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Alvaro Montero est un jeune danseur talentueux dont le succès a rendu odieux et prétentieux. Victime d’un grave accident de voiture et immobilisé, il va devoir apprendre à vivre différemment. Comment faire confiance à des gens qu’on ne connaît pas ?
À PROPOS DE L'AUTEUR
À la suite de
Comme deux flamants roses,
Xavier Baraglioli réalise
Les tangos de Bassato. Cet ouvrage présente une nouvelle enquête du journaliste Eric Flat dans le milieu de la danse.
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Seitenzahl: 373
Veröffentlichungsjahr: 2023
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Xavier Baraglioli
Les tangos de Bassato
Roman
© Lys Bleu Éditions – Xavier Baraglioli
ISBN : 979-10-377-7739-3
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Ce soir, Céline et moi nous convenons d’un samedi culturel à insérer dans notre planning. Nous avons donc opté pour une sortie au théâtre de Nîmes.
Nous nous rendons au théâtre municipal, aussi appelé le Grand Théâtre, un édifice civil de la ville de Nîmes. Il a été détruit dans un incendie en 1952. Seule, sa remarquable colonnade ionique a été préservée et déplacée sur l’aire de repos de Caissargues, entre Nîmes et Arles. Un vestige de l’histoire sur une aire d’autoroute ? Oui, c’est exactement cela !
Le théâtre se situe 1, place de la Calade. C’est une grande bâtisse reconstruite à l’identique après l’incendie qui l’a ravagée. À l’époque, son incendiaire fut condamné à sept ans de travaux forcés.
Le 25 octobre 2013, le conseil municipal de la ville de Nîmes décide, à l’unanimité, de rebaptiser le Théâtre Bernadette Lafont, en hommage, à la grande comédienne décédée trois mois plus tôt. Elle était née le 28 octobre 1957, à Nîmes, et a joué dans ce mouvement cinématographique appelé nouvelle vague, entre autres, avec Claude Chabrol comme réalisateur.
La capacité d’accueil du théâtre est de 791 places : 491 places à l’orchestre et 300 places au balcon. Il accueille aussi bien des Opéras, ballets, concerts comme le Musical Divertimento et de nombreux orchestres philharmoniques.
Devant le théâtre, des tables, des chaises ainsi que des parasols, permettent de prendre une consommation et de déguster une restauration légère une heure, avant et après le spectacle. Prendre un verre ou une collation face à la belle façade blanche et moderne du théâtre, quel plaisir !
À l’intérieur, le bar vous accueille aussi dans de beaux petits fauteuils crapaud pour consommer et se restaurer ici, dans cet endroit si feutré et coloré.
La salle de représentation est propre, belle, moderne et vous donne la sensation d’être dans un monument de l’art contemporain. La scène est grande et fantastique, la vue est profonde et la sonorité est claire, sonnante et coordonnée.
Ce soir, on y joue La Belle de New York. Une œuvre écrite et créée par Andréï Ruchenko, un Azéri né à Bakou en Azerbaïdjan. L’œuvre est jouée par la danseuse Carmine Lesuette, une Française de 32 ans, originaire de Marseille, et issue de l’école de danse de Narbonne. Elle est connue aussi pour ses spectacles de danse baroque tels que love Monday ou Grazziella. Elle est engagée dans les combats féministes et dénonce, dès qu’elle le peut, le machisme dans le monde du spectacle, ce qui, malgré le talent fou qu’elle possède, lui coûte souvent les premiers rôles dans les ballets. Il y a deux ans, elle a reçu le prix de danse de Lausanne en sa qualité de danseuse.
Le danseur qui l’accompagne n’est autre qu’Alvaro Montero, l’étoile montante de la danse actuelle. Alvaro, lui, est âgé de 24 ans. Grand jeune homme mince, blond aux yeux bleus, il a un sourire envoûtant. Très populaire, il est celui que l’on s’arrache pour les spectacles qui seront montés dans les mois à venir. Il est aussi beau garçon et séducteur invétéré.
Il plaît beaucoup et s’exprime dans un français sans faute. Pourtant, né à Madrid, l’espagnol est sa langue maternelle. Sa mère, Marina Fontana, est italienne tandis que Manuel Montero, son père, est espagnol.
Alvaro est le seul danseur de la famille Montero. Son père est un éleveur de taureaux à viande pour les restaurants ibériques qui proposent des plats très connus tels que le Rabo de Toro et le steak de taureau mariné à l’huile d’olive.
Le Rabo de Toro, ragoût de queue de bœuf, est l’un des plats espagnols les plus typiques et les plus méconnus. Il est particulièrement parfait pour se réchauffer lors des journées hivernales de Madrid. Rien de mieux qu’un plat de viande mijoté pendant ces périodes-là !
Cependant, les habitants de la capitale et les habitués raffolent de ce merveilleux ragoût au point même de continuer à le savourer une fois l’hiver passé, plus précisément au mois de mai, lors du festival de San Isidro qui se déroule à Madrid. Même si c’est un plat qui vous réchauffe le cœur et le corps, il est de tradition de le déguster entre amis ou en famille pendant San Isidro.
Pour le steak de taureau mariné à l’huile d’olive, il est très apprécié et très demandé par la vague des touristes de l’été. On le trouve facilement dans les restaurants basques, mais aussi espagnols.
Outre les plats cuisinés dans les restaurants, un livre de recettes pour la cuisine de la viande de taureau est édité depuis 2012 aux éditions Cosset, et remis à jour tous les deux ans par les soins du papa d’Alvaro, Manuel.
