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Hannah, David et Quentin voient leurs existences bouleversées par la réception de lettres perdues depuis deux décennies, chargées de secrets, de révélations et d’émotions qui vont modifier leur destin. À travers ces missives imprévues, "Les trois lettres" explore le pouvoir et l’impact des mots – même ceux retardés par le poids du temps – et les perspectives de renouveau et de métamorphose intérieure. Chaque lettre devient un tournant, chaque confidence, un cataclysme, et la vie des personnages se joue désormais sur le fil fragile du souvenir. Quelles vérités cachées attendent encore d’être dévoilées, et jusqu’où les mots perdus peuvent-ils transformer la vie de ceux qui les reçoivent ?
À PROPOS DE L'AUTRICE
Après son premier roman, "Mes trois amours", publié au Lys Bleu Éditions,
Camille Augustin explore, dans ce nouvel ouvrage, le pouvoir des mots et des destins entrelacés et nous plonge au cœur des révélations, des secrets et des trahisons.
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Seitenzahl: 299
Veröffentlichungsjahr: 2025
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Camille Augustin
Les trois lettres
Roman
© Lys Bleu Éditions – Camille Augustin
ISBN : 979-10-422-5741-5
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Il suffit parfois d’une lettre retrouvée pour rallumer une étincelle, bouleverser un destin et rappeler que chaque mot, même perdu, a le pouvoir de changer une vie.
Camille Augustin
Je ressens dans mon corps, dans ma tête… Je le sens dans mon cœur, dans mes veines… Ton parfum est ancré dans mes draps, ton prénom est indélébile dans mes pensées.
Yseult Onguenet
À cinquante-huit ans, j’attends avec impatience ma retraite. Je n’en peux plus, je me sens usée par mon travail et sans doute encore plus par ma vie. Je suis divorcée, non par choix, mais tout simplement parce que mon Christian m’a laissée comme ça, comme une vieille chaussette, du jour au lendemain. Ah, qu’est-ce que je l’aimais ! Malgré son sale caractère et son aspect rustre, c’était mon homme. Nous nous étions rencontrés au collège, on ne s’était plus quittés. C’était Maria et Christian pour la vie. Nous avons perdu notre virginité ensemble et c’est lui qui m’a tout appris. Je me suis longtemps demandé comment il pouvait être aussi imaginatif… je l’ai compris bien plus tard, quand j’ai su que j’avais des cornes tellement immenses qu’elles auraient pu rayer le plafond. Quelle drôle d’expression ! En même temps, moi qui suis d’origine italienne, je pouvais le comprendre puisqu’en italien, cocu se dit « cornuto », ce qui signifie également cornu, qui a des cornes.
Bref, un beau jour, mon Christian est parti avec ma meilleure amie… J’ai hurlé, cassé, imploré… je me suis ridiculisée, mais rien n’y a fait… Il est parti, du jour au lendemain, non sans oublier d’emporter Kiki, notre petite chienne. Après le désespoir, les larmes, la perte de quinze kilos… les arrêts maladie… est venu le temps de la haine. Je l’ai détesté, j’ai brûlé toutes ses photos, je refusais d’entendre encore parler de lui ! Je suis même allée jusqu’à déménager dans un petit appartement pour ne plus avoir devant moi le moindre endroit, le moindre objet qu’il aurait pu toucher !
Me voilà donc célibataire depuis huit ans, sans enfants, sans ma Kiki, sans même un autre chien, car je n’ai pas voulu en reprendre. Christian m’avait expliqué qu’il avait besoin de jeunesse et d’un corps qui l’excitait, m’infligeant que la belle petite brune transalpine était devenue une grosse mama italienne… Quelle méchanceté ! Moi aussi, bien évidemment je trouvais qu’il avait vieilli et pas forcément en bien, mais… je l’aimais. Nos corps avaient évolué, se flétrissant quelque peu avec le temps, mais je trouvais beau de vieillir ensemble… Pas lui ! Il avait préféré une très bonne amie, une jeune veuve de trente-cinq ans.
J’ai toujours désiré des enfants, mais Christian n’en voulait surtout pas. Cela l’ennuyait d’avoir des marmots dans les jambes et surtout d’avoir à se sentir responsable de gosses. Il me disait : « Maria, il ne faut pas se leurrer, on a une vie de merde, on ne va pas infliger ça à d’autres êtres vivants. »
Alors, par amour, et surtout cupidité, j’ai acquiescé ! Le temps a passé et je me suis approchée de mes quarante ans. Je savais que c’était les dernières années pour envisager d’être maman, mais il n’avait jamais changé d’avis. Mon ventre restera éternellement aride, tel un désert où la vie ne pousse pas !
