Mystérieuse Castagniccia - Marie-Laure Maurizi-Le Page - E-Book

Mystérieuse Castagniccia E-Book

Marie-Laure Maurizi-Le Page

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Beschreibung

Nous voilà plongés au coeur de la Corse, dans les paysages envoûtants de la Castagniccia. Une équipe de gendarmes, qui au fil des aventures nous devient familière, va devoir résoudre des énigmes sombres, parfois sordides. Après la violence, la douceur d'une âme corse attendrie sait apaiser les tourments.

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Seitenzahl: 321

Veröffentlichungsjahr: 2023

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Sommaire

U MANDILE DI SETA

Samedi: Santa-Maria-Poghju

Samedi midi: Antoine et Lucie

Dimanche: Santa-Maria-Poghju

Dimanche: Cervione

Dimanche: Antoine et Lucie

Lundi: Cervione

Lundi: Antoine et Lucie

Mardi: Ajaccio

Mardi: Quelque part en Castagniccia

Il y a dix-huit ans

Mardi: Ajaccio

La Porta

Mardi: Antoine et Lucie

Mercredi: Cervione- Midi

San-Nicolao

Cervione quatorze heures

Santa-Giulia dix-sept heures

Cervione dix-huit heures trente

JEUDI: Santa-Maria-Poghju

Dix jours plus tard

L'Enfant

Prologue

Alexandre

La vie reprend son cours

Nouvelle intrigue

Quelque part un homme

Premières recherches

Les châtaignes

Indices

Louise

Quelque part une femme

Penta di Casinca

Jean-Benoît

Ensemble

Les choses se précisent

Premiers souvenirs

Daphné et Adrien

Penta di Casinca

Conclusions communes

Le dessin

Daphné

Penta di Casinca

Éclaircie

Révélations

Retrouvailles

Épilogue

Le silence de Madeline

Premières investigations

Faustine

Terence

Meustache

Madeline et Mathieu

Interrogations entre amis

Giovanna et Tristan

Vitulettu

Pierre-Alexandre

Intermède

Anghjulina

Mattea

Vincent

Madeline

Le dénouement

L'adieu à Toussaint

Faustine

Cervione

Faustine et son passé

Alesiu et Faustine

Cervione

Dix-huit heures

Barbaggio

Saint-Florent

San Nicolao

Cervione

La gendarmerie

La cascade de l'Ugelluline

La gendarmerie

Cervione

Calvi

Folelli

Bastia

Lumio

Patrimonio

Les gorges de l'Asco

Cervione

U MANDILE DI SETA

(Le foulard de soie)

Samedi

Santa-Maria-Poghju

En ce matin printanier, le ciel azuré et le soleil resplendissant offrent une lumière quasi féerique au jardin.

Jean-Benoît y travaille depuis bientôt deux heures quand Lucca arrive sur la terrasse. Il vient visiblement de se lever, il cligne des yeux devant la violente luminosité du jour. Jeune garçon séduisant de dix-sept ans, le teint mat, les cheveux bruns frisés tenus sur le sommet du crâne en un chignon seyant, il admire la dextérité du jardinier tout en le saluant. Ce dernier l'aperçoit, répond à son salut et lui explique en toute simplicité ce qu'il est en train de faire : « Tu vois, c'est le printemps, il faut redonner vie à la terre, nettoyer, tailler, planter, semer. Je commence par le potager puis je m'occuperai des arbres et des fleurs. »

Depuis qu'il est entré au service des Guidicelli il y a quelques mois, Jean-Benoît Sarrasin a métamorphosé la propriété.

C'est un homme de trente-cinq ans, de taille moyenne, le visage poupin qui lui donne un air d'éternel adolescent. Il vient de Charente où il est né de parents âgés qui n'espéraient plus avoir d'enfant. Sa mère avait quarante-cinq ans, son père cinquante lorsqu'il s'est annoncé. L'arrivée de ce fils fut pour eux un miracle. Ils l'ont choyé, bichonné, surprotégé ce qui l'a plus ou moins isolé des autres enfants. Il en a gardé une timidité maladive, une certaine immaturité et une maladresse handicapante.

Sa grande passion a toujours été la flore, les jardins, la nature en général. Il parle aux fleurs, confie ses bonheurs ou chagrins aux arbres, chante volontiers devant un vol d'oiseaux. Le moindre insecte est son ami, il n'a peur de pratiquement aucun animal. Voilà sa richesse qui n'est finalement pas des moindres.Il avait trouvé auprès de ses parents un équilibre, un refuge qui le protégeait des agressions extérieures. L'école s'avéra trop violente pour lui, moqué et méchamment chahuté, il supplia ses parents de ne plus y aller. Il eut ainsi droit à une instruction à domicile. L'enseignement fut prodigué par sa mère qui avait été institutrice avant d'épouser son mari.

Jean-Benoît put malgré tout, profiter d'une éducation enrichissante et éclectique. Curieux de tout, très éveillé, il obtint son baccalauréat avec mention. Ensuite il prépara, toujours chez lui, un diplôme en Histoire. Il resta cependant un jeune homme naïf et timoré.

Puis survint le drame de sa vie, la mort de ses parents à quinze jours d'intervalle, son père d'une crise cardiaque, sa mère d'un chagrin inconsolable. Jean-Benoît avait vingt ans. Il dut affronter une réalité qui aurait pu l'engloutir mais il sut, malgré ses fragilités, rester debout et se débrouiller.

