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Louise s'embarque dans une aventure avec Valentin, une rencontre risquée via une application. Pendant ce temps, Aurélie lutte pour échapper aux griffes d'un ex violent, tandis que Christophe, en quête d'identité, cherche à se découvrir. Le destin les réunit tous autour de Ginette, une énigmatique veuve au passé trouble. Une tragédie surviendra, les forçant à faire des choix impactants. Entre amours, défis et secrets inavouables, l'histoire se dessine dans un tourbillon captivant d'émotions et de rebondissements.
À PROPOS DE L'AUTRICE
Camille Augustin signe avec
Mes trois amours son premier roman. Livre dans lequel il développe le thème de l’amour sous trois angles différents mais complémentaires : familial, amical et sentimental.
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Seitenzahl: 497
Veröffentlichungsjahr: 2023
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Camille Augustin
Mes trois amours
Roman
© Lys Bleu Éditions – Camille Augustin
ISBN : 979-10-377-9721-6
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Imaginer le soir et les splendeurs barbares, accoudée à ton bras,
Imaginer courir dans les forêts et rire au rythme de ta voix,
Imaginer l’amour, toi et moi dans la tour, les étoiles en plein jour,
Imaginer la vie que je n’aurai jamais, en tout cas pas ici.
Juliette Anne Solange Armanet
Je m’appelle Louise, j’ai quarante-huit ans. Depuis vingt-trois ans, je suis mariée avec Philippe, directeur financier dans un grand groupe. Moi, je suis directrice des ressources humaines dans une grande administration. Nous avons deux enfants : un garçon, David, vingt-cinq ans et une fille, Manon, vingt-trois ans. Nous avons une vie très confortable, des vacances d’hiver au ski, celles d’été, dans notre résidence secondaire, une villa avec piscine à La Seyne-sur-Mer, sans oublier, en octobre, la découverte d’un nouveau pays tous les ans. L’année dernière, c’était le Pérou, cette année, nous devrions partir au Japon. J’ai une vie que l’on pourrait qualifier de parfaite ; j’ai vraiment tout pour être heureuse. Cependant, je ne le suis pas du tout. Je déprime, je m’ennuie, je pleure souvent le soir…
Mon mari est plutôt bel homme pour ses cinquante et un ans. Il s’entretient, il allait à la salle de sport deux fois par semaine, mais depuis quatre mois, parce que plus simple, il a pris un coach particulier. Il a donc partagé l’une des deux chambres d’amis que nous avions entre une partie bureau et une partie salle de sport avec des machines dernier cri. Il est beau, Philippe, je le regarde… ou disons plutôt que je le vois, car je ne pense plus le regarder. Voir, c’est inévitable quand quelque chose est dans notre champ de vision, mais ce n’est pas forcément s’y intéresser. En revanche, regarder, c’est fixer son attention sur un individu, un objet, un paysage. Donc, je vois Philippe… je ne le regarde plus vraiment !
Je suis malheureuse sans en comprendre les raisons, et de ne pas me les expliquer accentue ce sentiment. C’est un peu le serpent qui se mord la queue ! Bien sûr, je sais qu’il y a des choses que je ne peux accepter avec Philippe et je sais également que je me voile la face, mais jusques à quand ?
En fait, en analysant un peu, je me suis surtout rendu compte que je ne désirais plus Philippe, même s’il est resté bel homme pour son âge ; je dois bien l’avouer ! J’ai l’impression d’être tombée dans une routine sexuelle qui ne m’excite plus vraiment. Je ne le montre pas, car j’ai malgré tout envie de lui, ou peut-être est-ce plutôt que j’ai un besoin sexuel… Alors, je cède à ses avances qui se font d’ailleurs de plus en plus rares. Mais après, je me dégoûte, car, même s’il est à cent lieues de le penser, je sais tout.
Un jour, alors que j’étais seule le soir, les enfants étaient dans leur chambre et Philippe était en séminaire en Suisse, je dois bien vous l’avouer, j’ai installé une application pour rencontrer des hommes. Je ne cherchais pas un nouvel amour, car je l’avais déjà et je voulais que mon mariage garde un sens, j’avais simplement besoin de fantaisie. J’avais surtout, je crois, envie que l’on me regarde avec les yeux du désir, ce que je ne voyais plus depuis longtemps dans ceux de mon mari.
Je m’étais donc inscrite sur ce site de rencontre. Il avait alors fallu compléter plein de choses, la taille, le poids, l’âge… J’ai noté que j’avais quarante-quatre ans. Craignant que cela m’empêche de faire des rencontres, je n’ai pas osé écrire le vrai. Je savais qu’il s’y trouvait beaucoup de belles jeunes filles, aux seins bien fermes, à la peau lisse et soyeuse… Et même si je me sentais très jeune dans ma tête, j’avais quand même eu deux enfants que j’avais allaités et ces grossesses avaient laissé quelques stigmates sur mon corps.
Sur ce site, je craignais également que quelqu’un puisse me reconnaître, un ami, une connaissance ou encore une personne que j’aurais croisée dans le cadre de mon travail. Avec tous les entretiens et agents que je gérais, c’était très angoissant et c’est aussi pour cette raison que j’ai choisi comme photo de profil un paysage, une jolie photo prise en Thaïlande il y a quatre ans.
Par cet intermédiaire, j’ai rencontré des hommes. Peu en réalité et, même si la première rencontre avait été psychologiquement compliquée, je me sentais très bien quelques jours après. Comme si ce que je faisais n’était pas de la trahison. En fait, aussi bizarre et incongru que cela puisse paraître, cela a renforcé l’affection que je pouvais avoir pour Philippe. Peut-être que la turpitude physique, la nouveauté d’un corps, d’une pratique inédite, de jeux différents me permettaient de mieux apprécier la présence de Philippe, me le faisait voir différemment.
Un jour, j’ai fait une rencontre particulière. Ce n’est pas que je ne veux pas vous dire son prénom, c’est qu’en fait je ne le connais pas, enfin, juste son pseudo. Je ne veux pas m’attacher, je veux juste partager des moments intimes, chauds, insolites et tendres malgré tout. Je veux trouver des individus avec qui mes fantasmes les plus inavouables pourraient être réalisés. Mon pseudo sur le site était Caroledu75, et lui, Sylvain75. Je ne me souviens jamais des pseudos ou soi-disant prénoms des hommes avec qui je couche. Est-ce que je me souviens de lui, de ce fameux Sylvain, à cause de son insistance ? Allez savoir pourquoi, mais je n’avais pas trop envie de le rencontrer.
Nous avions discuté un peu, avions échangé nos photos, une photo de tronc. C’était bizarre de commencer par cela… Il m’avait envoyé son corps à la tête guillotinée, j’avais donc pris soin de trancher la mienne avant de faire de même. Je peux vous dire que sa photo était convenable. Torse nu en pantalon, ni gros ni mince, presque imberbe à part une petite toison entre la poitrine.
