Miss Plumpridge et Lord Maupleroy - Elodie Di Fazio - E-Book

Miss Plumpridge et Lord Maupleroy E-Book

Elodie Di Fazio

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Beschreibung

Après les péripéties de leur dernière aventure, Miss Plumpridge et Lord Maupleroy pensaient pouvoir profiter de leur nouvel amour sans nuage. Mais c'est sans compter les ennuis qui se profilent : le Coven renégat est toujours actif. Le démon qui a pris possession de Miss Plumpridge fait des siennes, un nouveau membre du Cercle bouleverse leurs habitudes, et la mère de Lord Maupleroy elle-même s'en mêle ! Au milieu de cette tornade, Miss Plumpridge et Lord Maupleroy trouveront-ils un peu de calme ?

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Veröffentlichungsjahr: 2024

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Ähnliche


Sommaire

Précédemment chez Miss Plumpridge et Lord Maupleroy

Petits fours et doléances

Collegium

Discussions trop matinales

Démon en balade

Lady Maupleroy

Recherches et sémantique

Un corbeau insistant

Madame Merveille

Une famille si parfaite

Bal masqué

Valses et disputes

Evie et Gwen

Soupçons et mauvaises idées

Un art bien prémonitoire

La jeunesse de James

Avoir mauvaise presse

Réincarnation féline

Invitation aérienne

La jalousie est un vilain défaut

De l’impolitesse d’agresser en soirée

Affronter ses démons

Le mal survit toujours

Une douloureuse vérité

Yadriel

Là d’où viennent les petits garçons

En sécurité nulle part

De vieilles connaissances

Osmose

Destruction

Une danse à contretemps

Ils vécurent heureux

… Enfin, presque

Glossaire-Magiciens, sorciers, personnages et démons

Remerciements

Précédemment chez Miss Plumpridge et Lord Maupleroy

Lord Maupleroy, magicien de la Couronne et protecteur de Londres, a bien du mal à repousser les démons qui envahissent la ville nuit après nuit. Lorsque le gouvernement lui demande d’enquêter pour comprendre l’origine de ce mal, il demande l’aide de sa fidèle gouvernante, Miss Plumpridge.

À eux deux, de courses poursuites en soirées mondaines, ils parviennent à mettre à jour une organisation secrète de sorciers renégats : le Coven. En enquêtant sur les desseins de ce groupe malfaisant, ils croisent la route d’un démon en liberté, qui prend possession de Miss Plumpridge. Lord Maupleroy parvient à contenir le démon pour l’empêcher de manipuler Miss Plumpridge à sa guise. Leurs mésaventures les rapprochent peu à peu, et ils finissent par s’avouer leurs sentiments réciproques.

Ils découvrent que le Coven prévoit d’attaquer Buckingham Palace pour renverser la Couronne. Aidés des autres magiciens de la ville, et d’amis fidèles, ils mettent en place un plan pour les contrecarrer. Tout ne se passe pas comme prévu, et la vie de Lord Maupleroy est gravement menacée durant la bataille contre les sorciers. Miss Plumpridge n’a alors pas d’autre choix que de négocier avec le démon qui la possède pour sauver la vie de son compagnon.

Ils parviennent tous ensemble à repousser l’attaque, et à défaire le Coven, au prix de lourdes pertes dans les deux camps.

Miss Plumpridge et Lord Maupleroy pourront-ils enfin goûter au repos tant mérité ?

Petits fours et doléances

Miss Drusilla Plumpridge, ex-gouvernante et femme censée depuis toujours, détestait devoir se rendre dans la nouvelle salle à manger. Oh, pas parce que le papier peint n’était plus exactement de la même couleur depuis que la demeure du 112 Hagger Street avait été reconstruite. Les magiciens de la Couronne avaient dû s’y atteler plusieurs jours pour accélérer le chantier, redresser les fondations, sceller les pierres et recréer les poutres brûlées. Ils en avaient aussi profité pour placer des runes de protection dans les fondations, juste au cas où. La demeure avait émergé des cendres, telle un phénix. La maison était à présent identique à ce qu’elle avait été – le papier peint en moins. Mais le nouveau motif à oiseaux leur plaisait assez.

Ce n’était pas non plus parce que Lord Maupleroy avait décidé de changer tous les meubles de place dans un accès d’insomnie saupoudrée de caféine. Les meubles anciens légués par sa famille ayant été détruits, il avait décrété que le neuf était parfait pour un nouveau départ. Adieu table et buffet en bois massif, bonjour fournitures modernes. Lorsque la jeune femme se levait le matin, elle retrouvait parfois le salon complètement sens dessus dessous, les chaises poussées contre les murs, les consoles au milieu du tapis. Cet homme avait des nuits trop longues pour sa santé mentale.