Les taureaux du père d’Alvaro ont une réputation qui n’est plus à faire. Leur viande est une des meilleures du marché. Elle a permis, depuis 1987, date de la création du prix Emilio Batisco, à quatre cuisiniers de s’illustrer avec deux récompenses d’or : une d’argent et une de bronze. La création du prix Batisco, prix décerné en l’honneur du célèbre cuisinier Emilio Batisco, a été créée en 1987.
Batisco était célèbre, de la Camargue à la péninsule Ibérique. Il a passé sa vie à travailler les recettes à base de viande de taureau, plats dont il raffolait. Né en 1900 à Barcelone, il est issu d’une famille d’ouvriers avec un père employé dans une usine de peinture, et une mère ménagère pour les particuliers. Il se passionne pour la cuisine dès son plus jeune âge et décide de réaliser un rêve, celui d’ouvrir son propre restaurant dès qu’il le pourra.
Emilio Batisco, avec une bande d’amis, ceux que l’on surnomme à l’époque les inséparables, va ouvrir 7 restaurants. Deux à Barcelone, deux à Madrid, un restaurant aux Saintes et un à Lisbonne, au Portugal.
En 1987, il meurt d’un accident vasculaire cérébral, laissant derrière lui le renouveau de la gastronomie à base de viande de taureau.
Le papa d’Alvaro, Manuel, porte le prénom du premier éleveur de taureaux de la famille, un hommage à celui qui a lancé cette magnifique race, avec soin et sélection, depuis plus d’un siècle. Le portrait du premier Montero est accroché dans l’entrée de la maison, comme pour donner la bénédiction à tous ceux qui y entrent. Une bénédiction de bien-être et de prospérité, comme le précise souvent Manuel.
Bien sûr, Manuel est éleveur comme son père et son grand-père, une tradition qui a manqué de se perdre avec le choix professionnel de son fils, Alvaro. Eh oui, elle a vraiment manqué de se perdre puisque Manuella, la grande sœur d’Alvaro, âgée de 34 ans, se prépare avec force et courage à prendre la relève de leur papa.
Actuellement, elle travaille assidûment dans une entreprise qui un jour sera la sienne. Même si elle ne s’était pas attendue à cela, aujourd’hui, elle éprouve une grande fierté à démontrer son professionnalisme et son amour du travail familial.
Pour Alvaro, sa jeunesse a été difficile. Destiné, comme un homme de la longue lignée des Montero, à reprendre les activités de son père, personne ne pouvait penser qu’il en serait autrement.
Depuis plus de 100 ans, au sein de l’entreprise familiale, les garçons Montero ont toujours été ceux qui prenaient la relève de leur père. L’arrière-grand-père de Manuel comptait une famille de 6 enfants, dont 5 filles et le dernier, un garçon. Autant dire qu’il n’était pas question de voir sa famille sans un fils.
Alvaro se rappelle le regard en colère de son père lorsque, lui, le fils fut surpris à l’âge de 10 ans en train de tourner et de danser sur des chansons de Louis Mariano. De mémoire de famille, un Montero avec un goût pour la musique et la danse, plus fort que l’amour des taureaux, cela n’existe pas.
Alvaro se souvient encore que Manuel, son père, ne lui a pas parlé pendant plus de 10 jours. Mais quand Manuel était dans l’obligation de le faire, il ne répondait que par un ou deux mots, mais jamais plus. Le père d’Alvaro ne comprenait pas que son fils ne s’intéresse pas aux traditions de la famille. Il ne pouvait admettre qu’Alvaro soit plus intéressé, par un art qui n’est autre que celui qu’il décrit dans sa tête, réservé aux femmes.
De plus, pour le père d’Alvaro, le moment où il surprend son fils est un instant de questionnement. Lui, Manuel Montero, qui pose tout le devenir de la famille sur son fils Alvaro, comment en peut-il être autrement ?
L’image de son fils qui danse et qui chante ! Comment pourra-t-il ainsi devenir éleveur de taureaux comme le veut la tradition de cette si grande et si noble famille aux accents espagnols ?
Mon fils qui se remue et se bouge comme une fille, non, ce n’est pas possible ! se dit, Manuel qui un soir de printemps, alors qu’Adrian, le médecin de la famille, est venu boire un petit verre de Vino Tinto comme à son habitude, lui demande :
« Mais dis-moi, Adrian, toi qui es le médecin de notre famille, toi qui nous connais tous, mon petit Alvaro, est-il malade ou quoi ? »
« Le petit, malade ? Non, il a l’air très bien, pourquoi ? Veux-tu que je l’ausculte ? »
« Non, Adrian, mais tu sais, je l’ai surpris en train de danser dans sa chambre ! Te rends-tu compte ? Il a 10 ans, il chante et enchaîne les pas de danse pratiquement tous les jours ! »
« Si ton fils danse et chante, Manuel, c’est qu’il se sent bien ! De quoi te plains-tu ? »
« Adrian, mais il danse souvent, et il fredonne les airs de Louis Mariano ! »
« N’aimes-tu pas Louis Mariano, Manuel ? »
« Non, j’adore Louis Mariano, Adrian, mais, comprends-tu, je me pose des questions sur le petit. Comprends-tu, c’est un garçon qui… »
« Qui quoi, Manuel ? »
« Tu sais bien ! »
« Non, je ne sais pas, Manuel… Explique-toi. »
« Il danse comme une fille ! »
« Manuel, il faut vivre avec le temps d’aujourd’hui, pas celui des décennies passées. Tu te poses trop de questions… Dis-moi, tu l’aimes, ton fils ? »
« Quelle question ! Bien sûr que je l’aime, mon fils. Ils sont toute ma vie, sa sœur et lui. Depuis la mort de leur mère, je n’ai qu’eux et ils sont ce que je chéris le plus. »
« Alors l’amour, c’est le plus important. Celui que tu vas leur donner et celui qu’ils vont te rendre. Si tu aimes tes enfants, alors ne te pose pas toutes ces questions. »
« Adrian, je suis d’accord avec toi, mais si… »
« Si quoi, Manuel ? Il a 10 ans, le petit. Arrête de te torturer, et si toi tu l’aimes, alors rien ne sera jamais un problème, fais-moi confiance. »
Manuella et Alvaro, les deux enfants de Manuel, n’ont jamais manqué d’amour. Ils n’ont peut-être pas toujours eu, ce dont des enfants peuvent rêver comme jeux et jouets, mais nourriture et beaux vêtements ont toujours été présents quand ils étaient petits.
