Napoléon et moi - Christian Dumaux - E-Book

Napoléon et moi E-Book

Christian Dumaux

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Beschreibung

Le 18 juin 1815, sur le champ de bataille de Waterloo, un visiteur inconnu se présente à Napoléon. Tous deux entament alors un échange impromptu sur le sens de l’Histoire. Calme, lucide, parfois presque amusé, l’empereur porte un regard à la fois distant et acéré sur le pouvoir, les hommes, son parcours et ses luttes, tandis que la confrontation s’apprête à éclater. Cette conversation se prolongera au cœur même de l’affrontement, jusqu’au tumulte final.

 À PROPOS DE L'AUTEUR 

De l’amour de la littérature, de Shakespeare à Céline, à l’enseignement de l’Histoire, Christian Dumaux est revenu progressivement à ce qui l’animait profondément, en s’essayant à différents genres littéraires. Il retrouve dans cet ouvrage une période de l’Histoire qui l’a durablement marqué, le temps de rêver, peut-être, à une autre réalité.

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Seitenzahl: 150

Veröffentlichungsjahr: 2025

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Couverture

Titre

Christian Dumaux

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Napoléon et moi

Dialogue impromptu

Roman

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Copyright

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

© Lys Bleu Éditions – Christian Dumaux

ISBN : 979-10-422-7269-2

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

 

Napoléon et moi

 

 

 

 

 

Dans la lumière encore fragile d’une aube frémissante, un homme étrangement vêtu s’avance. D’où vient-il ? Que vient-il faire dans ce monde qui n’est pas le sien ? Il ne le sait plus vraiment. Mais il marche vers la vérité, du moins une autre vérité, celle que l’Histoire ne donne pas toujours, car elle ne lui appartient pas. Autour de lui, en ce 18 juin 1815, le silence imparfait de la nuit n’est plus qu’un souvenir. Quelques grognements, quelques jurons, parfois même quelques rires, les hommes se réveillent et beaucoup, sans vraiment s’éloigner, vont maintenant aller pisser. Il les regarde, mais eux ne le voient pas. Deux mondes… et certains de ces hommes vont mourir aujourd’hui, peut-être même beaucoup. Ils le savent et parfois se réfugient alors dans le silence comme pour se préparer, mais la plupart semblent se résigner et attendre l’instant, et ceux-là sont bavards, une façon d’oublier.

Et maintenant, il aperçoit, non loin de tous ces hommes qui l’ont vu eux aussi, une silhouette immobile, et il sait que c’est lui. Ce bicorne et cette redingote, ces jambes légèrement écartées et ces mains croisées dans le dos… même dans le petit jour, l’Histoire n’a pas menti. Alors il s’approche et peu à peu la silhouette devient celui devant lequel le monde tremble depuis plus de 15 ans, cet homme à la fois admiré et haï qui lui tourne le dos et qui balaie de son regard l’horizon indécis, cette plaine fumante qu’il n’aurait pas choisie, mais il n’avait pas eu le temps, et c’est ici dans cet espace trop restreint que tout allait se jouer. Non, il n’avait pas eu le temps, car l’Europe entière se dressait de nouveau contre lui, et l’Europe en ce jour était là, l’ennemi était là, presque à portée de voix ; d’ailleurs, il s’était puissamment retranché, car lui avait le temps, bien décidé cette fois à arrêter et pour toujours cette marche folle vers l’impossible. Tout cela l’inconnu le savait bien sûr, mais il avait aujourd’hui l’occasion de comprendre, et peut-être aussi de savoir, de savoir… autrement. Mais il hésite encore. Qui est-il donc en cet instant précis ? Et que fait-il dans ce monde révolu ? D’ailleurs ce monde existe-t-il ? Et cependant, ils se trouvent bien désormais côte à côte, et le regard tourné vers le même horizon. Alors il doit savoir.

— À quoi songez-vous, Sire ?

Il regrette aussitôt cette question, familière, insolente, et stupide. Mais Napoléon ne répond pas. Il ne l’a donc pas entendu, et curieusement il se sent soulagé. Et les questions jaillissent… et le doute s’immisce.

