les hoplites de Siramos n’avaient pas la même réaction. Un quatuor passa devant lui, tous s’arrêtèrent et lui firent un salut des plus respectueux. Offrez à un pauvre l’apparence d’un homme modeste et il vous aimera. Offrez-lui une vie confortable et il vous abandonnera. Il ne leur avait pas payé une maison, seulement une armure. Mais ces derniers avaient vu cette décision comme la plus importante de leur existence, car ils pouvaient dorénavant se pavaner dans les rues de leur foyer et dans les quartiers miteux avec un minimum de classe. Et ils l’adulaient pour cela.
Il avait eu plus de mal à faire sortir les nobles de leurs villas pour le rejoindre au combat. Bien sûr, leur nombre avait drastiquement été réduit après sa prise de pouvoir, mais les plus « collaborateurs » avaient seulement envoyé leurs enfants à la guerre comme garanties de soutien, afin de s’adonner à un travail aristocratique acharné consistant à manger, boire, copuler et dormir. Peu importe l’ordre. Tant qu’ils ne le dérangeaient pas dans ses projets, il les laissait faire.
Il vit Jahia pénétrer dans la tente de commandement juste après Terkan. Elle arrivait constamment en avance, ainsi il était sûr de ne pas être en retard. Dans le pire des cas, il y aura toujours Adnan, s’amusa-t-il.
Les vigiles le saluèrent d’un signe de la tête et il entra, pour découvrir bon nombre de ses officiers et conseillers déjà en place. La plupart conversaient avec leurs plus proches camarades. Il avait réuni une bande plutôt hétéroclite, mais tous parvenaient à s’entendre pour aider dans l’immense projet de la création et de la protection du royaume de Siramos. Dimos était debout non loin de son fauteuil et dirigeait la garde rapprochée du roi. Il ne se serait pas vu faire autre chose, et ne semblait avoir aucune raison de vivre mise à part la survie de son idole.
À sa gauche se trouvaient ses camarades les plus loyaux : Pedrig d’abord, qui ne l’avait pas lâché depuis les sombres heures du siège de la Citadelle, à côté d'Adnan. Avec eux, Calandia, Alkestès et Léobotès finalement, qui fut été libéré de sa condition d’esclave malgré l’échec de sa mission et avait décidé de rejoindre la Phalange Fraternelle. Leur relation était de nouveau au beau fixe, mais elle était relayée à une place secondaire tant les devoirs du nouveau roi étaient chronophages.
Comme les autres, il avait maintenant une luxueuse demeure en plein cœur de la capitale vers l’acropole. Ils n’avaient plus leur tente pour seule maison, même s’il leur fallait temporairement retourner aux vieilles habitudes.
En face de lui discutaient ses anciens camarades officiers, aujourd’hui généraux de sa force militaire. Contrairement à ses frères d'armes ayant partagé avec lui l'expérience du terrain, les gradés s’étaient parfaitement accoutumés à mener la guerre depuis l’arrière des lignes, bien assis dans leurs fauteuils. Quelque chose semblait avoir changé chez eux. Ils perdaient leur hargne.
Et pour finir, à sa droite, les composants qui rendaient cet ensemble hétéroclite. Premièrement venait le plus silencieux, Adash, chef des Compagnons de Lukha. Il disposait d’une force de mercenaires cyrsiens aguerris et disciplinés. Aristokas avait pu s’offrir ses services grâce aux finances plutôt confortables après le pillage de la Citadelle et la récupération du trésor de sa cité que les oligarques avaient amassé sans jamais distribuer. Venaient ensuite trois stratèges de Siramos, les seuls qui avaient embrassé sa venue et s’étaient joints à son projet. Enfin, directement à ses côtés, Jahia et Terkan étaient en train de refaire le monde.
Face à l’Oracle, les ennemis se retrouvent amis… Ou bien les dieux ont décidé de croiser leurs chemins.
Terkan était sans aucun doute le soutien le plus inespéré et important qu’il avait reçu, l’un des rois les plus habiles et admirés de ce monde, ne cherchant qu’un endroit où bâtir un refuge. En plus d’être meilleur tacticien que lui, il possédait une expérience absolument indispensable pour un tyran néophyte. Et puis, sa garde tribale était une force de frappe d’élite, qui pouvait renverser le cours d’une bataille à elle seule. Merci, Amasis. Il a tellement appris à te respecter qu’il m’a rejoint. Et… désolé, du plus profond de mon cœur.