C’est un cancer de l’utérus qui a emporté Marina, la maman des petits, il y a plus de 20 ans. Marina était toujours d’une grande positivité, elle aimait chanter et danser, comme le fait Alvaro à ses 10 ans.
Peut-être est-ce le fait de voir son fils si petit danser et chanter, comme sa maman qui n’est plus là, qui fait souffrir Manuel plus que le fait que son fils aime la danse et le chant. Dans les souvenirs de Manuel, Alvaro qui danse c’est le souvenir douloureux de Marina qui lui revient. C’est une douleur trop forte pour Manuel qui revoit sa femme enchaîner les pas et tourner autour de lui en fredonnant et en chantonnant des airs romantiques.
Manuel résiste aux chocs grâce aux deux petits qu’il a élevés et avec qui il reste vraiment très proche aujourd’hui. Cependant, il est vrai que les rapports avec son fils Alvaro restent parfois assez froids.
Manuella, cette jeune femme qui consacre sa vie à la reprise de l’élevage de taureaux de son père, vit continuellement dans la maison familiale. Elle est présente chaque jour pour aider Manuel et surtout apprendre au mieux le métier afin de se préparer pour la relève de l’affaire. Pour Alvaro, lui, il n’a pas vraiment de point fixe. Il est bien souvent entre deux hôtels comme entre deux spectacles, et parfois avec fracas, entre deux liaisons amoureuses.
Alvaro Montero est aujourd’hui une star incontestable de la danse. Incontestable, mais pas incontesté… On ne compte plus ses aventures amoureuses dans les tabloïds, entourées de scandales, de drogues et de violence. Il s’éloigne peu à peu de ce qu’il représente le plus aux yeux de ses fans : une étoile internationale de la danse, une icône de cet art.
On ne peut que s’apercevoir que le jeune Alvaro, malgré ses 24 ans, sa renommée et son prestige, ignore que l’alcool, lui non plus, ne va pas l’aider.
Les ballets auxquels il est convié dans un premier rôle ont toujours été de grands succès et toujours d’une beauté magistrale aux yeux du public. C’est un régal de le voir évoluer et se balancer sur des scènes aux mille et une couleurs, aux mille et un décors. Mais depuis quelque temps, le jeune homme semble essoufflé, fatigué, comme blasé, même la qualité de son relationnel devient difficile et on sent un Alvaro Montero à cran, toujours prêt à exploser. Aidé par les gorgées de bourbon avalées discrètement à chaque fois que le temps d’une pause ou d’une reprise le lui permet, sa nervosité monte continuellement.
Il y a encore quelques mois, Alvaro se laissait approcher dans les coulisses pour échanger avec les spectateurs et signer, bien volontiers, des autographes. Mais depuis plusieurs semaines les choses semblent avoir changé et le jeune Espagnol semble avoir abandonné patience et compréhension.
Il y a environ un mois, le dimanche 27 mars, Alvaro est invité à faire une apparition lors d’un gala à l’Opéra de Paris. L’apparition d’Alvaro, pour le ballet Blue love tender de l’Américaine Joan Messuer, est un petit clin d’œil au public pour la belle Américaine, Joan, comme le font souvent les artistes, réalisateurs et producteurs entre eux.
À la fin du spectacle, Alvaro reçoit près de la scène les demandes d’autographes et échange avec le public venu nombreux. Bien que son idée fût de zapper cette étape, le directeur de l’Opéra de Paris lui a demandé expressément de se rendre disponible. La satisfaction culturelle d’une telle représentation c’est de voir un public heureux et comblé quitter l’Opéra.
Lors de ses échanges, un homme s’approche d’Alvaro :
« Montero, tu touches à ma femme encore une fois et je te démolis ta petite gueule de danseur, as-tu compris ? »
« Désolé, monsieur, mais quel est le prénom de votre femme ? car vous savez, vous devriez être honoré que j’ai dénié coucher avec elle. Et au lieu de pleurer comme vous le faites, il est temps de vous rendre compte que seul moi peux la satisfaire ! »
Le ton méprisant du jeune Montero, rempli de suffisance et d’arrogance, devient une habitude trop souvent répétée ces derniers temps. Et ses aventures avec des femmes mariées, un sport qu’il s’amuse à pratiquer dès que l’occasion se présente.
L’homme trompé, très remonté, s’avance et se jette en direction d’Alvaro pour le saisir, mais il n’arrive pas à atteindre le jeune danseur qui s’est reculé d’un pas affûté et agile. L’homme tombe au sol devant les pieds d’Alvaro, et notre danseur étoile n’hésite pas à mettre des coups de pied au visage et dans le dos de l’homme avec une joie certaine.
