Rêveur - Tome 1 - Coralie B. - E-Book

Rêveur - Tome 1 E-Book

Coralie B.

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Beschreibung

Il est un Rêveur.
Elle vit parmi les Endormis.
Leurs chemins ne sont pas fait pour se croiser, pourtant leurs destins sont liés.
Trois mois se sont écoulés depuis l’accident de voiture qui a coûté la vie à sa meilleure amie et Reagan essaie toujours d’y faire face. Seulement, la douleur est trop grande et rien n’y personne ne peut l’effacer.
Jusqu’à cette nuit-là, où réveillée par des bruits étranges provenant de la cuisine familiale, elle fait face à l’impensable. Une créature au visage émacié et aux dents pointues sortie tout droit d’un cauchemar tient dans ses bras décharnés le corps de sa mère.
Reagan découvre alors l’existence d’un univers dont elle ignorait l’existence et auquel il semblerait qu’elle fasse partie. Un monde où les rêves et les cauchemars ne semblent faire qu’un et dans lequel elle a un rôle à jouer.

À PROPOS DE L'AUTRICE

Originaire de la Sarthe, Coralie B. a découvert l'écriture tout à fait par hasard et depuis, impossible pour elle de s'arrêter. Ayant toujours une imagination débordante, elle a commencé à écrire des histoires pour adolescents sur la plateforme Wattpad, avant de se tourner vers le thriller et également le fantastique. Inspirée notamment par les films et séries, de musique ou encore les histoires qu'elle peut dévorer, ses intrigues se construisent principalement lorsqu'elle tombe dans les bras de Orphée et donne ainsi vie à ses personnages.

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Rêveur

 

Tome 1

Prémonition

 

 

 

 

 

 

 

 

Coralie B

Prologue

 

 

— J’adore cette musique ! Monte le son !

Reagan obéit, laissant les accords du clavier et les rifts de guitares recouvrir le bruit du moteur. Elles entamèrent le premier couplet de sweet dreams à tue-tête en se dandinant sur leurs sièges, un large sourire aux lèvres. Soulagées que personne d’autre ne soit témoin de cette scène, elles se laissèrent aller jusqu’à ce que la musique s’achève, laissant une autre mélodie prendre la suite. Les premières notes s’élevèrent à peine lorsque la conductrice baissa le volume.

Le calme ne dura que quelques secondes avant que la conversation reprenne comme si de rien n’était. Elles parlèrent de l’été qui arrivait, de l’année qui s’était écoulée, de leur projet pour celle qui allait commencer et des inscriptions pour l’université qui allaient débuter. En septembre, elles rentreraient en dernière année de lycée, ni l’une ni l’autre ne voulaient y penser pour l’instant. Lorsque la discussion s’essouffla, que seule la musique comblait le silence qui les entourait, la passagère détourna la tête en direction du paysage.

Devant elle une longue route droite se dressait, bordée de part et d’autre par une forêt qui s’étendait à perte de vue. Leur ascension éclairée par la seule lueur des phares de la Corolla, Reagan laissa son esprit vagabonder. Petit à petit, elle se perdait dans ses propres pensées, oubliant la musique, le décor qui l’entourait ainsi que l’endroit où elles se rendaient. Elle avait tellement de choses à l’esprit depuis quelque temps qu’elle ignorait si elle parviendrait à les oublier le temps d’une soirée. Malgré tout, elle s’y forcerait. Après l’année qu’elle avait passé, elle avait bien mérité cette petite pause.

À mesure qu’elle s’enfonçait dans les bois, un étrange sentiment se mit à grandir au creux de son estomac, occultant brutalement toutes les choses qui la préoccupaient. Sentant un frisson remonter le long de son échine, Reagan se raidit sur son siège. Ses doigts se crispèrent sur ses genoux, alors qu’elle fixait le paysage sombre par la vitre. La peau couverte de chair de poule et le cœur tapant contre ses tempes son regard parcourait les bois, à la recherche de quelque chose, n’importe quoi qui serait à l’origine de cette étrange angoisse. Seulement, elle ne vit rien, hormis des arbres et des sapins à perte de vue. Pourtant, plus le véhicule s’enfonçait dans la forêt, plus ce sentiment grandissait. Son estomac se contracta. Sa gorge se noua empêchant l’air d’entrer dans ses poumons et tous ses muscles se contractèrent.

— Accélère.

Sa voix n’était qu’un murmure, mais la conductrice l’entendit par-dessus la musique. Intriguée, Ashley la considéra, notant alors l’ombre qui passait sur son visage en proie à l’inquiétude.

— Quoi ? Pourquoi ?

Luttant contre l’angoisse qui nouait chacun de ses muscles, Reagan détourna la tête et avisa son amie. Les yeux humides et le regard brillant de terreur elle fixa Ashley qui ne put dissimuler son inquiétude face à une telle expression. Jamais elle n’avait lu une telle frayeur sur ses traits clairs. Reagan semblait lutter contre les larmes qui naquirent dans ses paupières. Et il y avait ses mains, qu’elle refermait et ouvrait sur ses genoux pour contrôler les tremblements qui prirent possession d’elle.

— Reagan, qu’est-ce qu’il se passe ?

— S’il te plait, accélère.

Ashley la considéra, une seconde de plus, notant sa voix chevrotante et sa respiration qui devenait de plus en plus courte et saccadée. Après une seconde, qui semblait durer une éternité, elle opina, consciente que quelque chose n’allait pas chez son amie. Son pied écrasa l’accélérateur alors que son regard passa de sa passagère à la route. Elle voyait les doigts de Reagan s’enfoncer dans ses genoux avec plus de force, alors que son attention était de nouveau portée sur les bois.

À mesure qu’elle étudiait les arbres qui se dressaient derrière la vitre passagère, ce sentiment ne fit qu’accroître. L’idée que quelque chose allait arriver ne la quittait pas. Elle ignorait pourquoi cette sensation ne cessait de grandir, mais elle savait une chose : elles devaient fuir cet endroit au plus vite. Et, alors que la forêt ne serait bientôt plus qu’un lointain souvenir, l’estomac de Reagan se contracta une nouvelle fois. C’est trop tard.

À la seconde où cette pensée se forma dans son esprit, une onde de choc balaya la forêt et fit vibrer le sol.

Sous les tremblements, la voiture fit une embardée et prit la direction des bois. Crispant ses mains sur le volant, la conductrice tenta de reprendre le contrôle. Reagan, à ses côtés, s’était cramponné à la poignée au-dessus de sa tête, tentant de réprimer le hurlement qui naquit dans sa gorge. Les coups de volant que donna Ashley afin de garder la trajectoire la firent basculer d’un côté et de l’autre. Cet effort fut vain. La voiture continuait de zigzaguer sur la chaussée, sans qu’elle ne puisse rien faire. Sentant la panique l'envahir, la conductrice appuya d'un coup sec sur le frein tout en essayant de reprendre le contrôle. Mais l’inverse se produisit. Brusquement, la voiture se retourna sur elle-même. Un bruit de taule, suivis de cris dissimulés par l'explosion des vitres retentit tout autour d'elles. La voiture fit plusieurs tonneaux avant de s'arrêter au bord de la chaussée. 

Le temps s’était brusquement figé. Il n’y avait plus de mouvement, plus de bruit – seulement celui des pneus qui tournaient dans le vide. Et comme si rien ne s’était passé, la forêt redevint calme. Les arbres reprirent leurs mouvements gracieux, bercés par la brise fraiche de cette première nuit d’été, tandis qu’une silhouette émergeait de la Corolla.