Les études abandonnées, il chercha aussitôt un travail pour vivre ou plutôt survivre. Il trouva des petits boulots sans intérêt pour lui, essaya de s'adapter mais son extrême maladresse, ses gaffes à répétition lui donnèrent une telle réputation d'incapable, voire de débile, qu'il ne put espérer trouver un travail en Charente.

Une émission de télévision sur l'île de beauté fut son déclic pour décider une plongée dans un ailleurs. Il se renseigna et découvrit une annonce proposant un travail de jardinier chez un couple, Antoine et Lucie Guidicelli. Monsieur est oléiculteur, Madame, médecin généraliste.

Il s'embarqua pour ce voyage en terre inconnue, enthousiaste malgré son angoisse, à l'idée de la découverte et d'une vie près de la nature.

Lui, le Charentais qui vivait jusque-là dans un petit village entre Cognac et Angoulême, dans un cadre apaisant, vallonné, au milieu des vignes, découvrait une Corse montagneuse, rocailleuse, au relief tourmenté et aux paysages variés. Les couleurs bigarrées et chatoyantes, les parfums divers le séduisirent aussitôt. Il plut d'emblée aux Guiducelli qui l'embauchèrent.

Désormais il vit confortablement à Santa-Maria-Poghju, un vieux village émergé du maquis, au cœur de la Costa Verde. Adossé au monte Osari, tourné vers le large, ce village marie la montagne à la mer. Il est fait de paliers, sur l'un d'eux se trouve la villa des Guidicelli, un peu au-dessus de la route de la corniche qui va vers la cascade de l'Ucelluline, surplombant des paysages époustouflants et plongeant vers la mer Tyrrhénienne.

Le jardin qui l'entoure est d'une beauté enviée par nombre de villageois et Jean-Benoît y est pour beaucoup. Il est logé dans un studio joliment agencé qui jouxte la maison principale.

Il ne se lasse pas des promenades dans le maquis, se régalant de la vue des Cistes, genêts, myrtes, lentisques ou chèvrefeuilles, appréciant les plantes odorantes. Régulièrement il apprend certains noms d'arbres ou de plantes en langue corse : a filetta (la fougère), a scopa (la bruyère), u querciu (le chêne), a morta (le myrte), l'albitru (l'arbousier) etc.

Ce matin comme tous les jours, il entame sa journée par une visite de son giardinu (jardin), s'émerveillant de la sérénité qui s'en dégage. Comme à l'accoutumée, il parle aux fleurs, s'attarde auprès d'un arbuste, chantonne à la vue d'un papillon ou d'une libellule.

Le chat de la famille, Napo, un robuste angora câlin et deux aras bavards, Léo le rouge et Théo le vert, sont d'excellents compagnons. En bref, il est heureux !

Il apprécie le couple qui l'emploie et s'entend bien avec leur fils, Lucca.

Ce jeune garçon ne le snobe pas, s'intéresse à son travail et lui adresse volontiers la parole sans qu'une réelle discussion n'ait jamais été engagée. Mais cette sympathie lui met du baume au cœur. En revanche il ressent bien la méfiance et parfois l'animosité de certains villageois à son encontre. Il se doute que la cause en est sans doute son air balourd, ses origines « pointues » comme ils disent et son accent charentais ! Peu importe, il n'a besoin de personne si ce n'est de la bienveillance des Guidicelli.

Il n'a jamais eu de copains, encore moins de copines et à trente-cinq ans il n'a toujours pas connu l'amour.

Lucca lui demande s'il a vu ses parents :

- Oui bien sûr, ils sont partis en voiture il y a à peu près une heure. Ils devaient aller sur Bastiapour acheter un canapé d'angle. Ils m'ont dit que tu étais au courant et qu'ils rentraient pour midi.

- Ah oui c'est exact ! Bon, en attendant je vais petit-déjeuner puis reprendre mes révisions du bac. Bon courage à toi Jean-Benoît !

- Et à toi aussi Lucca !

Lucca a lui aussi une histoire peu banale. C'est un enfant adopté dès son plus jeune âge. Ses parents lui ont révélé cette vérité très tôt. Il sait qu'il a été trouvé par un moine sur les marches de la cathédrale Saint Érasme de Cervione. Il fut aussitôt confié au couvent Saint-François qui faisait alors fonction d'orphelinat. Très rapidement le nécessaire fut fait pour lui trouver une famille adoptive. Antoine et Lucie obtinrent sa garde et purent l'adopter ensuite.

Lucie lui a précisé qu'au moment de son abandon, il dormait dans un superbe couffin, joliment vêtu et disposant d'un trousseau important de linge de rechange. Il y avait aussi quelques objets tel un ourson en peluche qu'il possède encore aujourd'hui et qu'il garde comme un talisman.

Antoine et Lucie ont toujours pensé que cet abandon s'est fait dans la précipitation, comme dans un cas de force majeure, sans doute pour protéger cet enfant d'un sérieux danger.

Lucca a ainsi acquis la certitude qu'il n'a pas été abandonné mais sauvé d'une mort imminente. Il cherche bien entendu à savoir ce qui s'est passé. Il veut percer le mystère de sa naissance, connaître ses origines. Cette quête ne l'empêche pas d'être heureux auprès de ses parents, de les aimer tendrement et de les admirer. Il leur est reconnaissant de ne jamais lui avoir menti et de l'accompagner dans ses recherches pour l'instant restées vaines.

