Meurtres en Ossau - JACQUES CASTILLOU - E-Book

Meurtres en Ossau E-Book

JACQUES CASTILLOU

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Beschreibung

Thomas Lasserre, le tout jeune député des Pyrénées-Atlantiques est retrouvé assassiné d’une balle dans la poitrine sur une piste de la station de ski béarnaise de Gourette. Les gendarmes de la Section de Recherche sont chargés de l’enquête et reçoivent l’aide de l’Ossalois Pierre Casabonne, le patron de la Brigade Spéciale de l’Intérieur qui était en vacances dans sa vallée natale. Plusieurs pistes s’offrent à eux :La politique : l’ascension de Thomas Lasserre avait été fulgurante et aurait provoqué des rancœurs La professionnelle : Promoteur immobilier, quelques-uns de ses clients insatisfaits le menaçaient et ses associés étaient liés à une des familles de la camorra Napolitaine. La personnelle : Séducteur compulsif, un mari jaloux ou une maîtresse délaissée aurait pu vouloir se venger.


À PROPOS DE L'AUTEUR


JACQUES CASTILLOU est né en 1962, à Pau. Bientôt retraité, il est passionné de sport, de rugby en particulier, de voyages et de cuisine. Marié, heureux papa et papy comblé, il a toujours aimé lire et affectionne particulièrement les romans policiers. Il signe ici son premier roman. 

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Jacques Castillou

meurtres en ossau

© – 2024 – 79260 La Crèche

Tous droits réservés pour tous pays

Toute ressemblance avec des faits et des personnages existants ou ayant existé ne serait pas purement fortuite et pourrait ne pas être le fruit d’une pure coïncidence.

Introduction

Thomas Lasserre était un mordu de glisse.

Ce jeudi de la fin décembre, il était monté à Gourette pour s’adonner à sa passion. De la neige fraîche venait tout juste de tomber et la météo avait prévu une magnifique journée, ensoleillée, mais froide. Il préférait y aller en semaine. Il détestait ces samedis et dimanches envahis par une cohorte bruyante de citadins et d’Espagnols qui se croyaient tout permis ne respectant rien ni personne.

C’est là qu’il avait appris à skier et il en connaissait par cœur les moindres pentes, les moindres bosses, les moindres dévers.

Il aimait particulièrement cette station à taille humaine nichée au fin fond de la vallée d’Ossau. Il la préférait à sa voisine, Artouste, qu’il trouvait trop petite à son goût, mais qu’il appréciait pour son côté sauvage et sa vue imprenable sur le pic du Midi.

Ce n’est qu’à 23 heures, qu’Audrey Miramon, sa compagne, la femme qui partageait sa vie depuis 5 ans, téléphona à la gendarmerie de Laruns.

Elle n’avait pas cessé de l’appeler sur son portable, tombant toujours sur sa messagerie.

L’adjudant-chef Berguerie, qui faisait office de planton ce soir-là, ne fut pas en mesure de calmer son inquiétude. Aucun incident ni à la station, ni sur la route n’avait été signalé. Il essaya de la rassurer. En vain.

Même si Thomas rentrait quelques fois tard, il ne manquait jamais de la prévenir.

Au petit matin suivant, Francis Lascourèges, conducteur d’engins de damage, préparait la piste bleue appelée « le serpentin » quand il remarqua sous ses phares, en bordure du tracé, une masse sombre qui n’avait rien à faire là.

Il arrivait parfois qu’un animal, un sanglier le plus souvent, âgé ou malade, soit retrouvé mort dans ce secteur. Il manœuvra son half-track pour s’en approcher au plus près.

Au fur et à mesure de son avancée, il s’aperçut qu’il s’agissait d’un corps humain, gisant dans la poudreuse, face contre terre.

Il tenta en vain de joindre son chef d’équipe par radio, personne ne lui répondit. Pestant, il fit s’arrêter son engin et descendit ne sachant pas trop quelle attitude adopter.

Fallait-il ne rien toucher ? Et si l’homme vivait toujours ?

Il se résigna à retourner le corps et reconnut, stupéfait, le député Lasserre, raide mort, les yeux ouverts, un rictus déformant sa bouche aux lèvres livides.

Sous lui, la neige blanche avait viré à l’écarlate.

CHAPITRE 1 Gourette

Il y avait tout juste 48 heures que j’étais de retour dans mon village natal, installé, chez moi, là-haut dans la montagne, entre Aspe et Ossau.

Je ne me sentais vraiment bien qu’à proximité de « Jean Pierre », mon phare, mon pic.

Je venais de me réveiller. Tout un tas de problèmes troublait mes nuits ces derniers temps et mon sommeil en était si agité qu’il était loin d’être réparateur.

Il faisait froid dans la grange dont j’avais hérité de mes aïeux. Certes, je l’avais aménagée, mais son confort n’en demeurait pas moins un brin rustique, voire spartiate, en particulier l’hiver. Je m’empressai de rallumer le feu dans la cheminée en buvant un café bien chaud quand, l’esprit encore tout embrumé, je reçus un coup de téléphone d’Hervé Barlan.

La dernière fois que j’avais vu le chef de cabinet de la place Beauvau, je quittais le bureau du ministre en claquant la porte et je n’étais pas certain que Bernard Lafont et Karine, sa sœur jumelle présente à ce moment-là, eussent beaucoup apprécié ma sortie.

Quelque temps auparavant, tout juste nommé à la tête de la BSI, la Brigade Spéciale de l’Intérieur, voulue par le premier flic de France, j’avais eu à enquêter sur le meurtre de leur oncle, ici même, en Béarn, et le dénouement de l’affaire avait été mouvementé.

En cette fin d’année, j’avais donc décidé de rejoindre ma vallée pour y passer les fêtes, mais à vrai dire, je n’étais pas assuré que je retrouverais mes fonctions à mon retour.

C’est avec une curiosité teintée d’un brin de fatalisme que je décrochai.