Jahia était arrivée main dans la main avec son bourreau. Un lien s’était rapidement bâti entre les deux, alors que tout semblait les séparer. Aristokas avait désespérément besoin d’esprits aussi vifs et rationnels que le sien. Ce sont des gens fort compétents, mais ce beau monde ne suffira pas à arrêter l’Oracle.
***
– Adnan nous fait l’honneur de sa présence, nous pouvons commencer. Tout d’abord, Ioanna, j’aurais besoin d’un état sur le siège.
– Bien sûr Aristokas. L’encerclement de Seirissa avance bien. La cité est cernée, ses voies d’approvisionnement sont coupées. Une force de patrouille a trouvé l’entrée d’un souterrain secret hier. Après une tentative d’attaque-surprise échouée, les ennemis ont condamné le passage. Ils n’ont probablement plus aucune rentrée de nourriture. Et la creuse des tunnels de sape se déroule mieux que prévu.
– Rappelez-vous que si l’attaque se passe vite et bien, nous deviendrons légitimes à prétendre à un grand royaume, et les autres villes se rendront plus facilement. Il faudra frapper fort.
Tous acquiescèrent. Il restait encore à discuter de l’assaut à proprement parler, mais ils avaient le temps d’y réfléchir et de proposer quelque chose de viable. Aristokas avait besoin de parler d’un second sujet qui ne pouvait désormais plus attendre.
– Comme vous le savez, nous avons mis de côté pendant ces derniers temps la fâcheuse question des Reliques, mais elles sont toujours quelque part dehors et les Protecteurs ne paraissent pas les avoir récupérées. Mes informateurs m’ont dit qu’ils se réactivaient à ce propos. D’autres semblent encore les chercher. Nous avons vu le pouvoir du Coffre de l’Usurpateur, imaginez celui des autres. Nous aurions une vraie chance d’arrêter l’Oracle.
– Je comprends mon roi, mais il ne faudrait pas pour autant interrompre le plan d’expansion vers la mer. Jeter toutes nos forces dans une quête peut-être impossible serait trop risqué.
– J’y ai pensé également, Terkan. C’est pour cette raison que nous allons à nouveau procéder avec un groupe d’élite. Bien entendu, vous en serez le noyau, dit-il en dirigeant son regard vers les vétérans de la chasse à la Relique. Ainsi, nous aurons une capacité de frappe sur le sujet tout en maintenant le principal de nos troupes pour la longue série de sièges qui nous attend. Je crains que nous ne puissions nous séparer de davantage d’unités.
– Envoyer des dizaines et des dizaines de groupes errer dans le monde ne ferait que nous desservir et nous risquerions de nous marcher sur les pieds de toute façon, lança Calandia.
La Targite avait vite pris le pli des bonnes manières et du ton adapté en présence de nobles, surtout de son ancien roi Terkan. Elle tentait toujours d'être bienveillante envers lui. Pragmatique et pas rancunière, tout ce dont on a besoin.
– Je propose d’affecter quelques membres de ma garde personnelle pour cette mission si vous en avez la nécessité, dit l’exilé en hochant la tête.
– Gardez-les vers vous, ils ne parlent pas l’iliate et une erreur de communication pourrait nous coûter le succès de notre entreprise. Ils sont bien trop importants à frapper l’ennemi en plein cœur, reprit Aristokas.
Terkan acquiesça humblement. Dieux merci, il n’est pas susceptible, je n’aurais jamais pu dire ça aux stratèges.
– Je pense que nous devrions conserver uniquement d’anciens membres de la Phalange Fraternelle. Aristokas se retourna vers le groupe. Calandia, je te nomme capitaine de la compagnie d’élite à ma place.
Elle rougit à vue d’œil, mais garda sa tenue. Adnan tiqua, sans oser prendre la parole. Il n’était pas le plus fin, mais avait assez de recul pour voir qu’il ne devait même pas songer à devenir officier.
– C’est un honneur, Aristokas. Je ne te laisserai pas tomber.
