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Quand Alice, 19 ans, rencontre Enaël, un jeune étudiant, elle pense que la chance est en train de tourner et qu'elle pourra retrouver une vie normale à ses côtés. Leur relation devient rapidement passionnelle, et rien ni personne ne semble pouvoir les séparer, pas même Mickael, son nouveau professeur d'anglais avec qui elle se lie d'amitié. Pourtant, les apparences sont parfois trompeuses... Entre rêves et certitudes, amour et trahison, magie et réalité, Alice va devoir faire des choix qui changeront à jamais le cours de son histoire.
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Seitenzahl: 390
Veröffentlichungsjahr: 2023
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À Christine, ma sœur dans les étoiles.
Tu m’as offert mes premières romances pour ado, Tu m’as donné le goût de lire,
J’espère que de la haut, tu me vois et que tu es fière de moi.
I’ll play the blues for you, Daniel Castro
Le bonheur, Joyce Jonathan
Les petites jolies choses, Tibz
Shark, Imagine Dragon
Pas besoin de toi, Joyce Jonathan
Bad Liar, Imagine Dragon
Cover me in sunshine, Pink
Love me, please love me, Michel Polnareff
Shape of you, Ed Sheeran
L’amour avec toi, Michel Polnareff
Memories, Maroon 5
Lost on you, LP
CHAPITRE 1
CHAPITRE 2
CHAPITRE 3
CHAPITRE 4
CHAPITRE 5
CHAPITRE 6
CHAPITRE 7
CHAPITRE 8
CHAPITRE 9
CHAPITRE 10
CHAPITRE 11
CHAPITRE 12
CHAPITRE 13
CHAPITRE 14
CHAPITRE 15
CHAPITRE 16
CHAPITRE 17
CHAPITRE 18
CHAPITRE 19
CHAPITRE 20
CHAPITRE 21
CHAPITRE 22
CHAPITRE 23
CHAPITRE 24
CHAPITRE 25
CHAPITRE 26
CHAPITRE 27
CHAPITRE 28
CHAPITRE 29
ÉPILOGUE
Une larme, insolente et rebelle, coula le long de la joue d’Alice. Elle l’effaça d’un revers de la main. Pas aujourd’hui, pas maintenant : la vie recommençait, ses cours à l’université reprenaient. Alice ne savait pas si elle se sentait prête, mais elle ne se laissait pas le choix. Elle le devait à ses parents. Elle saisit son sac préparé la veille et sortit de son appartement.
Arrivée à la faculté, elle retrouva assez facilement Anne et Louise, ses amies, ce qui la rassura. Mais le soulagement fut de courte durée. La conversation, si fluide, si évidente avant, avait du mal à se remettre en place. La jeune femme n’avait pas grand-chose à raconter de son été et ne souhaitait pas aborder à nouveau l’accident qui l’avait rendue orpheline, ni leur parler de ses cauchemars dans lesquels elle entendait encore les hurlements de sa mère. Les trois copines restaient donc debout, à échanger des banalités entrecoupées de lourds silences.
— Alors, cet emménagement ? demanda Anne en glissant sa main dans ses cheveux blonds coupés court.
— Ça va…, répondit Alice en réfléchissant quelle suite donner à sa phrase. Franck, sa femme Juliette et les jumeaux sont venus m’aider à tout boucler. Juliette était tout excitée, on aurait cru que c’était elle qui allait vivre là. C’est tout comme d’ailleurs, c’est elle et Franck qui m’ont trouvé l’appartement et ont fait les démarches pour l’acheter avec l’argent de la vente de la maison de mes parents, j’ai juste signé en bas des pages. Elle a presque tout rangé, j’ai eu du mal à me souvenir où étaient les tasses ce matin. Je n’ai pas grand-chose, pourtant. La majorité de mes placards sont vides.
Louise lui serra doucement le bras et sourit.
— Ça va aller, on va t’aider à remplir tes meubles avec plein de bêtises.
— Et à remplir ton temps libre, ajouta Anne.
Alice grommela un vague merci, sans les regarder, pour éviter toute montée d’émotion. Elle fixa ses chaussures quelques instants, se composa un visage calme et serein puis les questionna sur ce qui avait occupé leur été.
Ses deux amies prirent un air gêné, Alice leur fit une petite grimace.
— J’ai vécu des moments durs pendant ces vacances, je me suis mise en retrait, admit-elle. Vous avez été des copines parfaites. Vous avez demandé de mes nouvelles, m’avez proposé de sortir sans jamais insister. J’ai refusé toutes vos invitations, je n’ai même pas dû répondre à la moitié de vos messages. Pourtant, vous êtes encore là.
Alice fit une petite pause pour les regarder et leur sourire avant de reprendre.
— C’est normal que vous vous soyez amusées. Il n’y a pas de souci, au contraire. Ça me fera du bien d’entendre vos histoires et d’écouter les petits potins.
Les deux filles entreprirent donc de lui raconter leur été dans les moindres détails : l’amourette de Louise avec le si séduisant serveur d’un bar, les sorties en bateau, le shopping et les heures passées à regarder passer les beaux garçons. Quand la sonnerie retentit, elles se dirigèrent sans motivation vers leur salle de classe. Les couloirs étaient plein d’élèves qui leur lançaient des œillades à la dérobée, se poussant du coude en désignant Alice. Elle se doutait que cela arriverait. Elle était devenue la fille qui avait perdu ses parents dans un tragique accident : cela avait fait la une des journaux. Le père d’Alice avait été un grand entrepreneur assez connu dans la région. La jeune femme, qui s’était préparée à cette éventualité, fusilla des yeux un groupe qui marmonnait. Ils se turent instantanément. Elle bomba le torse, le menton haut, se retourna pour continuer son chemin, et percuta violemment un étudiant. Le choc la déstabilisa et elle tomba en arrière pour atterrir sur ses fesses sous les applaudissements de quelques élèves hilares.
Il ne manquait plus que ça, pensa-t-elle, on ne m’avait pas assez remarquée depuis tout à l’heure.
Elle observa d’un air mauvais son assaillant. Il posa sur elle un regard gris acier qui la fit frissonner, lui sourit et tendit sa main pour l’aider à se relever.
