Maeva, une belle étoile filante - Maria Isabel Villalobos - E-Book

Maeva, une belle étoile filante E-Book

Maria Isabel Villalobos

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  • Herausgeber: Mols
  • Kategorie: Ratgeber
  • Sprache: Französisch
  • Veröffentlichungsjahr: 2023
Beschreibung

En général, quand on commence à lire un livre, on a souvent hâte de connaître la fin de l’histoire. Mon livre commence par la fin, mais pas celle d’une histoire banale, faite d’amour, d’intrigue, de fantaisie, mais par la fin d’une vie. C’est celle de ma fille Maeva qui a décidé de quitter notre monde le 13 janvier 2020. Sans avoir aucune connaissance des vraies raisons qui l’ont poussée à prendre une telle décision, j’ai décidé d’écrire à propos de son cheminement, de notre vie familiale, de ses trop courtes 13 années de vie. Je raconte tout mon ressenti pendant mon deuil en tant que mère, épouse, fille et femme. Un deuil qui, lui, n’aura certainement pas de fin. Je ne suis pas une écrivaine loin de là, dans mon métier très technique, j’écris très peu et très rarement à propos des sentiments. Je veux juste que les gens de tout âge prennent conscience et agissent contre le harcèlement dans tous les milieux mais surtout dans le milieu scolaire. Car la fragilité peut nous rendre tous très vulnérables à tel point qu’elle peut finir avec ce qui est le plus important « La Vie ».

Témoignage émouvant, commenté – à intervalles réguliers dans le livre – par Bruno Humbeeck dont le harcèlement scolaire et ses conséquences sont devenus un des thèmes pour lesquels il ressent une véritable urgence d’agir, à tous les niveaux et dans tous les milieux. Il en est devenu un des plus grands spécialistes.


À PROPOS DES AUTEURS

Maria Isabel Villalobos est mariée et mère de 4 enfants. Originaire de Bolivie elle réside en région bruxelloise depuis plus de 20 ans. Elle exerce une carrière de cadre dans le secteur des télécommunications.

Bruno HUMBEECK est docteur en psychologie de l’Université de Rouen. Il est actif à la fois sur le terrain, en tant que travailleur psychosocial, et dans le domaine de la recherche, en tant que collaborateur scientifique. Cette double approche des questions de société contribue à rendre sa vision particulièrement convaincante. Il est aussi formateur et auteur de plusieurs publications dans le domaine de la maltraitance, de la toxicomanie et de la prise en charge des personnes en rupture psycho-sociale. Spécialiste de la résilience, il travaille à ce titre avec Boris Cyrulnik et Jean-Pierre Pourtois. Bruno Humbeeck est de plus en plus présent sur les TV et médias en France. Régulièrement interrogé sur France Inter par Ali Rebeihi. A participé à des événements organisés à l’auditorium du Louvre, en association avec les Beaux-Arts de Bruxelles également. Outre des émissions plus ponctuelles… Il est l’auteur de nombreux ouvrages publiés aux éditions Mols dont les derniers sont : De Blanche-Neige à Harry Potter, des histoires pour rebondir et Leçons d’humour. Rire pour Rebondir. L’humour comme instrument du vivre ensemble (et aussi, mais uniquement en version numérique : Pédagogies douces en période de confinement). Il a publié 2 titres chez Odile Jacob autour du thème de la « conjugalité », Mols se réservant les sujets relatifs à la « résilience ».

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Maeva, une belle étoile filante

© Éditions Mols, 2022

Collection Faits de société

www.editions-mols.eu

Maria Isabel Villalobos et Bruno Humbeeck

Maeva, une belle étoile filante

MAEVA, UNE BELLE ÉTOILE FILANTE

Par Bruno Humbeeck

Une étoile filante n’est pas un astre mort, même pas une planète en mouvement… C’est un phénomène lumineux. Un éclat de vie qui propage sa lumière et qui, circulant dans l’espace à la vitesse d’un éclair, a croisé, en chemin, la route du soleil pour se nourrir avidement de l’un de ses rayons…

Ce n’est pas rien d’être la maman ou le papa d’une étoile filante. Ce n’est pas rien d’avoir mis au monde et conduit à la vie une étoile qui, en passant vite, beaucoup trop vite, a marqué d’un trait le ciel de ceux qui ont eu la chance de voir la traînée de poussière de soleil qu’elle y a laissée. On ne fait jamais le deuil d’une étoile filante, on ne cherche pas à le faire, d’ailleurs, parce que l’on devine que c’est ce deuil qui nous constituera et que le privilège d’avoir partagé la vie, courte mais intense, d’une étoile filante nous transforme à jamais.

Une étoile filante ne disparaît pas. Elle devient juste invisible aux yeux de ceux qui ne peuvent plus la voir parce qu’ils ont la vue trop courte, la mémoire trop oublieuse ou le ciel trop encombré ou, plus souvent encore, parce qu’ils sont trop occupés à regarder leurs pieds pour se voir avancer ou trop soucieux de fixer l’horizon pour aller là où ils veulent se rendre. Ils oublient alors de lever les yeux et de voir ce trait lumineux qui illumine sans fin le ciel des mamans et des papas qui ont fait naître une étoile filante.

Il y a maintenant plus de deux ans que Maeva, cette étoile filante, a disparu du ciel des malvoyants… Elle s’est « éteinte », disent alors, pudiquement et un peu lâchement, il faut bien le dire, tous ceux qui préfèrent détourner le regard parce qu’ils sont convaincus que ceux qui traversent leur vie, mais dont ils s’écartent brutalement pour se préserver des blessures, n’existent plus dès lors qu’on ne leur prête plus attention.

