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Les meurtres et les disparitions se succèdent à la Sérénité, une maison de retraite de la région toulousaine. Georges Rigacci est envoyé en urgence sur place pour tenter de démêler les fils d’une intrigue complexe, aidé par ses jeunes adjoints et encombré par un stagiaire très particulier. Seulement, sa mission n’est pas de tout repos. Entre des rencontres singulières et des découvertes inattendues, il va de surprise en surprise…
À PROPOS DE L'AUTEUR
Éric Biral apprécie la littérature dans son ensemble, mais a une préférence pour les romans policiers. Influencé par les auteurs tels que Agatha Christie, avec
Panique à la Sérénité, il signe une intrigue aussi captivante que particulière.
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Seitenzahl: 382
Veröffentlichungsjahr: 2023
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Éric Biral
Panique à la Sérénité
Roman
© Lys Bleu Éditions – Éric Biral
ISBN : 979-10-377-9183-2
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Le spectacle est horrible, le sang a giclé sur le mur de la cage d’escalier, composant une sorte de tableau d’art moderne. Plutôt apocalyptique comme œuvre, se dit Georges. Appelé sur les lieux d’urgence, comme d’habitude, en remplacement du Capitaine Bordier, gravement malade depuis plusieurs mois. Au bout du rouleau… pauvre gars…
Bon, je dois me concentrer sur cette boucherie. La femme est couchée sur le dos à moitié appuyé sur le mur, les bras tendus devant elle, les mains toutes entaillées, posture de défense sans aucun doute… et…
— Non attendez, n’entrez pas, c’est une scène de crime, non, stop arrêtez !
La porte s’ouvre brusquement, par réflexe Georges se tourne et fait barrage, ayant reconnu la voix du Brigadier Morin qui est censé empêcher l’accès à l’issue de secours dans lequel a eu lieu le meurtre. Sa réaction a été la bonne, le gars qui a forcé le passage lui tombe littéralement dessus, la différence de niveau aidant, il se trouve sur le palier intermédiaire du quart tournant de l’escalier, donc environ un mètre au-dessous de l’étage supérieur. La surprise passée, la colère prend rapidement le dessus, l’adrénaline faisant son effet, Georges gravit en vitesse les quelques marches tenant le type par le col, le propulse sur le palier supérieur. Détachant sa main droite du cou de l’importun, il arme son coup, serre le poing et se prépare à lui démolir la dentition.
— Non ! arrêtez Commandant !
La voix du Brigadier le ramène à la réalité et à sa réserve d’officier assermenté de l’OPJ de Toulouse. Je dois me maîtriser, que m’arrive-t-il ce matin ? Le type glisse le long du mur et s’affale sur le sol comme une poupée de chiffon. Le Brigadier Morin se liquéfie devant le regard froid braqué.
— Euh, désolé Commandant, j’avais tourné la tête et il s’est précipité d’un c…
Le gars se relève péniblement, ses yeux papillonnent en tous sens.
— Virez-le d’ici !
— Euh, c’est-à-dire que ce c… euh, je veux dire, il est là pour vous.
— Pour moi !
Le Brigadier se rapproche de son oreille et lui marmonne :
— C’est le fils du Préfet.
Georges se rappelle brusquement le coup de fil. Le nouveau stagiaire se trouve devant lui, visiblement éprouvé par l’aventure. C’est un jeune type d’environ trente ans, les cheveux blonds hirsutes, le teint blafard, maigre comme un top model, mais avec un ventre rond, les yeux vides, habillé de vêtements informes et défraîchis. Il semble tout de même revenir à la vie, le fixe d’un regard quelque peu halluciné. Encore un fumeur de joints, pense-t-il in petto. Et un branleur numéro un, fils à papa qui plus est. Georges se fout pas mal que cela soit le fils du Préfet ou de l’Empereur de Prusse comme dit sa mère, s’il doit le virer cela sera sans aucun scrupule, n’ayant de compte à rendre à personne, même pas au préfet ! Un sourire stupide est peint sur sa face blême. Irritant le garçon déjà !
— Tu es Rigacci ?
— Commandant, répond Georges sèchement.
L’incompréhension traverse les yeux du jeune con. Ah ! le blanc-bec n’est pas habitué à ce qu’on lui parle de la sorte, ou alors est très con. Ou les deux. Le regard d’acier à la Lino Ventura semble le perturber, mais très vite la même expression hébétée revient.
— Ah oui ! Je comprends, c’est comme pour les militaires.
Georges hésite, peut-être est-ce de l’humour… lui laisse le bénéfice du doute.
— C’est juste de la politesse surtout… essaie-t-il calmement
— Ah oui c’est ça, t’es comme Claint Eastwood ! T’aimes pas qu’on te parle !
— Clint.
— Eh ?
— C’est Clint Eastwood pas Claint.
— Ah ouais t’es sûr ?
— Vous.
— Eh ?
— Tu me dis vous.
— Ah ouais, pourquoi ?
Georges est interloqué, fixe le type dans les yeux, tente de le sonder. Seul le néant lui apparaît. Le fils du Préfet est-il un attardé ? A priori, oui. Bien évidemment, on n’écrit pas ce genre de choses sur les demandes de stages. On ne le crie pas sur les toits non plus, surtout lorsque l’on veut faire carrière. Faut-il le supporter ? Il n’est pas certain d’y parvenir. Comment réfléchir avec un attardé à ses côtés, comment travailler tout simplement ?
— Tu te tais maintenant et surtout, tu restes où tu es sans bouger.
— Ah ouais !
Bon, on dirait qu’il comprend tout de même. Georges tente de se concentrer. Quelques secondes plus tard, il a déjà oublié le jeune type.
— Ça pue ici, tu ne trouves pas !
— Silence je t’ai dit !
— Ah ouais.
Re concentration.
— Qui c’est cette femme ?
Georges se retourne vers le gars.
— Tu comprends ce que ça veut dire de se taire ?
— Ben ouais.
— Explique-moi alors.
— Ben, ne pas parler ?
— Et alors que fais-tu là en ce moment ?
— …
— Eh bien ?
— Je parle.