Le service de sécurité de l’Opéra de Paris intervient très vite et sépare d’un triste spectacle le danseur alcoolisé et le mari déchu sous les yeux de spectateurs surpris et médusés, voire dégoûtés. Ses actes, sa violence, son alcoolisme effraient aujourd’hui les admiratrices et admirateurs d’hier et Alvaro remplace son prestige et son talent, par du mépris et de l’indifférence. Et, pourtant tant de spectateurs qui voient en lui un des plus grands danseurs au monde n’aperçoivent plus que la dérision et la détresse dans laquelle il se laisse tant aller sans même s’en rendre compte.
Alvaro Montero ne se cache même plus pour prendre une rincée de bourbon maintenant. Oh que non ! Il boit au nez et à l’affût de ses fans pour lesquels il n’a plus de considération. Et il se permet de faire des réflexions aux personnes qui attendent un autographe ou un simple sourire de lui.
Bernard Montaigu, le directeur de l’Opéra de Paris, est très remonté. L’incident est grave. L’échange entre Alvaro et le mari trompé est une chose, la réaction d’un fou jaloux, je veux bien, se dit Montaigu, mais les mots et réflexions déplacés envers le public, c’est de trop !
Les rincées et gorgées d’alcool devant tout le monde, une fois de plus, vont trop loin !
Car le public, ce soir-là, est à domination américaine. Ils sont tous venus applaudir leur compatriote féminine Joan Messuer qui est affligée devant un tel spectacle !
La publicité de l’image tachée et froissée donnée aux Américains risque d’écorcher sérieusement la réputation de l’Opéra de Paris et celle d’Alvaro. Ce dimanche 27 mars ne restera pas gravé comme un moment de légende, loin, très loin de là.
Alvaro habite dans une maison de Madrid, au sud de la ville entre Leganés et Getafe. Une belle bâtisse en vieille pierre aménagée de modernité et de produits dernier cri. Rien que la télévision de son salon mesure 215 cm en 8K issues de dernières technologies. La maison fait 245 m² avec un jardin de 2 500 m² entretenu par une société d’espaces verts. L’entretien de la maison est géré par une gouvernante et une femme de ménage.
Alvaro est dans la démesure, il achète, il dépense, il ne fait rien, mais utilise les autres pour le faire. Il est devenu quelqu’un d’égoïste et ne se rend plus compte de la valeur des choses ni de l’importance des rapports humains, il a perdu le sens de la générosité, de la gentillesse et du respect.
Mais pourquoi est-il devenu comme ça ? Il y a encore quelques spectacles, il recevait volontiers les personnes et leur apportait de la chaleur amicale par sa gentillesse et son écoute en fin de spectacle ou à la fin des ballets. Il habitait encore un logement dans le centre-ville de Madrid, un logement propre, mais modeste. Il ne manquait pas, à chacune de ses sorties, pour échanger et partager des mots avec ses voisins et les commerçants de son quartier.
C’est Céline, ma petite amie qui est adjudante-chef à la Brigade de gendarmerie de Nîmes qui, dans une conversation remplie de discrétion entre elle et moi, privée et personnelle, m’explique peut-être, le pourquoi du comment.
Il y a plusieurs mois, quatre mois exactement.
Alors qu’Alvaro, après avoir dîné à son restaurant préféré, El Social regagne sa voiture dans le parking sud du centre-ville de Madrid, il entend un couple se disputer fortement. Il perçoit ensuite une femme criée et suppliée dans de grands sanglots pour qu’on lui vienne en aide. Alvaro se rend à l’endroit où les cris se font entendre, non loin de son véhicule en stationnement. Quelques dizaines de mètres plus loin, il découvre, assis contre la voiture voisine à la sienne, une femme qui semble blessée.
Il se précipite pour venir en aide à la jeune femme, court, arrive à sa hauteur et se penche vers elle pour lui demander si elle va bien et comment il peut se rendre utile. Dans sa réaction, il tente au plus vite de lui porter secours.
Mais sans s’y attendre, la femme relève la tête et asperge le visage d’Alvaro avec une bombe lacrymogène. Le jeune danseur est surpris, il se demande ce qui se passe. Il ne voit plus rien, ses yeux le brûlent, son nez et sa bouche aussi. Puis Alvaro prend un coup derrière la tête, un coup fort et brutal. Il tombe sur le sol et distingue avec beaucoup de mal, deux ombres devant lui, un homme et une femme. Il est piégé.
La femme et l’homme vont piller Alvaro. Son argent, sa gourmette, la médaille et la chaîne qui appartenait à sa mère. Sa voiture Audi A6 fait partie aussi du lot ainsi que sa carte bancaire.
Avant de s’enfuir avec leur butin, l’homme et la femme vont frapper le jeune Montero avec des coups de barres métalliques pour lui faire avouer le code de sa carte bancaire afin d’aller effectuer un retrait. Alvaro va perdre deux dents, 3 doigts fracturés, deux côtes fêlées et de multiples plaies et bleus. Il avouera le code de sa carte bancaire sous les coups trop violents de ses deux agresseurs et les deux voleurs retireront la somme de 4 000 € de son compte, le maximum autorisé.
C’est un homme, qui rentrait de son service au réseau de transport en commun métropolitain de l’agglomération de Madrid, qui va découvrir le jeune homme étendu sur le sol, la bouche en sang, et inanimé. La Police arrivera sur les lieux quelques minutes après l’appel de l’homme venu secourir Alvaro et fera appel aux secours médicaux pour la prise en charge d’Alvaro, très choqué et hospitalisé d’urgence.
Depuis cette agression, tout a changé pour l’étoile montante de la danse. Bien sûr, tout a été fait pour garder le silence sur cette agression et que rien ne puisse s’ébruiter quant à la popularité d’Alvaro.
Les journaux à scandales se seraient régalés d’une photo de la star internationale de la danse dans son lit d’hôpital, le visage tuméfié.
