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Le projet "Ligne Temporelle" est menacé. Mike, l'un des créateurs, a fait un saut temporel non autorisé avant d'être ramené de justesse, sans qu'il ait pu modifier le passé. Ayant prévu son échec, il a rendu la machine inutilisable après son saut. François-Jean, son meilleur ami et co-créateur du projet, tente de réparer les dégâts de Mike. Alors qu'il essaie d'aider son ami et de comprendre la raison pour laquelle il a agi tout en effectuant les réparations, des personnes influentes le voient comme une menace au projet et veulent l'écarter. Devant le silence de Mike et les agissements à leur encontre, il en vient à se demander si son ami ne lui cacherait pas la véritable raison de cette tentative de modifier le cours du temps. Pourquoi cherche-t-il à empêcher la création du projet "Ligne Temporelle" ? François-Jean, en quête de vérité, va découvrir que Mike lui a caché bien des choses avant son échec...
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Seitenzahl: 536
Veröffentlichungsjahr: 2022
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À ma femme, qui continue encore et toujours de me soutenir, quoi que je fasse.
PROLOGUE
Chapitre 1
Chapitre 2
Chapitre 3
Chapitre 4
Chapitre 5
Chapitre 6
Chapitre 7
Chapitre 8
Chapitre 9
Chapitre 10
Chapitre 11
Chapitre 12
Chapitre 13
Chapitre 14
Chapitre 15
Chapitre 16
Chapitre 17
Chapitre 18
Chapitre 19
Chapitre 20
Chapitre 21
Cela aurait pu être un matin comme les autres, la routine habituelle proche de l’ennui, faisant regretter un réveil trop matinal après une courte nuit. Une étrange sensation envahissait l’esprit de Julia Zukunf. Pourtant tout était calme au centre de l’Organisation de Régularisation des Sauts Temporels, plus communément connu sous le sigle ORST. Comme souvent, elle se trouvait d’astreinte. Il ne se passait jamais rien d’inhabituel et malgré cela, elle sentait au fond de son être qu’un événement allait bouleverser de nouveau sa vie. La jeune Allemande venait à peine d’avoir la trentaine et elle occupait un poste inespéré pour son âge sur un projet secret. Elle possédait un doctorat en physique nucléaire et son arrivée au sein du groupe avait permis des avancées plus rapides au sujet des recherches sur les sauts temporels.
Jusqu’à sa venue, les deux chefs scientifiques français à l’origine du projet piétinaient dans leurs travaux. Julia leur avait montré une nouvelle approche, les amenant à reconsidérer leurs travaux sous un autre angle. Cela leur permit de faire des progrès révolutionnaires et de pouvoir créer la première machine à remonter le temps. Depuis plus de trois ans, des hommes étaient envoyés dans le passé afin d’étudier l’Histoire et le mode de vie et de culture des sociétés du passé. Ils étaient appelés les chrononautes. Matthias Contesti, l’un des deux scientifiques français, édita une série de règles à ne pas transgresser concernant les sauts temporels. Les cinq principales étaient affichées dans la salle de saut, bien en évidence pour le voyageur temporel installé dans la machine avant de changer d’époque.
Pourtant, ce matin-là Julia n’était pas allée au travail aussi sereine que d’habitude. Elle ressentait une certaine appréhension qu’elle ne comprenait pas, une sensation étrange, une angoisse indicible. Comme à son habitude, une fois arrivée, elle pénétra dans la salle de saut et vérifia tous les écrans de contrôle. Tout paraissait normal, aucune anomalie, aucun problème depuis la veille. Youri, le seul scientifique russe du projet, avait passé la nuit à veiller. Il était rare que des sauts ou des retours interviennent en pleine nuit mais il était préférable de laisser la salle toujours sous la surveillance d’un scientifique et souvent dans son emploi du temps Youri travaillait en nocturne.
Après un échange de politesse, celui-ci l’informa qu’il allait rentrer chez lui et profiter de son lit. Il était arrivé à Julia de faire les gardes de nuit et elle savait combien cela pouvait être épuisant. Seuls Matthias et son ami François-Jean Rivière, le deuxième chef scientifique français, ne travaillaient jamais le soir. Une autre personne que le Russe et l’Allemande les aidaient dans les roulements pour les nocturnes. Avant de partir, Youri informa l’allemande que Matthias était déjà arrivé. Celui-ci se montrait rarement si matinal. Il n’était pas encore six heures trente et habituellement il commençait bien plus tard. Elle vérifia une nouvelle fois tous les écrans de contrôle et n’y décela aucune anomalie expliquant la présence du scientifique.
La jeune femme blonde se demanda pourquoi il était si en avance. Elle n’eut pas le temps de se poser davantage la question lorsque son supérieur arriva. Il était habillé dans son style habituel, en blue jeans et t-shirt. Malgré la cinquantaine approchant, il ne changeait pas sa façon de s’habiller. Il avait toujours refusé de porter une blouse qu’il jugeait ridicule et il n’était pas pour le strict conformisme de la tenue vestimentaire. Antoine Larrague, le président directeur général de l’ORST, n’avait jamais réussi à le convaincre de mettre un costume cravate, même en présence de ministres ou chefs d’État. Le Français était réfractaire à l’autorité mais ses compétences et ses talents en informatique en faisaient un élément indispensable au projet. Même François-Jean ne pouvait pas le remplacer dans les tâches qui lui étaient confiées, les deux savants ayant chacun un domaine de prédilection différent. Pourtant le deuxième excellait dans de nombreux domaines et il était considéré comme un génie mais Matthias était meilleur que lui dans d’autres. Tous deux se révélaient très complémentaires dans le travail et le duo ainsi formé avait fini par être indissociable.
— Bonjour Mike, c’est rare de vous voir à cette heure-ci.
Elle l’appelait par le pseudo qu’il utilisait sur les réseaux internet. Peu de personnes le nommaient par son véritable prénom. L’homme brun aux cheveux grisonnants semblait absorbé par la tâche qu’il effectuait. Il releva légèrement la tête des papiers qu’il tenait dans ses mains. Malgré l’ère du tout numérique, l’informaticien aimait bien utiliser des feuilles pour vérifier son travail ou pour y écrire des notes et il n’appréciait que modérément la lecture sur écran.
— Salut Julia, finit-il par dire en replongeant ses yeux marron sur les documents. J’ai passé une mauvaise nuit. Je n’ai pas réussi à me rendormir, alors j’ai décidé de venir plus tôt au lieu de rester à tourner en rond chez moi. Le nouveau projet que nous impose Larrague doit me donner des insomnies.
Le ton amusé de Matthias fit sourire Julia. Elle avait l’habitude d’entendre son collègue râler à longueur de journée, surtout depuis que leur PDG voulait que la machine puisse envoyer simultanément plus d’une personne dans le temps. Pour l’instant, l’appareil ne pouvait envoyer qu’un chrononaute à la fois. Récemment ils avaient tenté d’envoyer plusieurs personnes l’une après l’autre à la même époque et au même endroit, mais, sans véritablement comprendre pourquoi, la machine n’envoyait pas les voyageurs au même instant précis. Parfois cela différait de plusieurs heures et ce pouvait être problématique, surtout que Matthias insistait sur l’importance de ne pas rester trop longtemps dans une époque de peur de corrompre l’intégrité de la ligne temporelle.
Rien que cette évolution dans le programme d’origine était une véritable avancée par rapport à ses débuts. La première année, un seul chrononaute pouvait aller dans le passé et il fallait attendre son retour pour en envoyer un autre. Le système bloquait toute nouvelle tentative de saut. Après des ajouts et des modifications, une autre personne pouvait voyager dans le temps mais Mike préférait éviter d’envoyer plus d’une personne en mission dans le même laps de temps de notre époque. Pour contrôler les explorations, il avait rajouté un programme qui permettait de les ramener au bout d’une certaine durée maximale. Le temps qui s’écoulait dans les décennies ou siècles précédents pour le chrononaute était le même que celui depuis son départ jusqu’à son retour en salle de saut.