Alors, quand j’ai su qu’il était devenu père l’année suivant son départ, ma douleur a été immense. Il avait cinquante-trois ans et était allé jusqu’à me faire parvenir un faire-part de naissance. Il avait appelé son fils Kévin, lui qui détestait ce genre de prénom pseudo-américain…
Je dois bien vous avouer qu’à ce moment-là, j’ai failli en finir avec la vie. C’était trop douloureux, moi qui avais tellement voulu un enfant, moi qui l’avais pourtant imploré… Je me rappelle avoir été presque happée par les précipices des falaises lors d’un week-end en Normandie que j’avais choisi pour me changer les idées. Je ne sais pas si c’était le lieu approprié pour essayer de surmonter cette épreuve ! Mais au dernier moment… la peur du vide. Car oui, j’ai le vertige, du coup, je ne suis jamais arrivée à m’approcher du bord.
Sur la route du retour, je m’imaginais accélérer, fermer les yeux et me laisser aller. Je les ai fermés, mais… je les ai rouverts rapidement ! Il y avait comme une force qui voulait que je les ouvre grand pour me faire prendre conscience qu’il fallait que je vive encore, que le chemin de la vie n’était pas lisse et droit, qu’il pouvait être cabossé, chaotique et tortueux, mais que la destination n’en serait alors que meilleure. Cela fait malgré tout huit ans que je suis sur cette route et je n’en vois non seulement pas la destination, et encore moins les bienfaits !
Je suis une personne très croyante, je pense que c’est la religion qui m’a sauvée. Je me suis longtemps demandé pourquoi Dieu m’infligeait ces souffrances et ces épreuves difficiles. J’en ai conclu que c’était ma destinée, ma croix, comme certains pourraient dire. En réalité, le temps finit par tout guérir, même si certaines cicatrices resteront à jamais gravées.
Je n’ai plus jamais eu personne d’autre. Christian aura été le seul et l’unique homme de ma vie !
Ma vie, justement… Elle est simple et parfois même ennuyeuse. Je ne dépense rien, je m’achète très rarement des vêtements, je mange très peu, je ne pars jamais en vacances. J’ai beaucoup d’argent de côté, depuis ces années où je travaille. Je ne sais pas pourquoi, car je n’ai même pas d’héritiers à qui transmettre tout ça. Je me dis juste que lorsque je serai en retraite, je pourrai en profiter pour enfin vivre pour moi et découvrir un peu le monde !
Je travaille à la Poste dans le centre de tri de Paris dix-sept. Cependant, malgré un combat acharné avec les syndicats, rien n’y a fait, mon centre de tri va fermer. En effet, la Poste a décidé de concentrer ses activités et de regrouper ses cinq centres de tri du Nord parisien, Saint-Lazare, Paris dix-sept, La Chapelle, Paris onze et Paris vingt, en un seul très grand centre, sur un site de 30 000 m², en banlieue, dans la zone d’aménagement des Tulipes à Gonesse dans le Val-d’Oise.
De nombreux licenciements sont annoncés. Sur ce nouveau grand site, le tri sera complètement automatisé, ce qui générera moins d’erreurs, mais surtout moins de postes. Les locaux seront par ailleurs plus adaptés que ceux que nous avons à Paris. « Vous allez y gagner en simplicité, rapidité et fiabilité », nous avait expliqué la direction. Le centre, baptisé « Paris Nord », devrait ouvrir en juin 1994. Le transfert de l’activité des sites parisiens se fera progressivement sur un an.
C’est beaucoup trop loin pour moi, et je me sens bien trop âgée pour faire le trajet. Mais un samedi matin d’hiver, la nouvelle arriva !
J’ai cinquante et un ans et je suis traducteur pour le Parlement européen. Je travaille essentiellement à Strasbourg, mais je suis également souvent à Bruxelles. Sur mon badge de sécurité, il est inscrit « Quentin MEYER, traducteur linguistique ».
