Nous dansions sur l'air du numérique - Emrys - E-Book

Nous dansions sur l'air du numérique E-Book

Emrys

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Beschreibung

Nao, grâce à son casque IONIC qui lui permet de se connecter à la réalité virtuelle, fait la rencontre de Saoirse. Cette personne mystérieuse danse incroyablement bien mais refuse de parler de son passé...

2039. Nao, étudiant parisien, découvre les joies et les déboires de la danse virtuelle lorsqu’il se connecte pour la première fois au serveur de sa chorégraphe. Il y rencontre Saoirse, avatar aux mouvements mystérieusement parfaits qui l’entraîne dans un pas de deux numérique toujours plus envoûtant.

Le futur est plein de mystères et de potentialités. À travers cette nouvelle passionnantes aux personnages attachants, Emrys explore la réalité virtuelle et les avantages que l'on pourra tirer de cette vie numérique.

EXTRAIT

Il ne me fallut que quelques secondes pour comprendre pourquoi personne ne s’était encore déconnecté : pour rien au monde je n’aurais voulu manquer le spectacle qui se joua sous mes yeux. L’enchaînement était celui sur lequel nous nous étions démenés plus tôt, mais la danse de Lauren et son partenaire n’avait rien de commun avec nos balourdises. Ils évoluaient gracieusement, enchaînant sauts, pirouettes et déhanchés dans un dialogue chargé d’émotion. Les secousses qui brouillaient les mouvements de Lauren semblaient avoir miraculeusement disparu, mais en y regardant de plus près je réalisai mon erreur : les parasites étaient toujours bien présents, mais ils étaient devenus partie intégrante de la chorégraphie. L’inconnu s’attachait à harmoniser ses gestes avec les saccades impromptues de sa partenaire et sublimait avec virtuosité le ballet de leurs deux avatars. Rien ne dérangeait sa propre danse, pas le plus léger spasme ni la plus petite crispation. Il contrôlait son corps numérique aussi facilement que son corps physique… ce fut du moins la seule chose qui me vint à l’esprit tandis que je l’observais, hypnotisé. Il valsait naturellement, libre, ivre de bonheur.

À PROPOS DE L'AUTEURE

Passionnée de littératures imaginaires, Emrys écrit depuis longtemps des contes et des scénarios de jeux de rôles. Elle a depuis tenté diverses expériences entre fantasy, mythologie et récits historiques et ose peu à peu sortir de l'ambiance médiévale pour instiller le merveilleux dans d'autres univers.

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Emrys

Illustrations de Hunted-Hunter

En faisant du ménage hier dans les dossiers, j’ai retrouvé un vieux fichier texte. Il est daté de 2054, donc peu après le crash des serveurs mondiaux. L’humanité a perdu des dizaines de yottaoctets de données ce jour-là. Pour nous, individus lambda, c’étaient des milliers de photos, vidéos et autres souvenirs envolés, disparus à jamais. Je me rappelle qu’à l’époque, Nao avait été très secoué par la nouvelle et avait voulu consigner ses mémoires « à l’ancienne ». Je n’avais alors pas eu la curiosité de lire son récit et j’ai finalement oublié jusqu’à l’existence du fichier. Les plus beaux moments de ma vie seront toujours en sûreté dans un coin de mon esprit, mais Nao craignait que ses crises répétées finissent par effacer même ses meilleurs souvenirs. Aujourd’hui, c’est avec joie que je redécouvre une part de lui. Je voudrais la partager avec vous, venez voir.

Il y eut un éclair aveuglant, puis tout devint noir : plus d’image, plus de son. Il me fallut quelques secondes avant de comprendre qu’il s’agissait seulement d’une coupure de courant. Pris d’une soudaine migraine, j’ôtai mon casque IONIC et revins lentement à la réalité. La journée touchait à sa fin, mais le début de l’automne nous laisserait encore profiter d’une bonne heure de lumière. Des jurons me parvenaient à travers les parois épaisses comme du papier journal. Apparemment, l’immeuble entier était privé d’électricité.

Un grand fracas retentit : verre brisé et coups dans le mur. Conscient du danger, je me dirigeai sans hâte vers la chambre de ma sœur. Comme je m’y attendais, elle manifestait sa fureur avec sa subtilité habituelle, c’est-à-dire en jetant à travers la pièce tout ce qui lui tombait sous la main. J’attrapai son poignet juste à temps pour lui éviter de pulvériser son propre casque IONIC.

