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Plongez au coeur d'une aventure captivante et empreinte de mystère avec "Marlavant, le Coeur de la Forêt, Tome 1". Dans ce roman palpitant, suivez le destin de Maxime, un adolescent tourmenté par le harcèlement scolaire, alors qu'il se lance courageusement dans une quête désespérée pour retrouver des lycéens disparus. Maxime s'aventure dans une enquête qui le mènera jusqu'aux confins de la majestueuse forêt de Fontainebleau. C'est là que se dévoile un arbre fantastique, renfermant un passage secret vers un monde énigmatique. Au fur et à mesure que Maxime explore ce territoire mystérieux, il découvre que les disparitions sont étroitement liées à son passé familial obscur. Lorsqu'une de ses amie disparaît à son tour, les enjeux se font plus intenses, poussant Maxime à s'aventurer plus loin dans Marlavant, un univers à la fois extraordinaire et terrifiant. Il devra affronter des drenes et des veneurs de l'ombre, et percer les secrets enfouis depuis des générations, pour comprendre la vérité sur son histoire familiale. Entre révélations poignantes et rencontres étonnantes,"Marlavant, le Coeur de la Forêt, Tome 1" vous transporte dans un monde féérique où l'aventure est à chaque page. Suivez Maxime dans sa quête héroïque, vibrez au rythme de l'intrigue captivante et laissez-vous envoûter par les mystères qui se cachent derrière l'arbre. Ce premier tome d'une saga palpitante vous tiendra en haleine jusqu'à la dernière page, vous faisant passer par une gamme d'émotions intenses. Préparez-vous à plonger dans l'imaginaire riche de "Marlavant, le Coeur de la Forêt, Tome 1"une lecture inoubliable qui ouvre les portes d'un univers où l'aventure et le suspense vous attendent à chaque tournant. Entrez dans Marlavant et laissez-vous emporter par cette histoire fascinante qui fera battre votre coeur au rythme des mystères de la forêt.
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Seitenzahl: 469
Veröffentlichungsjahr: 2023
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« J'ai combattu le bon combat, j'ai terminé la course, j'ai gardé la foi. »2 Timothée 4:7
Une pensée particulière pour mon papa. Et un grand merci à toute ma famille.
CHAPITRE 1 | L’enterrement
CHAPITRE 2 | L’embuscade
CHAPITRE 3 | L’Alpine
CHAPITRE 4 | Le Carnet
CHAPITRE 5 | Une prémonition ?
CHAPITRE 6 | L’aigle
CHAPITRE 7 | La soirée
CHAPITRE 8 | La vérité
CHAPITRE 9 | Le cœur de la forêt
CHAPITRE 10 | Marlavant
CHAPITRE 11 | La forêt obscure
CHAPITRE 12 | Agora
CHAPITRE 13 | Le pendenrevel
CHAPITRE 14 | Le bar à livres
CHAPITRE 15 | Le foguner
CHAPITRE 16 | Une fausse piste
CHAPITRE 17 | Les souvenirs
CHAPITRE 18 | Le bon coupable
CHAPITRE 19 | La mise à prix
CHAPITRE 20 | Les alliés
CHAPITRE 21 | Sur le chemin de la libération
CHAPITRE 22 | La clairière de Glace
CHAPITRE 23 | Sur la route
CHAPITRE 24 | La taverne de l’ours
CHAPITRE 25 | Alumombre
CHAPITRE 26 | Le sacrifice
CHAPITRE 27 | La récompense
CHAPITRE 28 | Le retour à la maison
Assis sur le rebord de mon lit, le regard plongé dans le vide, je boutonnais ma chemise blanche et je réfléchissais à la vie, ou plutôt à la mort. Pourquoi sommes-nous toujours surpris lorsqu’elle survient et nous touche de près ? Je n’avais pas vraiment de réponse à cette question, mais j’avais toujours espéré que mon grand-père mourrait avant ma grand-mère. Une pensée bien glauque, mais je mets au défi quiconque voudrait vivre avec cet être si austère et froid.
Henri Roux n’était pas le genre de grand-père qui vous prenait dans les bras lorsque votre moral était au plus bas. Il n’aimait pas vraiment s’occuper de mes affaires, en fait je crois qu’il se fichait complètement de ma vie. Maintenant que mamie Ada n’est plus là, je ne sais pas sur qui m’appuyer. Et surtout, j’ai perdu tout espoir d’en savoir davantage sur mes parents. Je poussai un léger cri et tapai sur le rebord du lit. Mamie Ada était sur le point de tout me révéler avant de tomber dans le coma. Je frappai de nouveau le lit et une profonde colère monta en moi. Elle s’était finalement terrée dans le silence en voyant mon grand-père entrer dans la chambre. Il détestait aborder le sujet de mes parents ; pour qu’il ne s’emporte pas, grand-mère évitait d’en parler. Je crois que j’en voulais aussi à mamie Ada, mais il n’était pas convenable d’avoir ce sentiment envers elle, surtout aujourd’hui.
J’ai longtemps rêvé d’avoir ce genre de grands-parents qui te montrent des photos souvenirs de tes parents plus jeunes. Les miens préféraient sûrement que je camoufle mes émotions, évitant ainsi d’éprouver leur manque d’empathie.
Au fond, j’espérais que les choses seraient différentes entre mon grand-père et moi. Peut-être qu’il me prendrait dans ses bras pour la première fois, qu’il me consolerait lorsqu’il me serait impossible de sécher mes larmes. Il s’excuserait probablement pour toutes ces années où il n’avait pas prêté attention à moi, en disant : « Maxime, je ne te l’ai jamais dit, mais je t’aime, mon garçon. Nous n’avons ni amis ni famille, mais tu me suffis amplement. Les choses seront différentes maintenant, tu verras que tout se passera bien… ». Je secouai la tête, comme pour balayer tous ces faux espoirs. Mes pensées furent interrompues par les coups que donnait mon grand-père à ma porte. Il me pressait.
Je me levai et allai regarder par la fenêtre, le ciel était gris, mais pas menaçant. J’enfilai ma veste de costume et dévalai les escaliers à toute vitesse. Il avait une fois encore oublié d’éteindre la télévision, mamie Ada ne supportait pas qu’un appareil reste allumé dans la maison en notre absence. Comme pour lui rendre hommage, j’allai chercher la télécommande pour éteindre la télévision qui annonçait les informations. Je m’arrêtai un moment devant celle-ci, une femme rappelait la disparition de Dan Mavinga, cet été dans la forêt de Fontainebleau. J’éteignis la télévision brusquement, je n’aimais pas cette histoire. La veille de la disparition de Dan, j’avais fait un rêve dans lequel je l’avais vu congelé dans une sorte de lac glacé. Il y avait plusieurs visages, dont celui d’un autre jeune de mon lycée, Antoine Planelle. Heureusement, il n’avait pas disparu avec Dan Mavinga.
Je ne m’attardai pas plus ; connaissant mon grand-père, il pourrait s’en aller sans m’attendre, l’heure c’est l’heure ! Je montai dans sa vieille Alpine bleue et en silence, nous nous dirigeâmes vers le cimetière de Fontainebleau qui se trouve tout près de mon lycée. Mon grand-père le remarqua et brisa le précieux silence qui habitait le véhicule.
— Ah, tu vois ! Ta grand-mère sera toujours très proche de toi, lâcha-t-il en désignant mon établissement du doigt.