J’aime mon métier, je parle deux langues couramment : l’anglais et l’espagnol. Depuis quatre ans, j’apprends le chinois que je maîtrise maintenant assez bien. Ce qui me pèse le plus, c’est mon célibat. J’ai longtemps cherché l’amour, mais j’ai arrêté… je pense qu’il n’est pas fait pour moi. Bien évidemment, j’ai eu des relations, mais elles se sont toujours mal terminées. À vouloir chercher la femme parfaite, ne finit-on pas par se retrouver seul ? Il y avait toujours quelque chose qui n’allait pas. Mes conquêtes ne diraient sans doute pas la même chose, pourtant, je ne crois pas être compliqué à vivre ! En fait, je pense que je m’ennuie vite. J’aime la nouveauté, là est mon problème. Quand je découvre une personne, je me lasse avec le temps. Rapidement, j’ai envie de découvrir d’autres corps, d’autres pratiques, je veux être surpris. Seulement, la surprise est éphémère et, à un peu plus de cinquante ans, je suis seul.
À un moment de ma vie, vers l’âge de trente ans, j’ai même essayé les garçons, pensant peut-être que cela serait plus simple. Quelle erreur ! C’était sans doute plus compliqué. Certes, ils sont moins cérébraux, et il était assez facile de trouver un plan pour une heure ou une nuit. Seulement, beaucoup s’accrochaient, tombaient amoureux et allaient jusqu’à me faire des scènes. Ce petit délire passager – qui a quand même duré environ une année – n’est plus qu’un lointain souvenir.
Dans ma jeunesse, il était très compliqué d’avoir une relation homosexuelle. Ce n’était certes plus passible d’une peine de prison, mais ces hommes n’étaient pas libres. En 1973, l’année de mes trente ans, un psychiatre du nom de Robert Bouin avait publié un « rapport sur l’homosexualité » en vue de la supprimer de la liste des maladies mentales. Il aura malheureusement fallu attendre 1981 et l’arrivée d’un président de gauche pour que cela devienne une réalité.
Entre les choses qui commençaient à bouger, et moi qui me sentais attiré depuis mon adolescence par les deux sexes, j’avais enfin osé prendre la direction du quartier de Saint-Germain-des-Prés pour me rendre au bar Le Marbillon. J’avais très peur, j’étais passé devant cinq ou six fois avant d’oser enfin rentrer. Une fois le cap franchi, je m’étais alors laissé envahir par l’ambiance chaleureuse et conviviale du lieu. L’éclairage tamisé, la musique qui déversait ses notes entraînantes, la gentillesse des personnes présentes, tout créait un environnement propice aux conversations et aux rencontres.
J’y avais fait la connaissance de Gwendal, un charmant breton qui venait de s’installer pour le travail sur Paris. Il avait quinze ans de plus que moi. Je le voyais très régulièrement et il m’avait appris de nombreuses choses dans le domaine du sexe. C’était le premier homme avec qui j’ai osé coucher, alors d’apprentissage en apprentissage, je dois bien avouer qu’au lit avec lui, c’était génial. Il savait se donner entièrement à moi et me procurer un plaisir incommensurable.
Dans la vie, il était bienveillant et désirait toujours tout m’offrir. Cela me dérangeait vraiment, mais, je me dois d’être honnête, je ressentais quelque chose pour lui, un petit quelque chose que j’ai toujours voulu enfouir et surtout fuir !
Un jour, je lui ai dit mon souhait de le garder en ami, que ce que je vivais à cette période de ma vie n’était que des pulsions passagères pour découvrir, mais que j’aspirais à rentrer dans le droit chemin que ma famille m’imposait, que j’avais envie d’une épouse et d’enfants. Je lui ai dit la fameuse phrase « je préfère que l’on reste amis ». Jusqu’alors toujours disponible pour lui, j’ai mis de la distance entre nous. Je n’avais plus de temps à lui consacrer… les rencontres se sont espacées… je ne répondais plus au téléphone ou prétextais un emploi du temps surchargé. Malgré tout, je l’appelais si j’avais envie, et il était toujours à ma disposition. Au début, c’était excitant, mais j’avais très vite ressenti des remords de m’imaginer Gwendal, devant son téléphone posé dans le couloir de l’entrée de son appartement, à attendre un éventuel coup de fil de ma part.
J’avais un peu l’impression d’être un maître canin qui, dès qu’il sifflait, voyait arriver son chien en remuant la queue. L’excitation du début et l’attrait de la nouveauté avaient laissé place à une forme de dégoût.
Alors, avec la distance que j’avais mise, il a fini par comprendre, ou il s’est résolu et ne m’a plus appelé, plus écrit. Je l’ai perdu de vue et je n’ai plus jamais eu de ses nouvelles. Je pense cependant à lui de temps en temps, en me demandant comment il peut se porter et surtout s’il est heureux dans sa vie ! Je n’ai plus qu’à l’espérer, car c’est ainsi, j’apparais dans la vie des gens et j’en disparais aussi vite, je suis comme ça.
