Mon odyssée à la Comédie-Française - Dumas Alexandre - E-Book

Mon odyssée à la Comédie-Française E-Book

Dumas Alexandre

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Beschreibung

Mon Odyssée à la Comédie-Française est un chapitre de ses Souvenirs dramatiques (1868), paru d’abord, en 1856, dans Paris et les Parisiens au XIXe siècle, mœurs, arts et monuments : Mon Odyssée à la Comédie-Française.

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Veröffentlichungsjahr: 2020

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Alexandre Dumas

MON ODYSSEE A LA COMEDIE-FRANÇAISE

Copyright

First published in 1856

Copyright © 2020 Classica Libris

1

La première entrée que j’eus l’honneur de faire dans les coulisses du Théâtre-Français eut lieu le soir même de la première représentation de Sylla.

J’avais vingt-deux ans.

Mon introducteur était un jeune ami de Talma, Adolphe de Leuven. Vous le connaissez, c’est l’auteur du Postillon de Longjumeau, du Bijou perdu, de la Promise.

Par quelle suite d’événements son père, un des hommes les plus éminents de l’aristocratie suédoise, venu en France avec Monsieur de Fersen, ambassadeur de Gustave III à Paris, élevé en quelque sorte aux Tuileries, sur les genoux de Marie-Antoinette, prit-il part, en 1792, à la conspiration d’Ankastrœm ; fut-il exilé à cause de cette conspiration, connut-il Talma à la suite de la vente que le grand seigneur fit au grand artiste de sa propriété de Brunoy ? Tout cela appartient bien plus à l’histoire politique de la fin du XVIIIe siècle et du commencement du XIXe qu’à son histoire théâtrale. Ce que j’ai à dire, moi, c’est comment, jeune homme de vingt-deux ans, parfaitement inconnu en littérature, j’étais introduit dans la loge de l’homme que ses flatteurs appelaient tantôt le Roscius, tantôt le Garrick français ; et que la postérité appelle tout simplement Talma.

J’étais profondément et doublement impressionné.

C’était la première fois que j’entrais dans le corridor d’un théâtre, dans le corridor intérieur bien entendu, dans celui qui mène aux loges des artistes. Celui du Théâtre-Français était encombré.

De Leuven, plus familiarisé avec ces sortes de détours, me tirait par la main et me fit traverser toute cette foule.

Nous arrivâmes à la loge de Talma.

Là, il y avait bien une autre foule.

Je ne sais si jamais le dictateur eut plus de clients à sa porte que celui qui venait de remplir son rôle avait d’admirateurs à la sienne.

Nous étions fort minces à cette époque, Adolphe et moi ; nous nous glissâmes comme deux anguilles, et nous nous trouvâmes dans une espèce d’antichambre où s’entassait bien certainement tout ce qu’il y avait de célébrités littéraires dans Paris.

Là, je vis pour la première fois Soumet, Delavigne, Guiraud, Étienne, Alexandre Duval, Lemercier et quatre ou cinq autres.

J’y vis aussi Monsieur Arnault père et Lucien Arnault ; mais je les connaissais.

Pendant que nous luttions pour arriver à cette seconde chambre qui était le sanctuaire où se tenait le dieu, on cria :

– Place ! place à Mademoiselle Mars !

Nous nous serrâmes le plus près possible de la muraille.

Un charmant frou-frou de satin se fit entendre, un parfum se répandit dans l’air, un nuage de gaze au milieu duquel brillaient des yeux étincelants comme des diamants et des dents blanches comme des perles passa, ou plutôt glissa au milieu de nous ; une voix suave comme les plus douces cordes d’une lyre, comme les sons les plus flûtés d’un hautbois se fit entendre, exprimant avec un accent parfaitement vrai une admiration profonde.

Il me sembla que Mademoiselle Mars disait vous, que Talma disait tu, que les deux artistes s’embrassaient.

Le même frou-frou se fit entendre de nouveau, Mademoiselle Mars reparut, échangea quelques mots avec Étienne et avec Soumet, jeta de la main un bonjour à Adolphe, et disparut.

Heureux Adolphe !

Je ne comprenais pas comment il recevait une pareille faveur avec tant de flegme.

– Allons, me dit-il, il faut entrer !