J’aurais mille fois préféré qu’il se taise ! Son intervention n’avait absolument rien de rassurant. À croire que même la mort de sa propre femme ne l’affectait pas. Je ne lui lançai pas le moindre regard et je restai figé contre la vitre de la portière avant, à regarder le paysage défiler. Lorsque nous arrivâmes au funérarium, une crainte s’empara de moi, j’avais peur de la voir dans un autre état : pâle, froide et sans vie. À cet instant, je réalisai encore un peu plus la disparition de mamie Ada. Mes sanglots ne tenaient qu’à un fil. Je descendis de la voiture et malgré la peine qui envahissait mon cœur, je fus très touché par la présence de mon amie, Lana Reece. Elle était originaire de Brighton, en Angleterre, née d’une mère congolaise et d’un père écossais. Sa famille s'était installée à Fontainebleau il y a deux ans et tenait une crêperie au centre-ville. Lana était l’unique personne à m’avoir adressé la parole lorsque je suis arrivé au lycée François-Ier l’année dernière. Elle aurait pu traîner avec n’importe qui d’autre, mais elle m’avait choisi. Lana Reece m’avait rendu important pour elle. Ce sentiment m’aidait à surmonter mon mal-être au lycée.
Les parents de Lana l’avaient accompagnée. Sur le parking, ils vinrent à notre rencontre et Lana me prit dans ses bras, c’était très agréable. C’était tout ce dont j’avais besoin à ce moment précis. Sa mère me prit également dans ses bras, son père me rassura par quelques paroles compatissantes. Des hommes vêtus de costumes sombres et aux visages blêmes nous invitèrent à entrer dans la chambre funéraire. La pièce était froide, malgré un décor relativement chaleureux fourni de meubles en bois clair et de tableaux de paysages naturels. Je me tins dans un premier temps à distance du corps, puis d’un pas hésitant, j’allai la rejoindre une dernière fois. J’étais tout près de mon grand-père, il rattachait son chignon, il le faisait chaque fois que quelque chose n’allait pas. Peut-être venait-il de réaliser la perte de sa bien-aimée. Peut-être avait-il pris conscience que je serais sa seule famille. Son regard se perdit sur le visage de sa femme.
Je posai également mes yeux sur elle. Ma gorge fut tout à coup très douloureuse et mes yeux se remplirent de larmes. Je levai mon visage en direction d’un lustre magnifique qui pendait au-dessus de nous, comme pour éviter la réalité : voir mamie Ada dans cet état me faisait réaliser qu’elle ne rentrerait plus jamais à la maison. Je ne goûterai plus jamais à sa nourriture exceptionnelle. Je n’aurais plus ses bras pour me consoler, plus personne pour prendre soin de moi. Mes yeux se posèrent de nouveau sur son corps, elle avait l’air tellement sereine, tout le contraire de ses derniers jours. Je me décidai à poser ma main sur les siennes qui étaient jointes, froides et solides. Je jetai un regard à mon grand-père, il paraissait aussi froid que sa femme, sauf qu’il n’était pas mort, lui. Derrière nous se trouvaient Lana et ses parents. Ils pleuraient silencieusement, comme pour respecter cet instant qui nous était réservé. Puis, il fut temps d’y aller. Mon grand-père remercia la famille Reece pour leur présence et il déclara à Lana :
— Maxime va encore avoir plus besoin de toi, c’est très dur pour lui.
Lana acquiesça et c’est cette phrase qui fit couler mes larmes sur les mains de mamie Ada. En réalité, il n’allait pas changer, il n’allait pas me consoler. Il se débarrassait de moi sans le moindre sentiment, déléguant ses responsabilités sur une jeune femme aussi immature que son petit-fils.
Dehors, nous montâmes dans nos voitures respectives. Après dix longues minutes de trajet, nous arrivâmes enfin au cimetière. Mes mains étaient devenues toutes moites et je me mis à angoisser : fallait-il vraiment dire des adieux à mamie Ada ? En sortant de la voiture, je fus très surpris en découvrant le monde présent pour nous accompagner. Il devait y avoir une bonne trentaine de personnes. Je n’en connaissais aucune, car mes grands-parents ne recevaient personne à la maison et personne ne nous invitait non plus. Alors que je me dirigeai timidement vers le groupe, une main se posa sur mon épaule. C’était M. Baudry, mon professeur principal. Quelle surprise qu’il ait fait le déplacement ! C’était à la fois étrange et agréable de le voir présent à cet instant.
— Ta grand-mère était très fière de toi, Maxime, m’assura le professeur avec un regard doux et sincère.
— Vous connaissiez ma grand-mère ? demandai-je, surpris.
— Eh bien oui…
Il se courba et se mit à chuchoter à mon oreille :
— Je suis un grand amateur de ses fleurs.
Il fit apparaître de son dos un bouquet de séjournas, les fleurs préférées de mamie Ada. Ces mots me firent sourire. Puis, d’un pas engagé, M. Baudry alla s’entretenir avec mon grand-père. Je fus perturbé un instant de découvrir que ces deux hommes semblaient bien se connaître. Je reconnus aussi le commissaire Manda, chargé de l’enquête sur la disparition de Dan Mavinga. Ces derniers temps, j’avais l’habitude de ne le voir qu’à la télévision. Il était accompagné d’une très grande femme aux longs cheveux blonds. Elle me dévisagea premièrement, puis me sourit. Je lui rendis son sourire. Tout ce monde était présent pour mamie Ada et pour nous également, cela me faisait chaud au cœur, nous n’étions pas seuls.
Durant notre marche silencieuse pour rejoindre la sépulture, un vent frais d’automne déclencha en moi des tremblements, j’appréhendais les adieux, je ne savais pas si je serais capable de retenir mes larmes face à tout ce monde. Nous marchions maintenant à pas modérés derrière le cercueil jusqu’à l’emplacement attribué à mamie Ada. Finalement, mes larmes se mirent à couler le long de mes joues, lorsque le cercueil descendit dans ce trou. Je ne voulais pas que ma grand-mère repose là, seule, je voulais être près d’elle. Alors, pris d’un soudain zèle, je sortis de ma poche de jean un morceau de papier dans lequel j’avais écrit un message d’adieu. Je me tins devant la foule, les mains tremblantes et le cœur brisé, j’inspirai profondément et commençai à lire :
— Vivre et croire, c’est aussi accepter que la vie contient la mort et que la mort contient la vie, prononçai-je avec hésitation.
Puis, fixant mon regard sur la tombe de mamie Ada, je repris avec plus d’assurance.
— C’est savoir, au plus profond de soi, qu’en fait, rien ne meurt jamais. Il n’y a pas de mort, il n’y a que des métamorphoses. Tu ne nous as pas quittés, mais tu t’en es allée au pays de la vie, là où les fleurs plus jamais ne se fanent, là où le temps ne sait plus rien de nous. Ignorant les rides et les soirs, là où c’est toujours matin, là où c’est toujours serein. Tu as quitté nos ombres, nos souffrances et nos peines. Tu as pris de l’avance au pays de la vie. Je fleurirai mon cœur en souvenir de toi, là où tu vis en moi, là où je vis pour toi. Et je vivrai deux fois…
Je terminai la lecture de mon poème, les yeux remplis de larmes. Il y avait un silence de plomb dans la foule, certaines personnes sanglotaient ouvertement tandis que d'autres essuyaient discrètement leurs yeux. Lana me prit dans ses bras un court instant et m’adressa un regard plein de compassion.
— Je vous remercie d'être là pour rendre hommage à notre tendre Adrienne Banirla Roux et de partager cet instant avec mon petit-fils et moi-même. Je sais qu’Ada aurait été touchée de voir à quel point vous l'aimiez tous. Elle nous manquera énormément, mais je suis heureux de savoir qu'elle est maintenant en paix, conclut mon grand-père.
