Lizie, amour et trahisons - Tome 2 - Marie-Bénédicte Kulig - E-Book

Lizie, amour et trahisons - Tome 2 E-Book

Marie-Benedicte Kulig

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Beschreibung

À la suite d’une rupture dramatique, Élisabeth fuit l’agitation de la ville pour trouver la tranquillité à la campagne de Fort Worth où elle aide son amie Abby et son frère Jo à gérer leur ranch. Secrètement amoureux d’elle, Jo lui prête main-forte. Cependant, quand des complications surviennent pendant sa grossesse après une chute, la vie d’Élisabeth et celle de son bébé est en danger. Jo se tourne alors vers William Ashford, l’ancien amour d’Élisabeth, pour prendre des décisions cruciales. Cette épreuve pourrait-elle changer leur destin pour toujours ?

À PROPOS DE L'AUTRICE

Élevée au sein d’une famille nombreuse puis recomposée, Marie-Bénédicte Kulig a trouvé refuge dans la littérature dès son plus jeune âge, une passion qui n’a jamais cessé de grandir. Entre sa vie professionnelle et domestique, elle a jonglé avec ses multiples projets d’écriture, sans jamais pouvoir les concrétiser pleinement. Ce n’est qu’en 2022, lors de son congé parental, qu’elle a enfin pu réaliser son rêve en achevant son premier roman.

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Seitenzahl: 428

Veröffentlichungsjahr: 2024

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Marie-Bénédicte Kulig

Lizie, amour et trahisons

Tome II

Roman

© Lys Bleu Éditions – Marie-Bénédicte Kulig

ISBN : 979-10-422-2580-3

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

1

Cela fait maintenant un peu plus de sept mois que j’ai atterri ici, à Fort Worth.

Mon arrivée ici découle d’un pur hasard, j’ai pris le premier car qui partait.

Je n’ai pas vraiment eu le choix, c’était ça ou des répercussions douloureuses.

Mais je ne regrette pas mon choix. Je me sens bien ici.

L’air frais de la campagne est bien meilleur que l’air pollué de New York. Pas un bruit hormis le hennissement des chevaux ou le caquetage des poules ne vient déranger la tranquillité de la vie au ranch. Mais ce n’est rien comparé au bruit de moteurs et des klaxons à répétition de la ville.

Bien loin de la grosse pomme, j’ai dû me réinventer et apprendre la vie au sein d’un ranch.

Depuis un mois, je m’occupe pleinement du ranch des Garrett et de l’administratif en l’absence de Abby, la propriétaire. Sa mère est décédée d’un cancer généralisé, ça devient monnaie courante de nos jours et les problèmes concernant l’héritage familial retardent sans cesse son retour au bercail.

J’ai tellement besoin d’elle.

Je ne me vois pas mettre au monde ce petit bout sans elle. Elle m’a sauvé la vie, elle est devenue mon repère dans cette nouvelle vie.

Je caresse doucement cet énorme ventre arrondi l’air pensive, plus que quelques semaines à patienter.

Je n’ai pas voulu connaître le sexe du bébé.

Cela sera une surprise et j’en suis sûre une agréable surprise le jour de la naissance.

Mais j’ai déjà des prénoms en tête : Henry si c’est un garçon en l’hommage de mon père et Hannah si c’est une fille.

Une voix grave me tire de mes pensées :

— Il va falloir qu’on rentre les bêtes ce soir, il va y avoir de l’orage, me signale Jo entre deux allers-retours à la grange.

— Je m’en occupe dans une minute, réponds-je d’un sourire béat, la main toujours posée sur mon ventre.

Jo ou Jonathan est un ancien marin et surtout le jeune frère de Abby. Il est rentré d’Afghanistan quelques semaines après mon arrivée au ranch.

Il nous a fallu quelques semaines, voire quelques mois afin de s’apprivoiser.

Ce n’était pas évident aux premiers abords, j’étais une étrangère fraîchement débarquée chez sa sœur et lui, un ancien soldat encore sous le choc des horreurs de la guerre.

J’ai eu du mal à accepter son caractère impulsif et autoritaire, tout comme il a dû apprendre à vivre avec une étrangère au passé douloureux.

Je me dirige vers le paddock, les longes à la main.

Le ciel s’est déjà assombri sous ces épais nuages noirs. Les premières gouttes de pluie rendent le sol boueux et difficilement praticable malgré mes bottes de fermière.

J’ouvre la barrière métallique du paddock et attrape la première jument puis une seconde. Une chance pour moi, ce sont les deux plus calmes de la horde. Je les conduis chacune dans leur stalle et retourne chercher les trois autres restantes.

C’est à présent le déluge.

Une forte pluie me fouette le visage et colle mes vêtements à la peau. J’accélère le pas afin de rentrer au plus vite et me mettre au chaud devant l’âtre de la cheminée, une tasse de chocolat chaud à la guimauve dans les mains.

Dans ma précipitation, je glisse dans le sol détrempé et tombe à la renverse.

Aïe !

Je me mords le poing afin d’étouffer le cri de douleur. J’oublie tout autour de moi, la pluie, les chevaux à rentrer, tout !

Seule une pensée occupe tout mon esprit, mon bébé.

Est-ce qu’il va bien ?

Sans réfléchir, je pose ma main libre sur la forme ronde de mon ventre, espérant, priant qu’il se manifeste.

Après plusieurs minutes de silence et de calme, le petit être se manifeste enfin, faiblement, mais il est toujours là.

Soulagée, je desserre mes mâchoires de mon poing et respire un bon coup.

— Tu comptes rester allongée toute la nuit ou tu vas te relever ? me demande Jo la main tendue.

— Je te remercie de t’inquiéter pour moi, pesté-je.

J’agrippe sa main et me relève difficilement. Je prends appui sur son épaule et souffle plusieurs secondes, le visage crispé.

— Tout va bien ? s’inquiète-t-il soudainement devant mon état alarmant.

— Je crois que oui, il faut juste que je reprenne mon souffle, dis-je en essuyant la boue sur mon visage.

— Tu devrais aller te reposer, j’appellerai le docteur si ça ne va pas.

— Ce n’est pas la peine, c’est déjà passé, je vais préparer les rations le temps que tu rentres les derniers chevaux.

Je me dirige vers l’écurie une main posée sous mon ventre.

Arrivée devant les stalles, une nouvelle contraction me prend de court.

Le souffle coupé sous cette douleur aiguë, je m’adosse contre la barrière et patiente qu’elle veuille bien disparaître.

Tout en maîtrisant ma respiration dans le plus grand des calmes, je tente de rester rationnelle.

— Tout va bien ! essayé-je de me rassurer. Le bébé est prévu dans quelques semaines, ce ne sont que des contractions de Braxton Hicks. Ce n’est pas la première fois que j’en ai et surtout ça n’a rien à voir avec ma récente chute !

