Nick Gray - Coralie B. - E-Book

Nick Gray E-Book

Coralie B.

0,0

Beschreibung

Nick cache un sombre secret.

Depuis son enfance, le jeune journaliste vit dans l’ombre de son frère aîné et de sa jumelle. Espérant alors trouver le bonheur qu’il souhaite avec celle qu’il aime, il fuit Denver. Or, tout ne se passe pas comme prévu.

De retour chez lui, quelques années plus tard, il tente de reprendre tant bien que mal le cours de sa vie. Jusqu’au jour où son passé refait surface.

Un corps est retrouvé près du Sloan Lake. Nick est le principal suspect.

Nick apprend alors à ses dépens que chaque décision a un prix, et que ses proches risquent d’en payer les conséquences. Tandis qu’il lutte pour sauver sa famille de la vérité, une seule question se pose sur leurs lèvres :

Qui est vraiment "Nick Gray" ?



À PROPOS DE L'AUTRICE

Coralie B. - Originaire de la Sarthe, Coralie a découvert l'écriture tout à fait par hasard et depuis, impossible pour elle de s'arrêter. Ayant toujours une imagination débordante, elle a commencé à écrire des histoires pour adolescents sur la plateforme Wattpad, avant de se tourner vers le thriller et également le fantastique. Inspirée notamment par les films et séries, de musique ou encore les histoires qu'elle peut dévorer, ses intrigues se construisent principalement lorsqu'elle tombe dans les bras de Orphée et donne ainsi vie à ses personnages.




Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:

Android
iOS
von Legimi
zertifizierten E-Readern
Kindle™-E-Readern
(für ausgewählte Pakete)

Seitenzahl: 511

Veröffentlichungsjahr: 2024

Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:

Android
iOS
Bewertungen
0,0
0
0
0
0
0
Mehr Informationen
Mehr Informationen
Legimi prüft nicht, ob Rezensionen von Nutzern stammen, die den betreffenden Titel tatsächlich gekauft oder gelesen/gehört haben. Wir entfernen aber gefälschte Rezensionen.



Dans la collection Shadows, sous la direction de Callie L.

Illustration de Couverture par MiblArt

Maquette intérieure par Callie L.

Correction par Sophie Eloy

© 2021 Coralie B

© 2021 Imaginary Edge Éditions

Tous droits de traduction, de reproduction et d’adaptation réservés.

Le code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou production intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

ISBN 9791096923816

« À mes amis et à ma famille, qui m’ont poussée à croire en mes rêves. »

PROLOGUE

Le train était lancé à toute vitesse. Dans le dernier wagon, une escouade d’hommes armés se préparait à lancer l’assaut. Tous munis de gilets pare-balles et d’armes automatiques, ils répétaient une dernière fois leur mission. Tous les hommes étaient concentrés, ils devaient être très prudents. Ils s’apprêtaient à arrêter un homme très dangereux dans un train rempli de passagers innocents.

Au centre du wagon se trouvait un jeune homme. Il vérifiait une dernière fois le chargeur de son arme, s’assurant que son matériel était prêt. Avant de mener l’assaut final, il sortit une photo de sa poche. Sur ce cliché se trouvait une jolie fille, un regard pétillant de joie et d’amour avec un sourire plein de vie. En retour, il sourit à cette femme qu’il espérait tant revoir, qu’il voulait tant tenir dans ses bras.

— Préparez-vous! hurla une femme sur un ton ferme.

Il rangea la photographie dans la pochette de son gilet, près de son cœur, en priant pour que tout se passe bien. Il n’avait qu’une hâte, terminer cette mission au plus vite et rentrer chez lui.

— Tu es prêt? demanda la femme sur un ton plus doux.

— Toujours! répondit l’agent.

Ils se lancèrent un petit sourire avant que le jeune homme ne se prépare à l’assaut. Derrière lui, quatre autres policiers, dissimulés sous des casques et des cagoules, attendaient les ordres. Un dernier coup d’œil à la cheffe des opérations et l’attaque était lancée.

Dans un bruit sourd, l’agent pénétra dans le wagon avant. Il était loin d’être plein ; il n’y avait que sept passagers, mais cela suffisait pour qu’il y ait un accident. Lorsque les voix des agents éclatèrent, tous les passagers crièrent et se redressèrent d’un même mouvement. Tous sauf un. Un homme – leur cible – était près de la fenêtre, il regardait le paysage défiler à plus de cent trente kilomètre-heure, à peine soucieux de voir des hommes armés l’entourer.

L’agent, l’arme pointée en direction de l’individu qu’il devait appréhender, s’avança doucement vers ce dernier, le regard froid et menaçant. Son visage renfermait une colère sombre et animale qu’il ne semblait plus pouvoir contrôler.

— Debout! ordonna-t-il sur un ton ferme.

L’homme tourna alors la tête vers l’agent et se contenta de sourire de toutes ses dents. Un sourire carnassier qui lui fit froid dans le dos.

L’agent savait qu’il n’avait pas le droit à l’erreur, pas maintenant, pas pour sa dernière mission, pas pour ce qui l’attendait par la suite. Il pensa pendant quelques secondes à celle qu’il aimait et qui l’attendait bien sagement chez lui. Son cœur se serra. Il ignorait pourquoi, mais son instinct ne cessait de lui hurler que quelque chose n’allait pas. Au fond de lui, il avait le sentiment qu’il ne reverrait jamais sa bien-aimée.

— Qu’est-ce qu’il se passe? demanda la cheffe des opérations dans son oreillette. Gray?

Et l’intuition de l’agent Gray ne l’avait pas trompé. Tout se passa très vite. Un passager du train se tourna rapidement et désarma sans difficulté un agent. Le temps que ses camarades réagissent, Gray s’était déjà tourné et avait tiré à trois reprises sur l’homme qui le menaçait d’une arme. Les coups résonnèrent plusieurs fois dans le wagon. Le cœur et la respiration de l’agent restèrent cependant calmes. Pour lui, tuer quelqu’un était tout à fait ordinaire. Sauf qu’en voyant le corps sans vie de cet homme, il comprit qu’il avait fait une erreur.

CHAPITRE•1

Les rayons du soleil perçaient à travers les rideaux déchirés de la chambre. Ils se déposaient doucement sur le parquet abîmé et poussiéreux avant de se déployer sur le lit. Un homme y était allongé, le torse nu, le visage écrasé contre son oreiller, il voyait encore et toujours la même scène d’horreur défiler sous ses yeux: l’homme, une arme, une détonation et la mort.

C’était d’ailleurs l’un de ces coups de feu qui le réveilla en sursaut. Son cœur battait à tout rompre dans sa poitrine. Sa respiration se faisait courte et haletante. Mais très rapidement, ses tensions se calmèrent.

D’un coup d’œil, il observa autour de lui. Ses draps jonchaient le sol, ce qui lui fit comprendre qu’il n’avait pas passé la nuit seul. Il glissa une main dans ses cheveux emmêlés avant de lever les yeux vers la fenêtre. Malgré les rideaux fermés, la lumière du jour lui agressa les pupilles. Il quitta son lit d’un bond et tira d’un coup sec sur ces derniers pour ne plus faire entrer les rayons matinaux dans sa chambre. Il poussa un profond soupir avant de tourner la tête vers son réveil qui affichait midi trente. Il était en retard au travail, il le savait, mais ce n’était pas sa préoccupation, loin de là. Il prit le temps de se doucher et de se brosser les dents afin d’enlever l’odeur d’alcool qui émanait de son haleine. Il s’habilla rapidement avant d’attraper sa veste en cuir, son casque et sa besace.

Il salua les quelques voisins qu’il croisa dans l’escalier et se pressa de sortir de son immeuble. La façade était sale et fissurée. Dans les marches, un groupe de femmes très peu habillées lui souriaient. Sans leur prêter attention, il enfourcha sa Ducati rouge et fit vrombir le moteur jusqu’au Denver Report.

