Les souvenirs de demain - Monika Dugué-Moreira - E-Book

Les souvenirs de demain E-Book

Monika Dugué-Moreira

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Beschreibung

Les souvenirs de demain raconte l’histoire d’une femme qui mène une vie simple, meublée par la présence de son mari et de ses enfants. Une existence sereine mais qui ne la satisfait plus tout à fait. À l’aube de ses cinquante ans, elle devient grand-mère et se prépare, résignée, à continuer cette réalité feutrée mais dépourvue de piquant. Soudain, par le plus grand des hasards, arrivent des événements magiques qui, malgré tout, bouleverseront son quotidien à jamais. Peut-on faire chavirer sa vie après cinquante ans ? Regrettera-t-elle ses choix ? Que lui réserve l’avenir si avenir il y a ?


À PROPOS DE L'AUTEURE

Monika Dugué-Moreira écrit pour exorciser ses souffrances et ses regrets. Au fil des pages, au fil des larmes, elle s’aperçoit que ses ressentis d’hier changent, qu’elle évolue, que la douleur s’adoucit. La rédaction de Les souvenirs de demain, éprouvante au début, agit finalement comme une thérapie.

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Monika Dugué-Moreira

Les souvenirs de demain

Roman

© Lys Bleu Éditions – Monika Dugué-Moreira

ISBN : 979-10-377-8585-5

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L. 122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L. 122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivante du Code de la propriété intellectuelle.

Toutes ressemblances avec des personnages et des lieux existants ne sont pas une coïncidence.

Aux deux hommes que j’ai aimés, à mes enfants, mes petits-enfants,

à Christiane, à Sylvie et à Guy-Arthur

 

 

 

 

 

La sonnette de la porte d’entrée retentit… Mathilde jeta un coup d’œil à son reflet, dans le miroir de l’entrée, ébouriffa machinalement ses cheveux, comme si le simple fait d’arranger ses cheveux allait embellir son visage vieilli et amaigri, et ouvrit la porte. Elle reçut en pleine figure le sourire radieux de Arth, qui, un bras tendu vers elle, lui présentait une rose d’une couleur orange flamboyant, à peine ouverte, probablement cueillie le matin même dans son jardin. Elle la prit, la respira, apprécia un vrai parfum de rose, pas cette odeur âcre de serre ressemblant à une senteur de cimetière. Celle-là était LA rose, celle de son enfance, dont elle apprécia tant les effluves quand elle jouait dans le jardin de sa grand-mère. De plus, elle était de sa couleur préférée, si rare pour une rose.

Arth lui souriait toujours, la main qu’il avait cachée dans son dos jaillit sous le visage de Maty. Un petit nounours en peluche, vêtu d’un blouson et portant des lunettes d’aviateur, la regardait de ses yeux ronds.

« Bon anniversaire, Maty », dit-il avec un grand sourire.

« Tu es un amour… » balbutia-t-elle en serrant le nounours contre son visage. Elle était émue et embarrassée par tant de gentillesse. Pour cacher sa confusion, elle se serra contre lui. Il referma les bras autour d’elle. Son étreinte, trop chaleureuse, trop appuyée, la gêna, et, en même temps, lui fit plaisir. Le corps de Maty était emprunté dans sa rigidité. Elle refusait de se laisser aller à ce moment de tendresse, ne sachant même pas si elle devait se repaître de cet instant de manifestation amoureuse ou le repousser.

Elle y réfléchirait plus tard, cela arrivait beaucoup trop vite, beaucoup trop tôt, elle n’était pas prête, elle n’était même pas sûre d’en avoir envie. Elle s’éloigna de lui, lui sourit pour adoucir ce brusque recul, l’invita à entrer.

« Assieds-toi, Je reviens tout de suite, je vais présenter cet adorable ourson à ses nouveaux amis, je l’appellerais Arthy ».

Elle entra dans sa chambre, embrassa le petit ourson et le plaça délicatement au milieu des autres, bien rangés sur des étagères.

« Je vous présente Arthy, soyez gentils avec lui ».

Elle retourna au salon.

« Salut Arthy, je suis Michka, le doyen ici. Comme tu peux le voir, nous sommes très nombreux. Voici René, mon cadet de deux ans, et Noël, de quelques années plus jeune. Tu apprendras le nom des autres au fur et à mesure ».