Alice la saisit ; un courant électrique sembla traverser tout son corps du bout de ses doigts jusqu’à la pointe de ses orteils. Il tira afin de lui donner l’impulsion pour se mettre debout, mais il le fit un peu trop fort peut-être, car elle atterrit dans ses bras.
— Je suis désolé, murmura-t-il à son oreille d’une voix suave.
Alice se dégagea et le toisa. Lui tournant le dos, elle reprit sa marche dignement. Elle sentait des picotements sur sa nuque. L’inconnu la regardait s’éloigner, elle en était presque certaine. La jeune femme se retourna pour vérifier. Leurs prunelles se croisèrent. Alice savait qu’elle aurait dû détourner les siennes, mais cela lui semblait impossible. Ils se dévisagèrent quelques secondes avant qu’Anne ne lui attrape le bras, brisant ainsi la connexion.
— C’est quoi ça ? demanda son amie.
— C’est quoi ça, quoi ? rétorqua Alice brusquement.
— Vos regards…
Anne hésita :
— … électriques !
— Alice vient de faire une rencontre, railla Louise. Un beau gosse en plus et le premier jour ! Bien joué !
Alice leva les yeux au ciel en secouant la tête d’un air blasé.
— Un gars me percute, je tombe et hou ! tout de suite, j’ai fait une rencontre ! Pa-thé-tique !
— C’est toi, chérie, qui lui as foncé dessus, taquina Louise.
— Ha ! Ben, voilà qui change tout. Ça veut certainement dire que c’est l’homme de ma vie et qu’on va finir par se marier !
Les trois jeunes filles éclatèrent de rire. Un peu plus loin, le garçon détaillait toujours la silhouette d’Alice. Il suivait des yeux la petite robe verte se fondre dans la masse des étudiants se rendant dans les salles qu’on leur avait attribuées.
Pendant les premières heures, les pensées d’Alice partirent dans tous les sens : les courses qu’elle ferait, le bel inconnu, son appartement… La jeune femme avait un mal fou à fixer son attention, à prendre des notes, et accueillit la pause déjeuner avec plaisir.
Assise sur un muret, à l’écart de la place principale, elle finissait de manger le sandwich qu’elle venait d’acheter en écoutant Anne et Louise parler. Dans son monde à elle, elle ne cherchait pas à prendre part à la discussion. Entendre ses amies raconter leurs histoires suffisait à la distraire et à chasser ses idées noires.
À quelques mètres de là, sur un banc avec d’autres garçons, le jeune homme de ce matin l’observait. Alice le vit, se troubla en repensant à la chaleur de la main qu’il lui avait tendue et aux frissons que ce contact avait provoqués. Elle le regarda échanger quelques mots avec ses camarades, se lever, et se diriger vers le bâtiment principal en la fixant. Sans même comprendre ce qui lui arrivait, Alice saisit son sac, s’excusa auprès d’Anne et Louise en prétextant le besoin d’aller aux toilettes, et le suivit. Il se trouvait à côté du distributeur de boissons du réfectoire. Elle s’approcha innocemment, faisant semblant de chercher son porte-monnaie pour se donner une contenance.
— Je t’offre un café, proposa-t-il poliment.
— Non merci, bredouilla Alice en rougissant.
— Pour me faire pardonner de t’avoir bousculée ce matin, insista-t-il.
— Je crois que c’était ma faute, confessa-t-elle, mais d’accord. Avec du lait, s’il te plaît, sans sucre.
Ses doigts effleurèrent ceux d’Alice au moment où il lui tendit le gobelet. À nouveau, une vague de chaleur monta en elle. Elle plongea ses yeux noisette dans son regard gris, hypnotisée. Quand il plaça son autre main sur son épaule, elle se figea. Il la fit pivoter un peu, et en lui désignant les tables un peu plus loin, il lui proposa d’aller s’asseoir. Elle acquiesça d’un signe de tête. Il s’installa en face d’elle.
— Enaël, se présenta-t-il.
C’est joli, pensa Alice, c’est un prénom qui lui va bien. Une consonance celtique, plutôt inhabituelle…
Cela lui conférait un charme supplémentaire, un petit quelque chose en plus que les autres n’avaient pas. Elle détailla son visage, son nez convexe, sa mâchoire carrée et ses cheveux noirs qui semblaient ne pas vouloir être disciplinés.
— En théorie, c’est à ce moment-là que tu me dis comment tu t’appelles, lui fit remarquer le jeune homme avec malice.
Alice sursauta, et murmura son prénom.
— Tu fais quoi ici ? s’enquit-il.
Surprise par sa question et encore perdue dans ses pensées, elle lui répondit maladroitement.
— Je bois un café avec toi.
Un sourire éclaira le visage d’Enaël, révélant une rangée de dents parfaites.
— Comme études ?
— Oh…
Elle s’empourpra, comprenant le ridicule de sa réponse.
— Je suis en deuxième année de préparation aux métiers et concours des bibliothèques. Et toi ?
— Ingénierie mécanique.
— Première année ? Je ne t’avais jamais vu avant.
— Non, je suis arrivé en fin de deuxième semestre l’an dernier, lors de la fusion avec le site du flanc ouest.
Elle se remémora rapidement les faits : ancienne université vétuste, matières de type amiante devenues dangereuses, fermeture rapide programmée… Son père avait travaillé sur le dossier.
— Ça n’a pas été trop compliqué de changer d’endroit comme ça ?
— Nous savions que la mutation aurait lieu en cours d’année, les professeurs nous parlaient de l’avancement des travaux de nos futurs bâtiments et nous avions quelques cours techniques ici.
Ils se fixèrent quelques instants sans rien se dire, chacun détaillant l’autre. Il rompit le silence.
— Moi, je t’avais déjà vue l’an dernier. Je t’ai croisée à plusieurs reprises avec tes amies. Je te trouvais jolie.
— Trouvais ? interrogea-t-elle.
— Trouve, rectifia-t-il, même si aujourd’hui, tu as l’air d’avoir changé. Tu sembles différente, ton regard est plus dur.
— J’ai perdu mes parents il y a quatre mois, coupa-t-elle froidement, ça vous fait mûrir. Mon regard est plus dur et mon attitude aussi, parce que subitement, ma vie est devenue plus compliquée.