Dans un râle de douleur, Reagan s’extirpa de la carcasse, rampant sur le sol, laissant les débris de verre entailler sa peau. Chaque centimètre était un supplice. Ses muscles et ses os la faisaient souffrir, mais ce n’était rien à côté de la douleur lancinante qui pulsait à l’arrière de son crâne. Ses longs cheveux blonds étaient emmêlés et du sang colorait certaines de ses mèches. Quant à son visage, il était couvert de coupure et d’ecchymose qui prenaient petit à petit une couleur bleuâtre. Dans un ultime effort, elle se laissa retomber, ventre contre terre, sur le bitume. Un soupir franchit ses lèvres. Elle ferma brièvement les yeux, avant de les rouvrir et de fixer les bois qui s’étendaient de l’autre côté de la route. Son souffle était saccadé, son cœur battait à tout rompre. Elle avait l’impression qu’il allait exploser. Prenant sur elle, consciente que cela lui demanderait beaucoup d’énergie et réveillerait des blessures dont elle ignorait l’existence, elle roula sur le dos. Son regard se porta sur le ciel sombre parsemé de quelques étoiles. Elle sentait sa poitrine se gonfler et se dégonfler, pourtant elle avait l’étrange impression de mourir à chacune de ses inspirations. Les mains posées sur le ventre, elle tendait l’oreille, appréciant ce bref instant de répit. Le seul son qui brisait ce calme était celui de sa respiration et de son cœur qui pulsait jusqu’à ses tempes. Hormis cela, il n’y avait plus un seul bruit dans cette forêt.

Après une longue minute, son esprit la ramena à la réalité. Celle où son corps était perclus de douleurs et où elle était étendue sur le bitume parmi des éclats de verre. Lentement, elle détourna la tête. Sa vision était floue, mais elle parvenait à deviner les contours du véhicule rouges à travers ses cils humides. La lumière des phares qui éclairait son visage abîmé la força à fermer les yeux. Elle cligna des cils à plusieurs reprises, tentant de s’y habituer sans vraiment y parvenir.

Un soupir haché franchit ses lèvres. Se redressant sur les fesses, elle grimaça, sentant une vive douleur exploser à l’arrière de son dos. Passant une main tremblante sur son visage, elle dégagea la mèche blonde qui tombait devant ses yeux. Un liquide poisseux à l’odeur de fer couvrit ses doigts. Elle fronça les sourcils, avant d’être frappée par les souvenirs. Elle ressentit de nouveau l’onde de choc qui avait fait vibrer la route et les phares de la voiture danser sur les arbres avant que la voiture ne fasse de nombreux tonneaux. Levant la tête, elle embrassa les bois du regard. La petite brise fraiche qui glissa sur son visage la fit frémir. Ses yeux remontèrent le long de la cime, jusqu’au ciel étoilé.

Un nouveau soupir saccadé et douloureux franchit ses lèvres, alors qu’elle baissa les yeux. Son regard se posa immédiatement sur le véhicule. Et c’est là qu’elle la vit. Son cœur se serra et sa respiration se bloqua dans sa poitrine. Son esprit occulta tout ce qui l’entourait. Il n’y avait qu’elle. Ou du moins, son corps. Inerte, les bras tombant le long de son visage, ses longs cheveux châtains dans lesquels des débris de verres s’étaient logés et ses traits abîmés par différentes plaies dont du sang s’écoulait. Et il y avait son thorax…, il ne se soulevait pas…

— Ash ? 

Sa voix n'était qu'un murmure étranglé et à peine audible. Elle grimaça et appela de nouveau son amie, mais un nouveau silence lui répondit. Sentant l'inquiétude grandir, elle se laissa tomber sur le ventre et, réprimant un grognement, rebroussa chemin. Se mettre debout était trop compliqué, alors elle rampa de nouveau, n'ayant cure de la douleur qui se diffusait dans ses os et muscles.

— Ashley, murmura de nouveau Reagan. 

Elle rompit les mètres qui la séparaient de son ami, espérant que sa vision ne lui joue pas des tours et qu’elle soit toujours en vie. Pourtant, son subconscient avait déjà assimilé ses images. Ses mains tremblaient, des sanglots commencèrent à naitre dans sa gorge et des larmes prenaient possession de ses yeux.

— Ash ! héla-t-elle de nouveau la voix tremblante.  

Mais elle resta inerte. Elle ne cilla pas. Sa poitrine ne se gonflait pas.

— Ashley ! Je t’en prie, réveille-toi !

Il ne se passa rien. Aucune réponse, aucun mouvement de la part de la conductrice. Et, face à cette réalité, Reagan s’effondra. Des larmes roulèrent sur ses joues, tandis qu’elle observait le cadavre de celle qui était jusqu’à cette nuit-là son amie.

 

Chapitre 1

 

Assise sur le banc de sable, elle observait les vagues s’échouer à ses pieds. Le regard rivé sur l’horizon, elle songeait à cette nuit-là, le cœur noué.

Aujourd’hui était un nouveau jour. Et comme tous les précédents, elle se demandait pourquoi elle avait survécu et pourquoi elle était morte ? Ça n’avait aucun sens. Autant pour elle, que pour les médecins et les ambulanciers qui l’avaient découverte près de la voiture. Et pourtant, elle avait défié toutes leurs croyances, mais pas Ashley.

Se mordant la lèvre, Reagan réprima un sanglot, tout en portant une main à son cou. Du bout des doigts, elle caressa la pierre sombre de son pendentif, laissant de nouveau son esprit repasser cette tragique nuit.

Cela faisait presque trois mois qu’Ashley était morte. Elle se demandait ce qu’il s’était passé. Qu’elle repassait en boucle ce qui avait précédé cette « sortie de route » ! Car c’était ce qu’il s’était passé. Selon la police. Car elle, elle le ressentait différemment. La voiture d’Ashley n’avait pas dévié de sa trajectoire, mais quelque chose l’avait fait. Cette onde de choc en était la cause. Un tremblement de terre ? De la foudre qui se serait abattue contre un arbre… mais il n’avait pas plu cette nuit-là et il y avait encore moins eu d’orage. Il n’y avait aucune explication logique à ce qui était à l’origine de cette secousse. Et c’était elle qui avait été responsable de leur accident. Reagan était certaine que la mort d’Ashley n’était pas due à une simple sortie de route. Mais ça, elle l’avait déjà dit. Huit fois. À la neuvième, alors que le médecin tentait encore de lui faire entendre raison, elle avait capitulé. « On a fait une sortie de route », avait-elle acquiescé sans vraiment y croire. Car eux n’étaient pas là. Elle oui et elle était certaine qu’ils avaient tort.

La brise fraiche qui caressa sa joue la ramena brusquement à la réalité. Et, alors que le visage d’Ashley s’immisça dans son esprit, une larme roula sur sa peau et s’écrasa sur le sable froid.

— Je savais que tu serais ici

La voix masculine la tira de ses pensées. Elle ne redressa pas la tête et continua d’observer les vagues qui s’échouaient à ses pieds. Du coin de l’œil, elle distingua la silhouette du nouvel arrivant. Elle se dit que si elle l’ignorait, il partirait peut-être, mais au fond d’elle, Reagan savait qu’il n’en ferait rien.

— Ta mère est inquiète. Elle te cherche partout.

Liam sourit timidement, avant de reporter son attention sur le vaste océan qui se dressait devant lui. Le vent caressa sa peau légèrement bronzée et fit danser ses cheveux châtains bouclés.

— Comment tu te sens ?

Un nouveau soupir franchit les lèvres de Reagan. Si seulement on pouvait arrêter de lui poser la même question, tous les jours à toutes les heures de la journée.

Elle garda le silence, mais son interlocuteur ne s’avouait pas vaincu.

— Moi, ça va. Un peu nerveux pour la reprise des cours, mais ça ira mieux une fois qu’on aura retrouvé ce bon vieux monsieur Wildmore, tu ne crois pas ?

