Les résilients - Franck Lopez - E-Book

Les résilients E-Book

Franck Lopez

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Beschreibung

Parmi les événements les plus sombres et traumatisants de notre société se dissimulent des êtres humains et leur histoire. C’est le cas de deux personnages apparemment différents, mais unis par un destin tragique. L’irrévocable provoquera alors la plus insensée des rencontres, au milieu de ce que furent les tristes attentats du 13 novembre 2015.


À PROPOS DE L'AUTEUR


Ayant passé toute son enfance en Afrique centrale et orientale, à la Réunion, en Guadeloupe et en Martinique, Franck Lopez tire son inspiration de la richesse des cultures qu'il a rencontrées ainsi que du monde réel et imaginaire qui l'entoure. Ses écrits peuvent être incisifs, percutants, voire perturbants.

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Seitenzahl: 129

Veröffentlichungsjahr: 2023

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Franck Lopez

Les résilients

Roman

© Lys Bleu Éditions – Franck Lopez

ISBN : 979-10-377-9665-3

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

À ma femme, mes enfants, Coralie, Benjamin,

Marie et Salomé

En hommage aux 130 victimes et 413 blessés

du 13/11/2015

Prologue

Novembre 2022

Mon prénom est Hassan, j’ai 21 ans, 9 mois et 12 jours. J’aurais voulu vous raconter mon histoire dans d’autres circonstances, mais le destin et le sort en ont décidé autrement. C’est vrai qu’elle aurait pu être différente, ma vie, mais je n’ai pas eu d’autres choix que de l’accepter telle qu’elle m’a été offerte. Les mots n’existent pas pour définir le bonheur de mes parents lorsque je suis arrivé dans notre petite maison de Tafraout, un petit village marocain, gorgé de soleil et des parfums des oliviers, des arganiers et des amandiers. J’ai eu la chance immense de grandir dans un monde juste et paisible, jusqu’à la mort de mon père. Il a fallu que j’apprenne ensuite à faire preuve d’adaptabilité, de volonté et de pugnacité pour affronter les nouvelles étapes de mon autre vie. Je me découvris alors une qualité humaine rare, qui me permit de faire face aux situations complexes, ce qui ne manquait pas de surprendre mon entourage. J’ai affronté cet événement douloureux de l’existence en ayant eu cette faculté inouïe de la reconstruire, comme dans un élan vital essentiel à mon propre épanouissement. Une sorte de force mentale, une volonté de survie, de préservation de ma personne, transposée comme un aléa de l’existence, un facteur inconnu, un grain de sable dans ma destinée. J’ai appris à vivre, à reconstruire d’une manière socialement tolérable, en enfouissant au plus profond de ma chair, l’inacceptable, ce douloureux souvenir. Ce rebond, ma résilience, m’apporta un désir de réorganisation, et le choc du traumatisme se glissa au plus profond de mon âme, telle une force qui se voulait intellectuelle et mentale.

En latin, Resilio, ire, ce verbe signifie « sauter en arrière », rebondir, ou encore résister. Chacun d’entre nous aura déjà entendu ce terme dans l’expression d’un deuil ou après un accident de la vie. La résilience d’un individu ne saurait être rendue possible que grâce à la structuration prématurée de sa personnalité, par ses expériences émotionnellement constructives de l’enfance, avant la confrontation avec des faits potentiellement traumatisants. Telle une psychose, elle apparaît alors comme un processus énergique aidant à surmonter les épreuves, à rester opérationnel, à persister avec courage, en acceptant avec abnégation, les émotions qu’elle provoquerait face à ce que pourraient attendre les autres de nous.

Chaque homme est seul et tous se fichent de tous et nos douleurs sont une île déserte…

Albert Cohen

Chapitre 1

L’âme sœur

Aubervilliers, nord de Paris, il était 4 h 30 du matin ce jeudi 2 mai 1991, lorsque Mélanie ressentit les premières contractions, irrégulières, intenses et douloureuses, elle tenta de retenir cette souffrance, étouffa les cris, dans le noir de la nuit. Assise, elle peinait à réguler sa respiration comme elle l’avait appris avec la sage-femme, mais elle ne parvenait pas à étouffer les râles de ces élancements douloureux. À ses côtés, Stéphane finit par se réveiller, en sortant difficilement de son sommeil engourdi de vapeurs éthyliques. Mélanie s’était redressée, assise, le dos posé contre le mur, les cuisses remontées et légèrement écartées.

