Les sorcières sont parmi nous - Play Again Collectif - E-Book

Les sorcières sont parmi nous E-Book

Play Again Collectif

0,0

Beschreibung

Les 15 textes nommés lors du concours de nouvelles 2022 sur le thème Les Sorcières sont parmi nous.Les auteur.e.s :Zoé AUBRY - Jean BARRAUD - Marc BRETON - Marie BRUNELM - Hadi CHARIF - Sandrine GACHINIARD - Roland GELBGRAS - Isabelle GIRAUDOT - Stéphanie GOOSSE - Serge GORIELY - Clotilde HERAULT - Janine JACQUEL - Ambre LAFAUX - Lila MESSAOUDI - Olivier MORGADES

Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:

Android
iOS
von Legimi
zertifizierten E-Readern
Kindle™-E-Readern
(für ausgewählte Pakete)

Seitenzahl: 186

Veröffentlichungsjahr: 2023

Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:

Android
iOS
Bewertungen
0,0
0
0
0
0
0
Mehr Informationen
Mehr Informationen
Legimi prüft nicht, ob Rezensionen von Nutzern stammen, die den betreffenden Titel tatsächlich gekauft oder gelesen/gehört haben. Wir entfernen aber gefälschte Rezensionen.


Ähnliche


Table des matières

PLAY AGAIN en quelques mots

Zoé AUBRY

Les sorcières aussi prennent le bus

Jean BARRAUD

Le son des Balkans

Marc BRETON

Une sorcière à la mode (1

ère

place du concours)

Marie BRUNELM

D’âme en âme (2ème place du concours)

Hadi CHARIF

La colline du Bollenberg

Sandrine GACHINIARD

A la casserole

Roland GELBGRAS

Petite sorcière prend son envol

Isabelle GIRAUDOT

Secret de famille

Stéphanie GOOSSE

Donna ma belle

Serge GORIELY

Pré salé pour deux

Clotilde HERAULT

Fantasmagorie

Janine JACQUEL

La poupée

Ambre LAFAUX

La magie du bonheur

Lila MESSAOUDI

Et s’il suffisait d’attendre

Olivier MORGADES

Image du passé (3

ème

place du concours)

PLAY AGAIN EN QUELQUES MOTS

Chacun a le droit de se tromper. Chacun a le droit de recommencer !

Play Again signifie « Joue encore ! (re)joue ! » C’est l’injonction de l’association créée en 2018.

Un slogan qui fait « l’éloge de la différence », c’est l’intime conviction que faire se rencontrer des points de vue divergents favorise l’écoute, la tolérance et l’esprit critique.

Le fil rouge du « respect et de la bienveillance » dans tous nos projets, c’est une ambiance qui permet la rencontre, le débat et l’échange.

Une personne bienveillante est celle qui veille sur autrui, qui s’assure que tout le monde va bien et qui agit de façon appropriée pour que chacun se sente à sa juste place. Pourtant, d’aucuns se disent agacés par ce vocable qu’ils qualifient de niaiserie, de tarte à la crème. Nous serions, à leurs yeux, des bisounours inconscients des réalités de la vraie vie, ou encore de doux rêveurs qui prennent leurs désirs pour des réalités. Et quand bien même ?

Tout ce que je peux vous dire, c’est que ça fonctionne, car la bienveillance est un boomerang.

Créée pour promouvoir la liberté de penser, de choisir et de s’exprimer, Play Again aide les associations à animer leur communauté d’adhérents en créant des événements sur mesure : débats autour de spectacles, expositions ou conférences.

Grâce à son réseau et à une collaboration étroite avec celles et ceux qui partagent le même état d’esprit, elle aide également les artistes à se faire connaître, à être appréciés le plus souvent possible.

En organisant ce premier concours de nouvelles, nous avons voulu dépasser nos frontières et faire la connaissance d’auteur.e.s en francophonie. Et quel succès ! Les 15 textes réunis dans ce livret sont ceux qui ont récolté les suffrages enthousiastes de notre Comité de lecture parmi la soixantaine de nouvelles que nous avons reçues de France, Belgique, Canada, Italie, Polynésie française et Roumanie.