Mais depuis cette horrible agression, Alvaro n’est plus du tout le même comme je le disais. On n’en serait pas moins touchés par ce qu’il a vécu. Mais il se refuse d’accepter d’être suivi par un psychologue, de parler à un psychiatre ou même la proposition d’une possible thérapie de groupe assez restreinte ne l’a pas convaincu.
Il rejette toute possibilité de peur et semble ne plus pouvoir communiquer normalement. Il remplace son angoisse par l’agressivité envers les autres et dépense son argent de peur de se faire agresser et voler une seconde fois.
Céline me rapporte en complément, toujours dans la plus grande discrétion, qu’il y a trois semaines, une jeune femme nommée Caroline est venue porter plainte contre le jeune Montero à la brigade de gendarmerie de Nîmes. Les colères de la star de la danse internationale lors de ses nombreux désaccords avec sa compagne du moment, colères devenues violentes et menaçantes puis brutales avaient fini par effrayer la jeune femme. Le jeune Montero a tout cassé dans la chambre d’hôtel occupée par le couple mis à disposition le temps des répétitions du spectacle de ce soir, La belle de New York. Une dispute si forte au point qu’Alvaro ne puisse plus arriver à se contrôler et donne le sentiment à sa compagne qu’elle est en danger.
La jeune femme retire finalement sa plainte deux jours plus tard et Alvaro remboursera les dégâts avec un dédommagement généreux pour l’hôtel.
Mais déjà, deux mois avant, la police était intervenue au Westin Europa hôtel à Venise. C’est à la suite d’une dispute où le jeune danseur, encore lui, n’avait trouvé rien de mieux que d’uriner dans tout le couloir de l’hôtel. Puis, il a commencé à casser les décorations accrochées le long des murs sous l’effet de substances illicites et d’alcool. La jeune femme qui l’accompagne à ce moment-là est une jeune Suédoise de 20 ans. Certains diront même qu’elle était mineure. Qu’importe, pour Alvaro, il n’a plus conscience de rien. Le jeune danseur est dans un engrenage dangereux, et se consume à petit feu. Céline me confirme que la jeune Suédoise était bien majeure, elle avait exactement 20 ans. Au moins, le pire est évité pour ce point-là.
Après son arrestation à Venise, puis sa remise en liberté sous garantie financière, Alvaro prend conscience qui lui faut réagir rapidement, mais ses fréquentations d’aujourd’hui ne sont plus celles d’hier. Les dealers, les prostituées, le jeu sont devenus le LAS VEGAS du jeune Alvaro.
Malheureusement, ses déboires ne s’arrêtent pas là. 3 jours plus tard, lors d’un buffet destiné aux personnes invitées au jury de l’exposition Biennale’Art de Venise dont, il fait partie, il se met à boire une nouvelle fois plus que de raison. La présidente du jury, la très belle actrice, Carla Montini, fera les frais du comportement d’Alvaro. Le sexe en dehors de son pantalon mimant un geste obscène avec sa main et sa bouche, à l’intention de la très belle Carla, choquée par la scène.
Les journaux italiens en feront leurs gros titres avec le portrait d’Alvaro et la phrase la plus reprise : Torna a casa ! (Rentre chez toi !)
La belle de New York est magnifique. Les gens sont, debout dans le théâtre pour applaudir, la jeune Française Miss Lesuette, comme disent les Américains. Mais le jeune Alvaro Montero n’impressionne plus. Toujours et encore par sa danse décousue, devenue hésitante et ses difficultés d’exécution pour des enchaînements, des sauts et des rondes poétiques qui laissent un goût amer pour les personnes présentes.
Ce n’est plus possible ! Le public se lève et siffle avec force et hue le jeune Montero qui part dans les coulisses sans avoir oublié un geste déplacé envers la salle. À côté de Céline et de moi, un couple de personnes âgées veut demander à être remboursé de ce triste spectacle.
Bien que je sois journaliste, je reste un homme sensible qui aime ressentir l’émotion de mon cœur qui se pince, je l’avoue. La scène de fin où les acteurs du ballet échangent enfin ce premier baiser, après toutes les péripéties rencontrées dans leurs vies, est un dénouement qui fait pleurer, car l’amour, à ce moment-là, va naître entre eux.
Eh bien, quelle déception ! Quelle désillusion ! Et je n’ose imaginer la colère de ce pauvre Ruchenko qui devait s’attendre à vraiment autre chose pour sa belle de New York.
Céline, elle aussi est en colère, la pauvre, je suis triste pour elle.
J’adore nos sorties ensemble même si les visites de musée, de galeries d’art et des théâtres avec leurs représentations ne laissent guère de place pour d’autres évènements. J’aimerais parfois sortir pour un match de football ou de basket, pour une expo de motos ou bien une simple bière sur la terrasse d’un café, tranquille… Avec le spectacle raté de ce soir, peut-être que Céline se laissera un peu plus séduire par certaines de mes suggestions. Mais je n’y crois guère… Et puis, il est tellement difficile de dire non à ma douce Céline.
Après cette soirée plutôt mitigée pour elle et moi, nous partons. Mais avant de rentrer à la maison, nous passons boire un petit café chez mes amis, Fanny et Tristan. Ce soir, je crois même que la petite Marie-Lou, la fille biologique de Tristan est avec eux pour sa semaine chez son papa. Il y a un moment que je ne les ai pas vus, ils me manquent beaucoup. Je suis tellement heureux de retrouver un peu de leur bonheur et de leurs sourires à tous les trois.
