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Un week-end tant attendu entre amies prend une tournure effroyable. Indira, Julia, Rachel et Valou, séduites par la quiétude d’un chalet niché dans une forêt isolée, se retrouvent prisonnières d’une tempête de neige dans un hameau perdu. Leur arrivée à Mercœur Desdemons marque le début d’un enchaînement d’événements aussi troublants que funestes. Derrière le calme apparent de ce village se dissimulent des ténèbres : disparitions inexpliquées, crimes sanglants et l’ombre menaçante d’une entité inconnue. Ce séjour, censé être un havre de détente, se mue en une bataille acharnée pour survivre. Y arriveront-elles ?
À PROPOS DE L'AUTRICE
Anna-Camille Gabriel se lance en 2021 dans l’écriture de son premier roman, menant de front cette passion et sa vie professionnelle. Elle écrit à tout moment, portée par le besoin irrépressible de donner vie aux nombreuses histoires qui l’habitent. Pour elle, l’écriture est bien plus qu’un simple loisir : c’est une véritable échappatoire, le moyen de transformer son imagination débordante en récits captivants.
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Seitenzahl: 205
Veröffentlichungsjahr: 2025
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Anna-Camille Gabriel
Mercœur Desdemons
Tome I
Roman
© Lys Bleu Éditions – Anna-Camille Gabriel
ISBN : 979-10-422-6141-2
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivante du Code de la propriété intellectuelle.
— Mais pourquoi as-tu pris ce chemin ?
La neige tombait à gros flocons sur la route de montagne qui serpentait dans la forêt. Dans la voiture, les rires et les bavardages avaient laissé place à un silence pesant et personne ne pipait mot. Le week-end à la montagne s’annonçait pourtant bien. Une dizaine de jours plus tôt, les quatre amies avaient décidé, sur un coup de tête, de se mettre au vert. Aussitôt dit, aussitôt fait. Sur internet, elles avaient loué un chalet perdu dans la montagne dont l’annonce garantissait un dépaysement total.
Un ricanement retentit à l’arrière de la voiture. Indira, une grande blonde adepte des réflexions à l’emporte-pièce, fit remarquer :
— Pour un dépaysement, c’est un dépaysement.
Rachel, la conductrice, répondit :
— Ne me déconcentre pas ! La voiture glisse et je ne vois pratiquement rien avec ces flocons qui tombent en rafales et encore moins ce fichu village qui est censé se trouver à cinq kilomètres.
— Mais si, lui répondit Julia sa copilote avec le GPS de son téléphone en main. On arrivera à Mercœur Desdemons dans trois kilomètres. Ne t’inquiète pas, tu maîtrises la conduite sur la neige.
À peine avait-elle dit cela qu’une forme surgit devant le véhicule. Rachel donna un grand coup de volant et la voiture dérapa sur la neige avant de finir sa course dans le fossé. Après avoir hurlé, les quatre filles soupirèrent de soulagement. Elles étaient indemnes.
La voix de Rachel brisa le silence.
— Vous avez vu comme moi, n’est-ce pas ?
Valou, la quatrième passagère, demanda d’une voix blanche :
— Tu as vu quoi exactement ? Je n’ai vu que des yeux jaunes.
Julia et Indira pouffèrent de rire et s’esclaffèrent à l’unisson.
— Mais oui bien sûr, des yeux jaunes !
Julia prit son téléphone et composa le numéro d’urgence de son assurance pour appeler une dépanneuse. Mais dans l’habitacle, Rachel et Valou n’en démordaient pas.
— Je vous dis que c’est un loup-garou ! s’exclama Rachel. Indira descendit de la voiture et regarda la route. Elle vit des empreintes de pas et blêmit. Ces dernières correspondaient à celles d’une bête d’une taille extraordinaire. Elle revint se calfeutrer dans la voiture et annonça d’une voix blanche :
— C’est une grosse bête. Je ne bouge pas d’ici avant que les secours n’arrivent. J’ai trop peur !
Surexcitées, Valou et Rachel s’exclamèrent :
— C’est un loup-garou ! Julia haussa les épaules.
— Les loups-garous n’existent pas, répondit-elle.
— Mais si, tu as vu comme nous !
— Non, j’ai vu une bête débouler devant la voiture, c’est tout.
— Alors tu penses que c’est quoi ?
— Je ne sais pas, un loup peut-être ?