J’expire un bon coup une fois la contraction passée et remplis enfin les mangeoires des chevaux.

Jo a rentré le dernier Quater Horse dans sa stalle et se tourne vers moi.

— On devrait rentrer maintenant, on ne peut plus rien faire avec ce temps-là ! dit-il l’air las.

— D’accord, j’espère que ça ne va pas empirer surtout ! dis-je.

— Comment tu te sens ? me demande-t-il soucieux en posant une main sur ma joue.

— Un peu mieux, ne t’en fais pas, ce n’est pas pour aujourd’hui, lui réponds-je d’un sourire forcé. Il reste encore plusieurs semaines donc pas d’inquiétude, me rassuré-je à moi-même.

— OK, je vais préparer le dîner, pendant ce temps, tu devrais aller te faire couler un bain.

— Avec un chocolat chaud ? demandé-je les yeux suppliants.

— Et de la guimauve, soupire-t-il un sourire en coin. Comme tu les aimes, souligne-t-il le regard malicieux.

Je ne me fais pas prier deux fois, je file en direction de la salle de bain et fais couler l’eau chaude dans la baignoire.

Je retire ma chemise en flanelle ainsi que mon jean de grossesse.

J’examine mon corps sous toutes ses coutures et découvre avec stupeur cet énorme hématome sur mon flanc gauche.

Il faut dire que je ne me suis pas loupée. Je frôle du bout des doigts cette zone sensible et grimace quand une nouvelle contraction fait son apparition.

Putain de merde !

J’étouffe mon cri en mordant une nouvelle fois mon poing.

La contraction passée, je grimpe difficilement dans la baignoire et laisse l’eau vaporeuse du bain faire doucement son effet.

Je me détends entièrement et une sensation de bien-être envahit mon corps ainsi que mon esprit. Soulagée, mon esprit ainsi que mon corps tout entier glissent doucement vers les bras de Morphée.

Deux coups nets frappent à la porte :

— Tout va bien là-dedans ?

Je me réveille en sursaut et risque de peu de boire la tasse.

— Oui, oui, je sors bientôt, réponds-je précipitamment en retrouvant tous mes esprits.

J’attrape le drap de bain et me sèche rapidement avant d’enfiler un bas de jogging ainsi qu’un t-shirt emprunté à Jo. Je ne rentre dans plus aucune de mes affaires avec ce ventre proéminent, prêt à exploser.

— J’ai cru que tu t’étais endormie, me sourit-il.

— C’était le cas, rougis-je démasquée.

— Tu devrais ralentir sur le travail dans ton état. Je peux m’en charger Lizie.

— Je suis enceinte et non malade, réponds-je en levant les yeux au ciel.

— Je m’inquiète juste. Tu es sûre que tout va bien ? me demande-t-il en posant ses deux mains calleuses sur mon ventre.

— Oui, insisté-je en me retournant face à lui.

Je glisse ma main dans ses cheveux blonds emmêlés par la pluie et plonge mon regard dans ses yeux bleu profond. Je sais que ce simple geste maternel le rassure et fait redescendre son stress emmagasiné.

Délicatement, il retire mes doigts de sa chevelure et les porte à ses lèvres. Son front collé au mien, les yeux fermés, nous restons ainsi quelques minutes dans le plus apaisant des silences.

Nous avons eu des débuts chaotiques. Mais Jonathan a appris à me faire confiance et surtout il a découvert mon passé ainsi que les épreuves endurées.

Depuis quelques mois, nous nous sommes rapprochés, son contact et sa bienveillance m’ont permis de me relever.

Mais il me faut du temps avant de pouvoir me redonner à un homme, et il le respecte. Si je n’avais pas été enceinte, ça aurait été plus facile, j’aurais alors pu cicatriser de ma dernière relation. Mais ce bébé me relit encore à lui, à mon grand et unique amour, William.

Je ne pourrais jamais l’oublier, il fait partie de moi maintenant et ça, Jonathan l’a bien compris et l’accepte malgré les sentiments profonds qu’il me porte depuis des mois.

C’est un homme en or.

Et pourtant il est tout l’opposé du père de l’enfant que je porte.

Il est hanté par ses démons passés, tout comme moi. Mais il avance avec courage dans cette nouvelle vie qu’il s’est construite au ranch de sa sœur aînée. Il aurait pu fréquenter n’importe quelle groupie fan de rodéo et de cow-boy de la région et vivre une vie de débauche et de bagarre générale dans les bars de Fort Worth comme il est d’usage ici. Mais non, Jo avait avant tout besoin de se reconstruire ici, tout comme moi et c’est ce qui nous a réunis.

Je brise ce doux contact réalisant soudainement que j’ai oublié de faire la comptabilité du mois.

— J’ai oublié de régler les factures et de mettre à jour les comptes du ranch ! crié-je la main sur le front. Abby va me détester si je ne le fais pas avant son retour.

— Ça devra attendre demain, on a plus de ligne téléphonique ni d’internet depuis l’orage, me signale Jo.

— Mais je lui dois tellement, je ne veux pas lui créer des problèmes avec mes stupides étourderies !

— Elle n’a rien à te reprocher, tu as été une bénédiction pour ce ranch. Sans toi et tes connaissances, ça ferait bien longtemps qu’elle aurait dû vendre la propriété. Maintenant, viens t’asseoir et mange ton ragoût, temps qu’il est encore chaud.

— Hum, tu sais remonter le moral toi, ris-je en plongeant ma cuillère dans le ragoût gélatineux.

— On ne critique pas, surtout quand on ne sait pas faire de simples pancakes !

— On est mal barré pour la suite. Je plains ce petit bébé si aucun de nous deux ne sait réellement cuisiner.

— Que veux-tu dire par là ? sourcille-t-il face à ma remarque.

— Je ne pense pas faire toute ma vie au ranch. Il va bien falloir qu’on laisse ta sœur retrouver son chez elle, sans un bébé encombrant et sans son frère non ?

— Tu veux dire que tu serais prête à…

— Oui Jo, je pense qu’il est temps pour moi, pour nous, de tourner une nouvelle page, réponds-je devant son sourire béat.

— Lizie ! Je ne sais pas quoi dire.

— Alors, ne dis rien…

Je relâche ma cuillère dans le bol et quitte ma chaise. D’un pas leste, je me dirige vers lui.

Ses yeux bleu cobalt luisent de mille feux devant cette nouvelle.

