Les secrets du Docteur Wu - Heidi Cullinan - E-Book

Les secrets du Docteur Wu E-Book

Heidi Cullinan

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Hôpital de Copper Point, tome 1 Le nouveau docteur, brillant, renfermé et secret, rencontre un infirmier au grand cœur… et leur couple est de nature à renverser tous les obstacles. Après un burn-out, le Dr Hong-Wei Wu, Taïwanais naturalisé Américain, s'installe à Copper Point, Wisconsin. La belle carrière qui lui était promise semble avoir sombré avant même de démarrer. Alors qu'il envisage une vie effacée et tranquille, son jeune assistant a sur lui un impact inattendu.  Quant à Simon Lane, il ne s'attendait pas au charme irrésistible de son nouveau patron. Le chirurgien accepte son aide pour emménager et l'en remercie par de délicieux plats taïwanais. Malheureusement, le règlement de l'hôpital Ste Anne interdit les relations entre le personnel, aussi leur amour est-il condamné… à moins que le couple soit prêt à tout risquer.  Simon souffre de cacher leur relation et Hong-Wei n'envisage pas de renoncer à lui. Pour vivre ensemble, ils vont devoir affronter l'administration de l'hôpital et la communauté de Copper Point. Ce faisant, quels autres secrets risquent d'être révélés ? Et que vont découvrir Hong-Wei et Simon sur eux-mêmes ? 

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Veröffentlichungsjahr: 2019

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Table des matières

Résumé

Dédicace

Remerciements

I

II

III

IV

V

VI

VII

VIII

IX

X

XI

XII

XIII

XIV

XV

XVI

XVII

Biographie

Par Heidi Cullinan

Visitez Dreamspinner Press

Droits d'auteur

Les secrets du Docteur Wu

 

Par Heidi Cullinan

Hôpital de Copper Point, livre 1

 

Le nouveau docteur, brillant, renfermé et secret, rencontre un infirmier au grand cœur… et leur couple est de nature à renverser tous les obstacles.

Après un burn-out, le Dr Hong-Wei Wu, Taïwanais naturalisé Américain, s’installe à Copper Point, Wisconsin. La belle carrière qui lui était promise semble avoir sombré avant même de démarrer. Alors qu’il envisage une vie effacée et tranquille, son jeune assistant a sur lui un impact inattendu.

Quant à Simon Lane, il ne s’attendait pas au charme irrésistible de son nouveau patron. Le chirurgien accepte son aide pour emménager et l’en remercie par de délicieux plats taïwanais. Malheureusement, le règlement de l’hôpital Ste Anne interdit les relations entre le personnel, aussi leur amour est-il condamné… à moins que le couple soit prêt à tout risquer.

Simon souffre de cacher leur relation et Hong-Wei n’envisage pas de renoncer à lui. Pour vivre ensemble, ils vont devoir affronter l’administration de l’hôpital et la communauté de Copper Point. Ce faisant, quels autres secrets risquent d’être révélés ?

Et que vont découvrir Hong-Wei et Simon sur eux-mêmes ?

Pour Kwanna Jackson

Remerciements

 

 

AVANT TOUT, merci à Dan Cullinan, qui a supporté mes dix millions de questions concernant la médecine. C’est uniquement grâce à lui que je me suis lancée dans une trilogie médicale.

Merci à Tracy Cheuk et aux commentateurs des forums Formosa qui m’ont gentiment aidée à rendre Hong-Wei plus authentique en me donnant un aperçu de sa vie.

Merci à Anna Cullinan et à ses compétences en cartographie. Grâce à elle, Copper Point semble plus réel et elle m’a aussi empêchée d’envoyer mes personnages dans dix directions différentes.

Merci à Elizabeth North de m’avoir aidée à imaginer Copper Point et d’avoir accepté que Dreamspinner Press publie ce roman.

Merci à mes betalectrices qui m’ont tenu compagnie pendant la rédaction de ce roman, qui ont étudié les premières ébauches et qui m’ont toujours donnée l’énergie et l’amitié dont j’avais besoin pour continuer. Un merci tout particulier à Rosie M, Pamela Bartual, Marie et Sarah Plunkett

Merci à mes lecteurs, aux nouveaux qui viennent de me découvrir et aux anciens qui me suivent depuis dix ans. J’espère vous donner des histoires pendant trois décennies de plus.

I

 

 

LE DR Hong-Wei Wu craqua à peine monté dans l’avion à destination de Duluth.

Pendant la première étape de son vol en provenance de Houston, il s’était distrait en sirotant des boissons et en lisant le journal médical qu’il avait dans son sac. Il avait aussi picoré dans son plateau-repas, tout en levant un sourcil septique devant les nouilles « asiatiques » découvertes sous un blanc de poulet cuit au micro-ondes.

Soudain, il réalisa qu’il devrait dorénavant se passer des talents culinaires de sa sœur et de sa grand-mère, et son cœur se serra. Repoussant résolument son émotion, il se concentra sur un article évoquant les effets de la gabapentine 1 pour atténuer la douleur postopératoire des patients ayant subi une chirurgie de la tête et du cou.

Quand il débarqua à Minneapolis, sa dernière escale, Hong-Wei dut affronter la réalité de son choix et l’avenir qui s’ouvrait devant lui. Affolé, il se précipita dans un bar de l’aéroport et commanda un whisky bien tassé. Bien entendu, il lui faudrait une période d’ajustement, mais il était résolu à réussir dans sa nouvelle vie. Après tout, il avait brillé à Baylor, Texas, alors que risquait-il dans le petit hôpital isolé du Nord Wisconsin ?

Brillé ? Tu parles ! Tu as tellement paniqué que tu as tout laissé tomber – y compris ta famille – pour fuir le plus loin possible.

Il vida son whisky pour chasser cette vérité dérangeante.

Un peu plus tard, en faisant la queue pour embarquer, il était certain d’avoir recouvré son sang-froid.

Puis il entra dans l’avion.

Il y avait moins de vingt rangées. Hong-Wei ouvrit de grands yeux en repérant des hélices sur les ailes. Était-ce même légal ? Avait-il la berlue ? C’était certainement une erreur, ce coucou ne pouvait pas être un avion commercial. Pourtant, l’hôtesse de l’air portait un uniforme au logo de la compagnie aérienne. Et les passagers qui se pressaient derrière Hong-Wei tendaient leurs billets et agissaient comme si la situation était tout à fait normale.

Hong-Wei contourna un couple de personnes âgées et s’adressa au steward :

— Excusez-moi… Monsieur ? Où se trouvent les premières classes ?

Au regard consterné que le jeune homme lui jeta, Hong-Wei comprit qu’il allait recevoir de mauvaises nouvelles.

— Il n’y avait pas suffisamment de passagers, alors, ils ont déclassé l’avion à la dernière minute. Du coup, il n’y a plus de première classe. En principe, vous devriez avoir reçu un remboursement partiel de votre billet. Si ce n’est pas le cas, contactez le service clientèle en arrivant à l’aéroport.

Hong-Wei n’avait pas reçu de remboursement, car ce n’était pas lui qui avait acheté son billet, mais l’hôpital. Il sentit sa mâchoire se crisper et dut faire un effort pour le cacher.

— Ce sont les sièges ?

Jamais il n’en avait vu d’aussi inconfortables. Il savait déjà qu’il aurait du mal à caser ses genoux dans le maigre espace disponible entre sa place et celle devant lui.

— Puis-je au moins m’asseoir devant une porte pour avoir plus d’espace ? s’enquit-il.

Le steward parut encore plus embarrassé.

— Non, je suis désolé, ces places sont déjà réservées. En revanche, je vous offrirai une boisson et des cacahuètes.

Des cacahuètes !

Hong-Wei fixa longuement le siège étroit et évoqua ce qui l’attendait à Ste Anne… des personnes enthousiastes, des bras ouverts. Les murs derrière lesquels il avait tenté de cacher ses doutes et son insécurité s’effondrèrent.

Tu n’aurais jamais dû quitter Houston. Qu’est-ce qui t’a pris ? Fuir en rejetant les sacrifices de ta famille ne te suffisait pas ? Pourquoi avoir accepté ce poste alors que tu avais d’autres propositions, infiniment plus prestigieuses ? Pourquoi partir aussi loin ?

