Nouvelles d'Israël - Nava Semel - E-Book

Nouvelles d'Israël E-Book

Nava Semel

0,0

Beschreibung

À la découverte des traditions et de la culture d'Israël.

Une petite fille apprend à nager avec grand-mère Reisel, dans le périmètre réservé aux croyances orthodoxes. Plus loin, Félix Silvane agent d'assurances, émerge d'un coma profond et réalise qu'il n'a jamais contracté d'assurance pour lui-même. Dans une maison de retraite, une vieille femme serre un oignon dans sa main pour le repas du shabbat alors qu'elle regarde ses enfants s'éloigner... Enfin, dans la bande de Gaza, Jacob Benhamoun, l'Israëlien, et Hani Elajrani, le Palestinien, shootent dans des canettes vides, à la lisière de la Terre promise...
Un recueil de nouvelles de la « jeune littérature » israélienne et palestinienne qui ne portent plus le même regard sur l'édification de la nation, de l'intégration des nouveaux émigrants ou des inquiétudes pour l'avenir du pays, mais s'interrogent sur le monde d'aujourd'hui, là où les réminiscences coulent à flots comme autant de pétales de roses...

Laissez-vous emporter dans un formidable voyage grâce aux nouvelles israéliennes de la collection Miniatures !

À PROPOS DES AUTEURS

Nava Semel (née en 1954 à Tel-Aviv), diplômée d’histoire de l’art, a été critique d’art et journaliste pour la presse israélienne. Outre des romans et des recueils poétiques pour la jeunesse, elle est l’auteur de trois romans pour adultes, de recueils de nouvelles et de plusieurs pièces de théâtre. Elle a obtenu en 1994 le Prix méditerranéen des femmes écrivains et, en 1996, le Prix du Premier ministre israélien pour la littérature. Nava Semel poursuit également une activité de scénariste et de productrice pour la télévision et la radio israélienne. Elle a reçu en 1996 le prix de la radio autrichienne pour la meilleure dramatique. Nava Semel est membre de l’institut Massua des études de l’Holocauste et du conseil supérieur de Yad Vashem (Mémorial de la Shoah en Israël).

Etgar Keret, né en 1967 à Tel-Aviv, est à la fois scénariste de bandes dessinées, acteur, cinéaste, et un auteur très populaire en Israël. Son œuvre littéraire, principalement composée de nouvelles, traduite de l’hébreu, est publiée en français chez Actes Sud. Certains de ses ouvrages ont été traduits dans une vingtaine de langues. En 2007, son film Les Méduses a obtenu la Caméra d’Or lors de la semaine de la critique au Festival de Cannes.

EXTRAIT

« Les promesses données par amour ne doivent pas être traitées à la légère », disait ma grandmère. Comme je ne comprenais pas qui prêtait serment et qui le respectait, elle s’empressait d’ajouter : « Il faut savoir se montrer toujours reconnaissant, ne serait-ce que pour un modeste rameau de prunier. »
Les mots jaillissent d’entre ses lèvres comme de menus alevins, tandis que le foulard détrempé qui lui enserre le crâne s’égoutte. Jusqu’à la mort, elle prit soin de s’envelopper la tête. Avec une pièce d’étoffe grise et élimée qui lui dissimulait même les oreilles, interdisant à la moindre mèche rebelle de s’exposer à la vue. Aujourd’hui encore je me demande quelle était la couleur de ses cheveux puisqu’ils restaient couverts la nuit aussi.
« Procède par gestes humbles et doux, m’ordonne-t-elle d’une voix calme, mesurée. Ne cherche pas à t’imposer, à être la plus forte. »

Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:

Android
iOS
von Legimi
zertifizierten E-Readern

Seitenzahl: 86

Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:

Android
iOS
Bewertungen
0,0
0
0
0
0
0
Mehr Informationen
Mehr Informationen
Legimi prüft nicht, ob Rezensionen von Nutzern stammen, die den betreffenden Titel tatsächlich gekauft oder gelesen/gehört haben. Wir entfernen aber gefälschte Rezensionen.



Avant-propos

Désormais partie intégrante de cet Orient proche que l’on appelait le Levant, entre Méditerranée et Jourdain, entre désert du Sinaï et collines du Liban, Israël est cet État-miniature que les tourments de l’histoire ont façonné, à l’antique emplacement de la Judée-Samarie et de la Palestine des textes anciens.

Lieu de naissance ou de cohabitation des trois grandes religions monothéistes – judaïsme, christianisme et islam – cette terre est devenue depuis sa création en 1948 terre d’accueil pour nombre de rescapés du judaïsme européen, décimés, dépouillés de leurs biens, brutalement coupés de leurs racines culturelles et linguistiques, mais résolus à survivre et à s’inventer une nouvelle vie sur ce petit morceau de territoire.