Autour de lui tout était blanc. La neige était bien tombée depuis le début de l’année et cela n’allait pas s’arrêter avant plusieurs semaines. Il roula à vive allure sur les routes déneigées jusqu’à arriver à destination. Il gara sa moto entre deux voitures et retira son casque tout en entrant dans l’immeuble. C’était un grand bâtiment haut de plusieurs étages qui renfermait les meilleurs journalistes de l’État de Denver. Le jeune homme salua d’un sourire la standardiste avant de monter deux par deux les marches jusqu’au premier niveau.

Dès qu’il pénétra sur le palier, l’odeur de café chaud et de cigarette vint à lui. Il en eut des haut-le-cœur, encore anesthésié par les effets de ses boissons alcoolisées prises la veille. Tous les bruits qui l’entouraient résonnaient dans ses oreilles. Que ce soit les sonneries de téléphones, ou l’écho des touches de claviers que ses collègues frappaient avec enthousiasme. Maladroitement, il se fraya un chemin jusqu’à son bureau, bousculant quelques pigistes sur son passage. Il aperçut également les regards haineux et agacés de ses compagnons de jeu. Tous se demandaient pourquoi il était encore ici et Nick s’interrogeait aussi.

La tête baissée, les yeux entourés de cernes violacés, il parvint à rejoindre son bureau qui se trouvait au fond de la pièce, près d’une fenêtre. Il l’occupait depuis quatre ans et il n’avait pas grimpé les échelons contrairement à ses autres collègues. Pour tout dire, le journaliste n’en avait rien à faire de son travail, il le faisait pour rassurer ses proches, histoire de dire «tout va bien, ne vous inquiétez pas» et ils le croyaient. Mais lui n’avalait plus ses propres mensonges.

Autour de lui, ce n’était que du brouhaha, des voix fortes, des rires rauques et des remarques cyniques qui lui étaient adressées. Tout comme les regards froids et irrités qui le suivaient comme son ombre. Nick n’était pas très aimé ici, mais il ne s’en préoccupait pas.

À peine avait-il posé son casque sur son bureau qu’une porte s’ouvrit d’un coup sec. Tous les journalistes présents s’arrêtèrent de travailler à ce moment précis. L’étage était comme mis sur pause. Tous les regards étaient rivés sur l’homme qui venait d’entrer. Il était grand, portant un costume marron, des cheveux courts ainsi que des yeux froids et autoritaires. Il se dirigeait d’un pied ferme vers le nouvel arrivant qui continuait de vaquer à ses occupations, comme si de rien n’était.

Lorsque le journaliste l’entendit s’approcher, il se redressa et lui fit face.

— Dehors! hurla l’homme.

— Quoi? soupira le pigiste, incrédule

— Tu m’as très bien entendu, Gray! Tu dégages!

Un duel de regards commença entre les deux individus. L’un soutenait son regard ferme et tranchant, tandis que l’autre cherchait à comprendre ce qu’il se passait. Et cette scène se déroulait sous les regards de ses collègues, tous aussi curieux les uns que les autres, mais également satisfaits de voir le grand et magnifique Nick Gray être remis à sa place. Pour une fois que cela arrivait, il ne fallait pas louper cette scène historique!

— Je ne veux plus te voir ici, insista l’homme, prends tes affaires et va-t’en!

Sur ces mots, il fit demi-tour, laissant Gray seul comme un imbécile près de son bureau. Il ne pouvait pas croire ce qu’il venait d’entendre. Très rapidement, les rires et les murmures fusèrent une nouvelle fois, mais il ne s’en occupa pas. Non, il était trop préoccupé par ce que son rédacteur en chef venait de dire.

— Dan, attends! soupira-t-il en s’avançant vers lui.

— Quoi?

Le dénommé Dan se retourna vers Gray, agacé et les yeux rouges, il semblait à bout de nerfs.

— Tu ne peux pas me faire ça, je…

— Il fallait y penser avant Nick! grogna Dan. Écoute, j’ai été patient avec toi. Ça va faire quatre ans que je supporte tes retards, tes articles pas très glorieux, tes appels à trois heures du matin parce que tu es totalement torché, mais là je n’en peux plus!

Dan se retourna pour rejoindre son bureau, laissant Nick seul avec ses pensées. Il restait immobile face aux révélations de cette personne qu’il pensait être son ami.

— Rentre chez toi et réfléchis à ce que tu veux vraiment Nick et demain tu me dis si tu veux continuer à travailler ici ou si tu démissionnes, ajouta-t-il en l’observant par-dessus son épaule.

La porte du bureau se referma derrière le rédacteur en chef et soudainement la vie semblait reprendre son cours au premier étage. Les collègues de Nick qui avaient assisté à la scène l’observaient en souriant bêtement, certainement satisfaits de voir que le rédacteur en chef s’occupait enfin du cas Gray, mais Nick, lui, se sentait seul. Daniel était son ami depuis tellement longtemps, qu’à cet instant il se sentait délaissé. Les pieds traînants, Nick rejoignit son bureau et reprit ses affaires avant de quitter la grande pièce sous le regard de ses collègues. Tandis qu’il s’apprêtait à déserter le premier étage, les murmures de ses confrères le suivirent. Il descendit les escaliers lentement, écoutant alors les paroles de Dan résonner dans sa tête. Nick savait qu’il n’avait pas été très professionnel toutes ces années et que Daniel avait laissé passer beaucoup de choses, mais là, la coupe semblait pleine pour son ami.

Nick décida alors de prendre sa moto une seconde fois et de rouler sans vraiment avoir de destination précise. Il la laissa le conduire à un bar. Il était treize heures trente et ce n’était pas trop tôt pour se mettre à boire. Du moins pour Nick. Il s’installa au comptoir et commanda un whisky à la barmaid qui essuyait ses verres entre deux clients. La salle n’était pas comble, mais la musique faisait croire le contraire. Deux hommes – des routiers – jouaient à une table de billard et ils devaient avoir dépassé la dose légale d’alcool. Ils ne parlaient plus entre eux, mais se hurlaient dessus et riaient si fort que les murs pouvaient en trembler. Mais cela n’empêcha pas Nick de s’enfermer dans ses pensées. Il jaugeait pendant de longues minutes le fond de son verre avant de le vider cul sec. Il fit claquer le verre sur le comptoir puis en réclama un second à la barmaid.

— Dure journée? demanda-t-elle en lui tendant le verre.

— Dure vie! répondit Nick en buvant sans attendre.

Elle le servit une nouvelle fois sans le quitter des yeux. Elle regardait son visage clair, ses cheveux châtains et ses yeux noisette avec curiosité. Il avait quelque chose d’attirant d’un côté, de brisé de l’autre et surtout, elle voyait en lui ce que les autres ne semblaient pas distinguer : sa souffrance. Lorsqu’elle lui tendit le troisième verre, il redressa la tête vers elle, croisant alors le regard bleu de la serveuse. Elle lui sourit avant de retourner à son travail.

Nick se perdit une nouvelle fois dans ses pensées sombres. Il songea à ses cauchemars, à Daniel et à ce qu’il avait fait de sa vie depuis son retour chez lui. Ce n’était pas très joli tout ça. Si son père le voyait, il aurait sûrement honte de lui.

L’un des routiers s’approcha du comptoir et réclama deux autres boissons. La barmaid les prépara et lorsqu’elle les posa sur le comptoir, celui-ci attrapa la femme par le poignet et la tira violemment vers lui. Le bruit attira le regard de Nick qui vit l’homme sourire de toutes ses dents. Il avait dans ses yeux quelque chose de mauvais et de malsain. Il ne connaissait que trop bien ce regard.

— Ça va ma jolie? demanda-t-il sur un ton rocailleux.

— Lâchez-moi! grogna la serveuse la voix remplie de peur.