Tu es lamentable. Tu fais honte aux tiens. Auras-tu un jour le courage de les regarder en face ?

— Excusez-moi, monsieur, je voudrais passer, déclara une voix fluette.

Arraché à ses pensées moroses, Hong-Wei constata qu’il bloquait le passage et qu’une petite dame âgée aux cheveux blancs levait sur lui des yeux voilés par la cataracte. Elle était vêtue d’un tailleur-pantalon jaune vif et tenait contre elle un sac à main assorti.

Il s’écarta.

— Pardonnez-moi, madame. J’ai été surpris. Je ne m’attendais pas à trouver un aussi petit avion.

Elle agita la main dans un geste aérien et trottina jusqu’à son siège.

— Oh, c’est toujours ce qu’ils nous collent pour aller à Duluth. Et encore, celui-ci est spacieux par rapport au dernier dans lequel je suis montée.

Hong-Wei réprima un frémissement à l’idée qu’un vol commercial pouvait être encore plus petit.

La vieille dame s’installa près du hublot avec un soupir de satisfaction.

L’avion se remplissait et Hong-Wei, toujours planté au milieu, gênait de plus en plus. Se résignant à son destin, il installa son bagage à main dans le coffre et prit son siège, à côté de la vieille dame. Il grimaça en pliant les genoux de côté. Quand il jeta un coup d’œil à sa voisine, elle lui sourit affablement et lui tendit la main.

— Je suis Grace Albertson. Enchantée de faire votre connaissance.

Il n’avait aucune envie d’entamer la conversation, mais il ne tenait pas à se montrer impoli, surtout envers une personne âgée. Cachant donc sa consternation, il serra la main fanée.

— Jack Wu. Tout le plaisir est pour moi, madame.

Si Mme Albertson avait de l’arthrite, sa poignée de main était étonnamment ferme.

— D’où venez-vous, Jack ?

Hong-Wei lui rendit son sourire.

— De Houston. Et vous ?

Elle agita les mains avant de répondre :

— Oh, j’ai grandi près de St Peter, mais je vis maintenant à Eden Prairie. Je retourne régulièrement à Duluth voir mon arrière-petite-fille. Houston, dites-vous ? Ainsi, vous êtes né ici ? Je veux dire aux États-Unis.

— Non, je suis né à Taïwan. J’avais dix ans quand ma famille est venue s’installer aux États-Unis.

Elle bougea encore ses mains frêles devant elle.

— Vraiment ? Dans ce cas, vous êtes… Oh, je m’y perds un peu, ajouta-t-elle en riant. Seriez-vous un Américain de première génération ou de deuxième ? Bah, c’est sans importance. Ma grand-mère est arrivée en Amérique à dix-huit ans, toute jeune mariée, sans parler un mot d’anglais. Elle a appris, mais aujourd’hui encore, elle s’exprime en norvégien quand elle est en colère. Nous nous sommes toujours demandé si elle disait des gros mots.

Mme Albertson haussa les sourcils en examinant Hong-Wei, puis elle enchaîna :

— Vous parlez parfaitement l’anglais. Vous l’avez appris à l’école, j’imagine ?

— Oui, mais j’avais aussi des professeurs particuliers en primaire. Pour être franc, j’ai eu quelques difficultés à m’adapter.

C’était une litote ! Une chance que sa sœur ne soit pas là. Loin de tenir compte de l’âge de Mme Albertson, Hong-Su aurait sermonné la vieille dame en affirmant qu’il était inconvenant de demander son origine à un Américain d’origine asiatique. Penser à Hong-Su rappela à Hong-Wei qu’il ne rentrerait pas chez lui ce soir et qu’il ne pourrait pas se plaindre d’avoir encore subi une inquisition sur ses origines.

Aurais-je commis une terrible erreur ?

Mme Albertson hocha la tête d’un air docte.

— Eh bien, c’est tout à votre honneur. Personnellement, je ne connais que l’anglais. Quand j’étais enfant, ma mère me conseillait d’apprendre le norvégien pour m’entretenir avec ma grand-mère dans sa langue natale. J’en ai fait un an à l’école secondaire, mais sans grand succès, je le reconnais. J’ai à peine retenu trois ou quatre mots. Pour parler aussi bien, vous devez avoir travaillé dur. Il est impossible de deviner que vous n’êtes pas né ici.

Avant que Hong-Wei puisse trouver une réponse polie, un sac le heurta à la tempe. Le flot des passagers continuait à monter à bord et un quadragénaire en surpoids avançait en ahanant, son sac à bandoulière cognant tous les premiers sièges de chaque rangée. Le cadre ventripotent ne s’en excusait pas. Soit il ne s’était pas rendu compte qu’il avait frappé Hong-Wei à la tête, soit il s’en fichait. Il s’installa devant une issue de secours à la place que Hong-Wei avait convoitée.

Rien que pour ça, Hong-Wei le trouva odieux.

Sa voisine fit un petit bruit de langue désapprobateur.

— Que les gens sont mal élevés ! Il ne vous a pas fait mal, j’espère ? Oh, mon pauvre ! Laissez-moi jeter un coup d’œil à votre tête.

Une vraie mère poule !

Hong-Wei ravala un sourire et leva les mains.

— Merci, mais ne vous inquiétez pas, je n’ai rien. Il faut avouer qu’il n’y a guère de place pour manœuvrer dans ce couloir. Ça ne m’étonne pas que certains passagers récoltent des bosses.

Il était soulagé que la frêle Mme Albertson n’ait pas été atteinte à sa place.

Elle lui tapota la jambe.

— Bien, mais rapprochez-vous de moi, ça vous évitera de recevoir d’autres coups. Je vais vous montrer des photos de mes petits et arrière-petits-enfants. C’est pour les voir que je suis dans cet avion, vous savez.

Incapable de trouver une excuse valide, Hong-Wei se pencha et Grace Albertson commença à faire défiler devant ses yeux les photos enregistrées sur son téléphone. Hong-Wei s’efforça de marmonner des appréciations aux moments voulus.

Il fut sauvé par le steward qui annonça la fermeture des portes et entama les habituelles annonces de sécurité. Sa voix résonnant bruyamment dans le haut-parleur, toute conversation fut impossible pendant plusieurs minutes. Hong-Wei refusa poliment le bonbon que lui proposait Mme Albertson. L’avion roulait déjà sur la piste dans un grand rugissement de moteur. Hong-Wei n’aurait pas pu écouter de la musique, même avec des écouteurs. Il regretta de ne pas en avoir acheté à l’aéroport de Minneapolis ou mieux encore, de n’avoir pas pensé à en emporter dans son bagage à main. Bien entendu, il avait l’option de demander un casque au personnel de bord, mais ces accessoires étaient le plus souvent de piètre qualité, aussi préféra-t-il s’en passer.

Ce n’était qu’un détail supplémentaire prouvant son manque de préparation. Il avait pris sa décision à la hâte, plein de fureur et d’inconscience, et agi sans réfléchir comme Hong-Su le lui reprochait toujours. À Houston, sa seule priorité avait été de changer de vie. Il ne supportait plus le stress, la pression, et il avait été très sûr de lui. Maintenant, avec le bruit du décollage dans les oreilles, alors qu’il affrontait ce dernier vol avant de rencontrer son destin, Hong-Wei n’était plus du tout aussi certain d’avoir pris la bonne décision. Il avait perdu cette confiance qui avait longtemps brûlé si fort en lui, le poussant toujours vers de nouveaux accomplissements.

Médecin, je peux l’être n’importe où, s’était-il dit avec défi en retournant son acceptation, aussi bien être chirurgien à Houston, Texas, qu’à Cleveland, Ohio, ou à Copper Point, Wisconsin. Plus je serai loin du désastre que j’ai provoqué, mieux ce sera.

Mais alors qu’il était coincé dans cet avion, impuissant à revenir en arrière, son défi s’évaporait aussi définitivement que sa confiance en lui.

Mon Dieu, qu’ai-je fait ?

Pris de terreur, il en oublia sa voisine jusqu’à ce que l’avion soit en plein ciel, ses moteurs tournant à un régime moins bruyant. Mme Albertson pressa alors dans sa paume un petit objet qui crissait. Hong-Wei y jeta un regard torve : c’était un bonbon.

Il tourna la tête, la vieille dame lui adressa un clin d’œil.