Après avoir vu ma photo, il m’avait fait parvenir la même que la première, mais cette fois entière. Il était métis, assez bel homme, trente-cinq ans, de petites lunettes rondes et un petit bouc. Austère, il ne souriait pas du tout, mais avait un petit air sérieux d’instituteur qui me plaisait plutôt bien… Après avoir constaté qu’il m’était totalement inconnu, j’avais pu également lui envoyer la photo de mon visage.
Apparemment, je lui plaisais beaucoup. Il avait commencé un peu à s’emballer en me disant qu’il serait éventuellement possible de se voir régulièrement si cela se passait bien. Ma réponse fut ferme : si on décidait de se voir, ce serait une et une unique fois, même si cela se passait bien. Pas d’accord au début, il a finalement accepté en voyant que c’était pour moi la condition ultime pour une rencontre. Il voulait me voir le soir même, mais pour être sincère avec vous, entre son insistance et le fait que je n’avais pas eu de feeling immédiat, je n’avais pas prolongé la discussion et lui avais dit que cela n’allait pas être possible.
Mais, un soir de semaine, alors que Philippe avait une réunion tard et que j’étais rentrée vers dix-huit heures trente, ce jeune homme était revenu à la charge. Je m’étais connectée et avais constaté qu’il l’était aussi. Il était venu directement me parler avec un « Et alors, cette fois tu es disponible ? » Je n’étais toujours pas convaincue. En plus, je dialoguais avec un autre homme qui s’est finalement avéré si vulgaire dans ses propos que je ne l’avais pas rencontré non plus.
Après avoir bloqué cet excité du bulbe, j’avais discuté un peu plus longuement avec ce fameux Sylvain75. Mais à trop parler, il était désormais trop tard pour le rencontrer et j’avais donc à nouveau décliné son invitation… Cette petite discussion avait été malgré tout charmante. Pour une fois, on ne m’avait pas demandé des photos de mes seins et de mon sexe… Ah, les mecs ! Immanquablement, j’avais ces demandes de photos hots. J’y répondais avec un « envoie déjà les tiennes », et ils s’en donnaient à cœur joie pour m’envoyer leur verge sous tous les angles. Je vous dis tout, alors je peux vous avouer que, les photos ne m’ayant pas du tout plu, il m’était arrivé de trouver des excuses. Bien sûr, par délicatesse et respect, je ne faisais aucune allusion à leur anatomie, je reportais simplement le rendez-vous, encore et encore… jusqu’à ce que l’homme en question ne vienne plus me parler ou qu’il finisse par me bloquer.
Mais lui, ce métis, ne m’avait justement pas réclamé ce genre de photos intimes, et de fait, moi non plus. En revanche, il m’avait fait une énième demande de rencontre, un soir où Philippe avait encore l’un de ces séminaires de « team building ». Oh là là, qu’est-ce que je les entendais ces mots, à croire que l’on ne peut plus s’entendre avec des collègues et qu’il faille absolument que les entreprises organisent ces rendez-vous pour souder une équipe. Mais bon, dans un sens, je profitais de son absence.
À mon travail, le grand chef avait voulu que j’organise également un séminaire de team building. Je n’avais pas refusé, juste prétexté que ce n’était pas la bonne période, mais comme on dit, c’est reculer pour mieux sauter. Je devais donc travailler sur ce séminaire pour mon équipe de quarante-deux personnes dans les prochaines semaines.
Le soir où cet homme m’avait à nouveau écrit, j’étais censée aller passer la soirée avec ma meilleure amie, Aurélie. Bien évidemment, elle était dans la confidence, elle savait la plupart de mes secrets et je connaissais également tous les siens. Nous nous étions rencontrées au travail. Entre nous, cela avait été un coup de foudre amical immédiat. Pourtant, au début, je lui trouvais une certaine froideur sans doute liée à sa grande timidité. Elle était directrice des finances et, entre directrices, nous avons fini par sympathiser. De fil en aiguille, elle était devenue une amie, puis ma meilleure amie. On se fréquentait en dehors du travail. Célibataire, séparée de son « boyfriend » comme elle aimait dire, quelque temps après notre rencontre professionnelle, je la voyais aller mal. C’était peut-être cela qui nous avait encore plus soudées. Pendant la pause déjeuner, elle s’était un jour confiée à moi. Son copain l’avait complètement asphyxiée, elle avait eu beaucoup de mal à se remettre de sa séparation. Certes, elle avait perdu cet homme qu’elle pensait être le bon, mais sa plus grande souffrance avait été de ne plus savoir qui elle était. Cet homme lui avait tellement dicté sa conduite, sa façon de s’habiller, d’écouter SA musique, de regarder SES films… qu’après six ans de relation, elle s’était oubliée. Elle ne savait plus du tout ce qu’elle aimait. Non seulement elle s’était retrouvée seule, mais surtout face à une personne qu’elle ne connaissait plus, elle-même. Elle ne savait plus quels étaient ses goûts vestimentaires, musicaux ou cinématographiques… C’était pour elle le plus compliqué. J’avais été là pour lui changer les idées, sortir ensemble et surtout essayé de lui faire retrouver une personnalité qu’elle avait perdue. Quand nous allions faire du shopping, je lui disais « Cette robe te va à ravir ! », et tout ce qu’elle était capable de me répondre, c’était un « Euh oui, je ne sais pas si elle plairait à Jules ». J’ai dit stop, je n’en pouvais plus de son Jules… Je lui ai dit « Tu dois maintenant choisir pour toi et non pour Jules ou pour aucun autre homme, d’ailleurs. Tu dois te sentir libre d’aimer une musique qui pourrait déplaire à celui qui partagera ta vie, ou avoir des loisirs que toi seule pourrais faire. Aimer, c’est certes partager des choses à deux, mais c’est aussi et surtout avoir des activités, des passions, des loisirs… pour toi seule ». Petit à petit, elle s’était retrouvée, elle s’était reconstruite, elle avait appris à s’aimer à nouveau, elle s’était épanouie.