— Bon. Peux-tu te taire ?
— Ben, oui.
— D’accord. Je m’appelle Georges. Et toi ?
— Clément.
— D’accord Clément. Tu dois bien écouter ce que je te dis et rester calme. Compris ?
— Compris.
Il sourit, son visage change.
Georges reprend l’étude de la scène du crime. Quelques minutes plus tard, une première hypothèse prend forme dans son esprit. À cet instant, la porte de l’issue de secours s’ouvre. Morin la maintient grande ouverte afin de laisser passer Marion, la médecin légiste. Elle sourit à Georges, jette un regard étonné sur le jeune.
— Tu emmènes ton fils au boulot !
Georges lui sourit à son tour. Clément, la bouche bée, ne pipe mot, les yeux fixés sur la jolie brune juste au-dessus de ses yeux. « Tiens, les femmes lui plaisent au blondinet ! »
Il attend visiblement l’approbation de Georges pour parler.
— Je te présente Clément, c’est un stagiaire.
— Je le connais.
— Ah d’accord. Toujours charmante.
— Merci bel italien. Tu as perdu ta langue, Clément ?
— Étant donné le spectacle que tu lui offres, je le comprends, dit Georges avec le sourire.
Marion, tout d’abord perplexe, ne comprend pas immédiatement ce que veut dire le policier, puis elle suit la direction du regard de Clément, baisse la tête et découvre horrifiée que sa jupe, plutôt courte déjà, juge Georges, approbateur, s’est coincée dans son sac de travail, révélant la quasi-totalité de ses jambes, pratiquement jusqu’à l’aine. Rugissant de dépit, elle bataille vainement pour décrocher le tissu, Georges, bon prince, l’aide, sans toutefois perdre une miette du spectacle, parvenant sans peine à désengager la boucle du sac du bas de la jupe. Toute rouge, en sueur et décoiffée, elle s’active à retrouver sa dignité, inspectant le reste de sa tenue.
— Tu aurais pu me le dire, s’exclame-t-elle en direction de Georges.
— Je te l’ai dit.
— Plus vite !
— Tu as illuminé ma journée, je t’en remercie, réplique Georges sans se départir de son sourire.
Hésitant entre la colère et l’amusement, elle finit par choisir la dernière option et lui offre un sourire éblouissant.
— Tu me dois un dîner alors !
Georges, à son tour, pris entre plusieurs sentiments contradictoires, est toutefois flatté. Mais pas surpris par la demande, la jolie légiste lui tournant autour depuis longtemps.
— D’accord. Mets-toi au boulot, je reviens tout de suite, je dois parler à Morin.
— Bien mon Commandant, dit-elle en exécutant un salut militaire.
Morin, vigilant, lui ouvre la porte. Son sourire lui fait comprendre qu’il a lui aussi vu les jambes de la légiste.
— Depuis quand avait-elle la jupe relevée ?
— Je n’en sais rien Commandant, je n’ai pas osé lui dire, mais elle est passée comme vous par le bas de l’autre issue de secours pour éviter l’entrée principale et tout dépend où elle a laissé sa voiture.
— Hum. Qui d’autre l’a vue ?
— À l’extérieur je n’en sais rien, mais ici dedans personne d’autre. C’est José qui surveille l’entrée de l’escalier, il faudra lui demander.
— Hum. Lui non plus n’aura pas osé.
Sourire légèrement égrillard et entendu du brigadier.
— Sans doute.
— Bon, nous allons commencer à recueillir les témoignages du personnel. À quelle heure la Directrice doit-elle arriver ?
— À 9 heures, en temps normal. Mais l’infirmière qui a pris son service à 7 heures l’a prévenue dès qu’elle a découvert la victime. C’est-à-dire vers 7 heures 15 environ.
Georges consulte sa montre. 7 heures 55. Elle ne devrait donc pas tarder.
— Bon, faites-moi un petit topo dès que possible. Je retourne voir la légiste.
Georges, suivi comme son ombre par Clément, retourne dans l’escalier de secours.
Marion est penchée sur la victime, l’entendant arriver, elle se relève et vérifie sa jupe d’un coup d’œil rapide, ce qui n’échappe pas au policier.
— À vos ordres mon Commandant !
— Repos, soldat.
— Bon alors, la victime, une femme d’origine slave, Russe, je pense, âgée d’environ 45 ans, très belle femme en l’occurrence, a été égorgée aux alentours de… 7 heures environ, au moyen d’une lame très fine et tranchante, genre…
— Scalpel ?
— Hum, je dirais plutôt un cutter. J’ai l’impression qu’il y a un tout petit fragment à l’intérieur de la plaie. Je verrai ça à l’autopsie.
— Scénario possible ?
— Eh bien je dirais qu’elle a eu une altercation avec une autre personne, qui lui a serré les poignets assez forts, vu la taille des marques, des mains d’hommes sans doute. Et ensuite, elle a tenté de se protéger des coups de cutter qui ont fini par la tuer.
— Pas d’autres blessures apparentes ?
— Non. Dispute très violente avec un amant ?
— Hum peut-être.
— Toi, tu as déjà une idée assez précise des faits, je me trompe ?
— Hum, un peu tôt pour le dire, mais j’ai ma petite idée, oui.
— En ayant vu juste la scène de crime ? Tu es arrivé il y a peu de temps ?
— Il y a 20 minutes environ.
— Pfffouu ! T’es un crack !
— Ne va pas si vite en besogne, je n’ai pas résolu l’affaire.
Tout en disant cela, Georges escompte bien que son intuition soit la bonne, comme souvent.
— Pas encore. Mais je parie un autre dîner que ce soir tu auras ton assassin.
— Hum, encore un dîner ! Nous n’avons même pas entamé le premier. Quant à avoir l’assassin ce soir, je crains que tu ne me prennes pour Sherlock Holmes.
— Je me verrais bien en Miss Watson, dit-elle avec un sourire qu’il juge carnassier. Et je suis très obstinée, tu devrais le savoir depuis le temps. Elle sourit, le regarde intensément.
— J’ai cru le comprendre en effet.
