Les Voyages de Gulliver - Jonathan Swift - E-Book

Les Voyages de Gulliver E-Book

Jonathan Swift

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Beschreibung

Ce livre raconte les trois voyages de Gulliver: les Lilliputiens, les géants et le pays étonnant des Gingnamas. Le premier voyage a Liliputia est un excellent exemple de littérature d’aventure pour enfants. Dans cette partie du travail, nous apprenons comment Gulliver est devenu un voyageur en général, comment il est monté sur le bateau, puis dans le pays des Lilliputiens. Tous les événements ultérieurs et les aventures extraordinaires dans ce pays sont remplis d’humour.

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Veröffentlichungsjahr: 2019

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Jonathan Swift

Les Voyages de Gulliver

Varsovie 2019

Table des matières

PREMIÈRE PARTIE

LE VOYAGE A LILLIPUT

CHAPITRE PREMIER

CHAPITRE II

CHAPITRE III

CHAPITRE IV

CHAPITRE V

CHAPITRE VI

CHAPITRE VII

CHAPITRE VIII

DEUXIÈME PARTIE

LE VOYAGE A BROBDINGNAC

CHAPITRE PREMIER

CHAPITRE II

CHAPITRE III

CHAPITRE IV

CHAPITRE V

CHAPITRE VI

CHAPITRE VII

CHAPITRE VIII

TROISIÈME PARTIE

LE VOYAGE A LAPUTA AUX BALNIBARBES, A LUGGNAGG, A GLOUBBDOUBDRID ET AU JAPON

CHAPITRE PREMIER

CHAPITRE II

CHAPITRE III

CHAPITRE IV

CHAPITRE V

CHAPITRE VI

CHAPITRE VII

CHAPITRE VIII

CHAPITRE IX

CHAPITRE X

QUATRIÈME PARTIE

LE VOYAGE AU PAYS DES HOUYHNHNMS

CHAPITRE PREMIER

CHAPITRE II

CHAPITRE III

CHAPITRE IV

CHAPITRE V

CHAPITRE VI

CHAPITRE VII

CHAPITRE VIII

CHAPITRE IX

CHAPITRE X

CHAPITRE XI

CHAPITRE XII

PREMIÈRE PARTIE

LE VOYAGE A LILLIPUT

CHAPITRE PREMIER

Gulliver rend compte des premiers motifs qui le portèrent à voyager.–Il fait naufrage, et se sauve à la nage dans le pays de Lilliput.–On l'enchaîne, on le conduit, enchaîné, plus avant dans les terres.

Mon père, dont le bien, situé dans la province de Nottingham, était médiocre, avait cinq fils; j'étais le troisième; il m'envoya au collége d'Emmanuel à Cambridge, à l'âge de quatorze ans. J'y demeurai trois années que j'employai utilement; mais, la dépense de mon entretien au collége étant trop grande, on me mit en apprentissage sous M. Jacques Bates, fameux chirurgien à Londres, chez qui je demeurai quatre ans. Mon père m'envoyait de temps en temps quelques petites sommes d'argent, je les employais à apprendre le pilotage et les autres parties des mathématiques, les plus nécessaires aux personnes qui veulent voyager sur mer. Or je prévoyais que telle était ma destinée. Ayant quitté M. Bates, je retournai chez mon père; et, tant de lui que de mon oncle Jean et de quelques autres parents, je tirai la somme de quarante livres sterling, avec promesse de trente autres livres sterling par an, pour me soutenir à Leyde. Je m'y rendis, et m'appliquai à l'étude de la médecine, deux ans et sept mois, persuadé qu'elle me serait un jour très-utile dans mes voyages.

Bientôt après mon retour de Leyde, j'obtins, à la recommandation de mon bon maître M. Bates, l'emploi de chirurgien sur l'Hirondelle, où je restai trois ans et demi, sous le capitaine Abraham Panell; je fis, pendant ce temps-là, des voyages au Levant et ailleurs. A mon retour, je résolus de m'établir à Londres; M. Bates m'y encouragea et me recommanda à ses clients; je louai un appartement dans un petit hôtel d'Oldjewry; bientôt après j'épousai M Marie Burton, seconde fille de M. Édouard Burton, marchand de la rue de Newgate, laquelle m'apporta quatre cents livres sterling en mariage.

Mais mon cher maître, M. Bates, étant mort deux ans après, et n'ayant plus de protecteur, bientôt mes clients, déjà peu nombreux, diminuèrent. Ma conscience ne me permettait pas d'imiter la conduite de la plupart des chirurgiens dont la science est trop semblable à celle des procureurs. C'est pourquoi, après avoir consulté ma femme et quelques autres de mes intimes amis, je pris la résolution de faire encore un voyage sur mer. Je fus chirurgien successivement dans deux vaisseaux, et plusieurs autres voyages que je fis pendant six ans, aux Indes orientales et occidentales, augmentèrent quelque peu ma petite fortune. J'employais mon loisir à lire les meilleurs auteurs anciens et modernes, étant toujours fourni d'un certain nombre de livres; si je me trouvais à terre, aussitôt j'étudiais les mœurs et les coutumes des peuples, en même temps j'apprenais la langue du pays, ce qui me coûtait peu, ayant la mémoire excellente.

Le dernier de ces voyages fut pour moi d'un résultat médiocre, et, quelque peu dégoûté de la mer, je pris le parti de rester avec ma femme et mes enfants. Je changeai de demeure, et me transportai de l'Oldjewry à la rue Fatterlane, et de là à Wapping, avec cette espérance que les matelots malades me feraient vivre... Hélas! ils se portaient aussi bien que vous et moi.

Après avoir vainement attendu, pendant trois ans, un changement dans mes affaires, j'acceptai un parti avantageux qui me fut proposé par le capitaine Guillaume Prichard; il montait l'Antelope, et faisait voile pour la mer du Sud. Nous nous embarquâmes à Bristol, le 4 de mai 1699, voyage entrepris sous les auspices les plus heureux.