Nick resta immobile quelques secondes, observant l’homme qui retenait la femme contre son gré et celui qui était derrière lui, un sourire froid et inhumain durcissait ses traits. Il s’empressa de finir son verre et le heurta à nouveau contre le comptoir du bar, attirant le regard de l’homme.

— Tu as entendu la demoiselle, murmura-t-il, lâche-la!

L’homme observa Nick de la tête aux pieds avant d’exploser d’un rire angoissant.

—Barre-toi gamin! souffla-t-il.

—Bien, soupira Nick, vous ne me laissez pas vraiment le choix!

Très rapidement, Nick attrapa une queue de billard qui se trouvait derrière lui, puis il frappa l’homme qui retenait la serveuse dans l’estomac. Il tituba en arrière, relâchant ainsi la femme qui s’empressa de se cacher sous son comptoir.

— Tu vas le regretter! cracha-t-il, agacé.

Il se jeta avec rapidité sur Nick qui esquiva vivement ses poings. Il se servit de la queue de billard pour le frapper dans le ventre avant de la lâcher. Il attrapa la tête de l’homme entre ses mains et lui donna un coup de genou dans le visage. Un cri de douleur résonna alors entre les murs du bâtiment. Le visage en sang, l’homme tituba une nouvelle fois. Il reprit ses esprits, tandis que l’autre routier s’attaquait à Nick. Le journaliste n’eut pas le temps de voir le coup venir et se retrouva avec un crochet dans la joue. Il se mit à saigner au niveau de l’arcade droite, mais ce n’était pas ce qui allait l’arrêter. Des étoiles dansaient brièvement sous ses yeux. Il vacilla quelques secondes, voyant le poing de son adversaire venir droit sur lui. Il l’attrapa au vol et lui retourna le bras pour le lui plaquer dans le dos. L’homme laissa échapper des gémissements de douleur avant que Nick ne l’assomme en le frappant contre le mur. Il relâcha sa prise et le routier s’écrasa au sol.

— Attention!

La voix de la femme le fit revenir à la réalité. Il se retourna avant de sentir quelque chose s’enfoncer dans son estomac. Son adversaire s’était muni d’une queue de billard et s’en servait comme poignard. Nick laissa échapper un râle de douleur et se retrouva plié en deux. Ses bras entouraient son ventre tandis qu’il tombait au sol. Le routier en profita alors pour lui donner de violents coups de pied dans le visage, dans le dos et toute la violence qu’il déversait sur le journaliste le fit rire aux éclats.

Nick encaissait les coups comme personne. Ce n’était pas sa première bagarre et certainement pas sa dernière. Il fermait les yeux et essayait de trouver une solution pour sortir du merdier dans lequel il s’était encore fourré. Il sentait un liquide chaud couler sur son visage, ses paupières gonflées et certains os se briser. Mais il savait qu’il allait s’en sortir. Dans un élan de courage, le journaliste ouvrit les yeux et se redressa avant de saisir le pied de l’homme. Il l’attrapa avec ses deux mains et referma sa prise avec force autour de sa cheville. La seconde suivante, il s’écrasa au sol. Sa tête se cogna bruyamment sur le parquet du bar.

Nick poussa un profond soupir en se relevant. Son regard dansait entre les deux hommes qui gisaient inconscients.

— Oh mon Dieu! soupira la barmaid. Vous allez bien?

Il tourna la tête vers elle et afficha un petit sourire rempli de douleur. Dire qu’il allait bien était un euphémisme. Il pensait avoir au moins deux côtes fêlées et certainement des dents cassées, du moins c’est l’impression que lui donnait le goût métallique qui résidait sur son palais.

— Si je peux vous donner un conseil, commença-t-il en tournant la tête vers elle, ce serait de ne plus servir des hommes comme eux.

— Je ne choisis pas mes clients, rétorqua-t-elle en souriant nerveusement.

Il retourna près du bar et attrapa la bouteille de whisky qui était restée posée là avant de s’en prendre un verre. Cela allait certainement atténuer les douleurs que son corps lui faisait subir.

— Heureusement pour moi alors, soupira Nick en la regardant dans les yeux.

Et à l’instant où la serveuse croisa une nouvelle fois le regard de Nick, il comprit ce qui allait se passer ensuite. Ils se voyaient déjà collés l’un à l’autre, les corps brûlants de désir, le cœur battant. Tout ça ne signifiait rien pour lui, mais c’était comme des pulsions qui, depuis quelque temps, faisaient partie de lui. C’était un de ces boutons d’autodestruction qu’il actionnait lorsqu’il broyait du noir et, depuis peu, ce bouton lui collait à la peau.

Son téléphone continuait de vibrer sur le parquet. Des vêtements jonchaient le sol et étaient semés jusque dans la salle du bar. Il émergeait lentement, réveillant alors les douleurs que son corps lui infligeait et ressentant les effets des quelques verres qu’il avait bus plus tôt dans la journée. Du coin de l’œil, il observa la jeune barmaid qui était endormie à côté de lui. Il aurait pu être pris de remords d’avoir profité de cette femme, comme il l’avait tant de fois fait auparavant. Mais Nick n’éprouvait rien à ce moment précis. Et ce depuis longtemps.

Le jeune homme poussa un profond soupir, las, avant de passer une main dans ses cheveux tout en cherchant son téléphone. Lorsqu’il l’eut entre ses doigts, il décrocha sans regarder qui était son interlocuteur.

— Allô? grogna-t-il en observant le plafond.

— Bordel tu es où?

— Difficile à dire, soupira Nick en se redressant. Qu’est-ce qu’il y a?

— Tu étais censé nous retrouver au salon il y a une demi-heure!

— Pour quoi faire?

— Oh bah je n’en sais rien moi, peut-être parce que Jared nous l’a demandé!

— Ouais bah, je ne dois pas trop lui manquer!

— Nick, tu as intérêt de rappliquer dans les trente minutes qui suivent ou je te promets que je te tue!

Il raccrocha et se leva en observant autour de lui. Il attrapa ses vêtements et les enfila en faisant attention de ne pas réveiller celle qui dormait encore. Il mit ses chaussures et saisit son casque avant de disparaître hors du bar. Sa moto était toujours au même endroit, couverte d’un peu de neige. Il la retira d’un geste et enfourcha sa Ducati.

Autour de lui, la nuit commençait déjà à tomber et les lampadaires s’allumèrent sous son passage. Il n’avait pas hâte de se retrouver dans la même pièce que son frère aîné Jared et de sa jumelle April. Ils étaient tous les deux trop différents de Nick et ne le comprenaient pas. Jared lui reprochait tout ce qu’il pouvait et April ne cessait de le traiter comme un enfant. Quant à leur mère, elle avait toujours préféré Jared à Nick et April était sa fierté. Nick se sentait comme le vilain petit canard dans sa propre famille. Même son père, de son vivant, lui avait fait comprendre qu’il ne valait même pas la peine de dépenser un centime pour ses études.

C’était le cœur lourd de souvenirs que Nick gara sa moto devant le salon. Celui-ci était l’endroit où ils se retrouvaient tous les quatre de temps en temps. Le lieu appartenait à sa mère qui, depuis le décès de son mari, ne vivait que pour ses cupcakes et ses enfants. Elle tenait à ce lieu plus qu’à la prunelle de ses yeux! Nick les observait tous les trois, immobile. Il les voyait rire et sourire. Encore cette fois il n’avait pas l’impression d’être le bienvenu. Mais April l’avait appelé, alors il devait y aller.

Avant de pousser la porte, il retira son casque et grimaça de douleur lorsque le froid se posa sur ses coupures encore fraîches. Il fit tinter la clochette du salon, attirant ainsi le regard des occupants. Leurs sourires s’effacèrent aussitôt. April observa son jumeau, soudainement inquiète, même si elle avait l’habitude de le voir blessé de la sorte.

— Qu’est-ce qu’il t’est arrivé? soupira sa sœur, soucieuse.

