Nouvelles du Sud - Éric Biral - E-Book

Nouvelles du Sud E-Book

Eric Biral

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Beschreibung

Jacques, solitaire dans les montagnes Ariégeoises, vit en paix avec son chien Milou, jusqu’à ce que des chasseurs qu’il a affrontés dans le passé perturbent cette tranquillité. Il découvre que ces hommes, impliqués dans un réseau d’exploitation de jeunes filles Roms, ont kidnappé des innocentes, et décide de les traquer sans relâche. Parallèlement, Thierry, dégoûté par son quotidien et les injustices de la société, se laisse entraîner dans un braquage qui tourne mal, tandis que Christian, pris pour cible dans un complot d’assurance, lutte pour sa survie. Ces destins croisés, tous marqués par la révolte, la vengeance et les secrets, révèlent la face sombre de ceux qui se battent pour leur liberté.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Ancien agriculteur céréalier, Éric Biral a exercé différents métiers avant de se réorienter professionnellement. Tout au long de ses voyages dans le sud-ouest de la France, il a toujours été accompagné de romans policiers, d’ouvrages historiques, d’aventures, ainsi que de classiques de la littérature française et étrangère. Influencé par les énigmes d’Agatha Christie et les récits de grands auteurs tels que Marcel Pagnol, Henri Troyat et Claude Michelet, il s’est naturellement tourné vers l’écriture.

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Seitenzahl: 174

Veröffentlichungsjahr: 2025

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Éric Biral

Nouvelles du Sud

© Lys Bleu Éditions – Éric Biral

ISBN :979-10-422-5711-8

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Le petit Rambo

Le froid est plus vif ce soir. Jacques rajoute une bûche dans le poêle, Milou s’étire de satisfaction, allongé sur le plancher tiédi par le feu, ses pattes touchent presque la fonte brûlante, son regard croise celui de son maître. Soudain, il dresse les oreilles, écoute avec attention le silence de la forêt. Il se dirige vers la porte, implore Jacques.

— Tu veux sortir mon vieux ? Il fait froid pourtant !

Il lui ouvre néanmoins la lourde porte en bois. Le chien disparaît dans l’obscurité. Jacques essaie de voir quelque chose, mais la nuit est trop obscure. Le vieux Milou aura sans doute entendu un animal nocturne, renard, blaireau ou chevreuil en goguette autour de la maison isolée, se dit-il.

Quelques secondes après, il se retrouve à des milliers de kilomètres, dans le bush australien. Ses livres sont désormais, depuis sa récente retraite, sa seule évasion. Milou, son seul compagnon. C’est très bien ainsi, il aime la solitude et le calme. Ici, dans cette vallée perdue de la montagne Ariégeoise, il savoure tous les jours cette quiétude, sort peu, descend juste au village, distant d’environ 15 kilomètres, faire ses courses. Une fois par mois, il passe une soirée avec ses potes de la légion, descend quelques bières en jouant aux cartes, la soirée finit avec une bouteille ou deux de gnôle fabrication maison. Le reste du temps, il lit, se promène dans la forêt avoisinante, cultive son petit potager, nourrit sa basse-cour. Bref, une tranquille et paisible retraite. Les aboiements furieux de Milou le tirent du bush australien, il attrape sa lampe et sort sur le palier. Le chien n’est pas loin, tout au plus une cinquantaine de mètres. Le faisceau de la puissante lampe le trouve bientôt, tous ses poils sont hérissés, ses babines retroussées, attitude inhabituelle chez le paisible animal. Jacques fouille l’obscurité avec la lampe. Il pense à l’ours, un bûcheron lui a dit avoir vu les traces récemment, dans une vallée voisine. Peut-être est-ce lui qui effraie ainsi ce brave Milou.

— Allez, viens, laisse-le. Viens, rentre !

Le chien lui obéit, mais rentre avec tous les poils dressés sur le dos. Toute la soirée, il continue à s’agiter et à grogner doucement. Le lendemain matin, tôt levé, comme tous les jours depuis vingt-cinq ans, Jacques boit son café et se prépare pour son footing journalier, 15 kilomètres sur les sentiers forestiers.