Il serait malséant d'ennuyer le lecteur par le détail de nos aventures maritimes; il lui suffira de savoir que, dans notre passage aux Indes orientales, nous essuyâmes une tempête dont la violence nous poussa vers le nord-ouest de la terre de Van-Diémen. Par une observation que je fis, je trouvai que nous étions à trente degrés deux minutes de latitude méridionale. Douze hommes de notre équipage étaient morts par le travail excessif plus que par les maladies et la mauvaise nourriture. Le 5 novembre, qui était le commencement de l'été de ce pays-là, le temps étant un peu noir, les mariniers aperçurent un roc à peine éloigné du vaisseau de la longueur d'un câble; mais le vent était si fort, que nous fûmes poussés directement contre l'écueil, et nous échouâmes dans un moment. Six passagers (j'étais du nombre), s'étant jetés à propos dans la chaloupe, trouvèrent le moyen de se débarrasser et du navire et de la roche où le vaisseau s'était brisé. Nous fîmes à la rame environ trois lieues; à la fin la lassitude ne nous permit plus de ramer. Entièrement épuisés, nous appartenions à la fureur des flots, et bientôt nous fûmes renversés par un coup de vent du nord.

Je n'ai jamais su quel fut le sort de la chaloupe, et de ceux qui se sauvèrent sur le roc, ou qui restèrent dans le vaisseau; mais je crois qu'ils périrent tous. Pour moi, je nageai à l'aventure, et, poussé vers la terre par le vent et la marée, je laissai souvent tomber mes jambes, sans toucher le fond. Enfin, près de m'abandonner tout à fait, je trouvai pied dans le sable juste au moment où s'apaisait la tempête. Comme la pente était presque insensible, je marchai une demi-lieue dans la mer avant que j'eusse pris terre. Je fis environ un quart de lieue sans découvrir ni maisons ni aucun vestige d'habitants, quoique ce pays fût très-peuplé. Je me couchai sur l'herbe, elle était très-fine en cet endroit, et mon sommeil dura neuf heures. La fatigue, et peut-être une demi-pinte d'eau-de-vie que j'avais bue en quittant le bateau, furent autant de causes de mon profond sommeil. A la fin, m'étant éveillé, j'essayai de me lever; mais ce fut en vain. Je m'étais couché sur le dos, mes bras et mes jambes étaient attachés à la terre de l'un et l'autre côté, et mes cheveux y tenaient aussi de la même manière; je trouvai même plusieurs ligatures très-minces, qui entouraient mon corps de l'aisselle à la cuisse. Je ne pouvais que regarder en haut; le soleil commençait à être fort chaud, et sa grande clarté blessait mes yeux. J'entendis un bruit confus autour de moi, mais dans la posture où j'étais je ne voyais que le soleil. Bientôt je sentis remuer quelque chose à ma jambe et ce je ne sais quoi, avançant sur ma poitrine, finit par atteindre à mon menton. Quel fut mon étonnement lorsque j'aperçus une petite figure de créature humaine, haute au plus de six pouces, l'arc et la flèche à la main, le carquois sur le dos! J'en vis, pour le moins, quarante autres de la même espèce. En ce moment, je poussai des cris si terribles, que tous ces petits animaux se retirèrent transis de peur; il y en eut même quelques-uns, comme on me l'apprit ensuite, qui furent dangereusement blessés par les chutes précipitées qu'ils firent en sautant de mon corps à terre. Néanmoins ils revinrent bientôt, et l'un d'eux eut la hardiesse de s'avancer si près, qu'il fut en état de voir entièrement mon visage. Il levait les mains et les yeux par une espèce d'admiration, s'écriant d'une voix aigre, mais distincte: Hekinah Degul! Les autres répétèrent plusieurs fois la même exclamation, dont le sens m'échappait. J'étais cependant très-étonné, inquiet, troublé, et tel que serait le lecteur en pareille occurrence. A la fin, par d'énergiques efforts, j'eus le bonheur de rompre et d'arracher ces cordons, ces fils, ces chevilles qui attachaient mon bras droit à la terre; en me haussant un peu, j'avais découvert ce qui me tenait attaché et captif. En même temps une secousse violente qui me causa une douleur extrême brisa les cordons qui attachaient mes cheveux du côté droit (cordons plus fins que mes cheveux mêmes), en sorte que je me trouvai en état de procurer à ma tête un petit mouvement. Aussitôt, les insectes humains se mirent en fuite, en poussant des cris très-aigus. Le bruit ayant cessé, j'entendis un d'eux s'écrier: Tolgo Phonac! et je me sentis percé à la main gauche de plus de cent flèches, qui me piquaient comme autant d'aiguilles. Ils firent une autre décharge en l'air, comme nous tirons des bombes, nous autres Européens, dont plusieurs tombaient paraboliquement sur mon corps; mais je ne les voyais pas. D'autres tombaient sur mon visage, et je tâchai de me couvrir de ma main droite. Quand cette grêle de flèches eut cessé, je tentai un dernier effort... Nouvelle et plus violente décharge que la première, quelques-uns tâchant de me percer de leurs lances; mais par bonheur je portais une veste impénétrable de peau de buffle. Il me sembla que le meilleur parti était de me tenir en repos, et de rester comme j'étais, jusqu'à la nuit; alors, dégageant mon bras gauche, je pourrais me mettre en pleine liberté. A l'égard des habitants, c'était avec raison que je me croyais d'une force égale aux plus puissantes armées qu'ils pourraient mettre sur pied, s'ils étaient tous de la même taille que ceux que j'avais vus jusque-là. Mais quoi! la Fortune me réservait un autre sort.