Pour plus de détails sur le concours, regardez sur YouTube : https://youtu.be/VY1QD-f8X5g

Encore toutes nos félicitations aux 15 auteur.e.s sélectionnés pour la qualité de leur texte et leur originalité. Je vous invite à les découvrir ci-après, classés par ordre alphabétique.

Très cordialement,

Josiane Wolff

Présidente

ZOE AUBRY

Les sorcières aussi prennent le bus

Je m'appelle Zoé, j'ai 23 ans et je suis une grande fan de sorcières. J'ai toujours été une grande lectrice et j'ai commencé à écrire des histoires au début du collège.

Au fur et à mesure, l'écriture a pris une telle place dans ma vie que j'ai entamé des études en création littéraire au Canada à la fin de mon lycée, ce qui m'a permis de publier mon premier roman en 2018: Les Ailes de Saliha.

Je travaille actuellement en tant que chargée de projets numériques au sein d'une maison d'édition de manuels scolaires et je rêve toujours qu'autrice soit mon métier. En parallèle de mon travail, je continue de beaucoup lire, d'écrire pour divers concours de nouvelles et autres projets d'écriture personnels.

Les sorcières aussi prennent le bus

Ma première réaction est l’étonnement. L’étonnement de la voir ici, coincée entre un petit rondouillard et un immense gringalet, sous le miteux abri cassé d’un arrêt de bus. Son visage est fermé, l’air boudeur. Visiblement, elle n’est pas à son aise. De temps à autre, elle lance des éclairs avec les yeux, lorsque son voisin la bouscule. Son chapeau est de travers sur ses longs cheveux couleur feuillage d’automne. Ceux qui l’entourent ignorent que ceci n’augure rien de bon. Chapeau de travers sur la tête de sorcière, mauvais présages pour l’hiver ! Je prédis une panne de chauffage pour ses voisins ou une épidémie de pull-overs troués. Mais, ce couvre-chef de travers ne lui confère pourtant en rien un air de méchante sorcière.

Les sorcières de l’ombre sont bien plus mauvaises et leurs punitions sont des souffrances éternelles ou pire… la mort. Par chance, elles sont rares et les sorcières de la lumière font plutôt bien leur travail, empêchant ainsi le monde de sombrer dans un véritable chaos où plus personne ne s’occuperait d’enlever les toiles d’araignées. J’ai croisé une fois ce genre d’être maléfique et je ne le recommande à personne. Ce sourire tout droit sorti des enfers hante encore mes pires cauchemars.

Ce qui m’étonne davantage dans cette sorcière qui se transforme petit à petit en crêpe entre les deux hommes, c’est que rares sont les sorcières qui prennent le bus. Enfin, sauf les sorcières de type 1 qui n’ont pas encore appris les arts et manières de monter à balai. On décompte quatre niveaux chez les sorcières : les novices, celles qui s’hydratent aux tisanes bio et brûlent de l’encens les fins de semaine, les qualifiées qui possèdent une collection de pierres un peu partout dans leur maison et s’adonnent à des rituels à chaque pleine lune, les confirmées qui concoctent potions magiques et sortilèges tout en parlant à leur chat, enfin les expertes qui sont carrément les piliers du monde magique, celles qui pourraient faire exploser la Terre en un claquement de doigts ou bâtir une nouvelle planète en mélangeant la soupe.

La sorcière de l’arrêt de bus est au minimum de type 3. Et d’après son teint cramoisi et ses pieds écrasés, je parierais presque sur l’explosion imminente de l’abri. Rien ne l’en empêcherait d’ailleurs. Ses occupants sont tellement tous agglutinés les uns aux autres qu’aucun d’entre eux ne serait capable de définir l’origine de la catastrophe. Et même s’ils savaient…

Au moment où je perçois d’inquiétantes vibrations dans sa cloison vitrée, un rire des moins rassurants retentit dans toute la rue. Un rire qui oblige notre sorcière à tendre l’oreille en même temps que le cou, pour s’extraire de son oppression, et découvrir, en même temps que moi, la source de ce rire. L’esclaffement s’élève dans le ciel à la vitesse fulgurante de sa propriétaire qui, perchée sur son balai, se retrouve si haut que n’importe qui la prendrait pour un oiseau.