– J’y compte bien. Tu prendras les vétérans avec toi et je te charge de recruter une poignée d’éléments en qui tu aurais confiance au sein des anciens de la Phalange. Compris ?
Elle acquiesça et se rassit, déjà en train de réfléchir sur qui elle porterait son choix.
– Pendant cette quête, nous autres allons tout faire pour arriver le plus vite possible aux plateaux. Après Seirissa, la cité de Sevrakos sera la clé pour entrer dans la nouvelle région, mais aussi la plus dure à capturer. Lorsque vous aurez du temps libre et que la logistique nous empêchera de progresser sur ce siège, renseignez-vous au sujet de cette ville. Nous aurons besoin de toute l’avance que nous pourrons acquérir.
– Bien mon roi, lancèrent la plupart des membres présents à la table.
– Et bien évidemment, nous donnerons priorité aux plans concernant la reddition et non l’invasion des indépendants sur notre chemin. Leurs troupes seront vitales, ainsi que leurs navires et marins lorsque nous approcherons du Sud.
– Il est dommage que votre peuple ne veuille pas se rendre compte de l’importance de la menace avant qu’il ne soit trop tard, dit Jahia.
– Les Iliates ont toujours fonctionné ainsi, répondit Ioanna. Et en plus, dans ce cas, il y a une mer pour les conforter dans leur déni. Leur faire prendre conscience du danger pour qu’ils nous rejoignent n’est donc pas une option.
– Nous allons devoir les persuader autrement, donc à vos recherches, conclut Aristokas.
Lorsqu’ils s’adressaient à lui, ses camarades les plus proches l’appelaient par son prénom. Il ne voulait pas se distancier des personnes en qui il pouvait avoir confiance. En revanche, quand il donnait des ordres, ils choisissaient de le désigner par son titre pour ne pas appuyer ce privilège face aux autres. Il avait aussi demandé à Terkan de le nommer de la même manière que les membres de la Phalange pour avoir un rapport d’égal à égal, mais il semblait tenir à l'évoquer par sa fonction.
***
Bonne décision, Aristokas. Elle aurait fait une formidable commandante des chasseresses, pensa Terkan.
L’agitation légère de la réunion avait laissé place au calme maintenant qu’elle était terminée. La plupart rassemblaient leurs affaires et commençaient à sortir de la tente, mais Aristokas se rassit et se frotta les doigts contre les sourcils. Les migraines, maux des rois, songea le Targite qui n’en avait que trop de souvenirs. Mais désormais, il était libre de ce genre de contraintes. Il pouvait réfléchir et conseiller, mais avait moins de responsabilités.
Il fixa Calandia qui ne se leva pas tout de suite. Elle demeura un moment à regarder la table, légèrement sonnée par la révélation. Ses camarades partirent rapidement, sauf un membre de la Phalange qui resta un instant afin de répondre aux questions d’Adash grâce à sa maîtrise du cyrsien. Terkan n’avait pas à souffrir du même problème lors des réunions, il avait passé des années à apprendre l’iliate, ne serait-ce que pour pouvoir accéder aux immenses savoirs de ce peuple. Un Targite qui s'intéressait à d’autres langues. Terkan sourit. Au bout du compte, j’ai toujours été visionnaire.
La nouvelle capitaine lui redonnait espoir. Elle ne le jugeait pas pour ses actes, alors qu’il avait causé la mort de ses proches. Elle avait tout fait pour comprendre, en concédant que l’Oracle était un individu aux talents de persuasion hors normes, avant d’avouer que si elle avait été un homme, elle aurait pu succomber à ses viles paroles. Mais elle ne lui en voulait pas, contrairement à Adnan. Chaque fois que l’ancien roi commençait à moins sentir l’immense poids de la culpabilité sur ses épaules, le colosse apparaissait, comme s’il le suivait pour s’assurer qu’il ne sorte pas la tête de l’eau.
– Arrête de penser à lui, dit la voix douce de Jahia.
Elle lui passa les mains sur la nuque. Le monde extérieur cessa un instant, et tous ses sens convergèrent vers ce point. Ses muscles se relâchèrent. Elle savait exactement comment le calmer.
– Comment tiendrai-je sans toi ?