— Qui êtes-vous ?

Il a sursauté. Cette voix tout à coup… Un sentiment de crainte l’envahit aussitôt. Il est si seul. Il ne sait plus. Où se trouve le réel ? Et tous ces hommes, ces milliers d’hommes autour de lui ? Où se trouve le réel ? Mais soudain, il comprend, il comprend qu’il ne craint rien puisqu’il n’existe pas, sauf pour celui qui le regarde désormais fixement, sans la moindre aménité, mais sans hostilité. Et ce regard soudain le trouble. Il se fait de plus en plus pénétrant, de plus en plus inquisiteur, peut-être même s’approche-t-il de la réponse… peut-être même la connaît-il déjà ? Quelle étrange impression… Mais après tout, pourquoi serait-il seul ? Alors il vient à sa rencontre.

— Pour tout vous dire, en cet instant je n’en sais rien. Je suis là devant vous, mais qui suis-je vraiment ? Un souvenir ? Une illusion ? En fait, je ne suis rien, ou rien qu’une présence immatérielle, puisque si j’existais réellement je n’aurais jamais pu vous approcher.

— C’est exact. Et pourtant vous êtes là. Alors qui êtes-vous ? Et d’où venez-vous ?

Était-ce de l’intérêt ? De l’impatience ? Quelque chose venait de changer. Et maintenant, tout pouvait basculer, s’arrêter, il le savait, et alors tout serait perdu. Il fallait absolument qu’ils se rejoignent. Il n’avait plus le choix.

— Mais allez-vous me croire ?

Un voile de lassitude traversa le visage de l’empereur et de nouveau il se tourna vers l’horizon, l’air légèrement agacé. Puis il répondit :

— Que vous importe ! Le fait de croire nous appartient et ne se partage pas. Et d’ailleurs, croire n’est parfois qu’illusion ! À tel point qu’essayer de comprendre pourrait donc me suffire. Qu’en pensez-vous ?

De tous côtés, des voix s’élevaient et bientôt autour d’eux la vie reprit ses habitudes, la vie avant la mort… Chacun se préparait à sa façon, comme toujours, avant que le destin ne distribue les rôles. De l’autre côté, l’ennemi lui aussi s’éveillait, probablement avec la même angoisse, la même résignation, les mêmes espoirs. Et puis soudain, il y eut un cri venu d’un petit groupe de soldats qui l’avaient aperçu et qui le regardaient depuis quelques instants en discutant entre eux. D’ailleurs, ils n’étaient pas surpris, ils savaient qu’Il viendrait, qu’Il serait là au plus près d’eux. Et ce cri, ou plutôt cet appel, toujours plus enthousiaste et toujours plus vibrant, était bientôt repris par des dizaines et des centaines d’hommes. Vive l’empereur ! Vive l’empereur ! Vive l’empereur ! C’était une clameur immense qui ne cessait de se répandre. Et tous ces hommes lui criaient leur confiance, toute leur admiration et leur fidélité, et leur amour aussi. En fait, ils se donnaient à lui, et l’inconnu à ses côtés comprit qu’il accédait alors à la seule vérité, celle de l’instant, celle que l’Histoire d’après n’atteint jamais complètement. Puis le calme revint. Napoléon n’avait pas bougé. Avait-il savouré cet instant ? Lui seul aurait pu répondre, mais aucun trait de son visage n’avait manifesté la moindre émotion. Il semblait même étrangement absent. Et cependant…

— J’attends votre réponse.

Il n’avait pas oublié, et son silence maintenant devenait presque menaçant. Il n’accepterait pas d’être trompé. Il exigeait la vérité. Et l’inconnu comprit soudain qu’ils allaient bientôt se rejoindre, tous deux conscients probablement qu’il en allait ainsi, acceptant le défi de cette rencontre inattendue. Et le rideau se déchira.

— Eh bien, je vous l’ai dit, j’ignore réellement tous les « pourquoi » de ma présence à vos côtés, mais il est vrai pourtant que je connais votre vie, que je connais votre règne, que je connais… votre mort ; en fait, je connais votre histoire dans ses moindres détails, parfois même plus que vous peut-être, puisque vous êtes dans l’Histoire pour moi depuis longtemps, et que l’Histoire enquête et fouille, et que l’Histoire vous a jugé.