Quand ces gens furent bien assurés que j'étais tranquille, ils cessèrent de me décocher des flèches; mais, par le bruit que j'entendis, je connus que leur nombre augmentait considérablement. En effet, à la distance de deux toises, vis-à-vis mon oreille gauche, j'entendis bruire, une grande heure: on eût dit le bourdonnement d'un grand nombre de travailleurs. Ce fut alors que, tournant un peu la tête de ce côté-là (autant du moins que les chevilles et les cordons me le permettaient), je vis un échafaud, haut de terre d'un pied et demi, où quatre de ces petits bonshommes pouvaient se placer, plus une échelle pour y monter. De ces hauteurs, un d'entre eux, sans doute un grand personnage, me fit une harangue à laquelle je ne compris pas un mot. Avant de commencer, il s'écria trois fois: Langro Dehul san! Ces mots furent répétés ensuite, et commentés par des signes, pour me les faire entendre. Aussitôt cinquante hommes s'avancèrent, ils coupèrent les cordons qui retenaient captif le côté gauche de ma tête, ce qui me donna la liberté de la tourner à droite et d'observer la mine et l'action de l'orateur. Il me parut entre deux âges, et d'une taille au-dessus de la moyenne; un des trois qui l'accompagnaient (sans doute un page) portait la traîne de sa robe, et les deux autres étaient debout, de chaque côté, pour le soutenir. Il me sembla bon orateur, et je conjecturai que, selon les règles de l'art, il mêlait dans son discours des périodes pleines de menaces... et de promesses. Je fis la réponse en peu de mots, c'est-à-dire par un petit nombre de signes, mais d'une manière pleine de soumission, levant ma main gauche et les deux yeux au soleil, pour le prendre à témoin que je mourais de faim, n'ayant rien mangé depuis longtemps.

Mon appétit était même si pressant, que je ne pus m'empêcher de témoigner de mon impatience (peut-être contre les règles de la civilité) en portant mon doigt très-souvent à ma bouche, indiquant à ces petites gens que j'avais besoin de nourriture. L'hurgo (c'est ainsi que parmi eux l'on appelle un grand seigneur, comme je l'appris plus tard), m'entendit fort bien. Il descendit de cet échafaudage, ordonnant que plusieurs échelles fussent appliquées à mes côtés; sur ces échelles grimpèrent plus de cent hommes, qui se mirent en marche aux alentours de ma bouche, infiniment chargés de paniers pleins de viandes. Il y avait, dans cette espèce d'olla podrida, de la chair de différents animaux; mais je ne pouvais guère me reconnaître en ces différences. On eût dit un immense abatis d'épaules et d'éclanches semblables à l'épaule et à l'éclanche du mouton, fort bien accommodées, mais plus petites que les ailes d'une alouette; j'en avalais deux ou trois d'une bouchée avec six grands pains de ménage. Ils me fournirent tout cela, témoignant de grandes marques d'étonnement et d'admiration à me voir de si haute taille et d'un si prodigieux appétit. Sur un autre signe en demandant à boire! ils conjecturèrent, par la façon dont je mangeais, qu'une médiocre quantité de boisson ne me suffirait pas, et, très-intelligents qu'ils étaient, ils levèrent avec beaucoup d'adresse un des plus grands tonneaux de vin qui fût dans leurs caves, le roulèrent vers ma main, et le défoncèrent. Je le humai d'un seul coup comme on ferait d'un œuf frais, avec grand plaisir; et bien vite, on m'apporta un autre muid, que je bus de même, en faisant plusieurs signes pour avertir qu'ils eussent à me voiturer encore un peu de boisson.

Quand j'eus accompli tous ces miracles ils poussèrent des cris de joie et se mirent à danser, répétant plusieurs fois, comme ils avaient fait d'abord: Hekinah Degul! Ils me firent signe que je pouvais jeter à terre les deux muids, et ils avertirent les assistants de s'éloigner, en s'écriant: Borach mevolah! Quand ils virent les deux muids en l'air, ce fut un hourra général. Je fus, je l'avoue, assez tenté, pendant qu'ils allaient et venaient sur mon corps, de saisir quarante ou cinquante des premiers qui se trouvaient à ma portée, et de les lancer jusqu'au ciel... Le souvenir de ce que j'avais déjà souffert, de ce qu'ils pouvaient m'infliger encore, et la promesse que je leur avais faite de ne point user de ma force, éloignèrent ces pensées de mon esprit. D'ailleurs, je me regardais comme lié par les lois de l'hospitalité envers ce peuple qui venait de me traiter avec tant de générosité. Je ne pouvais cependant me lasser d'admirer la hardiesse de ces petits êtres, qui s'aventuraient à monter et à se promener sur mon corps, tandis qu'une de mes mains était libre.

Voyant que je ne demandais plus à manger, ils conduisirent devant moi une personne d'un rang supérieur qui m'était envoyée par Sa Majesté. Son Excellence monta sur le bas de ma jambe, et s'avança jusqu'à mon visage avec une douzaine des gens de sa suite. Il me présenta ses lettres de créance revêtues du sceau royal, les plaça tout près de mes yeux, et fit un discours d'environ dix minutes, d'un ton calme, et montrant le côté de l'horizon qui s'étendait en face de nous. Or c'était de ce côté qu'était située la capitale, à une demi-lieue à peu près: le roi avait décidé dans son conseil que j'y serais transporté. Ma réponse ne pouvant être comprise, j'eus recours aux signes: passant ma main laissée libre par-dessus les têtes de l'envoyé et de son monde, je l'appliquai sur mon autre main et sur ma tête. Le seigneur comprit que je me plaignais de mes liens, mais il me fit comprendre que je devais être transporté dans l'état où j'étais. Toutefois il m'assura par d'autres signes qu'on me donnerait tout ce qui me serait nécessaire. Le désir de briser mes liens me revint fortement; mais, lorsque je sentis la pointe de leurs flèches sur mes mains déjà couvertes d'ampoules et sur mon visage, plusieurs de ces petits dards étant restés dans ma chair, et le nombre de mes ennemis augmentant toujours, je me soumis à tout ce qu'ils voudraient faire de moi. A ces causes, l'hargo (le seigneur) et sa suite se retirèrent satisfaits.