Jonathan pose ses mains de part et d’autre de mon visage et attend ma bénédiction. Je lui souris brièvement avant de poser mes lèvres sur les siennes. Timidement il s’empare de ma bouche et laisse nos langues se rencontrer pour la toute première fois. Ce tendre baiser espéré, attendu depuis un petit moment déjà, se prolonge dans la plus sage des sensualités. Dans la plus grande des douceurs, quelque peu timide, nos langues s’unissent dans une chorégraphie parfaitement accomplie.

Une sensation humide s’empare soudainement dans mon bas de survêtement.

Je brise notre échange et descends mon regard vers ce qu’il me semble être cette tâche humide.

— Jo ? l’appelé-je le souffle encore coupé.

— Oui ma belle ? me susurre-t-il tout bas.

— Je crois que j’ai perdu les eaux, haleté-je angoissée.

Il recule d’un pas et observe la flaque d’eau teintée de sang sur le carrelage. Son visage reste de marbre, rien qui ne puisse me rassurer à cet instant.

— Tout va bien se passer, tu vas t’asseoir le temps que j’appelle les secours.

— Jo. Jo. Jo ! m’énervé-je devant son silence.

Une violente contraction s’empare brutalement de mon corps. Mon corps se pliant en deux, je ne contrôle plus rien sous cette fulgurante douleur. Je contracte sévèrement les mâchoires en espérant qu’elle passera rapidement, mais l’air vient à manquer, la vue se brouille devant moi.

— Souffle Lizie, souffle ! m’ordonne-t-il pendant qu’il tente de joindre les secours.

— Jo ?

— Je suis là ma belle, tente-t-il de me rassurer.

— Les lignes sont coupées, crié-je sous une nouvelle contraction. Pourquoi y a-t-il du sang partout ? m’angoissé-je étourdie.

— Ça arrive parfois avec les juments, me répond-il le visage blême.

Quelque chose ne va pas.

Je le sens au fond de mon être. Je ne devrais pas perdre autant de sang !

Malgré la douleur, je reprends mon souffle entre chaque contraction. Elles sont de plus en plus rapprochées et de plus en plus foudroyantes. Je ne pense pas tenir jusqu’au bout à ce rythme-là.

— Jo, conduis-moi à l’hôpital ! hurlé-je.

— C’est trop risqué avec cette pluie !

— Jo, écoute-moi. J’ai confiance en toi, j’ai besoin de toi, nous avons besoin de toi !

— Je vais démarrer le pick-up, je reviens. Ne bouge surtout pas !

— Où veux-tu que j’aille ? rigolé-je entre deux contractions, les veines de mon cou gonflées par ma respiration saccadée.

Une fois installé confortablement sur le siège passager, Jonathan revêt son masque imperturbable de soldat.

Il a à présent une mission, me conduire saine et sauve à l’hôpital le plus proche.

Seuls mes cris et mon souffle irrégulier résonnent dans l’habitacle.

Après une heure de route qui m’a semblé interminable, il finit par se garer en catastrophe devant les portes des urgences.

— Vous ne pouvez pas stationner ici, monsieur ! s’énerve une urgentiste qui fumait une cigarette.

— J’ai besoin d’aide ! hurle-t-il en ignorant la remarque de la jeune femme.

Devant le vacarme qui se présente devant les portes des urgences, une équipe médicale se présente à nous.

— Qu’avons-nous là ? demande un médecin en ajustant sa blouse.

— Une jeune femme de 25 ans du nom de Elisabeth Wilson. Enceinte de 8 mois. Elle a perdu les eaux et beaucoup de sang.

— Que s’est-il passé ?

— J’ai fait une chute avec l’orage et depuis j’ai des contractions. J’ai également un hématome sur le flanc gauche, leur réponds-je semi-consciente.

— Pourquoi tu ne m’as rien dit ? me demande Jonathan contrarié par mes cachotteries.

Je n’ai pas le temps de répondre que les médecins m’emmènent déjà en salle de naissance.

Suivi d’une équipe médicale, le gynécologue de garde entre dans la pièce, s’installe entre mes jambes et commence à m’ausculter.

L’air contrarié, il palpe sans ménagement mon ventre. Mon visage se tord de douleur sous ses manipulations.

— Le bébé se présente par le siège. Réservez un bloc pour une césarienne d’urgence. Bipez le trauma pour l’intervention et la pédiatrie ! ordonne le médecin.

***

Sans la réveiller, je retire délicatement son bras entourant mon torse.

Sur la pointe des pieds je me dirige vers mon dressing et enfile un boxer. Je quitte ma chambre et me dirige vers le bar du salon. Comme à l’accoutumée, je me sers un scotch vingt ans d’âge et le bois d’une traite.

C’est devenu l’un de mes nouveaux rituels.

Je ne trouve plus le sommeil.

Je m’acharne sans cesse au travail la journée, quant à la nuit je la passe dans les bras de ma fiancée. Mais une fois nos ébats terminés, je me sers deux ou trois verres et guette patiemment le sommeil sur mon canapé.

Voilà plusieurs mois que cette routine s’est mise en place, depuis son départ en vérité.

Je me suis fait une raison, elle ne reviendra pas. J’ai perdu l’amour de ma vie.

— William chéri, tu viens te recoucher ? me demande-t-elle entourée d’un drap.

— J’arrive. Va dormir.

— William, pourquoi n’arrives-tu pas à dormir paisiblement à mes côtés ?

— Je n’ai pas sommeil.

— Demain, je dois récupérer ma bague de fiançailles, elle est enfin prête. Et nous avons rendez-vous avec l’organisatrice de mariage. Tu penses pouvoir te libérer cette fois-ci ?

— Vicky, je t’ai déjà dit que je n’ai pas le temps pour ça. Débrouille-toi ! C’est ton mariage, fais-le à ton image, m’agacé-je devant son insistance quotidienne concernant ces préparatifs.

— C’est notre mariage William. Tu devrais plus t’en soucier, au lieu de cela tu bois encore et encore, renifle-t-elle avant de retourner au lit, peinée par ma remarque cinglante.

Je me conduis comme un vrai enfoiré, je le reconnais.

Mason m’a déjà fait la remarque, mais je dois passer à autre chose !

Elle m’a brisé sur tous les plans. Par sa faute j’ai presque perdu ma société et je l’ai perdue elle.

Après sa fuite, j’ai pu reconsolider mes contrats fragilisés. Ça ne s’est pas fait du jour au lendemain, j’ai dû faire des compromis et j’y ai perdu beaucoup en bénéfices.

Quant à mon cœur, il s’est brisé à jamais !

J’ai eu un faible espoir de retrouver notre relation lorsque je l’ai recroisée ce soir-là dans sa robe de plage. Hélas je me suis fourvoyé !

Je me suis finalement mis dans l’idée de me poser enfin et de fonder une famille comme la tradition l’exige ainsi que ce fichu contrat !

C’est mon seul but à présent !

