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Après la disparition tragique de Valou et Marc, Rachel refuse de croire à une mort naturelle. Convaincue qu’un mystère plus sombre se cache derrière ces drames, elle retourne, accompagnée d’Indira, à Mercœur Desdemons, le village où tout a commencé. Mais son arrivée réveille les soupçons. Accusée d’être responsable de la mort de Marc, Julia trouve refuge auprès de Volveric, son âme sœur maudite, liée à lui par un destin tragique. Prisonnière des secrets de ce lieu maudit, Julia devra affronter son destin. Sombrera-t-elle avec lui ? Entre malédictions, trahisons et vérités enfouies, Mercœur Desdemons n’en finit pas de livrer ses secrets. La rancœur, la jalousie, la vengeance et la folie s’installent dans le village maudit. Qui en sortira indemne ? Les loups rôdent dans les alentours… et les morts se succèdent.
À PROPOS DE L'AUTRICE
Anna-Camille Gabriel se lance en 2021 dans l’écriture de son premier roman, menant de front cette passion et sa vie professionnelle. Elle écrit à tout moment, portée par le besoin irrépressible de donner vie aux nombreuses histoires qui l’habitent. Pour elle, l’écriture est bien plus qu’un simple loisir : c’est une véritable échappatoire, le moyen de transformer son imagination débordante en récits captivants.
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Seitenzahl: 243
Veröffentlichungsjahr: 2025
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Anna-Camille Gabriel
La malédiction
de Mercœur Desdemons
Tome II
Roman
© Lys Bleu Éditions – Anna-Camille Gabriel
ISBN 979-10-422-5957-0
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
En quelques semaines, le village de Mercœur Desdemons avait repris son aspect habituel et de la tempête de neige, il ne restait rien, à part quelques amoncellements exposés au nord qui résistaient dans les courants d’air. Oubliées l’effervescence médiatique et la foule des curieux venue renifler le malheur, Mercœur Desdemons était retombé dans sa torpeur. Le village étant même encore plus replié sur lui-même, ses habitants n’avaient pas apprécié tout ce remue-ménage. Ils savaient qu’ils habitaient un endroit frappé par le malheur. Cela ne datait pas d’hier. C’était ainsi depuis des siècles, mais cette fatalité était leur héritage et ils n’avaient pas aimé qu’il soit exposé aux yeux de tous. Ils avaient, pour la plupart, claqué la porte au nez des curieux, fermé leurs volets, tiré les rideaux, comme s’ils craignaient d’être en contact avec le monde extérieur auquel ils ne s’identifiaient pas. Ils avaient gardé leurs blessures pour eux, pleuré leurs morts et leurs disparus, mais ils ne voulaient pas les partager avec « les autres », ainsi qu’ils nommaient les personnes qui n’habitaient pas leur combe.
Rachel ouvrit les yeux. Mais où était-elle ? Autour d’elle tout était blanc. Sur sa gauche, elle aperçut une sonnette et appuya sans interruption.
— Que vous arrive-t-il ? demanda l’infirmière en entrant dans la chambre. Calmez-vous !
Rachel la dévisagea en se redressant.
— Où suis-je ?
— En sécurité. Vous avez été emportée par une avalanche, mais vous êtes hors de danger. Prenez ce médicament, il vous aidera à dormir.
Rachel se rendit soudain compte que son corps n’était que douleur. Elle leva la tête pour avaler le verre d’eau et son regard se posa sur la fenêtre. La nuit était sombre, sans étoiles. Même la lune était cachée par les nuages. « Comme ma tête est lourde, » pensa-t-elle en se laissant retomber sur l’oreiller.
Au-dehors, juchée sur une grosse branche d’un châtaignier centenaire, à proximité de la chambre, l’ombre dévisageait Rachel. Ainsi, elle vivait encore ! D’un bond, la silhouette sauta, atterrit avec souplesse quelques mètres plus bas et s’éloigna à grandes enjambées. Quand la lune l’éclairait un peu, on pouvait distinguer le reflet roux de mèches folles.