Il fait partie d'une bande de copains et de copines avec lesquels il partage des activités sportives et culturelles comme le kitesurf, les randos ou la musique. Très populaire, ouvert et généreux, il a le don de mettre à l'aise, ce qui a permis à Jean-Benoît de s'adapter d'autant plus facilement. Il reste cependant discret sur son intime, notamment sur sa quête identitaire qu'il n'évoque qu'avec ses parents.

Il est lycéen à Bastia, sérieux dans son travail, étudiant parallèlement le violon dont il joue en virtuose.

La matinée de ce samedi se passe tranquillement, chacun à sa tâche.

A midi trente, Lucca s'étonne du retard de ses parents peu coutumiers du fait. Il finit par leur téléphoner mais tombe sur la messagerie. Il commence à s'inquiéter, devient nerveux, pense à un accident avec cette route territoriale meurtrière. Nombreux sont les fous de vitesse, inconséquents et dangereux. Il sort trouver Jean-Benoît qui termine son labeur.

- Je suis un peu inquiet, papa et maman ne rentrent pas et ne répondent pas à mes appels téléphoniques.

- C'est étonnant en effet mais il y a peut-être un ralentissement sur la route, ça arrive souvent.

- Certes, mais le fait de ne pas pouvoir les joindre m'angoisse, c'est sans doute idiot. Ils t'ont bien dit qu'ils rentraient déjeuner ?

- Oui, oui, ils ne vont pas tarder je pense. Soyons patients !

- Tu as raison, je vais me détendre avec mon violon. Bon appétit à toi !

Deux heures après, toujours pas de nouvelles et cette fois c'est Jean-Benoît qui vient trouver Lucca :

- Alors rien de neuf ?

- Non et je me demande que faire. Je vais appeler de suite la gendarmerie et l'hôpital pour savoir s'il y a eu un accident.

- Oui on en saura peut-être plus !

Lucca appelle aussitôt. Rien n'évoque un accident ou une hospitalisation en urgence.

La gendarmerie lui précise que pour intervenir il faut que ce soit une disparition inquiétante donc avoir des éléments qui appuient cette supposition.

Lucca téléphone au magasin où devaient se rendre ses parents. Il lui est confirmé qu'ils sont bien venus choisir et commander un canapé d'angle.

Paniqué, Lucca sait qu'il faut se déplacer pour voir de plus près, chercher leur véhicule, interroger les gens qui auraient pu les apercevoir. Mais ni lui, ni Jean-Benoît n'ont le permis de conduire.

Il passe alors un coup de fil aux amis de ses parents, Hubert et Henriette Umbrosi qui habitent une maison juste au-dessus de leur villa. C'est Hubert qui décroche :

- Bonjour Hubert, c'est Lucca, je suis très inquiet car papa et maman ne sont toujours pas rentrés de Bastia où ils sont allés faire une course. Il est quatorze heures trente et ils devaient rentrer pour déjeuner. J'ai essayé plusieurs fois de téléphoner à papa comme à maman et je tombe sans cesse sur les répondeurs. Leur retard plus l'impossibilité de les joindre me font craindre le pire.

- C'est à dire ? Un accident ? Tu as appelé l'hôpital et la gendarmerie ?

- Mais oui et même le magasin, qui a confirmé qu'ils étaient bien chez eux vers dix heures. Tu vois, ils avaient largement le temps de rentrer. Et la gendarmerie m'a dit qu'il fallait plus d'éléments concrets pour enquêter. En fait il faut prouver que c'est une disparition inquiétante.

- Bon, j'arrive, je t'emmène à Bastia, on va essayer de voir sur place. Ils sont partis en Land-Rover ?

- Oui ! Jean-Benoît vient avec nous, on ne sera pas trop de trois.

- Tu as raison, Henriette va nous accompagner, on sera quatre !

Lucca s'apaise un peu. L'aide d'Hubert et d'Henriette lui est d'un grand réconfort. Ce sont deux personnes sur lesquelles il peut compter. Tous deux viticulteurs, ils sont amis avec Antoine et Lucie depuis leur jeunesse. Ils se connaissent bien. Ils ont deux enfants, une fille aînée étudiante sur le continent, Capucine, assez proche de Lucca, et un fils, Julien, beaucoup moins sérieux que sa sœur. Ce dernier a tendance à traîner avec Paul-Do, un jeune d'un village voisin. Peu enclin à l'effort, il est un souci majeur pour ses parents. De plus Paul-Do et son comparse se montrent moqueurs à l'encontre de Jean-benoît dès qu'ils le croisent. C'est pourquoi Hubert ne lui propose pas de les accompagner.

Ils partent donc tous les quatre pour Bastia. Il est quinze heures.

Ils sont sur la zone commerciale une heure plus tard et se garent devant le magasin de meubles choisi par Antoine et Lucie.

Ils y entrent pour demander des précisions sur leur passage. Il est confirmé qu'ils étaient là dès neuf heures trente, qu'ils ont mis environ une heure pour choisir et régler la commande, la livraison étant prévue pour dans trois jours. Les commerçants répondent gentiment à toutes les questions. Le couple était bien détendu, ne semblait avoir aucun problème et quittait le commerce avec le sourire, visiblement content de leur achat.

Lucca et ses amis sortent et décident de chercher la Land-Rover dans les environs, ce serait un indice s'ils la retrouvaient.