— Rien, murmura Nick en posant son casque.

— Tu sens déjà l’alcool! reprocha son aîné.

— Je suis content de te voir aussi! répliqua Nick.

Seule sa mère restait silencieuse. Elle se contenta de s’approcher de son fils et de le prendre dans ses bras. Les accolades de sa mère étaient l’unique chose qui pouvait donner à Nick un peu de réconfort. Il se demandait, de temps en temps, si elle voyait à quel point il souffrait. Les mères savent tout, c’est bien connu, mais Madame Gray ne connaissait pas son fils comme elle le laissait entendre. Il était pour elle un parfait inconnu depuis plusieurs années.

Ils s’installèrent ensuite à la table sur laquelle se trouvaient trois tasses de café et une tisane, ainsi que des petits gâteaux. Nick observa la table avant de redresser la tête vers son frère qui le jugeait d’une étrange manière. Leurs regards se croisèrent pendant de courtes secondes, mais Nick eut le temps de lire tout le mépris que Jared avait à son égard. Il faut dire que depuis son retour, Nick ne lui avait pas facilité la vie, mais ce n’était pas pour cette raison que Jared regardait son frère de cette façon — du moins, ce soir-là.

Nick tourna la tête vers sa sœur qui souriait de toutes ses dents et sautillait sur sa chaise telle une enfant qui attendait ses cadeaux de Noël. Une lueur enfantine et impatiente brillait dans ses iris verts, Nick ne se souvenait pas l’avoir vue comme ça depuis plusieurs années. À aucun moment, le regard des jumeaux ne se croisa. Alors, il abandonna sa jumelle et tourna une nouvelle fois les yeux vers son frère qui continuait de le juger intérieurement. Seulement, Nick avait l’impression d’entendre les paroles de Jared dans sa tête. Elles étaient cassantes, méchantes même. Il baissa finalement les yeux, ne supportant pas ses réprimandes.

— Alors? s’impatienta April. Qu’est-ce que tu voulais nous dire?

Nick soudainement intéressé, se redressa et fit mine d’écouter son aîné. Un sourire curieux s’afficha sur son visage. Nick ne l’avait pas vu sourire comme ça depuis qu’il avait demandé Dona en mariage huit ans plus tôt. C’était toujours une sensation étrange de le voir ainsi.

— Dona et moi, nous allons avoir un enfant, confessa-t-il le sourire aux lèvres.

Alors que sa sœur et sa mère se ruèrent sur lui pour le féliciter, Nick resta assis sur sa chaise le regard dans le vide, le cœur tout à coup lourd. Il se perdit dans ses pensées, tout en essayant de se raccrocher à la réalité. Au fond de lui, il savait qu’il devait réagir. Il luttait contre lui-même pour sortir de ses songes. Et lorsqu’il y arriva, il redressa la tête vers son frère et le complimenta à son tour, mais la joie en moins.

Combien de temps s’écoula après cette annonce? Dix, vingt ou peut-être trente minutes? Les aiguilles de l’horloge semblaient s’être figées pour Nick lorsque son frère avait annoncé cette merveilleuse nouvelle. Sa mère parlait déjà des prénoms, sa sœur savait pertinemment qu’elle serait la marraine de ce petit et Nick, lui, était conscient que son frère allait le décrire comme l’oncle à éviter.

Les voix de sa mère et sa sœur se mêlèrent l’une à l’autre et Jared répondait joyeusement à toutes leurs questions. Seul Nick restait en retrait, à l’écart. Comment pouvait-il leur en vouloir? Le regard perdu dans sa tasse de café, il songeait pendant de courts instants à son propre passé, au bonheur qu’il avait jadis connu. Où était-il passé ce fichu bonheur? Il avait été balayé de sa vie comme un ouragan balaie une ville! Et Nick souffrait. En silence. Ce soir-là, peut-être plus que les autres. Mais il le cachait.

En fixant sa tasse de café, il jurait intérieurement de ne pas avoir apporté sa flasque de whisky, mais qu’allait dire son frère s’il le voyait boire juste sous ses yeux. Parce qu’à la différence de Nick, Jared ne buvait pas une goutte d’alcool! Il était l’exemple même de l’homme parfait.

Il écoutait attentivement, quoique légèrement désabusé, son aîné parler avec sa sœur et sa mère. Pendant toute la durée de ces retrouvailles, aucun d’eux n’adressa la parole à Nick. Au bout d’une demi-heure, il comprit que sa place n’était pas ici. Alors, il termina sa tasse de café, désormais froide, et se leva de sa chaise sous les regards de ses proches.

Il vit bien le regard réprobateur de son aîné, le coup d’œil inquiet – mais tout de même agacé – de sa jumelle et le visage fatigué de sa mère. Mais c’était devenu son quotidien ces dernières années.

Maladroitement, il félicita Jared une nouvelle fois, puis embrassa sa sœur avant de prendre sa mère dans ses bras. Il sentit son cœur se pincer lorsqu’il se défit de son étreinte. Mais, une fois la porte du salon fermée, sa famille s’était déjà remise à parler biberon et prénom.

Alors dans la nuit, Nick rejoignit sa moto. Le froid saisissant à nouveau son visage blessé, il prit son casque entre ses mains et l’enfila tout en observant sa famille. Son frère souriait. Jared souriait. Cette vision était de plus en plus étrange. En présence de Nick, il ne riait jamais. Mais là, alors qu’il était seul avec sa cadette et sa mère, il pouvait sourire. L’épine qu’il avait dans le pied s’était – temporairement – éloignée.

Il fit vrombir sa moto, tout en sentant son cœur saigner douloureusement. Ses yeux dansèrent sur le visage amusé et heureux de sa sœur. Sa jumelle qui plus est. Identiques et pourtant si différents. Nick baissa la tête et retira la béquille de sa moto avant de quitter le parking, le cœur de plus en plus serré.

Il en était sûr désormais, il ne faisait plus partie de cette famille depuis bien longtemps.

CHAPITRE•2

Nick montait les marches de son immeuble l’esprit ailleurs. Autour de lui, tout était étrangement silencieux et froid. Le bâtiment était vieux et très mal isolé, dans les couloirs et les escaliers on pouvait sentir les courants d’air comme si l’on se trouvait dans la rue. Toute la bâtisse tombait en ruines, des odeurs désagréables émanaient des murs. Des dealers et des prostituées traînaient dans le hall l’hiver. C’était ici qu’ils pouvaient faire leurs meilleurs chiffres, ils le savaient. Et malgré les tentations de Nick, sa douleur et sa détresse, il n’avait toujours pas touché à ces produits interdits, mais ce n’était plus qu’une question de temps. Et lorsqu’il en arrivera là, ce sera trop tard pour affronter ses proches.

Une fois sur le palier du troisième étage, Nick sortit de ses songes et fouilla ses poches à la recherche de ses clefs. Lorsqu’il les retrouva, il leva les yeux vers la porte de son appartement. À sa plus grande surprise, cette dernière était entrouverte. Curieux, il fronça les sourcils et observa autour de lui. Son sang venait de se figer dans ses veines, son cœur avait cessé de battre. Nick poussa délicatement la porte en priant pour qu’elle ne grince pas. Là, il vit une ombre passer et entendit des bouteilles s’entrechoquer. Il était désormais sûr que quelqu’un était chez lui.

Prêt à bondir sur l’intrus, il ouvrit un peu plus l’entrée et pénétra dans son appartement. La silhouette se dessina avec plus de précision. Les contours d’une jeune femme prenaient vie sous ses yeux. Son regard dansait sur ses longues jambes et remontait sur son dos, là où ses cheveux noir corbeau légèrement ondulés, retombaient. Il fut soulagé de la reconnaître, car Dieu seul sait ce qu’il aurait fait si cela n’avait pas été le cas.

— Hayden ? identifia-t-il, surpris.