À l’autre bout de la ville, Indira ne dormait pas, elle n’avait plus sommeil, elle se sentait comme dans un cocon. Le silence régnait empreint de sérénité. Rien ne la menaçait ici, elle était à l’abri de tout : plus de revenants grimaçants, de spectres l’interpellant. La neige et le vent qui l’avaient poursuivie pendant des jours dans ses cauchemars avaient enfin cédé la place à un sommeil sans rêve. Elle commençait même à s’ennuyer, mais pour rien au monde, elle n’aurait souhaité quitter cet hôpital psychiatrique qui préférait se nommer centre de rétablissement nerveux. Elle perçut un bruit dans le couloir : l’occupant de la chambre 123 tentait une fois de plus de s’échapper. C’était peine perdue, elle le savait, il serait bientôt de retour encadré par deux infirmiers.
Effectivement, le malade, un homme malingre, n’avança guère dans le parc. En face de lui surgit soudain un monstre aux dents acérées et au regard narquois qui le dévisageait tranquillement un fin rictus retroussant ses lèvres. Le pauvre homme fit demi-tour et courut se jeter dans les bras des surveillants de nuit partis à sa recherche.
— Il y a un monstre, protégez-moi, je veux rentrer !
— Allons, allons, que racontez-vous, votre imagination vous joue des tours.
Et d’une main ferme, l’un des gardes le guida jusqu’à sa chambre en plaisantant avec son collègue.
— Encore une hallucination, à force ce n’est même plus drôle. Il imagine toujours la même chose.
Ce qu’ils ne virent pas, c’était la créature tapie dans l’ombre. Celle-ci leva la tête : le jour n’allait pas tarder. Décidément elle jouait de malchance, elle n’avait toujours pas pu entrer en contact avec Indira : trop de monde, trop de surveillance. Elle reviendrait la nuit prochaine. D’un bond elle disparut.
Jérôme Cagnier, le maire de Mercœur Desdemons, perdu dans ses pensées, songeait aux disparus. Et des disparus, il y en avait eu au moins deux : Rodolphe et Bruno. D’eux, il ne restait rien, pas une trace. S’il n’y avait pas eu leur famille, on n’aurait même pu douter de leur existence. Et les morts, ah, les morts ! Jérôme Cagnier n’oublierait jamais les brancards qui les avaient ramenés au village. Longtemps il songerait à la jeune femme aux cheveux roux agonisante, que le Samu avait décidé d’héliporter vers le CHU le plus proche. Elle était encore en vie quand les brancardiers avaient foncé vers l’hélicoptère. Une équipe médicale l’avait harnachée, reliée à des moniteurs et lui prodiguait les premiers soins. Elle était encore en vie, mais elle n’était pas embarquée dans l’hélicoptère, qu’une alarme avait retenti : son cœur avait cessé de battre. Le médecin avait crié « Arrêt cardiaque » et tentait de la réanimer puis avait hurlé « Le cœur est reparti ». Mais à peine Julia installée dans l’hélicoptère, son cœur avait de nouveau cessé de battre, encore cette maudite alarme ! Elle était inconsciente lorsque l’hélicoptère avait décollé. Jérôme l’avait regardé s’éloigner en secouant la tête, puis s’était détourné pour rejoindre les autres sauveteurs. Il avait surpris son fils, le regard fixé sur un point sur l’horizon, comme s’il accompagnait Julia dans son dernier périple. Jérôme avait passé une main dans ses boucles dorées et avait essayé de le rassurer, mais à sa grande surprise, l’enfant lui avait souri.
Jérôme s’était fait du souci pour lui qui, pendant les événements dramatiques, avait annoncé ce qui allait arriver avant que cela ne se produise. Son père avait lu l’incrédulité puis la méfiance dans les yeux de certains villageois ; il avait surpris des conversations qui cessaient dès qu’il approchait et Jérôme avait eu peur que son fils ne soit mis au ban du village comme Sonia autrefois. À sa grande surprise, il avait constaté un retournement de situation. Lucienne, Pierrot et même Georges avaient mis fin à cette psychose naissante. Et le vieux Ginerveau n’était plus en état de répandre des calomnies, ce qui avait permis d’apaiser les tensions. L’enfant jouait comme à son habitude avec ses copains et n’avait plus, depuis les derniers événements, manifesté de prémonitions. Jérôme avait confié à Lydie que, pris dans la violence de la tempête, tout le monde, lui le premier, avait donné un sens erroné aux paroles sans malice d’un enfant ! Lydie avait souri tendrement et tout était bien. Ce soir, la lune était montante et lumineuse et nimbait la nuit d’une douce lumière dorée.