Pour la petite histoire, Céline et moi devons beaucoup à Tristan. C’est grâce à lui que nous nous sommes rencontrés. Un repas arrangé dans un restaurant branché de Nîmes. Je m’en souviens encore…
Le lendemain matin
Nous sommes samedi, mais que le réveil est difficile ! Céline et moi sommes rentrés tard de chez Fanny et Tristan et malgré le soleil qui commence à traverser les fenêtres, se lever semble compliqué. La petite Marie-Lou était avec Fanny et Tristan, elle est adorable, douce et elle aime me taquiner comme elle sait le faire avec Tristan, son papa.
Nous n’avions pas mis de réveil ni d’alarme. Après tout, Céline n’est pas de service à la gendarmerie et moi je n’ai rien de prévu au programme des actualités du journal. C’est le téléphone de Céline qui nous a réveillés par sa sonnerie. L’adjudante-chef Marest Céline, ma compagne, reste toujours disponible si quelque chose d’important se passe, et apparemment c’est le cas. Finalement, la conversation téléphonique entre elle et la Brigade de gendarmerie dure sur la longueur. Je décide d’aller prendre une douche pendant ce laps de temps…
Alors que le shampoing, un spécial cheveux bouclés pour femmes, commence franchement à me piquer les yeux, Céline entre dans la salle de bain. J’en profite pour m’adresser à elle.
« Dis-moi, Céline, mon shampoing a drôlement changé ! »
« Oui, Éric, c’est le mien, désolée. Mais vois-tu, si je n’ai pas ce shampoing-là, mes cheveux deviennent laids. Aimerais-tu me voir comme ça ? Je peux faire peur, tu sais ! » dit Céline avec un joli sourire.
Elle reprit :
« Oh ! Te serais-tu lavé les cheveux avec ? Félicitations, tu vas avoir les cheveux soyeux », sourit une nouvelle fois Céline.
« J’ai surtout failli perdre un œil, tu veux dire ! Dangereux, ce truc ! C’est une arme chimique ! »
« Dis, Éric, désolé de t’interrompre en pleine mise en plis, mais je suis venue te déranger pendant ta douche au sujet de l’appel que je viens de recevoir. »
« Euh… Je ne fais pas une mise en plis, je lave mes cheveux ! oh ! mais dis donc toi ! Mais désolé, vas-y, je t’écoute. Que se passe-t-il, as-tu une urgence sur laquelle tu dois intervenir ? »
« Oui, oui. Il est arrivé quelque chose de grave. Pas à nos proches, je te rassure, mais… »
« À qui, Céline, il est arrivé quoi ? »
« Tu sais, le danseur que l’on a vu hier, Alvaro Montero, on vient de signaler sa disparition. »
« Pourquoi il a disparu, le jeune Montero ? »
« Aux dernières infos que nous avons en notre possession depuis peu, il est parti rejoindre La Calmette par la N106 à la fin du spectacle d’hier soir. C’est son agent artistique qui a prévenu. Apparemment, Alvaro l’a appelé hier soir au téléphone et il était bien alcoolisé. Du coup, son agent lui a dit de rester dormir à Nîmes et de ne pas venir le rejoindre, mais d’attendre ce matin. Mais son agent, qui n’a pas vu Alvaro à La Calmette arriver ce matin, a passé un coup de fil au Théâtre et il a appris que Montero était quand même parti en voiture hier soir pour le rejoindre. Mais il n’est jamais arrivé ».
« Cela veut dire que s’il est parti pour La Calmette hier soir, il a dû se passer quelque chose sur le trajet… »
« C’est exact Éric. On a demandé l’intervention de l’hélicoptère de la brigade pour faire un visuel sur tout le trajet et aussi autour du Col de Barutel. »
« Crois-tu qu’il a été braqué ? Attaqué ? Il a quoi comme voiture ? »
« Une Porsche Cayenne. »
« Tout est possible, malheureusement. J’espère qu’il ne s’est pas fait encore dépouiller. C’est dingue cette délinquance maintenant. Tu ne peux plus rien faire sans craindre le pire ».
« Mais bon, Éric, tu sais, si Alvaro était alcoolisé, il s’est peut-être arrêté sur un côté de la route pour dormir. »
« Oui, c’est une autre possibilité… Ou alors il a eu un accident ! »
« Je ne l’espère pas, le Col de Barutel ne fait pas de cadeau à certains endroits. Je dois t’avouer que c’est ce qui m’inquiète le plus ».
« Alors du coup, est-ce que tu pars là-bas Céline ? »
« Oui, Tristan. L’équipe de recherche va passer me chercher d’ici 15 min. Et toi alors, que vas-tu faire ? »
« Comme d’habitude, je vais me rendre sur place ! »
« Sois prudent ! »
« Promis, Céline, on reste informé hein ? »
« Oui, oui, ne t’inquiète pas. »
15 minutes plus tard
Céline vient de partir avec la patrouille de recherche qui va la conduire sur place en attente de ce que visuellement, l’hélicoptère peut repérer. Un véhicule de type Porsche Cayenne noir ne se perd pas si facilement. Maintenant, toutes les options restent possibles, l’agression pour le vol en est une.
Des gangs organisés repèrent, suivent et attaquent dans des zones peu fréquentées les possesseurs de véhicules de luxe pour leur voler et les dévaliser. Ils sont bien préparés dans les repérages, surveillance dans les habitudes de leurs proies. Ils sont prêts à tout pour s’emparer des véhicules de luxe qui sont, souvent, déjà commandés à l’avance par les réseaux de voitures volés. Ces derniers partent sur l’Italie, en Sicile après un relooking complet ou un démontage en règle dans des ateliers de Marseille Nord.
Je quitte à mon tour le domicile et je me rends vers le Col de Barutel. Alcool, virages, nuit, fatigue, tous les ingrédients de la sortie de route sont réunis. J’espère juste me tromper.