Après Gwendal, j’avais croisé des mecs, mais cela devenait n’importe quoi. Des pratiques que je n’oserais vous raconter, des plans à plusieurs, j’étais accro au sexe entre hommes. J’en étais arrivé à coucher avec n’importe qui, quel que soit l’âge, le corps ou la tête… Addict, j’avais besoin de ma dose de sexe, alors, quand j’étais en manque, j’allais dans les lieux de rencontres au parc des Buttes-Chaumont. Là, peu importe le mec, je baisais telle une bête dans un endroit plus ou moins isolé, le long d’un arbre ou dans un bosquet retiré, j’étais comme un cocaïnomane qui avait besoin d’une ligne de poudre blanche, comme un héroïnomane en manque d’une injection rapide.
Souvent, après avoir assouvi cet irrépressible besoin, je prenais conscience que ces pratiques étaient complètement loufoques et répugnantes. Mais c’est seulement après avoir failli me faire agresser par trois hommes en sortant du parc que j’ai réellement pris conscience de mes dérives. Ils venaient souvent à plusieurs, juste pour rire, pour « casser du PD ». Je m’étais alors dit : « Quentin, c’était la dernière fois que tu faisais ça, c’est un rappel à l’ordre, alors arrête tout ! »
Et c’est ce que j’ai fait ! Cela avait été un peu compliqué au début, mais je n’ai plus jamais couché avec un homme. Gwendal aura été et restera le seul homme avec qui j’aurais fait l’amour, pour les autres, j’avais juste assouvi des pulsions sexuelles. Mais maintenant, c’est loin tout ça !
Remis définitivement sur le chemin de l’hétérosexualité, j’avais rencontré à nouveau Manon. Je dis à nouveau, car c’était une amie de Gwendal que j’avais déjà croisée, il y a quelque temps.
Lors de cette soirée avec Manon, peut-être parce que j’étais triste et que j’avais besoin de câlins et de tendresse, nous nous sommes rappelé nos anciens souvenirs d’école. En discutant, nous nous sommes aperçus que nous avions passé une année dans la même classe avant que chacun continue sa route, elle en droit et moi, en langues étrangères appliquées. Après quelques verres, nous nous sommes rapprochés et avons flirté. Nous nous voyions très régulièrement et j’ai vraiment eu l’impression que nous aurions pu faire un long chemin ensemble. Elle avait 26 ans, moi 30 et prêt à construire ma vie de couple et surtout de parent. Ce fut une déception de plus. Manon ne souhaitait pas d’enfant, elle voulait se concentrer sur sa carrière. Elle finissait ses études d’avocat et ses parents avaient pour elle de grands projets. Elle devait travailler dans le cabinet de son père et surtout devenir une référence dans ce cabinet qui s’était spécialisé dans la défense des femmes. Là était sa cause prioritaire.
Nous étions très heureux ensemble, seulement, un jour de mi-mars 1974, elle avait complètement disparu de ma vie et n’avait plus donné de nouvelles. J’étais même allé jusqu’à l’étude de son père où j’avais été très mal reçu. Il m’avait dit de laisser sa fille tranquille, qu’elle avait mieux à faire que de traîner avec un minable comme moi. Alors j’ai fini par respecter son silence et son choix, et Manon, elle aussi, s’était effacée de ma vie pour ne plus jamais réapparaître.
Aujourd’hui, ma solitude est parfois assez pesante. J’ai des carences en caresses, j’aimerais que l’on me prenne dans les bras, que l’on me serre, que l’on me rassure et que l’on puisse me dire « je t’aime ». J’ai des amis bien sûr, et je suis souvent en soirée, je ris, je m’amuse, mais je rentre seul. La plupart de mes amis sont mariés, sont parents… J’ai l’impression d’être une exception. Évidemment, il ne faut pas spécialement avoir une vie de famille pour être heureux, mais c’est malgré tout mon souhait le plus profond.
Tout s’embrouille dans ma tête. Si je souhaite des enfants, maintenant, cela voudrait dire que je dois rencontrer une femme plus jeune. Mais j’aime les personnes de mon âge et je n’ai pas forcément envie de fréquenter quelqu’un qui aurait quinze ou vingt ans de moins que moi. J’ai l’impression que nous n’avons plus les mêmes délires, les mêmes envies. Alors douloureusement, je dois affronter la triste réalité, je terminerai ma vie sans enfant. Il est vrai que je traverse l’existence sans doute de façon égoïste, je profite de la vie, je voyage, je découvre le monde, c’est une chance de pouvoir faire tout ça, mais cela le serait beaucoup plus de partager ces moments avec une personne que j’aime.