Leur petite famille était invitée chez Lucienne. Jérôme aimait ces retrouvailles où ils étaient conviés. Lucienne était une cuisinière hors pair et Pierrot se transformait en fidèle marmiton et en sommelier pour le plus grand plaisir de tous. Il y aurait Volveric, toujours aussi mystérieux et insondable, mais l’enfant l’adorait, dès qu’il l’apercevait, il lui sautait sur les genoux et Volveric souriait. Dans ces moments, comme aurait dit Lydie, il se sentait en harmonie avec le monde. Jérôme tendit l’oreille, il avait cru entendre un animal hurler dans la nuit naissante.
Rachel soupira en relevant une mèche de cheveux qui lui tombait dans les yeux. Ça y était, le moment était arrivé. Dans quinze minutes tout au plus, elle s’expliquerait. Après, et bien elle partirait, il était plus que temps, accomplir ce qu’elle avait promis à Valou. A l’issue, elle devrait rejoindre sa sororité, pour être délivrée.
Depuis l’avalanche, comme sa vie avait changé ! Elle n’avait que peu de souvenirs de l’hôpital, de son réveil dans cette pièce blanche, avec tous ses fils la reliant aux appareils mesurant son rythme cardiaque, sa tension. Le goutte-à-goutte distillait, elle ne savait quoi dans ses veines et la douleur irradiait dans tout son corps. Elle se rappelait de courts moments d’éveil entrecoupés de phases de sommeil jusqu’à cette main qui tenait la sienne. Elle avait fait l’effort de regarder. C’était Hermann, qui lui souriait et dont les yeux brillaient d’espoir :
— Rachel, ne t’en fais pas, je suis là. Tout ira bien maintenant. Prends ton temps, je resterai avec toi aussi longtemps que nécessaire.
Puis Hermann s’était levé et avait appelé une infirmière. Comme Rachel se sentait fatiguée – elle avait tellement sommeil, le moindre geste l’exténuait ! – Hermann était revenu avec une jeune femme en blanc. Ils lui parlaient, elle ne comprenait pas. Avant de se rendormir, elle avait demandé :
— Valou, Indira, Julia vont-elles bien ?
— Reposez-vous Madame, avait chuchoté d’un ton apaisant l’infirmière, vous devez reprendre des forces.
Rachel s’était rendormie sans obtenir de réponse à sa question.
Hermann la regardait dormir. Lorsque l’appel d’urgence avait retenti sur la plateforme pétrolière où il travaillait, il ne se doutait pas que cela le concernait. Il bataillait avec une turbine récalcitrante. Il avait bien levé les yeux lorsque l’hélicoptère avait atterri, mais avait continué sa tâche. La main du responsable de la plateforme s’était abattue sur son bras, c’était une main gigantesque, l’homme mesurait plus de deux mètres et de sa voix basse et sourde, il lui avait dit :
— Arrête tout Hermann, je dois t’annoncer une mauvaise nouvelle.
Hermann avait senti le sol se dérober sous ses pieds en apprenant que Rachel avait été emportée par une avalanche et que son pronostic vital était réservé. Il ne se souvenait pas avoir couru, attrapé son sac et s’être engouffré dans l’appareil. Le vol lui avait semblait une éternité, le transport en avion qui avait suivi tout autant. Il avait loué une voiture et avait roulé à tombeau ouvert, faisant fi de toutes les limitations de vitesse entre Orly et le CHU de la préfecture de montagne. Il s’était précipité dans la chambre en bousculant une infirmière et avait contemplé Rachel si menue dans ce lit médicalisé et tellement appareillée. Il avait pleuré comme il n’avait plus pleuré depuis des années et avait imploré Dieu, lui qui ne croyait en rien, de la sauver. Le docteur Mathieu était arrivé, lui avait parlé calmement pour l’apaiser et l’avait conduit jusqu’à son bureau. Hermann avait sagement écouté le médecin lui dire que son amour était en état de choc, avait développé une pneumopathie et souffrait d’engelures aux mains et aux pieds. L’état de ses poumons était préoccupant, mais il avait bon espoir. Elle était jeune et robuste. Les médecins l’avaient plongée dans un coma artificiel pour lui éviter de trop souffrir, mais son état s’améliorait. Alors, pour la seconde fois de la journée, Hermann avait pleuré, mais de soulagement cette fois-ci.