Pas de doute là-dessus : c’est une sorcière moqueuse. Et à en juger par les narines de sa collègue désormais transformées en volcans en éruption, cela ne lui plaît pas du tout. Redoutant l’explosion imminente de la vitre, je recule prudemment de quelques pas quand le bus pointe enfin le bout de son nez sur l’avenue et parvient à son arrêt avant que le drame ne se produise. Les passagers montent dans le désordre. La sorcière, fulminante et transpirante, à son tour, sans payer. Je monte à mon tour dans le véhicule.

Deux pièces pour le chauffeur sans le moindre bonjour en échange. J’attrape difficilement la barre métallique aux milliers de bactéries juste avant un démarrage des plus brusques, projetant de ce fait, une partie des passagers vers le fond du bus.

Notre sorcière qui passe définitivement une mauvaise journée ne bouge pas d’un poil mais reçoit tout de même l’aisselle odorante d’un homme en trois pièces beiges à quelques centimètres de son visage, lui faisant plisser le nez de dégoût.

Une symphonie de rires aigus difficilement retenus s’échappe du fond du bus et je n’ai aucun doute quant à leur provenance. Deux jeunes sorcières, des novices, affichent des mines moqueuses et surprises envers leur aînée en si mauvaise posture. Elles sont sans doute des habituées du transport, option Pass à l’année, réduction -25ans. Parce que les novices ne se cachent pas aux yeux des humains, elles se fondent dans la masse, mélangeant leur culture à celle des autres, préparent leurs décoctions devant Gilmore Girls, purifient à la sauge blanche les ondes omniprésentes de leurs téléphones portables. Elles habitent au-dessus, au-dessous, un peu partout, vont à la fac de psychologie et travaillent à Leclerc pour combler les fins de mois. Elles se font des sourires bienveillants dans les bars, adulent Simone Veil et Frida Kalho, brandissent des pancartes faites sur le rebord de la cuisine pour insulter Polanski.

Je crois que ce sont mes sorcières préférées. Pour leur sororité et leur courage. Pour leurs mains tendues et leurs majeurs en l’air. Pour leurs sourires et leurs larmes. Pour l’avortement et l’indépendance. Des visages connus de tous aux anonymes furibondes, des faiseuses d’anges aux damnés de Salem, des femmes pirates et océanes aux aventurières des canapés, des provocatrices d’incendies aux as des retweet, des battantes aux douces, des électriques, des venteuses, des dresseuses de chats ou de tempêtes, des créatrices d’ouragans ou des endormeuses de rivières.

Peu importe leur place, elles font, pour moi, parties du spectre de l’espoir. Alors laissez rire les novices, laissez-les chanter si elles veulent, donnez-leur le monde, elles le parsèmeront d’erreurs faites de bon cœur. Laissez-les courir, laissez les danser. Laissez-les se moquer de leurs aînées, si sérieuses qu’elles en oublient parfois le bonheur sur le bord de la route. Moi je leur donne l’univers entier et mon âme dedans. Pour refaire, pour apprendre et tout recommencer et faire scintiller les étoiles toujours plus fortes.

Essayez ! Qu’avez-vous à perdre ?

Pour les autres, réjouissez-vous, car un brusque arrêt du chauffeur m’oblige à cesser mon plaidoyer. Les gens volent, se bousculent, râlent et de nouveaux passagers jouent des forceps pour se glisser à l’intérieur. La place commence à manquer tandis que le véhicule quitte le boulevard. Il s’élance sur les routes secondaires, loin des artères centrales et surpeuplées, direction la banlieue de la ville, les prémices de la campagne. L’horizon y demeure toujours voilé par le brouillard de la pollution.

Je jette un coup d’œil sur la carte du trafic placardée dans le fond du bus afin de savoir dans quelle direction nous allons. Je n’ai jamais emprunté cette route et je n’imaginais pas la prendre aujourd’hui. Mais la vie est pleine de surprises et de rencontres. Bercée par les légères secousses de la route, je me surprends à penser à mes premières rencontres avec les sorcières.