Il y eut un silence, un long silence, et le doute maintenant… Était-il allé trop vite ? Trop loin ? Mais quand Napoléon se retourna enfin, il souriait d’un petit air moqueur et il ne paraissait nullement surpris.

— Le jugement de l’Histoire ! Oui, l’Histoire juge, en effet, et ainsi se rassure. Mais ce jugement est très souvent faussé, car elle ne connaît pas l’instant, c’est une actrice de l’après ; il lui faut du temps. Et parfois, elle se trompe, de bonne ou de mauvaise foi, car elle n’est pas toujours très objective. Dans une guerre par exemple, les vainqueurs ne font-ils pas l’Histoire ? Je suis bien placé pour le savoir ! Bien sûr avec le temps tout cela évolue, on efface, on corrige, mais où se trouve alors la vérité ? La vérité ? Elle n’est que dans l’instant et l’instant ne se répète pas.

Amusement… provocation… non, il n’avait donc jamais été réellement surpris. Peut-être même aussi était-il soulagé de ne plus être seul. Peut-être même avait-il l’intuition que l’Histoire l’attendait et qu’ils seraient enfin à égalité. Alors maintenant tout pouvait commencer. Et Napoléon poursuivit :

— Mais qu’importe après tout, c’est le jeu ; vous savez donc tout de moi et l’Histoire, à vous entendre, a livré son verdict. Soit ! Mais alors, que faites-vous ici ? Que cherchez-vous exactement ?

— Peut-être ai-je besoin de comprendre, car vous avez raison, l’Histoire n’est jamais vérité.

— Et que voulez-vous comprendre ?

— Vous.

— Moi ? Mais pourquoi ?

— Parce que vous me fascinez. Parce que vous êtes seul.

Cette complicité soudaine… Et Napoléon répondit :

— Je suis seul depuis si longtemps…

Et de nouveau, il fixe l’horizon, cette ligne immobile où l’ennemi l’attend. Il fait jour désormais et la pluie a cessé, mais le ciel est encore encombré de nuages. Et Napoléon se souvient. 1779, Brienne-le-Château. Il a neuf ans et il est seul. Son père vient de partir sur un dernier regard et il sait que de longs mois, peut-être plus, s’écouleront avant qu’il ne revienne ; et encore ne s’agirait-il que de quelques instants accordés au parloir de l’école militaire d’où il ne peut sortir, le règlement est formel. Il sait ainsi qu’il ne reverra plus sa mère avant plusieurs années et qu’il n’entendra plus son rire, ni ses reproches, ni ses colères parfois. Il sait encore que ses amis d’enfance, tous ces amis de jeux, d’espiègleries ou de bagarres sont à jamais perdus. Et puis il sait enfin que les autres l’observent et se moquent déjà, tous ces fils de famille avec lesquels il se retrouve. Lui, le petit Corse boursier du roi, à l’accent ridicule, d’une famille désargentée à la noblesse si fragile, n’est pas et ne sera jamais vraiment de leur milieu. Alors il va souffrir, de toutes leurs moqueries, de leur mépris et même de leurs coups, mais il se défendra, avec fierté, avec rage. Il rendra coup pour coup et ne cédera jamais un pouce de dignité. Et leur mépris jour après jour, mois après mois, année après année, nourrira à jamais le sien, tellement plus redoutable, car il n’oubliera pas. Et même si certains soirs, enfermé dans sa chambre, les larmes viendront à l’emporter, personne jamais ne s’en apercevra. Oui, il se souvient encore quand ce jour de printemps, loin des siens et de sa Corse natale aux plaisirs infinis, il venait de sortir de l’enfance. 36 ans déjà ! 36 ans depuis ce jour où tout a basculé et où tout va bientôt s’enchaîner dans une course folle. Mais 36 ans de solitude aussi. Et en ce 18 juin 1815, tout va se jouer et peut-être cesser.