Elle n'est pas sur le parking du magasin. Ils vont voir plus loin où on peut se garer plus aisément. Ils n'ont pas besoin de chercher très longtemps, la voiture est là, seule, comme abandonnée. Elle est fermée. Lucca scrute l'intérieur à travers les vitres et ne voit rien de particulier. Son cœur bat la chamade, l'angoisse lui serre la gorge, la disparition inquiétante est bien réelle.

Ils doivent se rendre à la gendarmerie de Cervione.

Arrivés sur place, Hubert accompagne Lucca. Ils sont reçus par un jeune homme à qui ils expliquent la situation. Il leur est demandé de patienter quelques instants, quelqu'un va les recevoir.

Très rapidement une jeune femme s'avance vers eux, ils la connaissent, c'est Faustine Poli qui a toujours vécu à Cervione. C'est une trentenaire, jolie rousse au visage agrémenté de taches de rousseur, dénué du moindre maquillage, et à l'allure essentiellement sportive. La coquetterie ne fait pas partie de ses atouts. Très professionnelle, elle se présente même si les deux hommes savent pertinemment qu'elle est capitaine, adjointe d'Eustache Gauthier, baptisé Meustache en raison de sa grosse moustache. Elle se montre réservée, presque froide et leur demande de la suivre dans son bureau.

- Alors que se passe-t-il ? Lucca, tu as appelé ce midi m'a-t-on rapporté, peux-tu me réexpliquer clairement ?

- Eh bien mes parents ont disparu !

- Comment ça, disparu ?

- Ce matin ils sont partis tous les deux en voiture à Bastia vers huit heures pour aller à Conforama acheter un canapé. Ils devaient revenir pour déjeuner et ils ne sont pas rentrés. Je les ai appelés plusieurs fois et suis toujours tombé sur leur répondeur. Ce n'est pas leur genre de ne pas répondre au téléphone. On vient du magasin, ils ont bien acheté le canapé, sont sortis tranquillement puis plus rien. On a retrouvé leur voiture fermée sur un parking voisin.

- Ah oui ? Là, effectivement ça devient inquiétant. Mais tes parents étaient comme d'habitude ces derniers temps ?

- Oui, souriants et détendus, ils n'avaient aucun problème, du moins à ma connaissance.

- Et vous Hubert qui les connaissez bien, vous n'avez rien remarqué ?

- Absolument rien ! On a même prévu de se voir demain après-midi pour notre association, la bibliothèque des jeunes.

- On note et on vous tiendra au courant.

- Mais qu'est-ce que vous allez faire ? demande Lucca au bord des larmes.

- On va enquêter Lucca, déjà aller voir sur place, interroger les commerçants, vérifier, en bref faire notre boulot. Je te promets que dès qu'on a quelque chose je te fais signe, finit-elle par ajouter, touchée par le désarroi du jeune homme. Elle leur offre un gentil sourire avant de les raccompagner vers la sortie.

Hubert et Henriette proposent à Lucca et Jean-Benoît de venir dîner avec eux. Lucca aurait plutôt envie de chercher et encore chercher où peuvent se trouver ses parents mais il sait bien que sans le moindre indice cela n'a aucun sens. Il finit par accepter cette gentille invitation.

La soirée se passe au mieux compte tenu des circonstances. Julien est là lui aussi et se montre capable d'être correct voire poli. Il adresse même la parole à Jean-Benoît sans ricaner ni faire des sous-entendus comme à l'accoutumée. La solitude du Charentais et son absence de petite amie sont un sujet de plaisanteries graveleuses récurrentes chez Julien et Paul-Do, ce qui dénote chez eux une immaturité et une sottise confondantes.

Henriette essaie de détendre l'atmosphère du mieux qu'elle peut mais le cœur n'y est pas.

Vers vingt et une heures, Faustine Poli appelle Lucca pour l'avertir de sa visite demain matin.

Avec Jean-Benoît il quitte ses hôtes vers vingt-deux heures.

Samedi midi

Antoine et Lucie

La porte vient de se refermer, ils entendent la clef tourner.

Antoine et Lucie se regardent effarés, ils ne comprennent rien. Que font-ils ici, dans ce qui semble être le sous-sol d'une immense maison ?

Ils découvrent autour d'eux les meubles de qualité, fauteuils grand confort, divan spacieux, télévision dernier cri, dans ce qui semble servir de salle de séjour. Une vaste cuisine américaine qui comprend un matériel moderne prolonge cette pièce.

En revanche, ils ne voient aucune ouverture sur l'extérieur. Deux grandes fresques murales peuvent donner l'illusion du grand air. L'une représente une marine et l'autre une montagne boisée.

- Mais que nous arrive-t-il ? s'interroge Lucie au bord du malaise.

- Je n'en sais rien mais calme-toi, ceux qui nous ont kidnappés vont nous expliquer, ce n'est pas possible autrement. Et regarde ce luxe, ils n'ont pas l'intention de nous maltraiter.

- Que nous veulent-ils ? Réclamer une rançon ? On n'est pas les plus riches du pays ! Tu as bien vu, ils nous attendaient près du parking ! Ils ne nous ont pas enlevés par hasard ! Mon Dieu, je pense à notre Lucca qui doit se ronger les sangs !

- C'est un grand garçon, il ne va pas se laisser aller, il a sans doute déjà averti la police. Effectivement, tu n'as pas tort ils nous attendaient bien, ils nous ont braqués aussitôt vus, avec un flingue dans notre dos, en nous enjoignant de rester calmes pour nous engouffrer sans difficultés dans leur fourgon, enrage-t-il. Du travail net et précis ! Mais ils n'ont pas l'air d'être d'ici.