Une autre sauvegarde avait été ajoutée si jamais la présence du chrononaute risquait de se faire remarquer dans le passé et de modifier le cours normal de l’Histoire et du Temps. À tout moment, le voyageur temporel pouvait utiliser un objet qu’il portait sur lui pour activer la puce se trouvant sous son épiderme, celle-ci déclenchant le retour quasi instantané. C’était la procédure la plus utilisée en dehors des cas d’urgence pour mettre fin à une exploration, même si cela restait assez rare.
Mike n’appréciait pas l’envoi de deux explorateurs à la même période de l’Histoire et dans le même laps de temps mais ce n’était pas lui qui décidait. Larrague voulait une résolution prochaine de ce problème et la seule solution c’était de construire une nouvelle machine ayant la capacité d’envoyer plusieurs personnes dans le passé en même temps. Au tout début de ce nouveau projet, Matthias s’était montré intéressé par le concept, pensant que le but était d’envoyer deux personnes dans deux endroits et deux époques différentes. Ce n’était toujours pas le cas malgré les modifications puisque le programme acceptait un deuxième saut uniquement dans la même période à quelques heures ou jours près. Mais Larrague, au contraire, voulait qu’au moins deux chrononautes aillent au même endroit et dans le même espace-temps. Le scientifique n’en voyait pas l’intérêt et semblait ne pas mettre tout son enthousiasme sur ce projet. Le nouveau programme piétinait et François-Jean semblait également peu enclin à créer cette machine. Tous deux travaillaient dessus mais sans mettre leur fougue habituelle.
— Tu es bien en avance toi aussi. Tu ne commences pas à sept heures ?
— Si, répondit la jeune femme surprise de voir que son chef connaissait son horaire. J’aime bien arriver en avance, cela me permet de pouvoir tout contrôler avant de me mettre au travail.
Matthias releva la tête, paraissant quelque peu contrarié. Julia n’avait pas l’habitude de le voir ainsi, ou du moins il n’affichait pas autant son insatisfaction. Elle éprouvait de l’affection pour Matthias qui souvent pouvait se montrer cynique et très désinvolte. Elle n’avait jamais osé le tutoyer, elle n’en avait jamais pris l’habitude depuis le début de leur collaboration et aujourd’hui elle ne le pouvait plus. Elle l’appelait également par son nom de famille. Quant à son chef, il ne vouvoyait personne, pas même Larrague.
— Va prendre un café, je compte rester ici pour vérifier un sousprogramme. Avec un peu de chance, il n’y aura qu’à modifier un paramètre ou deux pour l’adapter à la nouvelle machine.
Il lui sourit mais cela laissa à l’Allemande une impression étrange. Elle hocha la tête, n’étant pas contre le fait de prendre son temps pour boire un café dans la salle de repos. Elle sortit et le laissa seul. Elle s’avança vers l’espace de confort, une pièce attenante à la salle de saut, accessible elle aussi uniquement par le couloir. L’endroit ne possédait aucune fenêtre comme toutes les pièces de ce niveau. En revanche, la hauteur du local était plus petite, la vaste pièce principale du complexe montait sur deux étages. Juste au-dessus de la salle de repos se trouvait le bureau de Larrague auquel on pouvait accéder par l’escalier en colimaçon à côté des distributeurs automatiques de boissons et de cochonneries sucrées ou salées en tout genre. L’Allemande s’approcha de la machine à café, une italienne avec percolateur. Les deux français étaient amateurs de bon café et ils avaient réussi à persuader Larrague d’acheter une vraie machine à grains. Le PDG ne fut pas si difficile à convaincre, étant lui aussi un connaisseur et il en ingurgitait une grande quantité chaque jour.
Soudain la pièce se mit à vibrer. Julia en déduisit aussitôt que le programme Ligne Temporelle était activé. Elle ne prit pas le temps de faire son café et quitta la pièce en toute hâte. Elle prit son badge et le passa dans la borne qui permettait de déverrouiller la porte mais celleci resta bloquée et afficha que l’accès lui était refusé. Elle essaya une nouvelle fois avant de taper sa main droite sur la double porte coulissante. Matthias avait verrouillé la salle afin de rester seul à l’intérieur. En as des systèmes informatiques qu’il était, elle n’arriverait pas à les débloquer si facilement et il serait peut-être alors trop tard. Elle craignait le pire, ne sachant pas ses intentions, surtout qu’il n’y avait aucune raison pour qu’il s’enfermât dans la salle de saut et qu’il utilisât la machine. Tout lancement du programme devait être autorisé par Larrague et par l’ORST, même lorsqu’il s’agissait d’un simple test de mise en activité. Elle recula d’un pas et chercha une nouvelle solution. Son seul autre moyen d’accès se trouvait dans le bureau du directeur où une grande baie vitrée le séparait de la salle de saut. De cet endroit, lorsqu’il était présent, le PDG pouvait voir tout ce qui se passait.
L’Allemande courut jusqu’à l’escalier et monta les marches quatre à quatre. Elle arriva à la porte d’entrée verrouillée. Elle posa sa main sur la plaque d’identification, qui permit l’ouverture. Elle franchit la porte battante et s’approcha de la baie vitrée où elle vit en contrebas Matthias dans la machine au centre de la pièce, une énergie bleutée commençant à former un halo autour de lui. La vitre était incassable, elle le savait. Un verre classique aurait été fissuré à cause des vibrations émises par l’appareil. Pourtant c’était le seul accès pour rejoindre la salle de saut et elle connaissait le moyen pour descendre. Elle se dirigea vers le bureau-ordinateur et pianota dessus. Un panneau écran holographique apparut et se mit à la hauteur de la jeune femme.
— Identification reconnue. Bienvenue Julia Zukunf.
— Ordinateur, désactive le verrouillage de la baie vitrée et sors l’échelle pour que je puisse descendre.
— Code d’autorisation ?
— Futur 2043.
La vitre faite uniquement d’une énergie aussi imperméable qu’un solide, disparut. Un procédé découvert par les Russes et que Youri Ivanov avait installé et modifié pour les besoins du projet. Aussitôt l’allemande se précipita en direction de la salle de saut. Elle s’apprêta à descendre l’échelle qui venait d’apparaître au moment même où Larrague entra dans son bureau. Le président était un homme approchant la soixantaine. Il était svelte avec des cheveux blancs et très peu de rides. Il portait comme à son habitude, un costume cravate de couleur sombre.
— Qu’est-ce qui se passe ?
— Le professeur Contesti a lancé un saut temporel.
Elle descendit l’échelle métallique à toute allure, ratant un barreau et se cognant la cheville contre le suivant. Lorsqu’elle se retourna, Matthias venait de disparaître dans un halo bleu. Les instruments de contrôle et les lumières de la machine étaient encore activés. Julia s’approcha de l’écran principal et pianota sur le clavier tactile. Elle lançait le programme de retour.
— Attention danger ! Surchauffe de la machine de saut. Risque d’endommagements. Veuillez respecter les consignes de sécurité.
— Scheisse ! Oublie-les tes consignes de sécurité !
Ses doigts se mouvaient avec grâce et rapidité sur l’écran tactile clignotant en rouge. Un compte à rebours de cinq minutes s’afficha avec écrit Retour prévu. Elle tapota de nouveau le clavier. Retour prévu dans 30 secondes. Larrague observait toute la scène du haut de son bureau, le visage grave, paraissant légèrement souffrant.
— Attention ! Mise en danger du chrononaute ! Attention ! Mise en danger du système ! Attention ! Confirmez-vous la transgression du protocole de sécurité ?