— C’est de la menthe poivrée. Ça vous calmera. Au pire, ça vous changera les idées. Je crois que vous en avez bien besoin.

Penaud, Hong-Wei n’osa pas refuser une seconde fois.

— Merci.

Elle lui tapota la jambe.

— J’ignore qui vous attend à Duluth, mais je vois bien que vous êtes nerveux. Vous savez, j’ai connu des hauts et des bas dans ma vie, alors, laissez-moi vous dire ce que l’expérience m’a appris : votre situation n’est certainement pas aussi grave que vous l’imaginez. Il est très probable que tout ira bien. Et si ce n’est pas le cas, si ça s’avère pire que vos expectations, quel intérêt avez-vous à vous ronger les sangs à l’avance quand vous ne pouvez rien y faire ? Une fois au pied du mur, vous veillerez à agir au mieux de vos capacités.

La menthe poivrée lui explosa sur la langue et lui monta aux sinus. Il respira un grand coup et froissa l’emballage plastique du bonbon entre ses doigts. À tout autre moment, il n’aurait pas répondu. Mais là, il était piégé dans cet avion et la panique montait en lui, menaçant de l’emporter.

Parler ne pouvait qu’être bénéfique.

— C’est juste… je me demande si j’ai fait le bon choix en venant m’installer ici.

Il serra les dents, certain qu’elle allait réclamer des précisions ou s’interroger sur sa santé mentale, mais elle se contenta de demander :

— Quand vous avez pris votre décision, vous étiez sûr de vous ?

Hong-Wei suça son bonbon en pesant sa réponse.

— Je voulais avant tout changer de lieu de travail. Quant à ma destination, ça a été le hasard, je crois. J’ai bien failli pointer sur une carte en fermant les yeux.

Mme Albertson éclata de rire.

— Eh bien, cela explique pourquoi vous vous sentez si mal à présent. Mais peu importe, vous aviez une raison d’agir comme vous l’avez fait. Pourquoi avoir laissé ce choix au hasard au lieu de prendre une décision circonstanciée ?

Hong-Wei éprouva un bref élan de panique, mais à sa grande surprise, celui-ci fut vite écrasé par la validité de la question. En avalant le bonbon, Hong-Wei avait enfin l’esprit libéré jusqu’à ses moindres recoins.

— Parce que ma destination n’avait aucune importance. Où que j’aille, je savais que ce serait la même chose. J’espérais pourtant… qu’en allant très loin, aussi loin que possible, ce serait peut-être… différent.

Elle sourit.

— Ah, je vois ! Vous êtes idéaliste. Mon défunt mari l’était aussi. Mais comme vous êtes très fier, vous préférez le cacher.

Hong-Wei se frotta la joue.

— Vous parlez comme ma sœur. Elle aussi m’accuse d’être trop fier et trop idéaliste pour réussir dans la vie.

— Vous n’avez pas à avoir honte, le monde a bien besoin d’idéalistes. J’ignore où vous allez, mais je suis certaine que là-bas aussi, ils en auront besoin. C’est courageux de votre part de vous lancer dans l’inconnu, cela ne peut que vous faire du bien. Ne vous inquiétez pas trop. Même si la situation est catastrophique, vous trouverez une solution.

— Mais je ne veux pas de catastrophe ! Je veux réussir, quoi qu’il m’en coûte.

Il évoqua sa famille, ses parents, ses grands-parents et sa sœur… tous l’avaient dévisagé avec inquiétude en apprenant qu’il partait. Je veux devenir quelqu’un dont ils seront être fiers au lieu du raté que je suis aujourd’hui.

— Bien sûr. Personne ne souhaite les problèmes. Ils arrivent pourtant, mais sans toujours être aussi graves que nous le pensons. Dans la vie, il faut savoir prendre des risques. Sinon, on n’avance pas.

D’une main sur la bouche, elle étouffa un bâillement, puis elle ferma les yeux en se blottissant dans son siège.

Laissant la vieille dame somnoler, Hong-Wei fixa le siège devant lui. Les conseils qu’il venait d’entendre tournoyaient dans son crâne. Prendre des risques. Sans réellement le vouloir, il avait appliqué cette philosophie de manière subliminale en acceptant ce poste et en déménageant ici. Le problème était que son cerveau logique avait encore du mal à l’accepter.

Toute sa vie, Hong-Wei n’avait pensé qu’à ses études et à son travail. Il avait toujours été tête de classe, aussi bien à l’école qu’à l’université et pendant ses années de médecine. Il avait brillé durant son internat et reçu des éloges constants. Sa renommée ayant largement dépassé Baylor et ses environs, les hôpitaux s’étaient battus pour l’avoir. On lui proposait les meilleurs stages avant même que ses pairs aient commencé à postuler. Il voyait alors son avenir comme un chemin parfaitement dessiné.

Il n’arrivait toujours pas à expliquer, même à lui-même, comment il avait pu passer des hauteurs élitistes à une ville anonyme qu’on atteignait en avion à hélices.

Ste Anne cherchait un chirurgien et Copper Point était la ville la plus au nord de la carte, loin des hôpitaux connus et des grandes cités, aussi dans l’esprit enfiévré d’Hong-Wei, c’était le refuge idéal. Il ne connaissait rien du Wisconsin. Il pensait avoir lu quelque part que cet État se spécialisait dans le fromage. Peu importait, ce serait pour lui un nouveau départ.

Mais serait-ce réellement différent ? Ce ne serait certainement pas Baylor, mais serait-ce différent dans le bon sens du terme ?

En le traitant d’idéaliste, Grace Albertson avait souri. Sa sœur considérait ce trait chez lui comme un défaut. Hong-Wei attendait de Copper Point – ou plutôt de ses habitants – une sorte de valorisation de lui dans sa globalité, idéalisme compris. Il voulait que tous apprécient le fait qu’il ait choisi cette destination particulière alors qu’il aurait pu aller n’importe où. Peut-être découvrirait-il que la petite ville était bien l’endroit où il pourrait se trouver et s’épanouir. Recevrait-il un signal, une indication quelconque qu’il était compris et accepté ? Cette demande ne lui semblait pas excessive.

Lorsque l’avion atterrit, Mme Albertson se réveilla. Hong-Wei l’aida à rassembler ses affaires, puis l’escorta le long du couloir jusqu’au terminal et au-delà des contrôles de sécurité.

— Vous semblez avoir retrouvé une partie de votre assurance pendant que je dormais, remarqua-t-elle.

Hong-Wei en doutait.

— Disons plutôt que j’ai décidé d’accepter mon destin.

Elle hocha la tête en signe d’approbation.

— Rappelez-vous que les erreurs pimentent la vie. Si à votre arrivée vous tombez sur une situation catastrophique, affrontez-la. Je vous promets une chose : quel que soit ce que vous allez trouver, vous y penserez avec attendrissement quand vous aurez atteint mon âge – à condition que vous vous en approchiez dans le bon état d’esprit.

Ils arrivaient au bout du couloir menant à la zone d’arrivée. Hong-Wei s’inclina devant la vieille dame.

— Merci, Mme Albertson, merci pour vos conseils et votre compagnie. Je ferai de mon mieux pour ne pas oublier vos paroles.

Elle lui serra fermement la main et sourit.

— Bonne chance, jeune homme.

Resté en arrière, Hong-Wei la regarda rejoindre sa famille qui l’attendait. Il assista sans regret ni envie aux retrouvailles et aux embrassades. Ensuite, prêt à affronter la suite de son aventure, il scruta le reste de la foule et chercha le comité d’accueil de Copper Point.

Personne ne semblait l’attendre.

Hong-Wei se figea, troublé et un peu inquiet. Il s’était attendu à un groupe important, la plus grande partie du conseil d’administration de l’hôpital aurait dû se trouver là, souriant et avançant pour le saluer. Ils avaient maintes fois mentionné combien tous étaient impatients de le voir et avaient assuré qu’une délégation viendrait le chercher à Duluth. Ils connaissaient sa photo et Hong-Wei savait qu’il n’était pas difficile à identifier. D’ailleurs, il n’avait vu que trois ou quatre autres Asiatiques dans tout l’aéroport. Et la zone d’arrivée n’était pas bien grande. Rien d’étonnant dans un aéroport aussi minuscule.