Chaque décennie qui suivit la création de cet État fut marquée par des bouleversements politiques et sociaux, et par des guerres. Les années 1950 furent caractérisées par la vague d’immigration de Juifs originaires des pays arabes, du Maroc, du Yémen, d’Irak et de dizaines de milliers de Juifs de quelque soixante-dix autres pays, d’Europe centrale (Hongrie, Tchécoslovaquie, Pologne, Roumanie…) ou d’Europe de l’Est (URSS), tous arrivés avec leur propre langue, leur propre héritage national et leur bagage culturel. Les années 1960 furent marquées avant tout par la victoire militaire de la guerre des Six-Jours de 1967, suivie par la guerre du Kippour de 1973. Les années 1970 et 1980 virent les premières tentatives de paix avec le monde arabe, à commencer par la visite historique du président égyptien Anouar el-Sadate en 1977. Au seuil du XXIe siècle, Israël a emprunté la longue voie devant conduire à la normalisation de ses relations avec la majeure partie du monde arabe.

Dès lors, les conditions étaient réunies par la force des choses pour une intense activité littéraire. L’une des plus vieilles langues du monde, l’hébreu, encore utilisée dans la prière, avait cessé d’être parlée dans la vie quotidienne. Au cours du XXe siècle, la plupart des ultra-orthodoxes s’étaient cependant ralliés progressivement à la pratique d’un hébreu « modernisé », tout en conservant l’hébreu religieux pour le culte.

La littérature israélienne s’écrivant en hébreu naquit avec l’histoire de la fondation de l’État d’Israël et avec la pratique de cette langue. Ce qui fait de la littérature israélienne une « jeune littérature ».

Après Abraham B. Yehoshua, Amos Oz, Aharon Applefeld, une nouvelle génération d’écrivains a émergé, une jeune garde de nature très différente de celle de ses aînés, qui ne s’intéresse plus de la même façon aux questions de l’édification de la nation, à l’intégration des nouveaux immigrants, à l’héroïque caste des pionniers des kibboutzim, au melting-pot, aux inquiétudes pour l’avenir du pays. Leurs soucis rejoignent souvent ceux des écrivains américains ou européens, et ce qui importe pour eux, ce ne sont plus nécessairement les causes pour lesquelles leurs parents ont souffert, mais une interrogation sur le monde d’aujourd’hui. Citons, parmi ces écrivains, Orly Castel-Bloom, Etgar Keret, Alex Epstein, présents dans ce « Miniatures Israël », tout comme Nava Semel, auxquels nous avons joint un jeune auteur palestinien originaire de la bande de Gaza : Mohammed Aldirawi.

Pierre ASTIER

Nava Semel (née en 1954 à Tel-Aviv), diplômée d’histoire de l’art, a été critique d’art et journaliste pour la presse israélienne. Outre des romans et des recueils poétiques pour la jeunesse, elle est l’auteur de trois romans pour adultes, de recueils de nouvelles et de plusieurs pièces de théâtre. Elle a obtenu en 1994 le Prix méditerranéen des femmes écrivains et, en 1996, le Prix du Premier ministre israélien pour la littérature. Nava Semel poursuit également une activité de scénariste et de productrice pour la télévision et la radio israélienne. Elle a reçu en 1996 le prix de la radio autrichienne pour la meilleure dramatique.

Nava Semel est membre de l’institut Massua des études de l’Holocauste et du conseil supérieur de Yad Vashem (Mémorial de la Shoah en Israël).

REPÈRES BIBLIOGRAPHIQUES

- Poèmes de grossesse et de naissance, Sifriat Poalim, 1983

- Chapeau de verre, (nouvelles), Sifriat Poalim, 1985

- Une vieille dame, (théâtre), Adam, 1987

- Gershona le convenable, (roman jeunesse), Am Oved, 1988

- L’Enfant derrière les yeux, (théâtre), Modan, 1988

- Leçons volantes, (roman), Am Oved, 1990

- Liluna, (poésie), Yediot Aharonot, 1998

- Jeux de nuit, (roman), Am Oved, 1994

- Mariée sur le papier, (roman), Am Oved, 1996

- Qui a volé la présentation ?, (jeunesse), Yediot Aharonot, 1997

PETITE ROSE EN MÉDITERRANÉE

« Les promesses données par amour ne doivent pas être traitées à la légère », disait ma grand-mère. Comme je ne comprenais pas qui prêtait serment et qui le respectait, elle s’empressait d’ajouter : « Il faut savoir se montrer toujours reconnaissant, ne serait-ce que pour un modeste rameau de prunier. »

Les mots jaillissent d’entre ses lèvres comme de menus alevins, tandis que le foulard détrempé qui lui enserre le crâne s’égoutte. Jusqu’à la mort, elle prit soin de s’envelopper la tête. Avec une pièce d’étoffe grise et élimée qui lui dissimulait même les oreilles, interdisant à la moindre mèche rebelle de s’exposer à la vue. Aujourd’hui encore je me demande quelle était la couleur de ses cheveux puisqu’ils restaient couverts la nuit aussi.

« Procède par gestes humbles et doux, m’ordonne-t-elle d’une voix calme, mesurée. Ne cherche pas à t’imposer, à être la plus forte. »

Je fends les flots, et la peur me déchire. Les mains crispées, je serre les coudes. Mes doigts heurtent au passage les attaches de ma tunique. Il serait tellement facile de la dégrafer !