Sans aucun doute, les personnes qui m’ont élevée avaient quelques attraits pour la magie et ces choses qui font hausser les sourcils aux bien-pensants. Je ne les ai jamais vraiment nommées sorcières, car pour moi, ce sont avant tout des femmes. Des femmes qui ont pris soin de moi et des autres, qui m’ont appris la beauté et le pouvoir du monde qui nous entoure, à s’émerveiller devant les forêts mystiques, l’envol des oiseaux et le cycle perpétuel des saisons, à apprécier le mordant du froid qui fait rougir les peaux, la pluie qui fait pousser les champignons et les rayons du soleil qui rendent les fruits sucrés. On les surnommait la tante folle, la grand-mère malade, la mère bizarre et elles me couvraient les oreilles de leurs deux mains pour que je n’entende rien, ni les insultes, ni les critiques. Je tenais leurs vêtements du bout de mes doigts potelés sans comprendre pourquoi on osait dire à ces femmes qui étaient toute ma vie que mon éducation était bancale, tordue, étrange, inadaptée. Elles chantaient alors des comptines, répliquant par le sourire pour que la haine ne m’atteigne jamais. Alors oui, peut-être ai-je fini par devenir une inadaptée au système actuel. Mais qui souhaiterait être adapté à une société malade ? J’ai donc grandi dans un cocon restreint, dans une bulle sans hostilité.

J’ai longtemps cru que mes sœurs et moi étions des enfants à part, d’une famille à part. Et puis, lorsque nos pieds nous ont portées plus loin, lorsque nous avons usé nos semelles sur de nouveaux sentiers, nous les avons découvertes de nos grands yeux clairs. Des dizaines de sorcières en cueillette dans les bois, en leçon de vol sur leur balai dans le ciel gris, dans des commerces atypiques qui sentent la cardamome, au milieu des livres poussiéreux, le nez enfoui dans leurs boîtes à couture. Elles étaient belles par leur grandeur, belles par la confiance qu’elles nous inspiraient.

Nous ne sommes pas nées en pensant que nous étions comme elles. Nous avons toujours été autre chose, comme des oiseaux tombés du nid, recueillis par des mains chaudes. Nous avons reçu de l’amour et du savoir d’une communauté invisible chasseuse de monstres. Elles n’avaient pas envie de se battre ni d’être courageuses. Elles n’avaient pas eu le choix. Elles l’étaient. C’est tout.

Tandis que les routes deviennent sinueuses, le soleil déclinant nous martèle de ses rayons orangés et les éclats sublimes me font l’effet d’une bouffée d’oxygène. Les arrêts se font de plus en plus espacés et les passagers descendent plus qu’ils ne montent. L’habitacle se fait davantage vivable et, d’après le plan du trafic, nous parcourons désormais le dernier tiers de la ligne. La sorcière est toujours là ; elle s’est trouvé une place assise dans un coin. Je ne sais pas encore où son chemin me mène mais il me reste suffisamment de temps pour vous raconter ma première rencontre avec des sorcières plus expérimentées.

Ce n’était ni un hasard, ni une quelconque incantation avec une planche de ouija. J’ai plutôt tendance à croire que c’est le destin qui les avait mises sur ma route, comme une pleine lune au milieu des bois sombres. C’était un jour où la terre entière était grise et où le brouillard n’avait plus jamais l’intention de se lever. Les humains, inconscients, se promenaient encore dans les rues ou lézardaient chez eux en se disant que les bourrasques glaciales finiraient bien par souffler les nuages gris au loin. Mais les sorcières étaient déjà en branle-bas de combat. Les monstres dansaient sur les toits et peuplaient les cauchemars des enfants. Ils s’étaient enfuis du monde parallèle dans lequel ils avaient été enfermés il y a fort longtemps par ces sorcières puissantes.

Si personne n’avait veillé au grain, il ne leur avait fallu que quelques heures à ces dictateurs pour semer le chaos. Mais vous décrire davantage ces monstres me ferait prendre le risque de vous plonger à votre tour dans leur propre abomination.