— Non, c’est trop petit.
— Un ours ?
— Pff… C’est un loup-garou, je te dis !
Julia ne répondit pas. Elle avait froid et toute cette neige qui tombait la glaçait. Le vent redoubla de plus belle.
— Fais tourner le moteur, on se gèle ! ordonna-t-elle à son amie qui conduisait.
Après quelques essais, Rachel réussit à démarrer et les filles attendirent. De temps en temps, chacune jetait un coup d’œil à l’endroit où avait disparu la bête. Rachel scrutait l’horizon en espérant apercevoir un véhicule. C’était inutile de tenter d’extraire la voiture du fossé, elle le savait. Et puis, Rachel avait un peu peur, comme ses amies, mais aucune n’osait l’avouer.
Après un temps qui leur sembla durer une éternité, des phares percèrent à travers les nuées de neige. Les secours ! Au volant de sa dépanneuse, Georges, la cinquantaine bien entamée, pestait contre ces maudits touristes qui ne savaient pas conduire par ce temps. Rodolphe, son apprenti, s’en moquait. Son casque sur la tête, il écoutait du rap et espérait que le dépannage ne prendrait pas trop de temps. On était vendredi et avec ses amis, il devait partir en expédition en ski. Ils iraient bivouaquer et prendraient également les fusils au cas où ils apercevraient du gibier. Tant pis si la chasse était fermée. Dans la montagne, ils feraient comme il leur plairait.
— Ah la voilà ! Avec cette fichue neige, j’ai failli la louper ! s’exclama Georges en apercevant le véhicule.
En effet, la voiture s’enfonçait aux trois quarts dans le fossé et avec la neige qui s’accumulait sur la carrosserie, si ce n’est la couleur rouge qui attirait l’œil, l’automobile aurait pu passer inaperçue.
— Hé, le Rodolphe, ils sont où ? Ne me dis pas qu’ils sont restés à l’intérieur ! Ils sont fous ou quoi ? demanda Georges.
Rodolphe haussa les épaules et descendit du camion. Il alla coller son nez sur la vitre avant et eut un geste de recul en apercevant une paire d’yeux écarquillés.
— Ce sont des filles ! Ça explique ! s’exclama-t-il. Georges soupira en remontant sa casquette.
— Il ne manquait plus que ça…
Rodolphe ouvrit la portière et les unes après les autres, les quatre amies sortirent sous l’œil goguenard du jeune apprenti.
— Alors mes p’tites dames, on s’essaie au rallye ? tenta de plaisanter Georges, qui si les yeux des quatre jeunes femmes avaient été des mitraillettes, serait sans doute mort.
En plus, elles n’ont pas d’humour, pensa-t-il.
— Restez pas là, on va sortir la voiture avec le treuil, poursuivit-il à haute voix.
Indira, Valou, Rachel et Julia se poussèrent et se jetèrent des regards à la dérobée.
N’y tenant plus, Valou demanda :
— Pardon, Monsieur, mais est-ce qu’il y a des loups-garous dans le pays ?
Surpris par cette question, Georges manqua le marchepied et éclata de rire.
— Celle-là, on ne me l’avait encore jamais faite ! Des loups-garous ! Et puis quoi encore ? Vous les citadins, vous êtes impayables !
Rodolphe aussi riait à gorge déployée. Vexée, Valou se tut.
Le remorquage fut rapide, mais la voiture était bien abîmée. Georges fit monter les quatre amies dans la cabine et les conduisit en direction du village.
— Où alliez-vous ? leur demanda-t-il.
— Nous avons loué le chalet à la sortie du village qui s’appelle Le Ludyubre.
Georges opina et expliqua.
— Vous ne pourrez jamais aller jusque là-bas sans voiture et la vôtre est hors d’état de marche. Je vais vous déposer au bistrot du village chez Lucienne et je vais essayer de vous trouver une voiture qui grimpera là-haut.
— Comment ça, elle ne peut plus rouler ? La réparation va prendre beaucoup de temps ? s’inquiéta Rachel.
— Vu son état, il me faut des pièces et tant que durera la tempête, j’pourrai pas descendre dans la vallée les chercher, bougonna Georges.
Ce dernier tira sur le frein à main et déposa les quatre jeunes femmes devant le bar Chez Lucienne.
C’était une maison de montagne comme les autres du village, en pierre, avec un grand balcon en bois ajouré et un toit pentu. Seuls la licence IV et quelques panonceaux de publicité la différenciaient des autres habitations.