Non c’était à cause de Butler. Ce fichu Rhys Butler.

C’était comme s’il guettait son passage, même quand elle s’appliquait à descendre de son pas le plus léger l’escalier qu’elle connaissait pourtant par coeur. À peine avait-elle posé le pied sur le carrelage lustré de l’entrée que l’ombre du majordome se dessinait dans l’encadrement du salon. Les mains croisées derrière lui, le dos impeccablement droit, il affichait son habituel visage impassible.

— Milady ? s’enquit-il.

Elle se retint du plus fort qu’elle put de lever les yeux au ciel.

« Tes bonnes manières, Drew. »

— Mr Butler, je vous ai déjà demandé mille fois de ne pas m’appeler Milady !

— Et je vous ai assuré mille fois que cela me convenait, Milady.

Miss Plumpridge grinça des dents. La présence de Butler allait finir par nécessiter un rendez-vous mensuel chez le dentiste.

— Et vous n’avez pas besoin de me le rappeler.

Elle soupira.

— Vous comptez rester planté là ? Vous n’avez rien d’autre à faire, comme l’argenterie ?

— Je l’ai faite hier, Milady.

— Les lustres ?

— Avant-hier.

Elle abattit sa dernière carte, désespérée.

— Et la garde-robe d’hiver de Lord Maupleroy ?

— Lavée, repassée, amidonnée et rangée pour la saison, Milady.

Elle le foudroya du regard.

— Vous êtes impossible.

— Je prends cela comme une preuve de mon efficacité, Mi…

Elle l’interrompit d’un doigt levé.

— Pitié, non.

Il allait lui falloir plus qu’une tasse de thé pour affronter cette journée.

Depuis qu’il avait pris ses fonctions, Butler avait chamboulé toute son organisation, et repris la maison en main d’une poigne de fer. Drusilla pensait que rien ne pouvait être plus ordonné que lorsque c’était elle qui avait le contrôle, mais elle se trompait. Elle se targuait pourtant de tenir la maison avec une efficacité hors norme. Butler avait passé une journée à observer leur maisonnée sans rien dire, et le lendemain, tout avait changé. Il avait commencé par renvoyer Mrs Calloway, l’ancienne cuisinière et Simon, le garçon à tout faire, malgré leurs protestations. La première ne cessait d’abîmer les ustensiles et de causer des départs de feu à cause de son manque d’implication, et le second buvait trop ouvertement pour que ce soit acceptable.

Emilia, la jeune aide de maison, était restée, sur l’insistance de Miss Plumpridge. Elle était prête à céder à beaucoup de choses, mais pas à voir la jeune fille qu’elle avait prise sous son aile changer d’employeur. On savait ce qu’on perdait, on ne savait jamais ce qu’on pouvait gagner.

En l’occurrence, elle s’était retrouvée avec un majordome un brin trop zélé, et qui allait finir par lui causer une crise cardiaque s’il s’obstinait à apparaître silencieusement derrière elle. Pour un homme aussi grand, Butler avait le pas aussi léger qu’un chat.

Elle agita son doigt toujours levé dans sa direction.

— Priez juste que Lord Maupleroy ne détruise pas sa garde-robe de printemps avant l’année prochaine. L’an dernier, il a fait brûler son dernier manteau en mars. Il m’a fallu des semaines pour lui en retrouver un convenable.

Butler acquiesça d’un air très sérieux. Il ne devait pas être beaucoup plus âgé qu’elle, mais son air perpétuellement grave le rendait indéchiffrable. Drusilla se demanda fugitivement s’il était capable de comprendre le second degré. Il avait pour l’instant peu côtoyé son nouvel employeur, toujours très occupé, mais l’humour de Lord Maupleroy risquait de l’écorcher bien assez tôt. D’ailleurs, quand on parlait du loup…

Dans son dos, l’escalier gémit dans un bruit de marches malmenées tandis que Lord Maupleroy descendait de l’étage en cavalant. Il faillit lui rentrer dedans, absorbé par son noeud de cravate de travers. Il sursauta en trouvant la jeune femme sur son chemin.

— Drusilla ? Tout va bien ?

La jeune femme soupira et redressa à sa place les rubans asymétriques de son col. Il avait réussi à coordonner sa chemise et son pantalon, c’était déjà ça.

— Tout va pour le mieux, Milord, mais…

Il l’interrompit, impatient.

— Je suis en retard, comme trop souvent. Je vous rejoindrai pour le thé, alors. À tout à l’heure.

Il prit avec délicatesse son visage entre ses mains pour déposer tendrement un baiser sur ses lèvres. Drusilla ne put s’empêcher de laisser sa moue contrariée se dérider. Les papillons dans son ventre ne se calmaient pas, même après plusieurs mois passés à ses côtés. Il était toujours aussi…

… pressé.