La concernée se retourna et afficha un large sourire vermeil à l’attention de Nick. Sa peau était claire et la lumière tamisée de la pièce dansa sur son visage encore enfantin.

Nick posa son casque sur le guéridon de l’entrée et claqua la porte derrière lui avant de se tourner vers son intruse.

— Qu’est-ce que tu fais là ?

— Qu’est-ce qu’il t’est arrivé ? soupira-t-elle en s’avançant doucement.

— Rien. Depuis quand as-tu les clefs de mon appartement ?

— C’était ouvert. Tu veux un verre ?

Elle désigna deux bouteilles, une de whisky et l’autre de vodka.

— Donne-moi la bouteille on gagnera du temps.

Elle s’exécuta et suivit Nick dans le canapé. Il ouvrit sa bouteille et porta le goulot à ses lèvres. Le liquide glissa dans sa gorge et laissa derrière son passage un goût amer qui le réchauffa. Hayden en fit de même avec sa bouteille. Ils restèrent tous les deux muets pendant de longues minutes, occupés à boire l’alcool que contenaient ces bouteilles. Cela leur procurait une sensation de bien-être et les réconfortait d’une manière que personne ne pouvait faire.

— Je vais être tonton, murmura-t-il après plusieurs secondes.

— Quoi ? April est enceinte ? rétorqua Hayden surprise.

— Non, Dona, la femme de Jared…

— Oh, lui !

Nick tourna la tête vers Hayden, ravi de voir que quelqu’un partageait les mêmes sentiments envers l’aîné de la fratrie. Ils s’échangèrent un long regard silencieux, mais qui dissimulait bien des choses. Combien de fois Nick avait-il voulu lui confesser des secrets inavouables et combien de fois Hayden avait-elle essayé de le faire parler. Elle, mieux que personne, voyait son chagrin, lisait ses peurs et ses doutes. Elle connaissait Nick, peut-être mieux que lui-même, et savait au fond d’elle qu’il cachait quelque chose qui était en train de le tuer de l’intérieur, seulement elle ignorait de quoi il s’agissait et Nick ne semblait pas vouloir lui en parler.

L’alcool prenait progressivement possession de leurs corps et de leurs esprits. Ils se mettaient à converser de tout et de rien, riaient pour des choses futiles, mais c’était l’unique façon pour Nick et pour Hayden de s’épanouir. Nick était brisé et Hayden aussi. C’était d’ailleurs ce qui les avait rapprochés ces dernières années. Leurs chagrins, leurs douleurs, leurs solitudes. Et à cet instant précis, aucun d’eux n’avait l’esprit clair.

Hayden se redressa sur le canapé et plongea son regard vert dans celui de Nick. Elle se perdit pendant quelques secondes dans la couleur sombre de ses iris en luttant contre cette petite voix qui hurlait dans sa tête. Son sourire s’effaça doucement pendant qu’elle se penchait vers le visage du jeune homme. Elle sentait sa respiration s’accélérer et, timidement, le temps s’arrêta. Elle déposa ses lèvres sur celles de son ami, sentant alors son cœur battre à tout rompre. Elle voulut faire durer ce moment pendant une éternité. Mais très rapidement, Nick rompit le contact. Les lèvres chaudes du journaliste étaient soudainement remplacées par un vent glacial. L’estomac d’Hayden se noua lorsqu’elle leva les yeux vers Nick qui l’observait, le regard subitement brisé.

— Je suis désolée, murmura-t-elle gênée.

Sa main glissa le long de sa jambe avant que Nick n’enroule son poignet avec ses doigts chauds et rassurants. Nick sentait son cœur battre la chamade et une petite voix dans sa tête lui hurlait de ne rien faire. Pas avec Hayden. Mais ce baiser avait réveillé en lui en sentiment interdit. Tout son corps frémissait. Il la détailla pendant de courtes secondes qui parurent lui durer une éternité. Elle se mordait les lèvres, la tête baissée, honteuse d’avoir agis aussi bêtement. Mais lui voyait autre chose. Pour la première fois, il voyait Hayden. La Hayden qu’il avait jadis connue, avant que sa vie ne prenne un tournant inattendu. Il voyait au-delà de ses yeux verts, au-delà de sa peau claire et de ses cheveux sombres. Il voyait tout ce qu’elle avait caché en elle depuis tant d’années.

Hayden redressa la tête, un sourcil haussé avant qu’il ne l’attire contre elle pour l’embrasser une nouvelle fois. Leurs lèvres s’effleurèrent quelques secondes, durant lesquelles Nick semblait réfléchir aux conséquences de ses actes. Les yeux baissés sur les contours de sa bouche, sentant sa respiration chaude sur sa peau, il hésita quelques secondes. Puis, dans un élan de courage ou peut-être de stupidité, il se lança. Il emprisonna les lèvres d’Hayden dans les siennes. Au début, c’était un baiser timide qui, au fil des secondes, prenait de l’ampleur et de l’importance. Il renfermait de la passion, du chagrin, une douleur que seules ces deux personnes pouvaient comprendre. Mais également du désir.

Leurs lèvres se quittèrent un instant. Hayden se pencha vers la table pour reposer la bouteille de vodka, mais cette dernière s’écrasa au sol. Le contenu se déversa sur le tapis et sur le parquet avant qu’une forte odeur ne s’en dégage.

— Désolé, murmura-t-elle en souriant timidement.

— Ce n’est rien, soupira Nick en affichant un petit rictus contre les lèvres d’Hayden.

Il l’attira une nouvelle fois vers lui et la porta doucement sur ses genoux. Ils s’embrassèrent avec plus d’impatience. Hayden passa ses mains sous le t-shirt de Nick, sentant alors de nombreuses cicatrices qui lui étaient jusqu’à présent inconnues. Avec rapidité, elle le lui enleva, tout en continuant de caresser les nombreux stigmates qui abîmaient son torse. Puis ce fut au tour de Nick de retirer les habits d’Hayden. Leurs esprits étaient anesthésiés par l’alcool, aucun d’eux n’avait les idées en place, ou au contraire. Peut-être étaient-ils parfaitement conscients de ce qu’il se passait entre eux. De cette passion qui émanait de leurs corps, de leurs échanges de baisers, de leurs lèvres sur leurs peaux nues.

Puis, alors qu’ils continuaient de s’embrasser, Nick souleva Hayden et l’entraîna jusqu’à sa chambre sans défaire ses lèvres des siennes. Il claqua la porte derrière lui sans même se douter que le lendemain matin, tout ce qu’il s’était passé viendrait le hanter.

Nick dormait à poings fermés, le visage écrasé sous l’oreiller. Les rayons du soleil baignaient doucement sa chambre d’une agréable chaleur. Ils se déposaient sur son corps endormi et encore ankylosé de son combat, mais il souffrait déjà moins que la veille. À côté de lui se trouvait la jeune Hayden. Son corps était enroulé d’un drap blanc et ses cheveux sombres retombaient sur son visage endormi. Elle émergeait doucement du sommeil dans lequel elle était plongée. Son odorat se réveilla délicatement et la forte odeur d’alcool vint de nouveau l’enivrer. Sa tête lui faisait mal comme tous les matins après avoir bu une partie de la soirée. Elle bougea silencieusement les bras, sentant le matelas dur sous son corps encore fatigué. Puis finalement, elle ouvrit les yeux. Le plafond qui lui fit face lui était d’abord inconnu, mais lorsqu’elle tourna la tête pour voir qui était allongé à ses côtés, les souvenirs de la veille lui revinrent. Ils étaient flous, mais sa présence près de cet homme les rendait distincts. La panique s’empara alors de son visage, son cœur battait la chamade. Elle passa ses mains dans ses cheveux et retint douloureusement ses sanglots. Ce n’était pas possible, ils n’avaient pas fait ça. Pas avec lui. Nick était son seul véritable ami et là, elle venait de tout foutre en l’air. Comment ? Pourquoi ?