— Allo, Pierre, c’est Hervé. Pardonne-moi de te déranger de si bonne heure et pendant tes vacances.

Je ne répondis rien. Il poursuivit.

— Thomas Lasserre est mort !

La nouvelle me secoua et me fit sortir de ma torpeur pour de bon.

Barlan continua.

— Tu le connaissais, il me semble.

— Oui, nous sommes de la même génération et nous nous sommes croisés quelquefois. Que lui est-il arrivé ?

— On l’a retrouvé sur une piste de ski de Gourette très tôt ce matin.

— Ah merde ! Un accident ? Un malaise ?

— Non, un meurtre d’après les premières constatations de la gendarmerie.

Je commençai à voir où il voulait en venir.

— Bernard m’a demandé de t’appeler.

— Il ne pouvait pas le faire lui-même ? répondis-je avec froideur

— D’après lui, tu ne réponds pas à ses coups de fil, ni à ceux de sa sœur d’ailleurs !

C’était parfaitement exact. Ils avaient essayé plusieurs fois de me joindre, mais je n’en avais pas tenu compte. Leurs SMS avaient subi le même sort.

— Ce n’est pas faux ! fis-je en riant. Il t’a dit pourquoi je me suis emporté ?

J’étais au fait de leur amitié, mais j’ignorais jusqu’à quel point pourrait aller la confiance du ministre envers son chef de cabinet.

— Oui, il m’a tout raconté.

— Et ?

— Je comprends ta position et je ne sais pas ce que j’aurais fait à ta place. Maintenant, ils ont besoin de digérer tout ce que tu leur as appris.

— Bien. Revenons à notre affaire. Que voulez-vous que je fasse ?

— J’ai contacté la proc paloise. Te connaissant, elle a facilement accepté que la BSI s’occupe de l’enquête avec la Section de Recherche de la Gendarmerie.

— D’accord. Je vais monter sur place. Ce sera, peut-être ma dernière mission à la tête de la brigade, autant finir sur mes terres.

— Ne dis pas n’importe quoi ! Je préviens tout le monde et tu me tiens au courant. Tu te doutes bien que cette histoire va secouer dans le Landerneau politique et nous comptons sur toi.

Quelques minutes plus tard, j’avais rassemblé mes affaires, préparé mon sac et fermé mon cuyala. L’ancienne étable, dont j’étais devenu propriétaire à la mort de mon père, était parfaite pour des vacances, mais trop difficile d’abord pour être commode dès lors qu’il s’agissait de se déplacer et d’avoir accès à un réseau téléphonique fiable, surtout en cette saison.

Je décidai de m’installer chez les Sacaze, ma famille adoptive. Dans leur ferme ancestrale qui semblait bâtie pour résister au temps qui passe, ma chambre était toujours prête.

Quand mes parents étaient décédés en me laissant, tout jeune, seul avec mon grand-père paternel, ils avaient constamment été présents pour moi.

Jean-Pierre avait été le meilleur ami de mon père. évelyne, son épouse que j’appelais Tatie, était, elle également, très proche de ma mère.

Éleveurs, leur exploitation, plusieurs fois centenaire, occupait une grande partie d’un des plateaux du Bénou, sur la route du col de Marie Blanque.

Jean, leur fils aîné, avait le même âge que moi et nous nous considérions comme frères. Hélène, sa sœur était aussi un peu la mienne.

À la fin de l’enquête sur le meurtre de Jean Lafont qui m’avait ramené ici, les parents Sacaze avaient tenu à me révéler un secret de famille.

— Il est temps que je te parle de ta mère et de tes aïeux. Ton grand-père n’a jamais voulu l’admettre, mais tu as dû te rendre compte que tu avais un don particulier, m’avait confié évelyne.

J’avais bien remarqué que, par moments, dans des circonstances bien précises, je prévoyais les évènements qui allaient arriver dans un futur très proche.

— C’est exactement ça, m’avait-elle dit. Ce don se transmet uniquement aux premiers-nés de la branche maternelle de ta famille. Ta grand-mère et sa mère avant elle l’avaient, et ta propre mère te l’a donné.

J’avais pris cette révélation comme argent comptant, mais je n’y croyais pas une seconde. Je ne me pensais pas devin, loin de là.

À la réflexion et cartésien au possible, je mettais ces manifestations de prescience comme étant les conséquences logiques de choses que j’observais ou percevais, finement, de manière innée, instinctive.

Mon seul talent devait consister en une faculté qu’avait mon cerveau à les placer en relation, les unes aux autres, pour ensuite me les faire ressurgir sous forme d’images.

Chez les compositeurs, une suite de notes ou d’accords formait, dans leur tête, une mélodie. Il en était de même parmi les cuisiniers où les saveurs de base donnaient un plat. La perception d’éléments distincts aboutissait, chez moi, en une vision.

Je ne cherchais pas à provoquer ces phénomènes, ils s’imposaient, tout simplement.

J’avais pleinement conscience que ces dispositions particulières me différenciaient de mes semblables, mais, à mon avis, mes seules capacités résidaient en cela et pas en des pouvoirs extrasensoriels qui, en d’autres âges, m’auraient valu le bûcher pour sorcellerie.

C’était déjà bien, je ne pouvais m’en plaindre, elles m’avaient été utiles à maintes reprises.

J’arrivai à Gourette aux alentours de 10 heures. Le temps était magnifique, une de ces belles journées d’hiver au froid sec et vif qui fait le bonheur des photographes tant la lumière est idéale pour mettre en valeur les paysages enneigés de nos montagnes.

Sur la route du mythique col d’Aubisque, au pied du Pic de Ger, entre Pène Médaa et Pène Blanque, la station était nichée au creux d’un cirque aux décors spectaculaires dans lequel résonnaient les « kiak » des choucas.

La nature y était restée généreuse et préservée et les Pyrénées prenaient toutes leurs dimensions dans cet écrin majestueux.