– Allons, tu as connu bien plus de problèmes qu’un âne dépourvu d’empathie.
– Il n’essaie pas de me comprendre, mais quelque part il a raison. Ce que j’ai fait est impardonnable.
– Avoir cru aux paroles d’un homme à la rhétorique parfaite, qui est lui-même convaincu de tout ce qu’il vomit ? Avoir pensé au futur de ton royaume ? Si on regarde bien, commença-t-elle sur un ton cynique en haussant les épaules, tu as fait le bon choix, les Targites sont plus forts que jamais…
Ce sarcasme ambiant était un moyen pour Jahia de détendre l’atmosphère et de continuer à avancer malgré toutes les déceptions qu’elle pouvait rencontrer. Il faudrait que je fasse comme elle, et que j’arrête de me lamenter. Autant s’attarder sur ce qu’on peut encore contrôler.
Aristokas lui avait promis la gouvernance d’une des villes côtières. Il pourrait ainsi recevoir bien plus de réfugiés. Un havre de paix pour Targites et Mawus en plein cœur d’une cité Iliate. Quoi de plus simple ?
Alors que ce concept même d’asile qui était devenu sa raison de vivre semblait être un casse-tête géant, il était en plus conditionnel. Il fallait vaincre l’Oracle. L’ancien roi connaissait exactement la force de la flotte qu’il allait bientôt avoir entre les mains. Dévastatrice. Inédite. Incomparable. Imbattable ?
Ils avaient besoin d’alliés, et les Iliates paraissaient être les pires candidats. Ils ne pensaient qu’à leur cité et préféraient voir leurs rivaux tomber avant eux sans se soucier de leur propre survie.. Et puis, même avec une confédération à la loyauté fort discutable, leurs nombres ne lutteraient pas avec ceux des Targites. La Phalange Fraternelle n’avait pas combattu l’armée principale. Terkan l’avait dirigée à la guerre. Ils se battaient fanatiquement au nom d’Ardhra tout en étant l’incarnation vivante des enfers. L’Oracle avait réussi un coup de maître : donner aux pires soudards de ce monde une sainte cause pour laquelle mourir, et une promesse de rédemption.
Il ne restait plus qu’à prier tous les dieux qui le voudraient bien pour espérer que Taskum tienne. Lui qui avait souhaité voir ces murs tomber désirait désormais qu’ils demeurent le plus longtemps possible et continuent à se moquer de la toute-puissance du Saint-Royaume.
Jahia l’invita à sortir. Il posa une main amicale sur l’épaule d’Aristokas, qui lui rendit un regard bienveillant. Le décès d’Amasis était une chose terrible, mais il avait laissé derrière lui un héritier tout aussi doué. Il eut une nouvelle crise de foi en apprenant la tragique nouvelle, car se ranger aux côtés du chef mercenaire représentait le seul réel objectif de Terkan dans ce monde inconnu où il avait débarqué. Heureusement pour lui, celui voué à devenir tyran de Siramos l’avait accueilli à bras ouverts. Étrange, d’ailleurs, que les Iliates utilisent ce mot comme quelque chose de positif.
Les soldats du camp, peu importe leur origine, le respectaient. Il avait été un roi, mais préférait passer du temps proche des guerriers, et il pouvait désormais jouer ou rire avec eux sans trop de gêne. Les troupes du royaume de Siramos eurent un autre déclic en le voyant s’entraîner pour la première fois avec ses gardes. Terkan avait eu l’idée de présenter la session en public, dans une légère cuvette naturelle dont les monticules de terre aux alentours la faisaient apparaître comme une arène de fortune. Ses compagnons et lui avaient décidé de sortir le grand jeu, et la foule afflua, réalisant que les exploits martiaux des Targites n’étaient pas que des légendes.
– Je vois que tu doutes de tout ça, mais notre projet va fonctionner.
– Les vieilles rancunes ne meurent jamais, et ton peuple ne saura pardonner les miens.
– Avec un peu de persuasion, les Mawus se rendront compte que les tiens ont tout autant souffert.
– Mais à la toute première querelle de voisinage, le tout éclatera. Il faudra au moins qu’ils habitent dans des quartiers distincts.