— Sora, t’es trop fauchée pour en racheter un.

Elle me lança un regard noir avant de se débarrasser de ma main.

— Merci, je sais ! Mais putain, j’étais sur ce raid depuis deux heures et on avait presque terminé ce foutu boss ! Maintenant, j’ai perdu tout le loot et je vais me prendre un malus en prime, tout ça parce que ce connard de proprio est pas foutu de faire régler les photovoltaïques correctement ! Ça fait six fois, ce mois-ci !

Elle s’affala sur son lit et je pris place à côté d’elle. Mon mal de tête persistait. Il n’y avait rien à répondre : elle avait raison. Notre appartement se situait dans un petit immeuble parisien miteux dont la dernière rénovation devait remonter à une trentaine d’années. Malgré l’obligation légale, le propriétaire avait rechigné à faire installer les panneaux photovoltaïques sur le toit et il avait opté pour le minimum vital. Les pannes étaient régulières, et bien qu’elles soient généralement de courte durée, elles suffisaient à gâcher des heures de travail… ou de jeu.

Dans un soupir, Sora se saisit de son téléphone. Comme toujours, sa fureur retomba aussi vite qu’elle était montée pour faire place à une froide obstination. Elle se mit à harceler tour à tour l’agence immobilière, le propriétaire et le service de maintenance électrique, alternant entre suave ironie et injures à peine voilées. Je savais qu’elle obtiendrait gain de cause bien avant qu’elle ne raccroche. Du bout des doigts, je massais mes tempes douloureuses.

— Bon ! Ils ont envoyé un technicien en urgence, le courant devrait bientôt revenir. Nao, ça va ?

— Mal au crâne. Je vais aller m’allonger un peu.

— T’as pris tes médicaments ?

— Oui, j’ai juste mal dormi cette nuit. T’inquiète, ça va aller.

— OK. Cette coupure tombe peut-être pas si mal, finalement.

Elle avait lâché la dernière phrase d’un ton dégagé mais je la savais préoccupée. Elle détestait me voir faire des crises, surtout lorsqu’elle était seule avec moi pour les gérer. Je lui serrai l’épaule dans un geste que je voulais rassurant et allai m’étendre sur mon lit. Je fermai les yeux et pris peu à peu conscience des bruits quotidiens de l’immeuble mal isolé. J’entendis le voisin d’à côté pester sur son casque inutilisable, sortir sa vaisselle puis réaliser que sa cuisinière fonctionnait elle aussi à l’électricité. Je sombrai finalement dans la somnolence, un sourire mi-amusé, mi-compatissant aux lèvres.

Un bip sonore me tira de l’entrelacs de mes songes. Le courant était revenu et Sora manifesta bruyamment sa joie. Mes maux de tête avaient presque disparu. Ma chambre plongée dans la pénombre et mon estomac gargouillant m’indiquaient qu’il commençait à se faire tard. Pourtant, mon premier réflexe fut d’ajuster le dispositif sur mon crâne, et je savais que les trois quarts des habitants de l’immeuble faisaient de même.

Qu’est-ce qu’un casque IONIC ? C’est vrai que vous êtes trop jeunes pour avoir connu ces appareils. Si mes souvenirs sont bons, ils sont arrivés sur le marché il y a une grosse trentaine d’années, lors de mon entrée au collège. Avant leur apparition, les gens utilisaient des casques de réalité virtuelle qui n’étaient guère bons qu’à jouer, et encore. Les casques IONIC – ou dispositifs IONIC, abréviation pour Immersive Online Neural Impulse Controlled devices – ont été une révolution qui a supplanté en une dizaine d’années à la fois les consoles de salon et les ordinateurs personnels. Ils sont devenus un outil incontournable au quotidien, et les gens les ont rapidement trouvés indispensables, comme vous aujourd’hui avec vos implants de réalité augmentée. À l’époque, les IONIC étaient de véritables ordinateurs prévus pour immerger l’utilisateur dans son expérience numérique. Connectés à Internet, ils permettaient d’accéder à tout : connaissances, jeux, travail, interactions sociales et j’en passe. Les gens naviguaient dans la Toile et ses applications à travers un avatar modifiable et personnalisable à l’infini. D’ailleurs, stylistes et créateurs dévoilaient souvent des versions numériques de leurs dernières pièces, vérifiant leur succès avant de les exporter dans le monde réel.