- Pourquoi tu dis ça ? Même si effectivement il y en avait un avec un accent oriental, les trois ont bien l'élocution du coin dont un qu'on pourrait surnommer « la paille au nez ! » dit-elle avec ironie. En plus, ils nous ont confisqué les portables !

- Confisqué ! rit Antoine, on n'est pas à l'école !

- Et ça te fait rire ! Ils nous ont quand même pris nos téléphones pour nous couper de tout le monde.

Soudain la porte s'ouvre et un homme habillé tout de noir et portant cagoule, leur apporte des boissons et petits biscuits sur un plateau d'argent. Il le dépose sur une table basse. Lucie s'empresse de l'interpeller :

- Monsieur, dîtes-nous ce qu'on fait ici ! Que nous voulez-vous ?

L'homme repart sans un mot ni un regard.

- En tous cas ils nous bichonnent ! Hum, une bonne boisson fraîche et des biscuits bienvenus.

- Tu n'es pas possible Antoine, il n'y a que ton ventre qui compte !

- Calme-toi mon amour, tu n'as pas soif ? Si je peux avoir le choix, je préfère être torturé de cette manière. Je pense qu'ils ne nous veulent pas de mal, attendons pour savoir pourquoi nous sommes là. Patientons en nous désaltérant et en grignotant des bonnes choses.

C'est sans doute un petit apéritif avant un bon repas ! On les remerciera d'un ou deux bocaux d'olives voire d'un litre de notre huile enchanteresse, conclut-il avec un clin d’œil.

- Ta légèreté me sidère ! Moi je n'arrive pas à déstresser.

- Et ça nous avance à quoi, tu peux me le dire ? Tiens prends donc ton verre.

Il lui tend sa boisson avec le sourire ce qui lui permet de se dérider un tant soit peu.

Ils finissent par s'asseoir. Ils essaient de faire le tour des derniers événements de leur vie et ne notent rien de spécial.

- Tu n'as eu aucun souci avec les saisonniers ? demande Lucie.

- Mais non, pourquoi veux-tu que j'aie eu des problèmes avec qui que ce soit ? Je suis un bon patron sympathique et conciliant répond-il avec humour. Et toi avec tes patients, tu n'aurais pas envoyé quelqu'un à la morgue après un mauvais diagnostic ?

- Ah c'est fin ! Tu ne peux pas essayer d'être sérieux ?

- Écoute on ne va pas en plus se prendre la tête pour savoir ce qu'on a fait ou pas pour mériter ce kidnapping. On en connaîtra la raison d'ici peu.

- Moi je pense à Lucca car c'est la seule chose extraordinaire qui ait pu nous arriver dans la vie reprend-elle d'une voix tremblante d'émotion.

- Que vas-tu chercher ma pauvre chérie ? Tu dramatises toujours tout !

- Et toi, tu minimises et ris de tout ! Parce que c'est évident que se faire entrer de force dans une voiture puis enfermer dans un local, même luxueux, est une chose banale !!! Ah oui c'est sûr qu'il y a de quoi se marrer ! s'écrie-t-elle en colère avant de s'effondrer en larmes.

Antoine la prend dans ses bras, essaie de la calmer, la rassurer mais lui-même derrière ses fanfaronnades, n'en mène pas large.

Dimanche

Santa-Maria-Poghju

Lucca est debout dès cinq heures, il ne peut plus dormir. La nuit a été difficile, sommeil agité, cauchemars puis insomnie.

Il se prépare à recevoir Faustine peut-être accompagnée. Que va-t-elle lui dire, lui demander ou lui apprendre ? s'interroge-t-il.

Il prend son petit déjeuner qui reste très frugal ce matin car l'appétit a disparu. Jean-Benoît lui aussi levé aux aurores, vient le voir :

- Bonjour Lucca, pas trop mal dormi ?

- Bonjour Jean-Benoît, tu penses bien que j'ai à peine fermé l’œil. Et toi, ça va ?

- T'inquiète, je pense surtout à toi et tes parents. La capitaine vient bien à neuf heures ?

- Oui je l'attends, elle aura peut-être du nouveau, je m'accroche à cet espoir mais je crains qu'il n'y ait pour l'instant guère d'indices. Faustine saura nous poser les bonnes questions pour essayer d'y voir plus clair.

- Tu la connais bien ?

- Oui elle vit à Cervione depuis toujours. Sa famille est installée ici depuis plusieurs générations.

- Elle est une bonne gendarme ?

- Très compétente et pugnace. Elle ne laisse rien passer, on peut compter sur elle. A côté de ça, ce n'est pas une marrante, On ne lui connaît pas de passion autre que son métier. Après tout, la compétence et le sérieux c'est tout ce qu'on lui demande !

Lucca propose un café. Ils devisent quelques temps avant l'arrivée de Faustine qui finalement, se présente seule.

Lucca la fait rentrer, Jean-Benoît s'éclipse. Faustine accepte de s'asseoir autour de la table de la salle de séjour. Elle commence aussitôt :

- Lucca, je vais être indiscrète sur la vie de tes parents mais aussi sur la tienne. Il nous faut des éléments pour vous connaître mieux ce qui permettra d'élaborer des pistes. Tu es prêt ?

- Je suis prêt !