Tous les gens vinrent ensuite nous serrer la main ou nous embrasser. Malgré tous ses élans chaleureux, je me sentais abandonné, j’avais l'impression que toutes ces personnes autour de nous ne faisaient que me rappeler cette présence qui me manquait cruellement. Je jetai un coup d'œil à mon grand-père, qui se tenait juste à côté de moi, toujours aussi impassible et froid. Je ne pus m'empêcher de ressentir de la colère envers lui. Je me demandais comment une personne pouvait rester si stoïque à l’enterrement de sa femme.
* * *
J’étais assis dans un coin du salon, entouré de personnes que je ne connaissais pas. Malgré le bruit et les conversations qui animaient la réception, je me sentais seul et perdu. J’avais l'impression que tout le monde autour de moi parlait une langue étrangère. Lana était assise à côté de moi. Elle essayait tant bien que mal de me distraire en me racontant des anecdotes amusantes du lycée, mais j’avais du mal à sourire. J’avais envie de lui dire de me laisser tranquille, mais je savais que ce n'était pas ce que je voulais vraiment.
— Tu as une grande famille, finit par dire Lana.
— Je ne sais pas qui sont tous ces gens à vrai dire, je suis au rang des spectateurs comme toi, chuchotai-je.
— Ton grand-père ne t’a jamais parlé de tous ces gens ? s’étonna Lana.
Finalement, je décidai de me lever. J’avais besoin de prendre l'air et d’échapper à cette pièce pleine de monde et de bruit.
— Ça te dit une partie de Counter-Strike ? proposai-je à Lana.
— Tu perds tout l’temps, s’amusa-t-elle en me suivant.
Nous nous apprêtions à monter les escaliers afin de rejoindre ma chambre lorsque nous découvrîmes mon grand-père et M. Baudry sous les escaliers. Ils chuchotaient bruyamment et leurs mains volaient fermement dans tous les sens. De quoi pouvaient-ils bien discuter ? J’hésitai un instant, mais Lana se faufila derrière un grand pot de fleurs pour écouter leur conversation. Je la suivis. Malgré le bruit qui se dégageait du salon, discrètement nous nous avançâmes et, l’oreille attentive, nous essayâmes de capter quelques mots.
— Un autre adolescent, Antoine Planelle, a été enlevé dans la forêt, il y a soixante-douze heures. C’est le deuxième après Dan Mavinga, s’exclama M. Baudry qui brandissait le journal du jour. Il se passe quelque chose d’inhabituel et vous le savez ! Vous ne pourrez pas longtemps cacher cela à Maxime, Henri. Votre petit-fils doit connaître la vérité !
Je n’en revenais pas ! Antoine Planelle avait disparu ! Je ne le connaissais pas vraiment, mais quelle coïncidence ! Le rêve que j’avais fait de lui me revint en mémoire.
Dan Mavinga aurait été vu la dernière fois, cet été, dans la forêt de Fontainebleau. Il était au centre de l’attention durant la rentrée, personne n’avait eu de nouvelles de lui. On entendait plein d’histoires à son sujet, les gens lançaient des rumeurs. Il aurait été lié à une affaire de drogue et se serait fait tuer et enterrer dans la forêt. D’autres racontaient qu’il se serait caché dans la forêt pour échapper à la police. Les journaux papier et télévisés prenaient également un malin plaisir à se nourrir de ces rumeurs, tandis que sa famille se démenait corps et âme pour le retrouver et préserver sa réputation. Je croisais souvent Dan à la bibliothèque. Nous avions même déjà échangé ensemble une fois sur l’arithmétique et le dernier Marvel. Il me semblait quelqu’un de bien et j’éprouvais beaucoup de peine de le savoir disparu. Le deuxième, c'était Antoine Planelle, apparemment disparu dans les mêmes circonstances que Dan Mavinga.
Un tueur en série qui rôderait dans la forêt… Un lieu où je passais également beaucoup de temps pour me ressourcer. Peut-être que M. Baudry craignait pour moi, pensai-je.
— Édias, Maxime est le dernier membre de ma famille qu’il me reste. Je suis prêt à me battre avec quiconque voudra s’en prendre à lui.
— Eh bien, je crois que les veneurs de l’ombre sont ici. Maxime court un grand danger si cette hypothèse est confirmée.
« Les veneurs de l’ombre » ! Mon cœur fit un bond, mamie Ada avait employé le même terme quelques jours avant sa mort. Durant les dernières semaines de son existence, son état de santé avait empiré brusquement. Elle commençait à perdre la tête ; elle m’appelait par le prénom de mon père, Petrus ; elle retournait au supermarché deux ou trois fois dans la journée avec la même liste de courses. Elle inventait des histoires sur sa jeunesse, sur Marlavant, un monde clairement sorti d’un conte pour enfants avec des corbeaux dangereux et des monstres innommables. Elle semblait vraiment convaincue de cette réalité. Pourtant, grand-père refusait catégoriquement qu’elle consulte un spécialiste.
La veille de mes quinze ans, j’étais allé rejoindre mamie Ada dans sa serre qu’elle chérissait tant et pour la première fois depuis longtemps, j’avais osé lui exprimer mon désir d’en savoir davantage sur mes parents. Au fond de moi, je me demandais si mes grands-parents ne me cachaient pas des choses graves. Mamie Ada était restée un moment songeuse face aux séjournas, de jolies plantes obscures, puis elle s’était retournée et avait plongé son regard dans le mien. J’avais senti tout de suite que quelque chose n’allait pas.
— Maxime, il y a quelque chose que je dois te dire…
À ce moment, j’avais cru, que je découvrirais enfin la vérité sur mes parents. Et, à la fois, je craignais qu’ils m’aient bien menti tout ce temps. Je savais que toutes leurs histoires autour de mes parents n'étaient que des inventions.
— Je sais que tu as toujours espéré que tes parents soient encore en vie, mais je crains que ce ne soit pas le cas. Ils sont morts et tu ne les retrouveras pas, m’avait annoncé mamie d’un air grave et triste.
J’avais senti un poids m’écraser la poitrine. J’avais l'impression de ne plus pouvoir respirer. Je m’étais mis à pleurer sans m’en rendre compte.
— Comment peux-tu en être sûre ? avais-je demandé d'une voix brisée. Peut-être qu'ils sont juste perdus quelque part. Peut-être qu'on peut les retrouver. Vous n’avez jamais retrouvé leurs corps…
Mamie Ada avait secoué la tête et attrapé ma main pour la serrer très fort.
— Je suis désolée, mon chéri. J'ai tout fait pour essayer de les retrouver, mais cela fait de nombreuses années maintenant et il n'y a aucun signe d'eux. Je crains que nous ne devions l’accepter.
Cette nouvelle m’avait plongé dans un profond désarroi. J’avais l’impression d’avoir été trahi par la vie.
— Nous avons essayé de te protéger de Deslo, mais les signes ne trompent pas. Les corbeaux essayent de nous attaquer, une brèche s’est ouverte et les veneurs de l’ombre ont trouvé le moyen d’arriver jusqu’à nous. Le désir sanguinaire de Deslo s’arrêtera seulement lorsque nous aurons tous disparu…
— Mamie, attends, de quoi tu parles ? Qui sont ces gens ? avais-je demandé en retirant ma main des siennes.
Assise à côté de moi sur une chaise en osier tressé, Mamie Ada avait repris en contemplant ses plantes préférées.
— Nous venons d’un monde bien différent de celui-ci. Tu adorerais Marlavant et la vie qu’on y mène, la magnifique cité d’Agora, le port de Zénildor, le vacotae, la gaieté…Véra pourra te raconter.
— Quel monde ? Qui est Véra ? Mamie, de quoi tu parles ? Est-ce que tu te sens bien ? avais-je demandé, inquiet.