Mais la révolution dont je vous parle concernait le contrôle de l’avatar lui-même. Au lieu des anciennes manettes et autres dispositifs de captation de mouvements, les machines IONIC possédaient le tout premier système d’électrodes encéphalogrammiques. Eh oui, IONIC était le premier casque à capter les ondes cérébrales de l’utilisateur. Il suffisait de penser à un geste pour le voir réalisé par son avatar quasi instantanément. Oh, bien sûr, la précision était encore loin d’être parfaite : le casque n’avait qu’une analyse grossière des aires cérébrales motrices et ne faisait aucune différence entre le contrôle du corps réel et l’imagerie mentale nécessaire pour diriger l’avatar. Les mouvements parasites étaient nombreux et source de comportements parfois absurdes dans notre univers numérique. Imaginez-vous en réunion avec votre patron à l’époque : devant tous vos collaborateurs connectés des quatre coins du globe, vous exposiez les résultats de vos derniers travaux. Si à cet instant votre pied vous démangeait et que vous commettiez l’imprudence de vous gratter machinalement, alors votre avatar se grattait lui aussi… Cela vous fait rire, n’est-ce pas ? Et pourtant, nous avions l’impression que le monde réagissait aux plus infimes dépolarisations de nos neurones. Nous tenions le virtuel au creux de nos esprits.

L’interface générale m’accueillit avec une musique enjouée et je fus aussitôt assailli de notifications. Messages non lus, discussions manquées et autres tâches en cours au moment de la coupure de courant semblaient me reprocher ma brutale déconnexion. Un rappel s’afficha en rouge dans un coin de mon champ de vision et une alarme stridente retentit. Quand j’ouvris la fenêtre, un avatar aux longs cheveux roses m’interpella d’une voix féminine particulièrement irritée :

— Nao ! Bon sang, qu’est-ce que tu fous ? Tu es inscrit à la session de 21 heures, on t’attend depuis dix minutes, on allait commencer sans toi !

— Désolé, Lauren… Coupure de courant dans l’immeuble. Encore.

— Sérieux… Tu aurais pu prévenir, je t’ai appelé huit fois !

— Mon portable déconne, j’ai pas pu l’allumer ce matin. Désolé. Je sélectionne un avatar et j’arrive !

J’avais totalement oublié la session de danse de Lauren mais j’eus soin de ne pas l’en informer. La jeune chorégraphe était facilement susceptible vis-à-vis de son art et aurait pris mon étourderie pour un manque de motivation. Pourtant, j’avais été ravi qu’elle m’accepte dans ses cours, malgré mon faible niveau. Après des années d’inactivité, j’avais subitement décidé de reprendre la danse en découvrant le travail de Lauren, et le retour était difficile. Courbatures, ampoules aux pieds et étirements musculaires douloureux étaient depuis un mois mon lot hebdomadaire, et les progrès venaient trop lentement à mon goût. Mais j’adorais l’ambiance de notre groupe et Lauren était une excellente enseignante. En sus, la jeune femme assortissait ses cours de sessions virtuelles qui, selon elle, aidaient grandement à la mémorisation des mouvements et à la synchronisation des danseurs. Elle insistait depuis des jours pour que je participe à ces séances, et j’avais finalement cédé en m’inscrivant ce jour-là.

Je passai rapidement en revue mes différents avatars et arrêtai mon choix sur mon préféré : silhouette mince, aux muscles bien mieux dessinés que les miens, yeux rose vif, cheveux d’un blond presque blanc défiant la gravité et vêtements colorés. Je m’installai confortablement sur mon lit pour éviter qu’un mouvement inconscient ne vienne parasiter la session avant d’entrer les identifiants de connexion au serveur de Lauren. Je fus automatiquement envoyé dans une pièce semblable au studio de danse de ma chorégraphe, à quelques détails près. Les lampes, inutiles dans ce monde numérique, avaient disparu. Les couleurs et textures étaient plus neutres que le papier peint criard de la salle parisienne, les ombres réduites au minimum, et je devinai que Lauren avait fait ces choix pour limiter les ralentissements graphiques des casques les moins performants. De fait, les mouvements étaient d’une fluidité sans défaut et mon avatar répondait à la moindre de mes pensées.