Je m’égare là, désolée. Je vous disais donc que Philippe était à son séminaire de « team building », un jeudi et un vendredi, pour aller faire de la pâtisserie et autres gourmandises dans un château. Cela me faisait rire, car il ne savait même pas se faire cuire un œuf. Mais bon…
Je n’avais donc rien prévu, à part boire un verre de blanc, voire deux, en écoutant de la musique. Alors, je me suis connectée sur l’application, et là, encore cet homme. « Et alors, Carole, ce soir, ne serais-tu pas disponible pour passer un moment délicieux avec moi ? Nous pourrions boire un verre et, si cela se passe bien, nous pourrions faire plus que boire du vin ou autre, mais boire également le fluide de nos corps enlacés. » Cette formulation m’avait vraiment interpellée. Je ne savais pas si c’était déplacé ou simplement excitant… Sans doute dans une sorte de désespoir et de solitude, j’avais répondu « OK, pour le verre. Je suis rarement libre et pour le peu que je le sois, je ne veux pas perdre mon temps avec des discussions interminables. Je t’ai dit, je veux une rencontre ultime, donc je n’ai besoin de rien savoir de ta vie, et tu n’as pas besoin de connaître les détails de la mienne ». Il avait été un peu déconcerté par cette réponse à laquelle il ne s’attendait pas. Trois petits points clignotaient, signe qu’il était en train de me répondre. J’ai attendu cinq minutes, je l’imaginais m’écrire un roman et j’ai eu un « Je te donne mon adresse ? ». Bon d’accord, tout ça pour ça ! Je pense qu’il avait écrit autre chose qu’il avait préféré effacer ou remplacer par ce message court. Comme à chaque fois, dès que j’avais l’adresse, j’avais peur et je ne voulais plus y aller. Mais l’excitation et le fait d’être encore seule ce soir m’avaient donné le courage de me rendre chez lui. J’ai donc pris une douche, enfilé non pas une tenue sexy, mais une tenue pratique à retirer et aussi à remettre : un jeans clair et une petite chemise blanche. Je me suis regardée dans la glace, je me suis trouvée ridicule et vieille et me suis dit « Louise, tu t’ennuies, tu es triste, tu en as marre de la vie, alors que risques-tu en fait ? Que l’on te tue ? Eh bien, pas grave. Rappelle-toi, il y a quinze jours, tu avais voulu avaler toute la boîte de somnifère que tu avais piquée dans la salle de bain de ta belle-mère, parce que ta vie était terne… ». Mes yeux avaient pétillé en repensant à cette folie. Je m’étais donc vite essuyée pour ne pas avoir les yeux rouges. Un léger coup de fond de teint, un trait noir sous les yeux pour faire ressortir mes iris bleu lagon, et voilà, j’étais prête. Prête, mais tétanisée.
J’ai dit aux enfants que je sortais passer la soirée avec Aurélie. Chacun était dans sa chambre, entre les études, les amis, les réseaux sociaux et les jeux vidéo. Ils étaient dans leur monde et d’ailleurs contents que maman aille voir son amie pour passer une grande partie de la soirée. Ainsi, ils étaient encore plus libres d’en profiter.
Comme à chaque fois que j’allais voir un homme, j’envoyais sa photo et son adresse à Aurélie. Elle me demandait ensuite de lui envoyer un message une fois devant chez lui, un second dans les cinq minutes qui suivaient et, enfin, un plus tard, dans la voiture pour le retour. J’écrivis donc le message à Aurélie, cela me rassurait un peu. Je savais que s’il devait m’arriver quelque chose, il serait sans doute trop tard pour que l’on me retrouve vivante, mais au moins, on pourrait appréhender plus facilement l’auteur de mon meurtre.
« Je suis bien arrivée à l’adresse que je t’ai envoyée tout à l’heure, appartement quarante-quatre, je suis devant, et voilà la photo de mon délit de ce soir. À tout à l’heure, bises. »
« À tout à l’heure, bises. » OK, voilà, elle était arrivée devant sa porte. Il était « bof » le mec qu’elle venait de m’envoyer en photo, mais bon elle avait toujours été séduite par les métis ou les Noirs. On dit parfois que les opposés s’attirent et c’était marrant, ou bizarre, car son mari Philippe avait les cheveux blonds, enfin grisonnants maintenant, et la peau très claire. Il tenait cela de ses racines, il avait fait son test ADN via les États-Unis. Il était donc à quatre-vingt-dix pour cent d’origine flamande et germanique, une touche de gènes britanniques et un petit quatre pour cent de sang ibérique. On pouvait bien se demander où étaient les gènes espagnols et portugais en lui. Ah oui, désolée, je vous parle, mais j’ai oublié de me présenter. Je m’appelle Aurélie, j’ai quarante-deux ans. J’ai rencontré Louise il y a quatre ans au travail. Il est vrai qu’elle m’avait bien aidée à traverser la période difficile suivant ma séparation d’avec celui que je pensais être l’homme de ma vie. Enfin, je ne préfère pas m’étendre sur ce sujet ni vous raconter dans les détails cet épisode douloureux. Pour vous résumer, l’important est que, grâce à Louise, j’ai pu me reprendre en main, elle a su tirer le meilleur de moi. C’est d’ailleurs ce passage regrettable qui a fait que je vais mieux désormais. On dit fréquemment que rien n’arrive au hasard, j’en ai souvent douté, mais là, j’avoue que c’est exact. Louise avait été le rayon de soleil derrière les nuages gris de ma vie. En fait, j’adore la vie, je suis heureuse d’être sur Terre et je savoure tous les bons moments. Mais parfois, une relation amoureuse avec la mauvaise personne peut tout assombrir et la fille pétillante que j’étais s’était complètement tarie pour devenir morne. Bon, j’ai dit que je ne préférais pas vous en parler ; l’important est que j’ai retrouvé la joie de vivre.
Je dois malgré tout vous avouer que je ne m’éclate plus vraiment dans mon travail. Je suis directrice des finances dans un grand groupe. Un jour ou l’autre, je vais devoir avoir le courage de réfléchir à un changement de carrière, mais c’est encore trop flou pour moi pour que j’ose franchir le cap. Je ne sais pas pourquoi j’avais choisi ce domaine. Plus jeune, je n’avais pas la moindre idée de ce que je voulais faire de ma vie. Mon frère, le chouchou de mes parents, réussissait difficilement et s’est dirigé vers les chiffres, c’était là qu’il s’en sortait le mieux. Mes parents étaient tellement fiers de lui ! Alors, comme il n’était pas question que je suive mes amies qui s’orientaient vers l’esthétisme, la vente, la coiffure ou le secrétariat, j’avais choisi les chiffres aussi, tout ce que détestaient mes copines. Mes parents m’en avaient pourtant dissuadée au début, voulant que je fasse, à la rigueur, comme ma tante Lucie. Elle avait eu un diplôme de secrétariat et, maintenant, avec les années, était devenue secrétaire de direction. En plus, elle écrivait en sténographie. Comme si c’était la chose la plus extraordinaire… Certes, j’aimais bien voir ces hiéroglyphes quand j’étais plus jeune. Je trouvais des papiers qui étaient sténographiés. J’avais l’impression que c’était une langue fusionnée entre des signes chinois et arabes ; cela me fascinait, mais de là à en faire mon métier, non, cela ne me disait rien du tout. Mes parents portaient mon frère sur un piédestal. Est-ce parce que c’était leur premier enfant, leur fils bien aimé ? Je ne le saurais sans doute jamais. Moi, je voulais lire la fierté dans leurs yeux, comme pour lui. Alors, j’ai décidé de le suivre, avec une année d’écart, dans des études de comptabilité et de finances. Aujourd’hui, je suis directrice financière dans ce grand groupe. J’ai un salaire très confortable, un appartement que je loue dans le centre de Paris, avec un projet d’acquisition en cours. Je me plais vraiment beaucoup dans ce lieu, dans ce quartier et avec mon voisinage. C’est logiquement que j’ai contacté l’agence immobilière qui gère mon logement pour leur demander s’il était possible de l’acheter. Leur réponse a été étrange : oui, il allait être mis en vente, mais il fallait que j’attende quelques années. Du coup, j’économisais pas mal d’argent pour me permettre d’avoir un très bon apport le moment venu.