À l’époque, je pensais que Mamie Ada avait simplement partagé avec moi des histoires qui avaient été précieuses pour elle, mais elle était loin de perdre la tête. En quoi serais-je concerné par des « veneurs de l'ombre » ? Tout cela me paraissait absurde.
En écoutant mon grand-père et M. Baudry, j’avais l’impression d’assister à une scène de film. Soudain, nous entendîmes quelqu'un approcher, nous nous figeâmes, espérant que personne ne nous verrait. Mais il était trop tard, les parents de Lana nous avaient repérés.
— Lana ? Maxime ? s’étonna sa mère. Que faites-vous derrière ce pot de fleurs ? Nous te cherchions partout, Lana. Nous devons y aller.
Je compris immédiatement que je devais faire quelque chose pour nous rattraper. Mon grand-père et le professeur Baudry s’étaient arrêtés de parler. Mon grand-père se rattacha le chignon et les deux hommes sortirent du dessous des escaliers. Je pris une grande inspiration et déclarai :
— C’était un immense plaisir de vous avoir près de moi aujourd’hui. Suivez-moi, je vais vous raccompagner à la porte d'entrée.
Les parents de Lana se regardèrent, surpris par mon intervention soudaine, mais ils acceptèrent et me suivirent. Mon grand-père me lança un regard de feu et nous arrêta :
— Mélanie, James, vous vous en allez déjà ?
— Oui, nous devons préparer le service de ce soir au restaurant, expliqua James avec un accent très londonien.
— D’ailleurs, n’hésitez pas à venir déguster quelques crêpes. Nous nous ferions un plaisir de vous recevoir, déclara Mélanie.
Mon grand-père posa sa patte lourde sur mon épaule :
— Ce sera avec grand plaisir. Merci d’avoir été présents pour nous. Pour mon petit-fils, en particulier.
— C’est normal, M. Roux, conclut Lana.
J’ouvris la porte d’entrée et les saluai poliment. Je fis également un signe à Lana, nous reparlerons de tout ça demain.
— Est-ce que ça fait longtemps que tu es là, Maxime ? me demanda mon grand-père en se rattachant une fois encore le chignon.
— Non, non ! Je ne faisais que raccompagner Lana et ses parents. Tu sais, ils tiennent un restaurant au centre…
— Je suis au courant, me coupa mon grand-père.
M. Baudry vint nous rejoindre tout près de la porte d’entrée.
— Ton grand-père m’a fait visiter la maison, c’est un bien joli foyer dans lequel tu as grandi, Maxime, ! s’exclama le professeur qui ne semblait pas du tout à l’aise. Je dois y aller. On se voit lundi, jeune homme ?
— Oui, à lundi monsieur, répondis-je.
M. Baudry serra cordialement la main de mon grand-père, puis prit congé. Sans un mot, j’empruntai les escaliers. J’allais me coucher, j’avais besoin de digérer cette journée.
C’était lundi et j’avais énormément de mal à sortir du lit. Pendant un long moment, j’observai le plafond haut de ma chambre, « une grande pièce sans vie ». C’était ce que je ressentais au fond de moi, j’avais l’impression d’être vide de l’intérieur, de n’être qu’un corps sans âme et me rendre au lycée, ce jour-là, était bien la dernière chose que je souhaitais faire. La boule au ventre, je décidai quand même de me lever de mon lit qui grinçait dès que je le quittais. Lui non plus ne souhaitait pas que je m’en aille. Lorsque je me coiffai devant le miroir, je me souvins que Mamie Ada me répétait que nos yeux étaient verts comme ceux de la forêt. Cela expliquait notre passion pour celle-ci, les arbres s’étaient comme greffés dans notre regard, disait-elle. Mes yeux étaient les seules choses que j’aimais chez moi, le reste était beaucoup moins glorieux : des cheveux bruns que je n’arrivais jamais à discipliner, un corps pas très fin, mais loin du physique d’athlète dont je rêvais.
Grand-père était déjà levé depuis un moment, les odeurs du café et des œufs à la poêle remontaient jusqu’à l’étage et me donnaient faim. Je descendis les escaliers avec précaution et me dirigeai vers la cuisine où mon grand-père prenait toujours son petit déjeuner. Depuis les funérailles de mamie Ada ce week-end, il y avait quelque chose de différent dans l'atmosphère de la maison, une tristesse qui planait constamment dans l'air.
J’ouvris la porte de la cuisine et vis mon grand-père assis, à table, en train de boire son café en silence. Je m’approchai et m’assis en face de lui, observant son visage fermé.
— Bonjour, dis-je doucement.
Mon grand-père leva les yeux vers moi et hocha la tête. Je ne savais pas quoi ajouter pour étoffer nos conversations. Rien n’avait changé en lui depuis la mort de sa femme, il était toujours aussi distant et replié sur lui-même. Finalement, nous partageâmes notre petit déjeuner en silence.
Avant de récupérer mon vieux vélo hollandais à la peinture rouillée, je décidai de faire un tour dans la serre de grand-mère. Je me dirigeai vers les séjournas, ces plantes qu’elle affectionnait tant. Ces fleurs noires à l’odeur délicieuse avaient un goût sucré et leur texture était proche de celle d’une barbe à papa. Elles avaient surtout de multiples vertus médicinales. Lorsque j’allais mal, il suffisait d’un seul pétale pour me redonner de la force. Un médicament de rêve ! Malheureusement, ces fleurs rares – Mamie Ada n’avait jamais voulu me dire où elle les avait trouvées – avaient fini par rendre l’âme, tout comme leur maîtresse. Ce spectacle me désola. C’était comme si mamie mourait une seconde fois. J’ignorais l’avenir de cette serre, mais j’espérais que grand-père lui redonnerait vie. Sinon, je devais me résoudre à ne plus jamais goûter ces merveilleuses fleurs.
Alors que je traversais le hall du lycée, je remarquai tous les yeux rivés sur moi. Je sentis mon cœur battre à tout rompre, j’avais envie de fuir. J’avançais lentement, me demandant ce qui pouvait bien se passer. Peut-être avaient-ils tous eu l’écho de la perte que j’avais subie et que cela produisait en eux une forme de compassion. Heureusement, Lana vint me sauter sur le dos pour me mettre à l’aise.
— Comment ça va ?
— Comme un lundi matin, deux jours après l’enterrement de ma grand-mère…
Son visage se décomposa lorsqu’elle entendit ma réponse, mais je ne voulais pas la gêner, alors je lui mis une tape sur le dos et lui demandai :
— Et toi ? Week-end mouvementé au resto ?
— Trop dur ! soupira-t-elle. Depuis que les deux ados ont disparu dans la forêt, mes parents me séquestrent ou m’obligent à les aider toute la journée.
— Si vous avez besoin d’aide, n’hésitez pas. Et puis, ça fait un moment que je n’ai pas eu la chance de manger de bonnes crêpes anglaises, ironisai-je.
Je remarquai de nouveau des regards insistants dans notre direction.
— Est-ce que tu crois que tout le monde est au courant pour ma grand-mère ? demandai-je à Lana qui ne semblait pas avoir vu tous les regards sur nous.
— Non, ça ne risque pas ! Qui aurait bien pu le crier sur les toits du lycée ?
— J’ai l’impression que tout le monde semble s’intéresser à moi aujourd’hui.
Lana se mit à regarder tout autour de nous. Lorsque nous arrivâmes enfin à nos casiers, je compris pourquoi nous étions au centre de l’attention. Il y avait une inscription à la bombe rouge sur mon casier, très explicite : « suicide-toi. » Je sentis mon sang s’agglutiner sur le haut de mon crâne et je regardai Lana qui avait blêmi.