Il sourit à son tour. Ne sait que penser. Que cherche-t-elle vraiment ? Une relation ? Elle est très attirante, mais quelque chose le retient. Lui, très intuitif, en temps normal, perd ses moyens devant cette beauté andalouse, qui rend fou tous les hommes de son entourage ou qu’elle peut croiser. Et ça, l’idée de se faire manipuler par cette femme le dérange. Trouvant son caractère un peu trop fort, et beaucoup de tempérament, cela le dérange également. Et de la faire patienter, plus ou moins longtemps lui convient parfaitement. À moins qu’elle ne trouve un autre homme d’ici là. Mais étrangement, cette idée-là pourrait lui déplaire.
— Bon, je fais quelques prélèvements le temps que l’identité judiciaire arrive. À midi ?
— Comment ?
— À midi le dîner ?
— Si vite ?
— Ça fait longtemps, mon bel Italien, que tu me fais patienter, trop longtemps !
— À ce point ?
— Oh oui ! À moins qu’une autre t’ait mis le grappin dessus ? Auquel cas…
— Auquel cas ?
— Je vais dépérir de désespoir et me dessécher !
— Tu exagères tout de même, tu as de la marge et du temps !
— Pour me dessécher ?
— Oui bien entendu, dit-il avec un sourire qui se veut énigmatique.
— Il y a un petit resto sympa pas loin du centre médico-légal et je t…
— Je le connais, et non pas là-bas.
— Bon.
— Et je ne sais pas si j’aurais le temps.
— Oh !
Sa moue boudeuse et contrariée la rend encore plus attirante. Les belles femmes savent qu’elles le sont, jouent avec, avec les hommes, et cela, Georges, en vieux briscard de l’amour, le sait. À son tour de jouer.
— Je te rejoins pour l’autopsie. À tout à l’heure.
Il lui expédie un sourire et tourne les talons.
Le Brigadier est en train de poser des questions à une femme en tenue blanche et jaune au bout du couloir. Il se précipite vers Georges.
— Nous avons l’identité de la victime, elle s’appelle Irina Ali… stra… tova, Alistratova, difficile à dire. Une Russe. Employée comme femme de ménage. Euh, visiblement peu appréciée par les autres femmes, mais très appréciée par les hommes. Le Brigadier lève la tête de ses notes, cela semble l’amuser, ravale son sourire face au regard de Georges.
À ce moment-là, une femme fait son apparition au bout du couloir. Apercevant les deux policiers, elle se dirige vers eux. De taille moyenne, d’environ 45 ans, le teint pâle, les yeux verts, blonde aux cheveux longs et très séduisante, semblant remplie d’énergie.
— Bonjour Messieurs, Hélène Garnier, je suis la Directrice de l’établissement. Je suis venue dès que l’on m’a informée.
— Je vous en remercie Madame la Directrice. Je suis le Commandant Georges Rigacci, brigade criminelle de Toulouse. Je vais vous demander quelque chose de difficile, c’est d’identifier la victime.
— Chto ! Mon dieu ! Que me demandez-vous là ?
— Croyez bien que je me passerais de vous le demander si ce n’était indispensable, répond Georges avec douceur. Et ce n’est guère beau à voir, j’en suis désolé.
— Eh bien s’il le faut, allons-y.
Elle est toute pâle et défaite. Qu’est-ce que ça va être après la vision du cadavre…
— Connaissiez-vous bien la victime ?
Il profite de l’instant, tant que l’émotion ne l’a pas submergée.
— Non pas vraiment. C’était une femme qui parlait peu, encore moins avec moi, la Directrice.
— Pourquoi encore moins ? La fonction ? Êtes-vous proche de vos employés ?
— Cela dépend des personnes. Certaines sont là comme moi depuis l’ouverture, et par conséquent, celles-là sont plus proches. La fonction, non pas du tout, j’essaie de faire régner une bonne ambiance, familiale, dans l’établissement, je crois y parvenir. Irina est arrivée voici quelques mois, six ou sept me semble-t-il, et je lui ai peu parlé. Et elle ne travaille pas à temps complet.
Pour tenter d’amoindrir le choc, ils arrivent à présent devant la porte gardée par un agent ? Georges s’efface afin de lui laisser le passage, saisit la poignée, mais n’ouvre pas.
— Les policiers les plus endurcis, quelquefois confrontés à des morts violentes qui les perturbent psychologiquement ne supportent pas parfois l’horreur de certains crimes. Vous n’êtes pas habituée à ce genre de scène, particulièrement difficile. Donc, nous allons rester sur le palier, la différence des degrés de l’escalier va vous permettre de voir le visage de la victime sans trop vous approcher.
— Je vous remercie de votre sollicitude.
— Je vous en prie, c’est naturel.
Malgré cela, la malheureuse Directrice défaillit à la vue de la scène sanglante, la distance de sécurité prévue par Georges étant visiblement insuffisante. Il a juste la dernière possibilité d’éviter qu’elle ne se fasse mal en chutant, en la retenant in extremis par le bras. Elle se reprend toutefois très vite, encore plus pâle que son teint d’origine.
— Excusez-moi de ma faiblesse. C’est bien Irina, je vous le confirme.
— Bon, je vous remercie ; alors, pouvons-nous aller à votre bureau ?
— Bien entendu, suivez-moi.
C’est alors que la Directrice prend conscience de la présence du jeune homme collé aux basques de Georges, et le regarde avec étonnement, Clément la dévisage sans ciller, la mettant visiblement mal à l’aise.
— Ah oui excusez-moi, je vous présente Clément, un stagiaire. Eh bien Clément, tu ne dis pas bonjour ?
— Bonjour, dit-il simplement d’un ton emprunté.
— Vous semblez l’intimider. Tu restes ici avec Morin, je dois m’entretenir avec Madame.
— Tu vas la draguer ?
La Directrice rougit et éclate de rire. Georges sourit, cette belle blonde est très attirante. Comme un joueur de poker, il aime à ne pas dévoiler ses cartes et laisser apparaître la plus grande indifférence polie et sympathique.
— Bien sûr.
— Ah ! dit simplement Clément, visiblement persuadé de la véracité de ses dires. Et l’autre ?