Sous la surveillance de mon professeur, je trace à contrecœur des ronds dans l’eau. Mes pieds se posent dans un mélange de vase et de cailloux tranchants, mais je ne glisse pas car grand-mère me retient fermement. Elle m’avertit des écueils, se cambre pour affronter les vagues et m’immerge les bras avec détermination comme s’il s’agissait de pagaies. « N’oublie pas, ne te laisse pas entraîner sans réfléchir, mais abandonne-toi au sourd murmure des profondeurs. »

Nous sommes entourées de baigneuses vêtues de pied en cap. Une foule compacte qui barbote et s’éclabousse. Elles ont des rires d’enfants la veille de vacances inattendues. Même la plage publique ne connaît pas une telle agitation. Une multitude de foulards, de chapeaux de paille et autres coiffes flottent comme autant de ballons multicolores.

Je lance un regard en direction de la cabine du maître-nageur. Le seul homme des environs. Une paire de jumelles lui masque les yeux, un lourd sifflet jaune sommeille sur son torse. La décence exige que même le secouriste porte une chemise.

Trouvait-il un plaisir inavoué à deviner les formes cachées sous les vêtements ? Se moquaitil en secret de cet acharnement étrange à la pudeur ? Ou bien, occupé comme moi à guetter les dangers, aspirait-il seulement à un peu d’ombre ?

« Je vais t’apprendre la brasse », avait claironné ma grand-mère en m’emmenant à la mer. Les desseins qu’elle nourrissait pour moi tenaient plus du vœu pieux que d’un véritable engagement.

Sur la plage réservée aux femmes, aucun mâle n’a le droit de franchir la barrière, hormis les garçons de moins de treize ans dont les deux longues mèches bouclées, qui leur retombent sur les tempes, frisent encore davantage en s’imbibant d’écume. Des épingles à cheveux maintiennent leur calotte en place. De temps à autre, un bambin se retrouve nu-tête et éclate en sanglots. Autour de donjons et de douves éphémères, des enfants affairés laissent traîner dans le sable les franges de leur talith.

Comment se fait-il que ma grand-mère soit si experte en natation ? Ce n’est pas la première fois que j’essaye d’apprendre à nager. La peur me paralyse, comme lors de toutes mes tentatives précédentes. Je suis incapable de me jeter à l’eau. Mon jupon, trop long et ridicule, se colle à mes mollets, me fouette les talons à chaque assaut des vagues et me tire vers le fond, tel un boulet. Quant à ma grand-mère, elle paraît aussi légère que les embruns dans sa robe gonflée par la houle, corolle renversée à la surface de l’eau. Je réprime un fou rire, car grand-mère Reisel porte un prénom qui signifie justement Petite Rose. Malgré les entraves du vêtement, rien ne la freine dans sa progression vigoureuse. Ni n’obscurcit le souvenir que j’ai d’elle. Grand-mère avance, et je reste sur place, tellement attentive.

***

En 1919, Zelig-Haïm Gutmann, qui avait été fait prisonnier des Russes pendant la guerre, revint de captivité. De retour dans son village, une petite localité située sur les contreforts des Carpates dans la région de Marmuresch au bord de la rivière Tisza, il résolut d’épouser Reisel, la fille aînée de Sander, l’administrateur communautaire. Comme Gutmann n’avait pas les moyens de s’offrir les services d’un marieur, il dut recourir à l’entremise de l’oncle Shmuël.

Le temps ne semblait pas avoir eu d’emprise sur la bourgade. Dès l’aube, les ivrognes attendaient patiemment à même le sol que s’ouvrît la porte de la taverne. Ils suppliaient Mandel, le serveur juif, de leur faire crédit d’un verre de schnaps, et Tsitsol, le forgeron, en buvait bien trois à la suite, cul sec, avant de consentir à ferrer le moindre sabot de cheval. Près du puits, les femmes pataugeaient dans la boue. Elles échangeaient les secrets les plus intimes tout en actionnant la poulie pour remonter leur seau et s’en allaient ensemble, sans s’arrêter de papoter, ramasser du bois mort pour le chauffage, puis faire leur lessive au fil de l’eau.

Les fidèles de la synagogue se retrouvaient toujours à leurs places attitrées, et Sander, à qui la grande scierie appartenait, s’installait immuablement du côté de l’Orient, près des rouleaux de la Thora qu’il avait l’honneur, un samedi sur deux, de sortir de leur tabernacle. Les dévots entretenus, censés se consacrer à l’étude, se chauffaient autour du poêle en soupirant à la suite d’Itsele : « Oï Veï, que la vie est dure ! » Même Mariana, la marchande d’amour, exerçait encore près du cimetière et, comme par le passé, elle tirait le rideau de sa fenêtre par respect pour les morts dont plus d’un pourtant avait fait partie de ses clients.

Zelig-Haïm Gutmann, lui, rêvait d’un ailleurs. Il ne possédait rien, hormis son uniforme de soldat. Toute son enfance, Zelig-Haïm avait subi les jets de pierres et les insultes de Gregor : « Sale Jid, sale Jid