Que se passait-il ?

Ses appréhensions lui revinrent, annihilant le calme que Mme Albertson avait su lui procurer.

Je n’ai même pas encore commencé et c’est déjà un échec.

Il le vit à ce moment-là, le « signe » qu’il avait demandé. En fait, c’était un panneau portant son nom – DOCTOR WU – sur deux lignes. La première était en anglais, en caractères d’imprimerie. En dessous s’affichait le mot mandarin pour médecin en hànzi 2, suivi de Wu, également en caractères chinois. Sauf que ce n’était pas le bon mot et que le caractère pour « Wu » n’était pas celui qu’utilisait la famille de Hong-Wei. L’ordre était également incorrect, puisque médecin était avant Wu. En mandarin, il convenait d’écrire « Wu Dr » au lieu de « Dr Wu ».

Pourtant, Hong-Wei avait espéré un signe et ce panonceau était la réponse à son vœu.

L’homme qui tenait le panneau semblait être seul. Il était jeune, quelques années de moins qu’Hong-Wei et paraissait nerveux. Malgré son air hagard, il était attirant, ce que Hong-Wei ne put manquer de remarquer. Adorable aurait aussi été une bonne façon de décrire ce jeune homme, cheveux châtains, regard vif, barbe au menton et tee-shirt moulant des muscles solides…

Quand les yeux noisette rencontrèrent ceux de Hong-Wei, une sorte d’électricité crépita dans l’air.

Non ! Bon sang, non.

Hong-Wei érigea ses barrières aussi vite que possible. S’il avait prévu d’avoir une vie sociale, il n’avait pas le temps de nouer une relation ni même une simple aventure, et surtout pas avec un membre de son hôpital.

Mais ces yeux ! En plus, l’inconnu lui avait écrit un message en caractères chinois. L’écriture était incorrecte et maladroite, mais l’intention était bonne. Dans le sourire incertain du jeune homme, Hong-Wei devina de l’espoir. Sans doute cet accueil avait-il été son idée.

Hong-Wei crispa les doigts sur la sangle de son sac et avança d’un pas assuré. La situation était catastrophique, mais il comptait bien l’affronter.

 

 

PERSONNE N’AVAIT prévenu Simon que le nouveau médecin était aussi beau !

Il n’avait pas été enthousiaste à l’idée de se taper une heure et demie de route pour aller chercher le nouveau chirurgien à l’aéroport de Duluth, surtout que cette demande de dernière minute lui tombait dessus après une longue journée. Ça faisait maintenant une semaine qu’il travaillait aux heures les plus bizarres et c’était à lui qu’on demandait de faire le taxi ? Ce médecin, tout le monde en parlait, comme si sa venue était une chance pour Ste Anne. Malheureusement, Simon n’avait pas pu refuser une « demande » qui émanait d’Erin Andreas. Le nouveau directeur des ressources humaines était aussi le fils de président du conseil d’administration de l’hôpital.

— Vous êtes l’infirmier du service de chirurgie, n’est-ce pas ? Eh bien, accueillir notre nouveau chirurgien me semble votre rôle, avait remarqué le DRH avec un mince sourire d’excuse. J’avais prévu de me déplacer en personne accompagné de plusieurs médecins, mais tous sont occupés en ce moment et moi, j’ai une crise d’ordre interne à régler. C’est donc à vous que revient cette tâche.

Sans attendre l’accord de Simon, Andreas avait enchaîné en lui donnant le lieu et l’heure du rendez-vous avec le Dr Wu. Il avait également éprouvé le besoin de rappeler une fois encore ce qu’Owen appelait Le Foutu Édit : le nouveau règlement – assorti de menaces de représailles – interdisant les relations intimes entre les membres du personnel de l’hôpital. Simon ne comprit pas trop si Andreas parlait pour lui ou pensait au nouveau docteur

Tandis que son pouls s’accélérait à la vue du chirurgien, Simon s’accrocha à son panneau de bienvenue écrit à la hâte. Il décida que finalement, c’était bien lui que visait Le Foutu Édit. Le Dr Wu ressemblait à un acteur de cinéma asiatique ! En fait, il était le sosie d’Aaron Yan, une des cinq stars préférées de Simon sur le site DramaFever.

Le Dr Wu était aussi très grand. Simon était de taille normale, mais par rapport au chirurgien, il se sentait petit.

Le nouveau docteur était grand et beau, doté de traits ciselés, avec des cheveux courts et très noirs, mais naturels. La coupe était élégante et hérissée. Les yeux sombres scannèrent le terminal de l’aéroport avec acuité, puis se fixèrent sur Simon. La mâchoire était ferme, les pommettes sublimes.

Je vais travailler à ses côtés tous les jours. Lui tendre ses instruments. Suivre ses instructions. Si son odeur est à la hauteur de son apparence, je risque de tomber dans les pommes avant même l’arrivée du premier patient.

Mentalement, Simon se gifla pour se remettre les idées en place, puis il se redressa et sourit. Il brandit son panneau en regardant l’homme approcher.

— Dr Wu ? Bonjour et bienvenue. Je suis Simon Lane, infirmier en chirurgie du centre médical Ste Anne. Enchanté de faire votre connaissance.

Le Dr Wu accepta la main que Simon lui tendait, mais il regarda autour de lui comme s’il cherchait quelque chose.

Quand Simon comprit ce que c’était, il baissa les yeux, les joues brûlantes.

— Je… je suis désolé, mais je suis venu seul. L’hôpital est assez petit, comme vous le savez, et les autres médecins qui devaient venir vous accueillir ont tous été appelés en urgence. J’espère que vous n’êtes pas vexé.

Sans croiser son regard, Wu se racla la gorge.

— Non, Bien sûr que non.

Simon était sûr que Wu mentait : il était vexé, au moins un peu, ce qui le chagrina. D’un autre côté, il comprenait la réaction de l’illustre chirurgien. Il trouvait très inélégant que l’administration ait choisi un innocent infirmier comme bouc émissaire pour écoper les conséquences d’une erreur de protocole qui n’était pas de son ressort.

Mais ce n’était pas le bon moment de s’apitoyer sur son sort ou de baver sur la beauté de cet homme. Le Dr Wu avait fait un long voyage et méritait un peu de professionnalisme. Simon esquissa un sourire forcé et désigna la direction des tapis roulants.

— Allons récupérer vos bagages, d’accord ?

Les dents serrées, Wu ajusta son sac à bandoulière et acquiesça.

— Je vous suis.

Ce fut en silence qu’ils se dirigèrent vers la zone de récupération des bagages, où les autres passagers du vol de Minneapolis étaient déjà rassemblés. Une dame âgée vêtue de jaune et entourée de sa famille, enfants et adultes, agita la main quand le Dr Wu passa devant elle. Il lui rendit son salut, ce qui poussa Simon à se demander si la vieille dame était une connaissance du chirurgien. Il faillit poser la question, puis se ravisa, considérant que c’était stupide. Mieux valait se concentrer sur son rôle. Professionnel. Montre-toi professionnel.

— D’après l’écran d’affichage, vos valises devraient arriver sur le tapis numéro 2, annonça-t-il.

Le Dr Wu lui jeta un coup d’œil, puis haussa les sourcils avec dédain.

— Il n’y a que deux tapis et ils sont côte à côte.

Simon acquiesça.

— Vous avez raison, je n’avais pas fait attention. Pour être franc, c’est le seul aéroport que je connaisse. En fait, je n’ai pris l’avion que deux fois.

À peine les mots échappés de sa bouche, Simon les regretta. Il se frotta la joue.

— Excusez-moi, vous allez considérer que votre comité d’accueil est encore pire que prévu. Je ne connais rien au reste du monde, mais concernant Copper Point, je suis un expert.

Tais-toi, Lane, par pitié ! Ce malheureux toubib va penser qu’ils lui ont envoyé l’idiot du village. Malgré son pessimisme, il remarqua que le sourire du Dr Wu, cette fois-ci, était authentique.

C’était un sourire magnifique ! Si Simon recevait trop souvent de ces sourires éblouissants, sans doute aurait-il vite besoin d’un cardiologue.

Le tapis à bagages ne bougeait toujours pas. Pour ne pas laisser le silence retomber, Simon entama la conversation sur les sujets qui, d’après lui, étaient susceptibles d’intéresser le Dr Wu.