« Bonjour tout le monde, je suis content d’être parmi vous. Michka, tu es le plus vieux ! quel âge as-tu ? »

« Eh ! j’ai le même âge que Maty, nous avons cinquante-cinq ans depuis hier. Je suis son cadeau de naissance, son ami, son confident depuis toujours. Elle m’a si souvent raconté ses joies et ses chagrins. »

« Ses chagrins ? Elle ne donne pourtant pas l’impression d’être une femme triste. Avec ses cheveux roux ébouriffés, ses vêtements colorés, sa petite taille, elle paraît plutôt juvénile et enjouée, comme un écureuil, toujours en mouvement ! »

« Elle est d’une nature optimiste, c’est vrai, mais c’est souvent une façade, tu sais. La vie n’a pas toujours été très douce pour elle, surtout ces dernières années ».

« Peux-tu me raconter Michka ? Je voudrais tant apprendre à la connaître. Elle paraît si gentille, elle m’a serré contre elle, elle m’a fait un bisou, je l’aime déjà ».

« Nous l’aimons tous ici, nous veillons sur elle et elle prend soin de nous », ajouta Chacha, l’ourse polaire offerte par Françoise, une amie de Maty.

« Raconte s’il te plaît ! » insista Arthy.

« D’accord ! » sourit Michka.

« Je vais commencer par sa naissance, il y a donc cinquante-cinq ans. Mathilde, que nous appelons tous Maty, est née en Allemagne, à Fribourg-en-Brisgau. Ses parents habitaient dans cette ville où son père, militaire, avait été muté quelques mois auparavant. Ce métier l’amenait souvent dans des villes ou des pays différents. Son épouse, qui était couturière de formation, se transforma en femme au foyer afin de le suivre dans ses déplacements. Maty ne gardera aucun souvenir de sa ville natale, son père ayant été muté à Bourges, un an après sa naissance. Puis, Maty et sa mère s’installèrent quelques semaines chez la grand-mère maternelle, dans l’attente de la naissance d’une petite sœur, Caroline, qui vit le jour dans les Landes, un an après la naissance de Maty. Entre-temps, le père fut affecté en Algérie. Toute la famille partit donc à Sétif, en mille neuf cent cinquante-neuf.

« Ce fut cette année-là que j’arrivais dans la vie de Maty », dit René, l’ours marron au museau allongé.

« Oui, répondit Michka, j’avais enfin un compagnon pour chérir ma Mathilde adorée ».

Elle avait quatre ans quand ils arrivèrent en Algérie. Ce séjour, dans ce pays en pleine révolution, fut un cauchemar pour elle. La peur panique des bombes et des tirs de mitraillettes restera gravée en elle une grande partie de sa vie, provoquant sa hantise des pétards, des feux d’artifice, des orages et de tous bruits secs et retentissants. Sa mémoire ne put jamais effacer le souvenir d’une soirée, où elle se trouvait dans leur appartement, avec sa sœur et sa mère. Cette dernière leur lisait une histoire, quand, tout à coup, les fellaghas, partisans de l’Algérie indépendante, tirèrent dans la porte. La mère et les deux fillettes se réfugièrent sous le lit, affolées. La maman, épouvantée, essayait malgré tout de rassurer ses enfants qui hurlaient. Le bruit assourdissant des déflagrations dura quelques minutes qui semblèrent une éternité. Elles restèrent toute la nuit dans leur cachette, terrorisées, jusqu’au retour du père, au petit matin. Maty conserva, avec effroi, le souvenir terrifiant de cet épisode. La peur de sa mère avait engendré la sienne, mais elle n’avait pas vraiment évalué le danger auquel elles avaient échappé. Cependant, cette nuit, où elle était tapie sous le lit, déclencha une claustrophobie qui provoqua en elle une panique irraisonnée à chaque fois qu’elle se trouvait dans des lieux confinés. Pendant de très longues années, elle fut dans l’incapacité de monter dans un ascenseur. Elle ne supportait pas non plus les fenêtres fermées. Elle avait la sensation d’étouffer si la maison était close. Elle fut obsédée, longtemps, par la peur de perdre ses parents, de rester seule, d’être orpheline, ce qui faisait d’elle une petite fille craintive, torturée par la phobie de la mort, sans toutefois avoir assimilé ce que signifiait mourir.