Le soleil n’était même pas levé lorsque Reagan avait ouvert les yeux. Ce jour-là était important, autant pour elle que pour les autres lycéens et pourtant, pour la première fois, elle le redoutait. L’année passée, et celle d’avant, elle avait compté les jours qui les séparaient de la reprise des cours, mais pas cette année. Elle n’avait pas envie de retourner au lycée. Et ça, c’était bien une chose qu’elle ne pensait pas ressentir un jour. Pourtant elle n’allait pas avoir le choix. Pendant un peu plus de deux mois, elle avait tout fait pour éviter ses camarades, pour éviter les murmures qu’on laisserait sur son passage, les regards tristes, mais également intrigués. « Pourquoi elle a survécu celle-là ? C’est elle qui aurait dû mourir, pas Ashley ». Et elle serait d’accord avec chacune de ses remarques. Ash était meilleure qu’elle. Elle était populaire, belle, intelligente… tout le monde l’aimait.

Après l’annonce de sa mort, une veillée avait été faite au bord de cette même plage. Tout le monde y était, sauf Reagan. Encore convalescente, elle refusait de les voir et d’affronter leur reproche, mais ce jour-là elle n’avait plus vraiment d’excuses pour ne pas leur faire face.

À cette idée, un frisson remonta le long de son échine. Sa peau se couvrit de chair de poule et son estomac se noua, ce qui n’échappa pas à Liam qui l’observait à la dérobée.

Son regard se posa sur le visage clair de Reagan. Il distingua, dans les rayons orangés du soleil levant, les sillons humides qui parcouraient ses joues. Son cœur se serra. Il aurait aimé trouvé les mots juste pour soulager sa peine, l’aider à aller mieux et, même si lui souffrait de la perte d’Ashley, ce qu’il éprouvait n’était rien comparé à ce que Reagan ressentait. Il n’avait pas été à ses côtés lorsqu’elle avait rendu son dernier souffle et il n’avait pas à culpabiliser. Pourtant il avait prié pour que les rôles soient inversés, pour que ce soit lui et non Reagan qui ait été victime de cet accident. Mieux encore, il aurait vendu son âme pour prendre la place d’Ashley.

Luttant intérieurement contre toutes les pensées qui l’assaillaient, Liam détourna la tête et repartit à la contemplation de l’océan. L’odeur iodée qui se mêlait à la brise fraiche repoussa ses angoisses.

— Je ne sais pas si je vais y arriver…

La voix de Reagan le tira de ses pensées. Il reporta son attention sur elle et l’observa, soucieux. Il se mordit l’intérieur de la joue, tout en fixant les traits tirés de son amie.

Entre ses doigts, le pendentif continuait de tourner.

— Moi non plus, murmura-t-il.

Intriguée, la jeune femme détourna la tête et le considéra comme si elle le voyait pour la première fois. Les larmes qui stagnaient dans ses yeux faisaient briller ses iris verts. Elle souffrait, certainement plus que lui, et que les autres amis d’Ashley, la situation n’était pas comparable et pourtant elle ne cessait de se dire que son raisonnement était égoïste. Bien sûr, que Liam souffrait, tout comme Patricia et Arnold, les parents d’Ashley, ainsi que Hélène sa mère, ou encore d’autres lycéens, mais Reagan ne le ressentait pas comme ça. Son chagrin était différent des leurs. Eux ne vivaient pas avec cette constante culpabilité sur la poitrine.

— On a perdu une personne qu’on aimait plus que tout, Reagan, mais on doit avancer. C’est ce qu’elle voudrait.

Un soupir las franchit les lèvres de Reagan, alors qu’elle détournait la tête en direction de la mer. Lentement, ses doigts glissèrent sur la perle sombre de son collier. Le pendentif glissa contre sa poitrine, réchauffant sa peau glacée, tandis que ses bras retombèrent le long de son corps.

— Je le sais, mais je ne peux pas le faire, Liam. C’est trop dur.

— Tu ne seras pas toute seule. Je serai avec toi. Dans les couloirs, au self et si jamais tu as besoin de…

— Mais ce n’est pas ce que tu veux, coupa Reagan en le considérant.

Intrigué, il fronça les sourcils, incapable de dissimuler son incompréhen-sion.

— Ce n’est pas ce que tu veux, répéta-t-elle, jouer les baby-sitters.

— Qu’est-ce qu’il te fait penser ça ?

— Enfin Liam, ça fait treize ans que tu habites juste en face de chez moi et jamais tu ne m’as adressé la parole. Mais quand Ashley à commencer à venir chez moi après les cours, là tu as réalisé que j’existais. Qu’est-ce qui me dit que maintenant, tu ne vas pas m’ignorer comme avant ?

La surprise figea les traits de Liam qui, penaud, resta muet. Son regard se perdit dans celui de Reagan, cherchant à comprendre le sens à ses paroles. En vain. Au fond de lui, il savait qu’elle avait raison. Il n’avait jamais fait attention à elle, jusqu’à ce qu’Ashley commence à passer ses après-midis chez elle. Seulement, les choses avaient changé. Il aimait Ashley et il avait appris à connaitre Reagan. Ils souffraient de la perte d’une amie, ils avaient besoin l’un de l’autre, plus que jamais. Pourtant, il fut incapable de prononcer ses mots, parce qu’il ignorait s’il parviendrait à tenir parole.

— Tu vois. Il vaut mieux qu’on s’ignore, tu ne crois pas ? On s’en sortait bien avant, alors…

— Non, souffla-t-il, hors de question. Reagan, on était ami avec Ash, on l’aimait, et c’est vrai que je ne me suis pas montré très sympa envers toi par le passé, mais je ne suis plus le même. Je veux que l’on continue à se parler, à aller manger une pizza chez Frangio le samedi soir et qu’on aille au cinéma. Si on ne le fait pas pour nous, on peut au moins le faire pour elle, tu ne crois pas ? Ashley nous a réunis, elle ne voudrait pas qu’on se sépare parce qu’elle n’est plus là.

Ce rituel lui manquait, même si elle ne l’avouait pas. L’idée de retourner à la pizzeria en ville lui était agréable, tout comme la perspective d’aller voir un film en mangeant du pop-corn trop gras et tellement sucré qu’elle avait l’impression de prendre dix kilos à chaque bouchée. Mais elle ne se sentait pas prête. Et peut-être qu’elle ne le serait jamais.

Elle opina, la gorge nouée. Une nouvelle larme roula sur sa joue. Pour l’instant, penser à Ashley était trop douloureux, mais peut-être que dans quelques mois ou dans quelques années, le souvenir de son rire ou de leur conversation lui serait agréable et qu’elle ne sentirait plus son cœur se serrer face à eux.

— Et je pense ce que j’ai dit, Reagan. Je ne te laisse pas seule. Tu vas devoir me supporter chaque seconde de toutes les journées à venir.

Un sourire timide courba les lèvres de Liam, et Reagan tenta d’y répondre, mais son rictus se transforma en grimace.

Les minutes défilaient. Le soleil se levait progressivement, chassant les dernières étoiles et parant le ciel d’une douce teinte rose et bleu. Ils restèrent tous les deux, côte à côte, silencieux, écoutant les vagues s’écraser puis se retirer, ainsi que les quelques promeneurs matinaux qui longeaient la berge.

Fermant les paupières, Reagan prit une profonde inspiration, essayant de faire disparaitre le poids qui pesait sur ses épaules. Puis elle les rouvrit. Elle n’était pas prête, loin de là, mais elle ne pouvait pas non plus rester sur cette plage éternellement…

— Promets-moi que tu resteras avec moi, aujourd’hui.

— Je te le promets, acquiesça Liam en plongeant son regard dans le sien.

Elle hocha la tête et dans un effort qui lui demanda beaucoup de courage, elle se mit sur ses jambes, sitôt imitée par son ami. Il passa une main dans son dos, avant de l’attirer contre sa poitrine. Et ce simple geste apaisa ses angoisses.

 

 

Les couloirs du lycée étaient comme dans ses souvenirs. Bondés. À l’inverse, elle ne ressentait pas la même chose qu’avant. Aucune excitation ne parcourait ses veines ni aucune joie. Juste un vide. Comme l’impression d’être incomplète.