— Le DRH m’a demandé de vous inviter au restaurant avant de rentrer à Copper Point, mais si vous êtes fatigué, nous pouvons sauter cette étape. D’après ce que j’en sais, votre appartement a déjà des provisions de base. Si vous avez besoin d’autre chose, nous pouvons nous arrêter en chemin.

Il s’interrompit, se mordit la lèvre et jeta un coup d’œil gêné au Dr Wu.

— Hum, reprit-il, je dois vous avertir qu’à Copper Point, le choix est limité question épicerie. Nous avons de quoi manger, évidemment, mais la population, restreinte et homogène, aime la nourriture basique, aussi pour des produits spécifiques faut-il aller jusqu’à Duluth ou commander en ligne. Un fin gourmet de mes amis s’en plaint toujours. C’est pourquoi je vous proposais un arrêt. Rien d’obligatoire, bien sûr, c’est juste… euh…

Merde, maintenant, il bredouillait. Et les bagages n’arrivaient pas, et le chirurgien ne disait rien. Simon lui jeta un regard à la dérobée et constata qu’il sourirait toujours. Plus encore, en fait.

Simon ravala un gémissement et serra les poings. Quand il reprit la parole, ce fut d’une voix un peu brisée :

— C’est agréable d’avoir une nouvelle tête en ville, vous savez, et l’hôpital a vraiment besoin d’un chirurgien. Un chirurgien attitré, quoi. Excusez-moi, je parle toujours trop quand je suis nerveux !

Ses joues étaient écarlates, il le sentait bien, et une rougeur chaude descendait jusque dans son cou.

— Et c’est moi qui vous rends nerveux ? J’en suis navré.

Sa voix chaude et douce comme du velours recouvrit Simon.

Effectivement, le Dr Wu le rendait nerveux, mais Simon ne voulait pas le révéler. Après tout, c’était son nouveau supérieur. Pas question de lui laisser deviner la vraie nature de sa… nervosité.

— Non, je… euh, ce n’est pas vous. Pas vraiment. C’est juste… je regrette d’être un comité de réception aussi piètre. Vous méritiez mieux. Je suis certain que l’hôpital se rattrapera dès votre arrivée.

— Ne vous sous-estimez pas, je vous remercie d’être venu à ma rencontre.

Il paraissait sincère et si gentil que Simon ne pouvait plus respirer. Son visage et son cou devaient être rouges comme une betterave.

Le tapis se mit enfin en route, déversant les premières valises. Le Dr Wu s’éloigna pour récupérer ses bagages. En revenant, il demanda :

— Vous parliez de dîner ici. Auriez-vous un restaurant particulier en tête ?

Rendu maladroit par l’émotion, Simon sortit son téléphone de sa poche et fit défiler la liste qu’Andreas lui avait remise.

— Il y a un italien avec de bonnes critiques. Oh, c’est dans la mauvaise direction !

Comme la plupart des noms de sa liste, remarqua-t-il. Il était peu probable qu’il rentre chez lui avant minuit. Il cacha sa consternation et énuméra les autres choix :

— Ou alors le Restaurant 301, « cuisine américaine classique avec spécialités locales ». Je ne sais pas trop ce que ça signifie, mais si ça vous tente, je peux regarder le menu. Encore un italien. Waouh ! Il y en a cinq en tout, annonça-t-il, les yeux sur son écran. La Taverne propose de la pizza grecque au feu de bois. De la pizza grecque ? Ça paraît bizarre ! C’est sans doute destiné à attirer les touristes punks !

Les sourcils froncés de perplexité, il se tourna vers le Dr Wu, qui avait baissé la tête. Quand il se redressa, il réprimait un rire. Simon voulut s’excuser d’avoir proféré une ineptie pareille, mais le chirurgien prit la parole :

— En toute franchise, je préférerais un hamburger accompagné d’une bière dans un petit restaurant sans prétention.

Oubliant la liste établie par Andreas, Simon ouvrit sur son téléphone l’application Yelp, tapa « burger » et étudia les propositions. Dès la première, il sut où il allait emmener le Dr Wu.

— Que diriez-vous de Clyde Iron Works ? C’est décontracté et on y mange très bien. Ils ont aussi un excellent choix de bières locales. Je n’en prendrai pas, bien entendu, puisque je conduis.

— Parfait.

Simon prit la poignée de la plus grosse des deux valises.

— Laissez-moi vous aider. Vous avez votre bagage à main et l’autre valise.

Après une brève hésitation, le Dr Wu hocha la tête.

— Merci.

Comme Simon l’avait craint, son coffre n’était pas assez grand pour recevoir tous les bagages du chirurgien, il dut poser une des valises sur la banquette arrière.

Une fois encore, il s’empourpra.

— Désolé, nous sommes à l’étroit. Je comptais emprunter la voiture d’un ami, beaucoup plus spacieuse, mais elle est actuellement en révision.

Il ouvrit sa vitre, paya son ticket, puis quitta le parking de l’aéroport.

— Aucun problème.

À ce stade, Simon n’aurait su dire si Wu se montrait juste poli ou s’il était sincère. Troublé, il se remit à trop parler :

— Mon ami s’appelle Owen, nous nous connaissons depuis le primaire. Vous le rencontrerez vite : c’est anesthésiste à Ste Anne. Il faisait partie du groupe censé vous accueillir, avec Kathryn, une autre de mes amis, interne en gynéco-ob. Malheureusement, ses patientes ont toutes décidé d’avoir leur bébé aujourd’hui.

Wu regardait par la vitre, observant le paysage qui défilait.

— Vous disiez bien connaître Copper Point. Vous êtes installé là-bas depuis longtemps ?

Simon éclata de rire.

— J’y ai passé ma vie et peut-être aussi la précédente. Je suis de ceux dont les arrière-arrière-grands-parents vivaient déjà en ville. Quand j’avais quatre ans, Copper Point a fêté son cent-cinquantième anniversaire et j’ai défilé sur un char avec les autres descendants des familles fondatrices.

En y réfléchissant, Erin Andreas, qui avait quelques années de plus, avait dû y être aussi.

— Parlez-moi de Copper Point. J’ai regardé sur internet, bien sûr, mais ce n’est pas la même chose.

— Eh bien, la ville est bâtie sur la baie qui alimente le lac Supérieur, c’était un des premiers bastions des Territoires du Nord-Ouest. Auparavant, l’endroit traitait déjà des fourrures. Les premiers colons sont venus d’Europe pour exploiter les mines. Je crois…

Simon se mordit la lèvre.

— En fait, reconnut-il, je ne connais pas si bien que ça le passé de Copper Point. Je peux cependant vous dire que nous avons une mine de grès – autrefois, c’était du cuivre, mais maintenant, c’est du grès –, quelques magasins sympas et une petite université, Bayview, qui se spécialise dans les arts libéraux. Il y a plus de restaurants sur le campus qu’au centre-ville ! Nous sommes loin de tout, vous savez, aussi nos commerces s’en sortent pas trop mal, même avec la concurrence des grandes surfaces. Copper Point est une ville assez petite pour que tout le monde se connaisse. Parfois, c’est un peu pénible.

Il jeta un coup d’œil au Dr Wu et enchaîna :

— Et vous venez de Houston, hein ? J’ai regardé sur internet pendant que j’attendais à l’aéroport. Waouh, c’est gigantesque ! Avez-vous grandi là-bas ou ailleurs au Texas et déménagé à Houston pour entrer à l’université ? Ils n’ont pas raconté grand-chose vous concernant. Je sais juste que vous êtes né à Taïwan et que vous fait votre internat à Baylor.

Simon posa la main sur le panonceau posé entre eux et décida que c’était le bon moment de s’en excuser :

— C’est moi qui ai eu l’idée d’écrire votre nom en mandarin. J’espère que je n’ai pas abusé. J’avais mal compris, j’ai cru que vous veniez d’arriver de Taïwan. Je suis désolé.

Le Dr Wu jeta un coup d’œil à la pancarte et sourit gentiment.

— Ne vous excusez pas, j’ai aimé votre panneau. Merci, c’était une charmante attention. J’ai vécu jusqu’à mes dix ans à Taipei, puis ma famille a déménagé à Houston. Par chance, l’université que je visais s’y trouvait aussi. C’est au moment de mon internat que j’ai été contacté par Baylor.