— Putain, t’as quoi encore ?
— Je crois qu’il arrive, dit-elle en posant ses deux mains dans le dos.
— Tu m’emmerdes, en pleine nuit ? Fais chier, je ne peux pas conduire là !
— Va te faire un café, je m’habille et on y va.

Elle se redressa, enfila ses claquettes par-dessus ses chaussettes, revêtit une grosse veste en skaï, puis se dirigea vers la porte, avant de s’adosser une nouvelle fois au mur, cherchant comme un soutien à cette épreuve. Les spasmes reprenaient, signes que le bébé n’était pas loin d’arriver. Stéphane, les cheveux mi-longs ébouriffés, arriva enfin, en jogging à l’effigie du PSG, il ouvrit la porte en faisant la gueule et appela l’ascenseur. Arrivée sur le parking, Mélanie sentit la membrane dans son ventre se fissurer, elle commençait à perdre les eaux dès l’entrée dans la voiture. Elle s’installa maladroitement sur la banquette arrière, direction la maternité de la Roseraie, cinq minutes en voiture en partant du parking de leur immeuble, impasse du Pont-Blanc. La valise était prête, déjà installée dans le coffre. Stéphane râlait, réveillé trop tôt et énervé par sa femme qui était en train de dégueulasser ses nouvelles housses toutes bleues cerclées de rouge représentant son club de foot préféré, payées 90 francs chez Auchan. Prise rapidement en charge par l’équipe de nuit, Mélanie mit au monde, à 9 h du matin, le petit Guillaume, 43 cm pour 3,1 kg. « Un beau bébé », avait annoncé les infirmières. Stéphane, qui terminait sa nuit sur un fauteuil dans le couloir, fut réveillé par une dame en blanc, qui lui indiqua que tout s’était bien passé, et lui demanda s’il voulait aller voir sa femme. Prétextant qu’il était en retard au travail, il quitta rapidement l’hôpital pour rejoindre la porte de Clignancourt où il travaillait en tant que soudeur dans une petite structure d’assemblage. Mais avant de rejoindre son poste, Stéphane avait bien pris soin de s’arrêter au bar-tabac d’Annie pour fêter ça, autour de deux ou trois verres de rouge.

Dans cette commune parmi les plus pauvres de France, Guillaume grandissait, côtoyant au quotidien une mère aimante et soumise et un père alcoolique, de surcroît violent. Une scolarité bancale dans un quartier sans avenir et un divorce prononcé onze ans plus tard, ont forgé chez Guillaume, un caractère instable et bagarreur. Ayant obtenu sa garde, Mélanie faisait tout son possible pour élever son fils correctement, surveillant ses devoirs, se rendant aux rendez-vous récurrents des professeurs qui avaient de plus en plus de mal à le supporter. Dans les terrains vagues qui entouraient l’agglomération, Guillaume s’était découvert un hobby, des parties de Paintball, dont il sortait très souvent, grand vainqueur. Il était un fin stratège, très rapide, et un excellent tireur, il parvenait à éliminer ses adversaires avec une grande précision. À force de petits boulots, il avait réussi à mettre assez de sous de côté, pour s’acheter une arme factice, la réplique parfaite pour l’air soft. Pour une centaine d’euros, il avait réussi à s’équiper d’un fusil M4-L à air comprimé et billes de 6 mm. Solitaire et affublé d’une mémoire visuelle conséquente, il tendait des embuscades imparables à ses ennemis, trouvant toujours la cachette ou l’angle de tir parfait pour faire mouche.