Se mordant la lèvre inférieure, elle fixa son casier, tout en écoutant autour d’elle. Des rires et des cris se mêlaient au brouhaha. Mélange de conversation incompréhensible et de portes métalliques qu’on referme violemment. Chaque son la faisait sursauter et lui donnait envie de retourner se terrer sous sa couette. Et pourtant elle était là. Plantée devant son casier, des manuels et des cahiers de cours contre la poitrine, elle cherchait toujours le courage de se rendre en classe. Elle se tenait dans le couloir du lycée, c’était déjà un exploit en soi, pourtant, elle n’en retirait aucune joie, car tout lui rappelait Ashley. Le casier sur lequel des photographies et des fleurs avaient été déposées en était le parfait exemple. Reagan l’avait vu en arrivant dans l’allée. C’était d’ailleurs le premier endroit où elle avait posé les yeux, comme si son subconscient avait espéré trouver Ashley juste ici. Au lieu de ça, elle avait trouvé un autel en sa mémoire, fait par quelques élèves du lycée ainsi que des professeurs. Sa première réaction avait été de serrer les poings. Sa première émotion avait été une étrange vague de colère qui s’était lentement muée en peine. Sa culpabilité l’avait de nouveau frappé de plein fouet et l’idée que son casier n’aurait pas eu le droit au même ornement l’avait frôlé. Encore une preuve que ce n’était pas la bonne personne qui était morte cette nuit-là.

Elle avait chassé cette pensée d’un battement de cil humide et s’était réfugiée devant son casier, d’où elle n’avait toujours pas bougé. Comme paralysé, Reagan se sentait incapable de faire un pas de plus. C’était trop dur. Elle n’y arriverait pas. Et pourtant, elle n’avait pas le choix. Elle devait le faire.

— On est ensemble en cours d’histoire, tu veux que je t’accompagne ?

La voix de Liam la tira de ses pensées. Relevant les yeux dans sa direction, elle acquiesça, mais son regard se posa immédiatement sur l’autel derrière son ami. Elle pâlit et resserra ses cahiers contre sa poitrine.

— Tout va bien ?

— Oui. On y va ?

Pivotant sur ses talons, Reagan commença à se frayer un chemin jusqu’aux escaliers. Consciente de la présence de Liam à ses côtés, elle parvint à ignorer les coups d’œil insistant qu’on lui lançait. Ce ne fut qu’une fois arrivé au second étage, qu’elle réalisa qu’elle avait retenu sa respiration pendant tout ce temps. Sans un mot, ils regagnèrent la dernière salle tout au bout du couloir. Elle était déserte. Reagan fut soulagée de le constater et partit s’installer à la dernière table, tout au fond contre le mur. À l’abri des regards, songea-t-elle. Liam prit le siège voisin, intrigué de la voir choisir cette table. L’année passée et toute celle avant, elle avait toujours choisi la table la plus proche du tableau. Ashley la taquinait souvent sur son côté « intello », car elle étudiait – à son goût – beaucoup trop. Malgré son étonnement, il ne releva pas et s’assit.

Ils restèrent tous les deux, silencieux. Chacun enfermé dans leurs propres pensées. Puis la cloche sonna. Les élèves commencèrent à remplir les étages. Ceux qui partageaient le même cours qu’eux arrivèrent en troupeau dans la salle et prirent place en faisant un boucan qui lui vrilla les tympans. Reagan gardait la tête baissée sur sa table tout du long, même lorsque la porte se referma sur le professeur d’histoire. Elle l’étudiait rapidement, avant de baisser de nouveau les yeux sur son bureau.

L’heure lui semblait interminable. Le professeur évoqua le programme à venir et les examens que toutes les dernières années passeraient d’ici quelques mois, mais Reagan n’entendait rien. Pendant soixante minutes, elle avait ressassé encore et toujours les souvenirs de cette nuit. Les cicatrices qu’elle percevait sous le tissu de son gilet et qui la démangeaient n’avaient de cesse de lui rappeler cette maudite soirée. Chaque seconde, elle avait envie de fondre en larme, mais elle restait forte. Pour qui, elle n’en avait aucune idée, mais une petite voix dans sa tête ne cessait de lui dire qu’elle ne devait pas flancher, pas maintenant, pas devant les autres.

Ce fut le tintement de la cloche qui mit fin à ses tortures. Mais elle savait qu’au cours suivant, son esprit serait de nouveau prisonnier de ses tourments. Lentement, elle ramassa ses affaires, alors que tous les autres – hormis Liam – avaient déjà quitté la salle. Elle gardait les yeux baissés, sentant le regard de son ami, ainsi que du professeur posé sur elle, préférant les ignorer. Elle avait l’étrange sentiment qu’il voyait à travers les fines manches de son gilet, les cicatrices rosées qui striaient ses bras. Et à cette pensée, ses stigmates se mirent à la brûler.

— Mademoiselle Summers, je peux vous parler une minute ?

S’arrêtant face au bureau du professeur, elle opina tout en resserrant ses cahiers contre sa poitrine. Liam qui était derrière elle l’imita, mais il comprit que sa présence n’était pas requise, alors il quitta la pièce tout en adressant un coup d’œil soucieux à la jeune femme.

Monsieur Wildmore, un homme d’une cinquantaine d’années aux tempes grisonnantes et au teint hâlé, toujours vêtu de son fidèle costume trois-pièces marron et noir, l’observait à travers ses cils épais. Dans ses yeux bleus/gris, Reagan pouvait y lire toute la compassion qu’il ressentait à son égard. Un sentiment de malaise s’immisça en elle. Sentant sa gorge se nouer, elle dansa d’un pied sur l’autre, évitant soigneusement le regard du professeur.

— Comment vous sentez-vous ?

Elle se mordit la langue, gardant pour elle la remarque cinglante qui menaçait de sortir. Elle en avait marre qu’on lui pose la question et, plus particulièrement de la réponse qu’elle devait donner pour qu’on cesse de s’inquiéter pour elle. Depuis quelque temps, mentir avait été la meilleure option, mais cela devait de plus en plus compliqué de regarder quelqu’un et de lui dire : « je vais bien », alors que c’était faux.

Pinçant un sourire, sur ses lèvres, qui ressemblait plus à une grimace, elle redressa la tête et fixa Wildmore. Elle prit une courte inspiration avant de répondre cette même phrase bateau qu’elle servait à tous ceux qui lui posaient la question :

— Je vais bien.

Le professeur croisa les bras tout en haussant un sourcil. Visiblement, il ne croyait pas en ses paroles et d’un côté c’était peut-être pour le mieux.

— Ce que vous avez traversé n’est pas évident, Reagan et personne ne vous en voudra si vous dites que vous allez mal.

La jeune femme opina, sentant son cœur se serrer.

— Tous vos professeurs et moi-même, ainsi que le proviseur du lycée, sommes prêts à vous aider et à vous écouter si jamais vous avez envie de vous confier à quelqu’un. Il y a également le psychologue de l’établissement qui est prêt à vous recevoir si jamais vous en ressentez le besoin.

Malgré elle, Reagan fronça les sourcils. Elle ignora quoi répondre, tellement les paroles du professeur la surprirent. Bien sûr, que l’équipe enseignante était prête à l’aider et que le psychologue serait également présent pour elle, mais elle ignorait comment dire à Wildmore qu’elle n’avait pas besoin de leur aide. Aucun d’eux ne pouvait effacer ce sentiment de culpabilité ni même remonter le temps pour éviter que cela arrive.

— Nous ne prétendons pas savoir ce que vous traversez, Reagan, mais nous sommes tous prêts à vous aider et à faire en sorte que votre dernière année de lycée se passe au mieux et que vous puissiez intégrer l’université que vous souhaitez.

L’université n’avait plus d’importance à l’heure actuelle, mais elle comprenait le geste de ses professeurs. Elle avait toujours été bonne élève et ça avait le don d’exaspérer Ashley qui lui faisait souvent la remarque de trop étudier. Aujourd’hui, la fac n’était plus en tête de ses priorités. Elle ne savait même pas si elle voulait toujours y aller. Mais ça, elle ne pouvait pas l’avouer à ses professeurs et encore moins à sa mère.