Je n’eus aucune difficulté à me garer, la journée commençait à peine et les skieurs n’avaient pas encore afflué.

Ignorant à quel endroit, le cadavre avait été découvert, et pressentant que je ne trouverais personne au poste de gendarmerie, je me décidai à aller me renseigner directement au siège de l’EPSA.

Cet organisme gérait l’exploitation de l’ensemble du domaine skiable et ce serait bien le diable si je n’y dénichais pas une connaissance.

Ce fut effectivement le cas. À peine avais-je pénétré dans le bureau que quelqu’un, derrière moi, m’interpella :

— Ça par exemple, Pierre Casabonne ! Si je m’attendais à te voir ici !

Avant même de m’être retourné, j’avais reconnu la voix fluette de Stéphane Loustau,

Son timbre aigu, presque féminin, ne cadrait pas du tout avec l’allure du bonhomme qui était connu dans toute la vallée sous le doux surnom de Dominique. À force d’habitude, c’était devenu son prénom.

Seuls les Ossalois pouvaient comprendre l’ironie de la chose, puisque c’est ainsi que nous baptisions « lo Mossur *», l’Ours.

Et pour cause ! Si le gaillard qui se tenait devant moi avait l’intonation délicate, sa stature et sa pilosité appartenaient plus au plantigrade qu’à la danseuse étoile.

Avant même que je n’aie pu réagir, il m’avait pris entre ses bras pour une accolade qui fit frémir mes côtes.

— Moi aussi je suis content de te voir Dominique !

Il y avait quelques années que je ne l’avais pas croisé, mais il n’avait pas changé. Le teint hâlé, le cheveu hirsute, le sourcil en bataille, le colosse dégageait une forte odeur de feu de bois teintée d’un soupçon de garbure.

Derrière sa vitre, une jeune secrétaire avait du mal à retenir son hilarité. Il s’en aperçut et l’interpella.

— Hé toi, la nouvelle ne rigole pas ! Cet homme, c’est une pointure, un cador, un géant et c’est mon copain. !

Il avait l’habitude d’en faire des tonnes.

La fille rougit.

L’ignorant, il se retourna vers moi :

— Je suppose que tu es là pour le meurtre.

— Tu as visé juste, grand. Mais comme je ne sais pas où il a été tué, j’ai pensé que quelqu’un, ici, pourrait m’y amener.

Le corps avait été découvert en bas du « Serpentin », presque à la jonction avec « les rhododendrons », me dit-il et, quelques instants plus tard, j’étais installé derrière lui, sur une motoneige qui eut du mal à avaler la pente, pourtant peu prononcée, jusqu’à la scène de crime qui se situait dans la partie inférieure du domaine.

Il me laissa aux abords de la rubalise qui délimitait les lieux et repartit non sans m’avoir arraché la promesse que j’irai boire un coup, chez lui, dès que l’enquête me le permettrait.

La victime n’avait pas encore été enlevée. Elle gisait là, sur le dos, à côté d’une paire de skis, de bâtons entrecroisés et de lunettes antisolaires. Des agents en combinaisons blanches, surchaussures de la même teinte et curieusement coiffés de charlottes immaculées, elles aussi, s’empressaient autour de lui.

Un peu à l’écart, un homme – j’appris plus tard que c’était celui qui avait découvert la scène – était aux prises avec un technicien qui relevait ses empreintes digitales et prélevait son ADN. Puisqu’il avait manipulé le corps, il s’agirait d’écarter de l’affaire tout élément pouvant l’incriminer.

Je pris mentalement note de l’interroger de façon ferme pour pouvoir l’éliminer définitivement de la liste de nos futurs suspects.

J’avais connu, lors de mon passage au 36, un épisode dans lequel le quidam qui avait, soi-disant, trouvé un cadavre et appelé la police après s’être assuré de son décès, était en réalité le tueur qui avait voulu brouiller les pistes. Il s’était révélé moins malin que nous.

Un peu à l’écart, un groupe de personnes devisait. Je reconnus parmi elles, Florence Legrand, la procureure qui nous avait accompagnés sur le dossier Jean Lafont. Je retins à grand-peine le fou rire qui monta en moi devant sa doudoune blanche et son bonnet rouge qui la faisaient ressembler à une bonne femme de neige.

Je relevai le ruban pour m’avancer quand une gendarme, à en croire le brassard qu’elle portait au bras gauche, par-dessus sa parka bleue, m’invectiva :

— Hé vous là-bas ! Ne vous approchez pas ! Vous n’avez rien à faire là !

La magistrate l’arrêta d’un geste.

— Rejoignez-nous ! Nous vous attendions. Me fit-elle.

J’allais droit la saluer.

— Bonjour Madame. Je ne pensais pas vous revoir si tôt.

— Bonjour Commissaire. Je vous présente la Capitaine Julie Corentin de la Section de Recherche. Me répondit-elle en me désignant la jeune femme qui m’avait interpellé.

Je lui tendis la main, la dévisageant un court instant.

Bouclée, naturellement blonde, les yeux verts, le visage fin, constellé de taches de rousseur, je lui donnais à peu près mon âge et je la trouvais charmante malgré son expression renfrognée et ses sourcils froncés.

— Pierre Casabonne de la BSI. Ravi, Capitaine.

Le temps que durèrent nos salutations elle m’examina d’un air sévère puis, m’ignorant superbement, elle s’adressa à l’édile :

— Je ne comprends pas Madame.

— C’est pourtant très simple, vous allez mener les investigations conjointement avec la Brigade Spéciale de l’Intérieur.

Le dépit se lut sur le visage de la militaire. Elle s’apprêtait à protester, mais Florence Legrand la prit de court.