Quelques jours plus tard, alors qu’il la veillait, un toussotement dans son dos avait retenti et Hermann s’était retourné. En plus du médecin, deux gendarmes le regardaient depuis l’embrasure de la porte.
— Monsieur Liorca pouvons-nous nous entretenir avec vous ? avait demandé d’une voix neutre le plus grand des deux.
Dans le bureau, à tour de rôle, les enquêteurs lui avaient raconté les événements dramatiques survenus à Mercœur Desdemons.
— Mais qu’est-ce qu’elles sont allées faire là-bas ? s’étonna Hermann, Valou et Julia n’aiment ni la neige ni la montagne.
Il s’arrêta au milieu de sa phrase, suspendit son geste et s’exclama : « Comment vont-elles » ?
Le silence pesant qui suivit le laissa craindre le pire et effectivement le pire était arrivé. « Comment Rachel pourrait-elle supporter ces pertes ? s’interrogea-t-il. Dire que la vie leur appartenait, comme celle-ci était fragile. » Hermann se jura de protéger coûte que coûte Rachel.
Alors, jour après jour, il resta à ses côtés, ne la laissant que pour rentrer prendre une douche. Il dormait dans le fauteuil à et lui parlait toute la journée.
Peu à peu, Rachel guérissait. La plupart du temps elle ne disait rien et le regardait silencieusement. Hermann avait attendu, en accord avec le médecin, qu’elle soit hors de danger pour lui parler.
Hermann lui avait raconté l’enterrement de Valou, les jumeaux tristes et solennels pour leur jeune âge, leurs mains dans celles de leur père aussi abattu que les enfants. Pauvre Valou, aucune de ses amies n’était là et pour cause. Hermann avait aperçu les enquêteurs et les avait salués.
Il avait raconté à Rachel les hôpitaux, celui d’Indira où les visites n’étaient pas admises, et celui où s’était trouvée Julia avant de disparaître. Il n’avait pas pu lui rendre visite non plus, il n’était pas de sa famille.
Il lui avait également appris le décès de ce gendarme qui s’était rendu au village de Mercœur Desdemons avant les événements et l’avalanche qui l’avait emporté.
Rachel n’avait fait aucun commentaire, comme si cela ne la touchait pas. Elle avait simplement détourné la tête avant de se rendormir.
Les jours suivants, Hermann avait été frappé par la dureté de son visage, un pli amer était apparu près de la commissure de ses lèvres et s’était installé peu à peu ; elle ne souriait plus. Il s’en était inquiété auprès du docteur Mathieu. Celui-ci avait essayé de lui parler, mais Rachel avait coupé court. Elle avait fait de même avec le psychiatre qui lui avait proposé une thérapie.
Le jour de la sortie de Rachel, Hermann avait briqué de fond en comble l’appartement et il s’affairait à lui concocter un repas en amoureux, lorsqu’il avait entendu la porte s’ouvrir. Surpris, il la regardait sur le pas de la porte.
— Mais que fais-tu ici ? Je venais te chercher, ce n’est pas prudent de venir seule.
Puis dans un grand sourire :
— Regarde ! Tu m’as transformé en homme parfait ! Je cuisine !
Il s’était approché pour la prendre dans ses bras et l’embrasser, mais Rachel l’avait repoussé et lui avait dit d’un ton glacial :
— Prends tes affaires Hermann, toi et moi c’est fini.
Il avait cru à une blague, mais il avait réalisé à l’attitude de Rachel, visage fermé, bras croisés, qu’elle ne plaisantait pas. Il avait commencé à argumenter, lui avait demandé des explications, avait tempêté, supplié, elle n’avait rien voulu entendre.
— Je pars quelques heures, quand je reviens, toi et tes affaires devez avoir vidé mon appartement. Et elle était partie sans se retourner.