Lord Maupleroy claqua la porte de la demeure, et l’écho de son départ résonna de longues secondes dans le vestibule vide. Miss Plumpridge échangea un regard avec Butler, avant que celui-ci ne se retire avec son silence habituel, la laissant seule avec ses pensées. Dehors, les oiseaux se remirent à chanter, peu perturbés par la sortie bruyante de Lord Maupleroy. Une parfaite journée. Pourtant…

Depuis qu’ils s’étaient avoués leur attirance réciproque après la bataille de Buckingham, tout avait changé, et elle peinait à s’ajuster à sa nouvelle vie. James avait refusé qu’elle continue à tenir le rôle de gouvernante de la maison, arguant que cela serait trop étrange pour leur relation naissante. Elle était sa bien-aimée, plus son employée.

Voilà comment elle s’était retrouvée avec Butler dans les pattes. Et il prenait ses fonctions très au sérieux. Trop peut-être ?

Si elle osait attraper un plumeau, elle sentait sur elle son regard désapprobateur. Si elle remettait une nappe en place dans la buanderie, il se raclait la gorge. Il persistait à la traiter comme une Lady, dont les mains devaient rester loin de tout produit ménager. Et, Seigneur, que cela lui manquait. Elle en venait presque à rêver qu’elle récurait la cheminée certaines nuits. Frotter et régenter avaient toujours été ses moyens favoris pour évacuer toute tension.

Heureusement, Lord Maupleroy lui avait donné accès à son atelier, et elle y passait de longues heures, à lire tout ce qu’elle pouvait sur la magie, et à tester le nouveau don qu’elle avait développé depuis qu’un certain démon avait élu domicile dans son corps. Les étagères du magicien débordaient de gadgets et d’artefacts qu’elle explorait du bout des doigts, notant soigneusement chaque sensation qu’elle éprouvait, chaque frémissement de magie, chaque étincelle sur sa peau. Elle ne pouvait pas pratiquer la magie, mais elle semblait la comprendre instinctivement. C’était comme une recette dont elle goûtait les ingrédients pour en deviner le secret.

L’atelier étant la seule pièce dont Butler était banni, elle était toujours ravie de pouvoir s’y isoler. Et passer quelques coups de plumeau discrets.

Elle évitait de regarder l’étagère vide où s’était trouvé Hector quand elle passait devant. Ni elle ni James n’abordaient souvent le sujet, mais l’absence de leur ami était une blessure toujours à vif. Le nécromancien maudit, dont l’esprit s’était retrouvé piégé dans un crâne s’était sacrifié pour eux lors de la bataille de Buckingham contre le Coven renégat. La Reine l’avait gracié et anobli de façon posthume, mais James avait refusé de poser sa médaille sur l’emplacement vide. La place restait inoccupée, une fine couche de poussière s’accumulant petit à petit. Drusilla se refusait à épousseter cet endroit-là. C’était la seule preuve qu’il s’était trouvé là, à les attendre pendant de longues heures.

Ils n’en parlaient presque pas. En nettoyant les décombres de l’explosion, James était tombé sur le coffret de cigares qu’Hector affectionnait particulièrement. Il avait tenté une blague, mais s’était vite tu. La boîte était à présent reléguée au fond d’un tiroir, la médaille de la Couronne posée dessus. Une pincée de cendres se trouvait à l’intérieur : c’était tout ce qu’il était resté de leur ami après son sacrifice.

Ressasser ces souvenirs provoqua un pincement au coeur chez Drusilla. Et un gargouillis, un peu plus bas. Elle chassa du dos de la main la larme qui menaçait de perler et se ressaisit. Elle pénétra dans la cuisine sans tenir compte du froncement de sourcil discret de Butler et adressa un sourire complice à Emilia, occupée à préparer le repas du déjeuner.

Miss Drusilla Plumpridge était encore capable de se faire un thé ellemême. Non mais.

Collegium

Lord Maupleroy se frotta le visage des deux mains, fatigué. C’était de la fatigue purement mentale, puisqu’il était assis, depuis des heures lui semblait-il. Face à lui, deux académiciens débattaient depuis une bonne demi-heure sur un sujet stérile. Depuis les attaques du Coven, le gouvernement anglais avait décrété la création d’un Collegium composé de magiciens et d’universitaires, pour étudier de nouvelles formes de magies. Les magiciens royaux avaient uni leurs magies pour contrer la sorcellerie, avec un succès certain. Il fallait donc approfondir cette opportunité. Lord Maupleroy estimait pour sa part que c’était un peu tard, mais l’idée était pleine de bonnes intentions.