— Inutile de regimber, Capitaine. La demande vient du ministère et la proposition est excellente. Le sujet est sensible, je vous rappelle qu’un député de la république a été assassiné. Le commissaire et son équipe disposent de moyens dont vous pourriez fort avoir besoin et je connais son efficacité et sa discrétion. Qui plus est, il est natif de la région et cela pourrait constituer un atout non négligeable. Inutile donc d’en discuter plus avant ! L’idée serait que vous travailliez ensemble, d’égal à égal !

Je remarquai son œil espiègle.

— On en reparlera quand il faudra porter quelque chose de lourd !

Legrand apprécia. Corentin, qui n’avait rien compris, n’osa pas répliquer et n’insista pas.

Je remerciai d’un geste la magistrate et m’adressai à la capitaine.

— Ne vous inquiétez pas, tout se passera bien. Je vois que votre équipe a commencé le boulot et elle semble efficace. Prenez la direction de l’enquête, mes hommes et moi viendrons en soutien.

De toute manière, la BSI n’avait pas les moyens humains pour mener à bout une telle affaire et, qui plus est, nous n’avions pas cette vocation, abandonnant aux brigades locales, qu’elles soient de police ou de gendarmerie, le soin de suivre les procédures qui s’imposaient.

Un technicien vint nous interrompre à point nommé. Il nous annonça que les observations liminaires étaient terminées et que le médecin légiste qui attendait patiemment son tour pouvait intervenir.

Nous laissâmes le docteur Braune procéder quelques instants et seul le bruit du déclencheur de l’appareil photo de son assistant, mitraillant le cadavre vint troubler le silence qui s’était installé.

Enfin, il leva la tête et nous livra ses toutes premières constatations.

— Apparemment, la victime est décédée d’une balle en pleine poitrine, je ne vois pas d’autres traces de violence. Un gros calibre, surement du 11,43 si j’en crois la douille retrouvée près de lui, tirée à courte distance, mais j’en saurai plus quand j’aurai récupéré le projectile qui est resté à l’intérieur du corps. Je situe le décès entre 16h et 19h hier. Vu la quantité de sang sous le bonhomme, il a très certainement été tué ici et il est mort sur le coup. C’est tout ce que je peux vous dire pour le moment. Je procéderai à l’autopsie demain matin. Dernière chose, on a trouvé sur lui ses clés de voiture et son forfait de remontées, qui est d’ailleurs électronique.

Nous nous écartâmes pour ne pas gêner la levée du corps.

— Qu’en pensez-vous ? nous demanda Florence Legrand.

Je laissai la capitaine s’exprimer en premier. Non pas par politesse, mais parce que je lui avais cédé volontairement la direction des investigations.

Pour être tout à fait honnête, j’étais surtout curieux de connaître l’avis de celle avec qui j’enquêterai.

— Pour l’instant, Madame la procureure, on ne peut pas dire grand-chose. Nous en saurons plus dès que nous aurons procédé aux premières vérifications. On peut juste envisager l’hypothèse d’un meurtre prémédité.

— C’est aussi ce que je pense. Comment croire à une « mauvaise rencontre » avec quelqu’un armé, ici, à Gourette ? Commissaire ?

— Oui Madame, meurtre prémédité certes, mais plusieurs choses me dérangent.

— Ah oui ? Lesquelles ? intervint avec un brin d’agacement la gendarme.

— Pourquoi a-t-il déchaussé ? Pourquoi n’a-t-il pas son téléphone portable ?

— Beaucoup de gens skient sans vouloir être importunés, vous savez !

— Admettons !

La procureure s’interposa :

— Qu’avez-vous en tête ?

Quelque chose dans le tableau que j’avais sous les yeux me perturbait, mais je ne pouvais pas lui dire ce que je ressentais au plus profond de moi.

— Rien Madame, je dis juste que la scène me semble bizarre.

Elle resta pensive quelques secondes.

— Bien. Vous me tenez au courant heure par heure. Je compte sur vous deux pour me résoudre ce meurtre dans les plus brefs délais ! Je retourne à Pau, je vais rédiger un communiqué de presse.

Après une courte pause, elle finit par rajouter, plus pour elle que pour nous :

— Je vous laisse imaginer le bruit que va faire cette affaire !

Nous en étions pleinement conscients.

Un des hommes de la capitaine vint nous informer que la voiture de Thomas Lasserre avait été retrouvée dans un parking, fermée à clé. Le téléphone de la victime s’y trouvait bien et il était éteint. Ils avaient essayé de l’allumer, mais il ne fonctionnait pas.

Corentin m’adressa un regard rempli de sous-entendus.

Il était temps de repartir, notre présence ici n’avait plus de raison d’être et nous devions organiser l’enquête depuis les locaux palois de la Section de Recherche. Un engin de la régie nous descendit à la station et nous laissa sur l’esplanade du Valentin, plateforme névralgique autour de laquelle maints restaurants, bars et boutiques sont installés.

Nous nous dirigions vers nos véhicules quand quelqu’un, derrière nous, m’interpella.

— Mais ne serait-ce pas là, le commissaire Casabonne de la BSI ?

*. Le Monsieur

CHAPITRE 2 Chocolat chaud

La capitaine et moi nous retournâmes de concert, mais j’avais déjà reconnu la voix féminine qui s’adressait à nous.

La jeune femme aux joues replètes, rosies par le froid s’approcha de nous.

— J’imagine que ta présence ici n’est pas due au hasard. Lui fis-je en l’embrassant ?

— Tu te doutes bien que non ! En revanche, la tienne n’était pas prévue, du moins pas si vite.

La gendarme nous regardait interdite.

— Ah oui, pardon ! Capitaine, je vous présente Héloïse Daycour, de l’Éclair Républicain.

Corentin eut un mouvement de surprise puis se raidit encore un peu plus et dédaigna la main tendue par la jeune fille.

— Nous n’avons aucune déclaration à faire, affirma-t-elle d’un ton qui se voulait officiel.

La journaliste n’essaya même pas de cacher un sourire moqueur.

— On m’avait dit que vous étiez rigide, Capitaine Corentin, je vois que votre réputation n’est pas surfaite.

