Nouvelles d'Ailleurs - Alexandra A. Touzet - E-Book

Nouvelles d'Ailleurs E-Book

Alexandra A. Touzet

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Beschreibung

"Nouvelles d'Ailleurs" est un recueil de nouvelles fantastiques proposant chacune un voyage dans le temps ou l'espace, une traversée d'expériences étranges qui reviennent à la question de l'identité, qui se répercutent sur ce que le narrateur a de plus intime. Après la trilogie du "Refuge des Héritiers" dont l'intrigue prend place au coeur de la mystérieuse forêt d'Utoh, "Nouvelles d'Ailleurs" est une échappée littéraire vers d'autres possibles.

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Seitenzahl: 106

Veröffentlichungsjahr: 2023

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Ähnliche


À mon père

SOMMAIRE

La vouivre vagabonde

Le Relai des voyageurs

Valse au crépuscule

Déraison et châtiments

La sirène

L'empreinte

Pour eux

La guitare

"Le pinceau" de Mélissa Touzet

"Josette au bout du ciel" de Manon Touzet

Remerciements

La vouivre vagabonde

Je suis née de Golnâr, qui désigne en perse – ma langue native – feu, et de Mahyar, ami de la lune. Je connais la durée du temps, la valeur des noms et celle, plus précieuse que tout, des battements d’un cœur… Ce bruit ténu qui rythme une vie, que l’on n’écoute pas assez et qui tout à coup s’interrompt. Je l’ai entendu chanter et son silence m’a coûté mon existence humaine et mon salut…

Je suis Khatereh, celle qui se souvient et voici mon histoire.

Je suis née il y a longtemps en terre Sassanide. J’étais d’une grande beauté et j’attirais les regards. J’y lisais la convoitise des hommes et la jalousie des femmes, mais je les méprisais l’un et l’autre. Je ne les voyais même pas. J’avais la vanité de ne désirer que ce qui m’était interdit. J’ai poussé l’arrogance jusqu’à jeter mon dévolu sur un Grand Mōwbed. Le blasphème et la malédiction, même le poids des siècles, ne sont pas parvenus à m’ôter ce pincement léger et doux qui m’étreint encore lorsque je pense à lui, lorsque je prononce son nom…

Negin. Diamant.

Au premier regard, je l’ai aimé. Follement. Presque prince, déjà promu au rang supérieur de grand prêtre. J’étais jeune et inconsciente, je l’ai séduit. Il était admirable et innocent, il a cédé. Il m’a offert son cœur et son âme. Il a souffert des affres de la passion et du déchirement face à sa vocation.

Lors de notre dernière nuit d’amour, il m’a offert un pot à fard en cristal taillé en déclarant :

« Imagine qu’il s’agit là d’un diamant. Si j’avais pu trouver un tel joyau… mais ce n’est que du cristal, façonné pour toi. Garde-le précieusement. Il y a là tout mon amour. »

Il est mort au lever du jour. Pendant mon sommeil, il s’était glissé en haut des murailles du temple de la Déesse, qu’il avait dédaignée pour mes bras, et il a fait offrande de son corps pour mettre fin aux tourments dans lesquels il se débattait pour moi.

Anāhitā est d’une grande indulgence et d’une grande cruauté. Elle a pris la vie de Negin et a méprisé mes larmes. Elle s’est saisie de ma beauté et, pour toujours, a fait de moi un monstre. Le même jour, le soleil s’est levé pour voir Negin mourir et s’est couché pour me voir devenir une vouivre. Mon visage a gardé ses traits harmonieux, mes cheveux sont restés longs et soyeux mais ma peau s’est couverte d’écailles verdâtres. Dans mon dos, deux monstrueuses ailes brunes et fripées sont apparues et le bas de mon corps est devenu celui d’un serpent.

J’ai été chassée de ma maison, de ma ville, de mon pays. J’ai fui en rampant – je ne savais pas alors me servir de mes ailes – dans la poussière de la nuit, n’emportant avec moi que ma boîte de cristal et un rubis sur mon front. Un don de la Déesse en souvenir de ce cœur que je lui avais volé et qui me serait désormais attaché pour toujours comme le stigmate indélébile de ma vanité.