— Vous êtes arrivé aux États-Unis à dix ans ? C’est tard ! Étonnant que vous n’ayez aucun accent !

— Ma sœur en a un léger, parfois, mais nous avons fait de gros efforts pour apprendre l’anglais et parler comme de vrais Américains. Nous tenions à nous intégrer.

Le Dr Wu secoua la tête, l’air pensif, et enchaîna :

— Pour travailler nos accents, nous passions notre temps libre à regarder des films. Elle trouvait les scripts pour que nous les lisions en même temps que nous écoutions.

Simon n’avait pas eu l’intention de révéler ses secrets, mais la route qui se déroulait devant lui l’hypnotisait, tout comme la voix basse et douce du Dr Wu. Il s’entendit dire :

— J’aimerais faire la même chose avec le coréen ou le chinois. Je suis abonné au site DramaFever et j’adore les émissions asiatiques. Pourtant, je n’ai appris que quelques mots – je suis désolé, merci et je vous aime. Et encore, pour le dernier, je ne suis pas certain.

Après cet aveu, un silence embarrassant régna dans l’habitacle. Simon se crispa intérieurement.

Au bout d’un long moment, le Dr Wu demanda :

— Vous… regardez la télévision asiatique ?

Simon acquiesça, prêt à assumer ses paroles. Il n’avait pas à avoir honte, après tout.

— Oui, surtout les films romantiques. Ce sont mes préférés. Un jour, par hasard, j’en ai trouvé un sur Netflix et j’ai adoré. Du coup, Netflix m’en a proposé d’autres et comme Alice, je suis tombé dans le trou du lapin. Par la suite, j’ai découvert DramaFever, un réseau entièrement dédié aux feuilletons asiatiques et à partir de là… j’étais cuit. Maintenant, je regarde les nouveaux épisodes au fur et à mesure qu’ils sortent, mais j’ai aussi fouillé le catalogue pour visionner les anciens.

Il résista à l’envie de s’excuser et enchaîna :

— À mon avis, les émissions asiatiques sont bien meilleures que la plupart des reportages télévisés américains. Ça me fait rêver… j’aimerais voyager.

— Et pourquoi ne le feriez-vous pas ?

Simon haussa les épaules et força un sourire :

— Je n’en ai pas l’occasion. En vérité, ajouta-t-il décidant d’être franc, j’ai un peu peur. Plus jeune, je voulais visiter le monde, mais plus je prends de l’âge, plus cela me semble impossible. Oh, j’en ai toujours envie, mais pas tout seul, alors… Vous, en tout cas, vous n’avez peur de rien, Dr Wu. J’ai hâte de travailler avec vous !

Sans répondre, Wu se contenta de regarder par la vitre, le visage indéchiffrable. Craignant d’avoir été trop expansif, Simon s’apprêtait à s’en excuser quand il remarqua la main du chirurgien crispée sur le bord du carton, s’y accrochant comme à une ancre.

Ainsi, même s’il parlait trop et disait parfois des bêtises, il avait tapé dans le mille avec ce panneau. C’était toujours ça.

 

 

HONG-WEI SOURIAIT. Le restaurant était décoré de façon originale dans un style « industriel urbain ». Le menu des plus prometteurs proposait des hamburgers sous toutes les formes, des pâtes et, comme promis, une vaste sélection de bières locales.

Hong-Wei en commanda deux différentes et un cheeseburger au bacon, accompagné d’oignons frits.

Lane, qui avait opté pour une salade au saumon fumé, cligna des yeux surpris en regardant Hong-Wei croquer ses beignets et vider sa chope.

— Ainsi, docteur, vous n’êtes pas un adepte de la nourriture diététique ?

Hong-Wei haussa les épaules, s’essuya la bouche avec une serviette en papier et débarrassa ses doigts des miettes de panure.

— Ma mère et ma grand-mère surveillent constamment mon régime, aussi ai-je tendance à me lâcher dès que j’échappe à leur influence.

À travers la table, il poussa son assiette d’oignons frits en direction de Lane.

— Goutez-y, ajouta-t-il. Ils sont excellents.

Lane leva une main et secoua la tête, le regard brûlant de curiosité. Hong-Wei continua à manger et à siroter sa bière. Il restait un peu troublé par la déclaration du jeune homme dans la voiture, comme quoi il n’avait « peur de rien ». Il sentait son stress revenir. Pas étonnant d’ailleurs, puisque plus sa nouvelle vie approchait, plus il était terrifié. Pour contrer ses angoisses, junk food et alcool semblaient la meilleure solution.

Entendre parler Lane l’amusait et le distrayait, aussi chercha-t-il à relancer la conversation :

— Vous m’avez donné un aperçu de Copper Point. Parlez-moi maintenant de l’hôpital. J’avais un emploi du temps si serré à Houston que je n’ai pas eu l’occasion de venir dans le Wisconsin pour une visite en bonne et due forme.

Comme il l’avait espéré, Lane se détendit et parla volontiers :

— Ste Anne est un petit hôpital destiné aux urgences, ce que vous devez déjà savoir. Vous n’avez connu que des grands hôpitaux, alors, j’ai un truc important à vous dire : voilà, les petits hôpitaux ont une ambiance tout à fait différente. Juste après l’obtention de mon diplôme d’infirmier, j’ai d’abord travaillé dans un grand hôpital, aussi je vous en parle d’expérience. À Ste Anne, nous n’avons pas de bâtiments de plusieurs étages avec des départements spécifiques et séparés les uns des autres, nous sommes tous agglutinés. Il n’y a qu’un bureau pour les infirmiers et infirmières, une seule salle de repos pour les médecins, un seul ascenseur – si je ne compte pas celui qui dessert la buanderie. Sur le papier, nous avons cent lits, mais à cause du règlement assez strict qui gère les « urgences », seuls soixante-quinze pour cent sont utilisés. En principe, chaque membre du personnel a un rôle spécifique, mais dans la pratique, tout le monde met la main à la pâte en intervenant dans un service ou l’autre. Moi par exemple, je suis infirmier en chirurgie, mais je travaille souvent dans d’autres services quand un médecin a besoin de moi. Et c’est pareil pour chaque spécialiste.

Quand Hong-Wei avait passé son entretien d’embauche avec l’administration de l’hôpital, ces spécificités n’avaient pas été évoquées. Il y réfléchit en terminant sa première bière. Au fond, il n’était pas surpris. Il se demanda quels autres renseignements intéressants il pourrait soutirer à Lane.

— Et sinon, comment ça se passe entre les médecins ? L’ambiance est-elle bonne ou se montrent-ils compétitifs entre eux ?

Lane lui jeta un regard perplexe.

— Compétitifs ? Je ne vois pas ce que vous voulez dire. Pour ce qui est de l’ambiance… les gens s’entendent bien en général, mais il y a des exceptions. Mon ami Owen – le Dr Gagnon – a la réputation d’être difficile. Personnellement, je ne trouve pas. Les infirmières bavardent beaucoup, mais les ragots, ce n’est pas mon truc. D’un autre côté, c’est humain et ça ne changera jamais, soupira-t-il. Le conseil d’administration est un peu… effrayant. Les membres sont tous vieux, ce qui n’est pas un défaut en soi, mais ils se la jouent club exclusif et fermé. Nick Beckert, le directeur de l’hôpital, est un homme solide, je le connais depuis longtemps – à l’école secondaire, c’était un ami de Jared, un de mes colocataires. Je suis moins fan de notre nouveau DRH, Erin Andreas, le fils du président du conseil. Il me rend nerveux. Vous connaissez Roz, celle qui joue dans Comment se débarrasser de son patron?

C’était l’un des films sur lesquels Hong-Wei et Hong-Su avaient travaillé pour améliorer leur anglais.

— Je la connais, oui.

— Eh bien, Andreas me fait parfois penser à elle. J’ai l’impression que tout ce que je lui dis sera répété au conseil et inscrit sur mon dossier.

Lane jouait avec sa paille, il la fit d’abord tourner entre ses doigts, puis la suçota, le regard détourné. Il semblait plongé dans ses pensées.

Hong-Wei se figea, un beignet d’oignon à la main, les yeux rivés sur les lèvres pleines contractées sur la paille.