C’est pour cela que lorsqu’une étoile filante disparaît, beaucoup préfèrent faire comme si elle s’était consumée, comme si elle n’existait plus ou, pire encore, comme si elle n’avait jamais brillé, comme si elle n’avait jamais existé. En diffusant son trait lumineux, l’étoile a en réalité zébré le ciel de ceux qui se sentent plus ou moins confusément liés à sa disparition. Ils préfèrent alors se donner l’illusion de vivre sous un ciel éternellement serein en faisant comme si rien ne l’avait jamais, un jour, déchiré…

Et c’est comme cela que les parents d’une étoile filante se retrouvent à contempler la lumière toujours vivante qui traverse leur ciel pour l’illuminer, alors que tous ceux qui préfèrent oublier la prétendent éteinte. Tous ceux-là, ceux qui croient à la mort des étoiles, tous ceux-là, ce sont ceux qui transforment, jour après jour, la tendre indifférence du monde en une brutale irrévérence…

Pour ma part, je préfère ne pas prêter trop d’attention à ces oublieux incapables de regarder le ciel parce qu’ils ont la vue trop basse, inaptes à s’interroger sur ce qui fait disparaître les étoiles parce qu’ils ne se préoccupent que de ce qu’ils sont, aveugles aux lumières fulgurantes parce qu’ils ont la pensée trop terne pour pouvoir les saisir. Je préfère prêter toute mon attention à ce qu’une maman et un papa voient quand ils regardent le ciel. Je les écoute alors me le décrire en y mettant au milieu une étoile filante, que je vois moi aussi parce que leurs mots, pour me raconter leur ciel, sont aussi vivants que leurs souvenirs…

Et ce qu’il y a de merveilleux chez tous ces parents que je côtoie, c’est de les entendre se mobiliser pour que dans le ciel, parmi toutes les autres étoiles, plus aucune ne songe à filer après avoir absorbé la lumière du soleil… C’est cela, le véritable altruisme et c’est la leçon que je prends chez tous ces parents d’étoiles filantes quand je les entends se préoccuper de tout ce qui, en dehors d’eux et de leur vie, fait briller un ciel parce qu’ils savent maintenant, eux, que certaines étoiles sont filantes et qu’en disparaissant trop vite, elles laissent derrière elles, malgré tout, un terrible sentiment d’obscurité…

Une psychologue m’a dit que chaque personne vit son deuil à sa manière. J’ai essayé de trouver ma façon d’arrêter de culpabiliser de ne pas avoir pu aider ma fille, qui pourtant ne demandait pas souvent de l’aide, car elle aimait se montrer forte et indépendante… Maeva était heureuse, en parfaite santé, toujours souriante, bonne élève, toujours entourée de copines et de copains, car elle faisait rigoler les gens. Elle mettait de l’ambiance partout avec sa joie de vivre, chez les scouts, à l’école, à l’académie de danse, à son club de gymnastique et surtout chez nous, à la maison. Elle était notre rayon de soleil. Elle était admirée pour sa beauté exotique due à sa double origine bolivienne et belge. Elle avait juste quelques petits tracas typiques des ados – c’est en tout cas ce que je croyais. Personne à la maison n’était au courant de sa détresse, de ses problèmes de cœur malgré son jeune âge. Personne ne savait qu’elle vivait des conflits avec certains camarades, qu’elle souffrait du rejet de son groupe d’amis et qu’elle était harcelée. L’amitié, pour Maeva, était très importante, comme pour la majorité des adolescents qui pensent que leur monde tourne en fonction des amis, leur famille se retrouvant parfois reléguée à la deuxième place.

Décembre 2019 Un voyage à Paris

Le mois de décembre, chaque année, est une période difficile pour moi parce que d’un côté, je suis heureuse à l’idée de l’arrivée des festivités de Noël en famille et de la nouvelle année, mais de l’autre, je suis triste parce que je suis loin de mes parents, de mes sœurs, frères, nièces, neveux et amies en Bolivie, qui sont très importants pour moi. Cette année, j’ai planifié un mini city-trip en famille à Paris, ma ville préférée, entre Noël et le réveillon de Nouvel An. Pour la première fois, je suis passée par Airbnb et nous avons été agréablement surpris par le système, le prix raisonnable pour un joli petit appartement. Mes enfants sont évidemment contents de visiter cette belle ville, d’autant qu’à cette période, elle est encore plus belle et magique. Maeva est super heureuse à l’idée de faire du shopping et de visiter les boutiques des grandes marques qu’elle connaît déjà très bien. Elle veut découvrir les Champs-Élysées, les Galeries Lafayette et toutes les autres boutiques. Mais nous n’avons pas la possibilité de visiter ces endroits parce qu’en raison d’une grève des chauffeurs de transports en commun, nous devons nous déplacer en voiture et que le temps nous manque. Comme Maeva dit qu’elle adore Paris, je lui promets que nous ferons plus tard un voyage à trois, avec sa sœur, entre filles. Nous grimpons la fameuse Tour Eiffel et prenons des photos en famille. Un endroit que j’adore à Paris, c’est le Sacré-Cœur. Surtout la nuit: l’ambiance y est très sympathique, avec tous les touristes, la superbe vue sur la ville illuminée, et la basilique elle-même est magnifique. Nous voyons la cathédrale Notre-Dame de loin, en reconstruction après le terrible incendie de l’année précédente. Nous visitons le Louvre et le Château de Versailles. Comme d’habitude, je prends beaucoup de photos d’elle. J’adore tellement la voir poser pour moi si spontanément! Je suis sa plus grande admiratrice. Je rêve qu’elle devienne mannequin. Elle est si belle, si photogénique, avec son sourire charmeur et ses beaux yeux expressifs. Elle pourrait réussir tout ce qu’elle entreprend.

La nouvelle année, nous la passons à la maison, en famille, à six, comme d’habitude. Nous, les filles, nous attendons les soldes avec impatience. Surtout Maeva, qui rêve de s’acheter de beaux vêtements.

Vendredi 3 janvier 2020 Shopping entre filles au Maasmechelen Village

Maeva est très impatiente de voir arriver le lundi 6 janvier, le jour de la rentrée, pour revoir ses copines et ses copains qui lui ont tellement manqué pendant les trois longues semaines des vacances de Noël. Pour ce premier jour des soldes, nous allons pour la première fois au Maasmechelen Village, malgré la pluie diluvienne et les mauvaises conditions de circulation. Il y a un monde fou dans toutes les boutiques. Les produits sont trop mélangés, les tailles pas bien classées et les prix trop élevés. Il faut parfois faire la file pour entrer dans les boutiques, pour accéder aux vestiaires et aux caisses. L’expérience ne nous séduit pas beaucoup. Nous n’achetons qu’une blouse pour Maeva et un sweat-shirt pour l’un des garçons. Déçues, nous décidons d’aller à la rue Neuve le week-end suivant.