Le 5 novembre 2008, à 17 ans et demi, après avoir effectué sa journée de Défense et citoyenneté, Guillaume s’engagea dans l’armée. Il avait entendu dire que le CIRFA (Centre d’Information et de Recrutement des Forces Armées) d’Albi dans le Tarn, procédait à une journée d’appel. Profitant de cette aubaine, de ses quelques économies tirées de ses activités pas toujours légales, et désireux de voler de ses propres ailes, il avait rejoint le centre de formation dans le sud-ouest de la France, laissant derrière lui Mélanie et son père, qu’il ne voyait quasiment plus. Deux années complètes pour s’initier à l’autorité, apprendre le maniement des armes et le travail de groupe, essentiel aux missions sur le terrain. Sept cents jours d’endoctrinement, de façonnement de la personne, à écouter sans discuter, sans permission, sans visite et surtout, sans ses parents. Guillaume était devenu un soldat de l’armée, un vrai, celui qui obéit, celui qui sait être docile et discipliné, parfois même, presque soumis. En entrant sous les ordres de cette nouvelle famille, il avait achevé de maîtriser, allant jusqu’à la perfection, le maniement des armes, et s’il dominait parfaitement son HK417, lors des exercices de simulation, c’est avec un Hécate II qu’il aimait s’entraîner. Une masse de 16,9 kg, une portée de deux mille mètres et un chargeur au coup par coup de 8 cartouches de 12,7 mm. À plus de huit cents mètres, il était capable de toucher sa cible, et ses supérieurs avaient repéré chez lui des capacités hors normes, qui pouvaient s’avérer utiles sur le terrain. Ce fusil d’assaut, utilisé par le RAID, destiné aux opérations spéciales, était réservé aux forces d’élite de l’armée et c’était bientôt, trois à quatre fois par semaine, qu’il était convié à des séances de tir dont les cibles étaient parfois fixes, parfois en mouvement. De brigadier 1re classe, il devint rapidement caporal, puis caporal-chef, surnommé « GuiTell » par ses camarades pour ses performances lors des séances de tirs sur très longues distances. Un sniper au service de son pays.

Pendant ce temps, dans le nord de l’Afrique, des troupes rebelles armées semaient le désordre parmi les populations locales, enlèvements à répétition, exécutions sommaires, et exactions en tout genre. Le 10 janvier 2010, sous les ordres du sergent Jean-Pierre Pélavier, le 8e régiment de parachutistes d’infanterie de l’unité de Castres, partait vers ce grand continent inconnu, et parmi les trois tireurs d’élite retenus pour ce voyage, était sélectionné le caporal-chef, Guillaume Bralant. À l’appel des différents gouvernements et en accord avec la France, le ministre de la Défense décida d’envoyer des troupes au sol afin de surveiller les frontières. Des groupuscules djihadistes actifs au Sahel, de l’ordre de deux cents à deux mille hommes, inquiétaient les autorités locales et les États souverains firent appel à des forces extérieures. Avec le soutien des États-Unis et du Royaume-Uni, la mission était de sécuriser et protéger les quelque cinq mille kilomètres de frontière, des enlèvements et des exactions générées par ces bandes organisées.

Embarqué sur la base militaire de Castres, à bord d’un C-160 Transall, le régiment s’était d’abord rendu à Paris pour décoller, quelques heures plus tard pour la Mauritanie, vers l’aéroport de Nouakchott Oumtounsy. Et après mille quatre cents kilomètres et trois jours de convoi à travers le Sahara occidental, la garnison avait établi son camp dans le désert, à Ain Ben Tili.

Trois mois et dix-huit jours que Guillaume était arrivé dans ce pays brûlant. La batterie du tambour avait réveillé les hommes à cinq heures comme tous les matins. S’habiller, enfiler les bottes, faire le lit au carré et se présenter à l’appel. Voilà le rituel quotidien de ces hommes qui passaient le plus clair de leur temps à attendre. Leurs missions étaient simples : patrouiller, observer, sécuriser et rendre compte. À tour de rôle, ils s’embarquaient à bord d’un Masstech T4, copie conforme du Toyota Land Cruiser, mais en tenue de camouflage, ou d’un autre véhicule blindé, pour sillonner les kilomètres alentour. Par équipes de quatre hommes, ils avaient pour consigne de ne pas intervenir, sauf si leurs vies ou celle d’un civil étaient en danger, la démarche restait basique : rejoindre le point désigné, observer les mouvements et rentrer pour effectuer leur rapport. Ce jour-là, Guillaume, armé de son HK-417, capable de cracher six cents coups à la minute, et de l’Hécate II, faisait partie du groupe chargé de se rendre à deux cent cinquante kilomètres au nord, au-delà de la frontière marocaine, tout près de Tadachacht, derrière le fleuve Drâa, le plus long cours d’eau du pays. Après trois heures de poussières sur la route 103, ils établirent leur base sur un coteau de la montagne, dominant la plaine de Taourit, au-delà de la frontière mauritanienne, en territoire marocain.