Ça suffit ! se réprimanda-t-il. C’est un infirmier. Ton infirmier.

Il échappa à sa fascination quand Lane carra les épaules, une détermination nouvelle s’affichant sur son visage.

— Je vais vous révéler quelque chose… De toute façon, vous l’apprendrez bien assez vite. Voilà, nous avons eu pas mal de scandales récemment à Ste Anne. D’abord, le directeur général que Nick Beckert a remplacé a été renvoyé pour détournement de fonds. Les remous n’étaient pas encore calmés qu’un de nos médecins mariés fut surpris en fâcheuse position avec son infirmière. C’est digne d’une émission de télé-réalité, non ? Malheureusement, les journaux commençaient à en parler, ça passait le soir au journal télé et ça a été assez pénible. Avant, le conseil était très laxiste, sauf pour les dépenses, mais depuis, il a serré les boulons. Du coup, nous avons un nouveau directeur et un nouveau DRH. Andreas est vraiment très strict. Faites attention à lui, indiqua Lane qui pointa sa fourchette vers Hong-Wei. Ne vous laissez pas berner par sa petite taille et sa voix douce, il est du genre à sourire en vous arrachant la tête. Il est arrivé le mois dernier et il y a déjà eu quatre licenciements.

C’était une information intéressante. Hong-Wei la digéra en entamant sa seconde bière.

— Des médecins ?

Lane éclata d’un rire dont l’amertume avait de quoi surprendre.

— Vous plaisantez ? Bien sûr que non ! Aux yeux d’Andreas, un médecin n’a jamais tort.

Sans doute se souvint-il que son interlocuteur était médecin, car il s’empourpra, détourna le regard et s’éclaircit la gorge.

— Hum, reprit-il, je veux dire, l’hôpital donne toujours le bénéfice du doute à un médecin.

Hong-Wei croqua dans son burger, le temps de peser sa réponse.

— Ce sera un changement intéressant, alors, dit-il enfin. Jusqu’à ce jour, j’étais interne en chirurgie et j’ai toujours été tenu responsable de tout ce qui se passait dans mon service, même si je dormais chez moi à ce moment-là.

— Ce ne sera pas le cas à Ste Anne. J’ai cru que les choses s’amélioreraient avec le nouveau système des enregistrements électroniques – après tout, les médecins ne pourraient plus nous reprocher de ne pas comprendre leur gribouillis incompréhensible, ou le pharmacien ne serait plus à même de nous engueuler quand il se trompait sur une prescription –, mais ça n’a fait que déplacer le problème. Maintenant, en cas d’erreur sur une ordonnance, le pharmacien affirme que la dose risque de tuer le patient, alors, il appelle l’hôpital et demande à parler au praticien… et nous nous faisons engueuler qu’il ait été dérangé.

Détendu par la bière qu’il venait d’ingurgiter, Hong-Wei ne retint pas son rire. Refusant d’écouter la voix intérieure qui l’avertissait du danger, il prit aussi le temps d’admirer la façon dont la lumière tamisée du restaurant soulignait la largeur agréable des épaules de Lane et jetait des reflets dorés sur ses cheveux bruns.

— J’ai aussi vécu cette expérience étant interne. Plutôt que la transmettre à mes infirmiers, je me suis efforcé de devenir un chirurgien compétent.

Oh, que Lane avait un beau sourire !

— Vous êtes exceptionnel, à ce qu’il paraît. Je ne suis pas dans le secret des dieux, mais j’ai surpris des bribes de conversations entre les autres médecins et les administrateurs. Auriez-vous des compétences particulières ? Je n’ai pas tout compris, mais je sais quand même que Ste Anne a beaucoup de chance de vous avoir.

Hong-Wei garda son verre contre ses lèvres plus longtemps que nécessaire, le temps de réfléchir à ce qu’il allait dire. Lors de son entretien d’embauche, il n’avait pas révélé toute la vérité aux représentants de Ste Anne. L’auraient-ils découverte par la suite ? En principe, c’était sans importance. Pourtant, il se sentait mal à l’aise. Son but en déménageant ici était de prendre du recul et d’exercer en tant que chirurgien généraliste.

Il se racla la gorge et posa son verre.

— J’ai eu beaucoup d’options après mon internat, c’est exact. Si j’ai choisi Ste Anne, c’est parce que je voulais une expérience hospitalière plus… intime. Et sans complications.

Lane lui adressa un sourire un peu timide, incroyablement attachant.

— Sans complications ? Je ne sais pas si ce sera le cas. En revanche, question intimité, vous serez servi. Vous risquez même de trouver étouffant d’avoir tout le monde sur le dos, moi y compris, j’en ai peur. Il y a quelques infirmiers compétents à Ste Anne, mais je suis le seul à avoir une spécialisation en chirurgie – et vous serez notre seul chirurgien. Nous nous verrons beaucoup, Dr Wu.

— Appelez-moi Jack.

Lane leva haut les sourcils.

— Oh, c’est votre prénom ? Je ne m’y attendais pas. J’ignorais que les Taïwanais avaient des noms occidentaux.

Hong-Wei avait atteint le point non-retour. Était-ce dû à l’alcool – ces bières locales s’avéraient traîtresses ! – ou au sourire de Lane et ses yeux affectueux ?

— Non, Jack est le nom que j’utilise en dehors de ma famille. Les Américains ont des difficultés à prononcer les noms asiatiques.

— J’utiliserai Jack si vous préférez, mais j’aimerais connaître votre vrai prénom. Je suis curieux de savoir qui vous êtes réellement.

Qui vous êtes réellement. Les deux à la fois, Jack et Hong-Wei. Incapable de résister au charme du jeune infirmier, il s’agita dans son siège et répondit :

— Wu Hong-Wei.

Pourquoi avoir donné son nom à la taïwanaise, avec un ordre inversé par rapport à l’occidentale ? Quelle stupidité !

Vous êtes idéaliste. En y repensant, Hong-Wei reconnut que Grace Albertson ne s’était pas trompée. Sans doute était-il également romantique.

— Wu Hong-Wei, répéta Lane.

Hong-Wei frissonna et se tétanisa. La prononciation était maladroite, pire encore que d’ordinaire parce que Simon avait manifestement essayé d’imiter son accent.

Depuis l’aéroport, Hong-Wei sentait chez Simon Lane un intense désir de connexion. Ça se voyait à son regard intense. En le dévisageant, Hong-Wei comprit une vérité que le jeune infirmier tenait sans doute à lui cacher : Simon avait fait ce long trajet pour le récupérer en partie parce qu’on le lui avait ordonné, en partie parce qu’il était serviable, mais surtout parce qu’il était très seul.

Hong-Wei n’eut pas le temps de s’endurcir. Déjà, les murs qu’il avait érigés s’effondraient, réduits en poussière. Il absorba une longue gorgée de bière.

— Si tu veux, Simon, tu peux m’appeler Hong-Wei.

Simon lui adressa un grand sourire qui fit bouger ses oreilles et briller ses yeux noisette. Ébloui par ce sourire lumineux, Hong-Wei ne parvenait plus à se souvenir pourquoi flirter avec son infirmier était une très mauvaise idée. Il pressentait que plus il tenterait de résister, plus il serait condamné à sombrer.

Il était venu à Copper Point chercher l’aventure, mais pas sous cette forme.

Pourtant, son instinct lui disait que ce qui l’attendait au bout de sa route, c’était Simon.

1 Antiépileptique, antalgique et anxiolytique.

2 Caractères chinois.

II

 

 

WU HONG-WEI.

Le nom résonna dans sa tête alors que Simon rentrait chez lui après avoir laissé le nouveau chirurgien à son appartement. Wu Hong-Wei. Toute la nuit, Hong-Wei s’était exprimé dans un anglais parfait, mais quand il avait prononcé son nom taïwanais en mandarin, Simon avait frissonné de façon ridicule.

Il n’aurait pas dû, se sermonna-t-il. D’abord, le Dr Wu – Hong-Wei – était plus ou moins son patron, mais il y avait aussi Le Foutu Édit à ne pas oublier. Pourtant, en se garant devant chez lui, Simon flottait sur un nuage de béatitude. Après avoir remonté son allée d’accès en se disant de ne pas fantasmer, il décida finalement de s’accorder un répit, au moins ce soir.