Pendant les deux heures de route, mes deux filles sont occupées à chater, à jouer, à écouter de la musique avec leur téléphone portable, ce qui me dérange un peu car j’aurais préféré pouvoir discuter avec elles. Mais décoller les ados de leurs appareils est devenu mission impossible, aujourd’hui!

Samedi 4 et dimanche 5 janvier Week-end à la mer

Le samedi, nous allons rendre visite à une cousine, la marraine de mon fils, qui habite Dunkerque, et passons la nuit à la mer. allons avec les enfantsonsce qui me semble être Jest

Le dimanche, nous allons souhaiter la bonne année à la grand-mère de mon mari, qui habite Templeuve, un petit village près de Tournai. Les enfants sont enthousiastes à l’idée de recevoir leurs étrennes, comme chaque année!

Lundi 6 janvier C’est la rentrée

Le jour tant attendu par mes enfants est arrivé. Ils ont hâte de retrouver leurs amis. En rentrant de l’école, Maeva me dit que c’était sa meilleure rentrée, alors que quelques mois plus tard, j’apprendrai que, ce jour-là, elle s’est disputée avec Clovis qui lui a dit ne plus vouloir qu’elle fasse partie de son groupe de potes. Ils se sont même insultés, selon ce qu’il me dira lui-même. J’apprendrai qu’on l’a aussi traitée de « mytho », car Nejma, une ancienne copine à qui elle faisait confiance, a raconté aux autres les projets que Maeva lui a confiés, et quelques-uns ne l’ont pas crue.

Mardi 7 janvier Maeva reste à la maison

Le mardi, elle reste à la maison, disant qu’elle a mal au ventre. Je demande à ma voisine de rester auprès d’elle. J’envoie aussi un texto à Nejma pour lui demander de contacter Maeva, car je sens malgré tout qu’elle ne va pas bien. À ce moment-là, j’ignore totalement qu’elles ne sont plus amies. Le soir, quand nous essayons de parler avec elle pour savoir ce qui se passe, elle ne veut rien nous raconter. Elle a passé la journée à ranger la maison et nous fait croire que tout va bien, que ce ne sont que de petites bêtises, des disputes avec des copines, rien d’important, et que nous ne comprendrions pas. Elle dit même à son papa, pour rigoler, qu’elle a perdu quelques abonnés sur son compte Instagram.

Les autres jours de la semaine se passent bien, elle va à l’école sans problème. Elle a bien travaillé pendant les vacances, car elle ne veut pas subir un PIA (plan individuel d’apprentissage) ou une obligation de remédiation. Elle dit qu’elle est capable d’améliorer ses notes toute seule et je sais qu’elle a raison. Elle a très bien réussi sa première année de secondaire. Elle a eu 100 % dans trois matières à son premier bulletin. J’ai promis aux enfants que celui qui aura le meilleur bulletin recevra mon Iphone, et c’est Maeva qui l’a eu. Mais comme elle est très gentille, elle l’a échangé avec le téléphone de sa sœur, car le nouvel appareil est trop grand pour le mettre dans la poche arrière de ses pantalons.

Elle est contente, car elle n’arrête pas de parler de l’anniversaire d’Olga, une amie depuis les primaires qui est dans la même école qu’elle, prévu pour vendredi soir. Mais l’anniversaire n’aura pas lieu. Elle est très déçue, car elle voudrait passer du temps avec son nouveau groupe d’amies. Je lui dis que nous allons passer un week-end sympa, qu’elle ne doit pas prendre trop à cœur les histoires de copines. Plus tard, je comprendrai pourquoi il était si important pour elle d’avoir un nouveau groupe de potes.

Vendredi 10 janvier Mon contrôle médical annuel

Le jour que j’attends chaque année avec anxiété est arrivé: celui de ma mammographie. Mais tout est parfait. Je remercie Dieu de m’offrir une année de plus pour voir grandir mes enfants et continuer à faire de mon mieux avec mon mari. Nous avons décidé de faire la fête en famille comme chaque vendredi, avec un divertissement ou un film à la télé.

Samedi 11 et dimanche 12 janvier Soldes à Bruxelles et cinéma

Le week-end, on va faire les soldes à Bruxelles, comme promis à Maeva. Elle se fait plaisir et achète de beaux vêtements Guess; sa sœur, des vêtements et des baskets Nike Air. Maeva veut absolument un beau sac pour y mettre son portefeuille Guess, avec une trousse pour ses crayons et ses stylos. Je veux leur faire plaisir, car elles ont attendu jusqu’à ce jour pour s’acheter leurs cadeaux de Noël et parce que je veux que mes filles soient heureuses. En général, je n’achète jamais de vêtements de marque ou de sacs si chers.

Le dimanche après-midi, nous allons tous au cinéma, comme au bon vieux temps: Star Wars pour les garçons et La Reine des neiges II pour les filles. De retour à la maison, nous transférons ensemble tout le matériel scolaire de Maeva dans son nouveau sac dont elle est si contente. Je reprends les GSM des enfants vers 21 heures, excepté celui de Maeva, car je ne veux pas gâcher l’atmosphère du week-end. Grosse erreur: si elle n’avait pas reçu ou envoyé un texto, vu une story sur Instagram ou passé un appel avec une ultime dispute, peut-être qu’elle serait encore là. Quelque chose l’a fait craquer, perdre la tête et prendre la triste et irrémédiable décision qui n’a pas seulement mis fin à sa vie, mais aussi à une partie de la mienne, de celle de son père, de ses frères et sœur, de nos familles et de toutes les personnes qui l’aimaient.

Lundi 13 janvier Son départ

Quand on perd un mari, on devient veuve. Quand on perd un parent, on devient orphelin. Quand on perd un enfant, on est désenfanté. Rien que de prononcer ce mot me fait mal au cœur, car ce n’est pas naturel, ce n’est pas dans l’ordre des choses… Pourtant, cela arrive. La différence avec les autres pertes, c’est que celle d’un enfant est beaucoup plus douloureuse, plus encore quand il s’agit d’un suicide.