Épouser Victoria n’est qu’un détail. J’espère seulement retrouver un peu d’amour quand je tiendrai dans mes bras mon futur enfant. L’enfant que j’aurais dû avoir avec elle.

Elle n’est pas enceinte pour le moment, mais ça viendra. Victoria tient à être la future madame Ashford avant cela. Ce que je lui accorde sans sourciller, cela m’importe peu à présent. Qu’importe celle qui portera le nom Ashford, ce ne sera pas elle, ma Diablesse.

Je me ressers un troisième verre de scotch que je siffle d’une traite, encore.

Mon téléphone vibre.

Qui pourrait bien m’appeler à une heure pareille ?

Je décide d’ignorer l’appel et vais pour me resservir un dernier verre avant d’aller m’allonger sur le canapé et guetter en vain le sommeil.

Un nouvel appel entrant, même numéro.

— Allô ! grogné-je agacé d’être constamment dérangé.

— Monsieur Ashford ?

— Lui-même. À qui ai-je l’honneur à une heure tardive ? pesté-je.

— Je me nomme Jonathan Garrett. Je suis un ami de Lizie.

Mon cœur loupe un battement quand il prononce son nom.

— Je n’ai rien à vous dire, réponds-je brutalement en imaginant très bien de qui il s’agit.

— C’est urgent Monsieur Ashford.

— Je n’ai plus rien à voir avec mademoiselle Wilson, tonné-je dans le haut-parleur.

— William ! Je me permets de vous appeler ainsi, j’ai besoin de toute votre attention. Je connais votre passif avec Lizie. Mais l’heure est grave, elle risque de ne pas y survivre. Il y aura sans doute des décisions importantes à prendre et vous êtes sa personne de confiance sur les registres. Elle a besoin de vous. Elle ne souhaitait pas que je vous contacte, mais j’ai pensé que c’était mieux pour elle. Elle n’a rien demandé…

— Que lui est-il arrivé ? demandé-je soudain sérieux.

— Je vous attends au Texas Health Harris Methodist Hospital Fort Worth. Faites vite, dit l’interlocuteur avant de raccrocher.

J’observe encore mon téléphone éteint abasourdi par ce que je viens d’entendre.

Depuis tout ce temps, Lizie est à Fort Worth au Texas. Et il se pourrait qu’elle n’y survive pas.

J’attrape mon téléphone et passe un nouvel appel.

— Joseph, faites préparer le jet. Nous partons dans une heure pour le Texas, à Fort Worth. Je vous rejoins au plus vite sur le tarmac.

Mon téléphone sonne à nouveau, je décroche sans prendre la peine de voir le nom du contact entrant.

— Allô ! aboyé-je.

— Will, Maggie a reçu un appel concernant Lizie…

— Je suis au courant. J’ai prévu de m’y rendre. Désolé Mase, mais je ne suis pas d’humeur à m’encombrer de personne. Je dois te laisser. J’ai un voyage à préparer.

Je raccroche brutalement au nez de mon frère. Depuis que lui et Maggie ont officialisé leur relation, je ne peux plus autant me confier à lui, du moins pas en ce qui la concerne. Les évènements passés ont fait qu’il prend le parti de sa chère fiancée.

Mais je sais que je vais le regretter, je n’avais pas à lui parler de cette manière. Mais je n’ai plus les idées claires, toutes ces informations soudaines m’ont retourné le cerveau. Je ne sais plus quoi penser de tout cela.

Je me dirige vers ma chambre et sans prêter attention à celle qui dort, j’enfile une chemise propre ainsi qu’un costume gris foncé. J’attrape un bagage et soigneusement j’y dépose quelques vêtements de rechange.

— Où vas-tu ? me demande Victoria entre deux reniflements.

— Au Texas.

— Au Texas ? Mais pourquoi ? demande-t-elle entre deux bâillements.

— Une affaire à régler. Rien qui ne te concerne. Je reviendrai d’ici quelques jours. Bonne nuit.

Je me penche vers son front et y dépose un bref baiser avant de la quitter précipitamment.

2

Sept mois plus tôt

Fort Worth

Après un peu plus de deux jours de trajet et de nombreuses escales, je suis enfin arrivée à destination.

Je dois reconnaître qu’à première vue, la ville paraît charmante et accueillante.

À son entrée se dressent deux grandes colonnes en pierres blanches reliées par une banderole où on peut y lire « Fort Worth Stocks Yards ».

Je peux déjà ressentir cette atmosphère western des temps modernes en me promenant dans la rue principale du centre-ville. Mais je ne suis pas venue ici pour faire du tourisme, mais pour recommencer une nouvelle vie en mode incognito.

J’enfonce profondément ma casquette limée par les années sur le sommet de mon crâne et attache solidement mon bagage de fortune autour de mon épaule.

Ma première mission est de trouver de quoi me restaurer, j’ai une faim de loup et mon estomac me le fait bien savoir depuis plus de deux heures au moins !

Ensuite, je chercherai une chambre en location pour cette nuit et surtout je rêve d’une douche bien chaude ! Je me sens toute courbaturée depuis deux jours et mes nuits passées sur le siège de l’autocar ne m’ont pas aidée.

J’entre dans le premier restaurant de la ville, c’est à dire un café et commande un grand americano bien noir avec une pile de pancakes au sirop d’érable.

— Excusez-moi, vous ne sauriez pas par hasard où je pourrais trouver un emploi dans le secteur ? demandé-je curieusement à la serveuse au comptoir une fois la commande passée.

— Avec la petite mine que tu tires ma belle, tu ne risques pas de trouver grand-chose dans le coin. Tu fais peine à voir, me sourit tristement la serveuse en remplissant ma tasse de café. Personne ne voudra embaucher un joli minois aussi défiguré.

— Oh. Où sont les toilettes ? l’interrogé-je vexée par sa remarque.

— Au fond, à droite, me les indique-t-elle d’un signe de cafetière.

Je me lève et me dirige tout droit vers le cabinet de toilette.

Une appréhension me guette, à quoi ressemble mon visage depuis mon agression ?

Face au miroir, je retire ma casquette et relève les quelques mèches de cheveux masquant mon visage tuméfié. J’ouvre le robinet du lave-mains à fond et plonge mon visage sous l’eau fraîche.

Une fois rafraîchie, j’observe délicatement ce visage que je reconnais à peine.

Ma lèvre a presque cicatrisé, mais quant au reste, il est encore bien enflé par endroit et mes hématomes ont viré sur un vert bleuté. Je fais presque peur à regarder.

Je termine ma brève toilette et change de t-shirt.

Quand je retourne à ma place, mon assiette de pancakes a été servie ainsi qu’un petit carafon de sirop d’érable. Sans plus attendre, je me jette sur mes couverts et engloutis la totalité de mon plat sans lever les yeux de mon assiette.