Pas une fois, elle n’avait esquissé un geste d’hésitation, jeté un coup d’œil sur lui. Par le balcon, il l’avait vue marcher, héler un taxi et s’engouffrer dedans.
Hermann était effondré. Il avait essayé de la joindre au téléphone, mais elle l’avait éteint. Alors il avait attendu… Lorsque la pénombre avait envahi le salon, Hermann avait compris que Rachel ne reviendrait pas tant qu’il serait là. De guerre lasse, il avait rassemblé ses affaires, vidé les tiroirs et la penderie, avait récupéré les quelques bibelots qui lui appartenaient. Avec effarement, il avait constaté que son histoire avec Rachel tenait dans une valise et trois cartons. Alors, une colère froide l’avait envahi, il avait effacé les souvenirs, les photos, les mots doux, les numéros, avait jeté les clés sur le sol et claqué la porte avec rage. Ensuite il avait demandé à son employeur de repartir sur la plateforme. Plus rien ne le retenait ici.
Rachel, attablée dans un café de l’avenue, avait vu la lumière de son appartement s’éteindre puis, quelques minutes plus tard, elle aperçut Hermann s’éloigner au volant de la voiture de location. Tout était bien. Elle ne regrettait rien, elle ne pouvait s’encombrer d’une histoire d’amour, elle avait quelque chose à accomplir et rien ne devait la distraire de son but. Elle avait résolu un problème. Il en restait encore un et pas des moindres, mais elle avait eu le temps dans sa chambre d’hôpital de réfléchir et d’échafauder son plan.
Lorsqu’elle était montée dans le taxi quelques heures plus tôt, le doute l’avait envahie, mais lorsqu’elle avait donné l’adresse, elle avait chassé cette pensée.
Avec ses arbres et ses quelques visiteurs, le cimetière du petit village où était enterrée Valou était un endroit apaisant. Rachel avait rapidement trouvé la tombe, entretenue avec soin et très fleurie par ses parents qui avaient souhaité la garder près d’eux. Valentine Serviez 1988-2021 : Rachel avait souri, pour elle ce serait toujours Valou, jamais elle ne l’avait appelée autrement. Avec surprise, elle sentit une larme couler sur sa joue, alors Rachel se laissa aller et ne chercha pas à arrêter les sanglots qui la secouaient. Puis elle renouvela sa promesse à Valou : quoi qu’il en coûte, elle la vengerait.
Elle était restée longtemps, comme si elle s’accordait un répit avant de se lancer dans sa folle quête et n’avait même pas remarqué le jardinier du cimetière qui l’avait longuement regardée. En sortant du cimetière, elle avait recroisé un homme aperçu lors de son arrivée qui lui rappelait vaguement quelqu’un, mais qu’elle n’arrivait pas à situer. « J’ai encore des lacunes », pensa-t-elle en haussant les épaules, mais elle était confiante, elle retrouverait son énergie d’avant. De toute façon elle en aurait besoin.
Rachel ouvrit la portière du taxi qui l’attendait sagement, mais une main se posa sur son épaule :
— Madame Ripletau, je souhaiterais m’entretenir avec vous quelques minutes.
Rachel se retourna et fronça les sourcils en apercevant l’homme rencontré quelques minutes plus tôt. Il avait la cinquantaine, de corpulence et taille moyennes et arborait une magnifique moustache qu’il devait entretenir avec soin. Soudain, elle le situa ! Il faisait partie de l’équipe des trois gendarmes venus l’interroger sur les circonstances de l’avalanche !
— Que voulez-vous ? J’ai déjà tout raconté à vos collègues, lui rétorqua-t-elle sèchement. Je n’ai rien à ajouter.
— Madame Ripletau, je ne suis pas en service, je ne porte pas l’uniforme, je mène une enquête parallèle. Marc Forestier était plus qu’un collègue pour moi et je ne suis pas satisfait du groupe d’enquête qui va sans nul doute conclure à un malheureux accident pour vous et vos amies. Je ne suis pas d’accord, il y a autre chose. Je veux connaître la vérité et vous êtes une des clés de celle-ci. Aidez-moi, je vous en prie.
Rachel regarda longuement le brigadier, elle lisait la détresse, mais aussi la détermination dans ses yeux. Il se tenait campé sur ses jambes, les pieds ancrés au sol. Il ne bougerait pas d’un iota avant qu’elle ne lui réponde.