— Qui a fait ça ? cria-t-elle subitement.
Je secouais la tête, ne sachant pas comment réagir. Je regardais autour de nous, espérant trouver un indice, mais il n'y avait personne en vue. J’avais tout à coup l’impression d’être dans un état second, je pouvais entendre mon cœur battre très fortement. Ça n’était qu’une maudite inscription réalisée par des personnes sans cervelle, mais cela venait de créer chez moi la sensation d’être tombé du toit de l’école. Lorsque Lana plongea son regard dans le mien, je sentis tout à coup mes yeux se remplir de larmes. Mais il était hors de question qu’elles coulent. Pas devant ceux qui avaient fait ça !
— Quel imbécile a besoin qu’on lui greffe un nouveau cerveau ? hurla Lana.
Cela créa un attroupement d’élèves autour de nous, puis un grand musclé s’approcha et défia du regard Lana.
— Je trouve cette inscription plutôt réussie, c’est de l’art ! Au moins, tout le monde s’en souviendra.
— Ladies and gentlemen, applaudissons Yann pour ce dessin. On se souviendra tous qu’un « débilos » a réussi à intégrer cette école, c’est une première historique depuis le rat mort retrouvé l’année dernière dans la cour.
Lana venait de faire rire la foule qui nous entourait. Je ne pouvais m’empêcher d’être admiratif. Elle avait réussi à faire tomber le sourire niais de Yann en une fraction de seconde. Au même moment, le directeur arriva en catastrophe et ordonna à tout le monde de rejoindre sa classe.
Yann Grange était de loin la personne que j’évitais le plus possible. Il passait son temps à s’en prendre à moi depuis le jour où je l’avais bousculé sans faire exprès, il y a un an. Les mille excuses présentées ce jour-là lui importaient peu. Yann était le bad boy du lycée. Toutes les filles craquaient pour lui : les plus intellos s’en servaient comme personnage pour leur romance à l’eau de rose ; les plus audacieuses préféraient s’arracher directement son numéro.
Devant un auditoire anesthésié par la dépression du lundi matin, le professeur Baudry expliquait comment la vitesse de propagation sonore était définie. Comme beaucoup, j’avais énormément de mal à me concentrer tant mes pensées n’étaient rivées que sur l’incident du matin. Je ressentais une haine profonde envers Yann et tous ceux qui le soutenaient sans rien faire. Il avait tout de même le mérite d’avoir raison sur une chose : je me souviendrai toute ma vie de son graffiti.
Les yeux rivés vers l’extérieur, j’observais les mouettes rieuses, légères, valser dans le ciel encore bleu de septembre. Sur l’instant, j’enviais leur liberté, j’aurais tout donné pour me tenir près d’elles et disparaître aussi loin que possible de ce lycée.
Soudain, un nuage noir apparut à l'horizon. Les mouettes continuaient à jouer, indifférentes à cette nouvelle présence. Mais rapidement, le nuage se rapprocha et commença à occulter le soleil. Les mouettes se mirent alors à pousser des cris stridents et à battre frénétiquement des ailes pour s'éloigner du nuage noir. Elles pratiquaient une danse chaotique et paniquée, tandis que des oiseaux noirâtres approchaient toujours plus près, obscurcissant le ciel. J’essayais d’identifier avec attention cette masse sombre qui s’avançait droit devant nous, jusqu’à ce qu’un corbeau vienne me faire sursauter en s’écrasant sur la vitre juste en face de moi. Le bruit sourd qu’avait provoqué l’oiseau fit également réagir toute la classe.
— M. Roux, vous allez bien ? me demanda le professeur Baudry en s’avançant vers moi d’un pas rapide.
Il resta lui aussi figé face à ce spectacle surréaliste : des centaines de corbeaux bruyants volaient en attroupement, le croassement rauque et grave des oiseaux ne cessait de se rapprocher de nous. Ahuris, Lana et d’autres élèves se levèrent et se tinrent devant les larges vitres à moitié ouvertes de la salle de classe.
— Bloody hell ! s’exclama Lana en se levant de sa chaise.
— Fermez toutes les fenêtres ! hurla M. Baudry.
Tout le monde s’exécuta sans perdre de temps. Dans un mouvement de foule, les chaises se renversèrent et quelques élèves se mirent à hurler sans contrôle, augmentant la panique générale. Nous avions l’impression d’être en plein spectacle apocalyptique. Des centaines de corbeaux vinrent ensuite s’écraser contre les vitres de la salle de classe et retombèrent assommés au sol. Le déluge intense ne dura que quelques secondes, mais cela suffit à tous nous mettre dans un état de choc profond.
M. Baudry sortit de la salle en trombe. Nous entendions hurler dans les couloirs, des classes entières semblaient choquées par ce qui venait de se passer.
Avant de revenir au calme, nous imaginâmes toutes sortes de théories, mais quasiment toutes furent balayées de la main par notre professeur de sciences. M. Baudry était revenu. Scotché sur sa chaise, il passait son temps à me fixer, puis détournait le regard dès que je croisais le sien.
— Tu ne trouves pas l’attitude de M. Baudry étrange ? demandai-je à Lana.
— On dirait qu’il a été choqué, un peu comme tout le monde. Don’t worry ! Ce n'est pas rare que des oiseaux se heurtent à une fenêtre.
— Ils étaient une bonne centaine, Lana ! Jamais des corbeaux n'agissent ainsi !
— Ça, on n’en sait rien du tout, beaucoup de choses arrivent à cause du réchauffement climatique, je crois que ce sont des signes que Dieu nous envoie pour nous avertir.
— Nous avertir de quoi, selon toi ?
— De la fin de notre monde ! Je crois qu’il veut dire : « trop tard, votre merde se retourne contre vous ! »
Je ne croyais qu’à demi-mot Lana, mais peut-être avait-elle raison, la nature se retournait certainement contre nous. Pour Lana, la nature est un don de Dieu, mais qui peut aussi être impitoyable et destructrice. Elle avait appris à respecter ses forces et à prier pour sa bienveillance, tout en sachant que la foi en Dieu était la plus grande protection contre ses colères, d’après elle.
Sur le chemin pour la maison, ce même jour, je ne montai pas sur mon vélo. Je préférais marcher. Je ne voulais pas rentrer trop vite à la maison. Depuis que mamie Ada n’était plus, l’ambiance y était bien trop pesante. Et bien que l’épisode des corbeaux fût très choquant, le graffiti sur mon casier l’était tout autant. « Suicide-toi »… J’étais estomaqué par cet évènement mais à la fois… Pourquoi pas ? Je venais de perdre l’une des rares personnes qui m’aimait et que j’aimais. Je l’avais toujours considérée comme la mère que je n’avais pas eue.
— De toute façon, je ne manquerai à personne, hormis Lana peut-être, mais elle finira par m’oublier en quelques mois, murmurai-je.
Mes pensées devinrent de plus en plus sombres. Mon téléphone vibra et me fit sursauter. Je pris mon appareil qui se trouvait dans la poche arrière de mon jean. C’était une notification Instagram. Mon pouls s’accéléra subitement, je craignais de recevoir de nouvelles notifications haineuses, mais je ne pus toutefois m’empêcher de l’ouvrir.