— Eh ben ! Depuis combien de temps n’avais-tu pas mangé ? me demande la serveuse la cafetière à la main prête à me resservir une seconde tasse de café.

— J’ai fait un long trajet.

— Et d’où viens-tu ?

J’hésite avant de répondre. Après tout, je ne crains rien ici, personne ne me connaît.

Je décide donc de ne pas mentir.

— De New York madame.

— Madame ? Tu peux m’appeler Susan, c’est marqué sur mon badge après tout, me dit-elle d’un grand sourire.

— Je m’appelle Lizie, lui réponds-je.

— Que viens-tu faire par ici Lizie, ce n’est pas pour le tourisme, je me trompe ?

— Je ne sais pas trop, je devais partir, dis-je en haussant des épaules. Auriez-vous un endroit à me conseiller pour la nuit ?

— Je vais arranger ça ma belle. Il n’est pas question que tu te ruines en chambre d’hôtel, surtout en pleine période touristique. Les gérants gonflent leurs prix à cette saison !

— Ne vous dérangez pas pour moi, je vais bien réussir par me débrouiller par moi-même, soufflé-je gênée par autant de gentillesse.

— Tout ce que tu risques est de te faire dépouiller par le premier gars qui est de passage ! Ne discute pas et attends la fin de mon service. Je n’en ai plus pour très longtemps.

— Je ne sais pas quoi dire, merci, Susan.

Toujours installée au comptoir du café, je termine la grille de mots croisés du journal local en attendant que Susan termine sa journée.

Je jette un énième coup d’œil à l’horloge, il est à présent un peu plus de 14 h, elle doit avoir fini son service.

Elle finit par sortir des vestiaires des employés et me fait signe de la suivre. Je la laisse me conduire jusqu’à sa vieille voiture garée sur le parking, à l’arrière du restaurant.

J’espère une seule chose, ne pas me tromper en lui faisant confiance.

En y réfléchissant, je ne vois pas d’autre alternative à mon problème actuel. La mentalité des gens du coin a l’air différente de celle de la grosse pomme.

Après plus de trente minutes de trajet, Susan m’indique que nous sommes arrivées à destination. J’ignore par quel miracle son antiquité a pu nous mener jusqu’ici, mais je suis rassurée d’être enfin arrivée, même si j’ignore où nous nous trouvons. Les bruits de ferraille et la pétarade du pot d’échappement n’en finissaient plus.

— Attends-moi là. Je reviens dès que c’est bon, me dit-elle d’un sourire charmant en sortant de la voiture.

À travers la vitre poussiéreuse de sa voiture, j’observe l’environnement autour de moi. On se croirait dans un de ces vieux ranchs délabrés qu’on voit dans les séries télévisées.

Une vieille maison trône fièrement autour de cette poussière. Sur sa droite se trouve une grange usée par les affres du temps. Un peu plus loin se trouve une bâtisse fraîchement rénovée. Elle ne s’accorde pas du tout avec le reste. Tout ici paraît vieux, ou en mauvais état, même l’état du chemin laisse apercevoir les caprices de la météo endurés.

Vers l’entrée de la grange, une jeune femme rejoint la serveuse. Elle n’a pas l’air si âgée, une quarantaine d’années tout au plus. Mais les années de dur labeur se lisent sur les traits de son visage.

Après une brève discussion, les deux femmes se dirigent vers le véhicule. Je comprends alors très vite qu’il est temps pour moi de me présenter. Je descends de la vielle Toyota et vais pour me présenter.

— Bonjour. Je m’appelle Lizie et…

— Venez à l’intérieur prendre un verre de limonade, vous devez avoir chaud après un si long voyage.

— Oh ! D’accord, madame.

— Appelez-moi Abby.

— D’accord Abby, les suivé-je.

Une fois passé le perron de la porte d’entrée, je découvre l’intérieur de la charmante maison rustique et qui est restée figée dans l’air du temps. Mais cela lui va bien, ça renvoie parfaitement l’image qu’on peut se faire des intérieurs des fermes des environs.

Je m’installe à la table de la cuisine et trempe les lèvres dans ce verre de limonade parfaitement dosé, ni trop amer, ni trop sucré.

— Je vais aller droit au but Lizie, m’indique Abby.

— Je répondrai du mieux que je le pourrai, lui affirmé-je.

— Bien. Donc tu nous viens de New York et tu recherches un logement ainsi que du travail ?

— C’est cela. Mais je ne veux pas être un fardeau. Ça ne serait que provisoire, le temps de me retourner.

— Je peux te proposer le gîte et le couvert contre ton aide au ranch. Comme tu peux le voir, c’est beaucoup de travail pour une seule personne. En revanche, je n’aurai pas de quoi te payer.

— Cela me convient parfaitement, Madame. Je veux dire Abby, me rattrapé-je devant le froncement de ses sourcils broussailleux.

— Bien. Avant toute chose, d’où viennent tes coups ? Et ne me mens pas, s’il y a bien une chose à savoir ici, c’est que j’ai horreur du mensonge !

— Je vais vous raconter ce qu’il m’est arrivé, mais ça sera la seule fois que j’en parlerai, annoncé-je en prenant mon courage à deux mains.

— Je peux t’affirmer que ça ne sortira pas de cette pièce, m’assure Abby, le regard sérieux.

— Merci. Il y a quelques jours j’ai été violenté par un homme et j’ai dû fuir toute ma vie.

— Tu es une Junkie ? Ou tu te prostituais ?

— Non ! m’exclamé-je horrifiée. Cet homme n’a pas supporté que je le repousse pour un autre… et après avoir abusé de moi, il a menacé de me tuer.

Je finis par éclater en sanglots devant mes révélations. Je ne réalise qu’à l’instant tout ce que j’ai pu endurer ces derniers jours et surtout tout ce que j’ai dû laisser derrière moi.

— Bon. Susan, pas un mot à qui que ce soit. Il n’est pas nécessaire que les gens de la ville découvrent ce qui est arrivé à cette jeune fille, dit Abby en me tendant un mouchoir. Je vais te couler un bain, et ensuite nous irons voir le médecin, il faut monter un dossier contre cette pourriture.

— Non ! m’alarmé-je. Je ne peux pas, je ne veux pas qu’il me retrouve !

— Il ne faut pas le laisser sans tirer ainsi ! Il y a des lois et…

— Il en a que faire des lois ! C’est un homme puissant et il a le bureau du procureur ainsi que les services de police dans sa poche !

— Je vois, murmure-t telle. Tu ne crains plus rien ici. Allez sèche tes larmes et suis-moi.