Le ciel était bondé de leur présence malgré l’orage menaçant. Combien étaient-elles ? Des centaines sans doute. Elles étaient partout, aux quatre coins du monde, se battant à la sueur de leur front, enchaînant les sortilèges, attaquant, parant les coups. Elles se battaient comme des lionnes pour sauver une population qui n’avait même pas vent de leur existence. Elles se battaient comme elles l’avaient toujours fait, en 1914 et 1940, au milieu des croisades et des guerres d’indépendance, pour l’Irak, pour la Palestine, pour les prédictions mayas de 2012. Elles étaient du côté de la morale, des plus faibles, des bafoués, des laissés-pourcompte. Elles étaient pour l’humanité à l’heure où celle-ci était oubliée. Moi-même, elles m’ont sauvée !

Tandis que j’étais poursuivie par ces monstres qui voulaient se nourrir de mon âme, elles m’avaient cachée dans une grotte au milieu de la forêt, comme elles avaient caché les Juifs dans leur grenier. J’étais spectatrice de leurs efforts, les mains sur les oreilles pour étouffer les cris. Cette nuit-là, l’orage fut violacé, indigo et pourpre. Quelques-unes périrent au combat, frappées en plein vol ou vidées de toute énergie. Mais toutes ensemble, elles gagnèrent et sauvèrent les humains qui, pendant ce temps, dormaient sur leurs deux oreilles.

Au petit matin, le soleil se leva dans un ciel rose cotonneux aux effluves de sauge et de tisanes réparatrices. Elles se soignaient. De ma propre initiative, je passai la journée à errer dans la forêt, nettoyant les dégâts de la veille, secourant les blessées qui rentraient tant bien que mal chez elles, collectant les herbes médicinales pour les leur apporter. Je gardai le silence, le secret de leur combat, et elles m’en furent reconnaissantes. Rapidement, la vie reprit son cours et leur quotidien croise rarement mon chemin.

Peut-être, alors, vous demanderez-vous qui suis-je ? À quel groupe j’appartiens ? Suis-je une humaine ou une sorcière ? Permettez-moi de ne pas vous répondre. Les secrets ne sont pas faits pour être révélés. Je vous dirai simplement que notre monde n’est pas divisé en deux. Il n’y a pas les humains d’un côté et les sorcières de l’autre. Ce ne sont pas deux entités distinctes qui peuplent notre planète mais une diversité astronomique qui en compose l’essence même. Voilà la différence. Il n’existe pas de place prédéfinie mais il existe certaines personnes qui possèdent ce don ou ce trait d’esprit de se battre non pour diviser mais pour unir. De ce fait, les sorcières ne sont pas si loin, elles sont parmi nous, sans doute plus proches que vous ne l’imaginez. Et elles veillent pour la paix et la justice.

Le chauffeur s’arrête. Terminus, annonce-t-il. Le bus est calme, presque vide, bercé par l’oscillation de la route. Les derniers passagers descendent et le véhicule s’éloigne. Tous partent dans des directions différentes sous les halos blanchâtres des réverbères de la banlieue. À combien de kilomètres de chez moi suis-je ? Dans combien de temps passe le bus retour ? Aucune idée. Mais je découvre enfin pourquoi une sorcière de type 3 a pris le bus aujourd’hui. Alors qu’elle se pense seule, elle retire son chapeau dessous lequel apparaît la toute petite bouille mal peignée d’un petit chat tout noir aux grands yeux jaunes.

Un chat qui a le vertige ! Quelle histoire ! Rappelle-moi de ne plus jamais t’amener nulle part. Ou alors on ira à pied ! lui reproche-t-elle.

Je ne parle pas le chat mais je suis pratiquement sûre de voir de la culpabilité et des excuses dans les yeux soleils du félin. La sorcière le descend de sa tête et lui appuie doucement sur le nez pour lui dire qu’elle accepte ses excuses et qu’elle ne lui en veut pas. Tous deux s’éloignent et disparaissent. Le mystère désormais résolu, il est temps pour moi de rebrousser chemin.

Mais n’oubliez pas, si un jour votre solitude vous pèse trop fort, chuchotez à voix haute vos soucis. Une sorcière se cache peut-être à vos côtés et pourra vous aider.