Nouvel éclat de rire de la jolie blonde.
— Vous êtes sûr que c’est votre stagiaire, plaisante-t-elle en le regardant différemment cette fois-ci.
— Sûr. Allons-y.
Ils redescendent vers le bureau situé au rez-de-chaussée ; le long des couloirs se pressent les employées, curieuses, certaines ont les yeux rouges, quelques-unes semblent dévorées de curiosité. Georges note mentalement les attitudes.
— Au travail Mesdames s’il vous plaît, leur dit la Directrice. Elle baisse le ton en s’adressant à Georges. J’ai éclaté de rire presque devant le corps de cette pauvre fille, je m’en rends compte à présent.
— Pour l’heure, ce n’est pas ce qui préoccupe vos employées, je pense.
Elle le fixe brièvement, leurs regards se croisent.
— Vous lisez dans les pensées ?
— Pour mes enquêtes, cela serait parfait, répond-il en souriant.
— Oh !
Le bureau de la Directrice est sens dessus dessous. L’intervention de Georges, qui l’a encore retenue par le bras, l’empêche de buter sur un gros dossier éventré sur le sol, en travers de la porte d’entrée. Le désordre est indescriptible, les plantes vertes ont été pulvérisées contre les murs, leur terreau répandu sur le mobilier fracassé, lui aussi visiblement contre les murs, rajoutant un air d’apocalypse à la pièce.
— Oh ! répète-t-elle devant le spectacle.
— Eh bien ! dit Georges, en cherchant le numéro de Morin dans son répertoire. N’entrez pas s’il vous plaît. Envoyez-moi l’identité judiciaire au bureau de Madame Garnier, la Directrice, aussitôt qu’ils auront fini là-haut, oui dès qu’ils seront arrivés bien entendu. Et quelqu’un pour surveiller ici en bas, eh bien, téléphonez au commissariat et demandez du renfort. Bon, cela change la donne tout ça, pense Georges en considérant le capharnaüm dans le bureau. La Directrice, les bras ballants, semble dévastée par cette intrusion dans son univers. Derrière lui se trouvent des bureaux qu’il suppose être ceux des secrétaires, encore inoccupés à cette heure.
— Allons, installez-vous là en attendant l’arrivée d’un de mes gars. À quelle heure vos secrétaires arrivent-elles ?
— Une à neuf heures, l’autre à dix.
— Bon, encore cinquante minutes.
Assis l’un en face de l’autre de part et d’autre d’un des bureaux, Georges demande :
— Dites-moi ce que vous savez sur cette Russe.
— Irina ? Eh bien, peu de choses en fait. Je l’ai embauchée l’hiver dernier, en hésitant, elle parlait très mal le français, le comprenait à peine, cela posait des problèmes. Et puis je me suis dit que pour faire le ménage, seule, à des heures décalées, cela pourrait convenir.
— Pourquoi décalées ?
— Elle ne travaille pas en équipe comme les autres femmes de ménage qui ont un cahier de relève sur les tâches à accomplir et des activités croisées avec d’autres équipes.
— Croisées ?
— Les femmes de ménage, au milieu de leur travail, aident les AMP par exemple, à descendre les personnes en fauteuils roulants dans le salon ou à la salle à manger. Elles ont aussi pendant la pause repas des AMP, le bip de l’appel malade.
— D’accord. Les AMP, ce sont les personnes en charge des résidents ?
— Oui, bien sûr excusez-moi, les aides médico-psychologiques.
— Pas de problème. Vous êtes d’origine russe n’est-ce pas ?
— Comment le savez-vous ?
— Mon métier est de deviner ce que l’on ne me dit pas ou que l’on omet de me dire.
— Oui, excusez-moi, je ne pensais pas que cela puisse avoir une moindre importance. Je vous demanderai s’il vous plaît et j’imagine que c’est aussi votre métier de ne le répéter à personne.
— Bien entendu. Mais en contrepartie, vous devez tout me dire, plaisante Georges. Tout est important dans une enquête policière, rajoute-t-il en redevenant plus sérieux. Pourquoi cachez-vous vos origines ?
— C’est une longue histoire.
— Bon, nous verrons ça un peu plus tard. Je vais juste vous demander pour l’instant si d’après vous cela a un lien avec ça, le bureau dévasté. Et avec le meurtre.
— Non. Bien sûr que non.
— Irina connaissait vos origines ? Quelqu’un d’autre dans l’établissement ?
— Non personne.
— Vos proches, votre mari, compagnon, concubin ?
— Personne. Et je vis seule avec mon fils.
— Divorcée ?
— Non. Le père de mon fils est décédé, voilà longtemps, j’ai changé de région, ma famille est en Russie, je ne les vois jamais.
Pendant tout ce temps, la Directrice est restée professionnelle. Soudain, son expression change, elle sourit à présent. Ses yeux étincellent.
— Votre métier a quelques avantages, Commandant. J’imagine que maintenant je suis suspecte à vos yeux.
Elle a appuyé sur le Commandant. Georges reste imperturbable. Toujours sa face de poker. Cette femme est extraordinairement belle et attirante. Troublante. Une part de mystère émane d’elle. Ce n’est pas pour lui déplaire non plus. Le cliché de la belle espionne soviétique. Mais ici dans cette maison de retraite n’existe aucun secret industriel. Un agent dormant ? Bah, balivernes ! Il lui accorde néanmoins un sourire.
— Quelques avantages c’est vrai. Vous savez, tous les proches sont suspects. Pourquoi avoir francisé votre nom ?
Georges l’observe, non sans déplaisir, devant lui se trouve une femme qui pourrait très bien être sur une couverture de magazine, son visage est parfait, son corps aussi. La beauté russe telle que l’on se l’imagine. Le fantasme de l’homme marié, ou pas ! Divorcé et sachant qu’il a un certain charme, un certain attrait sur certaines femmes, bien que se trouvant lui-même tout à fait ordinaire. Mais il s’ébroue mentalement et tente de reprendre le contrôle de ses sens et de l’enquête.