D’un bref sourire, je remercie Susan de m’avoir conduite ici et suis la propriétaire jusqu’à la salle de bain et la laisse me couler un bain chaud. Je sors mon nécessaire de toilette de mon bagage de fortune et sans prêter attention, je laisse tomber la photo prise avant mon départ.

— Tu as fait tomber ça de ton sac, me dit Abby en me tendant la photo du Nouvel An. C’est qui ?

— Maggie, ma meilleure amie, reniflé-je en la rangeant délicatement dans une des poches externes de mon sac.

— Bon, déshabille-toi maintenant. Si tu ne veux pas consulter, laisse-moi au moins regarder les dégâts causés.

Sans aucune pudeur, je retire un à un chacun de mes vêtements sous les yeux ébahis de Abby. J’enjambe difficilement le rebord de la baignoire et laisse l’eau détendre pour la première fois mon corps meurtri.

— Seigneur ! Comment peut-on infliger de tels sévices ! murmure Abby.

— Penses-tu pouvoir me couper les cheveux après, s’il te plaît ? demandé-je d’une voix faible afin de détourner la conversation. J’ai besoin de changement, enfin si cela ne te dérange pas.

— Je pense pouvoir faire cela, souffle-t-elle.

Une fois sortie de la salle de bain, je me lève, fonds entièrement dans cette eau. Si seulement je pouvais disparaître comme par magie !

Sans prêter attention, je caresse machinalement le bas de mon ventre.

Il y a encore ce petit être qui grandit en moi, le seul lien qui me relie encore à mon ancienne vie.

***

Je relis pour la énième fois la lettre qu’elle a laissée avant son départ.

Je ressemble à une épave depuis qu’elle m’a quitté.

Pourquoi ?

J’aurais pu la sauver si elle m’en avait laissé l’occasion !

Elle serait devenue ma femme et un à un, j’aurai réglé chacun de ses problèmes en commençant par lui ! Mais non, égale à elle-même, elle n’en a fait qu’à sa tête.

Elle n’écoute qu’elle, prête à en payer le prix fort et pour quel résultat ?

Tout abandonner et recommencer sa vie ailleurs ! Ça en valait bien la peine.

Il est temps pour moi de me ressaisir.

Je ferai tout ce que j’ai à faire pour la ramener à la raison. Pour cela, je dois commencer par le commencement.

Je dois me rendre à la Wilson C. Corp.

— Attendez-moi là Joseph, je ne dois pas en avoir pour très longtemps.

— Bien Monsieur.

Un nœud au ventre, je franchis le seuil du building et monte au 22e étage.

Sans me présenter au secrétariat, je me dirige directement au bureau du PDG, Henry Wilson.

Je signale ma présence de deux coups francs sur la porte fermée avant de m’y introduire.

— Monsieur Ashford ! Quelle surprise, je ne vous attendais pas, s’étonne le PDG. Vous rappelez-vous Mccoy ? me le présente-t-il assis en face de lui.

— Parfaitement, grogné-je en gardant mon sang-froid.

— Bien, j’imagine que vous êtes ici pour ma rebelle de fille ? J’ai le regret de vous affirmer que je n’ai aucune nouvelle depuis son départ ! Mais la connaissant, elle refera vite son apparition, une fois son caprice passé.

— Vous ne la prenez pas au sérieux alors ? m’étonné-je.

— Je peux vous assurer qu’elle reviendra avant la fin de l’été. Elle a dû se prendre quelques semaines de vacances, afin de réfléchir au mieux à son avenir. Je crois que Mccoy a été un peu trop directe envers elle, et elle a sans doute besoin de remettre de l’ordre dans ses priorités.

— Mccoy, pourrait-on se parler en privé ? demandé-je le plus calmement possible.

— Bien entendu, répond-il d’un ton serein.

Je le suis jusqu’à la salle de conférence et les phalanges toujours aussi serrées entre elles.

La fureur bout tout au fond de moi. Si je le voulais, je pourrais l’attraper et lui déchaîner toute cette rage emmagasinée en moi. Mais m’en prendre ainsi et déverser ma haine sur lui ne serait qu’un apaisement passager. J’aurai toujours ce trou béant au sein de ma poitrine, ce vide qu’elle a laissé après être partie aussi soudainement.

J’entre à mon tour dans la salle et le laisse s’exprimer en premier.

— Je vous écoute Ashford. Comment se porte votre entreprise ?

— Que lui aviez-vous fait ? ruminé-je fou de rage.

— Oh, je vois que vous n’avez pas encore digéré la chose. Je n’y suis absolument pour rien si elle vous a rejeté. Après tout c’était son choix et non le mien.

— Ne jouez pas sur les mots avec moi ! Elle ne m’aurait jamais quitté sans raison. Vous l’y aviez forcée.

— Alors là je regrette, je dois rectifier ces propos. Je lui ai conseillé de ne plus croiser mon chemin après notre entrevue.

— Entrevue qu’il s’est mal passé ! Vous l’avez brutalisée ! Je devrais vous…

— Me quoi ? Ne proférez pas de menaces que vous pourriez regretter Ashford ! Nous avions convenu d’un petit accord. Je vous laissais vous et votre entreprise en paix en échange d’un petit tête à tête privé.

— Vous mentez ! Jamais elle n’aurait accepté de, de…

— Oh, mais ce n’était pas la première fois Ashford. Elle est si délicieuse et si gourmande ! Quel gâchis, refuser cette union… soupire-t-il un sourire en coin.

Ça en est trop !

Je ne peux plus garder mon calme plus longtemps.

Les yeux injectés de sang, je lui assène un violent coup de poing en pleine face, ce qu’il le déséquilibre et le fait tomber à la renverse.

Les quatre fers en l’air, Mccoy se relève difficilement et maintient son nez sanguinolent.

— J’espère que vous êtes détendu à présent, car ça sera votre seule opportunité sans représailles. Je comprends votre mécontentement. Mais son départ n’est qu’une simple preuve de regrets et de honte de s’être joué de vous tout comme elle s’est jouée de moi. Nous ne sommes simplement que deux de ses victimes dont elle s’est finalement lassée, dit mon adversaire en reniflant bruyamment, un mouchoir appuyé contre son nez probablement fracturé.

Je secoue ma main endolorie par le coup que je viens de donner.

Mon sang ne fait qu’un tour. L’adrénaline de ce coup porté me pousse à aller plus loin encore.

Mais ce n’est pas ni le moment ni le lieu de perdre la face.

Je n’ai plus la force d’écouter son venin !

Je le laisse en plan dans la salle de réunion et retourne à la berline noire le visage fermé et aigri. Je fulmine encore après toutes ces horreurs qu’il a osé prétendre.

Mais une part au fond de moi ne peut pas s’empêcher de croire qu’il y a une parcelle de vérité dans ces paroles.