Bingo ! On m’avait tagué sur un post. Je ne me souvenais pas avoir été filmé, mais sur les vidéos, on me voyait bafouiller devant mon casier tagué en rouge. Une boule se forma dans ma gorge en voyant les commentaires haineux et moqueurs qui accompagnaient les vidéos. Désormais, tout le monde connaissait l’inconnu ridiculisé par le fabuleux Yann Grange. Mon malaise atteignit son apogée quand j'aperçus mon bourreau accompagné de sa bande, Boris et Sofiane, se rapprocher dans ma direction. Mes genoux semblaient ne plus vouloir tenir lorsque je tentai de faire demi-tour. Mais c’était trop tard, ils m’avaient reconnu. Yann et ses acolytes me rattrapèrent rapidement et m’entourèrent :
— Où est-ce que tu veux aller, p’tite merde ? Tu ne sais plus où tu habites ?
— C’est bon, Yann, lâche-moi un peu. Tu ne t’es pas assez éclaté sur mon casier ?
— Non justement, pas assez on dirait, mais disons que c’est ton jour de chance aujourd’hui. Je te propose un petit marché…
Je redoutais ce qu’il allait me proposer, mais je n’avais pas vraiment d’autre choix que de l’écouter.
— Je crois que je t’ai assez donné d’importance, j’aimerais m’attaquer maintenant à ta petite amie, Lana Reece, la sainte petite British.
— Ne t’approche pas d’elle ! criai-je sans retenue.
— Sinon quoi, Roux ? ricana Yann. L’autre, il veut jouer les caïds, maintenant ! Nan, t’inquiète, j’te charrie. Je veux juste une chose : conduire la berlinette de ton grand-père pour un tour en ville. Qu’est-ce que t’en penses ?
Je savais à quel point mon grand-père aimait et chérissait sa voiture. C’était clairement de la folie. Mais dans un autre sens, je ne voulais pas qu’ils rendent la vie difficile à Lana. Ma meilleure amie harcelée ou moi tué par mon grand-père ? Les deux options ne m’enchantaient pas beaucoup, mais quitte à choisir, j’optai pour mon propre sacrifice. Je n’aurais pas supporté de voir Lana souffrir par ma faute.
— D’accord pour la voiture, et puis c’est tout. Tu me laisses tranquille et tu ne t’approches pas de Lana.
— Promis ! Hein, les gars ?
Les deux autres jeunes qui m’entouraient acquiescèrent. Yann me tapa sur l’épaule et je fus escorté jusque chez moi. Ils se posèrent sur des voitures garées en face de la maison et m’observèrent. Le véhicule se trouvait dans le garage. Forcément, mon grand-père entendrait sa voiture démarrer et quitter son nid. Je regrettais ma décision, c’était « mission impossible », mais il était hors de question que je reparte en arrière. Yann et sa bande me rendraient la vie impossible et en plus, ils s’attaqueraient à Lana. Lorsque j’entrai dans la maison, mon grand-père se tenait à l’entrée de la porte et ne manqua pas d’aller jeter un œil dehors.
— Qu'est-ce que ces jeunes font là, Maxime ? demanda mon grand-père d'un ton sévère. Tu sais combien j'ai horreur des gens qui viennent chez moi sans y être invités.
Je jetai un regard hésitant en direction de Yann et sa bande.
— Ce… ce sont juste mes amis, répondis-je en bafouillant. »
Mon grand-père fronça les sourcils, sceptique.
— Tu es sûr que ce ne sont pas des ennuis ?
Mon grand-père n’était pas le genre de personne à accueillir qui que ce soit les bras ouverts.
Toute cette situation me rendait encore plus tendu, j’avais l’impression qu’il pouvait lire dans mes pensées et savait que quelque chose d’anormal se tramait.
— Ils préfèrent attendre dehors, on va se balader entre potes.
Je n’avais pas la moindre idée de là où il rangeait ses clés de voiture. Nous n’étions pas très bavards tous les deux, mais là je n’avais pas le choix, il fallait qu’il me dise où il les cachait. Je n’étais vraiment pas doué pour les mensonges et je craignais d’être démasqué par mes questions maladroites. Dans un premier temps, je balayai du regard l’entrée, puis mes yeux se dirigèrent vers la droite, là où se trouvait le bureau de mon grand-père. C’était forcément là-bas.
— Est-ce que tu cherches quelque chose ? me demanda mon grand-père.
— Quoi ? Pourquoi ? paniquai-je.
— Tu restes là, tes amis t’attendent…
— Ah oui ! J’ai dû oublier mes écouteurs dans ta voiture, est-ce que je peux aller les récupérer ?
— Les clés se trouvent dans le premier tiroir du vieux buffet en bois, dans le salon. N’oublie pas de les remettre à leur place. Ah ! et n’allez pas vous balader en forêt, c’est dangereux en ce moment. Rentre avant le dîner, m’ordonna-t-il.
— D’accord.
Soulagé, j’allai en direction du salon pour récupérer les clés. La télévision était allumée et les photos de Dan et Antoine venaient d'apparaître à l’écran. La maman d’Antoine suppliait qu’on lui donne le moindre détail sur la disparition de son fils. Mon cœur se serra, ça aurait dû être moi à la place de Dan et d’Antoine, je n’aurais manqué à personne. J’eus l’envie de disparaître comme eux et de ne plus avoir à affronter la vie et ses déceptions. Je sentis une immense lassitude et l’envie de tout abandonner. Mais je devais le faire pour Lana. Dehors, Yann et les autres commençaient à s’impatienter, ils criaient mon prénom et imitaient des cris d’animaux.
Alors je pris les clés dans le tiroir et sortis de la maison. Mon cœur battait à cent à l’heure, je fus pris d’un soudain et bref vertige. J’ouvris le grand portail de notre maison, Yann et sa bande étaient tout excités à l’idée de conduire la vieille Alpine. J’avais une idée très claire, il était hors de question de démarrer devant la maison, alors avec l’aide de Yann, nous fîmes d’abord rouler la voiture jusqu’au bas de la rue Rosa-Bonheur, en desserrant le frein à main. Notre manœuvre fut un grand succès. C’était la première fois que je m’écartais des règles droites que m'avaient toujours inculquées mes grands-parents, je n’étais pas à l’aise à l’idée d’avoir volé la voiture de mon grand-père. Mais j’étais prêt à tout pour éviter à Lana de subir un quelconque harcèlement de la part de Yann.
Au-delà de mes sentiments de culpabilité, j’avais l’impression de me défaire d’un joug trop longtemps attaché à mon cou, tenu par mon grand-père. Il le méritait bien après tout, c’est lui qui passait son temps à me mentir au sujet de mes parents et qui m’ignorait depuis longtemps.
Yann s’installa au volant et moi du côté passager. Il roula très vite sur une route peu fréquentée, au milieu d’arbres gigantesques. Nous étions tous morts de rire… Jamais je n’avais ressenti cette sensation de liberté, j’avais l’impression de voler, je m’éclatais.
Puis notre course s’arrêta net. Nous venions de percuter quelque chose. Yann perdit le contrôle de la voiture et ma vision s’obscurcit brutalement. Lorsque je repris enfin connaissance, c’était le chaos autour de nous ; et la douleur terrible, inhumaine, qui me prenait à la tête me paralysait de toutes parts. Je posai lentement la main sur mon front et je vis que je saignais abondamment. Ensuite vint le froid, mais pas un froid ordinaire, c’était comme une sensation fulgurante qui engourdissait mon corps tout entier et coupait petit à petit ma respiration. Je sentis une forte odeur de carburant et de fumée épaisse. À l’arrière du véhicule, j’apercevais à peine les autres, eux aussi semblaient avoir du mal à bouger. Je réalisai alors que nous venions d’avoir un accident avec la voiture de grand-père. Il faisait sombre et j’entendis des sirènes au loin. Dans un dernier effort, je relevai la tête et aperçus les secours qui se dirigeaient vers nous. Puis le trou noir…
Mes yeux s’ouvrirent sur un ciel noir et à mon grand étonnement, je n’étais pas dans la voiture. Je me découvris allongé au sol, baignant dans un liquide noir qui s’apparentait à une sorte de glu, car je n’arrivais pas à me relever.