« Après tout, pensa-t-elle, j’ai besoin d’aide et nous avons la même quête, venger une personne que nous aimions. »
— Pourriez-vous venir chez moi demain matin à 10 heures au 21, avenue Poincaré, 2eétage, je vous recevrai. Je ne peux pas aujourd’hui, j’ai encore des démarches à accomplir.
Le brigadier Maurin acquiesça, il avait obtenu ce qu’il voulait et il savait que la jeune femme en face de lui l’aiderait, elle y trouverait un intérêt personnel. Il n’était pas dupe, il se doutait qu’elle aussi cherchait des réponses à ses questions. Il pensa qu’il valait mieux s’en faire une alliée qu’une ennemie : elle semblait redoutable, ses yeux et sa voix étaient froids, son visage était resté de marbre et elle n’avait pas cillé lorsqu’il avait parlé. La jeune femme claqua la porte du taxi qui démarra.
Impossible de dormir, Rachel se tournait et se retournait dans le lit. Elle passait en revue le fil des événements depuis son réveil à l’hôpital jusqu’à ce jour. Quelque chose la tracassait. Elle tendit la main vers l’interrupteur et s’assit dans le lit. L’odeur d’Hermann flottait encore dans la pièce et elle songea qu’elle devrait changer les draps et faire le ménage à fond pour l’effacer complètement. Elle n’avait pas besoin d’être nostalgique, il lui fallait se débarrasser du passé.
Elle se remémora la visite des enquêteurs à l’hôpital. Le matin même, le docteur Mathieu avait donné son accord pour que les gendarmes viennent l’interroger. Elle était assez remise pour leur répondre. Hermann avait esquissé une protestation qu’elle avait chassée d’un revers de la main en lui disant d’un ton maussade d’aller faire un tour. Il n’avait guère apprécié, mais s’était exécuté. Au moment où les deux hommes franchissaient la porte, elle avait retenu le médecin :
— Docteur Mathieu puis-je m’entretenir avec vous ?
Celui-ci avait fermé la porte et s’était approché.
— Je vous écoute, que se passe-t-il ?
— Je veux m’assurer que vous êtes tenu par le secret médical et que ce que vous savez de mon état de santé et des propos délirants que j’ai dû prononcer ne sera pas divulgué. Pas plus aux gendarmes qu’à mon ami d’ailleurs.
Éric Mathieu avait plongé ses yeux dans les siens :
— À quoi jouez-vous ?
— À rien, mais il s’agit de ma vie et mes blessures ou ma santé ne regardent personne. Je veux sortir au plus vite.
— Vous devez être suivie, vous le savez.
— Je ferai comme bon me semblera et répondez à ma question, rétorqua-t-elle d’un ton sec.
— Non, votre dossier médical ne sera pas divulgué, rassurez-vous… Mais réfléchissez, Madame Ripletau.
— C’est tout réfléchi, lui répondit-elle du tac au tac.
Le médecin sortit de la chambre, il était inquiet pour elle, mais il ne pouvait strictement rien faire.
Quelques heures plus tard, Rachel fut tirée du sommeil par des coups à la porte. Trois enquêteurs entrèrent dans la pièce : les deux premiers se présentèrent rapidement en oubliant le troisième, le brigadier Maurin. Il toussota pour signaler sa présence, se présenta et n’émit plus aucune remarque tout le temps que dura l’interrogatoire.
Les deux autres se relayaient et formaient un duo bien rodé, constata Rachel. Elle les regardait à tour de rôle et répondait rapidement. Après qu’elle eut décliné son identité et les renseignements habituels commença l’interrogatoire sur le déroulé des événements.
Rachel leur expliqua l’accident puis le remorquage et l’attente dans le chalet de la réparation du véhicule et de la réouverture de la route. Ils ne s’intéressèrent ni à la tête de lynx ni à la disparition des deux villageois, mais concentrèrent leurs questions sur Marc Forestier et l’avalanche.
— Dans quelles circonstances exactes avez-vous rencontré Marc Forestier ?