— Au Penthouse Joseph, ordonné-je au chauffeur en montant à bord de la berline noire aux vitres teintées.

— Bien Monsieur.

***

J’observe une dernière fois mon reflet dans le petit miroir de l’entrée.

J’ai encore du mal à ne plus voir mes cheveux longs et bouclés. À présent ma nuque est dégagée et mes cheveux dépassent à peine l’arête de ma mâchoire.

— Tu ne regrettes rien, j’espère ?

— Non Abby, merci. C’est juste que c’est nouveau pour moi, souris-je.

— Tu auras moins chaud ainsi, tu verras que le travail par ces températures peut vite devenir harassant.

— Je suis prête, lui réponds-je d’un sourire franc.

— Bien, je vais te faire visiter les lieux alors.

3

Voilà près de trois semaines que je vis au ranch.

Il faut dire que je me suis vite acclimatée à la vie de fermière.

Le travail commence au lever du jour jusqu’à la nuit tombée, chaque minute est précieuse. Il y a tellement à faire.

Abby se retrouve seule à gérer le ranch depuis la mort de son mari. Deux années de mariage et aucun enfant. Ils venaient d’acquérir ce ranch à une vente aux enchères.

Le rêve de toute une vie m’a-t-elle expliqué, leur rêve. Et même pas un an après, elle se retrouve veuve avec un énorme emprunt sur le dos à rembourser.

Les revenus du ranch sont aléatoires, tout dépend de la vente de son élevage de quater horse. Mais entre les différentes tempêtes qu’il y a eu dans la région et la sécheresse, les difficultés s’accumulent et la banque s’impatiente face aux retards de paiement des échéances.

— Abby, j’ai longuement réfléchi à ta situation, dis-je en déposant les œufs frais du poulailler sur le comptoir de la cuisine.

— À quel propos ?

— Je ne te l’ai pas dit, mais j’ai travaillé dans le monde de la finance et je pense pouvoir t’apporter mon aide…

— C’est très gentil Lizie, mais ce sont mes affaires, et tu en fais déjà assez ici.

— Laisse-moi au moins t’accompagner à ton rendez-vous de banque. Je connais assez bien leur jargon et je pourrais sans doute négocier pour toi.

Abby ne répond pas tout de suite.

Elle tapote nerveusement les œufs du bout des doigts et part soudainement en direction de son bureau.

— Viens, me balance-t-elle du bout du couloir.

Je la retrouve assise le nez dans ses papiers, sa monture de lunettes de vue tordue posée sur le bout de son nez fin.

— Arriverais-tu à mettre de l’ordre dans ma comptabilité ainsi que dans les bons de commande et mes factures ? N’hésite pas à me demander quoi que ce soit surtout !

— Oui bien sûr. Je m’y mets tout de suite.

Les heures défilent ainsi que mes recherches sur les différents prestataires avec qui Abby travaille.

J’ai fini de trier la dernière pile de feuillets froissés, de couleurs et de taille différentes. Je n’ai jamais connu une désorganisation de cette ampleur ! J’ai créé un tableau Excel sur mon PC portable. Je suis bien contente de l’avoir embarqué avec moi lors de ma fuite précipitée. Il faut dire que l’ordinateur installé ici est d’une antiquité sans nom. J’ai bien cru que j’allais m’arracher les cheveux devant sa lenteur !

J’ai donc classé toutes ses dépenses ainsi que ses recettes et il faut dire que le résultat final est plutôt négatif. Mais après avoir cherché plus loin, en remontant un peu plus loin dans ses relevés bancaires ainsi qu’en étudiant ses différents contrats, j’ai déjà mis le doigt sur les différents problèmes qui ruinent ce ranch à petit feu.

Mais le pire de tous concerne tout simplement sa banque !

Je suis tombée de haut quand j’ai lu son contrat d’assurance ainsi que celui du crédit.

— Abby, l’appelé-je depuis son fauteuil.

— Lizie, le dîner est servi, viens manger, tu en as assez fait pour aujourd’hui.

— À quelle heure est ton rendez-vous demain ? ignoré-je sa remarque.

— 14 h. Pourquoi ?

— Nous nous y rendrons dès l’ouverture, voilà des années que tu te fais voler par ta banque !

— Comment cela ? s’étonne-t-elle.

— Ils n’ont tout bonnement pas respecté ton contrat ! Surtout, laisse-moi parler pour toi demain, je vais te sortir de ce merdier.

— Euh, d’accord. Je te fais confiance.

— Après ton rendez-vous, je rendrai visite à tes fournisseurs, ils te facturent beaucoup trop ! Si tu me donnes carte blanche, je peux renégocier tous tes contrats, dis-je en relevant mes lunettes de vue sur mon nez.

— Merci, Lizie, je ne sais pas quoi dire.

— Ne dis rien, c’est à moi de te remercier de m’avoir accueillie ici. Je ne fais qu’utiliser mes talents à bon escient. On mange quoi ? demandé-je soudainement en reniflant cette délicieuse odeur.

— Du poulet rôti, me répond-elle tout sourire.

— Waouh, j’ai une de ces faims, m’exclamé-je en la rejoignant à table.

Je m’installe à la table et sers Abby d’un verre de vin. Pour ma part, ça ne sera que de l’eau bien évidemment, mais ça, elle ne le sait pas encore.

Par chance, ma grossesse ne se voit pas encore, mais ça ne devrait pas tarder, enfin normalement. Je n’ai jamais été aussi svelte, à croire que cet enfant cherche à se faire discret. Je bois tranquillement mon verre d’eau l’air pensive. De nombreuses questions me tourmentent :

Devrais-je quitter le ranch à l’annonce de ma grossesse ?

Vais-je savoir m’occuper seule d’un nouveau-né ?

Ai-je au moins l’instinct maternel ?

— Que se passe-t-il Lizie ? Tu as l’air bien ailleurs, me demande Abby, un sourire aux lèvres.

— Oh ! Ce n’est rien, je réfléchissais à demain, mens-je banalement.

— Je te fais confiance pour ça.

— Abby, je n’ai rien de convenable à me mettre. Aurais-tu une robe à me prêter ?

— Oui, je dois avoir cela. Ça fait bien longtemps que je n’en ai pas porté avec le travail au ranch, mais je les ai toutes gardées. Elles doivent être un peu démodées, mais elles devront t’aller.

— Je suis persuadée qu’elles feront l’affaire, affirmé-je en attaquant la cuisse dorée du poulet.

Le réveil sonne.

La nuit a été courte, je me lève difficilement de mon lit et me dirige vers la salle de bain. C’est le grand jour.

Je vais mettre à jour les dossiers de Abby auprès de son véreux de banquier. Un peu de négociation et de remise au point musclé ne me feront pas de mal.