Bien entendu, il lui faudrait cacher son émotion à ses deux colocataires, Owen Gagnon et Jared Kumpel, des amis de longue date qui tous deux étaient médecins à l’hôpital. Et qui avaient la réputation d’adorer les commérages !

La maison était éclairée. Jared était dans la cuisine, occupé à faire la vaisselle. Owen était vautré dans un fauteuil rembourré, un pied sur le sol, l’autre sur le canapé, avec son ordinateur portable sur les genoux. En entendant Simon entrer, il leva les yeux et le fixa par-dessus la monture de ses lunettes.

Il éteignit son ordinateur et se leva.

— Le retour de l’enfant prodigue ! Alors, que penses-tu de notre nouveau chirurgien ?

Jared s’essuya les mains sur une serviette et, d’un signe, appela Simon dans la cuisine.

— Viens d’abord dîner. Je t’ai gardé une assiette au four.

— Oh, désolé, j’ai déjà mangé à Duluth. Le Dr Wu avait faim, nous sommes allés au restaurant.

Il ôta ses chaussures et suspendit sa veste, déterminé à cacher son embarras. Au moindre signe de faiblesse, ses deux amis l’interrogeraient sans pitié.

Owen se frotta les mains.

— Excellent. Tu en as donc appris davantage à son sujet. Viens ici, raconte-nous tout ! Est-il un arrogant prétentieux ? S’est-il montré odieux envers toi ? D’un chirurgien, je m’attends au pire !

Jared sortit du four le plat qu’il avait gardé pour Simon et en transvasa le contenu dans un Tupperware.

— Tu exagères, Owen. J’ai connu quelques chirurgiens sympas.

— Vu la définition que tu as du terme « sympa », ton avis ne compte pas. D’ailleurs, tu es un prétentieux arrogant.

Puis il se tourna vers Simon et agita la main avec impatience.

— Allez, parle ! Comment est-il ?

Simon s’assit au coin du canapé et tira sur ses jambes son plaid afghan préféré. Comment décrire Hong-Wei sans paraître ridicule ?

— Il est assez réservé, mais il s’est vite détendu quand nous avons commencé à discuter.

En vérité, Hong-Wei était plus distant que réservé. Et jamais Simon n’avait pensé avant ce jour à trouver ce trait de caractère attirant. Il fouilla sa mémoire pour trouver d’autres informations susceptibles de satisfaire la curiosité d’Owen.

— Il a refusé un restaurant chic, reprit-il, il a préféré un pub. Il a une sœur et il vient de terminer son internat.

Et il m’a donné son vrai nom.

Un verre et une serviette à la main, Jared lui jeta un coup d’œil.

— Je n’ai toujours pas compris pourquoi un chirurgien choisit de quitter Baylor St Luke pour s’enterrer à Copper Point. Soit il est nul, soit il est fou.

Owen s’accouda à son siège, le visage dans la main.

— Oh, il n’est certainement pas nul ! Sinon, Beckert ne serait pas autant vanté d’avoir réussi à l’attirer ici.

Jared ricana.

— Tu parles ! Il a juste vu Baylor sur le CV et ça l’a totalement aveuglé.

Simon évoqua Hong-Wei à l’aéroport, si calme et confiant, il le revit aussi au restaurant, agitant les mains avec des mouvements gracieux et sûrs.

— Je doute fort que le Dr Wu soit incompétent.

Jared retourna vers l’évier.

— Il est fou, alors. Aucune importance, tant qu’il fait son travail.

Soudain soupçonneux, Owen jeta à Simon un regard inquisiteur.

— Tu ne nous as toujours pas donné ton avis, Simon. En fait, je te trouve étrangement fuyant.

Simon détourna les yeux.

— Que veux-tu que je te dise, Owen ? Je le connais à peine, j’ai juste dîné avec lui avant de le raccompagner, c’est un peu court pour étayer une opinion. Il est plutôt gentil de prime abord. Dans la voiture, il n’a quasiment pas dit un mot. Il a un peu téléphoné, ensuite, il s’est endormi.

Plusieurs fois, il avait eu l’impression que le nouveau chirurgien flirtait avec lui, mais sans doute prenait-il ses désirs pour des réalités. Dans tous les cas, il n’était pas question qu’il en parle à ses amis.

Voyant Owen prêt à insister, Simon enchaîna :

— Je suis brièvement passé chez lui pour l’aider à porter ses valises. L’appartement est vide, à part des paniers-cadeaux remplis de provisions, de serviettes et d’articles de toilette. Je lui ai proposé de l’emmener à Walmart pour acheter des oreillers et une couverture, mais il n’avait pas envie de ressortir. Il a emprunté ce qu’il lui fallait au gérant de son immeuble.

Et Simon avait donné à Hong-Wei son numéro de téléphone au cas où il aurait besoin d’aller faire des courses. Hong-Wei avait promis de le contacter par texto, détail que Simon garda également pour lui.

Owen secoua la tête

— Un médecin qui choisit un petit hôpital après un internat dans une des plus prestigieuses facultés de médecine du pays, c’est déjà bizarre. En plus, il se pointe dans notre petite ville du Nord, quasiment à la frontière canadienne, sans même un oreiller ? Jared a raison : ce mec est timbré !

Avec un soupir de satisfaction, il passa les doigts sur sa poitrine et remua dans son fauteuil, manquant faire tomber son ordinateur portable.

— Ce point étant réglé, enchaîna-t-il, passons à la question suivante : est-il beau ? Nous fera-t-il concurrence à l’hôpital ?

Simon cacha son visage dans son plaid. Voyant ça, Owen éclata de rire.

— Je vois, reprit-il. La réponse est oui. Délicieux ! Comptes-tu lui mettre le grappin dessus, Simon ?

Relevant la tête, Simon le fusilla d’un regard noir.

— Bien sûr que non ! Je te rappelle qu’Erin Andreas parcourt les couloirs en serinant à tous ceux qu’il croise qu’il est strictement interdit aux salariés de Ste Anne de fricoter ! Et comme il a formellement promis la porte à ceux qui passeraient outre, ça donne à réfléchir.

Owen leva les yeux au ciel.

— Erin est un crétin. Personne ne tiendra compte de son Foutu Édit ! C’est une règle complètement idiote, surtout dans une aussi petite ville. L’hôpital est le second employeur de Copper Point, après la mine, il y a donc de bonnes chances pour que les couples s’y forment.

— Toi, tu peux râler ouvertement, Owen. Tu es leur seul médecin anesthésiste, tu ne risques pas d’être viré. En fait, tous les médecins seront protégés. Ce n’est pas mon cas ni ceux des autres employés subalternes.

Owen rouvrit son ordinateur portable.

— Si tu veux mon avis, ce serait très bête de ta part de refuser de batifoler avec un beau chirurgien sous prétexte qu’Erin a un balai enfoncé bien profondément dans son joli petit cul serré.

— Si son cul t’intéresse autant, cria Jared de la cuisine, pourquoi n’y enfonces-tu pas autre chose qu’un balai ?

Avec un cri outré, Owen lui jeta son coussin à la tête. Jared l’esquiva en riant.

 

 

UNE FOIS couché, Simon se remit à penser à Hong-Wei. Le nouveau chirurgien allait-il lui téléphoner ? se demanda-t-il. Il imagina une tournée des magasins, se vit aider Hong-Wei à choisir ses meubles, ses décorations et autres. Frissonnant d’émoi, il envisagea que Hong-Wei lui déléguerait peut-être ses futurs achats. Il pressa les mains sur ses joues brûlantes en se voyant occupé à accomplir sa tâche au mieux de ses capacités. Ensuite, il retournerait chez Hong-Wei… qui l’attendrait devant son l’immeuble, la tête détournée, le regard perdu dans le lointain, superbement vêtu, avec le vent jouant dans ses cheveux. En le voyant arriver, son expression se réchaufferait.

Simon Lane, tu es complètement ridicule.

Oui, il l’était, mais il s’entêta dans ses rêveries romantiques jusqu’à ce qu’il s’endorme. Le lendemain, quand il ouvrit les yeux en entendant sonner son réveil, il avait le cœur battant et le souffle court. Il fredonna en prenant sa douche et passa ensuite dans la cuisine se préparer à déjeuner avec un grand sourire aux lèvres.