En mille neuf cent soixante et un, ils quittèrent l’Algérie à bord d’un gros Boeing. Les trous d’air donnaient la sensation que l’avion était une plume ballottée par le vent, rendant Mathilde malade de peur, vomissant durant tout le voyage. Encore une phobie qu’elle gardera longtemps. Elle refusa catégoriquement, jusqu’à un âge assez avancé, de voyager en avion.

Ils s’installèrent à Dax, ville des Landes où ils restèrent cinq ans. Une autre petite sœur y vit le jour en mille neuf cent soixante-deux, Marianne.

Mathilde savait lire et écrire couramment, sa mère le lui avait appris en Algérie. Quand elle arriva à Dax, elle rentra au cours préparatoire. Tous les autres enfants ânonnaient laborieusement l’alphabet, qu’elle connaissait par cœur, et elle s’ennuyait mortellement. Elle pleurait, refusait d’aller à l’école. Elle aimait apprendre, mais elle ne voulait pas quitter ses parents, elle était terrorisée, loin d’eux, craignant qu’ils meurent pendant son absence. Cette hantise de devenir orpheline était plantée en elle comme une racine, grignotant son cœur toujours angoissé, faisant d’elle une petite fille timorée.

Quatre années passèrent, et la famille repartit. Ils s’installèrent à Saint-Raphaël, jolie ville du Var. Mathilde avait neuf ans. Commença une période heureuse pour elle. Elle aimait cette région, le soleil, la mer, l’appartement où ils vivaient, ses camarades de classe, et plus tard le collège.

Un petit frère naquit en mille neuf cent soixante-cinq, Jean-Christophe. La famille avait perdu l’espoir de la venue au monde d’un garçon, et cette naissance fut un moment de joie partagée par tous.

« Ce fut cette année-là que j’arrivais dans la vie de Mathilde », dit Brigand, grand ours maigre et pelé, baptisé ainsi à cause de son air famélique.

« Elle nous aimait tant, elle nous confiait tous ses secrets de petite fille », rajouta Lou.

« Je fus le quatrième, dit Noël, son cadeau de Noël de l’année 1966 ».

Nous étions quatre maintenant, pour veiller sur elle, la consoler. Elle semblait plus enjouée, mais son anxiété restait tapie au fond d’elle-même. Elle passait des heures à genoux, sur son lit, dans le noir, à prier. Sa mère était croyante et pratiquante, elle avait inculqué à ses enfants une instruction religieuse poussée. Maty calquait sur sa mère cette dévotion, pensant avec effroi que tous les malheurs s’abattraient sur sa famille si elle ne priait pas. Cette angoisse de perdre ceux qu’elle aimait tant ne la quittait pas, et son éducation religieuse stricte ne l’aidait pas à en être délivrée.

En mille neuf cent soixante-sept, son père prit sa retraite de l’armée. Il était encore jeune, il devait trouver un nouvel emploi, sa pension de retraite ne suffisait pas à nourrir sa nombreuse famille. Il passa un concours pour être agent des impôts, concours qu’il obtint avec succès. Il sollicita un poste dans sa région natale, le Sud-Ouest, et toute la famille quitta la Provence.

Ce départ de sa chère Provence affecta beaucoup Mathilde.

Elle ne s’adapta jamais tout à fait à ce nouveau canton qui lui était imposé. Elle regretta toujours cette si belle région ensoleillée qu’elle venait de quitter et qu’elle avait tant aimée. Sa grand-mère maternelle vint vivre avec eux. Maty était aux anges, elle adorait sa grand-mère qui était beaucoup plus permissive que sa mère, plus attentionnée. Mémé Virginie était son amie, sa confidente. Elle l’aimait de tout son cœur.

Ses parents firent construire une grande maison dans la petite ville où ils s’étaient établis. Maty alla au collège de son village, accompagnée de sa sœur Caroline, qui était une bonne élève, contrairement à elle, qui ne faisait aucun effort pour étudier. Cela agaçait beaucoup ses parents qui lui citaient en exemple les bons résultats scolaires de sa sœur. Cette comparaison, qui, évidemment, n’était pas à l’avantage de Maty, la blessait cruellement. Pourtant, tout dans son attitude désinvolte montrait qu’elle s’en moquait.