– Je n’oserai jamais ! répondis-je.

– Bon ! fit Adolphe, il ne fera pas même attention à vous !

C’était un seau d’eau glacée versé sur mon humilité, ou mon amour-propre, comme on voudra.

L’encouragement ne m’encouragea pas le moins du monde !

Cependant, je parvins à pénétrer dans la seconde pièce.

Si je n’ai pas toujours été gros, j’ai toujours été grand. Quoique je ne fusse qu’à la porte, que je ne désirasse pas aller plus loin, en me dressant sur la pointe des pieds, je pus dominer tout le monde.

Je cherchais Scylla avec sa couronne de laurier, sa mèche impériale, sa toge de dictateur, et je voyais tout le monde se presser autour d’un petit vieillard en robe de chambre de flanelle, chauve comme un genou.

Je n’y voulais pas croire.

Adolphe alla embrasser l’homme chauve à la robe de chambre de flanelle.

C’était bien décidément Talma.

J’ai raconté dans mes Mémoires comment eut lieu ma première entrevue avec le grand artiste, et comment il me baptisa poète dramatique au nom de Shakespeare et de Corneille.

2

Quatre ou cinq ans s’étaient écoulés.

Talma était mort, mais son baptême avait porté ses fruits.

J’avais fait, comme tout le monde, ma petite tragédie en cinq actes.

J’ai dit ailleurs comment elle m’avait été inspirée par un bas-relief de Mademoiselle de Fauveau, représentant la mort de Monaldeschi ! Ma tragédie s’appelait Christine à Fontainebleau.

C’était une tragédie classique ; entendons-nous, classique pas à la manière d’Eschyle et de Sophocle, pas même à la manière de Corneille, qui ne se gênait pas pour mettre dans son Cid des changements à vue là où il y en avait besoin, mais classique à la manière de Legouvé, de Chénier et de Luce de Lancival.

Il y avait bien par-ci par-là quelques scènes qui faisaient craquer la ceinture de Melpomène comme on disait alors ; par-ci par-là un peu de comédie montrant ses dents blanches et mordantes, mais enfin c’était par le fond une tragédie classique.

Une fois la tragédie faite, il s’agissait d’obtenir une lecture.

Il paraît que c’est encore chose fort difficile aujourd’hui. Mais, à coup sûr, c’était chose plus difficile encore à cette époque.

Hélas ! je l’ai dit, Talma était mort.

Oh ! s’il eût vécu, quoique je ne l’eusse revu que deux fois depuis, dans sa loge, bien entendu ; – au théâtre, je le voyais le plus que je pouvais ! – comme j’aurais couru chez Talma !

Et il y a une chose dont je suis sûr, c’est que, tout imparfaite qu’était Christine, Talma y eût trouvé au moins un rôle original, inconnu, je dirai plus, inouï dans le théâtre.

C’était le rôle de Monaldeschi.

Un lâche !

Personne n’avait jamais osé mettre un lâche sur la scène.

Je l’avais osé !

Mais naïvement, sans aucun désir de faire une innovation, parce que j’avais trouvé le caractère tout fait dans le récit du père Lebel.

Je suis convaincu que Talma eût saisi ce rôle au collet et ne l’aurait point lâché.

Il avait tenté un essai de ce genre dans le Leicester de Marie Stuart ; mais le Leicester de Marie Stuart n’était pas un lâche, c’était un ambitieux.

Et que de préparations, mon Dieu ! pour lui faire donner l’ordre – révoqué au vers suivant – d’arrêter Mortimer.

Mais, je le répète, Talma n’était plus là.

Je m’informai, je me renseignai ; j’arrivai jusqu’au souffleur de la Comédie-Française.

C’était un brave homme au nez bourré de tabac, que l’on appelait Garnier.

Il serait trop long de vous dire comment je fis cette haute connaissance.

Un des artistes avec lesquels Garnier, en sa qualité de souffleur, avait les relations les plus fréquentes et les plus intimes, était Firmin.

Nous nous rappelons tous Firmin, charmant acteur plein de talent, de chaleur et de verve. Eh bien, Firmin avait le malheur de ne pas avoir de mémoire.

Cette absence de mémoire avait créé l’espèce d’intimité qui liait Garnier à Firmin.