Au fond d’elle, Hayden se sentait honteuse, un sentiment de remords et de mal-être se mit à lui ronger l’âme. Malgré ce qu’elle ressentait pour Nick, elle savait que lui n’éprouverait jamais rien à son égard. Et c’était peut-être la seule chose qui la faisait paniquer ce matin-là. Mais elle n’eut pas le temps de s’apitoyer sur son sort ni de prendre ses affaires pour disparaître de la chambre.

La porte de l’appartement de Nick venait de s’ouvrir, laissant un homme entrer. Elle avait entendu le bois de la porte d’entrée grincer lorsque l’individu l’avait refermée.

D’un bond, Hayden avait agrippé le drap et s’était précipitée vers la salle d’eau. Elle s’enferma en priant pour que la personne disparaisse. Son cœur battait jusque dans ses tempes. Des larmes commençaient à perler au coin de ses paupières. Elle tenait la couverture contre sa poitrine, passant nerveusement ses mains dans ses cheveux. Comment allait-elle se sortir d’ici ? Elle n’allait pas attendre que cet homme parte, si ? Dans tous les cas, si elle voulait quitter l’appartement, elle devrait passer devant cet homme. Hors de question de faire face à cet individu ! Alors elle attendit, le cœur de plus en plus serré, revoyant sous ses yeux des images de la veille.

Quant à Nick, il dormait encore à poings fermés. Son corps baignait dans les faisceaux lumineux d’un soleil levant. Il faisait encore le même rêve – ou plutôt le même cauchemar. Il avait oublié ce qu’il s’était passé la veille – du moins pour le moment.

Trop endormi, il n’entendit pas l’homme entrer dans sa chambre.

L’individu resta pendant de courtes secondes sur le pas de la porte, observant le corps totalement nu de Nick, avec une pointe de tristesse et d’angoisse. Qu’est-ce qu’il t’arrive, pensa-t-il à cet instant. Puis lentement, il s’avança vers les rideaux. D’un geste brusque, il tira sur le tissu et fit entrer les rayons encore matinaux du soleil dans la pièce, sale et dépourvue de vie. Ici, il n’y avait rien à part un lit, une porte qui donnait sur un placard et une autre sur la salle de bain. Nick ne gardait rien de personnel dans sa propre chambre.

Les rais ensoleillés glissèrent doucement sur Nick qui grogna avant de prendre son oreiller pour se le coller sur le visage. Il sentait encore les effets de l’alcool sur lui et la migraine qu’il avait récoltée ne l’aidait pas. Au début, il s’attendait à ce que ce soit son frère qui débarque dans son appartement à une heure aussi matinale. Mais pourquoi aurait-il fait ça ? Depuis que Nick avait emménagé dans ce que Jared appelait sans équivoque un « taudis », Nick ne l’avait jamais vu mettre un seul pied ici, ni même dans la rue en bas de chez lui. Il grommela des paroles inaudibles tout en se retournant pour ne pas faire face à la lueur agressive qui entrait dans sa chambre. Une nouvelle odeur vint à lui : un parfum bon marché qui était sans nul doute celui de son ami, Daniel.

— Debout ! grogna-t-il.

— Fous-moi la paix ! soupira Nick en se tournant vers le mur.

L’homme leva la tête et étudia la chambre et les quelques habits de femme qui traînaient par terre. Il comprit très rapidement que sa conquête de la veille n’avait pas encore mis les voiles.

— Où est-elle ? demanda-t-il en observant autour de lui.

— Qui ?

— Celle qui a semé ses vêtements dans ton appartement. Quelque chose me dit qu’elle n’est pas partie en tenue d’Adam…

D’un bond, Nick se redressa à son tour, le cœur battant, la respiration courte. Non, cela ne pouvait pas être possible. Il n’avait pas fait ça, pas à Hayden.

— Eh bien voilà, tu es réveillé ! sourit Dan. Je te donne quinze minutes sinon je pars sans toi ! Et fais tout pour que je ne croise pas ta copine d’un soir, c’est assez gênant comme ça !

La porte se referma derrière Daniel, laissant Nick dans le flou le plus total. Il observa rapidement autour de lui avant d’attraper les quelques vêtements qu’elle avait abandonnés par terre. Il se pressa vers la salle de bain, seule pièce dans laquelle Hayden aurait pu se cacher en si peu de temps.

Lorsqu’il entra, il la découvrit, le corps toujours entouré du drap et le visage rougi par la honte et les remords. Et à cet instant précis, ils étaient tous les deux atteints d’une culpabilité qui les rongeait de l’intérieur. Il déposa les vêtements d’Hayden sur le bord du lavabo avant de se tourner pour attraper des vêtements dans la panière à linge. Il les enfila rapidement puis lui fit face.

— Je vais laisser la porte ouverte, tu n’auras qu’à mettre la clef sous le paillasson.

Hayden comprit lorsque ses mots franchirent ses lèvres qu’ils n’allaient en aucun cas parler de ce qu’il était arrivé la veille. D’un côté, elle eut comme un léger pincement au cœur. Elle ne valait pas mieux que les autres aux yeux de Nick.

Elle hocha la tête alors qu’il enfilait son t-shirt. Sans ajouter un mot, il se dirigea vers la porte et s’arrêta avant de jeter un œil à Hayden par-dessus son épaule. Lui aussi se sentait coupable de ce qui s’était passé la veille, il s’était promis de ne jamais toucher à Hayden, pas à sa meilleure amie, elle ne méritait pas de souffrir à cause de lui. Et Nick le savait, mais il fallait croire qu’à cet instant, sa détresse s’était envolée.

Il disparut derrière la porte et rejoignit Daniel qui était en train de ranger les bouteilles de bière et celle de vodka qui jonchait le sol. Lorsqu’il se redressa, il toisa Nick qui était prêt à commencer une vraie journée de travail. Mais avant, il avait besoin de parler à son employé, enfin plus à son ami tant qu’il n’avait pas passé les portes du bureau du Denver Report.

— Je te paie un café, souligna Daniel en sortant de l’appartement.

Nick attrapa ses affaires avant de pénétrer dans le couloir. Il ne ferma pas la porte à clef, ce qui intrigua Daniel.

— Quelqu’un a fait sauter ma serrure la semaine dernière, expliqua Nick.

— Je ne comprends pas pourquoi tu vis ici, grommela Daniel en descendant les escaliers.

— Mon salaire ne me permet pas d’avoir quelque chose de mieux, soupira le journaliste.

— Non, tu pourrais avoir quelque chose de mieux si tu ne dépensais pas tout ton salaire en alcool ! corrigea son ami.

Ils montèrent dans la voiture sombre de Daniel avant que ce dernier ne quitte cette rue malfamée en direction d’un petit café en centre-ville. Pendant tout le trajet, les deux hommes restèrent silencieux. Daniel se demandait si Nick allait lui pardonner de lui avoir parlé comme il l’avait fait la veille et Nick, lui, songeait à Hayden et aux baisers qu’ils avaient échangés – entre autres choses. Il revoyait toute la soirée passer sous ses yeux, sentait de nouveau l’alcool glisser dans ses veines, mais ce n’était rien à côté de cette culpabilité qui commençait à l’habiter. La petite voix dans sa tête ne cessait de lui hurler qu’Hayden ne méritait pas ça. Elle ne méritait pas de souffrir à cause de ses abus et de son alcoolisme. Et une autre lui disait qu’elle était tout aussi responsable que lui, mais cette voix-là, il ne voulait pas l’entendre.

Il se remémorait encore leur rencontre et toutes ces journées passées ensemble. Tous ces souvenirs avaient explosé en mille éclats lorsqu’il lui avait rendu son baiser. Il baissa la tête, fixant ses doigts qu’il nouait nerveusement, sentant son cœur se serrer de plus en plus. Hayden… Pourquoi c’était arrivé ? Il ne le comprenait pas.