« Tant pis, pensait-elle fataliste. Caroline est mieux que moi, les parents en sont fiers, ils l’encouragent et elle progresse. Moi, ils me critiquent et ils ont raison. Mais je ne suis pas Caroline, et je n’ai pas envie de compétition avec elle ». Elle aimait trop sa sœur pour cela, elle l’admirait, la trouvait belle et intelligente. Elle l’enviait, mais jamais elle n’éprouva de jalousie envers elle. Maty n’aspirait qu’aux encouragements et aux félicitations de ses parents, mais seule sa grand-mère, sentant sa mélancolie, la consolait, lui faisait des éloges. Elle se sentait malgré tout minable de ne pas susciter de fierté chez ses parents mais n’en montrait rien. Elle cachait son complexe d’infériorité, tantôt sous une apparence décontractée et folâtre, tantôt avec un comportement indocile et révolté. Cette façon d’agir lui attirait les foudres parentales. Ainsi ils s’intéressaient à elle. Qu’importe la manière qu’il fallait employer pour paraître importante à leurs yeux ! Il en avait toujours été ainsi de toute façon. Elle avait, depuis son enfance, cette impression que ses parents étaient agacés par sa façon d’être. Trop timorée, ou trop rebelle. Elle pleurait trop souvent ou elle riait trop fort. Tout était prétexte à la dévaloriser.

Pourtant, elle les aimait si fort, ils étaient son nid où elle était à l’abri. Mais elle se demandait toujours comment elle devait agir pour leur plaire et ne pas susciter de mécontentement de leur part. Toutes ces questions ne l’aidaient pas à être débarrassée de ses complexes.

En mille neuf cent soixante et onze, le vingt mars, lors de la fête du printemps, dans leur village, elle remarqua un très beau jeune homme. Ces magnifiques yeux verts, ses superbes cheveux blonds ondulés, ses épaules musclées, et surtout ses mains larges et fortes, le faisaient ressembler à Apollon, le dieu grec de la beauté, tant son physique était harmonieux et donnait une impression de puissance et d’assurance. Lui aussi la distingua, et, quand elle quitta la fête foraine, il entreprit, au volant d’une grosse mobylette, de la filer jusqu’à chez elle. Maty était accompagnée ce jour-là de son amie et voisine, Martine. Elles papotaient, tout en marchant sur la route qui les ramenait chez elles.

Quand, tout à coup, un bruit de moteur derrière elles fit se retourner Maty. Elle s’aperçut que le jeune homme les suivait. Son cœur s’emballa. Elle demanda à Martine de ralentir le pas car elles arrivaient à hauteur de leur quartier. Le jeune garçon passa fièrement devant elles, ne tournant même pas la tête de leur côté, continuant son chemin, l’air dégagé. Au bout de la rue, il fit demi-tour et revint vers elles. Maty supplia son amie :

« Fais quelque chose Martine, il faut qu’il s’arrête ».

Quand le jeune homme arriva à leur hauteur, Martine l’interpella, tendant vers lui un étui :

« Eh bonjour ! Tu veux un chewing-gum ? »

L’excuse fit rire bêtement Maty, mais quand Apollon immobilisa son véhicule, le rire de Maty cessa net. Sa gorge était nouée, ses jambes tremblaient. Il refusa poliment la friandise, tout en restant assis sur le siège de sa mobylette, une jambe négligemment posée par terre, la regardant avec insistance, sans dire un mot. Leur regard était rivé l’un à l’autre, celui de Maty était plongé dans le vert des yeux d’Apollon, elle s’y noya. Son corps était piqueté de petites décharges électriques, mais si délicieuses qu’elles n’étaient pas douloureuses, au contraire, elles allégeaient son corps, qui volait. C’était un moment magique, hors du temps, où pendant quelques secondes, ils se retrouvaient seuls au monde, touchés par la foudre.

« Comment t’appelles-tu », balbutia-t-elle d’une voix qu’elle ne reconnut pas, tant elle était émue.