Elle se tourna vers son patron et celui-ci hésita quelques instants.
— Il le faut ! ordonna le PDG dans un souffle. Exécution !
— Identification vocale reconnue. Enclenchement de la procédure de retour.
Le décompte commença avec son cortège d’incertitude et d’angoisse. Julia regardait le chronomètre défiler avec inquiétude, tout en surveillant les indicateurs de la machine temporelle. Plusieurs circuits se trouvaient en surchauffe et différents messages d’alerte envahissaient les écrans. L’Allemande dut mettre l’alarme en sourdine pour mettre fin au vacarme infernal. Larrague retourna à son bureau et déclencha une alerte pour la sécurité, le programme Ligne Temporelle ne l’ayant pas envoyé automatiquement. L’Allemande déverrouilla la porte d’entrée pour permettre à d’autres personnes de rentrer.
Vingt secondes. Une autre sonnerie stridente rappela le danger. De la fumée commençait à sortir de certains appareils de la machine, aussitôt recouvert d’une brume rafraîchissante afin de faire baisser la température.
Dix secondes. L’instant était critique, Julia le savait. Il n’était plus possible d’annuler l’ordre de retour. Les capteurs d’énergie scintillaient d’une lumière bleutée aveuglante. Elle plissa les yeux dans leurs directions. Il ne lui restait plus que ça à faire désormais.
Cinq secondes. Deux hommes chargés de la sécurité débarquèrent dans la salle de saut, vêtus de leur uniforme gris reconnaissable. Un halo bleu commença à se former au centre de la machine. La pièce vibrait, accompagnée des bruits caractéristiques d’un saut temporel. Le rayonnement se changea peu à peu en une forme humaine méconnaissable.
Quelques secondes plus tard, Matthias se trouvait au cœur de la machine à remonter le temps. Lorsque le tumulte cessa, l’énergie entourant le scientifique se dissipa. Sain et sauf, le savant poussa un soupir de déception. La colère emplit ensuite son visage tandis que Julia était soulagée que rien de fâcheux ne lui fût arrivé.
— Matthias, qu’est-ce que t’as fait ? Pourquoi ?
Le Français semblait dominer la pièce, debout sur le socle surélevé. Il leva à peine les yeux vers le PDG. Il lança un regard noir à l’encontre de Julia. Il observa ensuite autour de lui et il eut une expression désabusée en remarquant l’échelle métallique avec l’absence de la vitre. Il tourna la tête vers la sortie où les deux hommes de la sécurité attendaient. Il haussa les épaules, acceptant visiblement son sort.
— Je n’ai rien à dire, Antoine. Je suppose que la sécurité est là pour moi. Dis-leur de faire leur travail puisque je n’ai pas réussi le mien.
Le bruit strident du réveil extirpa François-Jean du rêve dans lequel il était plongé. Il ouvrit à peine les yeux, poussant un grognement d’insatisfaction de ne pas pouvoir dormir plus longtemps. Les volets masquaient la lumière du jour, le laissant dans le noir complet nécessaire pour lui afin de pouvoir dormir. Le scientifique n’aimait pas se lever le matin, surtout pas après avoir passé une partie de la nuit les yeux rivés sur son ordinateur.
— Ça va, ça va ! C’est bon ! Je me lève !
Il s’assit au bord de son lit et il enfila les chaussons à ses pieds. Il se massa les tempes pour essayer de faire partir son mal de tête causé par le réveil brutal. Chaque journée commençait ainsi, par un léger mal de crâne avec la sensation d’être très fatigué. Il n’irait mieux qu’après avoir pris son premier café de la journée.
Les volets roulants se levèrent automatiquement pour laisser place aux grandes baies vitrées. Le quadragénaire venait de faire un rêve étrange concernant son ami Mike. Il pressentait qu’un événement grave venait de se produire, sans comprendre pourquoi il avait ce sentiment. Cela lui rappelait la dernière fois où il avait ressenti cela, peu de temps avant d’apprendre la mort de ses parents dans un accident de voiture. Il avait tout juste dix-neuf ans lorsqu’il s’était retrouvé orphelin et en charge de sa petite sœur Solange. Cette dernière avait gardé à jamais les séquelles de la collision avec un autre véhicule.
Il secoua la tête pour chasser les idées sombres qui l’envahissaient. Il pensait qu’une fois au travail, il verrait son ami en bonne santé et qu’il oublierait ce cauchemar. Il releva la tête afin de voir le ciel bleu pour se changer les idées. C’était encore une belle journée de fin d’été avec néanmoins l’impression que le soleil était moins haut et moins chaud que d’habitude. Une lumière clignotait, attirant son attention et il se tourna vers la console au mur lui indiquant un appel entrant. Il comprit que la sonnerie n’était pas pour le réveiller, il recevait un appel vidéo. Il s’agissait probablement de Mike, celui-ci avait la fâcheuse tendance à contacter son ami de bonne heure et François-Jean détestait cela.
Il se mit debout et s’approcha de l’écran. Son t-shirt pourtant ample le moulait quelque peu au niveau de son ventre légèrement proéminent. Il n’était pas gros, mais il n’avait pas non plus un physique de sportif. Le scientifique passait ses journées derrière un ordinateur, assis confortablement dans un fauteuil qui s’adaptait à sa physionomie. Les nouvelles technologies permettaient désormais d’éviter d’avoir des problèmes de dos. Malheureusement il subissait un autre effet indésirable : sa condition physique s’amenuisait à cause du confort. Le grignotage entre les repas n’arrangeait rien non plus.
Il se frotta les yeux, repoussant ses cheveux mi-longs sur les côtés. Il avait très peu de cheveux blancs, ce qui lui donnait une apparence plus jeune que son âge réel. Il bailla ostensiblement en s’étirant de tout son long. Il avait lu une étude sur un site féminin prouvant les bienfaits de s’étirer longuement dans son lit avant de commencer sa journée, une étape qu’il venait de sauter. Il n’appréciait pas vraiment les réveils en sursaut. Il se maudissait de n’avoir toujours pas créé un programme pour repousser les messages entrants de Mike avant son réveil. Peut-être laissait-il cela ainsi parce qu’il savait que son ami trouverait un moyen de contourner son application pour le réveiller quand même.
Ce dernier démontrait de réels talents pour pirater et contourner toutes sortes de programmes informatiques. C’était la raison pour laquelle l’Organisation de Régularisation des Sauts Temporels le trouvait si précieux et depuis l’informaticien sécurisait le système. Il avait écrit une grande partie du code source du projet Ligne Temporelle et rendu possible les voyages dans le passé.
François-Jean avait beau être considéré comme un petit génie, les talents de son ami permettaient de le débloquer dans divers problèmes. Les deux se montraient complémentaires dans le domaine informatique et ils se répartissaient naturellement les différentes tâches. Au final, François-Jean avait préféré laisser Mike s’occuper de tout ce qui faisait partie du système avec les scripts et programmes de lancement tandis que lui s’occupait plutôt du développement des programmes dédiés au saut temporel avec les équations et les paramètres qui le rendaient possible. En plus de ses talents en informatique, c’était un excellent physicien et mathématicien, matières dans lesquelles il avait également un doctorat. Deux des domaines où il surpassait son collègue.
— Lance la vidéo, dit-il d’une voix contrariée.
Larrague apparut à l’écran, ce qui surprit le scientifique de voir que son chef cherchait à le joindre prématurément. Cela n’arrivait jamais, le directeur respectait le rythme de travail et de sommeil de ses deux protégés, les laissant faire eux-mêmes leur emploi du temps.
— Un incident est survenu dans les locaux de l’ORST. Je demande à tout le personnel scientifique de la salle de saut d’être présent pour huit heures en salle de conférence quatre.