— Croyez-vous au destin ?

Cette question soudaine, presque brutale, alors qu’il observait à la longue-vue les lignes ennemies… Sous l’effet de surprise, il ne restait à l’inconnu que l’évidence.

— Le vôtre est prodigieux !

Au loin, un cavalier anglais allait de place en place. Peut-être un messager.

— Mais vous ne répondez pas à ma question.

Le cavalier venait de s’arrêter avant de rebrousser chemin rapidement ; c’était assurément un messager.

— Eh bien, je crois que le destin n’est que le résultat de nos actions. Je ne crois pas à un destin qui nous serait, disons… attribué. Non, ce serait trop facile, et aussi trop injuste. Alors peut-être certes avez-vous pu bénéficier de certaines circonstances, mais c’est quand même avec votre ambition, avec vos convictions, avec votre talent et vos défauts, que vous l’avez construit. Un destin, quel qu’il soit, est d’abord façonné par celui qui le porte.

L’empereur rangea tranquillement sa longue-vue dans la poche droite de sa redingote avant de répondre. Et son regard en cet instant brûlait d’intelligence et de passion.

— L’esprit des Lumières me porte à vous croire, mais il se pourrait aussi que tout cela soit plus complexe. N’y aurait-il pas ainsi le destin que l’on subit, accepté ou imposé, et celui que l’on affronte, que l’on maîtrise ou que l’on infléchit ? Et les deux ne cohabiteraient-ils pas ? Ai-je construit mon destin ? L’ai-je en partie forcé ? Oui sans doute, mais l’ai-je toujours maîtrisé ? Tout est allé si vite. Quoi de plus fascinant ! Quoi de plus mystérieux ! Mais vous le connaissez bien sûr ! Vous connaissez même ce destin pour l’instant mieux que moi ! Et vous savez qu’aujourd’hui peut-être mon destin va basculer. Ne serait-ce pas d’ailleurs la raison de votre présence ?

L’acuité de son regard devenait presque insupportable, presque inquiétante. Où voulait-il en venir tout à coup ? Et maintenant ces derniers mots… lancés vers d’autres horizons…

— Ou alors… ou alors… infléchir le destin…

Ces derniers mots… N’était-ce pas un défi ?

Mais quelqu’un approchait, que l’inconnu ne connaissait pas ; et cependant…

— Napoléon !

Mais oui ! Cette ressemblance dans le regard, et puis cette familiarité… c’était donc lui, Jérôme, le frère cadet de l’empereur, ce frère prodigue, parfois difficile ou même incontrôlable, mais toujours fidèle. Le voilà qui arrive à grandes enjambées, l’uniforme défait, les bottes crottées de boue, les cheveux en bataille, rayonnant de jeunesse, d’insouciance et de confiance absolue ; et il semble tellement impatient ! Napoléon s’est retourné, mais il ne répond pas, il se contente d’un long regard où l’inconnu perçoit de multiples questions, peut-être aussi l’ombre d’un doute. Mais Jérôme l’a rejoint et d’un mouvement de tête désigne les lignes ennemies.

— Crois-tu qu’ils pourraient attaquer ?

— Wellington ? Attaquer ? Non. Non, il n’attaquera pas. Il est trop prudent pour cela et l’offensive ne lui convient pas. Non, il nous attend et il attend les autres, tous les autres.

— Mais nous ? Quand ? Quand allons-nous enfin bouffer de l’Anglais ? Ils nous emmerdent depuis trop longtemps et leur botter le cul me tarde, crois-moi. Alors quand ?

Dans le regard de l’empereur en cet instant… toujours l’ombre d’un doute. Ce trop-plein d’enthousiasme et d’envie… qu’en sera-t-il sur le champ de bataille ? Comment se comportera-t-il ? Alors il se retourne, attend quelques secondes les yeux perdus vers l’horizon et répond simplement :

— Quand je l’aurai décidé. Et je crains de ce fait qu’il te faille attendre.

Conscient de son erreur ou de sa légèreté, Jérôme tente alors de se reprendre.

— C’est à cause de cette putain de pluie, je suppose. Non ?