Comme à chaque fois qu’il était contrarié ou agacé, les yeux d’Enaël virèrent au bleu et sa mâchoire se crispa. Alice se leva pour fuir cette discussion qui prenait une tournure qui ne lui plaisait pas, mais le jeune homme posa sa main sur son poignet pour la retenir. Elle tressaillit à nouveau à son contact : dès que sa peau touchait la sienne, des petites décharges électriques agréables parcouraient son corps. Il se mit debout à son tour et lui fit face.
— J’ai été maladroit, je n’aurais pas dû te dire ça.
Pour la troisième fois de la journée, Alice sentit ses émotions remonter jusqu’à ses yeux. Elle se concentra, chercha un souvenir joyeux auquel se raccrocher, et souffla lentement par la bouche. Elle imaginait son regard sur elle et le flot refusait de se tarir, les larmes affluaient dans son canal lacrymal, se bousculant pour sortir. Une première goutte roula sur ses pommettes. Puis une seconde. Relevant son menton avec douceur, Enaël les essuya délicatement avec son pouce.
— Je suis désolé, Alice. Je dois partir, j’ai un cours qui va commencer, expliqua-t-il en lui montrant ses amis, qui lui faisaient des signes. Ça va aller ?
Alice opina. Il approcha son visage du sien, posa un baiser sur sa joue, et s’éloigna sans se retourner.
Debout dans le hall, la jeune femme hésitait entre se remettre assise, ou aller rejoindre Anne et Louise. Elle était bouleversée par la tendresse dont Enaël avait fait preuve, troublée par lui tout simplement, par son regard, son sourire, le contact de sa peau sur la sienne.
Elle n’eut pas à décider de ce qu’elle allait faire, car ses amies arrivèrent en courant.
— On se demandait où tu étais passée, on était inquiètes, on est venues voir ce que tu faisais et on t’a trouvée en charmante compagnie, débita Anne d’une seule traite sans reprendre sa respiration. On n’a pas voulu te déranger, tu avais l’air captivée. Mais maintenant, tu dois tout nous raconter.
— Il n’y a rien à dire, expliqua Alice, on s’est croisés, il m’a offert un café pour se faire pardonner pour ce matin et on a parlé cinq minutes.
— Un peu plus de cinq minutes… Et il t’a embrassée ! répliqua Anne.
— C’était un petit bisou sur la joue.
— Il t’a embrassé quand même.
— En te tenant par la main, rajouta Louise qui était restée étrangement silencieuse.
— En te tenant la main, répéta Anne. Toi, tu craques carrément pour lui. Ça se voit. Tu as ta tête d’Alice amoureuse.
— Ma tête d’Alice amoureuse, pouffa-t-elle… Je ne suis pas amoureuse, je ne le connais même pas. Je sais juste son prénom ! J’avoue qu’il est beau gosse et qu’il a l’air gentil, mais c’est tout.
L’après-midi passa assez rapidement. Le dernier cours du trio de copines était leur leçon optionnelle d’anglais qui était dispensée par un nouveau professeur, plutôt jeune et assez séduisant. Après avoir demandé à ses seize élèves de se présenter, il se livra à l’exercice à son tour, avec un petit accent britannique absolument charmant.
— Je m’appelle Mickael, j’ai vingt-six ans et j’arrive de Londres où j’ai grandi. Je dois terminer et valider ma thèse cette année pour obtenir le titre définitif d’enseignant. Vous serez tous mes sujets. Mon but est de justifier mon idée, de prouver ce que je dis en me basant sur l’évolution de votre niveau. Je compte sur vous pour travailler d’arrache-pied pour me montrer que j’ai raison.
Il les regarda un à un avant de poursuivre.
— Je ne pense pas que l’on puisse apprendre correctement l’anglais, ni aucune autre langue non plus d’ailleurs, en utilisant juste des livres. Pour savoir parler, il faut pratiquer. Nous étudierons un peu la théorie, nous en avons besoin, mais nous privilégierons les échanges.
Il stoppa son monologue, le temps d’examiner leurs réactions.
— Je suis ouvert à toute proposition, pour des sorties culturelles dans les musées tous ensemble ou en demi-groupe. Je vous laisserai vous exprimer sur les sujets qui vous motivent. Si vous avez des passions, vous pourrez nous les faire partager. Qu’en dites-vous ?
Il jaugea à nouveau sa classe, posant son attention sur les trois jeunes filles qui ne semblaient pas captivées par son cours.
— Mesdemoiselles, que pensez-vous du concept ?
Alice leva les yeux sur lui et lui offrit un sourire charmeur.
— C’est un concept intéressant, répondit-elle.
Il plongea son regard bleu-gris dans le sien. Alice fut surprise de l’intensité avec laquelle il la dévisageait ; elle avait l’impression qu’il cherchait à sonder son âme. Cette pensée la fit rougir et elle fixa son attention sur le tableau blanc juste derrière lui.
— Tu as fait une deuxième touche aujourd’hui, railla Louise à son oreille.
Alice s’empourpra encore plus et donna un coup de coude à son amie.
— Chut ! Il va t’entendre.
Le professeur esquissa un sourire, avant de détourner le regard puis continua la présentation de son cours et des projets qu’il souhaitait mettre en place.
À la fin de sa journée, après avoir dit au revoir à ses amies, Alice prit le chemin pour rentrer chez elle. Elle entendit un véhicule arriver à vive allure, alors qu’elle sortait du campus. Dans un crissement de pneus, elle le vit glisser vers le trottoir et foncer vers les étudiants qui avaient terminé leurs cours. La petite citadine manqua de justesse de percuter les piétons. Plongés dans leur discussion, la plupart, bien qu’ils aient entendu le freinage d’urgence, ne se rendirent même pas compte du drame qui avait failli arriver. Le conducteur reprit le contrôle, et repartit plus vite encore. Alice s’immobilisa, livide et en proie à la panique la plus totale.
En un instant, Alice se retrouva propulsée quatre mois en arrière. Elle était à nouveau assise dans la voiture de son père, Maxime, discutant avec ses parents pour la dernière fois. La jeune femme ressentait toujours l’effet de la berline qui faisait une embardée, les cris de sa mère, cette sensation d’être ballotée de gauche à droite, mais souplement, comme si elle se trouvait dans un cocon protecteur nimbé d’une douce lumière bleue. Puis le choc du véhicule contre la rambarde de sécurité et le bruit de la carcasse qui se froisse.