- Ton père est oléiculteur, ta mère médecin. Tous les deux sont propriétaires de nombreux oliviers. Combien de champs ont-ils ?

- Trois ou quatre, je sais que ça leur fait vingt hectares.

- Ils emploient beaucoup de personnes ?

- Il y a les permanents, la comptable, la secrétaire qui fait aussi l'accueil pour les clients et un régisseur.

- Ce sont toujours les mêmes ou y a-t-il eu un changement ces derniers temps ?

- Non ce sont les mêmes personnes et si c'est la question sous-jacente, ils ont tous la confiance de mes parents. Ils se connaissent de longue date. Seuls les ouvriers saisonniers changent, et encore, certains reviennent régulièrement. En tout cas, en ce moment il n'y a pas grand monde vu que le gros du travail c'est plutôt en automne, et ça déborde sur le début de l'hiver.

- Tu ne sais pas s'il y a eu des tensions ou des problèmes particuliers dans leur entreprise ?

- Je ne vois pas, mais pour plus de détails vous demanderez à Toussaint Stephani le régisseur, François Pancrazzi le comptable et Antoinette Casanova la secrétaire. Avec mes parents on parle d'autre chose que de leur boulot. Mais je pense que s'il y avait soucis je le verrais. Non, je les trouve toujours sereins. Mon père est très taquin, il adore plaisanter, maman est une femme amoureuse et une mère poule.

- Et toi ? Tu en es où de tes études ?

- Je passe mon bac littéraire en fin d'année et je me prépare pour entrer en hypokhâgne. Je resterai à Bastia, au lycée Giocante.

- Tu ne veux pas être violoniste ? J'ai entendu parler de ta virtuosité.

- Ah bon ? s'étonne Lucca devant la tournure de la conversation. Il est un peu désarçonné face à une Faustine plus personnelle qui dévoile une empathie peu habituelle chez elle.

- Alors Lucca, se ressaisit-elle, où es-tu né ?

- Vous devez savoir même si cela fait partie de mon intimité, que je suis un enfant adopté. Il était précisé dans un petit papier accroché au couffin dans lequel j'ai été trouvé, que je suis né un quinze avril. J'avais donc trois mois au moment de mon abandon. Aujourd'hui j'ai dix-sept ans.

- Que sais-tu de tes origines ?

- Pas grand chose si ce n'est que, selon mes parents, j'ai dû être abandonné pour échapper à un danger mortel.

- Tu fais des recherches ?

- En quoi c'est important pour votre enquête ?

- Tout est important pour l'enquête, Lucca. Et tout ce que tu me dis reste entre nous tant que ça ne révèle rien de la disparition de tes parents.

- Alors oui je fais des recherches et mes parents m'y aident.

- Qu'avez-vous entrepris jusqu'à présent ?

- On est allé tout simplement dans les archives du couvent pour vérifier que tout avait bien été dit lors de mon adoption.

- Et ?

- Et rien de probant ! Alors on est allé voir le moine qui était à l'époque le responsable puis celui qui m'a trouvé sur les marches de l'église.

- Cela vous a aidés ?

- Ce sont eux qui ont affirmé que j'étais sans doute d'une origine aisée compte tenu de ma bonne santé, de mon trousseau abondant et du couffin confortable. On suppose donc que j'ai été abandonné dans une urgence vitale. Il y avait un petit mot qui précisait ma date de naissance et une supplique désespérée de me donner une bonne éducation et de me protéger.

- Qu'y avait-il dans ce couffin ? Que toi et des vêtements de bébé ?

- Non, il y avait aussi trois « doudous », un hochet et un superbe foulard de soie.

- Ah oui ? Je pourrais voir tous ces objets ?

- Si vous voulez mais pas le foulard car j'ai dit à maman qu'il était pour elle ! Elle le porte dès qu'elle doit sortir.

- Bien, tu m'emmènes voir ta chambre et aussi celle de tes parents, si tu veux bien.

- Suivez-moi !

Il mène Faustine à l'étage où se trouvent les chambres. Faustine fait le tour, prend des notes, remercie Lucca puis repart.

Lucca, resté seul, se trouve de nouveau en prise avec ses angoisses. Après cette conversation avec Faustine, les questions sur sa naissance, il sent poindre une panique : « et si cela avait un rapport avec mes origines ! »

Dimanche

Cervione

En ce début d'après-midi lumineux, Alesiu sort de chez lui pour une balade digestive. Il croise Faustine qui vient visiblement de la gendarmerie pour monter chez elle, tout là-haut au sommet de la ville. Il la trouve toujours aussi jolie même dans son uniforme. Il a toujours été amoureux d'elle, depuis l'âge de quinze ans. Elle en avait dix-neuf et lui semblait totalement inaccessible. Ce qu'elle était belle avec ses longs cheveux blond-vénitien qui lui tombaient sur les épaules, son allure altière et déjà si distante. Il la côtoyait en tant que copine, ils se retrouvaient avec d'autres jeunes autour d'une randonnée ou d'un après-midi plage. Mais elle ne se mêlait pas trop des conversations futiles, toujours pensive et un peu à part. Ce mystère renforçait son attirance pour elle.

Puis la vie les a éloignés. Alesiu a connu quelques amourettes mais son cœur a toujours battu pour la belle Faustine. Aujourd'hui âgé de vingt-six ans, il est professeur des écoles à Alistro, plus bas sur la côte. Il s'est installé ici, à Cervione, pas loin de ses parents, dans une maison héritée de ses grands-parents.