Par Garnier, je montai à Firmin.

Firmin était alors un homme de quarante ans, qui avait au théâtre le privilège d’en paraître vingt-six ou vingt-huit. Il avait débuté presque enfant sur la scène des Jeunes-Élèves ; il passa de là dans la troupe de Picard, et, de la troupe de Picard, à la Comédie-Française.

Firmin jouait adorablement Horace, de l’École des femmes ; le Menteur, de Corneille ; Auguste, de l’Amour et la Raison ; Lindor, d’Heureusement ; d’Ormilly, des Fausses Infidélités. Il venait de créer d’une façon charmante le rôle du jeune homme dans le Mari et l’Amant, et je ne sais plus quel rôle dans Valérie. Mais il avait voulu jouer le Tasse, et avait à peu près échoué ! Il est vrai que ce drame d’Alexandre Duval n’est pas une bonne chose, il s’en faut.

Il se plaignait amèrement de son chef d’emploi, Armand, qui, disait-il, ne lui laissait rien jouer du grand répertoire.

Firmin était petit de taille, d’un caractère taquin et querelleur, comme les hommes de cinq pieds deux pouces, mais brave et tout à fait sur la hanche.

Il avait dans sa vie donné deux ou trois coups d’épée, et en avait reçu un – d’un mari, je crois – au beau travers du corps.

Une de ses ambitions était de jouer un Bayard. Vingt fois il m’a parlé de ce sujet au théâtre, en ajoutant toujours :

– Il ne faut pas croire que Bayard fût un colosse ; non, au contraire, il était plutôt petit que grand, et plutôt mince que gros ; Bayard était un homme de ma taille.

Le parallèle, au grand regret de Firmin, n’eut jamais sur moi cette influence de me décider à traiter le même sujet que mon confrère du Belloy.

Mais, au milieu de ses immenses qualités, Firmin – à mon point de vue à moi – avait un petit défaut.

Il était timide, littérairement parlant ; il craignait toujours de se compromettre envers le comité.

Le Théâtre-Français, à cette époque, était régi par un comité s’assemblant tous les samedis.

Ce comité était présidé par un commissaire royal.

Ce commissaire royal était le baron Taylor.

Toute l’aide que me donna Firmin fut de me conseiller d’arriver jusqu’au baron Taylor.

Il n’y avait rien de compromettant pour lui, comme on voit, dans un semblable conseil.

Ceux qui tiendront à savoir comment j’arrivai à Monsieur le baron Taylor, par quelle échelle de Jacob je montai du souffleur au commissaire royal, peuvent lire mes Mémoires. Ils y trouveront la chose racontée dans tous ses détails.

J’obtins lecture pour ma Christine.

C’était déjà un grand triomphe.

Avoir lecture au Théâtre-Français. Peste ! il y avait des académiciens qui n’avaient jamais eu que cela.

Le comité de lecture était au grand complet. Je m’y présentai accompagné de Firmin.

C’était la première fois que j’entrais dans le sanctum sanctorum. J’avais été conduit, à travers les détours ténébreux du labyrinthe dramatique, par Firmin ; à cette époque, l’escalier qui conduisait du rez-de-chaussée au premier étage était parfaitement obscur.

Une femme marchait devant nous. Au fur et à mesure que nous montions vers les régions éclairées, je pouvais remarquer, dans ce que je voyais de cette femme, ce charmant mouvement de hanche que les Espagnoles appellent menito.

Nous arrivâmes en pleine lumière. Seulement alors, la femme se retourna et reconnut Firmin.

Elle éclata de rire.

Elle avait fait pour Firmin des frais qui se trouvaient perdus et qu’elle lui reprocha par un mot que je trouvai bien léger pour une dame de la Comédie-Française.

On sait que, dans les traditions théâtrales, on dit : « Les filles de l’Opéra – les demoiselles de l’Opéra-Comique – et les dames de la Comédie-Française. »

Le comité était au grand complet.

Il se composait de Messieurs Armand, Michelot, Monrose, Firmin, Grandville, Menjaud, Saint-Aulaire, Samson, et Mademoiselle Mars.

Quoiqu’il fût aussi du comité, Monsieur Lafon n’assistait point à la lecture.

Cette absence amena un incident que je raconterai tout à l’heure.