Le matin du 13 janvier, je me lève une demi-heure plus tôt que d’habitude pour préparer des petits pains au four pour le petit-déjeuner favori de mes cinq amours, et en descendant les escaliers du premier étage pour aller vers la cuisine, je découvre le corps de ma fille pendu à la mezzanine… Mon premier réflexe est de prendre ses jambes déjà froides et dures entre mes bras et de crier son prénom de toutes mes forces, avec la douleur la plus intense que je ressentirai jamais, comme si on me plantait un couteau directement dans le cœur. Mon mari et mes trois autres enfants sortent de leurs chambres et, n’en croyant pas leurs yeux, commencent à pleurer et à crier. Ils appellent le 112 pour les secours. Je ne sais pas combien du temps cela prend pour arriver à défaire les nœuds pour la coucher et essayer de la sauver. Je n’ai plus la notion du temps. Je suis sidérée et sous le choc et chaque seconde qui passe me semble insoutenable. Mon mari suit toutes les indications qu’on lui donne par téléphone jusqu’à l’arrivée des secours et de la police. Mais c’est déjà beaucoup trop tard. Pendant que les policiers et les ambulanciers me regardent avec une immense pitié et que quelques-uns d’entre eux me posent des questions, je suis complètement perdue, sidérée, anéantie, comme une spectatrice regarderait de loin une scène de cauchemar, la pire des choses qui puisse arriver à une maman, à un papa, aux frères et sœurs. Tous essayent de faire quelque chose, comme si un miracle pouvait se produire. Petit à petit, je me rends compte que ce qui nous arrive est atrocement réel.

Il n’y a pas de mots, disent les condoléances et oui, c’est vrai… il n’y a pas de mots pour nous consoler ni pour décrire la douleur qui déchire chaque jour mon cœur de mère. Il n’y a pas de mots pour décrire ma tristesse ni la douleur de voir mon mari souffrir et pleurer tous les jours depuis qu’elle est partie, lui pour qui les enfants sont sa seule priorité. C’est terrible de voir mes trois enfants pleins de tristesse essayer de reprendre le chemin de l’école et les jumeaux devoir retourner à l’école même où leur sœur souffrait en silence, ainsi qu’ils le savent aujourd’hui. J’ai mal pour mon plus jeune qui doit aller à l’école primaire où il a vu sa grande sœur Maevita jouer dans la cour de récré et à la garderie les matins et les après-midi, où elle aimait faire jouer les petits en attendant qu’on revienne du travail pour les chercher. Ils étaient presque toujours les premiers à arriver et les derniers à partir, mais ils s’amusaient, ils n’étaient pas seuls, ils étaient les quatre Barbé, toujours ensemble et soudés. Les surveillantes aimaient bien mes quatre petits.

Ce 13 janvier, beaucoup de gens viennent nous voir et nous consoler. D’abord mon médecin traitant, mes voisins, ma belle-sœur, qui est aussi la marraine de Maeva, la marraine de mon fils et son mari, le frère de mon mari et sa femme, le meilleur ami de mon mari, le directeur de l’école de Maeva, le professeur titulaire de mon autre fille et ses quatre meilleures copines, ma meilleure amie mexicaine, Xenia, la meilleure amie de primaire de Maeva et sa maman, Olga et sa maman, et plusieurs mamans des amis de mes quatre enfants, la directrice de l’école de Dion. Tous sont sous le choc et, même si leurs paroles me sont incompréhensibles, leurs larmes me font comprendre à quel point tous sont tristes et touchés.

Ma belle-mère et son compagnon sont à Tenerife et ils rentrent immédiatement en Belgique. Ma sœur et mes parents, qui habitent à Los Angeles, prennent le premier vol.

Le même jour, mes frères et sœurs, ma famille en Bolivie et tous mes amis apprennent la triste nouvelle, et je reçois des messages sans discontinuer. Je ne pourrai lire tous ces textos que plus tard: je ne suis même pas capable de parler avec mes frères et ma grande sœur qui m’appellent. Mon médecin traitant me prescrit des médicaments, alors je finis par arriver à parler avec eux. Plus exactement, nous pleurons ensemble. Ils ne savent pas quoi dire, et moi encore moins.

Mardi 14 janvier L’exposition du corps au funérarium: premier jour

Mon mari, ma belle-mère et moi nous rendons au funérarium pour définir les procédures de l’enterrement. Je ne sais même pas comment arrivons à choisir le cercueil, la couleur, le matériel, décider qu’elle va être incinérée, choisir le crématorium, se procurer une urne, organiser la cérémonie à l’église, l’hommage après la messe, la crémation et finalement le dépôt de l’urne dans la tombe. Jamais je n’aurais imaginé devoir coordonner tout cela. J’imaginais un jour organiser la fête de ses 15 ans comme le veut la tradition dans mon pays, ou le sweet sixteen comme aux États-Unis, sa fête de fin d’études, son mariage, mais jamais organiser les funérailles de l’un de mes enfants, surtout pas à un si jeune âge, et encore moins dans de telles circonstances. Heureusement, mon voisin, ma belle-mère, ma belle-sœur et une cousine très proche s’occuperont de l’organisation de l’hommage, du contact avec le prêtre et mes copines du catéchisme du déroulement de la messe.

Pour la carte de souvenir, nous choisissons une belle photo, celle qui est en couverture du livre, accompagnée d’un texte magnifique que le responsable du funérarium nous a proposé:

« Ce que j’étais pour vous, je le suis toujours.

Donnez-moi le nom que vous m’avez toujours donné.

Parlez-moi comme vous l’avez toujours fait.

N’employez pas un ton différent.

Continuez à rire de ce qui nous faisait rire ensemble.

Que mon nom soit prononcé à la maison, comme il l’a toujours été.

Si vous me cherchez, vous me trouverez dans les étoiles. »

Mercredi 15 janvier Deuxième jour

Quand j’arrive au funérarium, je suis très touchée de voir toutes les surveillantes de l’école maternelle et primaire de ma fille. Même celles qui ne travaillent plus sont là pour la voir une dernière fois. Elles sont toutes en pleurs et n’en croient pas leurs yeux, alors qu’elles ont l’image de la fille rigolote et gentille qui s’amusait et amusait les autres depuis qu’elle était toute petite.