Après des jours d’errance, j’ai trouvé refuge au cœur d’une forêt qui m’avait semblé assez loin de toute habitation humaine. Je me cachais le jour dans un trou de terre et sortais la nuit pour boire et me baigner dans les eaux claires d’un étang tout proche. Chaque nuit, à la même heure, je procédais ainsi et le temps est passé avec douceur sur ma solitude. Avant d’entrer dans l’eau, je plaçais l’escarboucle, qui reposait toujours sur mon front, dans ma précieuse boîte. La pierre était le cœur devenu froid et muet de Negin et je l’installais avec respect dans son écrin de cristal, le seul cadeau que ne m’ait jamais fait mon amant disparu.

Je me souviens de cette nuit, particulièrement lumineuse. La lune était d’une parfaite rondeur et l’eau brillait comme le cristal dissimulé dans la mousse. Il arrivait que j’entende des bruits pendant mes ébats aquatiques, que je me sente observée et cette nuit n’a pas fait exception. Sauf qu’à mon retour sur la rive, j’eus beau chercher, gratter la terre, arracher l’herbe humide, je ne retrouvais ni ma boîte, ni son précieux contenu. Je ne me méfiais pas alors. Je me disais que personne ne voudrait approcher un monstre tel que moi. Personne ne pouvait supporter une telle vision. Personne. Mais ce n’était pas moi cette fois qui attirais les convoitises…

Après un temps infini à pleurer, hurler et me lamenter, je remarquais, au milieu de mon carnage végétal, des traces de pas. Je me mis à les suivre en écrasant rageusement mes larmes et mon errance commença. Le voleur savait qui j’étais et ce qu’il risquait. Il était sur ses gardes, ne passait jamais une nuit au même endroit et veillait bien à se tenir le plus loin possible d’un point d’eau. Il allait de grandes villes en grandes villes, passant de longs moments dans ces lieux qui m’étaient interdits. J’attendais alors, dans une cachette de fortune, cherchant un sommeil qui ne venait pas. Je connaissais désormais son odeur et le temps était mon allié. Il ne m’échapperait pas éternellement ce mortel imprudent !

C’était le temps des nuits de désespérance. Je me recroquevillais dans mon creux de terre attendant que la traque reprenne et je repoussais l’instant de rejoindre l’élément aquatique, jusqu’à ce que ça devienne intolérable, car alors je devais affronter ces sombres minutes où mon front nu et mes mains vides me rappelaient – s’il était besoin ! – la perte que j’avais subie.

Des années étaient passées sans doute lorsque mes griffes s’enfoncèrent enfin dans la chair de mon odieux voleur car ses cheveux étaient devenus gris. Il quittait une ville pour se jeter dans une autre. Son cheval menait grand train et il lui aurait été facile de me distancer si le temps n’avait pas été si sombre. Un orage menaçait et il faisait noir en plein jour comme si la nuit était imminente. J’ouvris alors mes ailes sans crainte d’être vue et je gagnai aussitôt du terrain sur le fugitif. Je piquai et, enfin, ma peau froide entra en contact avec la sienne lui arrachant un frisson. Il poussa un cri lorsque je le jetai à terre. Un craquement sonore lui répondit en écho et je remarquai, avec un amusement soudain, l’angle disgracieux que dessinait l’une de ses jambes. Mais il était vivant et essayait encore de fuir.

Je le retins, écrasant son corps sous le mien :

« Je sais ce que tu cherches, créature du diable, souffla-t-il. Mais je ne l’ai plus ! J’en ai fait don à la sainte Église de Rome !

— Que dis-tu ? articulai-je à son oreille.

— Je pensais acquérir joie et richesse avec les objets que je t’ai dérobés… Mais le temps ne m’a donné que plaisirs passagers et une succession de malheurs !

— Pourquoi ne me les as-tu point rendus ?! »

Je me souviens qu’il a souri et que c’est cela, plus que les paroles qui ont suivi, qui a décuplé ma colère.

« M’aurais-tu épargné alors ? »

En guise de réponse, j’enfonçai mes griffes dans sa gorge. Lentement. Prenant plaisir à voir son sang perler, puis couler dans un flot de plus en plus épais. La lueur blafarde de cette fin de jour me permit de contempler le visage de cet homme. Il a cherché l’air longtemps, étouffant dans son propre sang et finalement m’adressant un ultime regard terrifié. Je serrais encore lorsqu’il devint immobile, lorsque son visage passa du rose au noir. Je fis de son cou une sombre bouillie.

Il était mort et je me suis convaincue qu’il m’avait menti et que mes objets précieux étaient quelque part sur lui. Alors je déchirai ses vêtements, puis de rage m’attaquai à chaque partie de son corps. Minutieusement, je fis de la nuit qui venait une nuit sanglante. Ma première nuit de meurtre. Au petit jour, j’abandonnais avec une satisfaction éphémère et démente les membres déchiquetés, éparpillés, réduits en morceaux infimes de ce qu’était autrefois cet homme. Il me fallut du temps pour sortir de ma léthargie contemplative. Les images de mon carnage dansaient incessamment derrière mes paupières.