Milou, en remuant la queue, l’attend patiemment devant la porte. Lui aussi aime ce rendez-vous matinal, malgré ses dix ans, il trotte aisément aux côtés de son maître, le délaissant souvent pour aller fouiner dans les taillis. De retour chez lui, il décide, après sa douche, d’aller voir ce qui pouvait tant perturber Milou. Les traces de pas multiples, qu’il a suivies jusqu’au bord d’un petit chemin en contrebas, font monter la colère en lui. Il reconnaît celles des abrutis de chasseurs qu’il a rossés au café-épicerie-bureau de poste du village le mois dernier. Quatre idiots constamment avinés qui viennent régulièrement chasser aux abords de ses bois. Si seulement ils pouvaient s’entretuer ! Comment peut-on chasser alors que l’on ne tient pas debout ? L’un d’entre eux habite à quelques kilomètres, il élève tant bien que mal quelques vaches, moutons et chèvres. Sa ferme est dans un désordre et une saleté indescriptibles, l’odeur insoutenable qui s’en dégage, poursuit le malheureux automobiliste sur une distance considérable, surtout lorsque le temps est humide. Les 4 malfaisants troublent depuis longtemps toute la communauté de la petite vallée. Jusqu’au jour où ils avaient croisé le chemin de Jacques, qui avait pris un malin plaisir à les dérouiller. Les gendarmes ne s’étaient même pas donné la peine de se déplacer, Jacques avait fait les poches des types pour rembourser les dégâts causés par la bagarre. Le gérant du bar, où avait eu lieu la rencontre, et sa femme l’avaient chaleureusement remercié. Ce dont il se foutait complètement. Le couple, qui venait de la région parisienne, envisageait de fermer le commerce, les clients déjà rares dans ce coin perdu, l’étaient encore davantage, avec les visites régulières de la bande.

Depuis, le quatuor lui vouait une haine farouche, mais ils se tenaient à distance, l’ancien légionnaire n’était pas un plaisantin et n’avait pas peur d’eux. Maître en close-combat, ils les avaient rudement malmenés. L’épaule du gros type déboîtée, le nez et les dents des autres cassés. Ils n’avaient pas demandé leur reste et étaient partis piteusement, la queue entre les jambes.

Mais ils avaient promis de se venger, pas directement, ils avaient déclaré au couple de Parisiens tenant le bar, on va le tuer, ce fumier !

C’était la première fois depuis l’incident du bar qu’ils osaient s’approcher de lui, la raclée oubliée certainement. Il allait donc leur faire une piqûre de rappel.

Le soir, sa tenue de commando revêtue, il enferme le chien étonné et silencieusement, comme une ombre, se glisse dans la forêt. Très vite, ses réflexes de baroudeur reviennent, à son grand plaisir. La ferme est éclairée, les véhicules garés devant sont ceux des idiots. Il les reconnaît d’autant mieux que de nombreux autocollants de gibiers divers recouvrent leurs flancs et leurs vitres arrière.

Jacques commence par dégonfler les pneus puis il s’approche furtivement d’une fenêtre. De la musique dancefloor fait vibrer les carreaux.

À l’intérieur, les types se saoulent avec entrain, ils sont accompagnés de filles à l’allure vulgaire, qui boivent autant qu’eux. Sûrement des putes, pense Jacques. L’une d’elles danse sur une table, nue comme un ver, ses seins refaits ne tremblent pas. À genoux devant elle, une des filles lui lèche le bas ventre.

Les quatre abrutis en ont les yeux qui sortent de la tête.

Au bord de la nausée, Jacques ne veut plus contempler ce spectacle, ce n’est pas un voyeur. Les chiens de chasse, enfermés dans un chenil, n’aboient pas en le voyant, ils essaient d’obtenir une caresse. Les pauvres bêtes sont maigres à faire peur, leurs niches sont sales et puent terriblement. Pris de pitié, il ouvre le portail, les chiens l’entourent, il s’accroupit et les caresse longuement.

Comment peut-on être aussi cruel avec des animaux ?

Son attention est brusquement attirée par l’un d’entre eux, il gratte furieusement la porte branlante d’une vieille cochonnière. Peut-être l’endroit où le type range leur nourriture ?

Pourtant, la vue du gros cadenas, habilement dissimulé par une vieille planche, l’interpelle. En y regardant de plus près, la porte vermoulue au premier abord, est beaucoup plus solide qu’il n’y paraît. Elle est même très solide, renforcée aux charnières également.