Ce n’est pas parce que vous ne la voyez pas qu’elle n’existe pas. ■

JEAN BARRAUD

Le son des Balkans

J'ai 54 ans, je suis aide-soignant dans un hôpital psychiatrique et je vis dans les Pyrénées Atlantiques.

Amoureux de ces belles montagnes que je parcours de façon régulière à pieds ou en vélo, il n'y a qu'en altitude, au contact de cet univers minéral, que mon esprit trouve une forme de sérénité.

À côté de ça j'écris beaucoup, je prépare un recueil de nouvelles fantastiques et participe à des concours et des appels à textes. L'exercice ne me réussit pas trop mal puisque j'en suis à une dizaine de textes publiés dans des ouvrages collectifs. Au risque de surprendre je ne lis pas beaucoup, je puise d'abord mon inspiration dans ce que j'observe autour de moi.

Je terminerai par une pensée pour mon épouse et mes deux filles, sans lesquelles je ne serais rien.

Le son des Balkans

Une pluie fine mouillait le pare-brise que l’essuie-glace jamais remplacé chassait en couinant. La voiture s’arrêta à un feu, ne repartit qu’aux klaxons impatients des voitures derrière. Stefan conduisait par automatisme, l’esprit ailleurs, accablé par la tragédie. Il ne parvenait pas à intégrer la nouvelle, comme si la chose lui était impensable, irréelle.

Parvenu à destination il se gara devant le studio d’enregistrement, courut jusqu’à l’entrée pour éviter une averse, l’étui de guitare à la main. À l’intérieur il rencontra Zoran, l’ingénieur du son, en train d’utiliser la machine à café.

— T’es au courant ? lui lança celui-ci.

— Oui, c’est affreux.

— Merde, mais comment c’est possible ?

— J’en sais rien, les autres sont là ?

Zoran lui désigna la pièce au bout du couloir où les membres du groupe se réunissaient pour leurs compositions musicales. Il découvrit des mines aussi livides que la sienne, un silence de mort dans ce lieu normalement animé, les instruments muets, posés à terre ou sur leurs supports. Stefan interrogea Nikola qui releva le nez de son smartphone :

— On en sait davantage ?

— Ça s’est passé dans le parc national de Kopaonik, des bêtes sauvages. Les gardes ont d’abord cru à une attaque de loups mais vu les blessures ce serait plutôt un ours.

— Un ours ?

— Elle… elle a eu la tête arrachée.

— Nom de dieu !

Stefan s’effondra sur une chaise.

— Et son copain ?

— Tué aussi. Le journaliste dit que c’était une vraie boucherie.

Ana, cette pauvre Ana, morte de cette façon, quelle horreur ! Elle adorait la randonnée, ce n’était pas la première fois qu’elle partait sac sur le dos pour plusieurs jours.

— J’ai du mal à le croire, ça n’arrive jamais ces choses-là.

— Faut croire que si.

Un drame humain mais aussi un drame pour le groupe. Ana était la chanteuse des Lude Veštice depuis de longues années ; une présence rayonnante sur scène, une voix inégalable, allaient-ils s’en remettre ? Comme s’il partageait le cours de sa pensée, Ranko, le batteur, s’exprima un peu gêné :

— Comment on va faire pour le groupe ?

— Tu crois que c’est le moment ? le tança Nikola.

Stefan vint à sa rescousse.

— On est tous choqués mais Ranko a raison. On a des engagements, un gros concert à Novi Sad dans trois semaines. Soit on se sépare, on annule tout, soit on continue. À chacun d’y réfléchir.

La fille termina par une fausse note qui résonna douloureusement dans les oreilles de Stefan. Elle avait l’air pourtant contente d’elle, retira le casque en interrogeant du regard ses deux juges derrière la vitre de la régie.

— Merci, c’était très bien, mentit Nikola, on te rappellera pour te donner notre décision.

Il attendit qu’elle sorte de la pièce pour se tourner vers Stefan, dépité.

— Putain c’était nul !

— Une catastrophe.

— Combien il en reste ?

Stefan consulta son carnet.

— Une seule.

— Bon, si ça va pas on gardera la troisième. C’était la moins mauvaise.