Je sursautai lorsque j’entendis crier : c’était une adolescente qui semblait plus jeune que moi. Elle avait de longs cheveux bruns détachés. Son visage était sale et écorché. Elle portait un jean déchiré aux genoux et un pull très coloré. Je ne la connaissais pas, mais elle se jeta sur moi et m’ordonna de me relever en me saisissant par le col. Elle était paniquée et moi immobilisé. Elle me disait de fuir car les veneurs de l’ombre étaient à notre poursuite. Elle attrapa ma main énergiquement et réussit à me relever. Mais elle avait déjà disparu, comme aspirée par la brume.
Je me réveillai en sursaut sur un lit d'hôpital, je pouvais entendre mon cœur vrombir. Je regardai autour de moi, confus, et je vis une infirmière s'approcher :
— Tout va bien, monsieur ? demanda-t-elle d'un ton rassurant accompagné d’un regard bienveillant. Vous avez crié dans votre sommeil.
Je secouai la tête, encore confus par la vision nébuleuse de ce rêve.
— Il y avait une jeune fille, ici, dans ma chambre, murmurai-je d'une voix hésitante. Elle m'a conseillé de fuir, où est-elle ?
L'infirmière fronça les sourcils, l'air perplexe.
— Il n'y a pas de jeune fille ici, monsieur, assura-t-elle doucement. Vous êtes seul dans votre chambre depuis votre admission.
Je la regardai, incrédule. La fille était si réelle, si présente, comment cette scène d’épouvante pouvait-elle être le simple produit de mon imagination ? Je me souvins alors de la voiture et de l’accident. Si seulement je n’avais pas obéi à Yann, nous n’en serions pas là. Finalement, ça m’aurait arrangé que l’accident me tue sur le coup, ça aurait évité que mon grand-père s’en charge lui-même.
— Comment vont les autres ? demandai-je, inquiet.
— Aucun blessé grave à déplorer, ça aurait pu être pire, me répondit l’infirmière avec un regard par-dessous.
Je fus tellement soulagé de savoir que Yann et sa bande allaient bien. Je ne pouvais pas les encadrer, mais je ne me serais jamais pardonné s’il leur était arrivé quelque chose de grave à cause de mes décisions.
Pendant que l’infirmière me retirait la perfusion, la porte s’ouvrit et un homme entra dans la chambre blanche. Il était grand et large au niveau des épaules, avec un visage doux et des yeux perçants. Il portait une veste en cuir noir et une cravate rouge. Je le reconnus immédiatement, c’était le commissaire Manda. Il était chargé de l’enquête sur les disparitions des adolescents dans la région. Il sortit un petit calepin, puis me sourit.
— Bonjour Maxime, dit le commissaire en s'approchant du lit. Je suis désolé de te déranger alors que tu es hospitalisé, mais je dois te poser quelques questions.
— Bien sûr, il y a de quoi après tout, dis-je en baissant la tête.
Le commissaire Manda s’assit sur une chaise en face de mon lit.
— Bien, Maxime, je vais aller droit au but. Lorsque les secours sont arrivés sur les lieux, ils ont découvert d’innombrables cadavres d’oiseaux sur le chemin et autour de votre voiture accidentée. Des corbeaux, en l’occurrence. Mais alors que je me dirigeais sur les lieux de l’accident avec mon équipe, les corbeaux se seraient subitement « régénérés », puis volatilisés dans la forêt avec des cris assourdissants.
— Encore des corbeaux… murmurai-je.
— Comment ça « encore » ? demanda le commissaire, piqué par la curiosité.
— Une troupe de corbeaux s’est écrasée sur les vitres du bahut, hier matin, répondis-je, surpris que le commissaire ait pu avoir l’oreille aussi fine pour m’entendre.
— Intéressant. Oui, très intéressant, ajouta-t-il en griffonnant des notes sur son carnet.
— Pensez-vous qu’il y ait un rapport ?
— Je ne pourrais pas l’affirmer. Est-ce que les corbeaux se sont écrasés sur les vitres de ta classe uniquement ?
— Je n’en sais trop rien, j’imagine que non. Croyez-vous que je sois personnellement visé ? C’est absurde ! répliquai-je, mi-amusé, mi-inquiet.
Son visage se figea quelques instants, puis il émit un rire gêné.
— Pour être tout à fait honnête avec toi, Maxime, au vu des circonstances relativement étranges de votre accident et de cette situation hier à ton école, j’ai des raisons de croire qu'il s'agit de quelque chose de…
L’inspecteur hésita un moment et reprit après de longues secondes en se raclant la gorge, comme pour retirer un doute collé à sa trachée.
— Tu vas sûrement me trouver fantaisiste, mais je pense que quelque chose de surnaturel s’est passé sur votre route.
Mes yeux s’écarquillèrent au point de sortir de leurs orbites.
— Surnaturel ? Je ne comprends pas, demandai-je en me redressant difficilement sur le lit.
Le commissaire haussa les épaules et me fixa en plissant légèrement les yeux comme s’il s’attendait à des confidences de ma part.
— Je ne sais pas exactement. C'est pourquoi je suis ici, Maxime. J'espérais que tu puisses me dire quelque chose qui m'aiderait à comprendre ce qui s'est passé.
— Je suis désolé, commissaire, je ne me souviens même pas de l'accident. Je me suis réveillé ici avec la sensation d’avoir la tête grosse comme un ballon de basket.
Le commissaire hocha la tête et sembla relire ses notes.
— Vous empruntez une voiture, à quinze ans, eh bien ! Sache que tu risques plus de dix mille euros d’amende et une interdiction de passer le permis pendant cinq ans. De plus, ton camarade conduisait sans permis et en étant mineur, l’assurance ne prend pas en charge les réparations. Vous auriez également pu blesser quelqu’un. Heureusement, si je puis dire, vu votre âge, vous ne risquez pas la prison.
Le commissaire s'arrêta un instant de réciter les charges qui pesaient contre moi, puis il reprit en regardant pardessus le lit dans ma direction.
— Maxime, s’il te plaît, fais un effort, dis-m’en plus sur les raisons de votre escapade, insista le commissaire avec douceur et fermeté.
Je secouai la tête en espérant que je me réveillerais à nouveau et que les seules personnes qui m’interrogeraient prendraient de mes nouvelles avec beaucoup d’empathie et me consoleraient avec des mots réconfortants.
— On a emprunté l’Alpine de mon grand-père pour faire un tour. Yann était au volant et moi, du côté passager. On faisait les cons, on roulait vite, racontai-je un peu honteux. Et puis, en s’enfonçant dans la forêt, on a percuté quelque chose. Je ne sais pas ce que c’était, mais ça s’est écrasé violemment sur le pare-brise. Après ça, c’est le trou noir…
Le commissaire referma son bloc-notes, puis en se levant, il jeta un regard par la fenêtre et annonça :
— Viens, je vais te raccompagner. Tu as l’autorisation de sortir. Ton grand-père nous attend dehors.
J’étais soulagé que la discussion touche enfin à sa fin. Je me rhabillai sans rien dire, pas très rassuré à l’idée d’affronter mon grand-père, désormais.
Dans le couloir de l’hôpital, j'aperçus Yann avec quelques contusions sur le visage et son bras gauche en écharpe. Il était en train de se faire rabrouer devant pléthore de spectateurs. Un homme grand et tout en muscle, son père, devinai-je, lui hurlait dessus et lui colla une grande claque derrière la tête. Jamais je n’avais vu Yann autant assujetti à un adulte, il semblait complètement tétanisé. Quel contraste avec son comportement à l’école ! Le rapport qu’il avait avec cet homme n’était-il pas finalement sous-jacent à sa rudesse envers moi ?