– C’est naturel, je pense, comme le coin iliate de Taskum. Installe des individus d’une communauté à un endroit et dis aux nouveaux arrivants que leurs semblables y sont. Ils iront de leur propre chef, histoire d’avoir un goût de foyer, aussi loin de chez eux soient-ils.
– Je ne cesse de me poser la question, mais comment trouvera-t-on la place si nous devons en loger un grand nombre ?
– Certains des habitants originels mourront, d’autres partiront, trop effrayés de voir des étrangers vers chez eux.
– Tout à fait, et ça nous fera des fauteurs de troubles en moins.
– Et puis, il me semble que la cité qu’Aristokas a mentionnée vient de sortir d’une guerre civile, et qu’une garnison ennemie y est installée. Ils n’auront qu’à rentrer chez eux et nous aurons plein de maisons vides à occuper.
– Tu as raison. Jahia, merci d’être là. Sincèrement. Tu me fais voir un projet réalisable.
– Arrête de ne penser qu’à toi, dit-elle en souriant. Les Mawus en ont également désespérément besoin. Même si les Habsyiads voulaient de nous, je doute que nombre de mes frères aillent rejoindre ma sœur dans ce pays de barbares.
– Tu t’y es déjà rendue ?
– Non, mais je crois qu’ils s’attellent assez bien à nous montrer que ce n’est pas un endroit pour nous…
– Mais dans ce cas, pourquoi y a-t-elle été invitée ?
– Tu ne l'as pas vue. Magnifique, intelligente, noble, n’importe quel étranger, même le plus isolé, serait à ses pieds. Mais j’ai quelques réserves à l’idée de trouver un refuge seulement pour les Mawus aussi beaux qu'elle, bien que ça ne me dérangerait pas d’y vivre…
Terkan tiqua en l'imaginant se promener au milieu d’hommes qu’elle pouvait désirer. Sérieusement ? Tu as été roi, tu as uni des tribus sanguinaires, tu as conquis des pays entiers et tu t’abaisses à ça ? Mon pauvre, grandis. Jahia le regardait en riant. Il ne s’était pas rendu compte qu’il faisait la grimace. Il aurait pu tuer pour son sourire. Il pouffa légèrement et la prit par le bras.
La Eiliana de quelques mois auparavant aurait été absolument enchantée de découvrir Florin. Elle se promenait dans des rues bondées, où les odeurs de nourriture affluaient et se disputaient l’honneur de lui ouvrir l’appétit. Elle commençait certes à avoir faim, mais ne souriait pas.
Taskum était magnifique, mais son destin était scellé. Tous allaient périr. Vrania était une cité prospère, et sur ses routes autrefois si fréquentées elle avait dû faire attention en marchant pour éviter de piétiner des cadavres d’enfants jaunâtres. La Citadelle avait été le plus beau foyer dont elle avait pu rêver, un chef-d’œuvre architectural d’antan aux défenses magiques impénétrables… Et désormais, certains de ses camarades gardaient la forteresse en ruines comme un sanctuaire, en restant assez loin des enceintes pour ignorer les cris et les lamentations des âmes de leurs amis et amants.
Très cher Barvig, très chère cité de Florin. J’espère sincèrement ne pas être celle qui traîne la mort comme un rocher sur mes épaules.
Elle capta cette senteur encore une fois. Les abricots cuisinés. Elle trembla. Les souvenirs étaient assez pénibles ainsi, mais lorsque l’odorat venait s’en mêler… La Teutane prit sa bourse et se rendit vers le petit étal rudimentaire qui proposait le plat. Elle ne se trompa pas. Une dame mawue et ses deux adolescents étaient en train de préparer ce fameux poisson aux fruits orangés.
Elle s’approcha et commanda un bol. La femme montra cinq doigts. Elle lui donna vingt pièces et partit. Eiliana l’entendit simplement la remercier en mawu, dans un accent légèrement différent de celui de Taskum.
Ces pièces en plus ne vous aideront pas, et moi non plus visiblement. Taskum avait réussi, ils avaient la Relique et la libération de votre peuple entre leurs mains. Et je leur ai retiré ce droit… Mais ne vous en faites pas, j’ai payé le prix fort. J’espère que le père de ces enfants est quelque part ici, avec vous. Mais j’en doute.