Il avait vite changé d’avis quand il avait compris qu’on attendait de lui d’être présent à plusieurs de ces réunions. Chaque magicien royal y assistait, à tour de rôle. Jusqu’à présent, son implication s’était surtout cantonnée à corriger chaque assertion fausse que des érudits sans le moindre pouvoir magique avaient pu énoncer. À l’évidence, logique et magie n’étaient pas si complémentaires parfois…

— La magie de l’eau est totalement liée à celle de l’air !

— Absolument pas ! C’est même tout le contraire !

L’académicien le plus vieux était si investi de ses certitudes qu’il en devenait tout rouge. Lord Maupleroy retint un bâillement. À ses côtés, la Veuve White dodelinait de la tête dans son fauteuil. Elle n’avait pas fait l’effort de remonter sa voilette, et somnolait clairement. Elle s’était offert un fauteuil flambant neuf après la bataille, dont les coussins avaient l’air incroyablement confortables. De l’autre côté de la table, le Baron Samediglissait discrètement de petits morceaux de nourriture à son familier, un corbeau démesuré perché sur son accoudoir. Ni lui ni la Veuve n’avaient eu l’occasion d’intervenir lors des discussions agitées de cette réunion.

La séance de discussion fut levée deux heures plus tard, sans que le débat ait avancé d’un pouce. Les deux orateurs s’étaient tout de même accordés sur le fait que les sortilèges liés aux plantes tiraient bel et bien leur force de la magie de la terre. Un pas décisif en avant.

Lord Maupleroy étira ses jambes endolories d’être restées croisées si longtemps. L’assise inconfortable du siège sur lequel il avait dû rester sagement immobile lui rappelait désagréablement ses années d’étude avec une préceptrice irlandaise irascible. L’institutrice avait jeté l’éponge au bout de deux ans, et il avait ensuite rejoint les classes de Hames, lorsque celui-ci faisait encore partie du Cercle.

La journée était presque trop entamée pour être encore productive, mais avec un peu de chance, il pourrait attraper un fiacre et être rentré à la maison à temps pour le thé avec Drusilla…

Le Baron Samedi le rattrapa dans le couloir qu’il remontait à la hâte.

— Lord Maupleroy, vous avez une minute ?

James étouffa le bâillement qu’il allait relâcher et se retourna avec politesse. Le Baron Samedi, vêtu de brocart pourpre comme à son habitude, était accompagné d’un homme qu’il ne connaissait pas. De haute stature, habillé avec élégance, le nouveau venu toisait Lord Maupleroy avec une curiosité teintée d’orgueil. Instinctivement, James ne l’apprécia pas. Le Baron les présenta.

— Lord Maupleroy, je vous présente Lord Cooper. Nous lui avons proposé la place qu’occupait Lady Murdoch au sein du Cercle royal.

Lord Maupleroy fronça les sourcils. Il détestait la façon édulcorée et politique dont le Cercle et le gouvernement parlaient de Lady Murdoch, son ancienne amie. Sa trahison était souvent passée sous silence, c’était comme si elle était partie en vacances pour ne jamais revenir. Une hypocrisie teintée de toute la bienséance anglaise. Pourtant, ils avaient tous été présents à son enterrement. La Couronne avait généreusement payé une gerbe de roses rouge sang qui avait été déposée sur son cercueil. Elizabeth aurait adoré cet hommage sanglant. La magicienne renégate reposait à présent auprès de son second époux, et tout le monde évitait soigneusement de prononcer son nom si ce n’était pas absolument nécessaire. Un mouchoir posé sur cette trahison, comme le linceul qui l’enveloppait dorénavant.

James tendit formellement la main à Lord Cooper, qui la saisit en retour. Sa poigne était ferme et assurée. Les deux hommes se jaugèrent. Lord Maupleroy força tous ses sens pour tenter de deviner vers quoi tendait la magie du nouveau magicien du Cercle, mais ne perçut rien. Il se douta que Lord Cooper faisait de même de son côté, mais son bouclier était en place et ne laissait rien filtrer. Un sourire se dessina sur les lèvres de Lord Cooper, qui n’atteignit pas tout à fait ses yeux noirs. Il avait les cheveux aussi blonds que Lord Maupleroy, mais bien plus courts, retombant en boucles dorées sur son front aristocratique. Il rompit la poignée de main le premier et recula d’un pas. Il se tenait si droit qu’il avait probablement reçu une éducation militaire.

— Ravi de faire votre connaissance, Lord Maupleroy.

Il adressa un signe de tête au Baron Samedi, son chapeau calé sous le bras.

— Baron.

Les deux magiciens le regardèrent s’éloigner dans le couloir du Palais. Lord Maupleroy fronça le nez. Ce nouveau venu ne lui inspirait rien de positif. Il renifla dédaigneusement - il détestait le changement.