— Merci, se contenta-t-elle de répondre.

En réponse, Wildmore hocha la tête. Son regard acier toujours voilé par l’inquiétude et le chagrin. Elle pinça un nouveau sourire sur son visage pâle et, après un nouveau « merci » murmuré du bout des lèvres, elle tourna les talons et regagna le couloir. Il était désert. Liam avait sans doute déjà regagné son prochain cours et elle était désormais livrée à elle-même.

Sentant les sanglots lui nouer la gorge, elle se dirigea d’un pas rapide en direction des toilettes. Même si personne ne pouvait la voir, elle ne voulait pas prendre le risque d’être surprise par d’autre en train de pleurer sur son propre sort. Ou peut-être sur celui d’Ashley. Ou sur les deux à la fois. Des larmes lui obstruant la vue, elle pressa le pas et après une course folle dans l’allée, elle poussa finalement la porte des toilettes. Abandonnant ses cahiers sur le bord du lavabo elle referma ses mains sur la vasque et affronta l’image que lui renvoyait le miroir. Celle d’un fantôme. Celle d’une personne qu’elle ne parvenait pas à reconnaître. Celle d’une miraculée qui ne savait plus comment vivre…

Ses cheveux blonds retombaient sur ses épaules et encadraient son visage pâle. Ses iris verts étaient cernés de rouges et des larmes stagnaient dans ses paupières.

Se mordant la lèvre, elle s’abandonna des yeux et fixa le fond de la vasque. Ça va aller, murmura-t-elle intérieurement, tout ira bien. Elle se le répéta plusieurs fois, retenant difficilement les perles salées qui menaçaient de rouler sur ses joues. Après une longue minute, elle ouvrit le robinet et fit couler un filet d’eau dans ses paumes tremblantes. S’aspergeant le visage, elle chassa définitivement les larmes qui lui obstruaient la vue. Elle réitéra son geste à plusieurs reprises et, lorsqu’elle se sentit un peu mieux, Reagan redressa finalement la tête. Un soupir franchit ses lèvres, alors qu’elle étudiait son visage. Des gouttes sillonnaient sa peau avant de descendre dans son cou. La sensation était agréable, mais trop brève.

— Ça va aller, susurra-t-elle pour elle-même. Tu peux le faire.

Ses doigts humides remontèrent sur sa poitrine et trouvèrent la perle sombre de son collier. Tout en la caressant de la pulpe du pouce, elle se répéta ses paroles, cherchant en elle le courage de sortir des toilettes et d’affronter le reste de la journée.

— Tu peux le faire.

Chapitre 2

 

La journée avait été longue et épuisante, mais Reagan avait tenu le coup. Ça n’avait pas été de tout repos et, alors qu’elle ouvrait la porte d’entrée de son domicile, elle n’avait qu’une hâte : aller se coucher.

Abandonnant son sac de cours au bas de l’escalier, elle embrassa le salon du regard. Sa mère n’était pas là. Sans elle, cette maison lui paraissait étrangement vide. Mais ce qui lui manquait également c’était la présence d’Ashley ainsi que l’habitude qu’elle avait prise tous les jours après les cours. Elles se retrouvaient ici, dans la cuisine ou dans le salon, une assiette de cookies au chocolat devant elle avec un thé à la menthe et au réglisse, et faisaient leurs devoirs tout en évoquant la journée passée. Seulement ce jour-là, Reagan était seule. Elle n’avait personne avec qui faire ses devoirs ni avec qui parler. Et ce vide, elle le ressentait jusqu’au plus profond de son âme.

Tournant les talons, elle monta les marches qui menaient à l’étage et traversa le couloir jusqu’à sa chambre. Elle s’assit sur le lit et fixa le mur, puis l’horloge, avant de se laisser tomber contre le matelas. La tête calée sur les oreillers, elle détailla chaque défaut de peinture qui se trouvait au plafond. Ses mains remontèrent lentement sur son ventre tandis qu’elle laissait son esprit repasser la journée. Dans l’ensemble, ça ne s’était pas si mal passé que ça… En vérité, ça s’était étrangement bien passé. Comme avant, personne n’avait réellement fait attention à elle. Personne n’avait mentionné Ashley comme si tout le monde l’avait oublié et c’était ce qui lui faisait le plus mal. Que personne – mis à part Wildmore – n’ait parlé d’elle. Mais d’un autre côté, elle ignorait si elle aurait supporté qu’on prononce son nom. Quel paradoxe !

 

 

À la pause déjeuner, Liam était venu la rejoindre. Ils avaient mangé ensemble, échangeant quelques banalités sur la matinée : quels professeurs ils avaient, quels cours ils avaient en commun… Reagan avait eu conscience, à l’instant où le regard noisette de Liam avait croisé le sien ce qu’il sacrifiait pour lui tenir compagnie. Quelques tables plus loin sa bande d’amis riait et, l’idée qu’il aurait dû être avec eux au lieu d’elle, n’avait eu de cesse de la hanter. Puis ils avaient repris le chemin de la classe, se croisant dans les couloirs et s’échangeant quelques regards, avant la fin des cours. Et, comme le matin, il l’avait raccompagné. Désormais, elle était seule. Désespérément seule. Le silence qui l’entourait n’aidait pas à apaiser toutes les pensées qui tournaient en boucle dans son esprit. Reagan pouvait ressasser la journée un million de fois, elle savait qu’elle ne pourrait rien changer. Tout comme elle ne pouvait pas changer ce maudit passé…

La nuit était tombée, lorsqu’elle ouvrit les yeux. Émergeant difficilement de ce sommeil cotonneux, elle avisa son réveil et se redressa. Se frottant le visage, elle chassa les traces de fatigue qui tirait ses traits. À quel moment s’était-elle endormie exactement ? Elle ne s’était pas senti partir, mais ces quelques heures de repos lui furent agréables. Étrangement, elle se sentait plus légère comme s’il avait suffi d’une bonne sieste pour repousser toutes ses craintes.

Un bruit métallique provenant de la cuisine la tira de sa rêverie. Son sommeil avait été si profond, qu’elle n’avait pas entendu sa mère rentrer. Et vu l’heure, cela faisait déjà un petit moment qu’elle avait fini sa journée de travail. Poussant sur ses jambes pour se remettre debout, elle saisit l’élastique sur sa table de chevet et noua ses cheveux en un chignon flou sur le haut de son crâne tout en quittant sa chambre. À mesure qu’elle descendait les escaliers, les bruits de casseroles et de poêle qui s’entrechoquèrent étaient plus présents. Il recouvrait même la voix du présentateur de son émission préférée qui passait à l’écran. L’espace d’une seconde, son regard se vissa sur la télévision avant de revenir à sa mère qui s’attelait à la préparation du diner. Elle l’observait se battre entre ses différentes préparations. Rare était les fois où Hélène cuisinait. Leur diner était souvent préparé par le traiteur en bas de la rue, mais visiblement ce soir-là, sa mère voulait faire une exception. Reagan était peu certaine que le résultat en vaille la peine, mais elle appréciait l’effort qu’elle faisait.

— Tu as besoin d’aide ?

La voix encore assoupie de Reagan surprit Hélène qui laissa la cuillère en bois retomber dans la casserole. Pivotant sur ses talons, elle lui sourit, tout en l’observant.

S’avançant dans la cuisine, Reagan considéra les légumes sur le plan de travail, avant de reporter son attention sur sa mère. Elles avaient le même regard vert et les mêmes cheveux blonds. La seule différence était que ceux d’Hélène état teinté de quelques reflets roux, là où ceux de Reagan étaient légèrement plus foncés.

— Tu peux éplucher les carottes si tu veux. Comment était ta journée ?

— Ça a été.

S’emparant de l’économe, Reagan s’attela rapidement à la tâche, répondant aux questions de sa mère par « oui », « non », au plus grand désarroi d’Hélène qui était à court d’idées pour faire en sorte que sa fille aille mieux. Si seulement elle pouvait lui prendre sa peine, alléger son cœur…

— Monsieur Wildmore m’a dit que je pouvais aller voir le psychologue du lycée, si j’en avais besoin.