Le repas lui rehaussa légèrement le moral. Malgré une culpabilité qui ressurgissait à cause de ce plat, la recette était réalisée à la perfection et parvint à lui rappeler des temps plus heureux. Elle remonta l’artère principale de Florin en direction de l’enceinte secondaire qui abritait le palais, la caserne des gardes de Barvig ainsi que le nouveau quartier général des Protecteurs.
Elle ne pouvait s’empêcher de se sentir chez elle, ici. Tout le monde parlait sa langue natale, elle voyait passer les druides habillés exactement comme dans ses souvenirs, pouvait se procurer tous les produits de sa jeunesse… Tout en ayant accès à l’une des plus importantes bibliothèques de son temps.
Voilà comment elle devait réfléchir. Pas trop optimiste comme elle l’était il y a quelques mois, pas trop pessimiste comme elle tendait à l’être désormais. Penser ainsi, c’est pour les fous du genre d’Eudikos…
Elle prit une grande inspiration, regarda le ciel… et se fit bousculer par un druide grognon. Elle sourit. Le monde ne changerait tout de même pas. Elle vérifia sa sacoche, tout y était. Heureusement, les délinquants locaux n’avaient pas encore songé à se déguiser en vieux sages décrépits pour éviter les soupçons.
Elle revenait de ses premières courses chez sa nouvelle fournisseuse de parchemins, une dame fort sympathique, peut-être car elle avait découvert une once de ce qu’Eiliana et les Protecteurs allaient lui apporter comme bénéfices. Il lui fallait un support à la fois robuste et léger à transporter, maintenant qu’ils allaient retourner sur le terrain. Les recherches allaient être ardues pour retrouver ces Reliques, surtout lorsque l’on savait combien de temps le groupe spécial avait passé à planifier leur enfouissement afin qu’elles demeurent introuvables.
Elle ne tarda pas à atteindre la porte et entra en dépassant la file de petites gens qui attendaient une audience avec les druides royaux. Les gardes en faction lui adressèrent un signe de la tête, probablement parce qu’ils en avaient reçu l’ordre. Cette entrée semblait réellement mener vers un autre monde où la spontanéité disparaissait comme par magie, le monde de la bureaucratie monarchique. Des prêtres s’affairaient en tous sens avec des charges de parchemin bien trop conséquentes, des vigiles patrouillaient, les civils étaient soigneusement accompagnés dans les zones qui leur étaient destinées.
Vite, mon îlot de paix. Elle ne tarda pas à voir la passe qui le conduirait à leur château. Il possédait sa propre muraille, de la taille de deux petites personnes superposées, mais qui suffisait à délimiter un territoire où personne d’autre que les Protecteurs et l’escorte du roi n’avait le droit de porter les armes. Karlos lui fit un signe de la main ponctué d’un sourire. Il aimait bien les postes de garde car à la fin de son service, il pouvait écouter et commérer sur la vie des druides en buvant sa cervoise. Un brave homme, même s’il n’avait pas l’étoffe d’un scribe et ne pouvait pas réellement prétendre à des missions de terrain. Mais quelqu’un de motivé et loyal. Beaucoup trop de fins esprits avaient succombé à des sentiments primaires et rejoint Eudikos, les rendant fortement dangereux.
Et ils étaient sûrement à la recherche des Reliques.
***
Elle entra dans le bureau d’études, Mangaal l’y attendait. Ses troubles se dissipèrent instantanément. Elle passait chaque jour à remercier les dieux de l’avoir mis sur son chemin, et de l’avoir fait survivre aux récents événements. Elle avait perdu celui qu’elle considérait comme son meilleur ami, mais avait au moins gagné un amant. Une partie d’elle avait eu envie de rompre tout attachement avant qu’il ne devienne trop tard pour éviter de finir détruite de la même manière que ses camarades. Mais dans des temps aussi sombres, ce genre de sentiments aidaient.
– Je t’ai apporté une petite surprise, lança le capitaine en souriant.
Elle n’oublia pas de l’embrasser avant de détourner instantanément son attention sur le bureau devant elle. Un livre. Les premiers Protecteurs. Elle n’en revenait pas ! Ce dernier avait été écrit par le scribe fondateur de la confrérie ! La plupart des bibliothèques ne l’avaient pas en leur possession car il ne fut que très peu recopié. Il comportait énormément d’enseignements utiles à la vie d’un confrère ou d’une consœur, un parfait ouvrage de chevet de l'acabit des travaux des plus grands généraux.