— Alice ? la voix de son père n’était plus qu’un souffle.
— Ça va, je vais bien.
— Un accident, annona-t-il. Ne bouge pas ! Charlotte ? Réponds-moi !
Alice essaya d’apercevoir sa mère sur le siège passager, mais elle ne voyait que du sang. Elle ferma les yeux quelques minutes. Elle entendait les sirènes se rapprocher. Les pompiers l’avaient aidée à s’extraire de la voiture, indemne ! Ses parents avaient eu moins de chance. Charlotte était morte sur le coup et son père avait cessé de se battre dans l’ambulance qui le conduisait à l’hôpital de proximité.
Elle tentait de reprendre son souffle et de se reconnecter à la réalité quand une main se posa sur son épaule.
— Alice ? Tout va bien ?
— Enaël, murmura-t-elle, sans se retourner, reconnaissant les petits picotements qu’elle avait déjà ressentis le matin même.
— Tu trembles, constata-t-il.
Il s’approcha tout contre elle. La jeune fille sentit sa présence rassurante, mais ne réussit pas à se calmer pour autant.
— Tu as eu peur ?
Elle hocha la tête.
— Ça va aller ? s’enquit-il en posant un bras réconfortant sur ses épaules.
— Oui, souffla-t-elle d’une voix presque inaudible.
— Tu veux que je te raccompagne ?
— Non, ça ira, je dois aller faire des courses sur le chemin de toute façon.
— Je te les porterai, décida-t-il sans vraiment lui laisser le choix. Dis-moi par où on va.
Elle lui désigna la route à prendre par un mouvement de la tête et, sans qu’il enlève son bras, ils commencèrent à marcher. Ils avancèrent ainsi l’un contre l’autre jusqu’à la petite épicerie sans échanger une parole. Sans pouvoir s’expliquer pourquoi, Alice se sentait en sécurité quand elle se tenait près de lui. Elle avait toujours été très tactile et avait besoin de toucher les gens pour ressentir les choses. Depuis le décès de ses parents, ses sensations s’étaient engourdies et la chaleur dégagée par Enaël lui redonnait un peu de vie.
Ils arrivèrent vite, beaucoup trop vite devant la supérette. Enaël prit un panier qu’Alice remplit au fur et à mesure des rayons : quelques fruits, des œufs, un pack de quatre yaourts. Enaël la suivait en la regardant scruter les étals à la recherche de ce dont elle avait besoin. Il souriait chaque fois qu’elle énumérait sa liste de courses en comptant sur ses doigts le nombre d’articles qu’il lui fallait, afin de ne rien oublier.
Alice se retourna vers lui et vit qu’il avait les yeux rivés sur elle.
— Pourquoi tu me dévisages comme ça ?
— Parce que je te trouve mignonne quand tu te concentres sur tes achats.
Flattée, mais très gênée, elle arqua un sourcil et pinça ses lèvres en secouant la tête.
— N’importe quoi ! rétorqua-t-elle en sentant son cœur s’emballer.
Alice se fit la remarque que c’était la seconde fois aujourd’hui qu’il lui disait ce genre de chose. Elle le gratifia d’un sourire et se dirigea vers les caisses. Elle régla ses achats, Enaël les empaqueta dans un petit sac avant de quitter la boutique.
Sur le chemin du retour, la jeune femme hésita à prendre sa main qui frôlait la sienne de temps en temps. Il serait tellement facile de l’attraper quand elle se trouvait juste à côté, mais elle n’osa pas.
Ils parlèrent de choses diverses. Alice évoqua sa vie avant l’accident, ses activités préférées, voir un film avec ses amies ou simplement aller boire un verre en terrasse avec sa mère. Il lui raconta qu’il appréciait la vie simple à la campagne d’où il venait, là où la nature avait conservé ses droits et où l’hyperconsommation n’avait pas encore tout pollué. Il lui parla de ce petit pont qui traversait une rivière où il adorait s’installer pour regarder le soleil descendre lentement avant de disparaître peu à peu en laissant son reflet se noyer dans l’eau. Alice buvait ses paroles. Il décrivait si bien les choses, d’une voix douce, presque enchanteresse, qu’elle voyait ce pont, ses vieilles pierres, son garde-fou arrondi qui suivait les courbes de la structure. Elle pouvait presque sentir la chaleur qui se dégageait des pavés après une chaude journée d’été. Elle aurait pu l’écouter parler pendant des heures entières, si bien que quand ils arrivèrent au pied de sa résidence, elle l’invita à monter prendre un verre pour le remercier de l’avoir raccompagnée. Elle regretta instantanément sa proposition. Après tout, elle ne le connaissait pas, et derrière les manières les plus polies pouvait se cacher le pire des tueurs en série. Il sembla lire en elle, car au moment où elle se le disait, il lui précisa :
— Je ne suis pas un tueur en série, ne t’inquiète pas. Je viens juste boire un café. Je te promets que je m’en irai juste après.
— Je n’ai jamais pensé une telle chose, mentit-elle en esquissant un sourire.
— Tu aurais dû. On ne sait jamais qui se cache derrière de bonnes manières.
Alice rougit. Fort heureusement, elle le devançait de quelques pas dans les escaliers et il ne put voir son trouble.
Dans l’appartement, elle commença à ranger ses courses. Enaël jeta un coup d’œil circulaire dans la pièce et repéra la discothèque de la jeune fille.
— Des vinyles, j’adore !
Il laissa ses yeux glisser le long des étagères.
— J’aime beaucoup tes goûts musicaux.
— C’est la collection de mon père, précisa-t-elle, mais je valide ses choix. Je n’ai pas souhaité m’en séparer après son décès. J’ai grandi avec ces sons-là, ce sont mes souvenirs d’enfance.
— Je peux ? interrogea-t-il en désignant un disque de jazz.
— Avec plaisir, si tu sais te servir d’une platine.
— Ma mère en possédait une semblable quand j’étais petit, ne t’inquiète pas.