Bientôt après j'entendis une acclamation universelle avec de fréquentes répétitions de ces mots: Peplum selan! et j'aperçus un grand nombre de peuple sur mon côté gauche, relâchant les cordons à tel point que je me trouvai en état de me tourner, et, ma foi! quand un homme a vidé quatre ou cinq tonneaux, quoi de plus simple qu'il éprouve un grand besoin de lâcher le superflu de la boisson? Ainsi fis-je, et coram populo, au grand étonnement de ce peuple, qui, devinant ce que j'allais faire, impétueusement s'ouvrit de droite et de gauche afin d'éviter le déluge. Quelque temps auparavant, on m'avait frotté charitablement le visage et les mains d'une espèce d'onguent d'une odeur agréable, qui, dans très-peu de temps, me guérit de la piqûre des flèches. Ces circonstances jointes aux rafraîchissements que j'avais reçus, et que je m'étais donnés, me disposèrent à m'endormir; mon sommeil fut environ de huit heures, tout d'une traite; les médecins du gouvernement avaient ajouté je ne sais quelles drogues soporifiques au vin que j'avais bu.

Je dormais encore que déjà l'empereur de Lilliput (c'est le nom du pays) ordonna de me conduire aux pieds de Sa Majesté. Des provisions de vivres et de boisson me furent envoyées, et il fut décidé qu'une machine serait construite pour me transporter dans la capitale. La résolution semblera peut-être hardie et dangereuse, et je suis sûr qu'en pareil cas elle ne serait du goût d'aucun souverain de l'Europe... A mon avis, c'était un dessein également prudent et généreux; car, si ces peuples eussent tenté de me tuer avec leurs lances et leurs flèches pendant je dormais, je me serais certainement réveillé au premier sentiment de douleur, ce qui eût excité ma fureur et grandi mes forces à un tel degré, que je me serais trouvé en état de rompre le reste de mes chaînes! Libre enfin, quel obstacle opposer à l'Encelade que j'étais? Je les aurais tous écrasés et foudroyés.

On fit donc travailler à la hâte cinq mille charpentiers et ingénieurs, pour me construire une voiture. C'était un chariot haut de trois pouces, de sept pieds de longueur et quatre de largeur avec vingt-deux roues. Quand il fut achevé, on le roula au lieu où j'étais; mais la principale difficulté fut de m'enlever et de me hisser sur cette voiture. On résolut ce grand problème au moyen de quatre-vingts perches, chacune de deux pieds de hauteur, et de cordes très-fortes de la grosseur d'une ficelle. Elles furent attachées, par plusieurs crochets, aux bandages que les ouvriers avaient ceints autour de mon cou, de mes mains, de mes jambes, de tout mon corps. Neuf cents hommes des plus robustes furent employés à élever ces cordes par un grand nombre de poulies: de cette façon, en moins de trois heures, je fus élevé, placé, fixé sur la machine. Je sais tout cela par le rapport qu'on en fit à l'Académie des sciences de Lilliput, car pendant cette manœuvre je dormais très-profondément. Quinze cents chevaux les plus robustes des écuries impériales, chacun d'environ quatre pouces et demi de hauteur, furent attelés au chariot et me traînèrent vers la capitale, éloignée d'un quart de lieue.

Il y avait quatre heures que nous étions en marche, et l'on ne voyait pas encore les remparts de Lilliput, lorsque je fus subitement réveillé par un accident assez ridicule. Les voituriers s'étant arrêtés pour raccommoder une des roues, deux ou trois habitants du pays avaient eu la curiosité de regarder comment j'étais fait quand je dormais; et s'avançant très-doucement jusqu'à mon visage, l'un d'entre eux, capitaine aux gardes, avait insinué la pointe aiguë de son esponton bien avant dans ma narine gauche. Ainsi chatouillé, soudain je m'éveille, et j'éternue à grand bruit, trois fois de suite. Il fut bien heureux, le capitaine aux gardes, de n'être pas reniflé. Mais enfin, à force d'avancer, nous fîmes une grande marche le reste de ce jour, et nous campâmes la nuit avec cinq cents gardes, les uns porteurs de flambeaux, les autres avec des arcs et des flèches, prêts à tirer à mon premier geste. Le lendemain, au lever du soleil, mon escorte et moi, achevant la route commencée, nous arrivâmes à cent toises des portes de la ville sur le midi. L'empereur et toute sa cour sortirent pour nous voir; mais les grands officiers ne voulurent jamais consentir que Sa Majesté hasardât sa personne sacrée en grimpant sur mon corps, comme plusieurs seigneurs, esprits forts, avaient osé faire.

A l'endroit où s'arrêta la voiture, il y avait un temple ancien, estimé le plus grand de tout le royaume; lequel, ayant été souillé quelques années auparavant par un meurtre, était, selon la prévention de ces peuples, regardé comme profane, et pour cette raison employé à divers usages. Il fut résolu que je serais logé dans ce vaste édifice. La grand'porte, au nord, était de quatre pieds de haut, et de deux pieds de large, ou peu s'en fallait. De chaque côté de la porte était percée une petite fenêtre élevée de six pouces. A la fenêtre du côté gauche, les serruriers du roi attachèrent quatre-vingt-onze chaînes, semblables à la chaîne de montre d'une dame d'Europe, et presque aussi larges: elles furent, par l'autre bout, attachées à ma jambe gauche, avec trente-six cadenas. Vis-à-vis de ce temple et de l'autre côté du grand chemin, à la distance de vingt pieds, s'élevait une tour de cinq pieds de haut, tout autant... c'était là que le monarque devait monter avec plusieurs des principaux seigneurs de sa cour, pour la commodité de me regarder tout à leur aise. On compte qu'il y eut plus de cent mille habitants qui sortirent de la ville attirés par la curiosité, et malgré mes gardes, je crois bien qu'il n'y eut pas moins de dix mille hommes, qui, à différentes fois, montèrent sur mon corps par des échelles. Mais enfin fut publié à son de trompe un arrêt du conseil d'État qui défendait cet attentat à ma personne... On ne peut s'imaginer le bruit et l'étonnement du peuple, en me voyant debout et me promenant; les chaînes qui tenaient mon pied gauche étaient environ de six pieds de long, elles me donnaient la liberté d'aller et de venir dans un demi-cercle, et de plus, comme elles étaient fixées à quatre pouces de la porte, je pouvais la passer en rampant et m'étendre dans le temple.