« Alexandro, mais on m’appelle Alex. Et toi ? » répondit-il, tout aussi remué.

« Mathilde, mes amis m’appellent Maty. Tu peux m’appeler Maty ».

La conversation se poursuivit timidement, ils faisaient connaissance. Au bout d’une demi-heure, ils ne surent plus quoi dire, Martine prit le relais, et lui proposa de revenir dans l’après-midi, pour une promenade. Il accepta avec un plaisir évident, demanda la permission d’amener un ami, et rendez-vous fut pris vers quatorze heures devant chez Maty. Il fut ponctuel. Son cousin Carlos l’accompagnait. Les quatre adolescents passèrent un dimanche après-midi très agréable dans la campagne environnante, en ce mois de mars ensoleillé.

Alex avait quinze ans, Maty seize. Leur histoire d’amour commençait. Ils devinrent très proches, se voyaient tous les jours, car Alex habitait à quelques rues de chez Maty. La première fois qu’il l’embrassa, elle se crut au paradis. Leurs deux cœurs battaient à l’unisson. Celui de Maty cognait fort dans sa poitrine, c’était son premier baiser, elle était chavirée de bonheur. Au fil des semaines, ils apprirent à se connaître, à s’aimer, à s’adorer, ne pouvant se passer l’un de l’autre. Envolées les angoisses, la sensation de se penser inférieure, disgracieuse. Alex la trouvait belle, il le lui disait et elle savait qu’il était sincère. Ses yeux si amoureux ne mentaient pas. La chenille devenait papillon, un papillon grisé de liberté, envahi de joie. Elle avait envie de chanter, de danser, alors elle chantait, elle virevoltait.

 

Cette année-là, Mathilde passa son BEPC, qu’elle obtint avec succès, de même que sa sœur Caroline. Mais si cette dernière désirait continuer ses études secondaires, afin de décrocher son baccalauréat et d’entrer ensuite à l’école d’infirmière, ce n’était pas le cas de Maty. Elle désirait travailler tout de suite, mais seul, son brevet des collèges ne suffisait pas pour prétendre à un emploi. Elle n’avait jamais été très douée pour les études, elle n’aimait que le français et le dessin. Les autres matières, et surtout les mathématiques, les sciences et la technologie, tout ce qui demandait une logique, la barbaient et elle ne faisait aucun effort pour s’y intéresser. Ses parents décidèrent qu’elle intégrerait un collège technique où on enseignait la comptabilité. Elle était désorientée : elle deviendrait pensionnaire, elle qui était terrifiée à l’idée de quitter ses parents. Elle était en colère : elle détestait les chiffres, et on l’obligeait à les étudier pendant deux ans. Elle était triste : elle quittait son Alex adoré toute la semaine, c’était un crève-cœur pour tous les deux.

Mais bon gré, mal gré, elle dut se plier aux exigences parentales.

Étonnamment, elle s’adapta très vite à cette vie de pensionnat, se fit beaucoup d’amis et se sentit presque libre, pour la première fois de sa vie. Quel paradoxe entre sa volonté de liberté permanente et sa peur de quitter ses parents ! Elle savait depuis longtemps que ses sentiments étaient contradictoires, mais elle avait toujours pataugé dans ses paradoxes. Ici, au sein de ce lycée, loin de ses parents toute la semaine, elle ne ressentait plus le besoin de leur présence permanente et était délivrée de cette nécessité. Mais Alexandre lui manquait. Elle lui écrivait tous les jours, de belles lettres pleines de poèmes et de dessins. Elle était romantique, son amour pour Alex était si pur, si fort, si sincère. Il était l’homme de sa vie, elle en était certaine. Il lui avait donné son premier baiser de femme, il avait fait battre son cœur d’adolescente complexée. Elle se sentait belle dans ses yeux, unique, exceptionnelle. Leurs parcours de vie étaient si différents, que les conversations qui en découlaient étaient toujours passionnantes. Ils se racontaient l’un à l’autre avec confiance. Leurs étreintes étaient passionnées, leurs baisers, d’abord timides et maladroits, devinrent torrides.

Malgré tout, Mathilde refusait de faire l’amour avec lui, elle n’était pas prête encore à faire ce pas vers l’adulte qu’elle ne voulait pas encore devenir. Alex attendait patiemment.