L’être humain est fait pour vivre en société, pour être social et non pour rester seul. Échanger, partager, c’est aussi le but de la vie. Apprécier un sublime paysage, un merveilleux coucher de soleil sur une plage paradisiaque, c’est magique, mais cela l’est encore plus de l’apprécier à deux. Ces choses, je les fais quand je pars avec des amis, cela me console un peu, mais ceux-ci ne sont pas toujours disponibles, car eux ont une vie de famille.
Je me suis donc inscrit dans une association pour partir en vacances avec des inconnus avec qui je partage le même désir de découverte, le même désir de ne pas être seul. J’avais eu du mal à franchir ce cap, car je trouvais cela un peu pathétique, mais ma première expérience m’avait ravi. Nous étions un groupe de dix personnes, dans ma tranche d’âge et nous discutions le soir, autour d’une table, comme si l’on se connaissait depuis toujours, c’était vraiment chouette. Je suis resté en contact avec certains et même si nous habitons aux quatre coins de la France, il arrive que l’on se retrouve dans certaines autres destinations.
Lors de l’un de ces voyages, j’avais bien accroché avec Mathilde, une jolie petite brune au caractère bien trempé. Elle était célibataire, elle m’envoyait constamment des pics et je ne m’étais pas rendu compte qu’elle avait flashé sur moi. Mais un mec du groupe m’avait dit « Mathilde est à fond sur toi, tu ne vois pas comment elle te taquine toute la journée ». J’étais resté surpris, alors nous avons discuté ensemble et elle m’a avoué me trouver très à son goût. Nous nous sommes rapprochés avant la fin du séjour, nous avons fait l’amour et avons fini les vacances collés l’un contre l’autre. Qu’est-ce que c’était agréable ! Mais le retour à la réalité fut assez compliqué. Mathilde était principale adjointe de collège et habitait la petite ville d’Urrugne dans le Sud-Ouest, à côté de Biarritz. Un peu moins de 1 200 kilomètres nous séparaient. Nous nous étions revus une fois à Paris, cela s’était passé moyennement, la magie s’étant sans doute envolée. Par la suite, nous avons continué à nous téléphoner de temps en temps, puis les appels se sont espacés pour finir par s’arrêter !
Je restais malgré tout confiant en l’avenir. Un jour, l’annonce d’une secrétaire de l’hôpital m’informa d’une nouvelle qui allait changer ma vision de la vie.
J’ai eu 28 ans le 2 février dernier et bien sûr, j’ai eu le droit à une fête d’anniversaire chez mon père. Chaque année, il tient absolument à faire une petite cérémonie. Nous ne sommes que deux, mais cela lui tient très à cœur. Je lui ai déjà dit que je ne voulais plus de réception, mais rien n’y fait, on dirait que c’est la soirée de l’année en dehors, bien évidemment, des célébrations traditionnelles de Roch Hachana, Yom Kippour ou Pessah.
C’est vrai que je suis fille unique, ma mère était fille unique, ma grand-mère l’était également.
Comme vous avez pu le constater, j’emploie le temps « était ». En effet, lorsque j’avais seize ans, maman nous a quittés. Elle avait contracté un cancer du sein et, en 1982, malgré les progrès en la matière, la radiothérapie n’a malheureusement pas eu l’effet escompté, son cancer était trop avancé.
Quand j’ai perdu ma mère, j’ai eu l’impression que je vivais un rêve ou du moins, un cauchemar rempli d’affliction. Je n’arrivais pas à réaliser. Il était impossible que ma mère ne soit plus là. Pour moi, elle était immortelle. Seulement, au fil du temps, j’ai appris à l’accepter, avec l’aide d’une psychologue d’ailleurs.
Ce deuil m’avait vraiment fait mûrir, j’ai eu l’impression de passer de l’adolescente qui se souciait peut-être un peu trop de son image et des garçons, à une femme qui devait aider à la maison et surtout soutenir mon père pour qui cette perte avait également été le drame de sa vie. Il l’adorait tant, il en était tellement amoureux, même des années après leur rencontre et leur mariage. J’aimais les voir parler et rire ensemble. Mais voilà, pour lui aussi, j’ai dû être forte.