Les quatre amies récupérèrent leurs sacs dans le coffre et suivirent Georges à l’intérieur. Le moins que l’on puisse dirent c’est que l’atmosphère était feutrée. La pénombre étant sans doute due aux fenêtres à petits carreaux que de lourds rideaux en velours surmontaient et aux ampoules jaunes. Tous les clients les détaillèrent de la tête aux pieds, des vieillards attablés autour d’une chopine, aux joueurs de cartes et de billard. Même l’enfant qui lisait les regarda.
— Lucienne, j’te laisse les dames le temps que j’trouve quelque chose pour elles.
Sur ces paroles, Georges ressortit.
La tenancière du bistrot sourit chaleureusement aux nouvelles arrivantes et les installa à une table. Puis, elle s’assit avec elles.
— Que vous est-il arrivé ? leur demanda-t-elle.
Rachel raconta leur mésaventure et parla du loup-garou. Les gens attablés ricanaient, mais la jeune femme n’en avait cure et s’échauffait de plus en plus. Indira renchérissait tandis que Julia et Valou se taisaient. Lucienne, un peu surprise, mit les élucubrations des jeunes femmes sur le compte du choc de l’accident et de la tempête. Elle se leva et leur servit des chocolats chauds avec une goutte d’eau-de-vie pour les revigorer, car elles étaient transies de froid. Les quatre amies commencèrent à se détendre. Julia et Indira allant même jusqu’à trouver un charme pittoresque à ce vieux bistrot et à ses consommateurs. Lucienne dégageait de la bonhomie et leur souriait. Peu à peu, sous l’effet du chocolat et de l’eau-de-vie, elles commencèrent à plaisanter et à se dire que tout compte fait, elles passeraient un bon séjour. Elles souriaient bravement aux clients qui étaient attablés, en essayant en vain d’établir une conversation. Au fil de la soirée, l’établissement se vida et bientôt il ne resta plus que les quatre femmes, Lucienne et un homme âgé au regard perçant. Les quatre amies patientèrent en buvant la piquette du coin qui leur monta rapidement à la tête.
Lucienne riait en les écoutant. Georges finit par revenir et leur donna le double des clés d’un vieux 4x4, en leur assurant qu’il les mènerait à bon port. Elles le remercièrent et allèrent payer leurs consommations en pouffant. Elles se croyaient dans un vieux film en noir et blanc et cela les amusait. Le vieil homme au regard perçant se leva et quand il fut sur le pas de la porte, il se retourna et dardant son regard sur les quatre amies, il leur lança en guise d’avertissement :
— Il ne vous arrivera rien de bon dans cet endroit maudit. Fuyez ou vous disparaîtrez !
Il se retourna et sortit en maugréant dans la nuit.
Un silence de plomb s’abattit à l’intérieur de l’établissement. Lucienne et Georges se taisaient, mal à l’aise, et les quatre amies étaient sidérées. Le vieux avait parlé sur un ton menaçant et glacial. À ce moment-là, une voix qui semblait provenir du fond du café s’exclama :
— Moi non plus ils ne m’aiment pas ici. C’est parce qu’on n’est pas nés chez eux !
Les amies se retournèrent en même temps en sursautant et virent un homme sortir de l’ombre. Elles ne l’avaient pas remarqué auparavant, tellement il s’était fondu dans le décor de la salle, sous les poutres noircies par les ans. Grand, très brun, il avait une démarche souple. À son tour, il franchit le seuil, il se retourna et leur sourit.
Médusées par les évènements de la soirée, les jeunes femmes partirent, rêveuses, en pensant au sourire renversant de l’inconnu.
— Non, mais c’est une blague ? Il nous prend pour qui, Georges ?
Stationnée sous un lampadaire qui éclairait faiblement la nuit enneigée, une antique Méhari décapotable orange vif et au moteur ronflant les attendait.
Julia hurla :
— J’en peux plus de cet endroit ! Les gens sont bizarres. Il n’arrête pas de neiger et l’autre fou de dépanneur nous refile une antiquité !
— Eh bien ma p’tite dame, c’est à prendre ou à laisser. Voilà ce qu’il vous dit le fou de dépanneur. Non, mais je te jure, jamais contentes les femmes ! Puisque c’est comme ça, démerdez-vous pour trouver la route ! grommela Georges vexé.