— J’imagine que vous allez enquêter sur moi alors autant vous dire la vérité de suite. Mais sachez que je ne suis pas une espionne soviétique, elle aussi lit dans ses pensées, et que la justice ne me cherche pas. Mon histoire est banale et…
Soudain, une femme en tenue blanche entre en trombe dans le bureau, visiblement affolée, rouge et en sueur.
— Ah Hélène ! boudu ! Oh pardon, euh ! vous êtes le policier sans doute, dit la nouvelle venue en voyant Georges.
— Oui.
Cela sent l’urgence.
— Il y en a une autre, je veux dire une autre, une, comment ? Euh, boudu !
— Calmez-vous, Christine ! dit la Directrice. Respirez, soufflez ! Asseyez-vous et remettez-vous. Voilà. Que se passe-t-il ? Une autre quoi ?
— Morte. Une autre morte !
— Non ! Mais où ça ? Et qui ?
— Tamara.
La Directrice en reste bouche bée, incrédule. Elle cherche le regard du policier, complètement dépassée par les évènements. Cherchant aussi le secours et l’aide du professionnel et de l’homme.
— Une Russe aussi ? demande Georges.
— Oui… euh… pardon non, une Tchétchène, répond-elle dans un souffle.
— Où est la victime ?
— Dans l’issue de secours de ce côté.
L’infirmière lui indique la direction approximative du nord. C’est-à-dire à l’opposé de la première victime, de l’autre côté de l’établissement. Au bord de l’évanouissement, Christine à présent toute pâle se cramponne aux accoudoirs du fauteuil sur lequel elle glisse lentement. Georges rappelle Morin.
— Quand arrivent les renforts ? Bon d’accord. Alors, descendez vite et faites-vous remplacer par José, tant pis pour l’issue de secours, qu’il la ferme, de toute façon on ne peut pas entrer par là.
L’infirmière s’est légèrement reprise, toutefois ses yeux errent dans le vague, sans voir rien ni personne. Georges réfléchit à toute vitesse, deux mortes, toutes les deux Russes, ou non plutôt d’obédience russe pour l’une d’elles, puisque l’ancienne Union soviétique avait imposé sa culture et rendu l’apprentissage du russe obligatoire dans les pays satellites contrôlés d’une main de fer. En premier, savoir quels étaient leurs rapports. Et ceux avec la Directrice. Cela ne peut pas être un hasard.
— Cette deuxième victime ? Depuis quand était-elle dans l’établissement ?
— Eh bien je ne sais plus, plusieurs années, deux ou trois peut-être.
Georges se tourne vers l’infirmière.
— Quelqu’un était-il avec vous lorsque vous avez découvert le corps ?
— J’étais seule, parvient-elle à articuler.
— Est-ce que quelqu’un risque de passer à cet endroit précis à cette heure ?
Elle consulte sa montre pendue à sa poche de poitrine.
— Normalement non, pas avant la pause dans une heure et demie. Enfin si, pardon, certaines vont d’un étage à l’autre puisqu’elles font les toilettes sur plusieurs secteurs. Mais la plupart prennent l’ascenseur.
— Bon, j’y vais tout de suite dans ce cas.
En sortant du bureau précipitamment, Georges aperçoit Morin suivit de Clément se diriger vers lui.
— Ah Morin, venez vite surveiller ces dames, on m’a signalé un autre meurtre. Clément, tu restes ici dans le bureau.
Au pas de course, il prend la direction que lui a désigné l’infirmière. Arrivé devant les doubles portes des issues de secours, ses sens sont en éveil, Georges enregistre dans sa mémoire tout ce qui pourrait être inhabituel dans ces lieux. Très vite, le corps lui fait face, cela ressemble étrangement au premier meurtre. Instantanément, une théorie s’impose dans son crâne, celui-ci pourrait bien être pour couvrir le premier. Brouiller les pistes. En s’approchant de la victime, veillant bien à ne pas marcher dans le sang, Georges constate que c’est aussi effectivement une femme de type slave, mais son visage est quelconque, voire banal, on ne peut voir grand-chose d’autre, des coups de cutter, là aussi manifestement, ont lacérés tous les vêtements, masquant en partie la silhouette et la position du corps. Le meurtrier s’est déchaîné sur la pauvre femme, la violence s’exprime encore davantage sur cette scène de crime. Il saisit son portable et appelle Marion.
— Alors mon bel Italien tu as tranché pour le déjeuner ?
— Non pas du tout. As-tu commencé l’autopsie de la Russe ?
— Bien sûr que non ! L’identité n’est même pas encore passée, je suis toujours sur place, dans l’examen préliminaire !
— Oui, tu as raison, excuse-moi. Nous avons un autre meurtre, identique.
— Bah !
— Je ne plaisante pas. Tu vas devoir rester un peu plus longtemps.
— Bon, je finis ici d’abord.
Georges examine à nouveau les alentours. Pourquoi ce meurtre a-t-il eu lieu aussi dans un escalier d’une issue de secours ? Il prend plusieurs photos avec son smartphone. Les comparent avec celles de l’autre meurtre. L’appareil vibre dans sa main, le numéro du Préfet s’affiche.
— Geo ?
— Mich.
— Comment ça se passe avec Clément ?
Le Préfet Michel Coiffard et lui se connaissent depuis toujours. Issus du même petit village de la campagne lauragaise, ils avaient passé toute leur enfance et adolescence ensemble, puis s’étaient perdus de vue après le Bac.
— Ça se passe bien, il est doux comme un agneau. Tu aurais pu me passer un petit appel. Un texto au minimum.
— Oui, c’est vrai. Désolé. Mais pour tout te dire, Clément n’était pas prévu avec toi, mais dans un commissariat tranquille, quelqu’un a fait une boulette. Je ne l’ai su que ce matin. Mais il était tout excité de passer du temps avec toi.
— Pourquoi ? Comment me connaît-il ?
— Internet.
— Ah bon !
— Merci, Geo, en tout cas. Ce n’est pas toujours facile avec lui.
— J’imagine bien. C’est normal, pas de problème. Cependant, j’en ai un sur une enquête ici, à la maison de retraite de Pin-Muralet. Double meurtre et pas assez d’effectifs. Un type dangereux qui égorge des Russes.