Ils traversèrent une bonne partie de la ville avant de rejoindre le café. Nick sortit de ses pensées lorsque le moteur de la berline s’éteignit. Il observa Daniel descendre de sa voiture et regagner le trottoir enneigé. En silence, ils partirent s’installer à une table près de la fenêtre. La serveuse ne mit pas de temps à leur apporter leurs cafés et leurs pains perdus, comme ils prenaient habituellement tous les mardis matin.

Daniel observa son ami, inquiet. Il n’avait jamais vu cette expression sur son visage, son regard noisette était encore plus sombre que d’habitude. Il savait que depuis son retour, Nick avait changé, mais il ignorait pourquoi cette transformation avait eu lieu. Il était simplement conscient que celle que Nick avait aimée l’avait quitté du jour au lendemain, le laissant seul avec son chagrin.

— Est-ce que tout va bien ? demanda Daniel soucieux.

Nick redressa la tête et observa son ami, avant de répondre d’un simple acquiescement.

— Ton visage, qu’est-ce qu’il lui est arrivé ?

— Rien, soupira Nick encore anesthésié par l’alcool.

— Écoute… pour ce que j’ai dit hier, reprit Daniel, je suis désolé. Je n’avais pas le droit de te dire ça et encore moins devant tes collègues…

— Ce n’est rien, murmura Nick, tu as raison.

— J’ai… raison ? répéta Daniel surpris d’entendre ces mots. Attends une seconde, tu ne comptes pas partir ?

— Tu me l’as proposé pourtant, se souvint le journaliste.

— Non, mais ce n’était pas… Tu es un très bon reporter Nick, mais tes retards et tes arrestations un peu trop répétitives, sans compter ton état d’ébriété presque constant, ce n’est plus possible…

Nick baissa les yeux sur son café avec la sensation d’entendre son frère parler. Et là, il comprit pourquoi Daniel était venu le chercher ce matin-là et pourquoi il l’avait invité à boire le café.

— Tu as parlé à April, murmura-t-il.

— Oui ! On est inquiets pour toi Nick, on est préoccupés par ce qu’il passe, de ce que tu deviens et surtout du taudis dans lequel tu vis ! Ce truc menace de s’effondrer à chaque fois que quelqu’un claque une porte !

— Je ne m’attends pas à ce que vous compreniez.

— Alors explique-moi ! Nick, je sais que ta séparation avec Emilie t’a fait très mal, mais tu dois aller de l’avant…

Le nom d’Emilie résonna dans tout son corps et réveilla d’étranges sensations qu’il avait crues oubliées. Il ferma les yeux pendant de courtes secondes et se concentra sur autre chose, il ne devait pas penser à elle, pas maintenant.

— Je vais bien, insista Nick.

— Si tu le dis. Mais Nick, si tu as besoin de quoi que ce soit, tu sais que je suis là, peu importe l’heure, je te répondrai.

— Et qu’en pense ta femme de mes coups de fil à trois heures du matin ? railla-t-il.

— Je n’en sais trop rien, je dors sur le canapé.

Surpris, Nick redressa la tête. Il s’était tellement focalisé sur sa propre personne qu’il ne s’était même pas intéressé à son ami d’enfance.

— Elle me reproche de trop ronfler, soupira-t-il, elle devrait s’entendre de temps en temps !

Pour la première et dernière fois de la journée, Nick afficha un sourire et laissa un petit rire lui échapper. Ils finirent leurs cafés et leurs pains perdus avant de reprendre la route en direction du journal.

Lorsque Nick arriva dans le hall aux côtés de Daniel, tous les regards se tournèrent vers eux. La rumeur comme quoi Nick Gray était enfin viré, n’était alors que ça : une simple rumeur. Il salua comme à son habitude la standardiste et rejoignit le premier étage. Et là encore, il fut le centre de l’attention. C’était la première fois depuis qu’il avait commencé à travailler ici que le grand Nick Gray arrivait à l’heure. Cela méritait quelques moqueries de la part de ses collègues.

— Tu es tombé du lit Gray ? railla l’un d’eux.

— Ferme-la ! souffla Nick en posant ses affaires.

Nick eut à peine le temps de déposer son sac que la voix de Daniel se faisait entendre. Il raccrocha rapidement son téléphone avant de se montrer à la porte de son bureau.

— Gray ! Sloan Lake tout de suite !

Sans s’interroger, Nick reprit ses affaires et se pressa vers les marches. Alors qu’il arrivait au niveau des escaliers, il fit face à Hayden. Son visage et celui de la jeune femme s’empourprèrent.

— Hayden, murmura-t-il soudainement nerveux, qu’est-ce que tu fais là ?

— Je…

—Nick ! grogna la voix de Daniel.

Dan le retrouva dans les escaliers et tendit les clefs de sa voiture à Nick avant d’observer Hayden.

— Hayden ? souffla-t-il, surpris. Qu’est-ce que tu veux ?

Elle tourna les yeux vers Daniel et monta les dernières marches qu’il lui restait, laissant alors Nick derrière elle. Il hésita pendant de longues secondes à faire demi-tour pour écouter la conversation qu’ils allaient avoir. Hayden était après tout la petite sœur de Daniel et si jamais par malheur elle décidait de se confesser sur la nuit passée, Nick était à coup sûr un homme mort. Pourtant il choisit de partir. Si Daniel lui avait demandé d’aller sur le terrain, c’était qu’il y avait une bonne raison, du moins il fallait l’espérer.

Il grimpa dans la voiture de son ami avant de rouler à toute vitesse en direction de Sloan Lake. Il ignorait ce qu’il se passait près du lac, mais tout le monde était attiré par les lumières bleues et rouges des gyrophares. Nick sentit soudainement une étrange sensation peser dans sa poitrine. Il avait comme un mauvais pressentiment.

Il descendit de sa voiture et retrouva les autres curieux qui étaient rassemblés près du cordon de sécurité. Il n’écoutait pas les commérages et se contentait d’observer ce qui lui faisait face.

Près du lac, des scientifiques étaient réunis, un tissu blanc recouvrait une forme humaine et des policiers s’attelaient à la recherche d’indices. Un peu plus haut, un véhicule était garé. C’était une Jeep grise immatriculée dans le Wisconsin. Nick l’étudia avant de tourner la tête vers l’inspecteur chargé de l’affaire. Il le reconnut rapidement et savait tout de suite qu’il n’obtiendrait aucune information de sa part, mais il devait tenter le coup.

Nick était un excellent journaliste et il l’avait prouvé à maintes reprises, mais il avait du mal à suivre les règles et, ce jour-là, les règles lui étaient encore inconnues. Il voyait le corps inerte dissimulé sous ce drap blanc, entouré de neige. Les scientifiques s’attelaient à leurs tâches et la Jeep était passée au peigne fin. Tout ceci ne présageait rien de bon et si Nick était sûr d’une chose, c’était que son instinct ne l’avait jamais trompé ! Alors il dépassa le cordon de sécurité lorsque le policier en faction eut le regard ailleurs et s’avança rapidement vers la scène du crime. Il entendait autour de lui toutes les théories des flics, les murmures des passants trop curieux, mais rien de tout cela ne l’arrêta. La vision du corps qui était dissimulé sous un drap immaculé l’immobilisa. Son regard devint brusquement rempli d’une angoisse qu’il ne connaissait plus, la chaleur que renfermait son corps s’évapora et son âme se déchira. Il fronça les sourcils et fixa la main parfaitement manucurée qui dépassait de la couverture. Ce n’était pas cette main qui le figeait de cette façon, non, c’était le bracelet qui entourait son poignet. Il connaissait ce bracelet.

Une boule se forma dans sa gorge et glissa le long de son œsophage avant de peser dans son estomac. L’air était soudainement devenu irrespirable. Cela devait être une erreur, ça ne pouvait pas être elle !