— Son ascension dans le Cercle a-t-elle été approuvée par Sa Majesté ?

Le Baron Samedi eut un rire bas.

— C’est Elle en personne qui nous a demandé de l’intégrer. C’était d’ailleurs plus un ordre qu’une demande polie.

Lord Maupleroy ne prit plus la peine de cacher sa moue dubitative. La Reine se mêlait rarement des décisions du Cercle, c’en était d’autant plus exceptionnel. Qu’est-ce qui valait à Lord Cooper ces honneurs royaux ?

— Je n’imaginais pas sa Majesté avoir des magiciens dans sa manche.

Comment le connaît-elle ? Il n’a pas fait ses classes avec nous.

Son collègue lui emboîta le pas tandis qu’il remontait les couloirs du Palais jusqu’à la cour principale. Le corbeau du Baron Samedi prit son envol pour les précéder, appréciant peu d’être secoué par le pas rapide de son maître. Le magicien vaudou avait beau avoir de longues jambes, il peinait à maintenir l’allure de Lord Maupleroy.

— Vous semblez à chaque fois plus pressé de vous en aller, mon ami.

James sourit.

— La perspective de retrouver Drusilla est mille fois plus attrayante que celle d’assister à une énième réunion. Vous pouvez me comprendre, j’imagine.

Le Baron fit la moue – il vivait seul. Les deux magiciens sortirent de l’enceinte du Palais et Lord Maupleroy chercha un fiacre du regard. Le Baron Samedi semblait avoir tout son temps devant lui, et la langue bien pendue aujourd’hui. James savait qu’il adorait bavarder, et qu’il n’était jamais mécontent de tomber sur un ragot ou deux.

— Faites-vous encore semblant de ne pas vivre ensemble ?

— Je ne vois pas de quoi vous voulez parler. Miss Plumpridge vit chez moi depuis trois ans.

— C’est cela. Je parle du fait que lorsque nous avons tous participé à la reconstruction de votre maison, vous nous avez demandé d’ajouter une porte dérobée entre vos deux chambres.

— Et je ne vois toujours pas ce que vous sous-entendez, répéta James, buté.

Le Baron leva les yeux au ciel en s’esclaffant.

— Faisons comme si cette porte n’existait pas alors. Je parie que vous faites de même.

James cacha un sourire en pensant à son impatience d’entendre cette fameuse porte s’ouvrir, soir après soir. Le son glissant des gonds bien huilés le transportait dans la même excitation qu’un enfant le soir de Noël. Et, étant donné les cadeaux dépourvus d’affection qu’il recevait quand il était petit, ce présent-là était bien plus précieux. Magique.

Le corbeau du magicien vaudou se posa sur l’épaule de son maître et donna un coup de bec dans une des plumes de son extravagant chapeau. Lord Maupleroy profita que son collègue réprimandait son familier pour héler la première calèche qui passait.

Allongé dans son lit, les bras croisés derrière la tête, Lord Maupleroy ressassait l’arrivée de Lord Cooper au sein du Cercle. Le plafond devenait la victime toute désignée de son regard furibond. La Reine avait peut-être expressément demandé sa présence, mais il allait se méfier de ce nouvel arrivant comme de la peste. Lady Murdoch avait été l’une de ses amies les plus fidèles, avant de le poignarder dans le dos de la pire des façons. Il ne parvenait pas à comprendre que sa place soit cédée aussi vite, sans que personne ne s‘interroge davantage. Il était absolument hors de question qu’il fasse confiance à Lord Cooper sans en savoir plus à son sujet. Pourquoi tout le monde semblait-il aussi heureux de tourner la page et de faire comme si ce nouveau départ était un choix voulu ?

Il essayait de se détendre après cette journée trop longue passée en réunions et en comptes-rendus à rédiger pour garder trace de son travail. Il avait à peine eu le temps de croiser Miss Plumpridge entre deux allersretours.

Un cliquetis retentit du fond de la pièce. Le discret bruit de la porte dérobée le fit se redresser sur les coudes. Comme chaque soir, son coeur battit un peu plus vite. Il ne se lassait pas de ce moment, nuit après nuit.

La silhouette de Drusilla se découpa dans l’embrasure, enveloppée de sa chemise de nuit flottante. Elle lui adressa un sourire malicieux, et déposa sa chandelle sur la table de nuit. Le tissu vaporeux dessinait les contours de son corps dans la lumière vacillante. Une apparition. Une apparition bien tangible qui se coula dans ses bras sous la couette douillette. Il déposa un baiser sur son épaule nue.

— Enfin.