— Des Russes ?
— Oui, des employés. Deux déjà en moins d’une heure.
— Ouh la ! Tu crois qu’il est dans les parages ?
— Trop tôt pour le dire, mais j’ai peur de la panique. J’attends quelques gars, mais pas suffisamment.
— Bon, je m’en occupe rapidos.
— Merci Mich. Je raccroche, je te rappelle dès que possible.
À l’extérieur, par la fenêtre du palier supérieur, juste au-dessus du corps de la Russe, ou plutôt de la Tchétchène, des maisons sont toutes proches, une vingtaine de mètres tout au plus les séparent de l’espace enherbé de la maison de retraite, on distingue une route qui serpente entre les maisons, desservant le lotissement, qui compte quelques dizaines de maisons. Puis des champs derrière jusqu’au lotissement suivant à quelques centaines de mètres. Aucune clôture ne ceint l’établissement, celles des maisons les plus proches ne sont pas hautes, guère plus de quatre-vingts centimètres pour les plus basses, un mètre cinquante maximum pour les plus hautes. À part la maison la plus éloignée qui est entourée d’un mur. Mais un mur, ça se franchit aisément. Un grillage aussi. L’assassin peut avoir laissé son véhicule devant une maison vide, préalablement repérée, enjambé un petit grillage. Ou même mieux, on distingue dans l’angle opposé une murette, haute d’à peine cinquante centimètres, une planchette peinte la surmonte, peut être par la suite il y avait-il un projet de grillage par-dessus. Un jeu d’enfant à franchir. D’autant que la maison paraît vide, son jardin n’est pas entretenu, peut-être est-elle à vendre. Il doit aller voir. En réexaminant la malheureuse victime, sa première impression se confirme peu à peu, c’est un meurtre qui semble prémédité. Quoique cela ressemble à de l’acharnement. Un mari jaloux ? Un amant violent ? Peut-être une vengeance de femme ? Peu probable, mais toujours possible. Et Marion a parlé de mains d’hommes. Préméditation ou pas ? Geste impulsif ? Hum, cela peut avoir été préparé tout de même, le type doit connaître la maison. Des pas feutrés, venant du haut, le tirent de sa réflexion. Il se tord le cou pour essayer de distinguer quelque chose à travers les rambardes de la cage d’escalier, quelqu’un descend sans bruit, avec précaution. À cet instant précis, la porte face à lui s’ouvre. Une femme de couleur, d’origine martiniquaise ou guadeloupéenne, d’une cinquantaine d’années, surprise de se trouver face à lui, pousse un cri d’effroi et lâche le plateau qu’elle tenait entre les mains. Son contenu, un bol en plastique, un verre et des couverts rebondissent dans les escaliers, passent entre ses jambes, le verre finit sa course, miraculeusement intact, sur le corps de la morte. Tous deux ont suivi des yeux la course du verre, machinalement, jusque sur le cadavre. À sa vue, la malheureuse fille des îles pousse un nouveau cri et s’évanouit. Georges l’accompagne au sol pour éviter qu’elle ne se blesse et dévale sur le corps ensanglanté. Dans le même laps de temps, son cerveau a malgré tout enregistré les bruits de pas dans l’escalier venant de l’étage supérieur, ceux-ci se sont interrompus dès l’ouverture de la porte, et remontent à l’instant à toute vitesse. Immédiatement, tous les sens en alerte, il monte et tente d’apercevoir la personne, se tordant le cou vers le haut, parvenant juste à distinguer une silhouette, qui accélère aussitôt en le sentant à ses trousses. Impossible de dire si c’est un homme ou une femme. En arrivant à l’étage supérieur, personne ! Un couloir vide, le long duquel s’alignent des dizaines de portes, très obscur dans sa dernière partie.
Georges reste sans bouger, écoute attentivement. Le suspect ne peut être que derrière l’une des plus proches. Il arrive devant la première. Madame Legrand, indique un petit panneau en couleur, joliment décoré. La porte est bleue, comme toutes celles du couloir, ainsi que les mains courantes, le revêtement du sol et les cadres accrochés au mur. Seul le mur est peint en blanc. Il colle son oreille à la porte, n’entend rien du tout. Premier réflexe, mettre son téléphone sur mode silence, deuxième réflexe, vérifier que son arme est bien accrochée à sa ceinture et prête à servir. Lentement, Georges tourne la poignée et pousse la porte, raté, elle se tire, il engage alors tout doucement sa tête entre le renfoncement du mur et la porte et jette un œil prudent à l’intérieur. À droite, un petit vestibule entre des portes de placard coulissantes, à gauche une porte fermée, la salle de bain sans doute. Appuyé contre le mur de droite, un lit médicalisé, une femme très âgée, inerte, couchée sur le dos, dort paisiblement, sa poitrine se soulève à intervalles réguliers. Tout doucement, il ouvre la porte de la salle de bain. Minuscule et vide. Un recoin à gauche, un coup d’œil prudent. Personne.
Reste la penderie, il l’ouvre brusquement, rien !
Un petit courant d’air lui caresse la nuque. L’origine en est la porte-fenêtre, les volets en plastique sont juste poussés. Un petit balcon fermé par une rambarde métallique se trouve derrière, personne non plus encore une fois, cela aurait été étonnant, il donne sur le lotissement aperçu précédemment par la fenêtre de l’escalier. Coup d’œil circulaire, l’individu aurait-il fui par-là ? Possible. Possible également qu’il soit dans une autre chambre ! Georges saisit son portable, revient dans la chambre, s’enferme dans la salle de bain et rappelle Morin.
— Oui Patron, répond ce dernier immédiatement.
— Les renforts sont-ils arrivés ?
— Non.
— Vous n’avez vu personne passer ?
— Non plus.
— Bon. Montez au deuxième par l’escalier central, celui à côté de l’ascenseur. Prudemment. Quelqu’un s’est enfui dans l’escalier, j’ai perdu sa trace. Peut-être y est-il encore. Vous vous positionnez dans un endroit discret, je ne peux explorer toutes les chambres, mais je vais surveiller de mon côté.