— Comme je vous l’ai déjà dit, je me suis rendue avec Valou au village pour signaler ce qui s’était passé la veille au soir. Mes deux autres amies sont arrivées en trombe, très choquées par la découverte d’un bras dans la forêt et votre collègue appelé par le maire a décidé d’aller sur place pour se rendre compte. Il devait repartir le jour même, mais il a préféré rester en attendant son équipe d’identification.
— Et ensuite ?
— Et bien, le lendemain, votre collègue était toujours là après le départ de son équipe et nous avons passé la soirée avec lui et quelques villageois chez le maire, où il logeait d’ailleurs.
— A-t-il parlé des soi-disant corps ?
— Comment cela soi-disant ?
— L’équipe, qui s’est rendue sur place avec lui, n’a rien découvert, ni corps ni traces de lutte. En a-t-il parlé avec vous ?
— Non, il discutait surtout avec Valou et tout le monde discutait de tout et de rien, mais pas des derniers événements.
— Quels événements ?
Rachel commençait à s’énerver.
— Eh bien la tête de lynx et le bras.
Le plus grand des deux gendarmes notait les réponses, l’autre haussa les épaules et dit :
— Passons. Parlez-nous du jour de l’avalanche. Avez-vous vu le capitaine Forestier ce jour-là ?
— Oui, il est passé nous saluer avant de redescendre dans la vallée. Il comptait revenir le lendemain.
— Comment le savez-vous ?
— C’est ce que Valou nous a dit. En fait il a surtout parlé avec elle.
— Et cette Valou, qu’a-t-elle fait ensuite ?
— Elle est restée avec nous jusqu’à l’avalanche.
— Aucune de vous ne s’est absentée ?
— Non enfin, que croyez-vous ?
— Rien Mme Ripletau, nous reconstituons les événements c’est tout. Où se trouve cette Valou maintenant ?
Ulcérée, Rachel hurla :
— Dans une tombe, elle a été retrouvée morte avec votre collègue !
— Ah ! Vous parlez de Mme Valentine Serviez ! Était-elle en conflit avec vous ou une des deux autres ?
— Mais non, absolument pas.
L’enquêteur hocha la tête et enchaîna :
— Donc, vous partez comme ça en pleine tempête rejoindre le village alors que vous étiez à l’abri dans la maison ? Surprenant, non ?
— J’ai reçu un SMS du maire disant que l’on devait venir au village se mettre à l’abri.
— Oui, mais le maire n’a envoyé aucun SMS, nous avons vérifié. Le seul que nous avons trouvé est le vôtre, indiquant que vous veniez. Pourquoi avoir pris ce chemin impraticable alors que la route était dégagée ?
Rachel s’énervait de plus en plus :
— Parce que le SMS du maire me disait de prendre ce chemin. Je ne savais même pas qu’il existait. Vous croyez sérieusement que sinon je me serais engagée sur cet itinéraire ?
Le brigadier Maurin ne disait rien. Il écoutait. D’ailleurs, il n’avait guère le choix. Il avait obtenu de les accompagner, uniquement parce que Marc Forestier était son supérieur et qu’ils étaient proches. Officiellement, il ne participait pas à l’enquête. Il observait la jeune femme, il scrutait ses expressions, ses regards. Lorsqu’elle avait parlé de Marc, il l’avait sentie sincère, mais le reste des événements le surprenait. L’un des enquêteurs interrogeait maintenant Rachel sur l’accident. Il prêta l’oreille lorsqu’elle expliqua comment elles s’étaient dégagées.
— Julia a sorti un couteau et a fendu la bâche de la Méhari, et nous avons dégagé la neige comme on le pouvait. Nous avions de moins en moins d’air, mais soudain Julia a rencontré le vide et l’air s’est engouffré. Nous avons pu nous extraire et nous étions indemnes.
— Pourquoi vous êtes-vous éloignées les unes des autres ?
— Nous avons pensé que nous aurions plus de chance de trouver des secours.
— Idée étonnante, le principe est de rester ensemble.
Rachel haussa les épaules :
— Quatre possibilités valent mieux qu’une, la preuve, nous nous en sommes sorties…
Rachel n’acheva pas sa phrase, il aurait été plus exact de dire qu’elle s’en était sortie, mais les autres… Elle tomba dans un mutisme profond et fut tirée de celui-ci par la question de l’enquêteur.