Faustine quant à elle, est toujours restée discrète sur ses amours si elle en a eues. Alesiu espère qu'il sera le vrai, son seul grand amour, tout en se disant que la conquête est sacrément difficile.

Elle le croise et le salue poliment, prête à continuer son chemin sans s'arrêter discuter. Alesiu a décidé de se montrer désormais plus entreprenant tout en gardant la réserve nécessaire. Ne pas brusquer, charmer sans importuner, tout un programme !

- Bonjour Faustine, tu vas profiter de ce beau soleil en ce dimanche printanier ?

- Oh tu sais, dimanche ou pas, je bosse et je vais surtout rentrer me reposer un peu, lui répond-elle avec un sourire qui rend Alesiu plus audacieux encore.

- Justement il faut profiter de son dimanche pour pouvoir reprendre le travail en pleine forme. Tu vois, c'est ce que je me prépare à faire après une semaine ardue avec mes petits élèves.

- Rappelle-moi quelle classe tu as cette année ?

- Grande section-CP, ce n'est pas toujours de tout repos ! s'exclame-t-il, revigoré par l'intérêt que semble lui porter Faustine, tout en se disant « pianu, pianu, ne t'emballe pas mon gars, reste calme et pondéré, pas de frime ! »

- Tu dois avoir le fils de ma sœur Gabrielle, le petit Paul Gardellucci, un sacré numéro !

- Mais oui, c'est exact, et j'ai aussi ses deux cousines Zoé et Lucia qui ne sont pas en reste question bavardage et dynamisme.

Tous deux se mettent à rire dans une complicité qui ravit Alesiu.

Il poursuit :

- Heureusement que nous avons recruté deux jeunes ATSEM à la rentrée de janvier.

- Oui, Gabrielle m'en a parlé, elles travaillaient auparavant en Casinca, c'est ça ?

- Oui, elles sont super, le contact avec les enfants est formidable et ma collègue qui a les tout petits en est particulièrement soulagée.

- Redis-moi leur nom, je ne sais plus.

- On les appelle par leur prénom, Jeannine et Laetitia.

- Elles sont jeunettes ?

- Disons jeunes, peut-être quatre ou cinq ans de plus que toi !

- Jeunettes alors, rétorque Faustine en riant.

Alesiu est aux anges, il n'a jamais vu Faustine aussi détendue. Il l'a rarement vue rire.

- Bon il faut que j'y aille, finit-elle par dire, à une prochaine fois !

- Au revoir Faustine, à bientôt.

Il reprend sa route, le cœur léger, la tête pleine de joie et le sourire aux lèvres.

Dimanche

Antoine et Lucie

Il est six heures trente, après une nuit sans sommeil réparateur, Antoine et Lucie se lèvent. La veille le même homme est venu leur servir un plateau pour le déjeuner puis pour le dîner, sans plus d'échanges que lors de sa première visite.

Les repas sont plus que corrects mais seul Antoine y fait honneur, Lucie s'avérant incapable d'avaler plus que quelques bouchées. L'angoisse lui noue la gorge et l'estomac.

- Tu n'as pas beaucoup dormi toi non plus, dit-elle, tu t'es tourné et retourné. Comme quoi tu es aussi soucieux que moi.

- Évidemment ma chérie que je ne suis pas serein ! Je pense que ce matin on va en savoir plus, ce n'est pas possible autrement. Ils ne vont quand même nous gaver comme ça sans rien en échange !

- Puisses-tu dire vrai. Tiens, j'entends des pas, ça va encore être ce pantin cagoulé aussi aimable qu'une porte de prison, comme celle-ci d'ailleurs !

Effectivement, la porte s'ouvre une nouvelle fois sur le même individu que la veille, poussant un chariot avec le petit déjeuner. Miracle ! Il a quelque chose à dire :

- Quelqu'un va venir vous voir !

- Enfin ! s'exclame Antoine, on va enfin savoir ce que vous nous voulez !

Il a à peine le temps de terminer sa phrase que l'homme est déjà sorti et referme la porte, sans un regard.

- Allez ma Lucie, reprend Antoine, tu vas cette fois manger davantage, détends-toi, on va enfin avoir des réponses.

- Je vais surtout essayer d'être présentable et me laver.

- Tu as le temps de déjeuner quand même !

- D'accord, je vais essayer.

Le petit déjeuner terminé, la toilette faite, ils s'installent pour une attente fébrile qu'ils espèrent pas trop longue.

Deux heures plus tard, la porte s'ouvre sur le cagoulé qui vient reprendre le chariot. Il est suivi par un individu non masqué, de type arabe, d'une quarantaine d'années, grand, très beau. Il s'avance poliment, les salue :

- Bonjour Monsieur et Madame Guidicelli. J'espère que malgré la situation peu ordinaire, vous avez pu vous sustenter et dormir confortablement.

- Je ne vois pas comment on aurait pu profiter de quoi que ce soit monsieur, en étant kidnappés, ne peut s'empêcher de s'insurger Lucie à qui Antoine fait signe de rester calme.

- Vous ne me connaissez pas et moi je vous connais, ajoute l'homme avec un léger accent, je vous explique la situation. Madame, vous portez un foulard qui appartient à notre famille et nous aimerions savoir d'où vous le tenez.