Il avait la désagréable impression qu’une information venait de lui échapper. Que s’était-il passé ? Ce message était bien étrange pour le quadragénaire et il aurait préféré en savoir plus avant de partir en toute hâte. Jamais jusqu’à présent il n’en avait reçu avec si peu de détails, ni avec ce côté dramatique et encore moins s’adressant à l’ensemble de l’équipe du projet. Quel était cet incident évoqué par le directeur ? Il pensa de nouveau à son pressentiment et cela lui fit hérisser les poils le long de sa colonne vertébrale. Il craignait le pire, bien au-delà d’un simple incident, un drame qui aurait pu advenir et cette idée résonna dans sa tête.
— Appelle Matthias Contesti, ordonna-t-il.
La console affichait « Appel en cours ». L’écran contrastait avec le mur bibliothèque en bois de sa chambre, la seule trace de technologie témoin de son époque. Celui-ci pouvait se replier et se ranger derrière d’autres livres. Il lisait beaucoup, c’était son refuge pour oublier certains événements de son passé. Le décor sommaire de la pièce laissait à penser que l’homme venait de s’installer ou alors qu’il n’était que de passage dans ce lieu. Aucune photo, aucune affiche, aucun tableau n’indiquait la personnalité de son propriétaire. Ce grand espace vide reflétait une désolation insoupçonnée chez le scientifique qui pourtant aimait bien s’amuser. Seul le mur bibliothèque où se trouvait son lit apportait une touche prouvant que l’endroit était occupé.
L’écran afficha « Échec de la connexion ». Étrange… D’habitude Mike répondait toujours au moindre appel de son ami. Peut-être dormait-il encore ? Il savait que son ami manquait de sommeil récemment et il n’écartait pas la possibilité que celui-ci n’ait pas entendu l’appel entrant. Il se montrait préoccupé ces derniers temps mais François-Jean n’avait pas vraiment eu l’occasion de lui demander pourquoi. Il avait mis cela sur le travail et le nouveau projet pour lequel ils travaillaient tous les deux avec Julia. Il se demandait si finalement Mike et lui n’étaient pas devenus trop vieux pour se lancer dans ce nouveau défi d’envergure et pour lequel ils manquaient de motivation.
Il s’approcha du placard-mur, une porte s’ouvrit à son approche. Dessus un peignoir léger était accroché, que le quadragénaire enfila. Avec son ami, qu’il considérait comme un frère, ils avaient créé divers programmes pour tous les appareils électroniques de la maison afin d’avoir un confort absolu. Tous deux étaient des célibataires endurcis et ils cherchaient à s’épargner le moindre effort. La machine à café allait se mettre en route dès qu’il aurait franchi la porte car le matin il ne passait cette porte que lorsqu’il allait déjeuner.
Sa chambre semblait vide mais le placard-mur avait des toilettes intégrées ainsi qu’un petit réfrigérateur qui n’étaient visibles que par une simple pression de la main sur le bon panneau. En bon informaticien, il cherchait toujours à se faciliter la vie, à faire le moins d’effort possible et avoir tout à sa disposition dans une même pièce. Il se dirigea vers l’endroit de la pièce où les toilettes venaient d’apparaître. Il se plaça devant pour se soulager et une fois terminé, il toucha du pied le bas de la cuvette. Un jet d’eau nettoya l’intérieur avec un produit désinfectant bleu puis le cabinet reprit son emplacement. Un lavabo apparut au-dessus et il se lava ensuite les mains. Après s’être fait sécher les mains, la vasque s’enfonça automatiquement dans le mur.
Une porte coulissante s’ouvrit devant lui lorsqu’il s’approcha de la sortie. Il pénétra dans le grand salon qui servait aussi de salle à manger. Contrairement à la chambre, cette pièce n’avait des fenêtres que d’un côté et elle donnait sur une grande terrasse. Comme souvent à cette époque de l’année, sa sœur Solange en profitait pour prendre son café sous les rayons tièdes du soleil. Sa chambre donnait également sur cette terrasse avec une grande baie vitrée. François-Jean la lui avait laissée pour qu’elle bénéficiât du calme de la cour intérieure. Ils vivaient au dernier étage d’un immeuble construit depuis plus de dix ans et ils avaient l’avantage d’avoir une vue dégagée sur Notre-Dame de la Garde.
Le grand frère se dirigea vers la machine à café, celle-ci était posée sur le passe-plat entre la cuisine et le salon. Le breuvage coulait délicatement dans la tasse qui lui était réservée. L’appareil pouvait faire deux expressos simultanément grâce à ses deux déversoirs et heureusement sa sœur pensait toujours à remettre les tasses la veille au soir pour éviter que le liquide s’écoule dans le récupérateur. Malheureusement pour lui, il n’existait pas encore de machines à café pour les particuliers avec des tasses intégrées. Il existait celles avec les gobelets en plastique mais François-Jean préférait boire son café dans une véritable tasse et il prit la sienne avant d’aller rejoindre sa sœur.
— Bonjour. Déjà debout ? demanda cette dernière avec une expression surprise et d’un ton amusé. Mike t’a encore réveillé ?
Le frère s’approcha du fauteuil roulant de sa sœur, il s’arrêta près d’elle et comme à son habitude il posa une main sur l’épaule de la récente quadragénaire. Son visage ne reflétait pas son âge, elle paraissait elle aussi plus jeune. Elle se trouvait clouée sur une chaise roulante depuis le tragique accident de voiture de leurs parents. Elle avait survécu mais elle en avait gardé de lourdes séquelles. Elle avait dû apprendre à vivre avec des lésions irréversibles sur sa colonne vertébrale brisée, ne pouvant se servir que de ses bras et avec la culpabilité du seul survivant. Elle commençait alors à peine à entrer dans l’adolescence et cet événement avait changé à jamais sa vie.
Mike et son frère l’avaient protégée depuis et ils la faisaient vivre dans un cocon avec pour la plupart du temps internet comme unique contact extérieur avec le monde. Ils lui avaient créé un fauteuil beaucoup plus pratique que la chaise roulante dans laquelle elle aimait se mettre. Sauf qu’elle préférait utiliser la force de ses bras pour avancer plutôt que le fauteuil bricolé par les deux amis. Elle avait toujours vécu avec son frère ainé et plusieurs fois elle avait demandé à vivre seule. François-Jean n’avait jamais pu s’y résigner et elle de son côté, ne voulant pas l’attrister, restait avec lui. Le scientifique ne s’était jamais réellement remis de la perte de ses parents, ni de la paralysie de sa sœur. Il s’en voulait de ne pas avoir été présent. Ce soir-là, il passait la nuit avec Mike sur un travail pour leurs études. Ses parents appréciaient beaucoup l’ami de leur fils malgré son passé houleux et ils avaient tout naturellement accepté de les laisser à la maison.
— Non. C’est Larrague. Apparemment il y a eu un problème à l’ORST. On est tous convoqué pour huit heures. Par contre, je n’ai pas réussi à joindre Mike.
Il but une gorgée de son café, le regard perdu dans le vide, submergé par diverses pensées. Il se sentit déjà mieux alors que la caféine n’avait pas encore eu le temps d’agir.
— Il aurait enfin trouvé un sommeil de plomb ? demanda Solange sur un ton ironique.
— Je crois que ce ne serait pas le bon jour, répondit le frère en riant.