D'un bout à l'autre de l'empire, il y eut comme un vertige infini de la plus vive admiration; au pays de Lilliput, la renommée, en marchant, agrandit toute chose. Il n'était pas de cabane et de palais où l'on ne parlât de ma grandeur.

Elle était l'entretien de la ville et de la cour. On ne parlait que de moi, Gulliver, chez les oisifs, chez les marchands, les petits-maîtres et les petites-maîtresses.

On en fit des images en plâtre, en sucre, en pain d'épice, et les enfants me dévoraient à belles dents.

CHAPITRE II

L'empereur de Lilliput, accompagné de plusieurs de ses courtisans, visite Gulliver dans sa prison.–Description de la personne et de l'habit de Sa Majesté.–Une commission scientifique est nommée pour apprendre la langue à l'auteur.–Il obtient des grâces par sa douceur: ses poches sont visitées.

Quand je fus libre enfin de mes mouvements, je regardai autour de moi; je n'ai jamais contemplé scène plus charmante. Le pays environnant me parut une suite de jardins; les champs clos de murs, la plupart de quarante pieds carrés, me firent l'effet des plates-bandes d'un parterre. Les plus grands arbres me semblèrent hauts d'environ sept pieds. Sur la gauche j'apercevais la ville; elle ressemblait à la perspective d'une cité dans un riant tableau.

Un jour, l'empereur, à cheval sur son cheval de bataille, s'avança vers moi, ce qui pensa lui coûter cher. A mon aspect, son cheval étonné se cabra, mais ce prince intrépide, et, qui plus est, excellent cavalier, se tint ferme sur ses étriers, sa suite accourut et prit la bride; alors, sans se hâter, Sa Majesté mit pied à terre, et me considéra de tous côtés, avec une grande admiration; pourtant elle se tenait, par amour pour ses sujets, hors de la portée de ma chaîne.

Gavarni pinxOuthwaite sc. Imp. Lemercier et C Paris Audience de l'Empereur de Lilliput.

Il ordonna à ses cuisiniers et sommeliers de me servir des viandes et du vin sur des voitures qu'ils amèneraient près de moi. Je pris ces voitures et je les vidai promptement. Il y en avait vingt pour les viandes et dix pour les boissons; chacune des premières me fournit deux ou trois bouchées; je versai la liqueur de dix amphores dans une des voitures, je la bus d'un seul trait, ainsi du reste.

L'impératrice, les princes et les princesses du sang, accompagnés de plusieurs dames d'honneur en grands habits, s'assirent à quelque distance. L'empereur est reconnaissable à sa taille imposante, à la majesté de son visage, au feu de ses regards, ce qui le fait redouter par tous ceux qui le regardent. Les traits de son visage sont grands et mâles, avec une lèvre à l'autrichienne au-dessous d'un nez aquilin, un teint qui va tirant sur l'olive, un grand air de commandement, des membres bien proportionnés, la grâce et la majesté en toutes ses actions; tel était ce maître absolu d'un si petit peuple. Il avait alors passé la fleur de sa jeunesse, étant âgé de vingt-huit ans et trois quarts; il régnait depuis cinq ou six ans, à la grâce et par la grâce de Dieu. Quant à moi, qui voulais me rendre un compte exact de Sa Majesté, je me tenais sur le côté, mon visage parallèle au sien; il se trouvait à une toise et demie loin de moi. Depuis ce temps, j'ai tenu bien souvent l'empereur sur ma main droite, et je ne puis me tromper à faire son portrait. Il portait un habit très-simple et mi-parti asiatique, mi-parti à l'européenne; il avait sur la tête un léger casque d'or orné de joyaux et d'un plumet magnifique; il tenait son épée à la main, tout prêt à se défendre, si j'avais brisé mes chaînes: cette épée était longue de trois pouces; la poignée et le fourreau d'or massif et enrichis de diamants. La voix de ce grand prince était aigre, mais claire et distincte, et je la pouvais entendre aisément, même quand je me tenais debout. Les dames et les courtisans se montraient, selon l'étiquette, habillés superbement, de sorte que la place où toute la cour faisait la roue apparaissait à mes yeux éblouis comme une belle jupe étendue au soleil et brodée de figures d'or et d'argent. Sa Majesté Impériale me fit l'honneur de m'adresser la parole à plusieurs reprises, et je lui répondis toujours sans nous entendre, ni l'un ni l'autre.

Au bout de deux heures, la cour se retira; on me laissa une forte garde, pour empêcher l'impertinence et peut-être la malice de la populace, impatiente de se rendre en foule autour de moi pour me voir de plus près. Quelques-uns eurent l'effronterie et la témérité de me tirer des flèches, dont une pensa me crever l'œil gauche... Le colonel fit arrêter six des plus effrontés de cette canaille, et, pour leur apprendre à vivre, il ordonna qu'ils me fussent livrés, pieds liés, poings liés. Ah! l'épouvante! Je les pris dans ma main droite, et j'en mis cinq dans la poche de mon justaucorps; puis, prenant le sixième entre le pouce et l'index, je feignis de le vouloir manger tout vivant. Le pauvre petit homme, horripilé, poussait des hurlements; et le colonel, tout chargé de fanfreluches honorifiques, était fort en peine, surtout quand il me vit tirer mon canif; mais bientôt cessa leur frayeur. Avec un air doux et humain, coupant les cordes dont ce malheureux était garrotté, je le mis doucement à terre... Il prit la fuite... il court encore. Je traitai ses complices de la même façon, les tirant de ma poche l'un après l'autre, et: Sauve qui peut! Je remarquai avec plaisir que les soldats et le peuple étaient touchés de ma bonne action; elle fut rapportée à la cour d'une manière avantageuse, et me fit le plus grand honneur, si je puis parler ainsi.