Il posa délicatement le vinyle sur son socle, lança la rotation, positionna le bras et abaissa le levier. Les premières notes retentirent. Alice ferma ses paupières et ondula son corps au rythme de la musique. Enaël la regardait d’un air subjugué.
Quand elle rouvrit les yeux, elle vit qu’il la détaillait avec attention. La jeune femme s’empourpra à nouveau et cessa de bouger. Il franchit les quelques mètres qui les séparaient, et prit sa main l’entraînant dans le tempo. Ils dansèrent ainsi l’un en face de l’autre, se dévorant des yeux. Enaël la fit tourner sur elle-même, et la serra contre lui. Alice, plus souple, plus douce dans ses bras, calqua ses mouvements sur les siens dans une langueur absolue. Emportés par la mélodie, par leurs corps vibrants à l’unisson, plus rien ne comptait à ce moment-là que l’instant présent. La musique se tut, il porta la main de la jeune femme à ses lèvres avant d’y déposer un léger baiser.
— Merci pour cette danse.
Le cœur d’Alice battait la chamade ; elle eut soudain très chaud. Elle avait presque souhaité qu’il l’embrasse à la fin du morceau tellement elle avait ressenti leur sensualité s’exprimer à travers leurs déhanchés.
Mais un baise-main, c’est beaucoup plus classe, pensa-t-elle, plus romantique.
Enaël partit ranger le disque pendant qu’Alice leur faisait couler deux cafés, noir pour lui, au lait pour elle, afin de s’occuper et d’éviter de le regarder. Ils s’installèrent sur la terrasse.
— C’était très… commença Enaël
— Inhabituel pour moi, le coupa Alice.
— Comment ? Tu n’as pas l’habitude de danser avec d’autres hommes dans ta cuisine ? se moqua-t-il gentiment.
— Compte tenu du fait que je n’habite officiellement ici que depuis un peu plus de vingt-quatre heures, non ! Tu es mon premier invité. Et pour tout avouer, j’ai rarement un comportement aussi désinvolte avec des inconnus.
Enaël la regardait, moitié amusé par sa justification et moitié ému devant tant de pudeur et de retenue.
— J’allais te dire que c’était très agréable, mais je prends inhabituel. Ça me plaît beaucoup. Tu me plais beaucoup !
Alice baissa les yeux, mal à l’aise face à cette déclaration subite. Habilement, Enaël changea de sujet.
— Alors comme ça, tu occupes les lieux depuis vingt-quatre heures ?
— C’est ça, j’ai fini de déballer mes cartons hier en début d’après-midi. J’ai à peine eu le temps de m’installer et j’ai l’impression d’être dans une location de vacances. Tout est neuf ou presque, comme si rien ne m’appartenait vraiment, alors que même les murs sont à moi.
— Ce n’est pas évident de se faire à un nouvel endroit, mais regarde cette vue depuis ton balcon ! observa-t-il en se levant. On se sent déjà mieux avec toute cette végétation autour.
— C’est pas faux, murmura Alice en détaillant les formes d’Enaël — son profil, ses bras musclés, mais pas trop, et ses fesses superbement moulées dans son jean — la vue est belle.
Elle se mit debout, comme attirée par un aimant, et s’accouda à la barrière juste à côté de lui. Il se tourna un peu pour se trouver face à elle et plongea ses yeux dans les siens. Alice se fit la remarque qu’ils lui avaient semblés moins bleus le matin même.
Le cœur de la jeune fille battait à tout rompre. Enaël avança d’un pas, collant son corps au sien. De sa main, il repoussa une mèche de cheveux bouclés, laissant traîner ses doigts sur son visage. Alice ressentait des petits picotements agréables partout où il la touchait. Il caressa sa joue, et continua son effleurement de son cou jusqu’à son épaule. Tremblante, dans l’attente de ce qui allait se passer, Alice ferma les yeux. Il s’approcha un peu plus d’elle, posa ses lèvres sur son front, son nez, sa pommette, et enfin sa bouche. Une fois, deux fois, tendrement, délicatement, puis il se fit plus insistant. Sous la douce pression de sa langue, Alice entrouvrit les lèvres et répondit à son baiser, tout en glissant ses doigts dans sa nuque. Enaël caressait son dos de haut en bas.
Un coup de sonnette mit fin à leur étreinte. Alice se dégagea des bras d’Enaël pour aller décrocher l’interphone.
— Hey, lâcha la jeune femme visiblement surprise. Bien sûr, montez !
Elle retourna vers Enaël qui était resté sur la terrasse, et lui expliqua :
— Ce sont mes amis et désolée par avance, ils sont un peu insupportables.
Elle ouvrit la porte à deux grands gaillards, l’un chargé d’un gros sachet de courses et l’autre d’un arbuste en pot.
— Tu as bonne mine, depuis hier soir ! railla celui qui portait le sac.
Alice le gratifia d’une petite grimace amusée.
— Ma mère nous envoie vérifier que tu ne dépéris pas, et nous a ordonné de nous faire inviter à dîner pour être sûre que tu te nourrisses, poursuivit-il en soulevant le cabas.
Alice lui sourit, lui prit des mains et les laissa entrer.
— Va poser la plante là-bas, près de la télé, demanda-telle à l’autre garçon qui ressemblait comme deux gouttes d’eau au premier.
Elle les entraîna sur la terrasse.
— Je vous présente. Enaël, mes amis de toujours : Romain et Pierre. Enaël est un ami.
— Nous connaissons tous tes amis, objecta Romain.
— Un ami que je viens de rencontrer !
— Ça s’appelle une connaissance dans ce cas, la reprit-il.
Elle haussa les épaules.
— Vous ne m’avez même pas fait de bisous et déjà, vous commencez à m’ennuyer, bouda-t-elle.
Les deux jeunes hommes l’enlacèrent tour à tour pour l’embrasser sur les deux joues, avant d’aller serrer la main d’Enaël. Romain la retint quelques secondes et lui murmura à l’oreille :
— Il faudra que l’on te réexplique qu’on n’invite pas de garçon chez soi quand on est une fille bien.
Alice le frappa amicalement sur le bras en claquant ses lèvres sur sa pommette.