Je porte le prénom de ma mère, mais également de ma grand-mère ; Hannah. La vie de ma mamy avait été jonchée de douloureuses épreuves, à commencer par une adolescence qu’elle n’a pas vraiment eue, car, quand la Seconde Guerre mondiale avait éclaté, elle n’avait que quinze ans. Décédée lorsque j’avais deux ans, je ne l’ai que peu connue et je ne garde aucun souvenir d’elle. Mais ma mère m’en parlait souvent.
Nous sommes de confession juive et les parents de ma grand-mère l’avaient envoyée dans un couvent catholique en leur demandant de veiller sur leur fille sans que l’on puisse se douter de sa religion. En mai 1944, ont commencé à circuler des rumeurs informant la population que les alliés américains allaient venir libérer les Français. C’est alors, se pensant définitivement à l’abri, qu’elle fût emportée par la Gestapo. Quelque temps après, elle fut envoyée dans le camp de Ravensbrück, essentiellement réservé aux femmes. Elle n’avait jamais vraiment parlé de ce qu’elle y avait vécu.
Ma mère non plus n’avait pas évoqué avec moi le passé de ma grand-mère. À l’école, quand après avoir vu la Première Guerre, nous avions abordé très succinctement l’histoire de la Seconde Guerre mondiale, le sujet des camps de concentration n’avait pas du tout été abordé. Il avait juste été mentionné que les Allemands avaient construit des zones de rétention pour le travail forcé. Ma mère m’avait alors raconté brièvement l’histoire de ma grand-mère et de son passé, en me disant surtout qu’elle ne s’était jamais remise de cet enfermement. Elle avait rencontré son mari au retour de la guerre, mari qui était également un survivant des camps. Ils avaient fait ensemble le chemin pour rentrer en France, s’étaient rapprochés, consolés et aimés par la suite. Ma mère était venue au monde quelques mois après leur retour. C’était une belle preuve d’amour et cela signifiait surtout que, malgré toutes les horreurs qu’ils avaient vécues, la vie continuait !
Mon grand-père était décédé quelques années après la naissance de ma mère. Son corps avait tellement été maltraité qu’il s’était épuisé. Il s’était éteint comme une flamme qui aurait été trop chahutée par le vent.
Pour ma grand-mère, c’est en 1968 qu’elle nous avait quittés, elle était pourtant jeune, quarante-quatre ans. Elle avait attrapé une sorte de grosse grippe. Ma mère m’avait raconté qu’elle toussait beaucoup et était très fatiguée. Avant de rentrer chez elle, elle l’avait mise au lit où elle l’avait retrouvée sans vie le lendemain matin. Cela avait été un choc pour elle, mourir aussi jeune à cause d’un simple coup de froid.
Alors, comme vous pouvez le constater, il y a beaucoup de décès autour de moi. Je suis entourée par les fantômes de mon passé, mais je sais que ce sont des personnes remplies d’amour qui veillent sur moi de là où elles sont !
Je ne sais par quel miracle, je suis malgré tout restée une femme joyeuse, je crois en la vie. J’ai toujours en tête une phrase que ma mère me disait souvent et qui me reste, bien des années après : « Hier est derrière, demain est un mystère, mais aujourd’hui est un cadeau, c’est pour cela qu’on l’appelle présent. »
Je me suis alors concentrée sur mes études, cela m’a aussi aidée à aller mieux. Le décès de ma grand-mère, puis celui de ma mère m’avaient permis de trouver ma voie, je voulais apporter aux malades mon écoute, ma compassion, pour pouvoir les soigner.
Je viens d’obtenir mon diplôme d’État de docteur en médecine. Je fais la fierté de mon père. J’aimerais reprendre un cabinet et, même si de nombreuses personnes de ma promotion souhaitent exercer en ville, moi, je préfère aller en campagne. Des amis pensent que je suis complètement folle, car dans les grandes agglomérations, il y a de nombreuses choses à faire, mais peu importe, moi, je privilégie le calme d’une petite ville. Mais avant ce projet d’installation, j’ai décidé de partir en Afrique pour une mission humanitaire. C’est parce que j’ai besoin de me sentir utile que je vais au Congo pour une mission de deux mois. J’ai choisi ce pays francophone, car je parle uniquement le français et l’hébreu, mon père ayant tenu à ce que je connaisse la langue de mes ancêtres. J’ai bien décidé de me mettre à l’anglais, mais ce sera pour plus tard.