— Et du bourbier de merde qui en résulte, évidemment. Alors tu vois, Jérôme… pour leur botter le cul, il faut pouvoir lever la jambe. Et donc, je le répète, il te faudra être patient. Mais ne t’inquiète pas, tu auras bientôt l’occasion de briller. C’est une simple question de temps. Simple question de temps…

Il faisait jour, mais le ciel était si bas et tellement encombré de nuages aux nuances tourbillonnantes et menaçantes que l’on pouvait se croire à tout instant de la journée. Or la bataille n’avait pas commencé, et la journée serait longue. Et maintenant, Jérôme s’éloignait. Et de nouveau, ils étaient seuls, il était seul et lui tournait le dos. Avait-il oublié sa présence ?

— Connaissiez-vous mon frère ?

Il n’avait rien oublié. C’était la deuxième fois et l’inconnu eut l’intuition en cet instant qu’une autre Histoire allait s’ouvrir devant lui. Car que signifiait soudain cette question ? Mais déjà, Napoléon poursuivait :

— Et connaissez-vous la guerre ?

Il s’était brutalement retourné, le visage grave.

— … Non. Je ne l’ai jamais vécue à vrai dire.

Quelques secondes s’écoulèrent, pesantes et presque dérangeantes.

— Eh bien, mon frère l’a vécue et va la vivre encore, comme tant d’autres aujourd’hui, et mon frère aime la guerre, il aime le combat et ne craint pas la mort. Mon frère est un soldat, courageux, intrépide…

Il s’arrêta un court instant, le temps d’un regard, le temps d’une question.

— … mais il n’est qu’un soldat. Il ne sait pas et ne saura jamais faire la guerre.

Une autre Histoire… Et le dialogue reprit :

— Mais pourquoi me dites-vous cela ?

— Ne m’avez-vous pas dit que j’étais seul ?

— Mais les autres ! Tous les autres ! Vos maréchaux, vos généraux, tous ces hommes qui se sont illustrés et dont l’action fut bien souvent déterminante sur les champs de bataille, ne sont-ils à vos yeux que de simples soldats ? Et n’ont-ils d’autre part jamais vaincu en votre absence ?

Un éclair d’ironie traversa le regard de l’empereur.

— Ainsi l’Histoire ne les aurait pas oubliés, si j’en crois votre témoignage, et justice leur a été rendue ; du moins, je l’espère. Mais rassurez-vous, je ne les oublie pas non plus. Et je connais leurs qualités… et leurs défauts, mieux que l’Histoire peut-être. Nous nous côtoyons depuis si longtemps ! Alors nous finissons par nous connaître. Cependant, la question n’est pas là. La question… c’est la guerre ! Et une bataille n’est pas une guerre. Elle se gagne ou se perd, mais ce n’est qu’un instant, aussi intense soit-il. Anticiper, manœuvrer, décider, être rapide, être lucide, voilà les exigences d’une bataille, auxquelles vous ajoutez bien sûr le sens du sacrifice et la bravoure. Et c’est ainsi que se construisent les victoires. Mais la guerre, c’est le temps long. Il faut la concevoir, l’organiser et la mener aussi hors des champs de bataille. La guerre n’est pas un but en soi, c’est une stratégie qui conduit vers un but que les autres refusent, et une bataille n’est qu’un outil, un outil nécessaire au service de ce but, et une guerre n’est gagnée qu’après l’avoir atteint. Ainsi donc aujourd’hui ne sera qu’une étape ; la guerre n’est pas finie, du moins la guerre que je conduis et que moi seul conduis, et depuis tant d’années ! La guerre !

Il semblait réfléchir.

— Ne serait-ce pas ma véritable compagne après tout ?

Et maintenant, il attendait, vaguement provocant, vaguement amusé, et l’inconnu lui répondit sur le même ton :

— Puis-je alors vous poser une question ?

— Je crois la deviner.

— Aimez-vous la guerre ?

— Pourquoi l’aimer ? Je la fais, n’est-ce pas suffisant ?

— Mais pourquoi toutes ces guerres ? Étaient-elles réellement et toujours nécessaires ?