— Bon, on mange quoi ? questionna-t-elle en attrapant le sac pour ranger les victuailles dans le réfrigérateur. Mon Dieu, mais Juliette me prend pour une ogresse. Enaël, tu veux te joindre à nous pour le repas ? Il y en a au moins pour douze !
— Oui, pourquoi pas.
Romain lança un regard désapprobateur à Alice, ouvrit la bouche, mais elle le fit taire en posant sur lui des yeux fâchés, puis lui demanda de venir dans la cuisine pour l’aider à tout préparer.
— Sois gentil avec lui, s’il te plaît. Je l’aime bien et il est différent.
Romain disposa les assiettes, Alice réchauffa la délicieuse paella de Juliette dont elle raffolait et les quatre amis passèrent à table. Alice s’installa à côté d’Enaël et les jumeaux, qui épiaient leurs moindres faits et gestes, s’assirent en face d’eux.
Ils posèrent beaucoup de questions à Enaël : d’où il venait, le métier de ses parents, ses buts, s’il était en couple, s’il avait déjà vécu de grandes histoires d’amour…
Alice s’indigna quand ils commencèrent à aborder sa vie privée, mais Romain joua la carte de la naïveté.
— On s’intéresse à ton nouvel ami, voilà tout.
Après le repas, quand la cuisine d’Alice fut nettoyée et rangée, Romain décréta qu’il était l’heure pour tous de partir, en insistant bien sur le « tous », afin qu’Alice puisse se reposer. Il proposa à Enaël de le ramener, certainement pour s’assurer qu’il s’en allait bien, mais celui-ci refusa.
Alice leur dit au revoir, embrassa Enaël sur la joue en lui glissant un papier dans la main. Il le déplia une fois seul. Alice avait noté son numéro de téléphone dessus avec un petit message pour lui demander de lui dire quand il était rentré.
Alors qu’elle se préparait à se coucher, après avoir organisé sa journée du lendemain, son mobile vibra.
Enaël :
J’ai passé une soirée… Inhabituelle.
Alice :
J’aurais dit agréable, mais inhabituelle, je prends. Tu me plais.
Elle avait rajouté les trois derniers mots très vite et envoyé son texto dans la foulée par peur de les effacer.
Enaël :
M’autorises-tu, tel un chevalier servant, à venir te chercher pour t’escorter en cours demain matin ?
Alice :
Sois chez moi pour 7 h 30. Bonne nuit.
Enaël :
Dors bien, princesse.
Six heures trente. La sonnerie du portable tira Alice de son sommeil. Elle venait de vivre sa meilleure nuit depuis des mois : pas de réveil en sueur, pas de cauchemars.
Elle s’étira en se repassant en accéléré la journée de la veille : sa rencontre avec Enaël, leur baiser sur la terrasse, les regards échangés. Elle sourit malgré elle, se glissa hors de son lit et ouvrit les rideaux. Le temps avait l’air moins clément que le jour d’avant. Alice espéra que l’automne ne pointerait pas son nez trop rapidement.
Elle se dirigeait vers la cuisine pour boire son premier café, celui qui achèverait de la sortir du sommeil et qui mettrait de l’ordre dans toutes ses idées, quand elle sentit son téléphone vibrer.
Enaël :
J’ai pensé à toi toute la nuit.
Alice mordit sa lèvre pour réprimer un sourire et répondit :
Alice :
J’ai eu une petite pensée pour toi en me réveillant.
Enaël :
Envie de te voir, je peux passer chez toi dans un gros quart d’heure avec des croissants ?
Alice :
Je fais couler le café.
Alice commença à paniquer. Il ne lui restait plus que quinze minutes avant qu’il n’arrive. Elle enfila le premier t-shirt qui lui tomba sous la main, noir à imprimé soleil et lune doré, se glissa dans un jean, et démêla ses cheveux rapidement avec ses doigts. Elle finissait son maquillage quand il sonna à l’interphone.
— Monte et entre, c’est ouvert, l’informa-t-elle en repartant vite mettre la touche finale à ses préparatifs.
Elle l’entendit entrer.
— Alice ?
— Dans la chambre, j’ai quasiment terminé.
Il suivit la voix, s’arrêta sur le seuil et la regarda manier les pinceaux.
— Encore une petite minute, murmura-t-elle en posant un peu de fard sur ses joues.
Elle acheva de ranger ses affaires, et se dirigea vers lui. Accoudé au chambranle de la porte, il la dévorait des yeux.
— Bonjour, susurra-t-il.
— Bonjour, répondit-elle, gênée.
Elle ne savait pas quelle attitude adopter. Leur baiser de la veille avait-il une signification ? Bien qu’elle en meure d’envie, elle se demandait si elle devait l’embrasser ou lui dire bonjour comme à un ami. Enaël interrompit ses réflexions en posant sa bouche à la commissure de ses lèvres.
— Café ? proposa-t-elle en passant ses doigts dans ses cheveux pour tenter de masquer le trouble qui l’envahissait.
— Avec plaisir.
Ils mangèrent rapidement leurs croissants puis partirent. Alice rangerait le reste, le soir après ses cours.
Sur le chemin, Enaël saisit sa main. Elle le lâcha dès qu’elle aperçut ses amies, qui furent assez surprises de la voir accompagnée. Elle leur présenta Enaël, qui à son tour leur fit faire connaissance avec Lucas et Thomas, ses camarades venus les rejoindre. Alice n’arrivait pas à s’éloigner de lui. Elle ne pouvait pas se détacher, son corps réclamait un contact. Son dos frôlait le torse d’Enaël qui finit par poser sa main sur sa hanche. Elle se tourna vers lui, un peu étonnée, et il ne put résister. Il se pencha légèrement pour embrasser les lèvres de la jeune femme, à la grande surprise de leurs amis. Alice rougit en voyant tous les regards dirigés vers eux.
Quand la sonnerie retentit et que le petit groupe se disloqua pour aller dans leurs salles de classe respectives, Anne et Louise, les yeux encore arrondis de ce qu’elles avaient vu, assaillirent Alice de questions. Elle leur raconta rapidement le retour à la maison, ce qui s’était passé ensuite, et leur promit de tout leur expliquer plus tard. Mais les filles, qui n’étaient pas patientes, ne souhaitaient pas attendre le bon vouloir de leur amie pour connaître les détails de l’histoire.