Aussi stupéfaite que vexée, la militaire tourna les talons en haussant les épaules.

— Vous venez Commissaire, nous avons du travail !

J’eus du mal à refréner mon hilarité.

— Partez devant, je vous rejoins plus tard dans vos bureaux.

Elle n’insista pas et fila sans se retourner.

— Tu viens de te faire une copine.

— Mais je compte bien sur toi pour arranger tout ça ! me répondit-elle enjouée. Tu m’offres un chocolat ? Je meurs de froid.

Un salon de thé avec un joli décor fait de bois et d’objets anciens, skis, luges, piolets, donnant au lieu un charme indéniable, nous tendait les bras.

Nous nous installâmes un peu à l’écart et un agréable parfum de pain frais, de viennoiseries chaudes et de cacao brûlant vint titiller nos narines.

Comme à mon habitude, je m’étais assis, adossé contre un mur, pour avoir une vue d’ensemble de la salle, ne pas apercevoir le public me rendait mal à l’aise.

J’agissais ainsi, sans m’en rendre compte, par réflexe, comme un animal toujours à l’affût et que rien ne pourrait surprendre.

— Je te croyais montée à Paris.

— Suite à ma couverture de l’affaire Jean Lafont, j’ai eu des propositions d’un grand quotidien, mais j’ai préféré rester ici.

— Ah bon ! Pourquoi ? Tu ne te sentais pas capable d’y faire ton trou ?

— Mon copain a demandé ma main. Me confia-t-elle en rougissant un peu.

— Félicitations ! Tu as bien fait, mais la presse nationale y perd une plume.

— Toujours aussi charmeur ! Comment va Karine ?

— Et si on arrêtait là les mondanités ? Fis-je, peu enclin à aborder avec elle ce sujet. Je suppose que tu es là pour Thomas Lasserre.

— Bien évidemment, un de mes contacts m’a prévenue ce matin.

— Et ?

— Et, il m’a juste dit qu’un de ses collègues l’avait retrouvé mort, sur une piste de ski, avec du sang partout. C’est exact ?

— C’est correct.

Me trouvant peu bavard, elle enchaîna.

— Si tu es là et compte tenu du pedigree de la victime, tu dois être chargé de l’enquête.

J’opinai en silence.

— Pierre, tu sais que tu peux compter sur ma coopération et ma discrétion. Je te l’ai prouvé il y a peu non ?

— C’est vrai. Dis-moi ce que tu sais sur lui.

Elle soupira.

— Que veux-tu savoir ? La version officielle ou les potins croustillants ?

— D’après toi ?

— Donnant-donnant ?

— Cause toujours, on verra après !

Elle regarda autour d’elle et baissa la voix, comme si elle devait me parler sous le sceau du secret.

Personne ne pouvait entendre ce qu’elle avait à me dire.

Héloïse était une Paloise pur jus, fille aînée d’une estimable famille de la bourgeoisie locale, elle avait un réseau long comme un confinement covidien dans un appartement de centre-ville. Elle était au fait de tout, sur presque, tout le monde ce qui en faisait un informateur efficace d’autant qu’intelligente, elle savait rester à sa place.

Elle me fit un résumé net, précis et concis de ce qu’elle pouvait connaître de la vie de Thomas Lasserre.

Elle passa vite sur la biographie du député. De toute façon, je n’ignorais pas que Corentin fouillerait cet aspect-là des choses.

Moi ce qui m’intéressait de la vie du bonhomme, c’était la fêlure, la face B du 45 tours, le vice caché, le côté obscur, le cadavre dans le placard.

Tout d’abord, elle me fit remarquer que Lasserre avait eu une ascension politique fulgurante et qu’elle n’avait pas pu se faire sans qu’il ait à jouer des coudes ou à écarter quelques rivaux, mais elle ne put m’en dire davantage.

Du point de vue strictement professionnel aussi, la victime avait dû se faire quelques ennemis.

— Promoteur immobilier, tu imagines ! Me dit-elle. Entre les clients mécontents, les concurrents pas ravis et toutes les embrouilles qui peuvent arriver avec les entreprises de BTP, il n’avait pas dû se faire que des copains !

Elle avait entendu parler d’une sale histoire avec un certain Fabrice Lacrabe, un acheteur qui s’estimait floué, mais elle ne sut pas rentrer dans les détails. Elle me promit qu’elle me renseignerait.

La chose mériterait d’être étudiée, le secteur restait sensible et risqué pour ses acteurs.

Demeurait la partie vie privée et, d’après elle, il y avait, là aussi, matière à enquêter, ne le surnommait-on pas « le serial niqueur ».

Je crus avoir mal compris.

— Non, non. C’était un dragueur compulsif et comme il était plutôt beau garçon, qu’il avait du bagout, de l’entregent et du fric, il avait beaucoup de succès. Il les lui fallait toutes.

— Toutes ? Lui demandai-je, curieux.

— Oui, toutes ! Me répondit-elle d’un air entendu.

— Ça lui a attiré des inimitiés, je suppose. Quelques maris cocus ?

— Oui et des conquêtes jalouses aussi. Je te ferai une liste si tu veux. Mais pas exhaustive, je ne suis pas au courant de tout !

— Une personne en particulier te viendrait-elle à l’esprit ?

— Non, pas particulièrement. D’ailleurs, il avait semblé s’assagir ces derniers mois. Depuis sa campagne électorale et sa désignation, on n’entendait plus parler de lui. Peut-être se montrait-il plus discret ?

— Et sa compagne ? Tu peux m’en dire un peu plus sur elle ?

— Sensiblement du même âge que lui, originaire d’Oloron, brillante, mais réservée, elle est toubib à l’hôpital de Pau. Je le sais parce que, il y a quelque temps, j’ai écrit un papier sur une affaire dans laquelle elle avait joué un rôle majeur, mais je ne la connais pas davantage, elle n’aime pas trop les mondanités.