Mon frère avait donc eu les mêmes diplômes que moi, enfin disons plutôt que j’avais eu les mêmes que lui, mais moi, j’ai fait deux années supplémentaires. Actuellement, il est comptable dans un garage. Attention, il n’y a surtout pas de sot métier, mais mes parents ont continué de l’encenser, de le mettre encore et toujours en avant et de lui attribuer du mérite. Il a une épouse et trois enfants. Il aurait pu poursuivre ses études et obtenir des diplômes plus importants que les miens, mais son fils est arrivé un peu plus tôt qu’il ne l’aurait souhaité et il avait dû arrêter pour trouver un travail. À les entendre, cela serait bientôt ma faute en plus ! Un jour, mon père m’a expliqué très sérieusement que s’il n’avait pas eu son premier enfant, mon frère aurait pu continuer et serait à ma place actuellement. Au passage, il insinuait « que bon, c’est vrai que l’on a bien évolué dans la vie, que c’est très bien. Mais, malgré tout, avant, il y avait plus de travail quand même, parce que les femmes avaient un véritable métier, celui de s’occuper de leur mari et d’éduquer leurs enfants ». Bien sûr, quand j’entendais cela, je faisais des bonds, je m’énervais, j’argumentais… Jusqu’au jour où je m’étais fâchée avec lui pour une énième réflexion de ce genre. Mais, après un an sans être allée chez eux, ma mère m’avait prévenue qu’il avait fait un AVC. J’avais donc renoué avec lui, en me demandant ce qui était le plus important : était-ce d’entendre ses thèses à la con et d’un autre temps, ou était-ce l’affection d’un père ? J’avais vite réfléchi et choisi l’affection. Malgré tout, si je devais l’écouter à nouveau émettre des idées de ce genre, je m’approcherais de lui, lui ferais un bisou et lui glisserais que j’ai une urgence. C’était un peu devenu mon code et, avec le temps, il l’avait compris. Il lui arrivait même de dire « Bon, je sais que tu vas avoir une urgence et devoir partir, mais… ». Je m’avançais vers lui, je l’embrassais et je m’en allais. En fait, je ne voulais plus polémiquer et perdre mon temps, surtout pas avec lui. Avec personne d’autre d’ailleurs. D’avoir failli perdre mon père, j’avais réalisé que la vie était courte. Alors, il n’était pas utile de se la compliquer avec des histoires qui n’en valaient pas la peine. Et ne dit-on pas que les gens heureux ne font pas d’histoires ? Oui, ce sont uniquement les personnes aigries et jalouses, ou qui n’ont rien d’autre à faire parce qu’elles s’ennuient dans leur vie. Ce genre de personne, j’avais décidé de les laisser là où elles seraient le mieux, dans leur solitude, mais surtout dans la turpitude de leur rancœur et de leur stupidité.
En fait, j’ai beaucoup d’amis, car j’arrive facilement à nouer des liens, il faut dire que je suis une vraie pipelette. J’en ai surtout deux très bons, qui me sont très proches et intimes et font partie intégrante de ma vie. Ces amis se nomment Louise et Chris.
Et c’est justement de la part de Louise que je venais de recevoir à l’instant la photo d’un mec avec une adresse dans le dixième arrondissement de Paris. En fait, nous en avions déjà parlé longuement ensemble, je ne comprenais pas trop son mal-être et sa tristesse souvent apparente. Mais dans ces cas-là, je le ressentais parce qu’elle avait tendance à se refermer dans sa bulle. Pendant quelque temps, c’était silence radio. Maintenant que je la connais bien, je la laisse tranquille le temps d’une journée ou deux, mais après, je me manifeste pour essayer de faire éclater sa bulle de protection. Cependant, je suis avant tout une personne qui ne juge pas. Donc, je donne mon avis, mais sans aucun jugement ni critique. Quand elle m’avait dit qu’elle allait sur une application pour rencontrer des hommes, juste pour du sexe, j’avais plutôt trouvé cela rigolo, mais ensuite j’étais mal à l’aise surtout face à Philippe. De plus, je pense que Louise a une vie parfaite, elle a un mari super adorable, bel homme, certes un peu trop absent, mais on ne peut pas tout avoir. C’était sa vie et son couple après tout, je n’avais pas à m’en mêler. J’avais malgré tout souvent peur pour elle, oser aller chez eux, je ne pourrais jamais. Disons qu’il m’en fallait plus avant de sauter le pas. J’aimais passer une soirée, discuter et boire un verre avec la personne, pour que je puisse un peu la cerner et la connaître. Je ne pourrais surtout pas, comme Louise peut le faire, me rendre directement chez un inconnu pour du sexe sans même en savoir un minimum avant. Nous nous étions cependant mises d’accord pour un code. Un message avec l’adresse et la photo, un autre cinq minutes après être rentré chez lui et, enfin, un dernier au retour de ce rendez-vous. En fait, j’ignorais ce que j’aurais dû faire si je n’avais pas de message cinq minutes après le premier. Appeler la police ? Mais il serait peut-être déjà trop tard. Enfin, je ne devais pas penser au pire. Je la laissais vivre sa vie, elle me racontait ensuite en détail son expérience, souvent en me donnant plusieurs notes, une pour le physique, le corps, le feeling de la rencontre et pour finir, celle de la performance sexuelle.
Allez, je devais répondre à son message « Ouais, bof, à dans cinq minutes, fais attention à toi ».
Fais attention à toi, Michel, elle est là devant la porte, comporte-toi bien. Allez, je crois en toi ! Oui, je me parle, cela me rassure.
Je m’adresse à vous, mais je ne me suis pas présenté. Je m’appelle Michel Valentin, cela fait longtemps que je suis célibataire. Ma dernière conquête remonte maintenant à quatre ans, depuis plus rien. Il est vrai que ce n’est pas énorme, mais tout dépend du point de vue dans lequel on se trouve. Je sais que je suis jeune, je viens d’avoir trente-cinq ans, mais la solitude me pèse véritablement. Je suis principal dans un collège. Je suis passionné par mon métier, après avoir obtenu mon Capes, j’ai eu l’opportunité de remplacer un proviseur adjoint. Il faut avoir un minimum d’aptitudes à diriger tout en ayant une autorité naturelle. Pour cela, il est essentiel d’être à l’écoute, intègre et bien faire comprendre ce que l’on veut. En fait, il faut savoir montrer la voie sans donner de la voix. J’ai été ensuite nommé principal dans un collège. C’est marrant, parce que c’était celui que j’avais fréquenté quand j’étais jeune. En étant à ce poste, je dois avoir de multiples casquettes et, entre autres, appliquer les réformes, sans état d’âme, même si je ne suis pas toujours d’accord. J’ai des contacts avec l’académie, les élus, mais aussi et surtout les parents d’élèves, ce qui n’est pas la partie la plus simple. Cette diversité de tâches me plaît énormément et me prend beaucoup de temps. Mais, si je m’investis autant et que je finis souvent à des heures impossibles, c’est sans doute à cause de ma solitude. En fait, je me demande si je m’implique parce que je suis seul, ou si c’est parce que je suis seul que je le fais. En gros, est-ce que je travaille trop pour pouvoir rencontrer quelqu’un ou est-ce en raison de mon célibat que je m’occupe pour éviter d’y penser ? Vaste question, dont je n’ai à ce jour pas la réponse.
