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« Le passé simple n’existe pas. Il n’y a que du passé compliqué », disait une enfant réfugiée venue apprendre le français. Dans sa langue, le futur était absent, mais elle le compensait par un espoir inébranlable. C’est parmi ces êtres marginalisés, fréquemment ignorés, que réside l’essentiel, là où nous ne percevons que des failles et du vide. Ceux qui n’ont qu’un passé lourd et un avenir incertain – réfugiés, migrants, personnes en situation de handicap – détiennent des vérités profondes. Ils nous offrent une perspective nouvelle sur ce qui mérite réellement d’être vu et compris. Porteurs d’une sagesse souvent négligée, ils nous invitent à réfléchir autrement et à réévaluer ce qui compte véritablement.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Goûtant autant la profondeur de la solitude que celle des rencontres,
Jean-François Debargue témoigne de l’essentiel des presque-riens, de cette marginalité côtoyée, de cette richesse négligée, voire bafouée. Berger transhumant, paysan en élevage ovin et humanitaire, il observe, accompagne et écrit pour révéler ce sens enfoui dans nos failles, comme une promesse d’espérance, tel un arbre surgissant du cri des pierres.
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Seitenzahl: 163
Veröffentlichungsjahr: 2025
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Jean-François Debargue
Occupation des failles
et du presque rien
Nouvelles
© Lys Bleu Éditions – Jean-François Debargue
ISBN : 979-10-422-5409-4
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Du même auteur
– Journal d’un camp sahraoui – Le cri des pierres, Éditions Karthala, 2011.
Préface
La première fois que je l’ai vraiment rencontré, il revenait d’une mission à Tamanrasset. Le but de son voyage avait été de visiter les migrants subsahariens dans cette ville de l’extrême sud algérien. Si je parle de vraie rencontre, c’est qu’elle sortait de la banalité. La façon dont il me parla de ces hommes et de ces femmes en migration à l’autre bout du Diocèse dont j’avais la charge m’a marqué au point que je m’en souviens encore après plusieurs années. Je le sentais habité par une empathie et une attention peu communes. Engagé dans le service de la Caritas à Alger, il allait aussi soutenir, dans un autre cadre, des projets de jardins familiaux dans les camps sahraouis, à l’autre extrémité sud du Sahara, dans la région de Tindouf. Cette première rencontre a été suivie de quelques autres, jusqu’au jour où il a été contraint, la mort dans l’âme, de quitter ce travail. Je sais que la raison profonde de ce départ était en rapport avec son grand souci des personnes en détresse qui lui étaient confiées.
Plus tard, j’ai eu le plaisir de l’accueillir comme assistant chargé de l’économat diocésain. Je m’étais trouvé dépourvu de cette aide si précieuse pour le suivi économique et humanitaire d’un Diocèse grand comme quatre fois la France et où un certain nombre de projets humanitaires étaient en cours. En quelques heures, il avait répondu présent à mon appel. Ce que je lui dois n’est pas mesurable en lignes d’écriture ! Il a relevé le défi d’un travail de comptabilité et de suivi financier qui n’étaient sans doute pas son verre de thé, il était plus à l’aise sur le terrain, et l’a toujours prouvé. Mais il s’est attelé à la tâche et l’a menée à bien ! Heureusement, il a pu encore assurer le suivi des projets de jardins sur les Camps de Tindouf. Son regard sur ces exilés de la Terre en dit long sur son souci des pauvres, des sans-terre et des migrants.
Jean-François n’est pas un homme à parler de lui-même, c’est à lui que je veux rendre hommage, et je commencerai par-là, même si sa modestie doit en souffrir. Son parcours d’existence est pluriel, au fil de nos entretiens à bâtons rompus, j’ai pu mesurer l’ampleur et surtout la profondeur de ses qualités humaines et spirituelles. Les pages qui vont défiler sous vos yeux laissent percevoir un homme modeste, presque effacé, au regard affiné, celui qu’il a dû acquérir au rythme des saisons de son enfance. Ayant choisi d’être paysan, il est homme de la Terre, le devenant encore plus pour ceux qui sont privés de la leur. Vous le découvrirez. Avant de s’engager au-delà de son horizon natal, il a été entre autres berger, puis paysan. Cette première profession l’a exercé à la solitude, au regard aigu sur la condition de la nature et de l’humanité. Sa sollicitude pour un troupeau a nourri sa sensibilité profonde pour la condition humaine. Je ne sais pas par quel hasard (mais le hasard existe-t-il ?) il en est arrivé à travailler dans les camps sahraouis, sans doute à cause de ses compétences agricoles, mais pas seulement… Cela aussi, vous le découvrirez. Des exilés du Sahara occidental, il a non seulement épousé la cause, mais endossé la dure condition de vivre au cours de missions qu’il trouvait toujours trop brèves. L’injustice qui leur est faite est trop criante pour être pudiquement cachée. Avec des accents de poète de l’exil, Jean-François nous fait entrer dans la souffrance et l’espérance de ce peuple à qui l’on a voulu enlever non seulement la terre, mais l’identité humaine. Les paragraphes écrits à votre attention nous en décrivent les moindres contours, avec un regard de voyant. Il va jusque dans les détails de la vie de ce peuple qui n’a rien perdu de la dignité qu’une puissance avide a voulu lui enlever sous des apparences de légalité.