Une nuit, je partis au hasard, sans envisager de reprendre ma quête, infiltrant les villes par la voie des eaux ou celle des toits. Je guettais sans y croire vraiment les paroles des prêtres de Rome. Et de doutes en indices, j’avançais lentement vers le nord. L’espoir revint, ténu, me soufflant que je retrouverais un jour peut-être ce qui faisait battre mon cœur maudit.

Et me voilà dans ce coin de France. Varzy. Un village marqué par l’eau jusque dans son nom et je connais la valeur des noms. Alors je me suis établie dans un bassin. Un lavoir en cœur de village. Le jour, je laisse la surface aux humains et je trouve le repos dans une canalisation alimentée par une source fraîche qui passe sous la Collégiale Sainte Eugénie. Je ne crois pas dans le dieu des chrétiens, mais l’histoire de cette sainte qui a tant souffert n’est pas parvenue à me laisser indifférente.

Je me suis immédiatement sentie bien en ce lieu. Je pensais d’abord que la fatigue de ces siècles de recherche et d’errance fondait sur moi. Mais je n’ai compris qu’il y a quelques jours la raison de ce sentiment : mon trésor était là, tout près ! Quelque chose en moi l’avait deviné.

Dans mon souterrain, les voix des humains résonnent. C’est là que j’ai entendu quelqu’un parler d’une relique, un Bras d’Or, qui contenait un humérus de la sainte, mais aussi un objet atypique, selon une légende… Une boîte de cristal sculptée datant d’une époque ancienne, antérieure à celle de la relique elle-même… La coïncidence me parut impossible ! Il fallait que j’en sois certaine !

J’ai attendu que vienne une nuit sans lune. Je voulais me glisser dans l’ancienne église et dérober la relique. Mais le hasard a voulu que des hommes aient, ce même soir, la même idée. Je les ai suivis en maudissant l’ironie du destin qui m’enlevait encore mon trésor alors qu’enfin j’allais le retrouver !

Les hommes de ce temps ne croient plus en des êtres tels que moi. Ils ne se sont pas méfiés et m’ont guidée en fanfaronnant dans la forêt aux abords d’une chapelle. Ils se réjouissaient de posséder un bras d’or et ont perdu leur bel enthousiasme en ne voyant qu’une fine feuille dorée se détacher du morceau de bois sculpté. J’espérais qu’ils l’abandonneraient simplement dans l’herbe. J’attendais de pouvoir m’en saisir sans me faire remarquer. Mais il a fallu que ces inconscients jettent l’objet dans le feu qu’ils avaient allumé là...

Je ne réfléchis pas davantage et bondis. Je poussai la relique hors du brasier et me lançai sur les hommes qui, tétanisés par mon apparition, n’eurent d’abord pas l’idée de fuir. Je les tuai vite. Leur mort était une étape insupportable qui s’interposait à nouveau entre mon trésor et moi. Je ne prenais pas le plaisir du carnage que j’avais connu pour mon voleur, des siècles plus tôt. J’étranglai le premier dont la nuque se brisa ridiculement vite. J’enfonçais mes griffes dans l’abdomen du second et le laissai se tordre et se répandre de longues minutes tandis que le troisième tomba simplement en tentant de fuir. Je le crus évanoui d’abord et m’apprêtai à lui ouvrir le cou lorsque je comprenais qu’il était mort. Son cou s’était-il brisé ? Ma vue l’avait-elle à ce point épouvantée ? Je ne m’attardais pas sur ces questions, il ne respirait plus et son corps commençait à devenir aussi froid que le mien.

Alors je me tournai vers le Bras tristement écorché de son or.

J’ai attendu que le silence revienne. Je fixais l’objet avec dévotion, moi qui ne crois qu’en des dieux d’autrefois. Au terme d’un long sanglot, je pris la relique dans mes mains tremblantes. Je découvrais rapidement la cachette, à la base, dans laquelle mon trésor m’avait attendu tout ce temps. J’y ai laissé le pot de cristal comme un don à la sainte qui avait pris soin de mon bien. Mais l’escarboucle brille à nouveau sur mon front et tandis que des larmes coulaient sur mes joues, elle dessinait dans le ciel une ligne de feu alors que je retournais vers le bassin.