Quelques collègues se sont déplacés aussi pour m’aider et me présenter leurs condoléances en personne. J’en suis très surprise et touchée. Il y a beaucoup de très beaux bouquets de fleurs, des couronnes, des cartes, et ma fille entre toutes ces fleurs a l’air de dormir. J’aimerais tant que ce ne soit qu’un mauvais rêve et qu’elle se réveille!

Beaucoup de mamans viennent accompagnées de leurs enfants, copines et copains, amis de Maeva et de mes autres enfants. Je rencontre également les amis de son école secondaire. Je n’en connais que trois ou quatre. Je suis étonnée de les voir aussi nombreux. Je me rends compte à quel point elle était populaire et appréciée. Je vois toutes ces filles en pleurs, quelques garçons aussi, et d’autres qui semblent être touchés. Je dis « semblent », parce que, plus tard, j’apprendrai quel a été leur comportement envers ma fille, et même là, au funérarium, certains osent encore lui manquer de respect, me rapporteront quelques témoins.

Parmi les mamans, il y a celle de Clovis, dont j’ignorais jusqu’à l’existence. Elle est vraiment émue et me dit: « Je suis désolée que leur histoire ait pris autant d’ampleur. » À ce moment, je ne comprends évidemment pas du tout de quoi elle parle.

Jeudi 16 janvier Troisième jour

Il m’est insupportable de savoir aujourd’hui qu’elle a souffert en silence de harcèlement pendant des mois, qu’elle a subi les insultes de la part de certains garçons de sa classe et surtout de la part de Clovis, le garçon qui comptait tant pour elle. Le plus grave, c’est que Nejma, son « ex-meilleure copine », me dit que c’était juste pour rigoler, sans méchanceté, que pour elles, se faire insulter par certains garçons était normal, qu’il ne fallait pas le prendre au sérieux. Et elle rajoute qu’heureusement, tous les garçons de l’école ne sont pas comme cela. Je ne comprends pas comment ces filles en sont arrivées à minimiser et à banaliser aussi facilement ce que Maeva endurait. En plus, elle était le souffre-douleur d’une professeure et était rabaissée par d’autres. Les punitions de nettoyage qu’elle recevait pour quelques retards la rendaient triste, car certains de ses camarades en profitaient pour se moquer d’elle davantage encore. Selon ses amies, elle avait droit à d’horribles insultes, dans la cour de récréation et dans sa classe. Elle gardait tout pour elle, certaines de ses amies proches n’étaient pas au courant de ce qu’elle subissait, comme les insultes et les moqueries liées à son physique par son propre groupe d’amis. C’est seulement quand j’apprendrai cela que je comprendrai la raison pour laquelle elle me parlait parfois de faire l’école à distance, comme l’une de ses copines.

Tout nous semble si injuste pour l’enfant qui n’a pas encore vécu sa vie avec ses hauts et ses bas, ses bonheurs, ses malheurs, ses réussites, ses échecs… Pour personne, la vie n’est parfaite ni une rivière tranquille, même si tout ou presque veut le faire croire, surtout sur les réseaux sociaux et dans la presse people… Mais malgré tous les aléas, ça vaut la peine de vivre…

Perdre un enfant, c’est perdre une partie de son cœur: le cœur d’une mère est divisé en parties égales entre ses enfants. L’amour d’une mère l’amène à diriger son attention vers chacun de ses enfants en fonction des circonstances, des besoins, des problèmes et des faiblesses.

Moi, j’ai vécu près de cinquante ans déjà, j’ai connu la joie du premier baiser, de faire l’amour pour la première fois, la tristesse d’une déception amoureuse, la beauté d’une réconciliation, l’adrénaline des aventures, l’amitié, les fêtes, les célébrations de fin d’études, les voyages de l’époque universitaire, la joie d’obtenir mon diplôme, de voir arriver mes nièces, mes neveux, la réalisation professionnelle, la rencontre avec l’homme de ma vie, la bénédiction de donner naissance à quatre beaux enfants en bonne santé et, un jour peut-être, d’avoir des petits-enfants… Maeva n’aura pas cette chance… et c’est cela qui me rend la plus triste dans sa disparition. J’essaye de me consoler en me disant que si sa mission dans cette vie a été courte, elle a consisté à apporter une lumière, un rayon de bonheur à toutes les personnes qui ont eu la chance de la croiser durant les treize intenses années de son existence.

Il est très douloureux pour un parent de ne pas pouvoir protéger ses enfants du harcèlement, que ce soit à l’école ou ailleurs, car malheureusement, il sévit partout… Les enfants et les ados sont si fragiles, si vulnérables, et il n’est pas toujours facile de deviner ce qui ne va pas ou de réussir à ce qu’ils fassent confiance aux personnes adéquates. Les jeunes ont plus confiance en leurs amis qu’en leur famille. Et pourtant, seule la famille est vraiment là pour eux, quelles que soient les circonstances. Les amis sont rarement là pour toute la vie.

Vendredi 17 janvier La cérémonie d’adieu

Après ces quatre jours les plus difficiles de mon existence, celui de la cérémonie est arrivé. Nous sommes tous encore en état de choc, et heureusement, nos familles, nos voisins, mes amies du catéchisme et deux autres amies qui chantent dans une chorale nous ont aidés à préparer une très belle cérémonie pour dire adieu à Maeva.

J’ai voulu préparer un texte pour dire au revoir à ma fille. Je ne sais pas si je vais avoir la force de le lire, mais quand je vois tant de gens de tous les âges, enfants, adolescents, adultes, amis, collègues, professeurs, surveillants, famille, cela me donne le courage nécessaire.

Voici le texte que j’ai rédigé pour rendre un dernier hommage à ma fille adorée:

« Il y a treize ans, nous avons reçu de Dieu notre troisième plus belle surprise, Maeva. À peine un an après nos jumeaux d’amour et avant notre petit dernier, deux ans plus tard. Elle s’appelle Maeva, ce qui veut dire “Bienvenue”. Cette belle surprise a rempli nos vies d’amour, de bonheur, avec son beau sourire, sa joie de vivre, sa bonne humeur sans limites, ses petites sottises, sa belle voix. Cela fait quinze ans que j’ai fait de mon mieux mon métier de mère pour rendre mes quatre enfants les plus heureux possibles.