Intriguée par cette soudaine prise de parole, Hélène haussa un sourcil et considéra une nouvelle fois Reagan qui continuait d’éplucher ses légumes. Abandonnant la cuillère sur le bord de la casserole, elle se tourna vers elle de façon à lui faire face.

— Et qu’en penses-tu ?

— Je n’en sais rien.

Hélène se mordit l’intérieur de la joue. Elle ne supportait pas de voir sa fille ainsi. Triste. Brisé. Culpabilisant pour une mort dont elle n’était pas responsable.

Elle se souvenait encore du coup de fil qu’elle avait reçu deux mois plus tôt. Un coup de téléphone qui avait tout changé et qui avait fait voler sa vie en éclat, la plongeant dans l’incertitude et l’angoisse. Elle ne pourrait jamais oublier la voix de cette policière qui lui disait que sa fille et son amie avaient eu un grave accident de voiture et qu’elle était actuellement à l’hôpital. Elle ne pourrait jamais oublier la seconde qui avait suivi, alors que les paroles de cette femme résonnaient toujours dans son crâne, ni les longues minutes qui s’étaient écoulées jusqu’à ce qu’elle regagne l’hôpital. L’idée de perdre sa seule enfant lui était insupportable. Et, même si elle se tenait désormais face à elle, Hélène avait l’impression qu’une partie de Reagan était morte cette nuit-là, avec Ashley.

— Est-ce que tu en as envie ?

Laissant son bras retomber le long de son corps, Reagan redressa la tête et fixa sa mère. Ses yeux étaient légèrement humides et son souffle était saccadé. Face au visage chagriné de sa fille, Hélène sentit son cœur se nouer.

— Est-ce que ça me fera moins mal ? demanda-t-elle d’une voix tremblante. Est-ce que je pourrais penser à elle sans souffrir ?

— Au début, ça te fera mal, mais avec le temps tu arriveras à te remémorer tous les bons souvenirs que tu as créé avec elle et tu les chériras jusqu’au dernier.

Hélène contourna la table et se plaça à côté de sa fille. Refermant sa main sur la sienne, elle fouilla le regard de Reagan, la gorge nouée, réprimant ses sanglots. Ces derniers mois, c’était à peine si elle sortait de sa chambre, si elle lui adressait la parole. Elle avait laissé la distance se creuser entre elles, consciente que la forcer à se confier n’arrangerait pas la situation. Mais ce soir-là, quelque chose avait changé. Hélène ignorait quoi, mais au fond d’elle, elle était certaine que Reagan était sur la voie de la guérison.

— Si tu veux voir ce psychologue, ou un autre, dis-le moi et je ferai le nécessaire d’accord ? Ou tu n’es même pas obligé de me le dire d’ailleurs, tu fais ce que tu veux, tant que cela t’aide à te sentir mieux.

Reagan opina, retournant à la contemplation de ses carottes fraichement épluchées.

— Mais tu sais ce qui met de bonne humeur aussi ?

Levant les yeux, elle secoua la tête alors que sa mère se tournait vers sa casserole :

— Un coco curry fait maison !

Un sourcil haussé, Reagan avisa la préparation que sa mère mélangeait. Elle ignorait si le repas allait être bon. Connaissant les talents culinaires de sa mère, il y avait très peu de chance, mais elle appréciait le geste.

— Bon, si j’ai tout compris à la recette ça ne devrait pas être mauvais, mais au cas où j’ai un reste de pizza dans le frigo.

Un sourire illumina les traits de Reagan ce qui soulagea le poids qui pesait sur le cœur d’Hélène. Et, tandis qu’elle continuait de préparer le diner, mère et fille évoquèrent tour à tour leur journée. Hélène buvait chaque parole que sa fille disait, appréciant de la voir ainsi. Elle n’avait pas fait son deuil, mais c’était un début. C’était la première fois depuis l’accident qu’elle tenait une conversation aussi longtemps. Qu’elle souriait même. Un rictus timide, mais qu’Hélène enregistrait dans un coin de son esprit par peur de ne plus la voir sourire.

Saisissant les assiettes fraichement dressées, Reagan se dirigea dans le salon et les déposa sur la table basse. Hélène l’observait, un sourire aux lèvres. Manger sur le canapé était une vilaine habitude qu’elles avaient pris lorsque Reagan avait commencé le collège. C’était un rituel qui s’était installé petit à petit le mardi soir, puis le vendredi avant de devenir quotidien. Tout en mangeant, elles regardaient un épisode de leur série préférée riant et appréciant la compagnie des deux frères chasseurs de monstre.

— Qu’est-ce qu’il y a ?

La voix de Reagan la tira de ses pensées.

— Rien, ma puce. Tout va bien.

Arquant un sourcil, sa fille ne releva pas et continua de dresser la table sous le regard soulagé d’Hélène qui suivait chacun de ses gestes.

— Tu as regardé la suite de la série ?

— Non, je t’attendais.

— Vaut mieux, sinon tu risques de tout me spoiler et tu sais que j’ai horreur de ça, répliqua Reagan en ouvrant le frigo. Je prends ça, au cas où.

Elle désigna la part de pizza et retourna dans le salon.

— Tu exagères, je ne suis pas une si mauvaise cuisinière, répliqua Hélène faussement blessée.

— Non, mais je dis juste que les plats préparés sont meilleurs que les tiens. Et pourtant, Dieu seul sait ce qu’il y a là-dedans.

Lorsqu’elles furent installées, Reagan lança l’épisode et, ensemble se perdirent dans les aventures des deux chasseurs. Hélène suivait l’écran d’un œil, trop concentré à observer sa fille de l’autre. Elle mangeait silencieusement, semblant apprécier – malgré ses craintes – le repas que sa mère venait de lui préparer. Elle sentit son cœur se serrer, de soulagement, d’amour, et de toutes les émotions qu’une mère pouvait ressentir. Même si, elle ignorait de quoi demain était fait, elle apprécia ce bref instant où elles étaient ensemble.

Quarante-cinq minutes plus tard, l’épisode s’acheva, laissant les deux spectatrices penaudes. Reagan fixait l’écran, le regard agrandi par la surprise tout comme Hélène. Cela faisait des mois qu’elles n’avaient pas suivi la série, mais désormais aucune d’elles n’avait envie de s’arrêter sur une fin comme celle-ci. Et pourtant, l’une comme l’autre, savaient qu’elles devaient attendre le lendemain. Parce que même si elles disaient « seulement un épisode », il y avait de fortes chances que celui-ci se transforme en six ou en dix et que cela dure toute la nuit.

— Je n’y crois pas, soupira Reagan. Qu’est-ce qu’il vient de se passer là ?

Elle se mit sur ses jambes et commença à débarrasser la table, aider par Hélène. Lorsque ce fut fait, elle se tourna vers sa mère :

— Ton coco curry était très bon, merci.

— Tu vois, je ne suis pas si mauvaise cuisinière après tout. Demain, je nous fais un crumble de saumon tu vas te régaler !

— Je n’en doute pas. Je vais me coucher, à demain.

— À demain, ma puce.

Tournant les talons, Reagan regagna l’étage, laissant ses souvenirs de l’épisode flotter dans son esprit. Elle les balaya d’un battement de cil en poussant la porte de la salle de bain. Elle en ressortit une dizaine de minutes plus tard, les cheveux humides, coiffés en tresse qui lui retombait sur l’épaule droite, et vêtus d’un short noir et d’un t-shirt blanc. Elle regagna sa chambre qui se situait juste en face et, sans prendre la peine d’allumer et se dirigea vers son lit. Elle se laissa tomber sur le matelas et partit une nouvelle fois à la contemplation de son plafond.

Du bout des doigts, elle caressait les cicatrices qui abîmaient ses bras, sentant de nouveau les débris de verre mordre sa chair. Un nœud se forma à son estomac, alors que les images de l’accident revenaient – une nouvelle fois.