Il avala le reste de son expresso debout avant de partir dans la salle de bain afin de se changer. Après s’être brossé les dents, il se dirigea vers une pièce attenante qui lui était réservée dans laquelle il prit des affaires propres. Il n’avait pas besoin de choisir ce qu’il allait mettre. Chaque matin, l’armoire automatique lui préparait un nouveau t-shirt propre ainsi qu’un sous-vêtement et des chaussettes et il récupéra le jean porté la veille. Le programme de l’armoire savait combien de jours il gardait son jean et ne lui en proposait un autre qu’à ce moment précis. Cela lui permettait de gagner du temps et d’éviter de réfléchir inutilement. Il avait intégré dans le programme la durée d’utilisation du vêtement et le moment venu, l’algorithme lui en commandait automatiquement un nouveau. Il avait paramétré ses goûts et sa taille. À chaque nouvelle prise de poids affichée par la balance connectée, les données étaient modifiées, lui évitant ainsi la corvée de le faire.
Il ouvrit un panneau et balança son sous-vêtement sale dans un conduit qui aspira le vêtement. Ainsi il ne se souciait plus de la lessive. Avec Mike ils avaient créé un système de triage des vêtements en fonction de leur composition et un programme déterminait quel type de lavage était nécessaire. Lorsqu’il y avait suffisamment de vêtements pour un cycle en fonction du poids, un lavage était lancé automatiquement sans que ni sa sœur, ni lui n’aient à se soucier de cette tâche ménagère. Les nouvelles machines à laver intégraient la fonction séchage. Tous leurs vêtements étaient compatibles avec cette option et même si l’appareil était encore très onéreux pour la plupart des ménages, Mike et François-Jean l’avaient acheté dès sa mise sur le marché. Il restait néanmoins un inconvénient, il fallait récupérer le linge dans le bac. Sa sœur avait insisté pour ne pas créer une sorte de trieuse de vêtements comme chez Mike. Elle s’occupait de répartir les affaires dans les différents endroits de l’armoire sans avoir besoin de les plier ou de les repasser. Les nouveaux placards avaient cette fonction intégrée.
Une fois habillé, il retourna auprès de sa sœur qui se trouvait toujours sur la terrasse. Il l’embrassa sur la joue avant de prendre l’ascenseur qui le menât directement au parking souterrain. Il monta dans sa voiture et tenta de joindre de nouveau son ami, en vain. Il quitta l’immeuble avant de demander l’heure à l’ordinateur de bord. Comme il était en avance, il décida de faire un détour pour aller chez Mike afin de vérifier s’il était chez lui. Sa conduite reflétait son état d’esprit et il grilla quelques feux orange, certains virant au rouge au moment de son passage. Avec l’évolution technologique, cela devenait de moins en moins possible pour les véhicules récents de le faire, le nouveau système de bord faisait ralentir les conducteurs avant chaque changement de feu mais Mike avait trafiqué le système. Il estimait que reprendre le contrôle était un jeu d’enfant. Il n’avait pas tort, de plus en plus de voitures modernes grillaient les feux orange et parfois même les rouges. Certaines compagnies envisageaient de durcir les systèmes de sécurité afin d’éviter que cela se produisît.
La voiture couleur argent cendré métallisé s’arrêta au bout d’une impasse, devant un mur de briques rouges. Une mini caméra discrète filma la plaque et quelques instants plus tard, la paroi disparut révélant la propriété de Mike se trouvant derrière, une petite villa d’un étage entourée d’un jardin peu spacieux. Son ami appréciait le calme et il ajoutait des trouvailles de son invention ou d’autres ingénieurs pour sa tranquillité, tel que le mur d’illusion laissant croire qu’il n’y avait pas d’entrée. Activé, celui-ci était infranchissable et il ne pouvait pas être escaladé. Pour l’heure, son créateur n’avait pas encore réussi à le commercialiser, le coût de fabrication étant trop élevé pour une entreprise qui espérait ensuite récupérer une belle marge de bénéfices à chaque vente mais l’informaticien avait pu s’en procurer un prototype auprès du concepteur. Aucun de ses voisins ne pouvait voir la maison.
Le véhicule franchit le passage et une fois à l’intérieur, le mur réapparut. François-Jean roula jusqu’à l’entrée principale et sortit ensuite de sa voiture. Il s’approcha de la porte où il sonna sur le seul bouton. Une voix électronique lui répondit.
— Mon maître est absent. Voulez-vous lui laisser un message ?
François-Jean se rappelait la première fois qu’il avait été confronté à ce logiciel, le mot maître l’avait surpris mais ne l’étonnait pas tellement. Son ami était bien souvent atteint du syndrome de mégalomanie.
— Non. Pas la peine.
Il fit mine de s’en aller avant de se raviser. Il se tourna vers la sonnette, se doutant que le programme devait encore être actif.
— Depuis quand est-il parti ?
Il attendit quelques secondes avant d’obtenir une réponse.
— Désolé M. Rivière, cette information ne peut pas vous être donnée.
L’homme se mit à sourire et s’en alla sans rien demander d’autre. Mike était suffisamment paranoïaque pour avoir sécurisé le système afin que celui-ci ne divulguât aucune information. Légèrement inquiet, il monta dans sa voiture et se mit en chemin pour rejoindre l’ORST. Il se demandait pourquoi il n’arrivait pas à joindre son ami mais il se doutait que sur son lieu de travail, il aurait toutes les réponses. Il accéléra l’allure en espérant arriver en avance sur l’heure prévue afin de pouvoir discuter avec lui avant la réunion. Malheureusement, ce détour le retarda et il se retrouva dans les bouchons sur le boulevard principal actuellement en travaux qu’il devait absolument emprunter pour rejoindre le travail.
La ville avait modifié certains axes routiers voulant la rendre davantage piétonne mais sans avoir mis suffisamment de moyens dans les transports en commun pour desservir les différents quartiers. Les habitants s’en plaignaient depuis plusieurs décennies mais peu d’efforts étaient faits pour améliorer soit le réseau des transports, soit le réseau urbain. En prenant son mal en patience, François-Jean se mit à sourire en imaginant son ami râler contre cette nouvelle dépense publique inutile alors que la route avait été refaite deux ans plus tôt.
Il arriva dans les locaux de l’ORST juste à temps pour ne pas être en retard à la réunion. Il marcha d’un pas rapide en direction de la salle de conférence. À l’intérieur, il chercha Mike du regard, espérant le voir et s’installer à ses côtés. Toutes les personnes présentes étaient liées au projet Ligne Temporelle, les chrononautes, les techniciens de maintenance et les quelques scientifiques du projet. Larrague était au fond de la pièce, assis derrière une grande table, entouré de Julia et du chef de la sécurité à l’air peu commode. À l’arrivée du scientifique, il se mit debout.
— Merci d’être tous présents. Nous pouvons commencer cette réunion d’information.
Ne trouvant pas son ami, François-Jean prit la place libre qui se trouvait devant lui. Le sujet de la réunion ne l’intéressait pas, il se demandait où pouvait bien se trouver son collègue. Il s’étonnait que leur patron n’ait pas remarqué cette absence. Des cinq scientifiques rattachés au projet, il était le seul manquant. Même Indira Bakshi qui faisait uniquement les gardes de nuit avec Youri Ivanov était présente. Il travaillait peu avec elle, son travail consistait surtout à vérifier quotidiennement les possibles altérations dans les équations du projet et Larrague souhaitait qu’à terme elle intégrât leur binôme pour la conception du nouveau projet.
— Ce matin à six heures trente-sept, un saut temporel non autorisé a été effectué.
Ce détail attira l’attention du scientifique. Il savait que la machine était tout le temps surveillée et il se demandait comment cela pouvait être possible. Il n’eut pas le temps de poser la question.
— Après un certain temps, le saut fut annulé et nous ne savons pas si le passé a pu être modifié ou non. Mais nous avons un problème plus grave : le système de saut a été piraté, nous ne pouvons plus l’utiliser pour le moment.
Si la première information avait créé du remous dans la salle, cette nouvelle fit taire toutes les langues. Ils avaient tous le regard hagard, se tournant les uns vers les autres comme pour chercher une réponse à toutes leurs interrogations.