Yann leva les yeux et nos regards se croisèrent. Je vis en lui de la honte et aussi une forme de tristesse. Je me fis la réflexion suivante : peut-être valait-il mieux avoir un père absent plutôt qu’un père violent. Était-ce, au fond, quelqu’un de vraiment mauvais ? À cet instant précis, je n’en étais pas persuadé. De victime à bourreau, il déversait son mal-être en humiliant les autres. Finalement, cela n’avait rien à voir avec moi, espérai-je. Je sentis comme un poids se retirer de ma poitrine en y pensant.
Mon grand-père nous attendait sur le parking des urgences. Il était adossé sur la voiture de police et rattachait son chignon nerveusement. Même de loin, je pouvais discerner son visage fermé, son regard perçait la nuit sombre et je me sentais comme nu et pris de frissons. En nous voyant arriver, il remercia d’un hochement de tête le commissaire et nous montâmes aussitôt dans la voiture. Il ne me prêta aucune attention. Durant le trajet, il demeura relativement silencieux. Il s'essayait à prendre des nouvelles du commissaire, tantôt sur son travail, tantôt concernant son foyer. Jusqu’alors, je n’accordais aucune attention à leurs échanges. Je luttais plutôt contre la fatigue et tentais vainement d’apaiser une migraine aiguë en me massant énergétiquement la tempe droite.
Mais une énième question de mon grand-père me fit brusquement sortir de ma léthargie :
— Comment va Véra ?
Dans un effort physique considérable, je tentai de redresser ma tête qui avait littéralement adhéré au dossier de mon siège. J’essayai de reprendre le fil de leur conversation, mais l’intensité de la migraine augmenta si fort que je stoppai mon élan et retombai lourdement dans mon assise, éreinté. Lorsque mon grand-père prononça le nom de la femme du commissaire, je me vis revivre partiellement une scène dans la serre de mamie Ada. Je la voyais en train de soigner ses plantes et moi en train de l'assister maladroitement.
Véra était sûrement le nom usuel d’une des plantes préférées de mamie. Je plongeai dans mes pensées, j’essayai de cheminer entre les méandres de mon esprit, et c’est alors que la lumière apparut. Grand-mère m’avait suggéré de m’adresser à une certaine Véra en ce qui concerne mon passé et l’histoire de mes parents. Je me souvins qu’elle désirait me livrer plus d’informations, mais que sa santé mentale la limitait considérablement.
Ce souvenir agréable de mamie me donna un regain d’énergie et je tentai une immersion dans l’échange de mon grand-père avec son ami.
— Votre femme s’appelle Véra ? demandai-je au commissaire en prenant l’air le plus serein possible, car la pression exercée dans mon crâne me donnait la nausée.
— Oui, pourquoi ?
— Comme ça, je trouve que c’est un très beau prénom.
— Merci, je ne manquerai pas de le lui rappeler, dit-il en jetant un regard dans le rétroviseur.
— N’était-elle pas aux funérailles de ma grand-mère ? insistai-je timidement.
— Oui, effectivement, nous voulions vraiment y assister.
Je me souvins alors plus clairement de la femme qui accompagnait le commissaire Manda. Elle était très grande et son regard était d’un bleu pénétrant, j’avais même eu l’impression qu’elle n’avait cessé de me fixer durant toute la cérémonie.
— Grand-père, tu devrais les inviter à la maison, je ne connais pas bien tes amis, lançai-je.
— Maxime, je ne suis pas certain d’avoir envie de t’entendre ce soir. Et le commissaire est déjà bien occupé comme ça en ce moment, rétorqua grand-père fermement.
— Mais non, ne vous en faites pas ! Véra et moi serions ravis de vous rendre visite, s’enthousiasma le commissaire.
Au fond de moi, c'était la réponse que j’espérais entendre. Mon grand-père fixa l’homme avec insistance et passa une main dans son chignon.
Il ne paraissait pas à l’aise à l’idée d’inviter la famille Manda dans notre maison ni n’importe quelle personne, d’ailleurs.
— Je ne sais même pas cuisiner, je serais incapable de vous recevoir honorablement… se justifia grand-père. »
— Après tout ce que vous avez fait pour Véra et moi, c’est à nous de vous recevoir.
J’avais du mal à me concentrer sur la conversation. Je me demandais pourquoi mon grand-père ne m’avait jamais parlé du commissaire Manda ni de son entourage amical.
— Commissaire, je me demandais… Depuis quand vous connaissez-vous avec grand-père ?
— M. Roux et moi avons travaillé ensemble pendant de nombreuses années. C'était un excellent préfet, mais il a pris sa retraite il y a longtemps maintenant, répondit le commissaire Manda.
Je fus profondément surpris par la réponse du commissaire. Je n'avais jamais soupçonné que mon grand-père ait eu un passé professionnel aussi passionnant. Je découvrais une nouvelle facette de sa personnalité.
— Grand-père était préfet ? Pourquoi ne m'en as-tu jamais parlé ? demandai-je, perplexe.
— Arrêtons de parler de moi, coupa sèchement mon grand-père.
Puis, tout bas, il reprit en me lançant un regard noir par-dessus son épaule :
— Maxime, je sais ce que tu cherches à faire, mais arrête ça tout de suite ! Commissaire, passez ce week-end à la maison, je nous ferai livrer des sashis…
— Des sushis, grand-père, le corrigeai-je d’un ton amusé.
Lorsque la voiture du commissaire Manda s’arrêta finalement devant la maison, mon cœur se remit à battre la chamade.
— Sors de la voiture et attends-moi dehors ! me cracha grand-père.
Je m’exécutai sur le champ car je craignais une punition mémorable, et je n’avais aucune envie d’aggraver mon cas en résistant, surtout dans mon état. J’aurais voulu que mamie Ada soit là, à m’attendre sur le pas de la porte, prête à m’accueillir dans un foyer qu’elle choyait à merveille. Elle était mon seul bouclier face à grand-père. Mais dans le froid saisissant de cette nuit automnale, il me fit poireauter devant la porte du manoir, fermée à double tour. Après quelques longues minutes, mon grand-père se décida enfin à sortir de la voiture du commissaire et à me rejoindre comme si de rien n’était. À peine avions-nous salué le commissaire que mon grand-père, furibond, me hurla dessus :
— Comment as-tu osé me faire une chose pareille ? Je tenais beaucoup à cette voiture, et tu le sais ! Elle est bonne pour la casse maintenant. Penses-tu que ça valait le coup de prendre ce risque et de jouer les rebelles ?
— Je suis vraiment désolé, je ne voulais pas en arriver là, mais je n’ai pas trop eu le choix. Yann et sa bande m’ont obligé à le faire. Ils me harcèlent sans arrêt et voulaient s’en prendre aussi à Lana…
— Eh bien, tu n’aurais pas dû céder, me coupa-t-il, furieux.
— Que voulais-tu que je fasse exactement ? Que je me batte avec eux ? À un contre trois, j’aurais pris une bonne raclée. La belle affaire !
— Eh bien, oui, tu aurais dû te battre, comme ton père l’aurait fait !
Je n’en revenais pas. Comment pouvait-il me balancer cela en pleine figure ? À croire que sa voiture était plus importante que moi. Je m’efforçai de retenir mes larmes, mais c’était peine perdue. Je ne pouvais plus garder en moi toute cette tension accumulée entre nous depuis la mort de mamie Ada. Si elle était encore vivante, elle aurait compris la situation et m’aurait écouté.