Lucie doit se cramponner pour ne pas défaillir, Antoine s'en aperçoit, il veut lui donner du temps pour se ressaisir :

- Monsieur, nous ne savons pas qui vous êtes. Il serait correct que vous nous précisiez de quelle famille il s'agit. Vous dîtes nous connaître, serait-ce indiscret de vous demander comment c'est possible ? demande-t-il.

- Justement monsieur, c'est par ce foulard que nous avons fait des recherches pour savoir qui vous étiez. Ce foulard appartenait à quelqu'un qui m'était chère et qui a disparu. Donc je vous redemande, comment ce foulard est-il arrivé chez vous ? Madame ?

- C'est quelqu'un qui me l'a offert ! N'est-ce pas Antoine ?

- Oui, c'est Julie quand elle est rentrée de voyage.

- Quel voyage et c'était quand ? Insiste l'homme.

- Il y a bien dix ans et je ne sais plus trop quel voyage, le Maroc ou la Tunisie je crois.

- Êtes-vous bien sûre ? Ce n'est pas plutôt quelqu'un qui se serait réfugié ici, une étrangère ?

- Puisque je vous dis que c'est une amie !

- Je suis sûr que vous mentez ! Je veux savoir la vérité, où avez-vous trouvé ce foulard unique au monde, qui a été fait spécialement pour ma sœur, s'énerve-t-il soudain. Vous ne repartirez pas tant que je ne saurai pas la vérité, je veux savoir ce qu'elle est devenue !

- Elle aurait disparu comment ? Vous dites réfugiée, elle se sentait en danger ? ose demander Antoine.

- Ça ne vous regarde pas ! La seule chose qui vous concerne c'est ce foulard qui est entre vos mains. D'ailleurs vous allez me le rendre.

- De quel droit, s'insurge Lucie, c'est un cadeau et il m'appartient.

- Absolument pas, hurle-t-il, et il s'approche d'elle, menaçant.

- Lucie, donne à monsieur ce qu'il réclame, il a l'air d'y tenir plus que toi. C'était à sa sœur et toi, ce n'est qu'une amie qui te l'a offert, bluffe Antoine qui n'aime pas du tout la tournure de la situation.

Lucie, les larmes aux yeux, le geste fébrile, s’exécute en tendant le foulard à l'homme. Celui-ci le lui arrache, le porte à son visage, tentant sans doute d'y retrouver le parfum de sa sœur et déçu le plie précautionneusement.

- J'aimais ma sœur malgré ce qu'elle a pu faire et je serais si heureux de la retrouver. Mon père y tient encore plus que moi. Je reviendrai dans la soirée pour voir si vous êtes devenus plus raisonnables. Nous allons être moins accueillants désormais. On vous supprime la télévision, la radio et vous n'aurez plus qu'un seul repas. Le prochain sera pour ce soir avant ma visite. Bonne journée monsieur et madame Guidicelli.

Il sort, raide comme un piquet.

De nouveau seuls, Antoine et Lucie tentent de récupérer après ce dialogue surréaliste. En vingt-quatre heures, les voilà plongés dans un cauchemar. En même temps Antoine y trouve un point positif :

- C'est dur, c'est angoissant mais d'un autre côté nous allons peut-être enfin avoir des réponses quant aux origines de Lucca chuchote-t-il, persuadé d'être sur écoute. Il fait d'ailleurs signe à Lucie de garder un visage impassible et de lui répondre en sourdine.

- Je me sens nue et violentée sans cet objet tant convoité par monsieur ! murmure-t-elle.

Lundi

Cervione

La gendarmerie commence sa journée en diligentant une brigade sur Bastia, autour du magasin qui a vu les Guidicelli samedi matin. Il s'agit d'inspecter les lieux, relever des empreintes autour de la voiture, ouvrir ce véhicule, y chercher des indices et interroger les gens autour, commerçants ou autres. Un compte rendu sera fait en fin de journée.

Après avoir longuement échangé avec Meustache (le capitaine Eustache Gauthier), sur la situation des Guidicelli, Faustine, en accord avec son collègue, décide de cibler son enquête sur l'adoption de Lucca. C'est un point sensible dans leur vie, une histoire hors du commun pour leur fils dont les origines semblent liées à un drame. Il faut creuser dans ce sens-là, ce ne serait pas la première fois que dix ou vingt ans plus tard, voire plus, des blessures resurgissent.

Faustine doit aller fouiller dans les archives du couvent, chercher ce qui n'a pas été trouvé par les Guidicelli. Elle est accueillie par le gardien du lieu qui est devenu depuis une dizaine d'années une salle de spectacle ou d'exposition artistique. Elle demande l'accès aux archives et un coin tranquille pour étudier calmement les documents.

Elle y passe la matinée mais ne trouve rien de plus que Lucca et ses parents. Elle réfléchit un moment et pense aux journaux de l'époque. Peut-être y trouvera-t-elle des indices sur ce qui a pu se passer autour de la naissance de l'enfant.

Au retour du couvent, elle croise quelques villageois qui l'arrêtent en chemin :

- Bonjour Faustine, il paraît que les Guidicelli ont disparu ?

- Ils ne sont pas rentrés chez eux depuis samedi, si vous avez des choses intéressantes à me dire n'hésitez pas, leur répond-elle.

- Ben on pourrait avoir des idées, ajoute Sylvie Mariani, la commère du coin.

- Si ce sont des idées précises qui tiennent la route, je t'invite à me suivre à la gendarmerie pour faire une déposition.