– Il ne fallait pas ! Où l’as-tu trouvé ?
– J’ai un ami dont le métier est de retranscrire les livres les plus rares, qu’il déniche chez des collectionneurs ou des gens avertis. Il en fait quelques exemplaires, puis les échange contre de l’argent ou le droit de recopier un écrit qui appartient à son acheteur.
– Donc en plus tu n’as pas payé ?
– Comme tu ne voulais pas que je dépense tous mes deniers pour te faire plaisir, j’ai imaginé une autre solution…
– Tu es parfait ! Donne-moi son adresse que j’aille le voir dans la journée !
Un amant comme lui ne devrait pas exister. Elle n’avait passé sa jeunesse qu’à naviguer entre les désillusions au sujet des hommes, et semblait enfin avoir trouvé quelqu’un de bien et honnête. L’attente en valait la peine, la Teutane ne s’était jamais posé aussi peu de questions existentielles, n’avait jamais été autant rassurée que présentement. Alors que certains finissaient avec des personnes qu’ils n’aimaient pas, voire détestaient dans les nombreux cas de mariages arrangés, elle avait choisi la fuite et s’en remerciait tous les jours.
– Il pourra te suivre et te tenir compagnie dans tes nuits de pleine lune… Tu es prête ? demanda-t-il d’un ton sincèrement concerné.
– Oui, je crois que repartir sur le terrain et apprendre à nouveau ne me fera pas de mal.
– Tu pourras au moins éviter un peu cet endroit… Barvig m’effraie.
– Moi aussi, il n’a qu’à décider du jour et de l’heure où il nous voudra morts et on ne pourra pas bouger un doigt.
– Ne reste plus qu’à espérer qu’il soit honnête, et que l’on trouve vite une nouvelle Citadelle...
– Oui, avec des barrières magiques…
Mangaal grimaça.
– Pardon. Je me laisse atteindre parfois… Je n’étais pas comme ça, avant…
– Ne t’en fais pas, si un peu de cynisme de temps en temps t’évite de finir comme Eudikos et ses copains, je suis prêt à l’entendre.
– Tu penses qu’il sera possible de retrouver un autre foyer ? Pour l’instant, notre seul équivalent de protection, c’est le bon vouloir de ce roi invincible. Et s’il venait à tomber quand l’Oracle sera là, nous, les amoureux des Reliques, serons les premiers sur sa liste de mise à mort.
– Aucune idée, peut-être qu’en trouvant un endroit un peu plus secret…
– Mais alors il suffirait d’une simple taupe dans nos rangs pour qu’Eudikos sache où nous cueillir, dit Eiliana en soupirant.
– Un vrai casse-tête. Ça me mine de ne pas savoir en qui on peut avoir confiance.
– En nous deux déjà, et c’est le principal.
Ils restèrent là un bon moment, à sobrement profiter d’un instant de calme ensemble. La vie de Protecteur n’était pas des plus stables, surtout depuis quelque temps. Ceux qui étaient chargés auparavant des études de terrain se préparaient à repartir, et les sédentaires composant la garnison de la Citadelle… n’étaient plus très nombreux.
Malgré un effectif drastiquement réduit, ils pouvaient affecter les occupants de postes désormais obsolètes à d’autres tâches. Ils n’avaient plus besoin de pêcheurs, d’agriculteurs ou encore de patrouilleurs déguisés en marchands. Ils étaient fournis tous les jours par les fermiers du clan royal qui officiaient dans les champs par-delà les plaines de mufliers. Le poisson leur provenait du lac d’Aquélia, et deux bateaux leur étaient réservés quotidiennement pour les conduire sur l’île de l’étrange prison s’ils avaient envie de quelque ouvrage qui s’y trouvait.
Dans l’ensemble, Barvig était extrêmement généreux. Ils ne payaient rien, n’avaient pas de comptes à lui rendre et il n’envoyait personne fouiner dans leurs affaires. Mais tous se méfiaient du roi qui utilisait très clairement une Relique et refusait de la donner malgré toutes les exigences de leurs camarades lors des dernières décennies.