Un soupir qu’il n’avait pas eu conscience de retenir s’échappa. Sa nuque se détendit. Drusilla eut un petit rire. Elle dénouait ses cheveux pour dormir et ils cascadaient autour de son visage en boucles lâches.

— Cette réunion était-elle si pénible ?

— Elles le sont toutes, mais c’est surtout…

La chemise de nuit de la jeune femme glissa un peu plus bas, et sa phrase mourut sur ses lèvres.

— Oh, peu importe.

Il l’attira à lui et ses bras se refermèrent autour d’elle. Leurs corps s’épousaient parfaitement, chaque creux, chaque courbe. Le tatouage écarlate dans son dos dessinait un léger relief sous ses doigts quand il les fit glisser jusqu’au bas de ses reins. Drusilla se percha à califourchon sur lui, et saisit délicatement son visage entre ses mains pour l’embrasser.

Le jeune homme fit descendre ses mains jusqu’à ses cuisses, et souleva la chemise de nuit pour se glisser en dessous. Le tissu léger retomba, le recouvrant comme un dais blanc.

Mieux que le matin de Noël.

Discussions trop matinales

Miss Plumpridge ouvrit les yeux, mettant quelques secondes à se rappeler où elle se trouvait. Le plafond en bois lui retourna son regard encore alangui. Le silence tranquille de la matinée les enveloppait.

Depuis qu’elle dormait avec James, Drusilla avait découvert le plaisir insoupçonné des grasses matinées, d’un lit immense et d’oreillers moelleux. De fondre sa peau nue contre celle de son amant soir après soir. Le lit de Lord Maupleroy était assez grand pour accueillir une famille, pourtant ils dormaient enlacés chaque nuit, au point que le matin les retrouvait empêtrés dans les longs cheveux de la jeune femme, qu’elle gardait dénoués la nuit.

Elle se redressa en s’étirant et posa un regard satisfait sur la pièce calme. James dormait sur le ventre à ses côtés, le visage enfoui dans le creux de son bras. Ses cheveux blonds s’étalaient sur son dos. Elle résista à l’envie d’y passer les doigts, pour ne pas le réveiller. Le soleil timide de mars filtrait à travers les rideaux tirés, jouant avec les grains de poussière dans l’air, et la maison semblait vide et paisible.

James grogna dans son sommeil et son bras tâtonna à travers le matelas pour trouver Drusilla. Il l’attira fermement par la taille et nicha son nez dans le creux de son cou, un sourire satisfait aux lèvres. Possessif même endormi. Drusilla posa un doigt délicat sur la trace d’une vieille blessure qui marquait son omoplate. Le magicien replongea dans un sommeil profond.

Après la bataille qu’ils avaient menée au Palais, James avait mis plusieurs jours à se remettre. Le contrecoup de toute la magie qu’il avait puisé en lui l’avait laissé affaibli et presque comateux. Son épaule démise par le démon le lançait encore parfois. Drusilla elle, se souvenait encore et encore les visions des corps blessés, qu’ils soient amis ou ennemis. Ils avaient tous les deux eu besoin de reprendre des forces, de se retrouver.

Ils avaient passé ces journées dans la chambre de Lord Maupleroy, transformant le lit beaucoup trop grand en refuge. La jeune femme avait levé les yeux au ciel en souriant quand le magicien avait fait léviter toutes les courtepointes et les coussins du salon jusqu’à leur nid. Sous ses yeux émerveillés, il avait illuminé la pièce de petites lumières, telles des lucioles autour d’eux. Enfouis sous des montagnes de couvertures, ils avaient oublié le reste du monde.

Ils avaient appris à se découvrir. Enfin, à se redécouvrir, après ces années passées à s’apprécier sans oser s’avouer qu’ils désiraient plus. Ils l’avaient fait principalement dévêtus, emmitouflés dans des draps qui garderaient longtemps des plis incongrus.

Elle avait effleuré les traces de griffes sur son épaule. Une Wyverne avait tenté de l’enlever dans ses serres.

Il avait suivi le contour d’une brûlure sur son avant-bras. Une casserole d’eau bouillante s’était renversée sur elle.

Elle avait tracé les lignes d’une vieille estafilade sur ses côtes.

Il avait embrassé chacune des courbes du tatouage dans son dos. Elle avait fait semblant de ne pas remarquer qu’il testait la solidité du sceau.

Et puis il y avait les marques qui n’avaient pas besoin d’histoire.

Les éraflures gravées autour des mollets de Drusilla.

Le prénom d’un homme tatoué au-dessus du genou de James.