Mais désormais, je veux vraiment trouver quelqu’un, car ce que je désire plus que tout, c’est fonder une famille et avoir des enfants. Je crois que si j’avais été une femme, j’aurais fait un bébé toute seule, comme chante si bien Jean-Jacques. Mais je suis un homme et donc, c’est compliqué. En effet, on ne fait pas un héritier à la première femme venue, il faut un certain temps avant de l’envisager. Il faut déjà s’entendre, s’installer ensemble et surtout, qu’elle soit d’accord. J’en avais quitté deux parce qu’elles ne désiraient pas d’enfants. Et quand je dis qu’elles n’en voulaient pas, c’était définitif. La première ne voulait pas abîmer son corps et la seconde pensait que le monde était trop horrible, avec ses catastrophes et ses guerres, qu’elle ne pourrait pas engendrer un être qui puisse souffrir comme elle souffrait.
Moi, je veux un enfant pour pouvoir le chérir et lui transmettre tout mon amour. On verra d’ici quelque temps, je dois bien sûr garder espoir. Mais il est difficile de voir tous les amis de mon âge se marier les uns après les autres et devenir parents. Cela me pèse beaucoup et m’attriste. Je vais fréquemment à des mariages d’amis ou aux baptêmes de leur petit et, chaque fois la même question « Et toi, c’est pour quand ? ».
Je suis issu d’une famille nombreuse et très croyante. J’ai quatre frères. Ils ont déjà tous des enfants, même le plus jeune qui a vingt-quatre ans. Je fais figure d’exception et on dirait que c’est une tare. Comme pour mes amis, j’ai le droit à « Alors, tu nous présentes quand la bonne pour lui faire des enfants ? ». Je ne réponds plus trop, à part un « Ça viendra en temps voulu ».
En réalité, je suis très occupé, car je suis entouré de nombreux amis. Je n’ai pas le temps de souffler et tous mes week-ends sont bien chargés. Ce qui est contradictoire, c’est que je suis toujours en costume dans le cadre de mon travail, mais, a contrario, les soirs et fins de semaine, je suis plutôt en mode babacool. Et je dois bien vous l’avouer, cela ne me fait pas peur de fumer un pétard de temps en temps… même un peu souvent. Bon, depuis quelque temps, je me suis mis au CBD, c’est quand même un peu mieux. Enfin… c’est comme cela que je me rassure !
Depuis un an, j’ai investi dans un fourgon utilitaire. Par un système de boîtes à adapter à l’arrière, je peux l’aménager afin de l’ajuster et ainsi avoir une petite cuisine et même un espace pour dormir… Je suis autonome. Il m’arrive donc de m’organiser un petit week-end tranquille. Je pars, je me pose là où je veux, dans un endroit sympa et je profite du calme. J’ai enfin du temps pour moi seul. La dernière fois, c’était cool. Je m’étais arrêté près d’un lac, il faisait beau, j’étais assis et j’avais vu au loin des pêcheurs. Naturellement, j’étais allé les voir et j’avais discuté un peu, même si je ne connaissais rien dans le domaine halieutique. J’avais donc sympathisé avec un couple de quinquas très gentil. Ils respiraient l’amour et c’était agréable à voir. Ils m’avaient invité à partager leur pêche du jour, un peu maigre pour trois, mais ne dit-on pas que c’est la convivialité qui prime ? Après deux verres de rosé, dont je ne raffole pas du tout, et surtout une farandole de biscuits salés apéritifs, l’unique poisson avait finalement été bien suffisant pour trois.
Voilà donc ma distraction, je m’octroie un week-end pour me couper de tout, ou du moins du train-train de ma vie pour découvrir d’autres choses, d’autres lieux. J’ai aussi la chance d’avoir des vacances scolaires, cependant, ne pensez pas que j’ai les mêmes que les élèves ou que certains enseignants. Eh non, je ne peux pas quitter le collège début juillet, revenir début septembre et que toute la rentrée soit prête, recrutement et départ des professeurs, emploi du temps… Rien ne se fait tout seul. Mais je ne me plains surtout pas, j’aime mon métier et cela n’a pas de prix.
Un jour, lors d’un week-end avec des amis à la maison, l’un d’eux m’avait inscrit sur un site de rencontre. Je n’étais pas du tout d’accord, d’autant qu’il avait mis une de mes photos sur ce profil, sans mon autorisation. Après m’être un peu fâché avec lui, j’avais voulu qu’il me le montre plus en détail. Il m’avait alors expliqué comment cela fonctionnait vraiment. Malgré tout, je lui avais demandé de supprimer ce compte. Seulement, deux jours plus tard, je m’en étais créé un. Oui, je sais ce que vous allez dire, mais là, ce n’était pas pareil, c’était moi le décideur, et moi qui pouvais inscrire ce que je voulais. Je n’ai pas mis ma photo en profil, celle-là, je l’ai rangée dans mes photos privées à envoyer à la demande. Je lui ai préféré une que j’avais faite lors d’un week-end. Tiens, d’ailleurs, c’était au bord du lac, quand j’étais avec Robert et Sylvie, le couple de quinquas fort sympathique. Je l’avais prise en voyant le soleil se coucher sur le lac. On aurait dit que, las d’avoir brillé toute la journée, il avait décidé de plonger pour s’éteindre le temps de quelques heures. Avant ce repos, ses couleurs s’étaient reflétées dans l’eau qui lui avait servi alors de miroir.
Je vais donc sur ce site de rencontre de temps en temps. Certes, je ne vais pas vous mentir, je ne pense pas du tout trouver l’amour sur ce genre d’application, il faut être réaliste quand même. Je crois en effet que les véritables rencontres ne peuvent se produire que dans la vraie vie, le temps d’une soirée, au travail… Non, si je vais sur ce site, pour être franc, c’est pour avoir des relations sexuelles. J’ai des envies et, à trente-cinq ans, je ne vais pas faire comme un adolescent et me masturber avant d’aller me coucher. Je cherche donc des partenaires de jeux, pourrais-je dire.