Il démarra son camion et les gratifia d’une superbe envolée de neige qui les aspergea.
— C’est malin, tu ne pouvais pas te taire ? explosa Indira.
Maintenant on fait comment ?
— Eh bien, on fait comme à Givors. On se démerde, rétorqua Julia en agitant son GPS sous le nez de ses amies. Il y a du réseau et on n’a pas besoin de ce montagnard mal embouché. On est des aventurières !
Toutes les quatre éclatèrent de rire et s’entassèrent dans le vieux véhicule. Elles s’éloignèrent prudemment du village endormi, aux maisons à étages sagement réparties autour de l’église, dont le clocher était surmonté d’un étrange capuchon en bois. Le village semblait être blotti tout contre l’église, comme pour se protéger. Les maisons étaient en pierre, avec un toit très pentu pour laisser glisser la neige. Les fenêtres étaient petites et les portes en bois clouté. À part un bac à eau pour faire boire les vaches et une placette, rien ne dérangeait l’ordre de disposition des maisons. Il n’y avait pas âme qui vive dehors et seules les cheminées fumantes indiquaient que le village n’était pas désert. La traversée fut rapide. Les quatre amies se retrouvèrent à la sortie du village et commencèrent leur ascension dans les bois, dans une obscurité presque totale. Valou alluma le plafonnier pour se rassurer et voir ses amies, tandis que Rachel, accrochée au volant, conduisait vaille que vaille. Personne ne les avait prévenues que le hameau était aussi enfoncé dans les bois. Sur le site internet, la photo du chalet avait été prise sous un soleil éclatant, avec des arbres dont l’ombre bienfaisante donnait envie de faire la sieste en plein air. Mais avec cette tempête, rien n’était plus riant. Elles sursautèrent en apercevant une ombre se faufiler sous les rafales de neige. Elles se reprirent. Ce n’était qu’une bourrasque de vent qui avait emporté des branches tordues. Du moins, elles essayèrent de s’en convaincre.
— Allez, on va arriver, annonça Rachel en souriant. Que dit le GPS ?
Julia se taisait, Valou lui toucha le bras pour la faire réagir.
— Il n’y a plus de réseau, mais comme il n’y a qu’une route, on ne peut pas se tromper, répondit-elle.
Plus personne ne parlait. Toutes espéraient apercevoir le chalet dans la lumière des phares. Rachel pila. Une intersection venait d’apparaître au détour d’une courbe.
— Que fait-on ?
Rachel ne le savait pas plus que les autres, mais elles devaient prendre une décision tant que la Méhari pouvait avancer. Il n’y avait pas d’indications et aucun des deux chemins ne semblait accueillant. Rachel perçut clairement le claquement de dents de Julia, qui, d’un doigt tremblotant, indiquait quelque chose au loin. Elles scrutèrent toutes l’endroit que leur amie désignait et aperçurent une faible lumière qui semblait avancer vers elles. Pas un bruit ne régnait et l’atmosphère était étouffante. Valou prit la main d’Indira pour se rassurer, mais rien n’y fit. Elles avaient peur. Une peur glaçante et sournoise qui s’infiltrait dans les moindres plis de la peau. Une peur qui les empêchait de réfléchir et d’analyser, qui rendait les gens fous de terreur. Une peur primale. Une peur animale.
Soudain, elles entendirent un bruit sec sur la carrosserie du véhicule et la portière avant s’ouvrit violemment. Les filles hurlèrent de concert. La tête de l’inconnu du café et quelques bourrasques de neige s’engouffrèrent dans l’habitacle.
— Avez-vous un problème pour faire du surplace pendant la tempête de neige ? les interrogea-t-il.
Essayant de prendre un air dégagé, Julia répondit :
— On est perdues ! On ne sait pas quel chemin prendre pour aller au chalet Le Ludyubre, ajouta-t-elle et en baissant la voix :
— Il y a une lueur au fond… L’inconnu répliqua :
— Allez tout droit jusqu’à la lumière. C’est sans doute votre loueur, Jérôme Cagnier, qui a allumé la lanterne extérieure pour que vous puissiez vous repérer. Je suis votre voisin de droite. J’habite à un kilomètre.
— Vous vous promenez souvent en pleine tempête ? minauda Indira.
L’homme esquissa un sourire et rétorqua :
— Non, je me demandais simplement quel était ce ronflement que j’entendais dehors et j’ai aperçu les faisceaux de vos phares.