Au bout de plusieurs jours, ils connaissaient leurs corps par coeur, mais continuaient d’être incapables de se séparer. Irrésistiblement attirés l’un par l’autre, ils profitaient de la moindre occasion de se toucher l’un l’autre. Ils se tenaient presque la main pour manger, les doigts entrelacés. Butler ne travaillait pas encore pour eux, et personne n’était là pour les déranger. Emilia ne pouvait s’empêcher de sourire quand elle revenait des courses et les trouvait enlacés devant le feu, somnolant à moitié.

— Je sens votre regard sur moi.

Drusilla sursauta et tourna la tête. James la regardait, parfaitement réveillé, sans avoir bougé d’un centimètre. Son bras se resserra autour de sa taille et il se redressa sur un coude pour lui faire face.

— Encore des cauchemars ?

La jeune femme secoua la tête. Son compagnon pencha la tête sur le côté, la scrutant.

— Drew. Qu’y a-t-il ?

Elle se mordilla la lèvre inférieure, une moue à laquelle il ne pouvait pas résister.

— J’ai faim, souffla-t-elle.

James éclata de rire et repoussa la couverture. Il balança ses jambes sur le côté du lit.

— Alors, descendons, très chère. Je ne saurais m’interposer entre vous et le petit-déjeuner.

— James ! le retint-elle alors qu’il ouvrait la porte.

Il haussa un sourcil.

— Il faudrait peut-être vous habiller d’abord, lui rappela-t-elle.

Lord Maupleroy baissa les yeux sur son corps nu, agacé de ce rappel aux bonnes manières.

Butler leur servit une tasse de thé à chacun, et s’éclipsa discrètement. L’odeur du pain grillé et du Earl Grey embaumait la salle à manger. Drusilla mordit dans un toast avant de le reposer en soupirant. James repoussa ses cheveux en arrière et la dévisagea, inquiet. Il avait consenti à passer une robe de chambre, mais pas à se coiffer pour descendre.

— Quelque chose ne va pas ?

Elle hésita longuement avant de répondre, tripotant son repas du bout de la fourchette. Si longtemps que la confiture menaça de couler de sa tartine.

— J’ai l’impression d’être coincée sur place.

Il leva un sourcil confus.

— Souhaitez-vous aller vous promener ce matin ?

Elle ne put retenir un éclat de rire.

— Non, James. Je voulais dire, moi, Drusilla Plumpridge. Tout a changé. Je ne suis plus votre gouvernante, et je peine à trouver quel nouveau sens donner à ma vie. Vous avez votre Cercle, vos réunions, Hames… Moi… je hante cette maison en cherchant à être utile.

Il lui saisit la main.

— Drew, vous êtes utile. Vous êtes ma motivation première à rentrer chaque jour entier et rapidement.

Sa moue dubitative lui fit froncer les sourcils. Il la connaissait bien, il savait qu’elle continuerait à cogiter de longues heures sur ce qui la travaillait.

Elle préféra changer de sujet.

— Est-ce que vous ou les autres magiciens du Cercle avez pu localiser Lord Burton ?

Lord Maupleroy se força à avaler son bout de toast. La question était bienveillante, mais une colère sourde le saisissait dès qu’il pensait au Coven. Et à Elizabeth.

Lord Burton avait été l’un des mécènes du groupe de renégats, et bien qu’il n’ait aucun pouvoir magique, son argent et sa demeure avaient permis que des actes ignobles se déroulent. D’autres riches nobles étaient probablement impliqués, mais leur identité restait bien gardée. Le Coven avait changé de siège après avoir été découvert.

— Lord Burton est toujours introuvable. Sa famille est sans nouvelle de sa femme ou de lui depuis des semaines, et aucune de leurs propriétés n’a été visitée. Nous nous sommes assurés de poser des alarmes dans chacune de ses maisons, au cas où.

Et Burton possédait bien une dizaine de maisons à travers le pays. Miss Plumpridge soupira.

— Donc le reste du Coven est toujours introuvable ?

— Étant donné que nous n’avons aucune certitude quant au nombre de sorciers toujours en liberté…

La fin de sa phrase mourut dans un silence pensant. Les trois sorciers renégats qui avaient survécu à la bataille menée contre le Cercle avaient été placés sous haute surveillance dans une geôle renforcée par des sceaux empêchant les démons en eux de les posséder et de s’échapper de leurs hôtes pour en trouver de nouveaux. Le démon qui possédait Miss Plumpridge avait passé un marché lui permettant de s’affranchir de certaines limites, contrairement aux autres. Les cercles de contention étaient donc parfaitement efficaces dans ces prisons.

Malgré tous les efforts pour les interroger, aucun d’eux n’avait révélé où pouvaient se trouver les membres manquants de leur Coven. Soit ils mentaient à la perfection, soit ils l’ignoraient sincèrement. Les magiciens qui les avaient questionnés avaient réussi à comprendre qu’aucun des sorciers renégats n’avait eu connaissance de toutes les informations du plan de Lady Murdoch – un bon moyen d’éviter de remonter jusqu’au coeur de leur organisation si l’un d’eux venait à être arrêté. La magicienne avait visiblement commandé l’organisation clandestine un certain temps, mais quelqu’un avait fatalement dû prendre sa suite après sa mort.