Elles ne furent pas très attentives pendant leur premier cours. Anne et Louise, qui avaient pris soin de la placer entre elles deux, ne cessaient de lui poser de nouvelles questions.
— Je ne m’attendais pas à tant de désinvolture de ta part quand même, s’amusa Anne. Que Louise fasse un truc comme ça, OK, mais toi, la douce, la sage Alice…
— Je sais, se justifia Alice en levant ses mains, mais il m’attire, vous n’imaginez même pas à quel point ! Quand je suis avec Enaël, je ne me reconnais plus, je ne pense plus. Et ça me plaît de ne pas me poser de questions finalement. La vie peut être tellement courte, j’ai juste envie d’en profiter.
Elle essaya d’être un peu plus concentrée les trois heures de cours suivantes, mais visiblement, son attention était limitée. Anne et Louise prenaient de toute façon des notes qu’elles ne manqueraient pas de lui donner. Elle écoutait les professeurs en laissant son esprit vagabonder vers des choses bien plus amusantes, Enaël étant le principal sujet de distraction. La jeune fille n’avait en tête que ce moment où ils allaient se retrouver pour la pause déjeuner. Elle avait envie de sentir sa main dans la sienne, ses lèvres sur les siennes, son corps contre le sien. Donnant libre cours à son imagination, Alice se demanda à quoi il pouvait bien ressembler sans son t-shirt.
— Tu souris comme l’idiote du village, lui murmura Louise.
Alice grimaça, lui tira la langue et essaya de se concentrer sur la leçon d’histoire et d’économie des médias, mais c’était peine perdue ; elle était aussi soporifique que le professeur. Les minutes semblaient durer des heures. Elle observa les autres élèves ; visiblement, beaucoup d’entre eux avaient décroché. Certains avaient même sorti leurs téléphones portables pour jouer.
Son attention se fixa sur Louise. La jolie métisse adorait séduire et s’amuser avec les garçons qu’elle rencontrait, et elle n’avait aucun mal à les prendre dans ses filets. Sa mère, une ancienne reine de beauté tahitienne, lui avait légué ses yeux verts et sa grande taille. Louise savait se tenir, marcher de manière à se distinguer avec classe des autres filles. Alice se disait souvent que si elle ne l’avait pas connue sur les bancs de l’école primaire, et appris à l’apprécier avant que son amie ne découvre son pouvoir de séduction, elle l’aurait probablement détestée aussi fort qu’elle l’aimait aujourd’hui. Sous sa carapace de femme forte et inatteignable, Louise cachait des fêlures d’enfant qui avait grandi sans son père, avec une mère plus préoccupée par les podiums et l’image que les gens pouvaient avoir d’elle que par sa propre fille. Il fallait la connaître intimement pour avoir accès à la belle personne cachée sous le vernis appliqué savamment chaque matin.
À l’heure du déjeuner, le petit groupe se retrouva. Comme ils avaient une pause un peu plus longue que les autres jours, ils décidèrent d’acheter un sandwich et d’aller le manger dans un café pas très loin.
Alice et Enaël se cherchaient, se regardaient, se frôlaient, ce qui amusait leurs amis. L’intérêt que suscitait leur duo mettait la jeune femme très mal à l’aise, mais elle ne pouvait s’empêcher de se rapprocher. Ils s’assirent côte à côte dans le bar. Enaël, séducteur, posa sa main sur celle d’Alice qui resserra ses doigts fins contre les siens tandis qu’ils discutaient, ne se quittant pas des yeux.
Alice se souvint qu’elle devait aller à la librairie chercher un livre qu’elle avait commandé et qui devait arriver ce jour. Ils décidèrent donc de partir avant leurs amis pour récupérer le roman et leurs camarades les rejoindraient sur le campus un peu plus tard. Loin du regard des autres, elle se sentait plus à l’aise. Enaël glissa son bras sur ses épaules, elle passa le sien autour de sa taille ; ainsi enlacés, ils se dirigèrent vers la boutique.
— Il est sympa ton livre ? lui demanda-t-il.
— C’est une série. Je l’ai commencée il y a un an, avec ma…
Alice se tut.
— Ho, je vois, dit-il en l’embrassant sur la tempe.
— Je ne pensais pas l’acheter, mais je me suis dit qu’elle aurait voulu connaître la suite, alors je le lirai pour nous deux, poursuivit-elle avec difficulté.
— Je suis désolé, j’ai le chic pour poser les questions qu’il ne faut pas.
— Non, ça va, ne t’inquiète pas. C’est compliqué pour moi parce que beaucoup de choses me ramènent à mes parents. Nous étions très proches. C’étaient des gens formidables. J’ai eu la chance de les avoir dans ma vie, même si j’aurai vraiment aimé qu’ils soient encore là, récita Alice qui avait bien retenu la leçon apprise avec la psychologue qui l’avait suivie tout l’été. Et puis, je ne suis pas seule. Franck et Juliette, mon parrain et sa femme, sont présents pour moi. Ce sont les parents des jumeaux que tu as vus hier.
De retour à l’université, ils s’installèrent sur un muret. Enaël à cheval dessus et Alice, assise plus sagement à côté, son épaule contre son torse. Il avait posé sa main dans le bas de son dos, là où le tissu de son t-shirt ne couvrait pas toute la peau. Il faisait distraitement courir son pouce le long de sa colonne vertébrale. Comme électrisée par ses caresses, Alice pivota un peu son buste pour se retrouver face à lui, et se perdit dans son regard.
— Je rêve de t’embrasser à nouveau depuis hier soir, confia Enaël.
Alice réduisit la distance entre leurs deux corps.
— Alors, tu attends quoi ? questionna-t-elle, surprise par son culot.
Enaël prit possession de sa bouche et Alice répondit à ses baisers enflammés. La voix de Louise, amusée, interrompit leur moment de passion.
— Un livre ?
Alice sursauta.
— Il fallait juste nous dire que vous aviez besoin d’être seuls pour vos préliminaires.
— Louise ! s’indigna Alice en rougissant.
Enaël se mit à rire et l’embrassa dans le cou.
— Allez, bouge ! On va être en retard, à moins que tu aies envie de sécher. Je comprendrais que tu aies mieux à faire, reprit Louise, moqueuse.