— Bien Patron.
— Laissez ces dames à la garde de Clément, ou le contraire plutôt, nous n’avons pas le choix pour l’instant, surtout qu’il ne vous suive pas. Si c’est notre suspect que j’ai coursé, il est dangereux.
— Bien compris.
Une idée lui traverse l’esprit et il revient sur la mini terrasse, Georges se dit alors que le type est peut-être passé par le balcon en se pendant à la rambarde tout en se laissant tomber sur celui du premier. Ne pouvant se démultiplier, décidé à surveiller le couloir, le temps que les secours arrivent. Tout en se disant qu’avec seulement Morin et lui et le nombre d’issues, le type va sûrement se faire la malle tranquillement. Un cri retentit. De l’étage en dessous. En redescendant les escaliers quatre à quatre, la fille des îles est toujours dans les vapes, Georges saute par-dessus le corps de la Tchétchène. Je suis en train de saboter moi-même la scène du crime, et je vais encore foutre les jetons à une des gonzesses ! En franchissant à peine la porte du premier étage, un nouveau cri se fait entendre.
Bon sang de bon sang ! Il va nous falloir un convoi mortuaire bientôt !
Provenant d’une chambre, le cri retentit à nouveau, la troisième à sa droite alors qu’il surgit dans le couloir du premier étage. Georges y entre en trombe, deux femmes sont en train de procéder à la toilette d’une personne âgée allongée nue sur son lit. Elles le regardent avec circonspection, puis avec irritation.
— Vous pourriez frapper à la porte avant d’entrer Monsieur, l’apostrophe l’une d’elles.
— Je vous prie de m’excuser Mesdames. Je suis le Commandant Rigacci de la PJ de Toulouse. J’ai entendu crier et comme je suis à la recherche d’un suspect, j’ai fait au plus vite.
— Un suspect ? ! Qu’est-ce que vous nous chantez la ? C’est une maison de retraite ici !
— Mais je le sais bien. Bon, a priori vous n’êtes pas au courant du meurtre, des meurtres plutôt, qui viennent d’être commis dans l’établissement.
— Si c’est une plaisanterie elle est de…
— Ce n’est pas une plaisanterie, l’interrompt Georges sèchement. Il leur montre sa carte de police. Qui a crié ici il y a quelques secondes à peine ?
— Ah ! c’est Madame Laplace, et de désigner la résidente couchée sur le lit, qu’elles ont à présent pudiquement recouvert d’un drap.
— Un meurtre ? demande timidement la plus jeune des deux, elle paraît juste sortie de l’école.
— Irina la femme de ménage. Et il y a quelques minutes une certaine Tamara. Alors, n’empruntez pas les escaliers, passez par l’ascenseur central quand vous descendrez. Des renforts de police vont arriver d’ici peu.
Laissant là les deux femmes atterrées et terrorisées, il quitte la chambre, non sans avoir examiné la salle de bain et la penderie avant de sortir.
— Et attendez, ne nous laissez pas seules !
— Je n’ai pas le choix, Mesdames, désolé. Il y a un policier au bout du couloir du deuxième et un autre au secrétariat. Et je ne serai pas loin.
Il revient au pas de course auprès de la seconde victime lorsque son téléphone vibre au fond de sa poche, il consulte l’écran. C’est Morin.
— Allo, Patron, les gars sont arrivés. Quels sont vos ordres ?
— Faites surveiller toutes les issues, personne ne sort. Envoyez-moi quelques gars ici et dispatchez le reste dans tout l’établissement. Tous les employés doivent passer par les ascenseurs. Les escaliers sont interdits. Qu’ils contrôlent toutes les allées et venues, tout doit être consigné. Appelez-moi pour tout le reste.
Espérons qu’il ne m’appelle pas pour tout et rien, se dit-il. Et il pense brusquement aussi que Michel a tenu sa promesse et ce n’est déjà pas mal.
La femme des îles est revenue à elle, mais vacille sur ses jambes et son regard est flou. À cet instant, un policier surgit dans l’escalier.
— Vous tombez bien. Conduisez cette personne au secrétariat et vous revenez tout de suite empêcher quiconque de passer. J’attends votre retour, faites au plus vite.
Le policier revenu, les escaliers étant surveillés et les scènes de crimes protégées, il décide d’aller jeter un œil à l’extérieur sous le balcon du premier.
Aucune trace n’est visible, en cette saison l’herbe étant très sèche. Pareil pour la clôture de la maison inoccupée. La haie est touffue et très haute, depuis le niveau du sol on ne voit rien. Beaucoup de personnes, vraisemblablement, empruntent ce passage. Sans doute les jeunes du coin, se dit-il. De nombreuses cannettes de soda, bières, bouteilles en plastique vides, des emballages de friandises, biscuits et autres paquets de cigarettes, des centaines de mégots et tout un tas d’autres déchets de la société de consommation, jonchent le sol juste derrière un petit bout de haie. Comme devant l’abribus juste devant le lycée non loin de là. Juste à deux pas d’une poubelle qui plus est.
« Les usines de tris et leurs employés n’ont pas de soucis à se faire pour leur avenir.
Sont dégueu ces jeunes, ils n’en ont vraiment rien à foutre de rien, à part penser à leur petit plaisir personnel. Fumer, boire et bouffer des trucs tout gras et des sucreries, une génération qui fera fonctionner les labos pharmaceutiques à plein rendement.
Vu le tour de taille de certains d’entre eux, de bons cobayes en perspectives ».
Souvent, ses enfants lui avaient reproché son intransigeance par le passé pour ce genre de choses, que certains de ses contemporains méprisaient ou ignoraient. Maintenant, c’étaient des adultes respectueux, responsables, sensibilisés à l’environnement, l’un d’eux l’avait même félicité de sa ténacité il y avait peu. Il en était fier, une de ses réussites, il n’y en avait pas eu tant que ça, et heureux d’avoir transmis certaines valeurs.
En revenant, il ne remarqua rien de particulier, l’enceinte et les abords de la maison de retraite étant eux irréprochables d’ordre et de propreté.