Que cache cette porte ? Invisible depuis l’extérieur du chenil, le tas de crottes de chien devant dissuade de s’en approcher, l’odeur est terrible alors qu’il se baisse pour examiner le cadenas.

Il revient vers la ferme, jette un œil à travers la fenêtre. À présent, c’est une vraie orgie ! Dégoûté, il se dit qu’il a le temps de casser le cadenas sans que personne ne s’en aperçoive. À l’aide d’une barre de fer, trouvée contre un mur, il donne un coup sec au cadenas, qui casse net. Une odeur étrange vient à la rencontre de ses narines, inhabituelle, inappropriée plutôt, pour ce genre d’endroit… Dans l’obscurité, il aperçoit des mouvements ! En rampant, l’endroit est très bas, pas plus de 80 centimètres. Il pénètre dans la porchère, s’approche prudemment, tous les sens en éveil. L’odeur confirme sa première impression, il y a des humains enfermés là-dedans ! À la lueur de sa lampe torche, il découvre, stupéfait, deux jeunes filles étroitement attachées l’une à l’autre, une chaîne passée dans un anneau scellé au mur, enserre leurs chevilles. Elles sont bâillonnées et ont également les yeux bandés. Elles tremblent de tout leur corps, leurs vêtements sont déchirés et très sales. Jacques inspecte rapidement la chaîne, il retourne chercher la barre à l’extérieur, et rompt le second cadenas. En les désentravant, il leur touche les chevilles. Un cri étouffé par le bâillon le fait sursauter. Elles sont terrorisées ! Jacques imagine sans peine leur calvaire, lui-même a été prisonnier de tribus pachtounes, lors d’une de ses dernières missions en Afghanistan. Mais peut-être, en plus, ont-elles été abusées sexuellement… Il pose sa main sur l’épaule de l’une, puis de l’autre, enlève leurs bandeaux, s’éclaire le visage avec la lampe, pour qu’elles puissent le voir aisément, tente de les calmer d’un regard qui se veut serein, met le doigt sur leur bouche. Elles comprennent vite, l’espoir naît dans leurs yeux. Il les détache, remet son doigt devant sa bouche, leur fait signe d’enlever elles-mêmes leurs bâillons, puis de le suivre en silence. Elles acquiescent en hochant la tête, se regardent, pleines d’espoir. Les chiens, sûrement habitués à leur odeur, les entourent joyeusement, en remuant la queue. La musique tambourine toujours les carreaux de la ferme. Suivi des deux filles, Jacques se dirige en silence vers la forêt, les chiens gambadent joyeusement autour d’eux. Jacques se pose beaucoup de questions, au départ, il voulait juste donner une petite leçon aux autres idiots, pour ne qu’ils viennent plus roder autour de chez lui, craignant qu’ils n’abattent Milou. Mais maintenant, la donne a changé. Il se retrouve avec les deux filles. Une livraison pour des pervers ? Elles n’ont pas l’air de prostituées pourtant. Trop jeunes, quoique, il en a vu de bien plus jeunes dans les pays où il partait en mission Il réfléchit tout en progressant entre les arbres. Où est-ce que je vais les amener à cette heure-ci ? Vont-ils se douter que c’est moi ? Dans tous les cas, ils vont les chercher. Est-ce que les chiens vont les amener vers moi ? Hum, il y a de fortes chances. La seule route qui va vers la vallée et la gendarmerie passe devant la ferme, je ne peux faire courir ce risque à ces pauvres filles. Bon, pour l’instant il faut que je les amène au chaud, après on verra.

Le gros Robert, dit Bob, sort prendre l’air. Satisfait de la soirée, il a ramassé les filles à la sortie d’une boîte, le gros paquet de billets brandi sous leur nez les avait vite convaincues. Il consulte sa montre, dans deux heures, les types qui lui ont donné le pognon ne devraient pas tarder à venir chercher leur colis. Soudain, il voit un des chiens de Francis dans la cour, qui pisse sur une roue de son 4X4. Con de chien… mais ! Il voit que ses pneus sont tous dégonflés, ceux de la camionnette à Francis aussi ! Quelque chose ne va pas !

— Eh, Francis, beugle-t-il. Prends ton fusil, je crois qu’il y a un crétin qui nous a fait un coup de merde !