— Si loin que cela ? interrogea Rachel surprise.
Il est vrai que la Méhari faisait un boucan d’enfer et qu’on s’entendait à peine parler dans l’habitacle. Il est certain que le moteur était d’origine, mais tout de même, pensa-t-elle.
L’homme posa sur elle un regard sombre et répliqua en refermant la portière :
— Si j’étais vous, je rejoindrais le chalet maintenant, avant que le chemin ne soit impraticable à cause des congères. Même si Georges bichonne cette voiture, si vous n’avancez pas rapidement, vous risquez d’être bloquées.
Rachel embraya en seconde et essaya de rouler, mais la voiture patina. L’homme cria qu’il allait la pousser.
N’importe quoi, pensa Valou, on est quatre dans la voiture, il y a bien dix centimètres de neige fraîche et il va pousser ! Pour qui se prend-il ? Superman ?
Soudain propulsée par l’homme, la voiture avança et Rachel en profita pour enclencher une vitesse. Valou et Indira, assises sur la banquette arrière, se retournèrent pour remercier l’inconnu d’un geste de la main. Mais le chemin était désert.
Lucienne fermait tranquillement le bar. Elle lustrait d’un geste machinal le zinc qui n’en avait pas besoin et pensait en elle-même : Mais qu’a-t-il pris au père Ginerveau de parler de malédiction et de disparition ? Comme si le village n’avait pas connu au fil des siècles assez de malheurs ? À commencer par elle…
Lucienne n’avait pas toujours été cette femme grisonnante et usée. Elle était née dans le village. Ses parents étaient des paysans qui possédaient une belle ferme et de la bonne terre. Petite fille, elle avait très souvent arpenté les sentiers et conduit les vaches au pré. Elle aimait cette vie simple. Son père, un homme rustre, mais bon, avait ramené une inconnue d’on ne sait où au retour d’une foire, pour l’épouser. Il avait toujours adoré sa femme. Même si aux yeux des autres, elle restait une étrangère, il s’en moquait. Elle était vive et rieuse et mettait de la gaieté dans ce coin de montagne. De leur union, deux enfants étaient nés : Angel et Lucienne. Angel, l’aîné, avait repris la ferme. Quant à Lucienne, depuis l’école, elle n’avait d’yeux que pour Léo, le fils d’un ouvrier agricole et d’une femme à tout faire. À 6 ans, elle était tombée sous le charme de ce teigneux qui en voulait à tout le monde d’être un sans terre. Les années avaient passé et Lucienne était devenue un beau brin de fille et Léo, avec ses traits taillés à la hache et la rage au cœur, avait pensé que ce serait une bonne idée de l’épouser. Lucienne était agréable et possédait des biens.
Le soir de ses noces, la mère de la jeune fille lui confia :
— Ma fille, tu n’as pas choisi le bon, tu aurais dû choisir Pierrot.
Et elle l’embrassa.
Léo, qui se tenait dans la pénombre de la porte, avait tout entendu. Lucienne le savait, mais elle ne le releva pas. Sa mère ne remit plus jamais les pieds dans la maison que ses parents lui avaient donnée en dot. C’était une belle maison dans les bois, un peu isolée et à la mauvaise réputation, dont elle tirait son nom, Ludyubre, mais Lucienne s’en moquait. Elle y vivrait avec son Léo et elle serait heureuse. Elle ne croyait pas à toutes ces légendes. Ah, elle l’avait aimé son Léo ! Elle en était même folle. Au début, leur mariage avait été heureux. Elle s’occupait de la maison et, lui, tenait le café qu’ils avaient acheté avec son argent à elle. Léo ne buvait pas et il faisait bien tourner son affaire. Mais au fil des années, il devint rude, désobligeant, puis méchant. Il rentrait tard. Il ne regardait plus sa femme et ne la touchait plus.
Un jour, il lui dit :
— Puisque tu ne peux pas me donner d’enfant, tu vas tenir le café et moi je vais faire des affaires à l’extérieur.
Lucienne n’avait rien dit et le lendemain matin, elle l’avait suivi. Elle restait sous son charme d’homme râblé aux yeux d’un bleu profond. Elle l’avait dans la peau. Tenir le café l’avait un peu effrayée au début. Peu à peu, elle s’habitua et prit même plaisir à observer les gens. Les hommes étaient respectueux avec elle. On savait qui était son époux. Un jour, Léo qui revenait d’une de ses sorties, jeta des clés de voiture sur le bar et lança à la cantonade :
— Je me suis offert une Fuego rouge !