— Votre mission est de trouver les différents problèmes et de les résoudre. Le professeur Zukunf vous expliquera mieux que moi ce que l’on attend de vous et les différentes tâches qui vont vous être confiées.
Larrague s’assit sur la chaise tandis que l’Allemande regarda l’auditoire avant de s’exprimer. François-Jean ne savait plus quoi penser. Il aurait voulu discuter avec son ami et débattre avec lui. Comment un individu avait-il pu s’introduire dans les locaux, se servir de leur programme et le mettre en panne ? Seuls les membres ayant travaillé sur ce projet, connaissaient le système. La plupart des gens présents dans cette pièce en ignoraient même le fonctionnement. Peut-être était-ce cette raison qui faisait que son ami n’était actuellement pas dans la salle de réunion. Il devait probablement déjà travailler dans la salle de saut pour réparer les dommages. Mais pourquoi ne l’avait-il pas contacté ? Et cela n’expliquait pas non plus pourquoi ce n’était pas lui qui prenait le contrôle des opérations en l’absence de son ami durant cette réunion.
— Pour l’instant, nous supposons qu’un programme bloque tous nos accès au logiciel de saut, ou du moins c’est ce que nous espérons.
Le scientifique trouvait inquiétant toutes ces conjectures et il ressentait le besoin d’en savoir plus avant de se mettre au travail malgré son envie de quitter la pièce pour aller à la salle de saut.
— Le problème peut être bien plus grave et plus complexe. La personne qui a piraté le système le connaissait très bien. Nous allons devoir être minutieux dans notre travail.
— Qui ? demanda François-Jean sans réfléchir. Qui a bien pu faire ça ?
Les personnes autour de lui se tournèrent dans sa direction. Larrague le regarda d’un air inquiet tandis que le chef de la sécurité avec la mâchoire patibulaire le scrutait d’un œil suspicieux.
— Inutile de vous cacher plus longtemps la vérité, finit par dire Larrague. Le professeur Contesti est l’auteur du saut temporel non autorisé ainsi que du sabotage.
Une réaction de stupeur envahit la salle, la plupart chuchotèrent le nom du scientifique comme pour confirmer qu’ils avaient bien entendu.
— Boje moï, lâcha Youri dans un soupir catastrophé.
François-Jean se demandait s’il dormait ou s’il devenait fou. Comment son ami avait pu faire une chose pareille ? Tout le monde semblait se poser la même question et ils échangeaient des discussions effarées. Le PDG se racla la gorge pour avoir de nouveau l’attention de l’auditoire.
— Je comprends ce que vous ressentez mais je compte sur vous pour vous mettre au travail et faire votre maximum pour régler cette crise. Prochainement je vais devoir rendre des comptes à une commission exceptionnelle sur ce qui s’est passé, c’est pourquoi j’ai besoin que vous travailliez sans relâche. Je veux un rapport sur la situation au plus tard à midi.
Toujours sous le choc de la nouvelle, il encaissa plus difficilement ce nouveau coup dur. Le projet Ligne Temporelle survivait grâce en grande partie aux fonds de Larrague Technologies mais avec l’autorisation de l’Organisation des Nations Unies et de l’ORST sa branche dédiée. Depuis le début de sa création, bon nombre de décisionnaires voulaient mettre un terme à ce projet sous prétexte qu’une mauvaise utilisation altérerait le cours normal du Temps. Aujourd’hui Mike venait de leur fournir l’occasion idéale pour y mettre un terme.
— J’espère que vous trouverez l’origine de cette panne et que vous aurez une solution. Le service de sécurité va interroger prochainement le professeur Contesti, mais pour l’instant il refuse de coopérer. Tant qu’il ne nous dira rien, vous êtes les seuls capables de nous apporter des éléments de réponse.
Sur ces mots, il quitta la pièce avec le chef de la sécurité, seule Julia resta derrière le grand bureau. Elle paraissait mal à l’aise, le regard fuyant, elle n’avait jamais cherché à avoir le premier rôle. Les conversations entre collègues brisèrent le silence, tous se demandaient comment Mike avait pu faire cela. Aucun d’eux n’arrivait à le concevoir et certains se demandaient s’il n’y avait pas une erreur.
— Larrague se trompe, affirma Youri avec l’accent caractéristique de son pays d’origine en s’adressant à François-Jean.
— À quel sujet ?
— Il n’y a que toi qui puisses réparer le système. Je suis beau et intelligent mais Mike est meilleur que moi.
Le Russe était egocentrique, un point qu’il partageait avec Mike mais en plus de ça, il était narcissique. Physiquement, il paraissait plutôt quelconque avec sa carrure de rugbyman. Sans être gros, il n’était pas non plus musclé et l’ensemble donnait l’impression d’avoir affaire à un géant avec ses presque deux mètres de haut. Néanmoins, contre toute attente il possédait un charme qui fonctionnait avec les femmes. Il lui arrivait parfois d’avoir des conquêtes au physique très agréable et que les deux amis lui enviaient. Cependant, dans le travail il admettait que les deux Français étaient meilleurs que lui pour le projet. Il ne se considérait pas comme l’un des créateurs alors qu’il travaillait avec eux depuis plusieurs années avant d’aboutir à cette finalité.
— Vous êtes les deux concepteurs du projet, ce qui vous donne une avance sur nous. Et connaissant Mike, s’il a voulu mettre le système en panne volontairement, il n’a pas piraté qu’un seul programme. Il nous faudra beaucoup de temps pour résoudre le problème.
Le Français hocha la tête en sachant que son collègue avait probablement raison. La seule façon de le vérifier était d’aller dans la salle de saut et constater les dégâts. Pourtant, il n’arrivait pas à se lever du fauteuil pour quitter cette pièce, ne réalisant toujours pas ce que venait de faire son ami, refusant encore d’y croire. Il devait y avoir une erreur… Trop de questions se bousculaient dans sa tête, il ressentait le besoin d’aller parler à Mike pour tenter de comprendre son geste mais il savait que cela ne calmerait pas le sentiment de culpabilité qu’il ressentait. Peu à peu, il se sentit responsable de ne pas avoir vu que celui qu’il considérait comme un frère, risquait de commettre une grave bêtise alors qu’il passait ses journées au travail avec lui. Ils se voyaient régulièrement en dehors, rarement ils passaient une journée sans se voir, ou du moins sans être en contact pendant plusieurs heures.
Youri regardait François-Jean en silence, prenant un air compatissant comme s’il devinait les pensées de son collègue. Il finit par se lever et tapota l’épaule du scientifique avant de quitter la pièce. Le Russe semblait être le seul à s’intéresser à lui tandis que les autres partaient vaquer à leur travail sans s’occuper de savoir si le savant allait bien. Ce dernier remarqua que même Julia était déjà partie. À présent, elle devait se trouver dans la salle de saut. Lorsque ses jambes décidèrent de le porter, il se mit debout à contrecœur pour rejoindre son lieu de travail afin d’en savoir davantage.
Mike était allongé sur le lit rudimentaire d’une cellule se trouvant dans un autre bâtiment appartenant à l’ORST. Jusqu’à ce jour, il n’imaginait pas qu’une telle pièce puisse exister et il n’appréciait pas le confort sommaire de celle-ci. Les infractions graves prévues par le règlement ne nécessitaient pas d’internement et il ne voyait pas l’utilité d’avoir prévu cette section d’incarcération. Sauf si ces locaux étaient prévus pour un autre usage mais il ne voyait pas lequel. Il ne pouvait pas tourner en rond dans sa geôle peu spacieuse comme il aimait si souvent le faire lorsqu’il réfléchissait.