— Qu’est-ce tu dis, j’entends rien, dit Francis, très occupé avec une des putes.

— Putain, baisse la musique et viens voir !

— Ça va, te fâche pas ! Il remonte son pantalon et rejoint Bob devant la porte. Mais bordel, y caille ! Qu’est c’y’a ?

— C’est normal qu’un de tes clebs se promène dans la cour ?

— Quoi ! Mais non putain ! Il est où ?

— La devant, t’es miro ?

— Oh putain, c’est le Farou ! Il a dû s’échapper ! Je vais chercher la lampe.

Francis décroche sa grosse lampe, baisse le son de la sono en passant. Il disparaît vers le fond de la cour. Le gros Bob voit soudain le faisceau de la lampe s’agiter en tous sens alors que Francis revient en courant.

— Putain, les filles y sont pu !

— Quoi ! s’étrangle Bob.

— Ouais putain, quéqu’un é venu et a pété le cadenas !

Bob panique, les gars qui doivent venir chercher les filles ne sont pas des tendres.

En plus, il a déjà dépensé tout le blé reçu en acompte. Pour les faux frais et te motiver, lui avait dit Adom, devant son peu d’empressement à rentrer dans le trafic. Il essaie de réfléchir à toute vitesse, mais son cerveau de petit voyou s’y refuse.

— Elles doivent pas être loin, l’enculé qui a fait ça, on va le plomber, dit Francis, un tantinet plus malin que le gros Bob.

— Ouais, t’as raison. Préviens les autres. Mais il nous a crevé les pneus aussi.

— Oh putain, j’ai qu’une roue de secours.

— Moi aussi. On fait quoi ?

— Sais pas. Je vais demander à Lulu.

Lulu est l’intello de la bande. C’est le seul qui a suivi une scolarité plus ou moins normale, jusqu’en cinquième ! Rapidement mis au courant, il se tourne vers Francis.

— Il crèche loin, le petit Rambo ?

— Non, deux ou trois kilomètres à travers bois. Pourquoi tu veux savoir ça ? On s’en fout de ce con de bidasse.

— T’es vraiment très con ! Tu as vu une voiture passer ?

— Ben non ! Enfin, j’étais occupé avec la blonde et…

— Tes clebs aboient s’il y a une voiture, non ?

— Putain oui, ils font un bordel chaq…

— Donc, moi je ne vois qu’un mec capable de venir sans bruit et repartir avec les gonzesses.

— Qui ?

— T’es encore plus con quand t’es bourré ! Le petit Rambo pardi, ducon !

— Eh… tu m’appelles pas ducon !

— Pourquoi ? T’es très con, ça te va bien !

— C’est pas le moment de vous engueuler, dit le gros Bob, faut retrouver les filles !

— Ouais, on va aller plomber ce connard de bidasse, dit Francis en portant la main à l’emplacement de ses dents manquantes.

— Allons-y, dit Lulu, réveille le polack.

Wladimir, dit le polack, est le quatrième larron de la bande. Sûrement le moins méchant de tous, mais trop faible et souvent trop saoul pour émettre une objection à chaque sale coup des autres. Il suit juste le mouvement, pourvu qu’il ait sa dose quotidienne d’alcool.

— Eh, mais les pneus des caisses sont tous dégonflés ! s’exclame Francis, les bras ballants.

— Alors ! T’as pas un compresseur, lui dit Lulu, comment tu fais pour gonfler les pneus de ton tracteur ?

— Ah oui putain, j’y avais pas pensé !

— Mais qu’il est con ! Bob, va l’aider.

— Qu’è s’on fait maintenant ? On monte chez le bidasse ? demande Bob.

— À quelle heure arrivent les mecs ?

— Vers deux heures y z'ont dit.

Lulu regarde sa montre, réfléchit intensément, les brumes de l’alcool et tout l’acide qu’il a absorbé l’empêche de se concentrer correctement.

— Bon, on a le temps. La route qui monte chez le bidasse, c’est la seule ?

— Ouais, c’est un cul-de-sac, ça monte aux anciennes for…

— On s’en fout où ça monte. Je te demande s’il y a pas un autre chemin qu’il pourrait prendre avec son 4X4 ?

— Non, non, y a que des sentiers ou des pistes de bûcheron. Mais y faut un engin comme ceux qui z'ont les bûcherons et…

— C’est bon, j’ai compris ! Le coupe méchamment Lulu.