Vers le soir, je regagnai ma maison, où j'entrai non sans peine, et je couchai sur la terre pendant plusieurs nuits, en attendant le lit que l'empereur avait commandé pour moi. Cent cinquante de leurs couchers ordinaires, cousus ensemble, formèrent la largeur et la longueur du mien, et l'on posa quatre de ces matelas l'un sur l'autre, ce qui ne composait pas encore un lit très-douillet; mais il me parut assez doux, après tant de fatigues.

La nouvelle de l'arrivée d'un homme extraordinaire... un géant! s'étant répandue à travers l'empire, attira un nombre infini de gens oisifs et de curieux; les villages en furent presque abandonnés, et la culture des terres en eût souffert, si Sa Majesté Impériale n'y avait pourvu, par différents édits et ordonnances. Elle ordonna que tous ceux qui m'avaient déjà vu retourneraient incessamment chez eux, et n'approcheraient point, sans une permission particulière, du lieu de mon séjour. Grâce à cette défense (une porte nouvelle ouverte au bon plaisir), les commis des secrétaires d'État gagnèrent des sommes considérables.

Cependant, l'empereur tint plusieurs conseils pour délibérer sur le parti qu'il fallait prendre à mon égard; j'ai su depuis que la cour avait été fort embarrassée. On craignait que je ne vinsse à briser mes chaînes et à me mettre en liberté. Celui-ci disait que ma nourriture était une dépense excessive, et pouvait, à la longue, amener la disette. On opinait tantôt à me laisser mourir de faim, tantôt à me percer de flèches empoisonnées; mais un économiste de ce temps, qui savait, pour les avoir pratiqués, le contre et le pour de toute chose, ami fidèle et dévoué de tous les gouvernements, écrivit une éloquente dissertation afin de démontrer par A + B que l'infection d'un corps tel que le mien produirait, inévitablement, la peste dans la capitale et dans tout le reste de l'empire. Pendant qu'on délibérait, plusieurs officiers de l'armée se rendirent à la porte de la grand'chambre, où le conseil impérial était assemblé; deux d'entre eux, ayant été introduits, rendirent compte de ma conduite à l'égard des six criminels dont j'ai parlé, ce qui fit une impression si favorable sur l'esprit de Sa Majesté et de tout son conseil, qu'une commission impériale fut expédiée à l'instant pour obliger les villages à quatre cent cinquante toises aux environs de la ville, de livrer chaque matin, à mon réveil, six bœufs, quarante moutons et autres vivres pour ma nourriture, plus quantité proportionnée de pain, de vins et boissons. Pour le payement de ces vivres, Sa Majesté donnait, à six mois de date, sans escompte, délégations sur son trésor. Ce prince heureux n'a d'autres revenus que son domaine; dans les occasions importantes, il lève des impôts sur ses sujets. Ces dignes sujets sont obligés de le suivre à la guerre, à leurs propres dépens. On nomma mon service officiel: six cents personnes, qui furent pourvues d'appointements pour leur dépense de bouche, et de tentes construites commodément de chaque côté de la porte. En même temps, il fut ordonné que trois cents tailleurs me feraient un habit à la mode du pays; six hommes de lettres, des plus savants de l'empire, furent chargés de m'apprendre la langue nationale, et, pour que rien ne manquât à ces largesses royales, les chevaux de l'empereur et ceux de la noblesse, et les compagnies des gardes du corps firent souvent l'exercice devant moi, pour les accoutumer à ma figure. Tous ces ordres furent exécutés. Je fis de grands progrès dans la connaissance de la langue vulgaire et savante de Lilliput; pendant ce temps, l'empereur m'honora de visites fréquentes, et même il voulut bien aider mes maîtres de langue à m'instruire.

Les premiers mots que j'appris furent pour lui faire savoir l'envie que j'avais qu'il voulût bien me rendre ma liberté, ce que je lui répétais tous les jours à genoux. Sa réponse fut qu'il fallait attendre et patienter; que c'était affaire d'État, sur laquelle il ne pouvait se déterminer sans l'avis de son conseil. En outre, il fallait absolument: 1 que je fisse serment d'une paix inviolable avec lui et avec ses sujets; en attendant, je serais traité avec toute l'honnêteté possible. Il me conseillait aussi de gagner, par ma patience et ma bonne conduite, son estime et celle de ses peuples. Enfin, il m'avertit de ne lui savoir point mauvais gré s'il donnait ordre à certains officiers de faire, avec tout le soin possible, une perquisition ad hominem, pour se bien assurer si je ne portais pas sur moi des armes préjudiciables à la sûreté de l'État. Je répondis que j'étais prêt à me dépouiller de mon habit, et à vider mes poches en sa présence. Il me répartit que, par les lois de l'empire, il fallait que je fusse au préalable visité par deux commissaires. Il savait bien que cela ne pouvait se faire sans mon consentement, mais il avait si bonne opinion de ma droiture et de ma bonne foi, qu'il confierait sans crainte les plus chers conseillers de sa couronne entre mes mains amicales. Au demeurant, tout ce qu'on m'ôterait me serait rendu fidèlement, quand je quitterais le pays, ou bien je serais remboursé selon l'évaluation que je ferais moi-même.

Lorsque les deux commissaires vinrent pour me fouiller, je pris ces messieurs dans mes deux mains; et, délicatement, je les engouffrai, l'un et l'autre, en chaque poche. Ici,–là,–poche au côté,–poche au justaucorps; ils fouillèrent partout.