Chapitre 2

L’âme pure

Tafraout, 11 février 1994, dans la région de Souss-Massa, au cœur de la vallée des Ammeln, célèbre tribu de cette oasis des montagnes à cent soixante-dix kilomètres au sud-est d’Agadir. Au centre de ce village, à mille deux cents mètres d’altitude, des petites maisons, collées les unes aux autres, séparées par une route en terre battue. Les murs de pailles et de boue donnaient une couleur ocre et orange à ce petit paradis parsemé de dattiers, l’or brun du désert. Sur les toitures en terrasse, le linge de maison, étendu sur de longues ficelles, séchait rapidement, exposé aux puissants rayons du soleil du Maroc. Au sol, des nattes étaient roulées pour accueillir ses habitants pendant les nuits chaudes de l’été.

C’était la fin de l’après-midi, il y avait du monde chez Tiziri Assraoui assis sur un pouf posé à même un grand tapis rond, cerclé de coussins à foison, devant une large tenture à motifs rouges. Des amis, petits bergers ou producteurs d’huile d’argan, fumant du marroco, sorte de tabac mélangé à de la résine de cannabis, étaient là et attendaient, comme lui que le travail se fasse. Derrière le rideau, sur son lit, Izza Assroui, habillée d’une jeblia, le dos collé au mur et les genoux remontés, transpirait et poussait sur ses entrailles. Sa mère et des femmes voisines avaient disposé des bassines remplies d’eau, et avec des morceaux de draps blancs, elles essoraient, épongeaient et nettoyaient son entre-jambe. Au bout d’une vingtaine de minutes d’un effort régulier, les clameurs berbères libérèrent une assistance impatiente. Du ventre d’Izza était né Hassan Assroui, petit garçon aux cheveux noirs comme le charbon dont le poids et la taille parurent tout à fait normaux aux infirmières de circonstance.

Il ne pouvait pas y avoir plus beau jour dans la vie de Tiziri, berger nomade dans le vallon et propriétaire de 14 moutons, 4 brebis et 3 agneaux. À bientôt 26 ans, il devenait enfin père d’un fils qui porterait son nom. Il remercia Allah de lui donner autant de joie et de bonheur et en l’honneur de cette naissance, il sacrifia sa plus belle brebis pour convier ses amis à manger une mrouzia. L’événement fit le tour du village comme à chacune des naissances, et tandis que toutes et tous savouraient ce tajin accompagné d’amandes, de raisins, et de thé à la menthe, Izza, de son côté, se reposait pour reprendre les forces nécessaires à la protection et à l’éducation de sa progéniture. Quant à, Tiziri, même s’il n’était pas allé à l’école des Français, savait maintenant, qu’il ne lui restait plus que vingt et une bêtes.

À l’époque du protectorat et de l’influence culturelle française, la scolarité avait été rendue obligatoire et, en 1951, une école avait été construite à Tafraout. À cette époque la rumeur disait que les Français voulaient voler les enfants du Maroc. Ce qui eut pour conséquence d’entraîner un exode massif des familles du village vers les grandes villes. Bien trop jeune pour avoir connu cette période de l’histoire, Hassan en avait entendu parler par son père. Il n’en demeurait pas moins dans le village les vestiges de cette école en totale dysharmonie par rapport au reste des constructions.

Aujourd’hui, Tafraout compte quelques écoles coraniques, un collège et plusieurs lycées aux alentours.