Malheureusement, je n’ai pas pu protéger Maeva de tout ce qui l’affectait dans sa vie extérieure à la famille, dans son jardin secret, dans son monde à elle, auquel nous, les parents, nous ne sommes pas admis la plupart du temps… Mais aujourd’hui, malgré mon immense chagrin, ma tristesse, ma souffrance de mère, ma douleur et le vide qu’elle laisse dans nos vies et nos cœurs, je remercie Dieu pour ces 13 années de bonheur avec ma Maeva et je prie pour qu’Il la prenne dans ses bras. »

C’est en rédigeant ce texte que j’ai eu envie d’écrire pour soulager ma peine. Je me suis demandé pourquoi je ne raconterais pas ce que j’étais en train de vivre en évoquant Maeva pour lui rendre hommage, pour que tous la connaissent mieux et comprennent l’impact qu’elle a eu sur les personnes qui ont eu la chance de la rencontrer.

Ma sœur, qui est présente, a aussi rédigé un très beau texte avec l’aide de mes autres frères et sœurs, restés en Bolivie.

« Notre petite Maeva,

Nous ne t’avons pas perdue, tu es juste partie avec trop d’avance et nous allons essayer de penser à toi sans larmes de désespoir.

Nous ne t’avons pas perdue. Même si ton corps n’est plus avec nous, ta présence se fera toujours ressentir.

Tu seras les silences partagés, tu seras la brise qui embrassera nos visages, tu seras la douce mémoire qui persiste, tu seras la plus belle page de notre histoire. Nous attendrons avec anxiété le train que tu t’es dépêchée de prendre sans nous dire adieu.

Si tu le souhaites, nous n’allons pas pleurer pour ton absence. Nous imaginerons ton voyage rapide, vers les bras ouverts de Dieu qui t’attend avec tendresse comme pour tous les petits anges qui nous quittent beaucoup trop tôt. Dans nos rêves, nous allons recevoir tes bisous qui nous manquent tellement, que tu aimais donner sans limites, et dont nous avons besoin. On t’aime et à bientôt. »

Xenia, son amie, a aussi rédigé un très beau texte:

« Maeva, mon amie de cœur

Tu me manques

Je ne sais pas où te chercher

Je ne sais plus te voir

Je ne sais plus te toucher

Je ne sais plus t’attendre chez moi pour passer l’après-midi avec toi

Je ne sais plus sourire en allant chez toi pour te voir rire et faire tes poiriers de malade

Je ne sais que faire pour combler le vide que tu me laisses

Un vide aussi grand que le temps qui passe et qui nous empêche de revenir en arrière

Pour mieux veiller sur toi

Pour mieux t’écouter

Pour mieux t’aimer. »

Et Olga:

« À l’heure où je te lis cette lettre, tu ne fais plus partie de ce monde.

Pourquoi? Je ne le sais pas mais je veux te faire part de ces petits mots pour te prouver à quel point je t’aime.

Quand je t’ai vue pour la première fois, une petite Espagnole toute mignonne, j’ai tout de suite su que je t’aimerais et cela pour toujours.

Tellement d’années se sont écoulées entre notre première rencontre et maintenant, tellement de fous rires, de délires et encore plein d’autres choses que je n’oublierai jamais.

Je ne sais pas la raison de ton choix mais, là d’où tu nous vois, tu te sens sûrement mieux, mais n’oublie pas que dans ce monde énormément de personnes t’aiment.

Tous tes petits câlins, ton sourire, tes bêtises, tout ce qui fait de toi une personne en or me manquera. Et tout ça va me faire avancer, grâce à toi, j’ai pu sourire, profiter de la vie et savoir ce que c’est d’avoir une vraie amie.

Je repense aux matins où tu courais vers moi et me sautais dessus, tes sucettes à 50 cents de la boulangerie ou avec tes chats, en vrai on les victimisait xoxo.

Tu es une personne souriante, attachante, tellement parfaite, un vrai petit rayon du soleil, tu ne méritais pas cela.

J’ai encore plein de choses à te dire, déjà tu es trop belle mais je crois que tu le savais déjà.

Je veux juste que tu n’oublies pas que je t’aime plus que tout au monde. Bisous. »

Au crématorium, mon papa fait aussi un petit discours en espagnol, que je dois traduire malgré la difficulté pour moi à ce moment. Je ne me souviens plus de tout ce qu’il a dit, mais j’ai retenu cette phrase:

« Si Dieu pouvait réaliser un de mes souhaits, je demanderais de prendre la place de Maeva, parce que j’ai 83 ans et elle n’a que 13 ans. J’ai déjà assez vécu, elle n’a fait que commencer à vivre. »

Finalement, le dernier rite funéraire se passe au cimetière, la mise en terre de l’urne dans la tombe en fin d’après-midi. Il y a seulement la famille très proche et mes meilleures amies, « les mamans ». Nous avons tous des bougies allumées, attendant qu’on nous remette l’urne du crématorium. Quand l’employé du funérarium me demande si je veux poser l’urne, sans réfléchir, je lui dis oui. Je me dis: je l’ai mise au monde, je veux être la dernière à la porter et déposer l’urne contenant ses cendres dans cette tombe. Quand il me donne l’urne, elle est encore chaude, même un peu brûlante, mais cela ne me fait pas mal. Je veux la sentir encore dans mes bras une dernière fois. Pour moi, c’est ma façon de lui dire adieu et me permet de savoir où elle est maintenant, symboliquement, car je sais que son âme est au Ciel. Quand la tombe est ouverte, je dépose l’urne et il règne un silence spécial, c’est très calme. Je ne me rappelle plus tous les détails. J’imagine que tous ceux qui sont encore là prient ou disent adieu à Maeva à leur façon et en silence. Tous ces rituels sont importants pour moi et pour nos familles. Ils nous permettent de voir à quel point elle était aimée et appréciée. Malgré la difficulté et l’émotion, c’est aussi une preuve d’amour, d’empathie et de solidarité envers nous, sa famille. Personne n’est obligé de s’infliger cette peine, de verser des larmes, de se sentir si triste et fragile en même temps. Mais la seule idée que cela pourrait leur arriver, ou à un de leurs proches, est une épreuve qui leur montre à quel point la vie peut basculer d’un jour à l’autre.