Ils se levèrent et se mirent en route pour le grand hall. La fin de l’après-midi approchait, et avec elle la traditionnelle réunion quotidienne. En cette période troublée, il y avait toujours de quoi débattre, des nouveaux plans à formuler et de nouvelles pistes à explorer.
***
Aussitôt sortis des dortoirs, ils aperçurent un garde de Barvig avancer vers l’entrée, les armes à la main. Il semblait ne pas vouloir perdre de temps. Il tendit sa hache et son bouclier à Karlos, qui l’autorisa ainsi à continuer. Il orienta son visage dans la direction d’Eiliana. Elle dut conclure qu’il l’avait vue, mais il était impossible d’en avoir la confirmation à travers les traits complètement neutres de son masque facial. Il approcha d’elle en courant.
– Eiliana, j’ai une triste nouvelle.
Gurvan. Elle reconnaissait sa voix, celle de l’homme qui l’avait rassurée alors qu’elle et Eudikos pensaient tomber aux mains des mercenaires juste après leur trahison. Il lui avait simplement dit « nous sommes avec les Protecteurs, vous êtes en sécurité maintenant. » avant de joindre ses camarades pour former une position défensive autour d’eux. Une dizaine de minutes en plus et ils auraient été rattrapés par leurs anciens compagnons. Au moins, la Citadelle serait toujours debout…
Elle le regarda avec insistance.
– Je suis censé l’annoncer devant l’assemblée…
– Tu ne me fais pas confiance ?
– Si, même au point de te le dire et de repartir de suite. J’ai… une affaire urgente à régler, très urgente.
Elle l’incita à parler. Eiliana n’avait jamais aperçu une once d’inquiétude dans sa voix. Mais là, malgré un masque qui empêchait de montrer son visage, il paraissait effrayé.
– Les Reliques.
Son sang se glaça.
– Non ?
– Non. Personne ne les a retrouvées, mais les cadavres de votre groupe spécial ont été localisés. Il n’y a rien autour d’eux, ils ont bien brouillé les pistes. Mais la rumeur circule désormais qu’une personne se serait enfuie…
– Bo… bordel.
Elle n’avait pas les mots et ses membres ne répondaient plus. Elle n’eut que le courage de regarder Mangaal pour voir qu’il avait blêmi en quelques secondes. Si cette personne avait survécu, elle pouvait marchander au plus offrant le secret qui allait changer le cours du monde de manière perpétuelle. Ou alors… elle savait que quiconque apprendrait où les Reliques se cachaient allait la tuer pour éviter que d’autres ne la suivent.
Si leur camarade n’était pas trop stupide, il lui fallait désormais se planquer. Mais où ? Et pour combien de temps avant que quelqu’un ne le trouve ? Le groupe spécial n’avait pas dissimulé qu’une Relique, mais une belle poignée. Assez pour remuer tout l’équilibre du monde.
– La scène se situe à l’est d’ici, voilà le point sur une carte. Tu as des questions avant que je parte ?
– Comment avez-vous su ?
– Les villageois d’à-côté ont été massacrés, dit-il avec une voix tremblante. Vous n’êtes pas les premiers sur l’affaire, alors dépêchez-vous.
Eudikos ? Non. Ne me dis pas que tu serais capable de commettre un tel acte.
– Merci. Nous irons dans les plus brefs délais. Sans vouloir être indiscrète, tu connais quelqu’un qui habite dans le coin ?
– Oui.
– Fonce, nous ferons avec ce que nous avons.
– Merci. Je laisserai des gars avec les nouvelles infos là-bas.
Il se retourna et partit en courant, Karlos devant lui rappeler de prendre ses armes. Il les saisit de manière brusque et s’en alla. Alors la mort arrive dans le royaume de Florin. Foutues Reliques.
– Si quelqu’un les trouve… dit péniblement Mangaal.
– Faisons en sorte que non.
Eiliana se surprenait à être devenue aussi pragmatique. Il n’y aurait pas de problème s’ils dénichaient la personne avant les autres. Mais ils étaient en retard. Ils se ressaisirent, partirent en courant vers le hall avec la terrible nouvelle à annoncer à leurs camarades.