— Tout allait bien entre eux ?

Elle l’ignorait.

Une chose était sûre, c’est que nous ne manquerions pas de travail ces prochains jours, les pistes politique, professionnelle et privée mériteraient d’être approfondies.

Comme nous l’avions déjà fait, je lui promis des informations exclusives à condition qu’elle ne publie rien sans mon consentement et qu’elle me donne tous les renseignements qu’elle pourrait recueillir lors de son enquête.

Elle accepta, bien sûr. Nous avions tous à y gagner, elle le savait et je pouvais compter sur elle, elle me l’avait démontré.

Avant de redescendre vers Pau, je joignis Oyharçabal, mon « capitaine de bureau » de la BSI, comme j’aimais à l’appeler.

— Bonjour Sauveur

— Bonjour Patron, comment allez-vous ?

Je n’avais jamais pu le dissuader de m’appeler comme ça et de me vouvoyer. Je m’étais fait une raison.

— Hervé Barlan est passé me voir ce matin, me dit-il. Il m’a parlé de notre nouvelle mission.

Je lui relatai les derniers évènements, n’omettant aucun détail.

— Nous nous y mettons tout de suite. Je vous téléphone dès que possible pour faire un premier point.

Je savais que je n’aurais pas besoin de lui donner des instructions, le basque connaissait son affaire.

Dans les heures qui viendraient, mon équipe, discrètement, aurait fouillé et la vie de Thomas Lasserre, du moins ce que pourrait en dévoiler son empreinte numérique, n’aurait plus beaucoup de secrets pour nous.

L’hyper-digitalisation de la société et la démultiplication du nombre de données faisaient qu’il était difficile de cacher quelque chose à qui maîtrisait les techniques de recherche.

Jeud, notre geek, excellait dans ce domaine.

Il était temps de rejoindre la capitaine Corentin.

Sur le chemin, mon téléphone sonna à plusieurs reprises. Je ne répondis pas.

Karine et moi avions été très épris l’un de l’autre durant notre jeunesse paloise puis certaines circonstances nous avaient fait nous éloigner.

Nous nous étions retrouvés à l’occasion de l’enquête sur la mort de son oncle et avions renoué une relation que je pensais solide.

L’affaire qui m’avait été confiée s’était révélée délicate.

Marie Christine, la mère, avait assassiné son beau-frère et engagé un tueur à gages pour nous éliminer, sa fille et moi, alors que nous nous approchions du but.

Nous avions révélé le pot aux roses et la marâtre s’était suicidée avant son interpellation.

J’avais pris sur moi de passer sous silence tout un pan de mes découvertes et très peu de personnes savaient que le père biologique des jumeaux était en réalité leur oncle Jean et que c’était pour éviter qu’il ne dénonce la vérité qu’elle l’avait fait mourir.

Elle n’en était d’ailleurs pas à son coup d’essai puisque, des années plus tôt, elle avait supprimé Xavier, son mari.

Du moins l’avait-elle cru, car celui-ci avait survécu à une terrible chute en montagne et avait refait sa vie en Espagne, tout en gardant un œil sur sa famille.

Sur l’instant, j’avais préféré taire ces éléments, mais ni Bernard ni Kinou, comme j’aimais à l’appeler, n’avaient été complètement dupes, subodorant, non sans raison, que je leur cachais des choses.

Mes relations avec elle s’étaient distendues au fil des jours jusqu’à l’inévitable rupture qui s’était faite sans que nous en parlions vraiment. Elle ne répondait plus à mes messages, elle m’ignorait totalement, j’avais compris et n’avais pas insisté.

Quant à son frère, je voyais bien qu’il me battait froid, lui aussi.

Je n’étais pas homme à me satisfaire de cette situation bancale et j’avais profité de la présence des jumeaux place Beauvau pour m’imposer dans le bureau ministériel et leur dire mon désappointement, ma tristesse et ma colère.

Je n’estimais pas mériter un tel traitement et la seule faute que je reconnaissais c’était d’avoir voulu et les ménager et les protéger en gardant par-devers moi ce secret.

Je savais qu’il faudrait bien qu’ils connaissent, un jour, la vérité, mais j’avais considéré, à tort sûrement, que l’heure n’était pas encore venue.

Je n’étais pas convaincu que le moment de tout leur révéler soit tout à fait propice, mais l’abcès se devait d’être crevé.

Je leur avais, littéralement, balancé le dossier qui contenait mon rapport et tous les éléments que j’avais rassemblés.

— Lisez, c’est édifiant !

Et j’étais parti rejoindre ma vallée natale, le cœur gros certes, mais aussi plus léger de m’être débarrassé de ce poids.

CHAPITRE 3 La SR

Je montrai ma carte au planton qui gardait le bâtiment et il m’indiqua les bureaux du capitaine et de son équipe.

Avant de les rejoindre, j’estimai devoir me présenter au gradé qui dirigeait la Section de Recherche.

Le colonel Maille, la cinquantaine, le regard dur et le cheveu dru, me reçut avec un sourire qui se voulait chaleureux, mais que je trouvais forcé.

— Je vous attendais avec impatience, Commissaire, me dit-il en me désignant de la main un fauteuil faisant face à un immense meuble, en bois clair, rangé à la perfection comme le reste de la pièce, derrière lequel il prit place.

— Qu’ai-je donc fait pour mériter votre curiosité, mon Colonel ? lui répondis-je en m’asseyant.

— Disons que j’ai beaucoup entendu parler de vous.

Je n’étais pas dupe.

— Il est tout à fait naturel que vous vous soyez renseigné. J’espère qu’on ne vous a pas tracé de moi un tableau trop sombre.

— Devrait-il l’être ? me demanda-t-il d’un ton dans lequel transparaissait une bonne dose d’ironie mordante.

— Rien n’est jamais totalement blanc ou totalement noir. Vous le savez bien.