Pendant ce temps, l’hélicoptère de la gendarmerie inspecte à l’aide de caméras à détection de chaleur, dite caméra thermique, dans le but de détecter une éventuelle zone rouge de chaleur anormale dans le relief disparate. Sur son deuxième passage, une situation étrange intrigue les gendarmes. Des véhicules semblent faire un écart sur un enchaînement de deux virages en épingle, gênés par de grosses pierres sur la route. Lors de son approche au plus près, l’hélicoptère s’aperçoit que le côté intérieur de la roche a été touché violemment et que des pierres se sont écroulées, ce qui provoque les écarts des automobilistes. Les gendarmes jettent leurs regards sur la droite, dans un contrebas très boisé, une tache sombre se dégage de la zone. L’équipage volant prévient la patrouille où Céline se trouve et donne un récit de ce qu’il pense avoir trouvé.
Les sirènes du véhicule de la gendarmerie commencent alors à hurler et les lumières des gyrophares s’allument pour se rendre au plus vite sur place.
Pour ma part, je me guide au bruit des sirènes et de la position stationnaire de l’hélicoptère pour décider de l’endroit où je vais me rendre.
Sur la radio VHF installée dans mon véhicule, un poste SDR-RTL de nouvelles technologies numériques, j’entends qu’un autre hélicoptère se prépare à se rendre sur les lieux. Il s’agit du SAMU dont la communication de l’héliport de l’hôpital sur 123 575 MHz ne fait aucun doute sur le lieu où il se rend. Je suis conforté dans ma destination et je m’inquiète pour le jeune Montero Alvaro, avec l’espoir que rien de grave ou dramatique ne soit arrivé.
La patrouille de gendarmerie, sirènes hurlantes, arrive sur place. Ils ont bien observé les pierres sur la route, un choc sur le bord de la colline, mais aucune trace de freinage. Ce qui n’est vraiment pas de nature à rassurer.
Céline est la première à sortir du véhicule, suivie, dans l’instant d’après, par deux collègues gendarmes. Ils s’approchent du contrebas d’environ 20 mètres de descente à pic. Des morceaux de pare-chocs traînent sur le bord éloigné de la route. Pas de doute, il s’agit du véhicule du danseur international Alvaro Montero qui est dans une zone plutôt plate, boisée, mais inaccessible, d’où la patrouille de gendarmerie véhiculée se trouve.
Céline utilise la radio pour contacter la compagnie volante de gendarmerie qui s’écarte pour laisser l’accès aux spécialistes du SAMU dans ce genre d’intervention héliportée.
Ils arrivent sur place et l’hélicoptère jaune se stationne au-dessus de la zone. Deux hommes, l’un après l’autre, se laissent descendre par un filin pour atteindre le véhicule jusqu’ici très peu visible. Pourtant, il s’agit bien du véhicule Porsche Cayenne d’Alvaro, les premiers échanges radio que je peux capter ne sont guère faits pour rassurer. Le véhicule aurait stoppé sa descente dans une percussion de l’avant avec un taillis de châtaigniers et l’avant de la cabine de pilotage se serait écrasé par son dessous.
Un troisième puis un quatrième homme descendent. Ce sont deux pompiers spécialisés dans les techniques de désincarcération des véhicules automobiles. Dans leurs dos, accrochés, des pinces et scies pour intervenir au plus propre, mais au plus vite sur le véhicule.
Dans les communications échangées, comme celles de la gendarmerie, les paroles sont codées, mais Céline prend deux minutes pour me joindre par téléphone :
« Éric, où es-tu ? »
« Je ne suis pas loin, Céline, mais je ne peux pas vraiment m’approcher. Je suis sur une route parallèle au clos Gaillard, c’est le véhicule du jeune Montero qui est bien là, en bas ? »
« Oui, Éric, les premières constatations indiquent qu’il est toujours vivant. Conscient, mais très déshydraté, mais il aurait échangé avec les hommes descendus à son secours. »
« N’est-ce pas une bonne nouvelle ? »
« Non, pas vraiment, Éric, ses jambes sont coincées sous le tableau de bord après un choc très violent dans le taillis de châtaigniers. Trois des arbres ont cassé sous le choc, pour te dire que ça dut être terrible. La caisse du dessous est enfoncée et coince les jambes du jeune Montero. »
« Vont-ils le désincarcérer ? »
« Ils attaquent la découpe du véhicule. Deux des meilleurs hommes de ce genre d’intervention sont arrivés. Éric, le médecin du SAMU est descendu en premier pour prendre contact avec la victime en coordination avec le médecin régulateur. Tout le monde se prépare à une éventuelle intervention en urgence. Le médecin a précisé, et là franchement je suis peu optimiste, qu’Alvaro Montero… ne sent plus ses jambes. »
« Tu veux dire que… ? »
« Je ne sais pas, Éric, mais ce n’est pas bon… N’en parle pas dans ton article… au moins pour le moment. »
« Promis, Céline… Dire qu’hier il était là sur la scène, ça me fait vraiment drôle et je ne me sens pas bien… Que c’est triste, je ne sais même pas quoi dire là… »
« Oui, très triste, Éric. Dis, je te laisse, à tout à l’heure à la maison, je retourne près de mes hommes. »
« À tout à l’heure Céline. Je t’aime… »
« Merci, Éric, je t’aime aussi… surtout, fais attention à toi. »
« Promis… »
Dans l’émotion, j’ai laissé échapper mon premier, je t’aime pour Céline. Le drame qui se déroule là tout près de moi, m’a rendu très mal en moi et j’avais envie de le dire à Céline.