Peu à peu, des véhicules s’ajoutent sur le parking réservé au personnel, filtrés et contrôlés par la police. Beaucoup de femmes. Et deux hommes, arrivés à quelques minutes d’intervalle, qui se serrent la main et se dirigent en devisant tranquillement vers l’entrée du personnel. Sûrement les gars de la maintenance. Pas mal d’interrogatoires en perspectives. Ces gars-là doivent utiliser des cutters, intéressant de leur demander tout de suite.
— Bonjour Messieurs. Vous êtes chargés de la maintenance ou de l’entretien peut-être ?
Les deux hommes se retournent alors qu’ils s’apprêtaient à entrer dans les locaux.
— Oui les deux, répond le plus jeune en souriant. Un homme d’une quarantaine d’années, plutôt grand et élancé.
Une allure de sportif, se dit Georges. L’autre, nettement plus âgé, plus ordinaire, petit et ventripotent, d’aspect négligé, sale même, des vêtements usés et crasseux, le regarde avec une certaine curiosité mêlée d’hostilité.
— Qu’est-ce vous voulez, lui demande-t-il en découvrant des chicots noirâtres et une haleine pestilentielle, tel Jacquouille la fripouille dans Les Visiteurs.
— Vous devez certainement savoir que deux personnes ont été assassinées ce matin ici même.
— Bah ! s’exclame-t-il ironiquement, alors que Georges a mis une distance de sécurité sanitaire, sous l’œil amusé du grand sportif.
C’est une caricature, ce type, ce n’est pas possible !
— Eh bien si ! Je suis le Commandant Rigacci de la Police judiciaire de Toulouse, dit-il tout en montrant sa carte bleu-blanc-rouge. Puis-je connaître vos identités respectives s’il vous plaît ?
Le petit gros, pris de court, le dévisage à travers ses grosses lunettes de myope. Georges, pris d’une certaine commisération pour un physique aussi ingrat, se dit que certains n’ont pas la même chance au départ dans la vie.
— Ah, c’est pour ça tous ces policiers ! s’exclame le plus jeune.
— Qui a été tué ? lui demande abruptement l’autre.
— Deux femmes. Je vous en dirai plus tout à l’heure, je vais organiser une réunion avec tout le personnel.
— On n’a pas le temps, on a plein de choses à faire aujourd’hui, lui rétorque le gros d’un ton peu amène.
— Eh bien vous le ferez plus tard, lui rétorque-t-il froidement. Alors, j’attends votre nom.
Quelque peu désarçonné, l’homme ne répond pas.
Antipathique en plus de ressembler à un SDF.
— Jean-Pierre Gilbert, dit le plus jeune.
— Et… dit Georges en fixant le gros dégueulasse avec beaucoup moins de pitié cette fois-ci.
— Francis… Francis Bordato.
Eh bien, il ne rehausse pas la catégorie de ceux qui sont d’origines italiennes, celui-ci ! Bon un peu de professionnalisme Geo ! Ne te laisse pas envahir par ton arrogance naturelle !
— Bien, merci, Messieurs. Je voudrais savoir si vous avez utilisé un cutter ces derniers temps dans l’établissement ?
Les deux se regardent, étonnés, cherchant une réponse.
— Non, répond Francis sèchement.
— Moi non plus, pas depuis quelques jours, dit Jean-Pierre
— Vous avez un local, je suppose, pour ranger vos outils.
— Oui, un atelier au premier étage, répond encore Jean-Pierre, l’autre s’étant enfermé dans un silence hostile.
— Fermé à clef ?
— Le soir, nous le fermons oui, dit Jean-Pierre. C’est le contraire de son collègue, enjoué et sympathique. La journée, il y a juste une chaîne de sécurité. Une simple chaînette en haut de la porte suffit à les empêcher de pénétrer dans l’atelier lorsque nous n’y sommes pas.
— C’est-à-dire ?
— Eh bien certains résidents, surtout au premier, sont séniles, ou déments, ou les deux à la fois et ils ne savent plus vraiment où ils sont et presque toutes les portes de service ont une chaînette.
— D’accord. Je vous suis, passez devant, nous allons dans votre atelier.
Francis semble se désintéresser de la conversation et paraît fortement ennuyé par la demande.
Il traîne les pieds et avance si lentement en se dandinant comme un ours, qu’il finit par exaspérer Georges. Alors qu’ils traversent l’établissement, passant devant les cuisines, il disparaît complètement, en une fraction de seconde. Georges revient en arrière, le trouve après quelques minutes de recherches dans la réserve alimentaire en train de manger des gâteaux.
— Vous pourriez me suivre, s’il vous plaît ?
L’homme ne répond même pas, ignorant totalement Georges, le bousculant presque en apercevant une cuisinière au travail, il se dirige vers elle en l’interpellant d’une voix forte.
— Eh Gene ! Tu me mettras de la viande pour les chiens dans un plat.
— Mais oui comme d’habitude, répond-elle d’une voix agacée.
Georges commence à perdre patience, mais fait preuve de bonne volonté, une dernière fois il lui dit :
— Allons dépêchez-vous !
De mauvaise grâce, il s’engage dans le couloir. En passant devant un collègue en uniforme, les deux hommes se connaissent bien, ayant effectué de nombreuses enquêtes ensemble, Georges lui fait un petit signe discret afin qu’il surveille Francis de plus près. Ce dernier acquiesce d’un infime mouvement de tête, connaissant bien ses méthodes. Arrivés au bout du couloir, ils doivent attendre Francis qui prend son temps et s’arrête pour regarder dans tous les coins, traînant les pieds délibérément.
Jean Pierre remarque l’irritation grandissante du policier et tente de plaider la cause de son collègue.
— Il est presque à la retraite alors il se fout de tout.
— Damien, mettez-moi ce type au frais ! dit Georges en changeant d’avis, il désigne Francis au policier en faction devant l’entrée principale.
— Eh, je n’ai rien fait, s’exclame le gros, vous n’avez pas le droit !
— Si, vous retardez volontairement une enquête de police. Ça suffit amplement. Pour l’instant. Peut-être trouverons-nous autre chose entretemps.
— C’est de l’abus de pouvoir !