Lundi 26 juin 2006 Retour vers le passé: l’arrivée de Maeva

Quand j’ai appris que j’étais enceinte, six mois après la naissance des jumeaux, j’ai été surprise, mais super heureuse parce que je rêvais d’avoir plusieurs enfants. J’ai la chance d’avoir trois frères et deux sœurs. Je voulais donc aussi avoir une famille nombreuse et heureuse. Pour moi, un frère ou une sœur, c’est le plus beau cadeau qu’on puisse donner à un enfant. Porter Maeva pendant neuf mois, avec mes jumeaux qui n’avaient qu’un an, avec tous les symptômes de la grossesse, les inquiétudes, les soucis par rapport à sa santé, la joie des échographies, les préparatifs et la décoration de sa chambre ne me faisait pas peur. Au contraire, j’étais fière. Parce que, pour moi, toute femme enceinte est belle, radieuse, le bonheur de donner la vie irradie d’elle. Elle rêve déjà de la belle vie qu’elle va essayer de donner à ce petit être pour lequel elle sera capable de se sacrifier… mais jamais elle ne pense qu’un jour, elle devra enterrer son bébé, car à tout âge, nos enfants restent nos bébés…

J’étais particulièrement heureuse parce qu’en 2002, j’avais fait une fausse couche. Un an après notre mariage, j’étais tombée enceinte et, évidemment, j’avais annoncé la bonne nouvelle à toute la famille et à tous nos amis. Mais la grossesse n’avait duré que deux mois. À la première échographie, nous n’avions même pas pu entendre le cœur battre. Nous étions alors occupés à rénover notre petit appartement et la chambre du bébé était encore en projet. Ça a été très difficile pour nous, jusqu’au jour où nos jumeaux sont arrivés. Je craignais tellement de ne plus pouvoir tomber enceinte, de faire d’autres fausses couches! Quand Maeva puis Paolo sont arrivés, nous avons été si heureux d’avoir deux filles et deux garçons. Il m’arrive de penser à mon premier bébé: j’étais persuadée que ce serait une fille, mais nous n’avons même pas eu le temps de réfléchir à son prénom. J’imagine souvent qu’elle serait déjà à l’université… C’est en lisant des ouvrages sur le deuil que j’ai appris l’existence du deuil périnatal. C’est le travail que doivent faire les parents qui perdent un enfant avant, immédiatement après ou dans les semaines qui suivent la naissance. Cette perte est difficile à vivre pour les parents, pour les grands-parents, pour les frères et sœurs, car il est difficile de matérialiser l’existence de l’enfant et de suivre le chemin du deuil pour finalement accepter la séparation d’avec l’enfant. C’est comme s’il n’avait pas réellement vécu. Les familles sont nombreuses à vivre ce drame, qui marque leur vie pour toujours. Selon le docteur Maryse Dumoulin, « la mort d’un tout petit n’est pas une petite mort ».

Décembre 2012 J’ai un cancer du sein

Un vendredi de décembre 2012, juste avant Noël, à l’âge de 42 ans, les médecins m’ont diagnostiqué un cancer du sein de type hormonal qui, en première phase, n’était heureusement pas très avancé. Le traitement allait donc être « facile ». À l’époque, je croyais que c’était la pire des nouvelles que l’on pouvait recevoir. Ça tombe comme une douche froide, alors que tout va bien dans la vie. Quand j’ai annoncé la nouvelle à mon mari par téléphone, il est rentré directement à la maison et on a pleuré ensemble jusqu’à l’heure d’aller chercher nos quatre petits. Maintenant, je sais que perdre un enfant est de loin la plus dure épreuve qu’une maman peut endurer. Et quelle qu’en soit la raison, le suicide est la plus difficile à accepter. Je ne me déferai jamais de ce sentiment de culpabilité. Une maman est censée savoir quand un de ses enfants ne va pas bien. Moi, je n’ai rien vu, je n’ai rien senti de si grave chez Maeva, et cela restera mon plus grand regret.

À l’annonce de ce cancer, les jumeaux avaient à peine 7 ans, Maeva 6 et le petit dernier 4. J’ai cru que mon monde s’écroulait et que mes enfants allaient perdre leur mère.

La cancérologue m’a donné rendez-vous pour une consultation le 24 décembre à 17 heures et on a fixé la date de l’opération au 12 janvier. En attendant, nous avons fêté Noël et le Nouvel An sans rien dire à personne pour ne pas gâcher les fêtes.

La cancérologue et ma gynécologue m’ont recommandé d’éviter de parler de ma maladie à mon entourage, hormis la famille très proche, pour protéger mes enfants, très jeunes alors, et me protéger moi-même. On voulait aussi éviter que les enfants l’apprennent par d’autres personnes et qu’ils aient peur, parce que le mot « cancer » fait immédiatement penser à la mort. Nous étions conscients d’avoir une épée de Damoclès au-dessus de nous, mais il fallait s’en accommoder et vivre avec.

Heureusement, le traitement, après l’opération, n’a consisté qu’en quelques séances de radiothérapie et j’ai ensuite rapidement pu reprendre le travail. Je voulais tourner la page le plus vite possible. Un traitement hormonal préventif permettait de diminuer le risque que les hormones provoquent une récidive au cours des cinq années suivantes. Chaque jour au réveil, avant de commencer ma journée, je devais prendre une pilule et quelques compléments, genre fer et vitamine D. C’était devenu un geste automatique et je me disais que j’avais la chance de pouvoir bénéficier de ce traitement.

Évidemment, il fallait aussi prendre quelques autres mesures préventives, comme un régime alimentaire un peu contrôlé, pratiquer un sport au moins trois heures par semaine, ne pas boire d’alcool, ne pas fumer, essayer de ne pas trop stresser – facile à dire quand on a quatre enfants et un travail à temps plein –, mais j’étais heureuse d’être en mesure de le faire après avoir vaincu le cancer. Je prie tous les jours pour que ma mammographie annuelle et mon frottis du col de l’utérus soient normaux, car le cancer du sein a souvent un lien avec celui de l’utérus.