Après avoir passé une troisième robe, plus sobre, je décide enfin de sortir de la salle de bain. C’est une robe midi boutonnée de haut en bas. Le fond noir parsemé de petites fleurs blanches fait ressortir mon teint hâlé acquis ces dernières semaines au ranch.

— Tu es magnifique Lizie ! s’exclame Abby. Attends-moi là, il me semble avoir une ceinture pour marquer ta taille. Ah ! la voilà. Si je la place ainsi et qu’on blouse légèrement, voilà ! Un vrai rayon de soleil, ajoute-t-elle en lâchant ma taille.

Je m’observe une dernière fois dans le miroir du salon, c’est vrai que j’ai bonne mine. Mes blessures ont complètement guéri et j’ai enfin réussi à dompter mes cheveux rebelles raccourcis.

Habituellement, je les coiffe d’une pince chaque matin et le tour est joué. Mais pour aujourd’hui j’ai utilisé le vieux lisseur de Abby et me voilà fin prête pour notre rendez-vous.

J’enfile ma seule paire de chaussure potable, c’est à dire mes converses basses et attends patiemment Abby devant le pick-up.

— Tu es sûre que tu ne veux rien avaler ce matin ? s’inquiète-t-elle.

— Oui. Je m’arrêterai au restaurant prendre un café ainsi qu’un donut. Ne le prends pas mal Abby, mais ton café ressemble plus à de l’eau noire fade qu’à un vrai café dont l’arôme a été délicatement extrait d’un véritable percolateur, dis-je d’une voix théâtrale.

— Mouais, allez en route mademoiselle de la ville avant que je ne change d’avis, dit-elle.

Après une trentaine de minutes de route et de nombreuses questions évincées concernant notre futur entretien à la banque, Abby finit par garer le pick-up sur le long de la rue principal.

— Je vais au café, tu es sûre que tu ne veux rien ? lui demandé-je pour la dernière fois.

— Certaine, je vais faire trois courses, on se rejoint devant la Texan National Bank cinq minutes avant l’ouverture.

— Ça marche, dis-je en m’éloignant en direction du restaurant.

Le tintement de cloche de la porte d’entrée annonce mon arrivée. Les quelques clients présents si tôt se retournent dans ma direction. Il faut dire que cet avertissement sonore n’est pas vraiment des très discrets. Je les ignore tout simplement et prends place sur l’un des tabourets du comptoir.

— Bonjour Susan, souris-je à la serveuse.

— Non, pincez-moi ! Lizie, c’est bien toi derrière ce visage d’ange ? s’étonne-t-elle une cafetière à la main.

— En chair et en os !

— Qu’est-ce que je te sers ?

— Un café latte avec un de ces délicieux donuts au chocolat, me réjouis-je devant la vitrine des pâtisseries.

— Je n’en reviens pas ! L’air de la campagne t’a fait un bien fou. Tu es magnifique. Fais attention, j’en aperçois déjà un qui te dévore des yeux, me signale-t-elle d’un coup d’œil dans le fond de la salle.

Je me retourne et observe ce mystérieux jeune homme installé sur la banquette de la dernière table faisant semblant de lire le journal de la veille.

Non, mais sérieusement, qui ne retire pas sa casquette poussiéreuse dans un restaurant ?

Bon je dois le reconnaître, je l’ai bien fait moi, mais les circonstances étaient différentes ! Qu’a-t-il à se reprocher pour paraître si peu abordable et mal élevé ?

Caché derrière son journal, j’observe l’homme mystérieux. Je devine à ses vêtements usés qu’il revient d’un long voyage. L’état de son jean et de ses bottines à lacets en est la preuve.

Je détourne brutalement le regard quand celui-ci vient de remarquer que je le fixais.

Bonjour la discrétion !

— La honte, dis-je tout bas. Tu le connais ? demandé-je à Susan quand elle me sert mon café.

— Non, il est arrivé à la première heure ce matin. C’est la première fois que je le vois.

— Il est sûrement de passage, dis-je en engouffrant mon donut dans la bouche.

— Je peux m’asseoir près de vous ? me demande le nouvel arrivant en s’installant sur le tabouret d’à côté.

— Hum, pardon, réponds-je la bouche pleine.

Je place ma serviette devant les lèvres afin de masquer ce gros morceau de donut au chocolat encore visible. D’un grand sourire, cet inconnu blond et au crâne rasé se moque ouvertement devant ma gêne.

— Excusez-moi, repris-je la bouche vide. Pourquoi me demandez-vous la permission si vous n’attendez même pas mon aval ?

— Vous attendiez quelqu’un sans doute ?

— Non.

— Donc la place est libre.

— Je vois… murmuré-je en levant les yeux au ciel. Au moins vous avez eu la décence de retirer votre casquette.

— Un simple oubli de ma part. Cela ne veut pas dire que je suis une personne non éduquée.

— Je n’ai rien prétendu de tel, m’agacé-je.

— Je suis Jo, se présente-t-il en me tendant la main. Je viens d’arriver et peut-être vous pourriez me renseigner…

— Je ne suis pas intéressée, dis-je brutalement. Tu mettras un autre café à monsieur, fais-je signe à Susan en déposant un billet de 20 dollars sur le comptoir. Je dois y aller, bonne journée, Susan.

Je quitte le café et salue la serveuse d’un signe de main avant de remarquer le sourire narquois se dessiner sur le visage de ce nouvel arrivant prétentieux.

D’un pas assuré, je rejoins Abby qui attend nerveusement devant la Texan National Bank. Malgré mon assurance, j’espère ne pas me tromper et lui apporter toute l’aide dont elle a besoin. Je ne dois pas me planter aujourd’hui, son ranch ainsi que son avenir sont en jeu.

— Me voilà, dis-je en arrivant à son niveau. Tu es prête ? Surtout, tu me laisses parler, lui demandé-je d’une voix ferme.

— Allons-y, répond-elle nerveusement en se tortillant les doigts.

Je lisse le devant de ma robe afin d’y effacer les quelques plis et tire la porte d’entrée de la Banque.

Sans aucune hésitation, je me dirige vers le comptoir d’accueil et de mon plus beau sourire m’adresse à la chargée d’accueil :

— Bonjour. Nous venons voir Monsieur Monroe, le conseiller financier de Madame Abby Sheridan.

— Vous aviez un rendez-vous ? me demande-t-elle d’un sourire un poil trop forcé.

— À 14 h. Mais il est préférable que nous le voyions immédiatement.

— Ce n’est pas possible. Monsieur Monroe est en rendez-vous actuellement.

— Quel est votre nom, mademoiselle ? lui demandé-je en perdant mon calme.

— Cassie, ose-t-elle me répondre timidement devant mon ton légèrement agressif.