Elle repensa à l’étrange sensation qui l’avait parcouru alors que la voiture traversait les bois. Elle ignorait comment expliquer ce sentiment bizarre, ce picotement sur sa peau, cette nervosité qui lui avait subitement noué l’estomac. Ce soir encore, avant de sombrer dans le sommeil, elle entendit sa propre voix ordonner à Ashley d’accélérer. Elle transpirait la peur, l’appréhension… Et, avant que la conductrice n’ait pu s’exécuter, il y avait eu cette onde de choc qui les avait fait sortir de la route. Au fond d’elle, Reagan savait que cela avait été réel, et pourtant plus les jours passaient, plus elle en doutait. Il n’y avait aucune explication logique à ce qu’il s’était passé, à cette secousse… Il n’y avait donc aucune explication quant à la mort d’Ashley et ça, c’était pour elle, inacceptable.

Poussant un soupir à lui fendre l’âme, Reagan roula sur le côté et plaça ses mains sous sa tête. Le regard rivé sur la fenêtre, elle observait les étoiles briller dans le ciel sombre, avant que ses yeux ne fussent attirés sur le cliché qui se trouvait sur sa table de chevet. Ashley et elle souriaient à l’objectif. Elles avaient six ans de moins, mais savaient déjà que leur amitié durerait éternellement. L’éternité était plus courte que ce que Reagan avait alors imaginé à ce moment-là. Progressivement, alors qu’elle repassait tous les souvenirs qu’elle avait en compagnie de son amie, Reagan sentit ses paupières s’alourdir et, ne pouvant plus lutter, elle laissa le sommeil l’envelopper.

Pour la première fois depuis longtemps, un voile sombre se dressait sous ses yeux. Un repos promis sans rêve, ni souvenirs et pourtant alors que les néons rouges de son réveil affichaient une heure trente-six, Reagan se redressa brusquement sur son lit. Le souffle court, le cœur battant à tout rompre et de la chair de poule couvrant sa peau, elle fixa le mur de sa chambre horrifié. Aucun son ne franchit ses lèvres, hormis une respiration étrangement saccadée.

Portant une main à son cœur, elle tenta d’apaiser les pulsations de ce dernier. En vain.

Un frisson continuait de remonter le long de sa colonne vertébrale. Elle avait l’étrange sensation d’être observée et, alors qu’elle tournait la tête vers la fenêtre comme pour se rassurer que cela était impossible, le nœud qui s’était formé à son estomac se resserra.

Quelqu’un l’observait…

Cette pensée tournait en boucle dans son crâne et, alors qu’elle repoussait la couette de sur ses jambes, Reagan sentit quelque chose grandir au creux de son ventre. Elle posa une main sur celui-ci et, s’armant de courage, se leva. Ses pieds nus trainèrent sur le parquet jusqu’à arriver devant l’embrasure. Elle se planta devant et avisa la rue en contrebas. Elle était déserte et calme. Les quelques réverbèrent éclairaient faiblement la route. Il n’y avait personne… et pourtant elle sentait sa présence. Elle ne saurait comment l’expliquer, mais elle savait que quelqu’un était là et qui la regardait, Elle.

Ou peut-être que son esprit lui jouait tout simplement des tours…, encore une fois.

Après cinq minutes à observer la rue, Reagan réalisa qu’il n’y avait personne ici. Que l’angoisse qui l’avait subitement tiré de son sommeil n’était rien d’autre qu’un cauchemar ou quelque chose qui lui ressemblait. Laissant ses bras retomber le long de son corps, elle s’apprêta à tourner les talons lorsqu’une silhouette se dressa sous l’une des lumières sur le trottoir d’en face. Reagan haussa un sourcil tout en fixant cette ombre. Rêvait-elle ? Non. La sensation qui l’avait tiré de son sommeil quelques minutes plus tôt était de nouveau présente. Frisson, cœur pulsant à cent à l’heure, nervosité… Malgré son envie de s’éloigner de la fenêtre et de se recoucher, Reagan resta planté là. Incapable de bouger face à cette forme sombre dans la nuit. Sans parvenir à contrôler ses mouvements, elle fit un pas vers la fenêtre et plissa les yeux, espérant ainsi apercevoir le visage de cet inconnu. Mais ses traits demeuraient flous et obscurs. Quelque chose au plus profond d’elle la poussait à ouvrir la fenêtre et à la rejoindre, comme si cette personne l’attirait vers elle avec un lien invisible.

Resserrant ses mains autour de son ventre, elle lutta contre cette pulsion qui grandissait en elle. Se mordant l’intérieur de la joue, elle décida de reculer d’un pas et tira finalement le rideau. Et, alors qu’elle s’apprêtait de nouveau à tourner les talons, elle entrouvrit légèrement le voile et fixa l’endroit où la silhouette se tenait : elle avait disparu.

 

Chapitre 3

 

Elle n’avait pas réussi à se rendormir cette nuit-là.

Toute la journée, elle avait pensé à cette silhouette. Une partie d’elle ne cessait de se dire qu’elle avait rêvé, que cette ombre n’avait pas été réelle. Et pourtant, ce qu’elle avait ressenti en posant les yeux sur elle l’avait été. La peur que cet individu avait fait naitre en elle ne l’avait plus quitté depuis son réveil et elle l’avait ressenti jusque dans les couloirs du lycée. Elle s’était presque attendu à le voir apparaitre au détour d’une allée, à la sortie d’une salle de classe, mais après une matinée sans avoir découvert d’ombre suspecte où ressentit des picotements remonter le long de son échine ou son estomac se contracter, elle s’était simplement faite à l’idée que cette ombre n’avait été que le fruit de son imagination. Même si, au plus profond d’elle, Reagan en doutait.

Pourtant, le soir venu, elle n’avait pas pu se résigner à aller se coucher sans avoir observé la rue. Elle était restée plusieurs minutes plantée devant sa fenêtre à embrasser le paysage du regard. Elle avait guetté la moindre ombre, le moindre son, sentant son cœur battre à cent à l’heure. Les miaulements aigus des chats du voisin et le tintement métallique des poubelles l’avaient fait sursauter à plusieurs reprises. Son regard avait parcouru les maisons éteintes et allumées, constatant avec soulagement qu’il n’y avait personne à l’horizon. Peut-être que cela n’avait été qu’un rêve finalement…

Résignée, elle avait fini par tourner les talons et s’était glissée sous les draps. Elle se répétait que ce n’avait été qu’un rêve, qu’il n’y avait eu personne la nuit passée et pourtant une petite voix dans son crâne lui susurrait qu’il était là. Qu’il l’observait, cette nuit encore. Malgré sa crainte, elle parvint à fermer les yeux, mais peina à trouver le sommeil. Ce fut aux alentours de minuit que la sensation qui l’avait parcouru la nuit passée se réveilla. Frisson, cœur serré, estomac noué, et appréhension la forcèrent à quitter son lit. Elle se planta de nouveau devant la fenêtre et c’est là qu’elle le vit. Il était exactement au même endroit que la veille, le regard rivé sur elle.

Reagan toisait cette ombre en retour, sentant la peur lui comprimer la poitrine. Et, l’espace d’une seconde, elle crut que leurs regards se vissèrent l’un à l’autre. Cette fois-ci, elle en était certaine : ce n’était pas son imagination qui lui jouait des tours. Cette personne, qui qu’elle soit, était vraiment là et l’observait, mais qui était-elle et pourquoi ?

L’instant d’après, alors qu’un mouvement provenant du bas de la rue attira l’attention de la jeune femme, l’ombre avait disparu. Incrédule, Reagan fixa le vide qu’il avait laissé. Au fond d’elle, elle savait qu’il n’allait pas réapparaitre et pourtant elle resta plantée là plusieurs minutes avant de se détourner de la fenêtre et de retourner se coucher.