Quelques semaines plus tard, dans l’enceinte du lycée, elle fit la connaissance de David, un grand jeune homme au doux regard gris, aux cheveux châtains mi-longs, arborant une moustache et fumant la pipe. Il ne ressemblait pas aux autres garçons du Lycée. Il était posé, il écoutait et observait plutôt que de parler, de se mettre en avant, comme la plupart des jeunes de son âge.

Ce trait de sa personnalité plut immédiatement à Maty. Il lui fut facile de deviner très vite qu’il éprouvait pour elle un sentiment amoureux, car il ne s’en cachait pas. Il recherchait constamment sa compagnie, discrètement mais avec assiduité. Il lui plaisait beaucoup, sa compagnie lui était plus qu’agréable, mais elle ne ressentait pas cette même inclination à son encontre.

Elle fut sincère avec lui :

« Je t’aime beaucoup David, mais je suis amoureuse d’Alex. Soyons amis, je ne peux rien t’offrir d’autre. »

Résigné, il accepta cette proposition. Il ne voulait pas la brusquer au risque de la perdre, mais il gardait le secret espoir que cette amitié qu’elle lui suggérait se transforme en amour au fil du temps. Il était confiant. Il fut, dès lors, le chevalier servant, toujours prêt à offrir son épaule, afin qu’elle s’y appuie en cas de déprime passagère.

Il devint un véritable ami, toujours à l’écoute, toujours présent, prévenant et bienveillant.

Mais l’affection sincère que Maty avait pour lui n’évolua pas vers un sentiment plus tendre. Elle s’en défendait, sachant que David lui plaisait beaucoup, que sa présence lui devenait chaque jour nécessaire. Mais elle aimait Alex, et ne voulait pas lui être infidèle, même pour un baiser éphémère.

 

Elle passa deux ans dans ce lycée et ce fut une des périodes les plus heureuses de sa courte vie. Elle se fit beaucoup d’amis, la plus importante était Sylvie, dont l’amitié subsiste encore aujourd’hui. Elles se confiaient l’une à l’autre comme deux sœurs. Elles possédaient un petit carnet bleu, dans lequel elles s’écrivaient pendant les heures d’étude, le soir, car il était interdit de parler. Elles y notaient tous leurs secrets, s’y faisaient des confidences. Elles se passaient le carnet, et l’une après l’autre écrivait. C’était comme une conversation ininterrompue entre elles, qu’elles recommençaient chaque soir. Sylvie y mentionnait ses états d’âme du moment, Maty répondait, et ainsi de suite pendant des heures. Leurs petits soucis d’adolescente leur semblaient insurmontables, les noter noir sur blanc, en sachant que l’amie les lisait, les comprenait et donnait son avis, les effaçait comme par enchantement.

Et pourtant, avant de faire la connaissance de Sylvie, elle l’avait jugé froide et prétentieuse, en la croisant un jour dans le village où elles résidaient toutes les deux, parce que son air pincé lui avait déplu.

« Quelle snob cette nana », avait condamné Maty.

Il en fut de même pour Sylvie qui avait pensé : « c’est une merdeuse ! » Chacune resta sur ses positions pendant quelques semaines, jusqu’au jour où, pendant le trajet hebdomadaire dans le train qui les amenait au lycée, elles s’adressèrent la parole. Maty découvrit une jeune fille agréable, intelligente, aussi complexée qu’elle l’était elle-même. Sylvie pensa la même chose et leur amitié grandissait au fil des mois. Depuis cet épisode, Maty se promit de ne plus juger quiconque sans apprendre à la connaître préalablement.

Les élèves avaient la permission de sortir de l’enceinte du Lycée le mercredi après-midi. Maty découvrait la griserie de la liberté. Elle passait toutes ces heures d’indépendance avec ses amis, sans la surveillance constante des professeurs et des pions. David était souvent présent lors de ces sorties, dont elle garda un souvenir de fête, d’amitié, d’échange et d’affranchissement. Le jour de ses dix-huit ans, ses amis lui firent la surprise d’organiser un goûter dans le petit bar où ils se réunissaient tous les mercredis après-midi, dans lequel le patron avait pris cette bande de copains en amitié.