Il supposa qu’il ne resterait que temporairement ici, la pièce ne semblait pas aménagée pour des pensionnaires de longue durée. Le lit n’était qu’un banc large recouvert d’un petit matelas de cinq centimètres d’épaisseur avec des draps rudimentaires, similaires à ceux des couchettes d’un wagon-lit de deuxième classe faits dans un matériau prévenant les suicides des détenus. L’aménagement sommaire de cette unique pièce était dépourvu de cabinet. Depuis plus d’une heure ou peut-être même deux, il ressentait l’envie d’uriner mais il devait prendre son mal en patience dans l’attente d’une quelconque visite.
Un garde était posté en faction de l’autre côté de la porte et il refusait de l’accompagner aux toilettes. Celui-ci attendait d’en recevoir l’ordre de ses supérieurs et il l’informa qu’une personne viendrait bientôt le voir. L’informaticien s’attendait à rencontrer une personne qui lui expliquerait ce qu’il risquait pour son acte. Il se doutait des conséquences, il avait enfreint les règles principales du projet Ligne Temporelle qu’il avait lui-même créées et pour cela, malgré les services rendus, il n’espérait pas la clémence de ceux qui le jugeraient. Il subirait une peine exemplaire pour dissuader quiconque voudrait faire de même. Il le redoutait depuis qu’il avait pris la décision de partir dans le passé.
Il s’attendait à se trouver ensuite dans une cellule si jamais sa tentative de modification ne marchait pas et il ne put s’empêcher de sourire d’avoir prévu cela. Il aimait planifier à l’avance ce genre d’action, même s’il ignorait certains détails. Il n’était pas certain d’avoir véritablement un jugement. Il pouvait rester enfermé le restant de ses jours sans avoir de procès ou sans passer devant une commission. Le projet Ligne Temporelle n’existait pas officiellement. L’ONU et Larrague Technologies le gardaient secret pour éviter un piratage et l’espionnage industriel. L’ORST avait été en partie créée pour préserver le projet et éviter que d’autres pays ou industries d’en concevoir un similaire. Pour la plupart des membres de cette organisation secrète, le nom complet avait été changé en Observatoire des Recherches Spatio-Temporelles, leur faisant croire qu’ils espionnaient sur les avancées des autres possibles concurrents pour un programme qui n’existait pas encore.
En milieu de matinée, lorsque la porte s’ouvrit enfin, son estomac gargouillait, lui rappelant que d’habitude à cette heure-ci il prenait son café avec un petit gâteau afin de tenir jusqu’à la pause déjeuner. Il ne prit pas la peine de se lever, restant allongé à contempler le plafond lumineux de sa cellule. Si ces geôliers avaient voulu le bichonner, ils auraient déjà commencé par accéder à sa requête de l’emmener aux toilettes. Cette visite ne pouvait être que le début de nouveaux problèmes et il ne comptait pas se montrer agréable envers cette personne. Il se doutait que ce n’était pas François-Jean, il avait envisagé de ne plus jamais le revoir.
— Bonjour M. Contesti.
Il détourna son regard pour observer l’homme qui lui adressait la parole. Si sa voix éraillée lui était inconnue, en revanche il connaissait ce visage, l’ayant déjà vu arpenter les locaux de l’ORST depuis plusieurs mois. Il ne connaissait pas son nom, il s’était intéressé à lui mais sans avoir rien pu apprendre sur lui. Il le surnommait le fumeur ou l’homme à la cigarette, en raison de la grande quantité de clopes qu’il brulait tous les jours et d’une référence à une série fantastique des années quatre-vingt-dix qu’il regardait durant son enfance. Il ne se souvenait pas d’un seul jour l’avoir vu sans sa clope au bec. Il ne trouvait pas bon signe de voir cet individu debout près de lui, surtout avec ce petit sourire qui n’avait rien d’amical. L’homme aux tempes grisonnantes sortit une cigarette et la mit à ses lèvres avant de l’allumer avec un zippo. Il remarqua un symbole gravé dessus sans pouvoir en identifier le sens.
— Je ne supporte pas l’odeur de la cigarette.
— Vous m’en voyez navré.
L’individu au visage buriné se moquait éperdument de sa remarque, ce qui ne surprenait pas Mike, ce dernier n’ayant pris la parole que pour le provoquer. Plus d’une fois, il l’avait croisé en train de fumer, même dans le bureau de Larrague. Une loi interdisait de fumer dans les endroits publics et sur son lieu de travail mais cela ne semblait pas concerner le chef de la sécurité. Depuis plusieurs mois, il le voyait trop souvent en compagnie de son chef alors que le prédécesseur de l’homme à la cigarette passait rarement voir le PDG. Il ne l’appréciait pas, il le trouvait louche, ce qui accentuait le lien avec le fameux personnage mystérieux de la série dont on ne sut jamais véritablement son identité. Il ne connaissait pas non plus le nom de cet homme, ni celui de son acolyte qui l’accompagnait régulièrement. Les deux semblaient avoir été recrutés l’année précédente mais aucune note n’était parue à ce sujet après le départ à la retraite de l’ancien chef de la sécurité.
— Qui êtes-vous ?
Un sourire narquois se dessina sur le visage du fumeur qui tira une bouffée sur sa cigarette tout en dévisageant l’informaticien. Ce dernier se sentit mal à l’aise d’être scruté ainsi, lui faisant hérisser les poils du dos. Il trouvait étrange cette sensation d’anxiété en sa compagnie, une sensation habituelle chaque fois qu’il se trouvait en présence de cet individu.
— Cela n’a que peu d’importance. Je suis ici pour vous interroger et pour vous rendre coopératif.
Mike ressentit une certaine tension en entendant les derniers mots de son étrange visiteur. Rendre coopératif… Il se demandait si les termes avaient été malencontreusement choisis ou s’il y avait bien derrière une idée de contrainte. Il s’attendait à se faire interroger par d’autres personnes, extérieures au projet et dépendant directement de l’ONU. Certes, l’homme portait des habits différents de la plupart des agents de sécurité, ceux-ci revêtaient une combinaison plus proche de celle des militaires que des civils de couleur gris anthracite. Celui qui se trouvait désormais au-dessus de lui, faisait partie des civils, ce qui l’autorisait à porter un costume cravate sombre avec le logo de l’ORST ainsi que sa fonction écrite sur la poche de son veston. L’homme à la cigarette devait penser qu’il parviendrait à un accord avec l’informaticien avant l’intervention de l’ONU mais ce dernier comptait garder le silence sur son action.
— Je ne vous dirai rien. Si je dois parler, ce sera devant une commission de l’ONU.
— L’ONU nous laisse nous charger de cette enquête. Ils ont effectivement prévu une commission mais elle concerne l’ensemble du projet et ses protagonistes. Ils ne s’intéressent pas à vous pour le moment.
Il sortit un courrier de sa poche intérieure et montra le document avec le sigle des Nations Unis. Mike le prit dans ses mains et il lut que la branche de l’ORST laissait le soin au chef de la sécurité du projet d’interroger le coupable au vue de ses antécédents dans ce domaine.
— Je me doutais que vous ne me feriez pas confiance, dit le fumeur en reprenant le papier.
Se pouvait-il que cet individu soit un ancien policier ? L’informaticien se reprochait de ne pas avoir pu se renseigner davantage à son sujet avant sa tentative de modification du passé. Il avait préféré éviter de se faire remarquer jusqu’à ce matin, un piratage des fichiers du personnel ne serait probablement pas passé inaperçu. L’homme à la cigarette tira une nouvelle bouffée tout en continuant de fixer attentivement le détenu qui restait allongé, dans une attitude désinvolte, retrouvant l’expression faciale qui, dans son adolescence, agaçait ses professeurs et éducateurs.
— Pourquoi ce saut temporel ?