J’en ai rencontré quelques-unes via ce site. Parfois, ce sont des rendez-vous très intenses, qui peuvent même devenir réguliers. J’ai cependant été un peu refroidi par la dernière fille qui est venue à la maison. Elle était vraiment mignonne, mais lorsqu’elle était arrivée chez moi, sa façon de parler et de se comporter ne m’avait pas plu du tout. Elle respirait le « vulgoss » avec un accent horrible dont je ne saurais dire d’où il sortait. Madame voulait se mettre en condition et elle m’avait alors flûté une demi-bouteille de whisky. J’ignore comment son petit corps avait pu encaisser tout cet alcool, mais elle était aussi fraîche qu’en arrivant. Elle avait passé un long moment à me parler de son ex qui avait été violent avec elle et qu’elle allait « lui faire payer à ce bâtard de chien de la casse ». Ensuite, elle m’avait lancé un « Bon, on va baiser ou quoi, j’suis pas venue là que pour sucer des glaçons, j’aurai aimé me mettre autre chose sous la langue, si tu vois ce que je veux dire, mon cochon ». Je dois bien vous avouer que ces mots avaient coupé définitivement mon excitation. Je lui ai dit poliment que j’étais désolé, mais que maintenant, après avoir discuté pendant deux heures, il était trop tard pour moi d’envisager quoi que ce soit, parce que j’étais fatigué et que je devais me lever tôt. Eh bien… Madame s’était mise en colère en me lançant un « Beh, si "j’avais" su que tu ne m’aurais pas tringlée, j’aurais rencontré un vrai mec, plutôt qu’un blablateur ». Je n’avais rien répondu. Vous allez me demander pourquoi je ne lui ai pas dit, par exemple, « Moi, le blablateur, comme tu dis, ça fait deux heures que tu me fais une thèse sur ton ex qui te battait, que tu as quitté, mais avec qui tu es retourné, et bla-bla et tout ça en ayant avaler une demi-bouteille de mon meilleur whisky, dans lequel en plus tu ajoutais du cola ! » Oui, j’aurais pu, mais j’avais juste dit : « Désolé de t’avoir fait perdre ton temps, on se voit un autre soir. » Après encore trente minutes de discussion, ou plutôt de monologue, elle était enfin partie. Je pensais d’ailleurs qu’elle ne décollerait jamais. En sortant, elle m’avait embrassé sur la bouche en tentant de me mettre une main sur l’entrejambe. Elle n’en avait pas eu le temps, car j’avais eu un brusque mouvement de recul. Elle s’était exclamée « N’aie pas peur mon chou, je ne vais pas la blesser ou te la mordre, je voulais juste la faire tourner de fou et te faire des trucs comme on ne t’a jamais fait. Tu vas voir, tu vas en redemander, car m’essayer, c’est m’adopter. » J’aurais pu répliquer « Mais jamais toi tu me touches, avec tes chicots gâtés et tes deux grammes dans le sang ! ». J’ai juste dit « OK, cool. Alors, à bientôt ».
Pas très honnête ni très courageux le gars, êtes-vous en train de vous dire, mais je peux vous assurer que c’est le contraire. Si je lui ai répondu ce genre de chose, c’est parce que je ne veux pas que la situation dégénère. Je n’ai pas de temps à perdre, la vie est assez courte pour s’embêter à fréquenter des cons ! désolé du terme, mais c’est ce que je pense. Et comme disait Michel Audiard : « Je ne parle pas aux cons, ça les instruit. » C’est tout à fait cela ! Je ne veux pas perdre de temps avec des individus qui n’en valent pas la peine. Malgré mon célibat et ma solitude, j’ai de nombreux amis et je suis heureux. Je ne veux surtout pas être tiré vers le bas par des personnes négatives. C’est ma philosophie de vie.
Il y a quelques jours, j’ai trouvé une femme sympathique sur l’application. On a un peu discuté et j’ai eu un bon feeling. Cependant, je me demande si elle est vraiment sérieuse et si elle cherche réellement une rencontre. En effet, je lui ai demandé plusieurs fois que l’on se voie, mais elle trouvait toujours des excuses. Pourtant, elle ne me bloque pas… c’est que je l’intéresse un minimum.
Et puis, il y a quelques minutes, nous avons enfin bien discuté. Elle m’avait déjà envoyé sa photo, je la trouve mignonne, même si elle a presque dix ans de plus que moi. Elle a quarante-quatre ans, mais j’espère que la photo est récente, car parfois, la différence est grande entre l’image et la réalité. Je lui avais aussi donné la mienne. Apparemment, je ne lui déplais pas non plus.
Nous devons nous voir ce soir. D’ailleurs, elle vient de sonner chez moi. Avant de lui ouvrir, je me regarde une dernière fois dans le miroir du couloir et la seule chose que je trouve à me dire, c’est un « Ouais, bof ».
« Ouais, bof », elle exagère quand même, Aurélie, j’ai déjà eu pire. Enfin, tous les goûts sont dans la nature. Il est vrai que son ex-copain ne me plaisait pas du tout. De grands cheveux ondulés et une barbe, tout ce que je n’aime pas. Mais, il n’était pas non plus moche et, de toute façon, je ne pouvais pas vraiment en juger, car je ne l’avais jamais rencontré, je l’ai juste vu sur les photos qu’elle m’a montrées. Cependant, avec tout ce qu’elle m’a raconté, ses agissements, sa façon de la formater à son image…, il était hideux à mes yeux. C’est bizarre, mais parfois la beauté est subjective. Une personne physiquement moyenne peut devenir très belle parce qu’elle illumine par sa gentillesse, sa bienveillance. A contrario, une autre, très belle, peut être entachée par la laideur de son âme et de son comportement.
Bon, aller ! J’ai le cœur qui bat vite, comme chaque fois que je dois franchir la porte d’un inconnu. J’ai souvent envie de faire demi-tour, cela m’est arrivé peu de fois, mais seulement quand quelque chose en moi me disait « cela ne va pas », un pressentiment inexplicable, alors je n’insistais pas. J’ai appris à essayer de comprendre les signes que mon corps m’envoie. Là, j’ai certes le cœur palpitant, mais rien de bizarre en moi. J’ai sonné chez lui, j’attends.
Après quelques secondes qui me paraissent interminables, pensant qu’il m’a peut-être aperçue par la fenêtre et qu’il ait changé d’avis, la porte s’ouvre. Un homme m’accueille, je suis déjà rassurée de voir que la photo était réaliste, ou plutôt pas vraiment… il est beaucoup plus beau en vrai.
Il m’est déjà arrivé de me rendre chez un homme qui a l’air d’avoir quarante ans sur les clichés qu’il m’a envoyés et puis, une fois devant lui, il en avait dix, voire quinze de plus. Je ne comprends pas ces personnes qui veulent absolument sembler plus jeunes. Elles doivent bien s’imaginer qu’à un moment donné on va se rendre compte qu’il y a tromperie sur la marchandise et que leur physique réel n’est pas du tout conforme au virtuel. Moi, j’ai quarante-huit ans, même s’il est vrai que j’ai inscrit quelques années de moins sur mon profil, je ne donne pas de photos de moi quand j’étais plus jeune, uniquement de très récentes. J’apparais avec mes petites rides, et justement, soit les hommes m’acceptent comme je suis où soit ils passent à une autre.