 

Une grimace de douleur déforma ses traits lorsque le claquement sec des casiers métallique résonna autour d’elle. Elle se mordit la lèvre, jurant intérieurement contre la migraine qui pulsait à l’arrière de son crâne et qui rendait cette matinée si pénible. Soupirant, elle resserra ses cahiers de cours contre son ventre et se faufila jusqu’au second étage. Tête baissée, Reagan avançait d’un pas décidé à travers la foule qui s’était amassée au rez-de-chaussée.

— Hé !

La voix de Liam provenant de derrière elle la tira de ses pensées. Malgré son envie de continuer son chemin, Reagan s’arrêter et prit sur elle pour lui faire face. Plissant les yeux, elle le considéra. Il la toisait, l’air soucieux. Ses sourcils légèrement froncés et la lueur sombre qui brillait dans ses iris noisette ne faisait qu’accroître ce sentiment. Un soupir de soulagement sembla quitter ses lèvres, lorsqu’il croisa son regard émeraude.

— Tu étais passée où ? Je suis venu te chercher ce matin, mais Hélène m’a dit que tu étais déjà parti.

— Um, oui désolé, j’avais besoin de prendre un peu l’air.

Cette réponse fit froncer les sourcils à Liam, qui continuait d’observer son ami. Les cernes qui creusaient ses yeux ne lui avaient pas échappé. Il resta silencieux continuant d’observer son visage. Il était plus clair, ses traits plus tirés et ses iris voilés.

— Est-ce que tout va bien ?

Reagan opina, tout en resserrant sa prise sur ses cahiers de cours. L’espace d’une seconde, elle voulut évoquer l’ombre qu’elle avait aperçue les nuits passées, mais elle se ravisa. Elle ne voulait pas inquiéter Liam et encore moins paraître irrationnel ou quoi que ce soit d’autre. Mais Liam la connaissait suffisamment pour savoir que quelque chose n’allait pas.

— Reagan ?

Redressant la tête, la jeune femme croisa le regard noisette de son ami.

— J’ai juste mal à la tête, ça va passer…

Liam, peu crédule, hocha la tête tout en fixant son amie. La lueur d’appréhension qui brillait dans ses iris fit comprendre à Reagan qu’il ne la croyait pas. Cependant, elle ne pouvait pas lui avouer qu’elle avait vu quelqu’un sous ses fenêtres les nuits passées. Comment réagirait-il ? Il ne la croirait sans doute pas. Elle-même avait du mal à croire à ce qu’elle avait vu et ressentit…

Alors qu’elle pivota sur ses talons pour reprendre son ascension en direction de la salle de classe, une sensation étrange l’emplit. Un courant d’air froid glissa sur son épiderme, dressant les poils de sa nuque et de ses avant-bras. Elle se figea net au centre du couloir, soudainement paralysé, tandis que ce sentiment continuait de grandir au creux de sa poitrine. L’air était devenu étouffant. Elle caressait ses lèvres sans parvenir à entrer dans ses poumons. Entre ses mains, ses cahiers lui semblaient soudainement lourds, tels des poids. Et autour d’elle, le bruit de la cloche qui tinta n’était qu’un bourdonnement sourd à peine perceptible. Le cœur au bord des lèvres, et les yeux humides, elle fixait le fond du couloir apercevant des silhouettes sombres emplir le passage. Et derrière elle, Liam l’appelait. Mais son nom n’était qu’un murmure à peine perceptible, recouvert par le brouhaha qui emplissait subitement l’allée et par les battements irréguliers de son cœur.

Ce n’était pas la première fois qu’elle ressentait ça. Qu’elle se sentait effrayée et nerveuse à la fois.

— Reagan ?

La voix de Liam commençait à percer le voile qui l’entourait. Elle tentait de s’y raccrocher pour sortir de la transe dans laquelle elle s’était involontairement enfermée. En vain. Elle ne parvenait pas à se raccrocher à lui, ni même au boucan qui l’entourait. Une seule chose était perceptible au-delà de tout ce brouhaha. Une voix. Devant toi. Et, comme si elle était incapable de résister à ce murmure, Reagan leva les yeux et c’est là qu’elle le vit. Parmi la foule d’élèves qui regagnait leur salle de classe, le regard de la jeune femme se posa sur la silhouette sombre qui se tenait au fond du couloir. Son souffle se bloqua dans sa gorge, alors que son regard croisa celui de l’ombre. Le temps se retrouva suspendu. L’espace d’une seconde, il n’y avait qu’elle et cet intrus. L’un en face de l’autre. Son cœur se noua, alors qu’une étrange impression se faufilait sous sa peau et parcourait ses veines. La tête se mit à lui tourner et, malgré le décor qui tanguait, elle ne voyait que lui.

— Reagan !

La voix de Liam qui hélait son nom pour la énième fois la fit sortir de sa torpeur. Dans un sursaut, elle tourna la tête vers lui, notant d’inquiétude qui traversait son visage. Mais très vite, elle reporta son attention sur le fond du couloir où la silhouette se tenait une seconde plus tôt. Il n’y avait plus personne.

— Hé, murmura Liam, soucieux. Qu’est-ce qu’il y a ?

— Je…

Battant des cils, elle tentait de reprendre ses esprits. Le couloir était désormais désert, il ne restait que Liam et elle, plantés au centre de l’allée. Le sentiment qui l’avait empli une minute plus tôt s’était subitement volatilisé, pourtant l’inquiétude lui nouait toujours l’estomac.

— Rien, soupira-t-elle, finalement. Tout va bien.

— Tu es sûr ? Tu n’as pas la tête de quelqu’un qui va bien, Reagan.

— Si, si, ça va. Excuse-moi, je… je dois aller en cours.

Sans attendre de réponse, elle s’enfonça dans la salle de classe et partit s’installer au fond de la salle, sous les regards curieux des autres élèves et du professeur.

Abandonnant ses cahiers sur la table, elle laissa un soupir discret franchir ses lèvres. Elle se concentrait sur les battements réguliers de son cœur, sur sa respiration essayant d’oublier ce qu’il venait de se produire. Même si elle ignorait encore ce qu’il s’était passé. Durant toute l’heure, elle fut incapable de songer à autre chose qu’au sentiment qui l’avait empli : un mélange de peur, de doute et d’insécurité. La dernière fois qu’elle avait ressenti ça remontait à quelques mois et c’était… c’était avant l’accident.

Cette pensée réveilla la blessure qui s’était formée au creux de sa poitrine. Par-dessus le brouhaha qui l’entourait, elle percevait le son de sa propre voix, « Accélère »,« s’il te plait, accélère »… dernières choses qu’elle avait dites avant que la voiture se renverse et qu’Ashley meure… Elle ignorait encore ce qu’il s’était passé ce soir-là, mais elle était consciente de l’appréhension qui l’avait empli. Et ce jour-là, elle ressentait exactement la même chose… Une petite voix lui susurrait à l’oreille que quelque chose allait arriver. Elle ignorait quoi, ni quand, mais elle était persuadée que cela allait se produire. Bientôt.

Depuis l’accident, elle n’avait plus ressenti cette chose – quoiqu’elle soit – jusqu’à ce que cet individu se pointe sous sa fenêtre deux nuits plus tôt. Elle essayait de se persuader que ce n’était rien, que son esprit la manipulait, créer ses angoisses et ce sentiment d’insécurité que c’était sa façon à lui de se protéger de la perte d’Ashley et des conséquences… de trouver une raison derrière cet accident qui lui a couté la vie. Mais la vérité c’est qu’il n’y en avait pas. Ashley était morte et il n’y avait aucune logique à ce qui était arrivé.

 

Chapitre 4

 

Elle était là, à quelques mètres de lui. Il l’observait, dissimulé derrière un bosquet, l’estomac noué. Elle était assise sur la plage, le regard rivé sur les vagues qui s’échouaient à ses pieds. Elle n’était pas seule. Un de ses amis était avec elle. Ils échangeaient des paroles qu’il n’entendait pas, mais il guettait chaque mouvement que ses lèvres faisaient essayant de participer – d’une certaine façon – à la discussion, sans y parvenir.