Il sursauta et sortit de ses pensées lorsqu’une main lui frappa l’épaule. La seconde suivante, le lieutenant en charge de l’affaire lui fit face.

— Dis-moi Gray, les cordons de sécurité tu connais ?

— Qui est-ce ? demanda Nick sans se préoccuper de la réflexion du lieutenant.

— Tu es encore journaliste toi ? gronda-t-il, agacé. On fera une déclaration en fin d’après-midi, maintenant fais-moi plaisir et dégage d’ici ou j’appelle ton frère !

Nick n’écoutait déjà plus. Lorsque les coroners arrivèrent pour emporter le corps de la victime, le cœur de Nick s’emballa de plus en plus vite. Doucement, ils retirèrent le drap qui la recouvrait, laissant apparaître son visage pétrifié par la peur. Sa peau d’un naturel clair et lumineux était bleue, les yeux clos et la bouche fermée il ne cessait de revoir celle qui fut jadis cette femme. Il la regarda passer à côté de lui, sentant alors son monde s’écrouler péniblement.

Il connaissait cette femme et sa présence ici ne présageait rien de bon.

CHAPITRE•3

Nick ne cessait de songer à ce corps repêché près du Sloan Lake. Il revoyait danser sous ses yeux les images de son visage bleuté, de ses paupières closes. La voir ainsi lui glaça le sang. Il ne pensait pas que leurs chemins allaient de nouveau se croiser, mais c’était encore plus douloureux de la retrouver morte.

Le regard vide, il montait une à une les marches du Denver Report jusqu’au premier étage. Malgré le brouhaha des pigistes, le bruit aigu des téléphones qui sonnaient sans discontinuer et l’écho constant des touches de claviers, Nick n’entendait que son cœur battre dans sa poitrine. Le monde venait de s’arrêter. Il ne pensait même plus à Hayden qui avait fait irruption dans les escaliers une heure plus tôt et encore moins à ce qu’elle avait bien pu dire à son frère. Et pourtant cela aurait dû le préoccuper.

Il posa ses affaires à son bureau, saisissant son carnet et s’apprêta à se laisser tomber dans son fauteuil lorsqu’une voix forte tonna derrière de lui. Rien ne pouvait le sortir de ses songes, sauf la soudaine amertume qui résonnait dans la voix de Daniel.

— Nick ! Viens ici !

La gorge serrée, Nick se retourna et observa Daniel qui raccrochait son téléphone avec agacement. Ils se connaissaient depuis des années et Nick savait pertinemment que ce regard ne signifiait rien de bon. Les yeux marron du rédacteur en chef étaient devenus sombres et une colère étrange émanait de lui. Hayden lui avait certainement dit ce qui était arrivé et Nick avait manqué à la règle numéro un du meilleur ami « À la sœur tu ne toucheras pas ».

Il marcha vers le bureau de Daniel en se demandant quelle explication il pourrait donner à cette malencontreuse nuit, mais aucun mot ne lui vint à l’esprit. Sans s’en rendre compte, il était arrivé face à Daniel qui continuait de lire les rubriques que ses journalistes avaient écrites. Mais il n’attendait qu’une chose pour faire la première page le lendemain matin, l’article de Nick.

— Alors ? questionna-t-il en redressant la tête.

— Alors quoi ?

— Sloan Lake ! Qu’est-ce que tu peux me dire ?

Une vague de soulagement s’empara de Nick. Hayden n’avait pas parlé à son frère de ce qui s’était passé la nuit précédente, mais il semblait tout de même un peu remonté. Peu importe ce que Hayden lui avait dit, Nick n’était pas au centre de la conversation. Du moins, il l’espérait.

L’esprit de Nick se libéra alors d’un poids. Il attrapa son carnet sur lequel il n’avait rien marqué jusque-là, trop touché par la mort de cette femme et redressa la tête vers le rédacteur qui attendait que Nick lui parle de ses découvertes.

— Je ne sais pas grand-chose, soupira-t-il, Queen est sur l’affaire…

— Il ne manquait plus que lui ! grogna Daniel. Écoute, essaie de parler à un policier, n’importe qui pour avoir des informations avant que Queen ne donne sa conférence de presse à seize heures ! Je veux que l’article soit sur mon bureau à treize heures !

— D’accord, acquiesça Nick.

Le journaliste n’avait pas encore quitté le bureau que Daniel s’était replongé dans son article. Un crayon rouge à la main, il tirait de grands traits sur certains passages que l’un de ses reporters avait écrit. Son visage était sombre et agacé. Nick connaissait ce regard et ressentait cette irritation. Il n’avait pas besoin d’être devin pour comprendre que Daniel était préoccupé.

— Tout va bien ? demanda-t-il un sourcil haussé.

— À ton avis, grommela Daniel.

Celui-ci reposa son crayon et redressa la tête vers son ami. Il laissa tomber la casquette de chef pour le moment et avait envie de se confier à celui qu’il fréquentait depuis l’enfance.

— Tu côtoies beaucoup Hayden en ce moment, commença-t-il, est-ce que tu peux me dire si elle voit quelqu’un ou ce qu’elle peut bien faire de ses journées ?

Nick était sûr de deux choses au sujet d’Hayden : premièrement, elle ne voyait personne, ou du moins il l’espérait, car la nuit précédente risquait d’être encore plus douloureuse qu’il ne pouvait le penser. Et ensuite, Hayden ne faisait rien de son temps libre. Mis à part boxer des sacs de sable dans le club qui se trouvait au coin de la sixième rue.

— Je… Non, je ne sais pas, pourquoi ?

— Tu la fréquentes plus que moi, je me disais que tu savais ce que ma sœur pouvait bien faire de ses journées.

— Non, désolé, je l’ignore.

Daniel reprit son crayon entre ses mains et mima un léger sourire avant de se replonger dans son travail. Il se faisait énormément de soucis pour sa cadette, elle était tout ce qu’il lui restait de ses parents. Depuis l’accident, ils n’étaient plus que tous les deux et avant ce tragique soir d’automne, Hayden et Daniel étaient très proches. Jusqu’au jour où l’aîné dut enfiler la casquette de parent pour élever sa sœur. Et il était tout à fait conscient que dans la vie de sa jeune sœur, Daniel avait le rôle du méchant grand frère. Mais tout ce qu’il avait fait par le passé était pour la protéger. Nick avait été absent de leur vie pendant quatre ans. Quatre années durant lesquelles Hayden avait sombré dans la drogue, l’alcoolisme et qui était devenue du jour au lendemain la parfaite réplique du garçon qu’il avait en face de lui à cet instant précis. Daniel savait qu’Hayden et Nick entretenaient une relation particulière, mais platonique – du moins il l’espérait ! Alors, quand Nick avait quitté Denver sans prévenir et qu’il avait dû dire à sa jeune sœur la vérité, il avait compris que plus jamais il ne la reverrait. Hayden aurait dû être une brillante avocate. Elle était intelligente et avait les épaules pour tenir tête à des juges et des procureurs. Mais sans Nick, cela ne semblait pas avoir de sens. Elle n’a jamais réalisé le rêve de son frère et son casier judiciaire – rempli de délits mineurs – lui a fermé définitivement les portes pour devenir avocate.

— Je me demande ce que j’ai raté, soupira-t-il en baissant la tête.

— Tu n’y es pour rien, le rassura Nick. Tu connais Hayden, elle est…

Il ne termina pas sa phrase, préoccupé par une image de la veille. Il se pinça les lèvres nerveusement et baissa les yeux en espérant que Daniel ne devine pas ses pensées. Mais ce fut le contraire, Daniel s’imagina tout de suite le pire. Il crut, pendant quelques secondes, comprendre ce que Nick semblait cacher. Lorsqu’il releva les yeux, son ami l’observait un sourcil haussé, interrogateur.

— Elle est quoi ? questionna Daniel. Oh non, ne me dis pas qu’elle est…