Sa voix est très douce et grave. J’adore ce genre de voix, je trouve cela apaisant et en même temps rassurant et excitant.
Il sort deux très beaux verres et les remplit au tiers de leur volume. On voit que c’est un connaisseur. Il m’est arrivé que l’on me serve un verre de vin plein presque à ras bord. C’est trop et c’est n’importe quoi. Ce n’est pas du soda ou de l’eau. Lui au moins s’y connaît, c’est déjà un bon point !
Les premières minutes ne sont pas évidentes, il faut savoir briser la glace. En effet, je veux parler de choses et d’autres, mais sans pour autant dévoiler quoique ce soit de ma vie. Alors, il faut rester évasive et mystérieuse et en même temps, il faut savoir trouver des sujets de conversation. Nous ne sommes pas des bêtes tout de même et les hommes qui me proposent des rencontres directes, genre « La porte sera ouverte, je t’attendrai nu dans la chambre, tu te déshabilleras et tu monteras me rejoindre directement », non, ce n’est pas du tout pour moi. Déjà que je retrouve des inconnus, mais il me faut un minimum de feeling pour passer à l’horizontale.
Il commence à me parler. Moi, dans le cadre de mon travail, j’ai l’habitude d’écouter. J’ai en effet un doctorat en psychologie. Je voulais me diriger par la suite dans le domaine de la psychiatrie, mais j’ai été découragée par plusieurs stages qui m’ont déconcertée. De voir certaine personne s’automutiler, d’autres totalement dans le mutisme, non je n’ai pas pu.
Cependant, je ne regrette pas mon parcours et mon changement de direction, car mon diplôme en psychologie m’aide énormément dans le cadre de mon travail et dans ma vie. J’ai d’ailleurs présenté ma thèse qui avait pour titre « L’engagement conjugal et les insécurités d’attachement au sein de couples vivant une détresse relationnelle ». Un mémoire de quatre cents pages, pour lequel j’avais rencontré de nombreuses personnes et des couples prêts à parler et m’expliquer leur mal-être malgré l’engagement et les liens qu’ils avaient noués. Enfin, je ne vais pas vous en développer tout le contenu, je vais plutôt boire ce verre, que j’ai envie d’avaler d’une traite pour me désinhiber et me permettre plus facilement de lâcher prise. Le vin n’est pas aussi frais que je l’aime, je lui demande des glaçons pour le rafraîchir. Pendant qu’il est à la cuisine, je vois une enveloppe posée sur la table basse, j’ai lu, c’était inscrit Valentin. Je regarde vite ailleurs, car il arrive avec son petit bol. Je rigole intérieurement, comme c’était mignon ce prénom, je ne m’y attarde pas et ne lui dis rien. Après m’avoir servi deux glaçons, il se rapproche de moi pour trinquer. Nos verres ont d’ailleurs claqué un peu trop fort, le stress sans doute, je ne sais pas.
Je commence à dire quelques banalités par rapport à la météo, mais il ne répond pas et me demande directement « Je peux te poser une question importante ? »
Cette réponse le laisse un peu sans voix. Il reste songeur quelques secondes, sans doute parce que si je ne suis pas dans les deux situations qu’il m’a proposées et qui débouchent toutes deux sur le fait que je suis célibataire, cela veut donc dire que peut-être, je suis en couple. Il change cependant de sujet en me demandant comment je le trouve, si je ne suis pas déçue et si je souhaite passer aux choses sérieuses. Cela me fait sourire, les choses sérieuses, voilà l’épilogue du moment que je suis venue chercher. Moi je veux tout, sauf des choses sérieuses, mais j’ai malgré tout compris ce qu’il veut dire. Je réponds donc par un « Non, je ne suis pas déçue et toi ? ». Il me réplique qu’il ne l’est pas et qu’il veut me le prouver. Il se met debout, s’approche de moi et retire doucement sa ceinture. Je regarde la scène qui n’est pas désagréable. Il enlève ensuite le premier bouton de sa braguette, puis deux, trois et là je suis choquée, je me sens très mal à l’aise.
Je me sens très mal à l’aise, car cela fait maintenant dix minutes que j’attends un SMS de Louise. Je commence à m’inquiéter. Que fait-elle exactement et pourquoi ne m’écrit-elle pas ? Je vais devoir l’appeler. Je sais qu’elle met son téléphone en mode « ne pas déranger », mais je suis dans ses favoris, du coup, mes messages et coups de fil ne sont pas émis en silencieux. Je prends mon portable et, au même instant, il sonne. D’ordinaire, je ne réponds jamais aux numéros inconnus, mais là, c’est peut-être Louise qui a besoin de moi.
Je ne sais vraiment pas quoi dire, mon cerveau ne fait qu’un tour et je finis par ajouter :
Aïe, et Louise qui ne m’a toujours pas envoyé de message. Bon, je dois l’alerter de la situation. À cet instant, quelqu’un frappe à la porte. Décidément, je ne peux pas être tranquille, c’est le destin qui s’acharne pour que je ne puisse pas la contacter ! Je vais ouvrir, c’est Ginette, ma voisine de soixante-dix-neuf ans. Elle vient m’apporter de la tarte aux pommes qu’elle a préparée. Enfin attention, je dis Ginette, mais uniquement à vous, il ne faut surtout pas l’appeler ainsi. Elle déteste son prénom, elle trouve qu’il est ringard et qu’il fait trop vieux. Comment vous dire qu’à presque quatre-vingts ans, Ginette, il lui allait plutôt très bien ce prénom et moi, j’aimais bien ! Nous devions donc la surnommer Gigi. C’est une personne très attentionnée, mais un peu envahissante. Cependant, elle est quelqu’un que j’apprécie beaucoup. Depuis que je suis seule, on se voit assez souvent. Elle est veuve, je sais qu’elle a eu plusieurs maris, mais elle ne m’en parle que vaguement, alors, je n’insiste pas. Malgré notre grande différence générationnelle, mes soirées en sa compagnie ont toujours été excellentes. Il est vrai que les personnes de son âge ont plein de choses à nous raconter. Leur passé est toujours rempli d’aventures et d’anecdotes qu’il est intéressant d’entendre et de partager. Je dois bien avouer que Ginette a tendance à boire un peu beaucoup, et souvent un peu trop même. Mais à son âge, je ne me permets pas de lui dire d’arrêter, je veux juste qu’elle fasse attention à sa santé, surtout qu’elle a du diabète. Dans ces moments-là, je lui dis donc gentiment, « Attention, Gigi, votre diabète va monter en flèche ! ». Tout ce qu’elle sait me répondre, c’est qu’à son âge, il n’y a plus grand-chose qui lui fait peur et que ce n’est certainement pas son taux de sucre dans le sang qui va l’empêcher de profiter du peu de temps qui lui reste à vivre. Et, quand elle boit trop, elle se livre et dit des choses qu’elle ne m’aurait sans doute pas révélées dans d’autres circonstances.