Il n’a pas compris mon choix, il craignait pour moi, une jolie jeune blonde aux yeux clairs, comme il disait, dans un pays lointain… Moi, je ne voyais pas le danger. Il est normal qu’il puisse s’inquiéter pour sa fille unique, mais je ne suis plus son bébé, j’ai du tempérament et je sais me défendre. J’ai du caractère, mes ex me l’ont assez reproché ! En vérité, je n’ai jamais vraiment eu d’histoires d’amour sérieuses, pour moi, mes études et l’obtention de mon diplôme comptaient avant tout. Je peux désormais un peu profiter de ma vie, arrêter de réviser, d’apprendre…
Je ne partais pas seule au Congo, ce projet avait été élaboré avec ma meilleure amie. C’est drôle, car c’était un peu mon opposé, mais nous nous entendions tellement bien. En fait, nous étions surtout complémentaires.
Elle se nomme Kamala, ce qui signifie « Lotus » en sanskrit. C’est un autre nom des déesses hindoues Lakshmi et Durga. Sa famille est originaire du Sri Lanka. C’est une très jolie brune aux yeux marron. Elle a malheureusement un caractère assez faible, affichant une personnalité plutôt timide et hésitante dans ses interactions. Je n’arrive pas à comprendre qu’elle n’ose pas répondre parfois aux invectives que l’on peut lui faire. Moi, c’est tout le contraire, je monte au créneau tout de suite, il ne faut pas toucher à Kamala.
La dernière fois, dans le métro, un mec nous a sifflées. J’ai répliqué « Non, mais ça ne va pas ! » Alors Kamala m’a chuchoté :
S’en était suivie une dispute avec le mec qui a vite compris qu’il n’aurait pas le dessus sur moi. Finalement, il s’était excusé bêtement et très maladroitement, en disant qu’il nous a trouvées fort belles et qu’il était désolé de nous avoir ainsi interpellées, c’était un mauvais réflexe.
Kamala a peur qu’un jour cela se passe mal pour moi et que je puisse prendre un mauvais coup !
Oui, mais comme je fais du krav-maga depuis maintenant six ans, je n’ai pas peur. Je n’ai jamais pu entraîner avec moi Kamala, sa famille ne voulait pas qu’elle s’essaye à cette discipline qui, selon eux, n’était pas digne d’une femme.
Moi, j’aime beaucoup le pratiquer et cela me rassure vraiment. En plus, c’est originaire d’Israël. En effet, le krav-maga a été créé en 1964 par Imi Lichtenfeld. Il avait ouvert une école à Netanya, en Israël. La méthode combine des techniques provenant de la boxe, du judo, du ju-jitsu et de la lutte. Ce n’est pas pour être utilisé pour faire le mal, c’est juste un système de self-défense qui nous prépare à réagir face à des menaces réelles dans des situations variées.
Même s’ils n’en voulaient pas pour leur fille, cela rassurait beaucoup les parents de Kamala que j’en sois experte, surtout pour partir toutes les deux dans des contrées lointaines en pleine Afrique noire.
Le départ approche, nous partons dans une semaine, j’ai hâte !
C’est alors qu’un appel du centre de vaccination m’annonça une nouvelle qui allait peut-être remettre en question tous mes projets !
Une nouvelle journée commence, je me sens en pleine forme ce matin. Je peux apercevoir par la fenêtre les rayons dorés du soleil qui percent les nuages, créant un tableau saisissant au-dessus des toits de Londres. Dans le reflet de mon miroir, je vois cet homme noir de trente ans, je souris. Mes origines remontent à une histoire mélangeant la culture juive et l’héritage africain. Mes ancêtres avaient des liens avec une petite communauté juive vivant depuis des générations sur la côte ouest de l’Afrique. Ils ont maintenu leurs traditions et leur foi à travers les épreuves historiques et les migrations. Petit, j’observais les coutumes de ma famille, tout en étant influencé par la culture africaine, fusionnant ainsi en moi un héritage riche et varié. Mes parents avaient choisi le prénom de David, « bien aimé ».
Quand j’avais onze ans, nous avons quitté la République du Dahomey pour venir nous installer en France. Le pays avait vécu des années difficiles. En 1972, Mathieu Kérékou avait renversé l’ancien gouvernement et rebaptisé le pays en République populaire du Bénin en 1975. Mon père, haut fonctionnaire, avait été envoyé en qualité d’ambassadeur du Bénin en France, à Paris, dans le seizième arrondissement. Nous sommes donc arrivés, avons été reçus par un haut fonctionnaire français et avons emménagé non loin de l’ambassade. Mon jardin était pour ainsi dire le Trocadéro, j’y allais souvent avec ma mère ou ma nounou. Il y a pire comme parc de jeux. En plus, j’avais une très belle vue sur la tour Eiffel.