— Certes ! Rassurez-vous, on m’a loué votre savoir-faire et votre efficacité. Par contre, je suis plus réticent sur les méthodes utilisées par vos hommes.

Je ne pouvais pas lui donner tort de le penser. C’est vrai que quelques-unes de nos investigations frôlaient la ligne de touche. Certaines la mordaient et il nous arrivait parfois d’être carrément en dehors du terrain.

— Nous ne faisons qu’apporter des éclairages nouveaux à des affaires complexes. Les équipes locales se chargent de les rendre acceptables. Répondis-je en mimant les guillemets accompagnant le dernier terme.

Le colonel Maille sourit. Il avait parfaitement compris ce que je voulais dire.

— Je n’aimerais pas, Commissaire, que ces « éclairages nouveaux » comme vous le dîtes si bien, en viennent à mettre en péril les investigations que nous mènerons. Vous n’ignorez pas que cette affaire va t’être scrutée, analysée, disséquée par tout un tas d’observateurs aussi curieux qu’avisés.

Les traits du militaire s’étaient durcis. Sous sa bonhomie transpiraient défiance et hostilité.

— Je ferai en sorte que tout se passe bien, mon Colonel. Je m’y engage.

J’espérais juste ne pas lui avoir fait une promesse de Gascon. Malgré tout le doigté de Sauveur Oyharçabal et de Jeud, notre spécialiste informatique maison, une bourde était toujours possible.

— À la grâce de Dieu ! conclut-il, fataliste.

En d’autres temps et d’autres circonstances, je lui aurais rétorqué que j’étais athée.

Je m’abstins.

Je trouvai les locaux de l’unité de la capitaine.

Quand j’y rentrai, je ne fus pas accueilli comme un rottweiler dans un bar à chats, mais pas loin et je me doutais bien que ma rencontre matinale avec Héloïse Daycour devait en être la cause.

J’expliquai à Corentin les relations que j’avais développées avec la journaliste et les avantages que nous pourrions tirer de notre coopération.

En gage de bonne foi, je lui racontai ce que la jeune femme m’avait appris sur le député.

Je ne sais si je sus être convaincant, mais elle sembla se calmer.

Elle me présenta les membres de son équipe.

Le lieutenant Paul Gabarn, un solide garçon, la petite quarantaine était son second. Il me serra la main, trop virilement, sans l’ombre d’un sourire, ni d’une parole. Je sentis bien qu’il voyait en moi un rival.

J’eus plus de succès avec Valérie Quatrain et Paul Domec, tous deux sous-lieutenants, qui se montrèrent aimables, de même que l’adjudante Laurence Hernandez, la procédurière du groupe.

Ce fut elle qui me demanda quel service je dirigeais.

En filigrane, je compris parfaitement qu’elle était curieuse de savoir pourquoi un commissaire parisien venait se mêler à l’affaire.

Sans trop entrer dans les détails, je leur expliquai que mon équipe, réduite en nombre, mais disposant de moyens techniques de pointe, avait été pensée et était missionnée par le ministère de l’Intérieur pour apporter son aide aux enquêteurs traditionnels.

La BSI trouvait dans le genre de dossier qui m’amenait aujourd’hui parmi eux, sa plus parfaite justification.

Les gendarmes parurent sceptiques.

Je ne pouvais pas leur en vouloir.

Leurs bureaux étaient clairs et spacieux.

Trois grands tableaux blancs occupaient tout un pan de mur de l’un d’entre eux.

Sur le premier était noté : « Privé », le second était destiné au « professionnel », quant au troisième, il serait consacré au domaine « Politique ».

La façon, apparemment rigoureuse, d’aborder l’enquête me plut.

Corentin m’indiqua que les réquisitions concernant les fadettes et les comptes étaient lancées et qu’ils attendaient les retours de la banque et de l’opérateur téléphonique. Le bornage du portable de la victime était, aussi, en cours.

Dans l’après-midi, le lieutenant Gabarn et quelques hommes iraient perquisitionner la permanence politique et les bureaux professionnels de Thomas Lasserre, entendraient les employés qui s’y trouveraient et convoqueraient les absents.

La capitaine, quant à elle, avait l’intention de se rendre au domicile du défunt où elle s’entretiendrait avec sa conjointe.

— Je viens avec vous, si vous me le permettez.

C’était juste une façon de parler, je ne lui demandais pas l’autorisation.

Audrey Miramon et Thomas Lasserre habitaient un coquet quartier, connu pour sa tranquillité. Cadres et professions libérales trouvaient là le calme et la discrétion qu’ils recherchaient, tout en restant dans la banlieue paloise.

Installé aux côtés de la jeune femme qui nous conduisait, je profitai du trajet pour essayer de faire plus ample connaissance avec elle.

— Dites-moi, Julie. Vous permettez que je vous appelle Julie ?

Je la vis se raidir et ses mains se crispèrent autour du volant.

— Nous en resterons à « Capitaine », si vous le voulez bien !

Sa repartie m’amusa et elle s’aperçut de mon sourire narquois. Sans doute se rendit-elle compte de la puérilité de sa réponse.

— Pardonnez-moi Commissaire, reprit-elle les joues légèrement rosies, j’ai peu l’habitude de ce genre de choses.

Je ne lui demandai pas de quel « genre de choses » elle voulait parler.

— Détendez-vous Capitaine, tout va bien se passer.

— C’est ma première affaire d’importance. Je suis un peu stressée.

— Vous me semblez tout à fait capable et puis vous êtes bien entourée.

— Merci. Et c’est vrai que j’ai une bonne équipe.

— Le lieutenant paraît particulièrement atten-tionné.

Elle rougit pour de bon et me lança un regard furibond. J’avais touché juste.

— Il n’y a rien entre nous !

— Je sais, Julie, je sais. N’empêche que lui aimerait bien !

— Je ne mélange jamais boulot et plaisir, finit-elle par me dire, sur un ton peu amène.