Durant cette période, j’ai eu la chance d’avoir ma maman adorée auprès de moi, qui m’a soutenue pendant tout le traitement, ce qui nous a rapprochées, une fois de plus. Je me sentais gâtée d’avoir toute son attention et son amour. Elle était déjà venue m’aider pour les naissances et les vacances d’été. Cette fois, ce n’était que pour moi. Je prenais cela comme une bénédiction: pouvoir avoir ma maman avec moi était au moins une chose positive avec cette maladie.

J’ai gardé le secret vis-à-vis de mes enfants jusqu’en 2019, parce que j’estimais qu’ils avaient atteint l’âge pour pouvoir comprendre et surtout ne pas avoir peur de me perdre à cause de cette maladie dont tant de personnes refusent même de parler. Je voulais qu’ils comprennent que ce n’était pas forcément quelque chose de grave. C’était le moment: je devais subir une hystérectomie et un nettoyage du col de l’utérus car je souffrais d’endométriose. Je craignais l’anesthésie générale, mais je savais que l’intervention limiterait aussi les risques de récidive.

Heureusement, tout s’est bien passé et, depuis lors, je dois juste faire une mammographie et un test de Papanicolaou chaque année.

Dimanche 19 janvier 2020 Première messe en compagnie de mes parents

Ce dimanche d’hiver, mon cœur m’appelle à aller à l’église, à écouter la messe. J’ai du mal à soutenir mon attention, car je n’ai qu’une seule chose en tête: le souvenir de la cérémonie d’enterrement, si belle et émouvante. Je vais ensuite rendre visite à ma fille bien-aimée, encore entourée des superbes bouquets de fleurs.

Tout le monde me dit: « Courage, vous avez encore trois jeunes enfants, un super mari, une belle famille pour laquelle il faut se battre. » Le chemin sera long et très difficile, je le sais et je n’ai pas le choix. Notre vie continue à six: Maeva reste dans nos cœurs. Elle aurait voulu que nous poursuivions nos projets et soyons heureux comme quand elle était avec nous…

La police fait son enquête sans nous donner de nouvelles. Même quand ils convoquent nos enfants pour les interroger, nous ne sommes pas prévenus. J’envoie par e-mail toutes les informations que les copines et les copains de Maeva me font parvenir, messages écrits et audio.

Nous avons appris tellement de choses à propos de Maeva, des souffrances qu’elle endurait en silence, des messages et des échanges sur les réseaux sociaux qui la blessaient alors que c’était pour elle une façon de se connecter et de partager son amitié, pas la jalousie, pas les moqueries, pas les insultes ni les propos racistes. Comment des enfants, des jeunes adolescents et même des adultes peuvent-ils être aussi méchants? Si ses vrais amis me réconfortent et m’aident à comprendre ce que Maeva a enduré, d’autres jeunes et leurs parents vont jusqu’à me menacer quand je pose des questions.

Depuis mon cancer, plus encore qu’avant, j’ai fait de mes enfants ma priorité, avec beaucoup plus d’investissement à tous les niveaux, à celui de l’école avant tout. Je les accompagne partout, à leurs entraînements, à leurs matchs de foot pour les garçons, à la gymnastique artistique pour Maeva, à la danse pour les deux filles, à la natation synchronisée pour Maïlys. J’adore les amener chez les scouts, où ils apprennent tant de choses et où ils s’amusent, surtout. Nous avons commencé à suivre des cours de musique ensemble, tous les cinq, avec Frédéric Burniaux, un formidable professeur de musique, et on faisait chaque année un petit concert auquel mes enfants aimaient beaucoup participer. Ils formaient un « band » à eux quatre, avec Maeva au chant, car elle avait une superbe voix et chantait très juste. Sa sœur aimait aussi chanter, et elles faisaient parfois des chansons à deux voix. En sixième primaire, Maeva a arrêté la musique. Elle avait du talent, pourtant, et la voix pour devenir une bonne chanteuse. Elle aimait chanter à la maison quand on faisait du karaoké, pour s’amuser ou pour les anniversaires. Puis, en première secondaire, elle a voulu arrêter toutes ses activités, ce qui m’a fait de la peine, car elle était douée. Son entraîneur de gymnastique disait qu’elle aurait même pu faire de la compétition. Pendant cette même année, Maeva m’a demandé de pouvoir recommencer la gymnastique dans un autre club, avec ses amies de l’école primaire, ainsi que les scouts, avec ses amies de l’école secondaire. Plus tard, je comptais l’inscrire dans une agence de mannequins qui m’avait contactée après avoir vu ses photos sur le site du photographe Olivier Charlet.

Lundi 27 janvier Retour des enfants à l’école

Il est très difficile pour les enfants de retourner à l’école, où ils ont tellement de souvenirs avec leur sœur. Pour les jumeaux, c’est pire encore: côtoyer ceux qui ont fait du mal à leur sœur, les voir faire comme si de rien n’était, sans montrer un minimum de culpabilité ou de remords…

Mes enfants sont évidemment très en colère contre ceux qui ont fait souffrir leur sœur, mais sont aussi très courageux et continuent à étudier, malgré toutes les difficultés. Nous sommes très fiers d’eux et les encourageons à continuer, leur disant que Maeva aurait voulu qu’ils se sentent bien et qu’ils arrivent à surmonter cette épreuve.

Heureusement, ils peuvent participer au voyage scolaire à Londres et tout se passe très bien. Ils ont de la chance avec leurs familles d’accueil et de pouvoir rester avec leurs amis. Les professeurs sont très sympas. La professeure d’anglais de mon fils, qui comprend mes inquiétudes de devoir m’éloigner d’eux durant cette période très difficile, me rassure pendant tout le voyage avec des textos en me racontant ce qu’ils font, en confirmant qu’ils vont bien et qu’ils s’amusent.

Mon benjamin ne pourra pas aller en classe de neige, mais il n’est pas vraiment déçu et cela me rassure. Je préfère aussi qu’il reste avec nous. Il a besoin de nous plus que jamais et je suis contente de l’avoir avec nous. Il aura toute la vie pour faire du ski…

Mardi 28 janvier Les vrais et les faux amis

Il y a une phrase qui dit que les vrais amis sont toujours là, dans les bons comme dans les mauvais moments, alors que les faux sont là seulement quand tout va bien. Quand on est dans la détresse, ils sont les premiers à nous tourner le dos et, pire encore, à nous enfoncer et à aggraver notre douleur par leur égoïsme.