— Comment Valentine Serviez pouvait-elle savoir qu’elle trouverait le corps du capitaine ?
Rachel le regarda, effarée et se demanda s’il était vraiment sérieux. Apparemment oui.
— Elle n’en savait rien. Peut-être le hasard. Ne comprenez-vous pas que nous avons été piégées ? J’en ai assez de vos insinuations, vous m’entendez comme témoin ou comme suspecte ? Comme témoin ? Alors, partez ! Je n’ai rien à ajouter ! Et elle leur montra la porte.
Le plus grand des enquêteurs se leva et lui dit :
— Nous n’en avons pas fini avec vous. La prochaine fois vous serez convoquée à la gendarmerie.
D’un air de défi, elle répondit :
— Alors, ce sera avec mon avocat.
Les trois hommes sortirent et le brigadier Maurin la regarda longuement. Il avait des questions à lui poser, mais pas officiellement. Il la croyait, mais une question le taraudait.
Rachel fut dérangée dans le cours de sa rêverie par la sonnerie de l’interphone, le brigadier Maurin était en bas de chez elle, avec un jour d’avance. Après tout, autant en finir, elle lui ouvrit.
Elle le reçut assez froidement, ne lui offrit rien à boire et indiqua d’un mouvement de menton un fauteuil. Le brigadier Maurin, après avoir réfléchi quelques minutes, décida d’abattre ses cartes, tout au moins en partie.
— J’ai travaillé plus de six ans avec le capitaine Forestier. On pouvait lui reprocher sa froideur et un certain dédain, mais c’était un bon enquêteur et plus d’une fois, ensemble, nous avons réussi à élucider des affaires. Il avait une mémoire étonnante et il enregistrait les moindres détails. Il était aussi déterminé et tenace, et si Marc s’est attardé à Mercœur Desdemons au lieu de redescendre dans la vallée, c’est qu’il tenait une piste. Son corps a été autopsié, il n’est pas mort à cause de l’avalanche, c’est un meurtre. Mais ma brigade n’a pas été chargée de l’enquête. Vous savez, les petites brigades rurales sont souvent peu considérées par la hiérarchie et la nôtre a jugé bon de confier l’enquête à d’autres. Mais voyez-vous, je ne suis pas d’accord avec leur façon de procéder, ils ne connaissent pas ce coin reculé. Pour eux, ce n’est rien de plus qu’une enquête, pour moi il s’agit d’élucider la mort de Marc que je considérais comme un ami. Tout comme vous, j’irai jusqu’au bout. Je me trompe ?
Rachel observait le brigadier, elle hésitait, mais sa dernière phrase la décida :
— Je vous sers un café ?
Et sans attendre sa réponse, elle se dirigea vers la cuisine en disant :
— Posez vos questions.
— Parlez-moi de cette tête de lynx et de ce bras humain. J’ai l’intime conviction que tout est lié.
Alors Rachel raconta aussi fidèlement qu’elle le put cette soirée et ajouta :
— Pour ce qui est du bras, ce sont Indira et Julia qui l’ont découvert alors c’est à elles que vous devriez poser des questions, enfin à Indira, c’est la seule qui puisse encore vous répondre.
Maurin hocha la tête et poursuivit :
— Votre amie Julia avait-elle toujours un couteau sur elle ?
— Oui, elle était fascinée par les couteaux, les poignards et les lames en général. Elle en avait toujours avec elle, elle jouait avec et avait une collection impressionnante de toutes les sortes d’armes blanches qui pouvaient exister. Je trouvais cela malsain, mais ça la faisait rire et elle s’amusait avec les lames comme on l’aurait fait avec un animal de compagnie. Mais quel rapport avec les morts de l’avalanche ?
— Aucun, aucun, s’empressa de répondre le brigadier.
— En avait-elle à plusieurs lames parallèles ?
— Je n’en ai aucune idée, et d’un ton soupçonneux, elle ajouta :
— Comment sont morts Valou et Marc Forestier ?
— Votre amie est morte d’épuisement et de froid et le capitaine Forestier des suites d’une blessure portée au thorax.
— En quoi Julia est-elle concernée, nous sommes restées ensemble tout le temps, s’entêta Rachel.