Nous finîmes par nous garer devant un charmant pavillon, de plain-pied, coquettement entouré de massifs qui devaient, en pleine saison, déborder de fleurs. Un haut portail équipé d’un visiophone en barrait l’entrée et il s’ouvrit après que la capitaine eut décliné nos identités.

Une jeune femme nous attendait devant la porte d’entrée.

Sans être vraiment repoussante, elle n’était pas vraiment jolie et c’est ce qui me frappa en premier chez elle.

Son apparence physique m’étonna. Relativement grande, charpentée comme une armoire normande, le cheveu noir et gras, les traits masculins, marqués par le chagrin, elle était aux antipodes de l’image que je m’étais faite de la compagne d’un séducteur comme Thomas Lasserre.

Pourtant, si elle n’était pas un canon de beauté, une sorte d’autorité naturelle, d’assurance, se dissipait d’elle. Elle me rappela, non pas pour le physique, mais pour l’attitude, une institutrice, célibataire sèche et revêche, Mademoiselle Etchegorry, que j’avais côtoyée toute une année, en cours préparatoire.

Audrey Miramon dégageait une aura pleine de force, de puissance et de détermination. Elle avait quelque chose en elle d’intimidant.

Nous lui présentâmes nos condoléances et elle nous invita à la suivre à l’intérieur.

Dans le salon, un homme, son frère, assurément tant leur ressemblance était frappante, se leva pour nous accueillir.

Il me sembla reconnaître le sportif de haut niveau, trailer, cycliste, skieur de haut vol qui avait, à plusieurs reprises, remporté « la Pyrénéa » en solo.

C’était bien lui, Yves Miramon, qui avait inscrit son nom à cette formidable compétition, sorte de triathlon mêlant course à pied, vélo et ski de randonnée pour finir, il me le confirma.

À notre demande, la compagne du député nous raconta que son frère et elle avaient passé une partie de l’après-midi ici même. Leur mère était décédée quelques semaines auparavant et ils avaient tout un tas de formalités administratives et autres joyeusetés à régler.

Sans nouvelles de Thomas, Yves était resté toute la soirée et la nuit également, en sa compagnie, ne tenant pas à la laisser seule dans ces angoissants moments.

Nos questions se firent plus précises.

Connaissait-elle des gens qui pourraient avoir des griefs à l’encontre de son compagnon ?

Elle haussa les épaules d’un air désabusé.

— Vous savez, la vie de Thomas n’était pas un long fleuve tranquille. Ses activités politiques lui ont, sans doute, attiré quelques inimitiés, mais je n’imagine pas un de ses adversaires lui en vouloir au point de l’assassiner.

— Et du côté professionnel ?

— Nous n’en parlions jamais, il entendait me préserver. Sandrine Cuesta, sa plus proche collaboratrice, pourra assurément vous en dire beaucoup plus.

Je vis bien que la capitaine était mal à l’aise à l’instant d’aborder le dernier point qu’il nous fallait éclaircir.

Certainement l’eut-elle fait, mais je décidai de lui faciliter la tâche.

— Et sur le plan personnel, Docteur, avait-il des ennemis ?

Audrey Miramon plongea son regard dans le mien et prit quelques secondes avant de me répondre, pesant soigneusement ses mots.

— Je ne vous apprendrai rien, Commissaire, en vous disant que Thomas était un séducteur. Il avait un besoin irrépressible, quasi pathologique, de charmer. Je ne l’ignorais pas et je l’acceptais. Non pas de gaieté de cœur, mais parce que je l’aimais et je savais que c’était réciproque. Malgré toutes les aventures qu’il pouvait avoir, il revenait toujours vers moi. Son comportement aurait-il pu lui attirer des ennuis, des jalousies ? Oui, très certainement ! Mais je ne pourrai vous donner aucun nom, ni aucune précision. Je ne voulais rien savoir.

Elle essuya une larme qui coulait au coin de son œil. La confession avait dû lui coûter.

— Il semblerait qu’il se soit, comment dire, assagi ces dernières semaines. Vous me le confirmez ?

Elle parut étonnée par ma question et me regarda perplexe.

— Vous êtes bien renseigné. Oui, ses fonctions prenantes comblaient, surement en partie, ses besoins. Peut-être aussi qu’en tant qu’élu, il estimait qu’il se devait d’avoir une vie moins dissolue. Je n’ai pas vraiment cherché à approfondir.

À son tour, elle voulut avoir des détails sur les circonstances de sa mort.

Bien entendu, nous n’étions pas en mesure de la renseigner. Elle le comprit.

— Quand pourrai-je le voir ?

Corentin lui répondit qu’une autopsie était programmée le lendemain et qu’en fonction des résultats, elle la rappellerait.

Avant de prendre congé, elle lui donna sa carte et j’en fis de même.

— N’hésitez pas à me téléphoner si le moindre détail vous revient.

Audrey Miramon promit.

— Qu’en pensez-vous ? me demanda la capitaine dès que nous eûmes regagné la voiture.

— Tout ça me semble cohérent. Il faudra vérifier leurs alibis en bornant les portables.

— Vous avez raison, je vais aussi demander s’il n’y a pas des caméras de surveillance dans le quartier.

Il était encore tôt. Je lui proposai d’aller boire un verre.

— Vous ne considérez pas que nous avons mieux à faire ? Me répondit-elle.

— Justement, non ! Je vous invite chez un copain qui pourrait nous apprendre des choses intéressantes.

— Et on le trouve où, votre camarade ?

— Dans un bar, pas très loin d’ici, le Roquépine.

Elle ne put retenir un mouvement de surprise et d’indignation.

— Je vois que vous connaissez l’endroit, Julie.

— Disons que j’en ai entendu parler, éluda-t-elle.

Après sa carrière de joueur, l’ancien talonneur de la Section paloise, Vincent Dalcato, un ami d’enfance, avait acheté ce troquet.