En retour, elle m’a dit son premier, je t’aime, elle aussi… Dans d’autres circonstances j’aurai vraiment beaucoup apprécié, mais c’est vrai que là…
Mais ce n’est grave, nous aurons tout le temps de nous retrouver dans un moment moins grave et plus intimiste.
Quand je vois la fusion qui naît chaque jour entre Céline et moi, notre complicité, notre entente, je ne peux que remercier mon ami Tristan de nous avoir permis de nous rencontrer.
Je suis dans l’attente des nouvelles du danseur international Alvaro Montero à la suite de son accident de la route. Son transport en urgence à l’hôpital Carémeau explique ma présence ici.
Céline m’a apporté des précisions lorsque je me suis rendu sur les lieux de l’accident. À proximité de la sortie de route du véhicule Porsche Cayenne qu’Alvaro conduisait, les deux pompiers spécialisés dans la désincarcération de victimes de la route ont fait un travail incroyable, pour sortir le jeune danseur de son véhicule.
Une infirmière du service des urgences, que je connais bien pour avoir partagé avec elle les bancs du lycée, me permet de lui poser quelques questions en off. Elle me précise que ses réponses ne devront pas être utilisées directement dans mon article, et son nom ne doit pas être cité, question de secret professionnel.
« Bonjour, Carole. »
« Bonjour, Éric, comment vas-tu ? »
« Je vais bien, je te remercie. Et toi, comment vas-tu avec ton boulot et ta petite famille ? »
« Beaucoup de travail. Réduction de personnel, mais beaucoup plus de patients à s’occuper. Cela devient fou, tu sais, de travailler comme ça ! Pour la petite famille, elle va bien, les deux petits me font courir partout, mais c’est ça aussi le job d’une maman ! »
« Je me doute bien. Le service public n’est plus ce qu’il était malheureusement. Tu feras un gros bisou de ma part, à tes deux petits monstres. Dis-moi, je peux te poser quelques questions sur Alvaro Montero, le jeune homme arrivé, il y a quelques heures après un accident de la route ? »
« Éric, je ne sais pas grand-chose. J’ai appris qu’il a été conduit chez nous, aux urgences et opéré immédiatement. Une barre métallique a touché sa jambe gauche au niveau de la cuisse et j’ai entendu dire qu’il souffre de fractures. Il y a aussi un doute sur un hématome sous-dural dû à un traumatisme crânien. Il est toujours, actuellement, au bloc opératoire. Maintenant pour le diagnostic, c’est à confirmer Éric. C’est le bilan qui a été fait rapidement, mais sur lequel on ne peut pas s’appuyer complètement ».
« Merci, Carole. Tu penses que c’est dû à l’alcool, toi qui as travaillé en service d’alcoologie ? Il a trop bu hier soir, paraît-il, quand il a quitté son hôtel. »
« L’alcool n’est plus présent dans le sang au bout de 6 heures, alors difficile de dire. Tu sais, l’alcool est sûrement responsable de son accident, mais rien ne peut le certifier. Par contre, l’alcool ingéré fait baisser les réflexes, provoque les éblouissements la nuit, fait disparaître la peur d’une conduite rapide par exemple. Sans parler de la diminution de son champ visuel.
La conséquence est que son appréciation de la distance est faussée : il estime par exemple avoir suffisamment serré à droite alors qu’il est encore au milieu de la voie. »
« Oui, c’est tout à fait possible, merci de me faire partager tes connaissances. »
« C’est avec plaisir, Éric. Malheureusement, je dois retourner dans mon service. »
« Oui, Carole, merci beaucoup, je te rends ça dès que possible ! »
« Je t’en prie, Éric, à bientôt. »
Il est évident que l’accident subi par Alvaro Montero est dû à l’alcool qu’il a absorbé en grande quantité hier soir avant de partir avec sa voiture. Moins de réflexes, éblouissement dans la nuit avec les phares des autres véhicules, mauvaise interprétation du sens de la route… Tous les ingrédients sont là malheureusement comme je le pensais.
Les infos que j’ai pu avoir de la part de Carole sont assez effrayantes. Il est difficile d’imaginer ce garçon, Alvaro Montero dans l’état où il se trouve actuellement, à subir une ou plusieurs opérations au bloc avec des fractures à sa jambe gauche. Quelle horreur, ses jambes sont sa vie, c’est comme priver un tireur d’élite de la vue ou un nageur professionnel de l’utilisation de ses bras.
C’est un drame, il n’y a pas d’autres mots. C’est une catastrophe pour Alvaro, mais il ne faut pas oublier qu’il aurait aussi pu perdre la vie. Pour le moment, le pronostic vital n’a jamais été engagé, heureusement pour lui.
Je reste à proximité du hall d’entrée réservé au personnel. Les personnes qui travaillent à l’hôpital Carémeau, en général, me connaissent et ma présence ne les inquiète donc pas. C’est un endroit où les bruits, les paroles, les confidences se font. C’est ici que je peux en apprendre peut-être plus.
Il est presque 15 heures et pour ne pas mourir de faim, il y a une petite heure, une aide-soignante des urgences m’a proposé un plateau-repas qui n’a pas été utilisé. Bien que la nourriture des centres hospitaliers ne soit pas vraiment de grande cuisine, je dois avouer que cela m’a fait du bien, et qu’avec la faim, j’ai même plutôt apprécié.
Je viens d’apprendre que l’objet qui a perforé la jambe gauche d’Alvaro Montero avait été retiré avec succès. Une barre métallique du siège avant qui s’est tordue, et elle est venue se planter là. Pour ce qui est des autres blessures, une fracture tibia-péroné à la jambe gauche est confirmée. D’après les explications que j’ai pu obtenir, c’est