J’avais une vie très confortable, cependant, à l’école, j’étais le seul petit garçon noir et j’ai vite compris que cela posait des problèmes. Alors chaque matin, je me réveillais avec une étincelle à la fois d’excitation et d’anxiété. J’aimais apprendre et j’étais curieux du monde qui m’entourait, mais je ressentais aussi un mélange de nervosité à l’idée de passer ma journée parmi mes camarades qui étaient différents de moi. Au début, les enfants me regardaient parfois de façon étrange ou me posaient des questions maladroites par rapport à ma couleur de peau. Ces moments me mettaient très mal à l’aise, mais j’affichais un sourire sur mon visage et je répondais avec gentillesse, même si cela me blessait de l’intérieur. J’avais été éduqué comme cela, toujours faire front, toujours être fort et distingué. Mes journées étaient un mélange d’expériences. Parfois, je me faisais de véritables amis qui m’acceptaient tel que j’étais, appréciant ma gentillesse et ma perspicacité. D’autres fois, je ressentais un sentiment de rejet ou d’isolement. Certains camarades de classe avaient du mal à comprendre ma présence parmi eux et à voir au-delà de la couleur de ma peau.
Malgré ma tristesse, je ne parlais pas du tout de ce rejet à mes parents. En fait, je ne voulais pas qu’ils s’inquiètent pour moi, je désirais en quelque sorte les protéger, même si ce n’est pas dans la logique des choses. Cependant, quand on est enfant, notre modèle, ce sont nos ascendants et je pense que c’est en observant leur comportement envers moi que j’ai adopté à mon tour ce besoin de les préserver. Un enfant se sent souvent, à tort, responsable du bonheur de ses parents et, en ce sens, souhaite que les potentielles conséquences négatives de ses actions ne rejaillissent pas sur eux.
Mais à l’école, ces réactions m’ont plutôt donné une forte détermination. Je me consacrais pleinement à mes études avec passion, prouvant à moi-même et aux autres que la couleur de peau n’était pas une barrière à la réussite. J’aimais lire et apprendre sur des sujets variés, ce qui m’aidait à me connecter avec ceux qui partageaient mon intérêt pour la connaissance.
Au fil du temps, j’ai commencé à me forger une identité forte. Je me suis vite rendu compte que chaque personne était unique, que la diversité était précieuse et que la véritable amitié allait au-delà des apparences. À mesure que les années passaient, les mentalités évoluaient lentement. Les relations avec mes camarades de classe s’amélioraient et les liens se renforçaient.
De ce fait, depuis l’adolescence, je suis très engagé dans les organisations locales pour promouvoir la compréhension interculturelle et sensibiliser aux défis auxquels les minorités ethniques et religieuses peuvent être confrontées. Mon expérience personnelle a été un véritable atout pour parler de diversité et d’inclusion.
Vous l’aurez sans doute compris, je suis fils unique, mes parents n’avaient pas pu avoir d’autres enfants. Je sais que ma naissance avait été très compliquée. Elle était accompagnée d’un secret, mais un secret mal gardé. Une chaude journée de juin, nous avions reçu la visite d’un oncle maternel. Je m’étais baladé seul avec lui au parc du Trocadéro. Assis sur un banc, à l’ombre des arbres centenaires, mon oncle m’a dit :
Un mensonge sortit tout seul, car je ne voulais pas qu’il s’arrête en plein récit. Je n’ai pas vraiment menti de toute façon, ils m’avaient en effet bien raconté les problèmes de ma naissance, mais rien de plus !
J’étais resté sans voix à l’annonce de cette nouvelle. Il aurait donc voulu que je meure pour sauver son épouse. Heureusement, les deux l’avaient été. Mon corps de nourrisson avait dû être maltraité dans cette bataille pour la vie, ce qui expliquait que j’ai aujourd’hui de graves problèmes au dos.
Je ne pourrais jamais en parler avec mon père. Un matin, le téléphone avait sonné chez nous, c’était un samedi, il avait reçu un appel urgent du ministère des Affaires étrangères. On lui avait expliqué que des négociations cruciales étaient en cours avec un pays voisin et que son expertise était impérative pour résoudre une impasse délicate. Sa présence était nécessaire et essentielle, car mon père avait développé des liens étroits avec les diplomates étrangers et comprenait les nuances complexes de la situation. Il avait accepté avec résilience. Notre visite au zoo du Jardin des Plantes avait donc été annulée, ma mère, recevant des amis pour le thé, n’était pas non plus disponible pour m’y emmener.