Tout le monde était sidéré : une voiture de sport ici, quelle idée ! Ce n’était pas une voiture pour les champs. Mais c’était Léo. Ce dernier partait de plus en plus souvent et de plus en plus longtemps, laissant sa femme gérer le café toute seule. Oh, elle n’était pas dupe ! Son mari rentrait tard avec l’odeur d’une autre sur lui. Régulièrement, Lucienne retrouvait des cheveux sur ses vestes. Elle ne disait rien, elle serrait les dents et elle souffrait en silence. Elle ne pouvait même plus se confier à sa mère qui s’était noyée accidentellement peu après son mariage. Lucienne pardonnait, espérant un jour que Léo lui reviendrait. Jusqu’au jour où elle entendit une rumeur. Pierrot, qui n’avait jamais rien su lui cacher, la lui confirma. Oui, Léo la trompait, mais avec des gamines du collège du village de l’autre côté de la combe. Le collège regroupait les gamins de plusieurs villages, dont le sien, et rapidement la Fuego rouge, qui attendait sur le bas-côté la sortie des classes, fit jaser. Un jour, on vit une jolie adolescente aux cheveux blonds y monter. Toute la vallée et la combe ne parlaient que de ça. Lucienne était horrifiée. Une femme, à la rigueur, mais une gamine de 15 ans ! Elle essaya de raisonner Léo, mais celui-ci la repoussa violemment et lui dit qu’elle le dégoûtait, que lui avait 30 ans et que toutes les gamines succombaient à son bagout. Cela l’amusait de les séduire et de les abandonner. Lucienne comprit alors que cette fille n’était pas la seule. Léo se prenait pour un Don Juan et enchaînait les conquêtes. Il les prenait de plus en plus jeunes et les traitait de moins en moins bien. Si une lui résistait, il usait de la force. C’est ce que la rumeur racontait et Lucienne l’entendait. Elle l’avait supplié d’arrêter. Léo l’avait frappée. Elle avait vu un sourire méchant sur son visage, il avait ricané et était parti avec sa maudite voiture.
Léo ne venait plus au café. Il se montrait prudent et se cachait des pères et des frères. Quelques semaines plus tard, c’était un mardi ensoleillé, Lucienne s’en souvenait, Léo partit et ne revint jamais. Lucienne attendit deux jours avant d’aller à la gendarmerie. Elle se rongea les sangs en espérant le voir revenir. Pierrot l’écoutait et la soutenait. Une enquête fut diligentée. Mais de Léo et de sa Fuego rouge, on n’entendit plus jamais parler. Un père s’était-il vengé ? Léo était-il parti ? Bien malin qui le saurait ! Peu de temps avant sa disparition, les loups firent leur retour. C’est du moins ce que prétendit un vacher.
Rachel sortit de sa chambre en secouant sa longue chevelure châtain aux reflets noisette et soupira d’aise. Le chalet, qui avait été restauré, avait gardé son cachet simple, mais chaleureux. Les quatre chambres, situées à l’étage, donnaient toutes sur le balcon qui courait le long de la façade. Des portes-fenêtres avaient été percées pour faire entrer la lumière dans les pièces où le bois dominait. Les coussins et les rideaux faisaient des taches de couleurs vives qui égayaient les chambres. Avant de sortir, Rachel sortit une bouteille de champagne de son sac en sifflotant et rejoignit ses amies confortablement installées dans le salon.
— Les filles, regardez ce que j’ai apporté !
La bouteille fut accueillie sous les bravos et bientôt toutes sirotèrent une coupe en regardant le feu dans la cheminée.
— Tout de même, quelle équipée ! Cela n’arrive qu’à nous, s’exclama Indira. Heureusement que nous sommes à l’abri et au chaud, ajouta-t-elle.
Chacune demeura rêveuse en repensant aux évènements de la journée.
Soudain, Julia demanda :
— Rachel, tu y crois sérieusement à cette histoire de loup-garou ?
Rachel confirma. Elle y croyait.
— Les légendes n’expliquent pas tout. Les loups-garous existent depuis l’Antiquité grecque. Comment expliques-tu que cela ait perduré tant de siècles ? répondit-elle.