Comme ils avaient sur eux plumes, encre et papier, ils firent un inventaire exact de tout ce qu'ils virent; et, quand ils eurent achevé, ils me prièrent de les mettre à terre, afin qu'ils pussent, en toute hâte, rendre à l'empereur un compte exact de leur visite.

Cet inventaire était conçu dans les termes suivants:

«1 Dans la poche à droite du justaucorps du grand homme-montagne (c'est ainsi que je rends ces mots, Quinbus Flestrin), après une visite minutieuse, avons trouvé un morceau de toile grossière, assez grand pour servir de tapis de pied dans la principale chambre de parade à Votre Majesté. 2 Dans la poche à gauche, avons trouvé un grand coffre d'argent avec couvercle de même métal, que nous, commissaires, n'avons pu lever. Nous avons prié ledit homme-montagne de l'ouvrir, et l'un de nous, Vaillance, étant entré là-dedans, en a eu de la poussière jusqu'aux genoux; même il a éternué deux heures; son compagnon, resté sur les bords du gouffre, n'a éternué que sept minutes. 3 Dans la poche à droite de sa veste, avons trouvé un paquet prodigieux de substances blanches et minces, pliées l'une sur l'autre, environ la grosseur de trois hommes, attachées d'un câble assez fort et marquées de grandes figures noires, lesquelles il nous a semblé être des écritures. 4 Dans la poche à gauche il y avait une grande machine, armée de grandes dents très-longues, semblables aux palissades qui sont devant la cour de Votre Majesté. 5 Dans la grande poche du côté droit de son couvre-milieu (c'est ainsi que je traduis le mot ranfulo, par lequel on voulait entendre mes chausses), avons vu un grand pilier de fer creux attaché à une grosse pièce de bois, plus large que le pilier; d'un côté du pilier d'autres pièces de fer en relief, serrant un caillou coupé en talus. 6 Dans la poche à gauche, une machine de la même espèce. 7 Dans la plus petite au côté droit, plusieurs pièces rondes et plates, de métal rouge et blanc, d'inégale grosseur: quelques-unes des pièces blanches, qui nous ont paru être d'argent, étaient si larges et si pesantes, que mon confrère et moi avons eu grande peine à les lever. Item, deux sabres de poche, dont la lame s'emboîtait dans une rainure du manche, au fil tranchant: ils étaient placés dans un étui. 8 Restaient à visiter deux poches, appelées goussets. C'étaient deux ouvertures coupées dans le haut de son couvre-milieu, mais fort serrées par un ventre énorme. Hors du gousset droit, pendait une immense chaîne d'argent, avec une machine très-merveilleuse au bout. Nous lui avons commandé de tirer hors du gousset tout ce qui tenait à cette chaîne: cela paraissait être un globe, dont la moitié était d'argent, l'autre côté d'un métal transparent. Sur le côté transparent avons remarqué certaines figures, tracées dans un cercle, et, pensant les toucher, nos doigts ont été arrêtés par une substance lumineuse. Nous avons appliqué cette machine à nos oreilles: elle faisait un bruit continuel à peu près comme le tic tac d'un moulin à eau; nous avons conjecturé que ceci renfermait quelque animal inconnu, ou la divinité qu'il adore; mais nous penchons du côté de la dernière opinion, l'homme-montagne nous ayant assuré (si nous l'avons bien entendu, car il s'exprime fort imparfaitement) qu'il la consultait en toute chose; il l'appelait son oracle, ajoutant qu'elle désignait le temps, pour chaque action de sa vie. 9 Du gousset gauche, il tira un filet, presque assez large pour servir à un pêcheur; nous avons trouvé au dedans plusieurs pièces massives, d'un métal jaune: ah! sire, si ces meules sont du véritable or, il faut qu'elles soient d'une valeur inestimable.

«Ainsi, ayant, par obéissance aux ordres de Votre Majesté, fouillé très-exactement toutes ses poches, nous avons observé une ceinture autour de son corps, faite de la peau de quelque animal prodigieux, à laquelle, du côté gauche, pendait une arme de la longueur de six hommes, et, du côté droit, une bourse ou poche en deux cellules; chacune étant d'une capacité à contenir trois sujets de Votre Majesté. Dans une de ces cellules, il y avait plusieurs globes ou balles d'un métal assez lourd, environ de la grosseur de notre tête, et qui exigeait une main très-forte pour les lever. L'autre cellule contenait un amas de certaines graines noires, mais peu grosses et assez légères; nous en pouvions tenir plus de cinquante dans la paume de nos mains.

«Tel est l'inventaire exact de tout ce que nous avons trouvé sur le corps de l'homme-montagne. Nous devons ajouter qu'il nous a reçus avec beaucoup d'honnêteté et des égards conformes à la Commission de Votre Majesté.

«Signé et cacheté le quatrième jour de la lune et la quatre-vingt-neuvième du règne très-heureux de Votre Majesté,

«Flessin Frelock, Marsi Frelock.»