Le scientifique eut un rictus méprisant, continuant de garder le silence comme ce matin après le retour forcé par Julia. Il préférait ne rien dire, regardant de nouveau le plafond et attendant avec impatience de voir un avocat, ce qu’il n’était pas certain d’avoir et qui ne semblait toujours pas d’actualité. Cela ne l’étonnait guère, il se trouvait confronté à une situation inédite et dérangeante pour l’ORST et l’ONU. Les deux organisations feraient tout en leur pouvoir pour continuer de garder le secret sur ce projet.
— Qui avez-vous rencontré dans le passé ?
Il ne put s’empêcher d’afficher un sourire quelque peu provoquant. Il ne parlerait pas et cela s’annonçait déjà comme une peine perdue pour le mystérieux individu à l’identité secrète. Le programme Ligne Temporelle gardait en mémoire l’époque dans laquelle il était allé.
— Quel était votre but ?
Il pouffa un court instant tant la situation l’amusait et il s’imaginait déjà voir le fumeur avec Larrague cherchant à comprendre pourquoi il l’avait fait et ce qu’il espérait changer dans le passé. Le chef de la sécurité fit un signe de la main et son acolyte entra dans la pièce. Celui-ci le dévisageait avec un regard glacial, il attendait apparemment l’ordre de pouvoir s’occuper du prisonnier.
— La situation peut vous sembler amusante mais elle deviendra plus délicate pour vous si vous ne nous aidez pas à réparer les dégâts que vous avez causés.
Le deuxième agent paraissait plus impressionnant avec ses épaules massives, sa mâchoire carrée et sa mine renfrognée. Il représentait la force physique et inspirait légitimement de la crainte si l’interrogatoire devenait musclé. Mike comprenait cette stratégie, celle du gentil et du méchant flic mais il se méfiait davantage de l’homme à la cigarette et de son esprit retord. Il se tourna vers lu, recevant un sourire mauvais de sa part, lui laissant croire que pour l’instant il gardait son sang-froid mais Mike se doutait que ce n’était qu’une façade. Le blocage du programme s’avérait être une catastrophe pour l’ORST ainsi que le manque de réponses de l’informaticien. Il savait que tout cela les contrariait et rien que ce constat le réjouissait malgré son échec de ce matin.
— Oseriez-vous me menacer ?
Le fumeur tira une dernière bouffée de la cigarette avant de la jeter au sol et de l’écraser d’un pied rageur. Il ne souriait plus, son visage paraissait plus grave et plus sévère.
— Le temps ne joue pas en votre faveur. Réfléchissez bien à cela.
Il sortit sans dire un mot de plus, suivi de son acolyte et ils laissèrent ainsi l’informaticien seul dans sa cellule. Ce dernier ne pouvait que cogiter sur ce qui se passait. Il craignait que François-Jean ne réparât trop vite la machine et débloquât le programme. En principe, cela ne devait pas se produire mais son dessein comportait quelques failles et son ami était l’une d’elle. Il espérait gagner un peu de temps avant la suite des événements. Ces dernières semaines il avait échafaudé son plan et maintenant il savait que tout se passerait différemment de ce qu’il prévoyait. Il ne supportait pas l’idée que, dans un certain sens, son avenir ne dépendait plus tellement de lui. Il poussa un soupir contrarié de se trouver ici, d’avoir échoué et d’avoir ravivé une ancienne blessure en ayant revue celle qu’il aimait dans son passé. En se lançant dans cette entreprise risquée, il n’avait pas imaginé à quel point ce serait pénible pour lui que de la rencontrer à nouveau.
La matinée se déroula sans que la situation n’évoluât dans la salle de saut. François-Jean essayait de comprendre la raison du blocage qui empêchait d’utiliser la machine. Il tentait de se concentrer dessus mais il n’arrêtait pas de penser à Mike et à sa vaine tentative. Il connaissait son ami depuis bien des années et il savait que son presque frère ne faisait rien sans raison. Il ne l’imaginait pas être atteint d’un des effets tardifs de la crise de la quarantaine et même dans ce cas, pourquoi aurait-il cherché volontairement à empêcher que d’autres chrononautes pussent voyager dans le temps ? Cette question l’obnubilait depuis plus d’une heure déjà sans en trouver le début d’une explication. Il ressentait le besoin d’en parler avec quelqu’un.
En relevant les yeux de sa console, il remarqua que tous ses collègues restaient concentrés devant leurs moniteurs. Les traits de Youri exprimaient son état de fatigue, tout comme ceux d’Indira. La native de Bombay avait terminé son tour de garde une heure avant la tentative ratée de Mike. Quant à Julia, elle paraissait s’arracher les cheveux en pianotant nerveusement sur son clavier virtuel. Elle leva les yeux de son écran et fit un petit sourire à François-Jean lorsque leurs regards se croisèrent. Bien qu’il ne le dît pas, il l’appréciait beaucoup et Mike, qui l’avait remarqué, ne se gênait pas pour le taquiner à ce sujet.
Cependant, le scientifique ne tentait aucune approche avec l’Allemande qui parlait avec ce léger accent qu’il trouvait si charmant. Il la trouvait bien trop jeune par rapport à lui, plus de dix ans de moins, une barrière qu’il ne se voyait pas briser. Il se sentait déjà vieux et décrépit mais en cet instant, même s’il appréciait Youri qu’il connaissait depuis longtemps, Julia semblait être la seule qu’il pouvait considérer comme une amie. Depuis que Mike et lui s’étaient lancés dans la création de ce programme, ils ne vivaient plus que pour cela, s’isolant du monde et les seules personnes physiques qu’ils fréquentaient, se trouvaient entre ces murs. À l’exception de Solange.
— Ça va ? demanda-t-elle d’une voix douce.
— Pas vraiment. L’arrestation de Mike et le programme bloqué, je trouve ça bizarre…
Elle le regardait sans rien dire, prenant un air compatissant, la tête légèrement penchée sur le côté, lui donnant l’envie de s’épancher. Après tout, il pouvait lui faire confiance, c’était en partie grâce à elle que le projet Ligne Temporelle avait pu voir le jour. Sans sa contribution, les travaux des deux français ne seraient encore qu’au stade des recherches.
— Quelque chose n’est pas claire dans toute cette histoire. Je veux bien admettre qu’il ait pété les plombs et qu’il ait voulu aller dans le temps. Mais pourquoi est-ce qu’il aurait ensuite bloqué le programme volontairement afin que personne ne se serve de la machine après son saut dans le temps ?
Pour lui, cela n’avait aucun sens. Si son ami avait réussi, le blocage ne s’avérait pas nécessaire puisque ce moment présent aurait été modifié. À moins d’avoir prévu ce revers mais dans ce cas, depuis quand prévoyait-il d’échouer ?
Julia haussa les épaules en signe d’impuissance face à cette question qu’elle devait probablement elle aussi se poser. Il ressentait de l’empathie, elle avait dû ramener Mike dans le monde présent en prenant le risque de le tuer, une lourde responsabilité que lui n’aurait peut-être pas assumée et qu’il aurait certainement refusée de prendre. Pourtant, elle s’était révélée courageuse et elle avait fait ce qu’il fallait pour éviter que l’informaticien causât des dommages irréversibles sur le passé. Elle devait certainement ressentir de la culpabilité pour ce qui arrivait à son ancien chef. Elle se reprochait peut-être, tout comme lui, de ne pas avoir pu l’arrêter avant. Désormais la question était de savoir à quelle époque il était allé, ce qui permettrait peut-être de comprendre la raison de cette action. D’après sa collègue, la date ne s’était pas affichée sur le cadran comme si un programme inconnu piratait le système, ce qui était effectivement le cas.
— Il faudrait que je le voie, affirma le scientifique après réflexion.
— Larrague ne voudra jamais.
Il ne voyait pas pourquoi, il faisait confiance au PDG pour les aider dans ce mauvais tournant. Il l’appréciait beaucoup et il estimait que c’était réciproque.