Lui est un vrai méchant et un sadique, les autres le craignent, malgré son gabarit de poids plume.

— On monte avec le 4X4 de Bob, prenez vos fusils. Combien ça fait de bornes par le col ?

— Euh… à peu près douze, répond Francis, mort de peur d’affronter le légionnaire. Y doit être armé le bidasse !

— Et alors ! Nous aussi ! Puis il est tout seul et on est quatre !

Milou accueille Jacques et les deux filles en frétillant, depuis de longues minutes il les a sentis approcher. Sans un mot, Jacques met de l’eau à chauffer, montre la salle de bain aux filles complètement perdues et inquiètes, leur tend des treillis militaires. Elles obtempèrent et s’enferment à clef. Jacques prépare un sac à dos, met plusieurs jours de rations de combats à l’intérieur. Il se retrouve dans son élément, cela lui arrache un sourire. Mais les filles vont-elles tenir le rythme qu’il souhaite leur imposer ? Bah, elles n’ont pas le choix si elles veulent vivre. Les autres crétins ne vont pas tarder à comprendre que c’est lui qui les a délivrées. Elles ressortent timidement de la salle de bain, Jacques leur fait signe de s’asseoir, leur sert du thé brûlant. Elles boivent avidement, se brûlent, mangent les gâteaux qu’il a mis sur la table, puis sourient enfin. Il les observe attentivement. Elles sont toutes les deux très brunes, les yeux noirs, la peau mate, presque marron. D’où viennent-elles ?

— Vous parlez français ?

Leurs expressions d’incompréhension lui font comprendre que non.

— English... Espagnol… Italiano.

— Si, un poco, dit l’une des deux.

— O le vostre famiglie sono (Où sont vos familles) ?

Elles se rembrunissent, celle qui paraît la plus jeune se met à pleurer. L’autre lui enserre les épaules, lui caresse les cheveux.

— Le nostre famiglie ci hanno venduto (nos familles nous ont vendu).

Jacques hoche la tête, cela ne l’étonne pas, il connaît ces pratiques. Ses nombreuses missions dans les pays sous-développés l’ont habitué à tous les trafics auxquels peuvent se livrer les humains envers leurs semblables. Juste pour un peu d’argent.

— Siete Roms, questo non é non ? (Vous êtes Roms, n’est-ce pas ?)

— Si.

Il les laisse se restaurer encore un peu, un peu rassuré, ces gens sont habitués à une vie difficile, le peu qu’il a appris sur elle lui fait dire qu’elles résisteront certainement.

— Andiamo a dovere andare nella montagna, nasconderci per sfuggire agli uomini che vi cercano (nous allons devoir aller dans la montagne, nous cacher pour échapper aux hommes qui vous cherchent).

Elles comprennent, se lèvent déjà.

Elles auraient fait de bons militaires, se dit Jacques.

— Milou vi va portare lì. Io vado ad occuparmi degli uomini (Milou va vous y emmener. Moi je vais m’occuper des hommes).

Il leur montre le chien, qui semble comprendre la situation. Il s’est collé aux deux filles. La plus jeune éclate en sanglots, l’autre la serre dans ses bras, lui chuchote dans sa langue des paroles de réconfort. Peu à peu, elle se calme, hoche la tête. L’aîné regarde Jacques avec gratitude.

— Si. Grazié mille.

— Andiamo ci rapidamente (Allons-y vite).

Il leur tend un manteau camouflé à chacune, des gants, des bonnets, leur donne une paire de rangers. Jacques n’est pas très grand, les vêtements et les chaussures leur vont à peu près. Elle s’habille en silence, il leur bourre les poches de gâteaux. Il prend la tête, tous trois marchent en silence. Au bout de cinq cents mètres, il leur montre un vague sentier avec sa torche.

— Vi ricupererò. Seguite il cane (Je vous rattraperai. Suivez le chien).

Il s’accroupit auprès de Milou.

— Tu vas au refuge. Tu comprends. Au refuge.

Le chien à compris, il s’avance, puis fait demi-tour, revient vers Jacques.

— Tu emmènes les filles. Je te rejoins.

Du doigt, il lui montre les deux filles. Milou remue la queue, va jusqu’à elles, retourne vers son maître.