Quand cet inventaire eut été lu en présence de l'empereur, il m'ordonna poliment de lui livrer toutes ces choses en mains propres. D'abord il demanda mon sabre. Il avait donné ordre à trois mille hommes de ses meilleures troupes, qui l'accompagnaient, de l'environner à quelque distance avec leurs arcs et leurs flèches; mais je ne m'en aperçus pas dans le moment, mes yeux étaient fixés sur Sa Majesté. Il me pria de tirer mon sabre, qui, bien que rouillé par l'eau de mer, était encore assez brillant. J'obéis, et tout aussitôt, blessés par cet éclat surnaturel, ces braves soldats jetèrent de grands cris. Il m'ordonna de le remettre au fourreau, et de le jeter à terre aussi doucement que je pourrais, à six pieds de distance de ma chaîne... Il voulut aussi que je le misse en possession de l'un de ces piliers creux, par lesquels il entendait mes pistolets de poche; aussitôt je les lui présentai, non pas sans lui en expliquer l'usage. Il voulut les entendre, et, les chargeant à poudre, j'avertis l'empereur du bruit que j'allais faire, et je tirai en l'air. L'étonnement à cette occasion fut plus grand qu'à la vue de mon sabre; ils tombèrent tous à la renverse, comme s'ils eussent été foudroyés. L'empereur, tout brave qu'il était, eut grand'peine à revenir de sa frayeur. Je lui remis mes deux pistolets comme je lui avais remis mon sabre, avec mes sacs de plomb et de poudre, en l'avertissant de ne pas approcher du feu le sac de poudre s'il ne voulait pas voir son palais impérial sauter en l'air! Je lui remis aussi ma montre; il fut curieux de l'étudier, et commanda à deux de ses gardes, deux soldats superbes et faits pour marcher devant un roi[2], de la porter sur leurs épaules, suspendue à un grand bâton, comme les charretiers des brasseurs portent un baril de bière, en Angleterre. Il était étonné du bruit continuel que faisait la machine et du mouvement de l'aiguille qui marquait les minutes; il pouvait aisément le suivre des yeux, les yeux des Lilliputiens étant plus perçants que les nôtres. Même, en son ardeur de tout comprendre, il voulut savoir le sentiment de ses docteurs les plus infaillibles, et cette fois, chose assez peu croyable! ces messieurs ne furent pas d'accord sur la cause immédiate de ce bruit, de ce va et vient, de cette aiguille avançant toujours.

Je livrai mes pièces d'argent et de cuivre, ma bourse avec neuf grosses pièces d'or et quelques-unes plus petites, mon peigne, ma tabatière d'argent, mon mouchoir et mon journal. Mon sabre, mes pistolets de poche et mes sacs de poudre et de plomb furent transportés à l'arsenal de Sa Majesté; tout le reste, avec une bonté rare, fut laissé à ma discrétion.

J'avais une poche en particulier qui ne fut point visitée; elle contenait une paire de lunettes, dont je me sers quelquefois, un télescope avec plusieurs autres bagatelles que je crus de nulle conséquence pour l'empereur; pour cette raison je ne les découvris point aux commissaires, appréhendant qu'elles ne fussent gâtées ou perdues, si je venais à m'en dessaisir.

Ma bonne conduite et ma douceur m'avaient tellement gagné les faveurs de l'empereur et de sa cour, le peuple et l'armée m'avaient en si grande estime, que j'espérais obtenir bientôt ma liberté, et je ne négligeai rien pour augmenter ma popularité. Les Lilliputiens s'étaient insensiblement familiarisés avec moi, à ce point que je me couchais à terre et que je permettais aux jeunes gens de jouer à cache-cache dans mes cheveux. Déjà j'avais fait des progrès dans leur langue, soit pour la comprendre, soit pour la parler, et Dieu sait que les professeurs ne me manquaient pas.

Les professeurs officiels avaient été choisis, par l'empereur lui-même, parmi les plus savants de ses sujets. Plusieurs de ceux-là n'étaient guère occupés qu'à préparer, arranger, disposer, accentuer les divers mots dont se composent le dictionnaire et la grammaire des Lilliputiens. On les compare assez généralement aux gardiens du feu sacré; ils parlent si proprement, que l'on a grand'peine à les entendre! et pas un ne s'en étonne à Lilliput!

Ils sont payés pour parler une langue à part, dont tout le monde est fier et que nul ne comprend.

CHAPITRE III

Gulliver divertit l'empereur et les grands de l'un et de l'autre sexe, d'une manière fort extraordinaire.–Description de la cour de Lilliput.–L'auteur est mis en liberté à certaines conditions.

L'empereur voulut, à son tour, me donner le divertissement de quelque spectacle, en quoi ces peuples surpassent toutes les nations que j'ai vues, pour l'adresse et pour la magnificence; mais rien ne me divertit plus que leurs danseurs de corde, voltigeant sur un fil blanc presque invisible et long de deux pieds onze pouces.

Les gaillards qui pratiquent cet exercice obéissent à la plus noble ambition. C'est au meilleur sauteur que l'autorité est destinée. Et plus ils sautent, plus ils avancent dans la faveur de leurs maîtres. Aussi bien, de très-bonne heure ils sont formés à l'accomplissement de ces tours de force, uniquement réservés aux héritiers des plus grandes familles. Donc, sitôt qu'une grande charge est vacante par la mort de celui qui en était revêtu, ou par sa disgrâce, cinq ou six prétendants à la charge vacante présentent une requête à l'empereur, ès-fins d'avoir la permission de divertir Sa Majesté d'une danse sur la corde. Or celui-là qui fait le plus grand saut sans se casser les reins obtient la charge. Il arrive assez souvent que l'on ordonne aux grands magistrats et aux principaux administrateurs de danser sur la corde, afin de montrer leur souplesse, et pour confirmer l'empereur dans l'opinion que ces grands sauteurs n'ont rien perdu de leur talent primitif. Le célèbre et désintéressé Flimnap, grand trésorier de l'empire, a réussi dans la cabriole, au point d'avoir distancé d'un bon pouce (on le dit généralement) les meilleurs sauteurs de l'empire. Je l'ai vu plusieurs fois faire un saut périlleux (que nous appelons le Sommerset) sur une petite planche de bois imperceptible et pas plus grosse qu'une ficelle ordinaire.

Ces divertissements causent souvent des accidents funestes; la plupart sont enregistrés dans les archives impériales. J'ai vu moi-même deux ou trois prétendants s'estropier, sans rémission; mais le péril est beaucoup plus grand quand les ministres eux-mêmes reçoivent l'ordre de signaler leur adresse; alors les voilà qui se livrent à des efforts extraordinaires pour se surpasser l'un l'autre, au grand péril des catastrophes les plus dangereuses. On m'assura qu'un an avant mon arrivée, Flimnap se serait infailliblement cassé la tête en tombant... Il tomba, par bonheur, sur les coussins du roi.