James refusait de se laisser abattre par cette absence de repères.

— Nous manquons de pistes sérieuses. Heureusement nous sommes pleins de ressources.

Miss Plumpridge haussa un sourcil curieux. Lord Maupleroy but une gorgée de thé avant de répondre.

— J’ai confié ma balise d’alarmes à Alekseï.

— Votre quoi ?

— La boussole que j’utilise lorsque mes alarmes s’activent. Elle me permettait de savoir avec précision où me rendre en cas d’attaque. Elle lui sera plus utile qu’à moi en ce moment.

— Je ne savais pas qu’Alekseï chassait les démons.

Le magicien s’essuya la bouche de sa serviette.

— Apparemment, le petit corps à corps avec les démons au Palais lui a beaucoup plu, et il est devenu Traqueur.

Les Traqueurs, véritables chasseurs de primes, éliminaient tous les démons qu’ils croisaient. Bien que dépourvus pour la plupart d’aptitudes magiques, c’étaient souvent des hommes féroces, que rien n’effrayait. Les magiciens leur fournissaient régulièrement des artefacts afin de les aider dans leurs chasses. Rien d’étonnant à ce que l’ancien trafiquant, qu’ils avaient rencontré grâce au réseau de Hames, y ait trouvé sa place.

— Grâce à lui, les informations que parvient à récolter Hames sont encore plus précises.

— Quel genre d’information par exemple ?

— Eh bien…

Oui, bon, ils n’avaient eu que peu de retours intéressants jusque-là. Mais cela ne saurait tarder. Il avait foi en leur petite équipe. Drusilla haussa un sourcil, esquissa un sourire sibyllin et finit son petit déjeuner en silence.

Démon en balade

Le soleil pointait le bout de son nez par-dessus les toits sales de Londres lorsque Lord Maupleroy frappa à la porte de Lady Booth. La pluie reprendrait le dessus bien assez vite.

Depuis l’attaque du Palais, la magicienne rousse participait peu aux réunions du Cercle, sans qu’on ne lui en tienne rigueur. Elle avait même réussi à se faire dispenser des séances du Collegium, une faveur que personne n’avait remise en question. Elle avait préféré passer plus de temps avec sa famille, mais sa porte était toujours ouverte pour James et Drusilla. Littéralement ouverte, puisque le battant se poussa tout seul vers l’intérieur, l’invitant à entrer. Helena préférait ne plus sortir de chez elle si ce n’était pas nécessaire.

Elle le reçut dans son salon, et fit léviter une théière pleine et un plateau de petits toasts vers eux. Lord Maupleroy se laissa tomber dans le confortable divan tandis qu’une tasse voletait vers lui. Helena lui sourit amicalement.

— Quelles bonnes ou mauvaises nouvelles t’amènent, James ?

La magicienne repoussa ses cheveux de son visage de sa main valide. Lord Maupleroy évita de regarder son autre main, sachant que ça la mettait mal à l’aise. La vision de la Serrepeine qui avait mutilé Helena flotta fugacement dans son esprit. À la suite de la bataille de Buckingham, Lady Booth s’était fabriqué une prothèse en cuivre, légère et ensorcelée, pour dissimuler son poignet amputé. Le métal tinta quand elle referma les doigts autour de la porcelaine délicate. Les pattes d’oie autour de ses yeux de la magicienne s’étaient creusées ces derniers mois, la vieillissant prématurément. Son sourire était bien moins spontané que par le passé, et sa chevelure rousse pendait négligemment dans son dos.

— Juste l’envie de m’enquérir de l’état d’une vieille amie.

La jeune femme se dérida un peu et trempa ses lèvres dans son breuvage. James regarda autour de lui, curieux. La maison de la magicienne était inhabituellement calme, seuls résonnaient les tic-tac de l’horloge ancienne, et les clapotis du thé dans les tasses volantes.

— Où sont tes enfants ?

— Je les ai envoyés quelque temps chez ma mère, à Brighton. Il vaut mieux qu’ils restent le plus loin possible de Londres tant que ce Coven n’est pas anéanti.

La famille de Lady Booth avait été victime d’une attaque de Serrepeine quelques mois auparavant. La même Serrepeine qui était responsable de la perte de sa main gauche. Il comprenait aisément qu’elle ait préféré savoir ses enfants à l’abri.

— Bien sûr, Virginia a protesté à cor et à cri. Elle devient si forte en grandissant.