Alice s’extirpa sans grande motivation des bras d’Enaël, lui donna un dernier petit baiser, en lui murmurant un : « à plus tard », et suivit ses amies.
— Avant que j’oublie, demain soir, on se retrouve chez toi pour manger et boire un coup, entama Louise.
— OK… j’ai décidé ça quand ? interrogea Alice.
— Tout à l’heure au bar, quand tu es partie. Les garçons ne savaient pas quoi faire, je leur ai dit que nous organisions une soirée filles, parce que c’est ce que nous aurions fait de toute façon, et que ça ne te dérangerait pas qu’ils viennent avec des pizzas.
— Je peux savoir qui est le pauvre garçon que tu vas séduire demain ?
— Aucun ! C’est pour te donner l’occasion de mettre Enaël dans ton lit.
— Bien évidemment ! Ses copains sexy n’ont rien à voir là-dedans ?
— Absolument pas !
Anne et Alice échangèrent un regard complice : sans nul doute, Louise avait craqué sur un des deux amis d’Enaël et allait chercher à passer un moment agréable, sans promesse ni attache.
Après les cours, les trois filles allèrent acheter le nécessaire pour la fête du lendemain : chips, bière, tequila et jus de fruits, puis décidèrent de travailler leurs cours puisqu’elles se trouvaient toutes chez Alice.
— Nous devons partir sur de bonnes bases avec un bon rythme, leur avait indiqué Anne qui prenait souvent la tête des révisions, et sans qui, Alice et Louise, auraient bien du mal à s’organiser.
En rentrant chez elle, Alice, qui avait omis de parler de son petit déjeuner avec Enaël, rangea les tasses en expliquant à ses amies pourquoi il y en avait deux sur la table.
Louise émit l’hypothèse que peut-être, c’était parce qu’il était resté la veille au soir.
— C’est ça, j’ai pris exemple sur toi. Maintenant, je couche avec le premier venu…
— Tu devrais, suggéra Louise, ça te détendrait un peu.
Alice haussa les sourcils et elles se mirent au travail. Elles étudièrent une bonne heure et demie avant de faire une pause. Elle jeta un œil sur son téléphone. Enaël avait laissé un message.
Enaël :
Tu as oublié ton livre tout à l’heure, je quitte dans une heure. Je peux te le ramener si tu veux.
Elle sourit, elle aimait la délicatesse de son texto et le fait qu’il lui laisse le choix.
Alice :
Désolée, j’étudiais. Si ce n’est pas trop tard pour toi, je veux bien.
Enaël :
Je viens de terminer, j’arrive.
Elle montra son portable à ses amies.
— Il y a quoi entre vous, demanda Louise, hormis des galoches baveuses ?
— Je ne sais pas, répondit Alice, mais il galoche divinement bien.
— Vous êtes en couple, tu penses ?
— Aucune idée. Il va déjà me ramener mon livre et on verra bien ce qu’il se passe. C’est trop tôt pour se poser des questions… Juste, il me plaît vraiment beaucoup. Je craque complètement.
— Tu as raison, lui fit remarquer Anne. Laisse venir les choses, tout simplement.
— Et éclate-toi ! renchérit Louise.
Enaël arriva peu de temps après. Quand Alice entendit la sonnette, les petits papillons dans son ventre se réveillèrent. Il lui rendit son livre, qu’elle posa sur la console à côté de la porte.
— Les filles sont là, on boit un coup sur la terrasse. Ça te tente ?
— Je n’ai pas envie de te déranger.
— Je suis contente que tu sois venu.
Elle lui décrocha un sourire et lui tendit la main pour le faire entrer.
— Tu bois quelque chose ?
Il avisa le contenu des verres.
— Je vous suis pour une bière.
Alice ramena quatre bières, resservant d’office ses amies. Puisqu’aucune des deux ne conduisait pour rentrer, elles pouvaient en boire une de plus. Ils discutèrent de choses et d’autres, notamment de la soirée du lendemain. Ils se mirent d’accord que les filles viendraient ici juste après les cours pour se préparer avant que les garçons ne les rejoignent vers dix-neuf heures trente.
« Tenue correcte exigée » précisa Louise ; sous-entendu pour elle, les hommes devaient revêtir une chemise et les demoiselles, une jolie robe, ce qui n’était pas toujours au goût d’Anne qui décidait parfois que les cravates lui allaient tout aussi bien. Alice trouvait que ces jours-là, elle avait une classe folle. Avec ses cheveux blonds coupés courts, ses grands yeux bleus et son allure androgyne, elle était magnifique autant en jupe qu’en vêtements plus masculins.
Les trois copines se remémorèrent des souvenirs et racontèrent à Enaël des anecdotes sur Alice, lors de leurs soirées passées. Elles évoquèrent ce qu’elles appelaient « la nuit pieds nus », où Alice avait cassé un de ses talons et que les filles avaient enlevé leurs chaussures par solidarité, imitées par un bon nombre d’autres. Enaël regardait Alice et admirait la petite fossette qui se dessinait sur sa joue gauche quand elle riait.
Anne et Louise ne tardèrent pas s’en aller, prétextant leur bus à prendre. Enaël se décida à partir quelques minutes après. Alice le raccompagna et le remercia de lui avoir ramené son livre, en désignant le sachet posé sur le meuble de l’entrée.
— Ho, il m’a servi de raison pour venir. J’avais très envie de te voir, avoua-t-il.
Alice sourit.
— Maintenant, je cherche une nouvelle excuse pour pouvoir t’embrasser, poursuivit-il.
— Mon autorisation peut te suffire ? interrogea-t-elle.
— Complètement, répondit-il en rentrant à nouveau dans l’appartement, fermant la porte derrière lui.
Il la fit reculer doucement contre le mur et l’embrassa avec passion.
— Nous serions peut-être mieux installés sur mon canapé, suggéra la jeune fille en l’entraînant dans le salon.
Enaël se mit assis sur le sofa. Alice prit place sur ses genoux. Il l’inclina légèrement vers l’arrière, calée contre un gros coussin mœlleux. Elle s’agrippa à son cou quand il la serra dans ses bras et ils échangèrent d’enivrants baisers. De sa main gauche, Enaël lui caressait la cuisse.