Elle me propose donc de descendre chez elle pour prendre l’apéritif. Elle a mis deux bouteilles de blanc au frais et a acheté quelques petites cochonneries à grignoter. Je lui explique que je n’ai pas trop de temps à lui accorder ce soir. En effet, je dois aller rejoindre Christophe, un ancien stagiaire que j’ai eu au travail avec qui j’ai sympathisé et qui est devenu maintenant un ami. De toute façon, demain, c’est notre soirée mensuelle. Nous devons passer la soirée ensemble avec Louise, et on aura tout le temps d’en profiter toutes les trois. J’ajoute qu’elle n’a pas besoin d’acheter quoique ce soit, que tout est prévu. Faute de grive…, elle accepte donc le report de son apéritif dînatoire, mais j’ai bien vu dans ses yeux qu’elle aimerait être déjà à demain.
Elle se sent seule, elle n’a pas d’enfant, car malheureusement elle n’a jamais pu en avoir, mais elle n’en a jamais dit plus. Elle a deux sœurs, un neveu et deux nièces. Ces derniers habitent dans les environs, mais ils ne viennent jamais lui rendre visite, ou juste au moment de leur anniversaire pour récupérer leur petite enveloppe.
Pour rompre sa solitude, Gigi a longtemps eu un petit chien, mais il est mort il y a un peu plus d’un an. Elle l’avait appelé du prénom rigolo de Brioche, parce que bébé, il était gros et doré comme une brioche sortant du four. Je l’ai bien connu, son petit bâtard, il était adorable, mais je savais qu’il était très vieux. Quand j’allais la voir, je ne voulais pas trop qu’il m’approche. Il avait tendance à me lécher, mais bien évidemment à son âge, il avait une odeur de bave nauséabonde. Mais c’était son bébé, il avait dix-sept ans, et malheureusement un jour, après avoir eu une ultime crise, il était devenu aveugle et avait perdu toute notion de son environnement. Il ne savait plus où il était, il se cognait dans tous les meubles… Elle avait alors dû se résoudre à le faire piquer. Je me souviens bien de ce dernier moment, car c’est moi qui l’avais conduite chez le vétérinaire. Au départ, elle ne voulait pas y assister, et me laisser seule avec Brioche. Cependant, je lui avais dit qu’elle devait être présente, pour le garder dans ses bras, pour le dorloter afin qu’il puisse s’endormir paisiblement et éternellement. Elle avait finalement accepté, mais cela a été une épreuve terriblement douloureuse pour elle. Elle a d’ailleurs mis au moins une année complète avant de pouvoir parler de Brioche sans verser une larme. Quand elle avait encore son petit chien, elle sortait très souvent pour se promener et elle rencontrait de nombreuses personnes avec qui elle pouvait discuter. Mais, depuis sa mort, elle ne mettait plus vraiment le nez dehors et se sentait seule au monde.
Avant de redescendre chez elle, elle me tend l’assiette de tarte aux pommes qu’elle a préparée avec amour, me dit-elle, saupoudré d’un nuage de cannelle. Je sais que c’est une excuse pour venir me voir, mais c’est une délicate attention. Bien sûr, elle a prétexté qu’une tarte entière, c’est trop pour elle et qu’une moitié lui suffit. Elle me fait donc profiter de cette demi-tarte que je prends avec douceur. En la regardant, je souris intérieurement, elle m’a dit « saupoudrée d’un nuage de cannelle », mais ce n’est pas un nuage, mais plutôt un ouragan qui s’est abattu sur cette pâtisserie. On dirait plutôt que le pot entier est tombé dessus, car on ne voyait presque plus les pommes cachées sous de gros monticules noirs. Mais ne dit-on pas que c’est le geste qui compte et parfois, les plus petites attentions sont celles qui font le plus plaisir ? Je gratterai juste un peu le dessus.
Je peux vous dire que Ginette est un peu radine ou, disons poliment, plutôt économe. Bon, après je ne la juge pas, elle n’a apparemment jamais vraiment travaillé, ou a effectué différents petits boulots dont il arrive qu’elle me parle, mais sans jamais rentrer dans les détails. Elle est en retraite depuis vingt-cinq ans. Elle doit avoir une maigre pension, pourtant, elle est toujours en train de m’apporter des petits plats ou autres choses. Son plus grand problème, je crois, c’est qu’elle s’ennuie énormément et c’est pour cette raison qu’elle aime passer du temps avec moi. Toutes les excuses sont bonnes, mais parfois je la trouve un peu intrusive dans ma vie. C’est cependant une femme très courageuse, pour arrondir sa maigre retraite, elle a trouvé un petit travail, elle fait traverser les enfants sur le passage piéton à l’entrée et à la sortie d’une école primaire.
Elle avait bien vécu Ginette, elle avait toujours été une femme libre et libérée. Plus jeune, elle me racontait qu’elle partait en camping naturiste, pour vivre en toute liberté. Seulement, arrivée à un certain âge, la gravité corporelle et les ravages de l’âge sur son corps l’avaient empêchée de continuer à vivre nue le temps d’un été.
Elle aime parler de ce passé, et j’aime l’écouter. Je lui ai expliqué que, personnellement, il me serait impossible de me mettre nue devant les autres. Déjà avec mon amoureux à l’époque, après le sexe, je me couvrais et me dépêchais de prendre une douche pour pouvoir à nouveau m’habiller un peu. Oui, je suis complexée de nature, comme beaucoup, je pense. Mais Ginette m’avait répondu que justement, ces campings naturistes étaient des endroits avant tout bienveillants et bizarrement sans jugement. Les gens ne passaient pas leur temps à critiquer, au contraire, c’était l’acceptation. D’ailleurs, elle m’a raconté qu’il y avait, chaque année, un homme âgé qui était brûlé sur tout le corps à la suite d’un accident de travail dans une fonderie. Il venait tout l’été dans ce camping, il y vivait nu et racontait que, dans cet endroit, les gens ne le jugeaient pas et ne lui posaient pas de question. À la différence, dans les campings textiles où même quand il était un minimum habillé, les gens le questionnaient pour savoir ce qu’il avait, si c’était une maladie ou un accident ? Comme quoi, je me fais une mauvaise image de ces lieux où je pensais qu’il y avait un peu de perversion, mais apparemment pas du tout. Je crois que si Ginette était plus jeune et qu’elle s’y rendait encore, peut-être aurais-je osé l’accompagner ! Enfin, c’est facile pour moi de dire cela maintenant, sachant qu’elle n’y va plus.
Avant de rentrer chez elle, Ginette m’embrasse et me souhaite de passer une bonne soirée. Même si j’ai bien vu à son air qu’elle aurait aimé boire l’apéritif, je ne peux malheureusement pas passer toutes mes soirées avec elle.
Je décide d’adresser un petit message sur son portable, car je l’ai vraiment sentie chagrinée : « On se voit rapidement, Gigi, j’ai bien vu que vous aviez l’air triste, mais je vous accorde toute ma soirée demain. Bonne nuit, à demain, bises. »
Maintenant, je dois envoyer le message à Louise et ensuite, je dois me préparer pour sortir.