Vous entrerez dans la vie quotidienne de ces exilés soumis à des conditions climatiques rigoureuses, par le froid des nuits d’hiver, la chaleur torride des journées et d’été, l’enfer des vents de sable. Vous partagerez l’existence de ce peuple à travers les gestes quotidiens de la femme qui fait religieusement le thé, de celle qui prépare le maigre repas du jour pour des enfants figés dans leur âge, à travers le silence des hommes contraints au non-travail forcé, à travers le regard des vieillards qui vagabondent dans un désert qui leur est fermé. Mais aussi, vous apprendrez la valeur inestimable de l’eau, tellement indispensable à la vie et qui devient un enjeu pour notre Planète : elle enchaîne tellement de guerres, de violence et de mort. Son absence est plus mortelle que les catastrophes qu’elle peut engendrer par son excès. Sur les camps, elle est plus que nécessaire. Même polluée, elle est vitale. Jean-François vous emmènera à l’écart dans la solitude des longues étendues de dunes ou celle plus abrupte des montagnes du Hoggar. Et là, il vous parlera du silence, de la beauté à la fois séduisante et terrifiante d’une nature hostile et séductrice à la fois. Il vous plongera au cœur de l’humanité blessée, de l’enfant né handicapé faute de soins à la vieille femme dont les yeux ont cessé de voir pour avoir trop pleuré. Mais il vous parlera aussi d’espérance et d’avenir, à mots couverts. D’une espérance habillée d’humilité, car regarder vers l’avenir, c’est échapper à une histoire inscrite dans l’injustice : « Le passé simple n’existe pas, nous n’avons que le passé compliqué », lui dit une jeune fille à qui il inculque les dédales de la conjugaison française. Et il écrira plus loin : « Si le passé est compliqué, le futur est conditionnel. » Notre auteur sait jongler avec la langue, mais aussi avec les étoiles. La danse des mots, mélangée de rêves et du difficile métier de vivre, nous ouvre un espace infini sur l’âme humaine : « Le désert est une carrière-prison à ciel ouvert sous la ronde des astres… »
Vous dégusterez ces pages à la façon dont on boit les trois verres de thé, car on goûte à la vie aussi modestement que l’on savoure cette boisson devenue presque mythique :
Le premier thé est amer comme la vie.
Le deuxième thé est doux comme l’amour.
Le troisième thé est suave comme la mort.
La vie, l’amour, la mort… ces textes en portent la marque. Merci à l’auteur de nous les offrir, ils nous seront d’un bel appui pour nous redire que l’essentiel est dans les détails de la vie.
Claude Rault
Évêque émérite du Sahara algérien
Prologue
« Le passé simple n’existe pas. Il n’y a que du passé compliqué », me disait une enfant réfugiée venue prendre des cours de français.
Je voulais faire entrer ces textes dans le même livre. Comme on pousse des gens dans un train, vers une destination inconnue, vous. On se croit d’abord chacun le fruit d’une erreur, on s’interroge légitimement, on n’a rien à voir avec les autres. Puis on s’interpelle mutuellement, on finit par se trouver des points communs, et, peu à peu, une forme improbable d’unité. Au point de ne pas vouloir se quitter, descendus sur le quai de la gare.
Aux marges du monde, les plus abandonnés, les plus petits d’entre nous, continuent d’éprouver pour un présent fragile et l’espoir d’un temps futur : L’occupation des failles et du presque rien.
Camps sahraouis
Balayer
Chaque matin, immuablement, avant même de souffler sur les braises pour préparer le thé, et avant que le soleil n’embrase le désert pour préparer une journée de plus de vie de réfugiée, elle se levait et balayait l’entrée de la tente et la petite courette devant l’unique pièce en brique de sable.
Le vent, la course des enfants ou le pas traînant des vieillards auraient tôt fait d’annihiler cette égalisation, mais chaque matin, elle recommençait, tel Sisyphe balayant les milliers de grains d’un rocher érodé.
Comme tout prisonnier à qui il reste un peu d’espoir, elle, et bien d’autres, avaient besoin de ritualiser ce qui pouvait sembler bien inutile. Cette forme de combat dérisoire sur l’échelle de l’espoir était certes bien inférieure à l’entretien des armes des premières années, mais elle témoignait encore d’une étincelle présente.
Se battre inlassablement contre le vent pendant toutes ces années d’exil, qu’était-ce face à l’occupation millénaire de ce dictateur soufflant sur la surface de son empire, le désert ?
Si ce n’est la même lutte que celle à mener contre un colonisateur, pour lui montrer, à chaque aube, qu’on est encore et toujours là ?
Cela ne représentait rien à l’échelle de la surface du désert, cela ne représentait rien à l’échelle du temps. Mais demande-t-on à l’espoir de s’étalonner ? Il est ou il n’est plus. « Tant qu’il en reste », dit la sagesse populaire, teintée de fatalisme. Alors chaque matin, pour garder la raison, à travers un geste qui permettait d’en douter, elle balayait sa petite surface de désert, à la périphérie de ses seuls biens, une tente nomade et une pièce en banko, comblant de ses gestes de rien les failles que sont les jours d’une vie d’exilée.
Ne pas cesser la lutte, même dérisoire. Entretenir l’espoir en soi et s’attendre à l’entendre s’annoncer et s’avancer sous son apparence nomade, sur l’aire balayée.
Chaleur
À leur invitation insistante, je me suis forcé à reprendre dans notre plat commun quelques boulettes de riz brûlant. Puis comme un dessert, le troisième verre de thé vient fermer la principale parenthèse culinaire de la journée. À la fois rince-doigts et rince-bouche, le « marcel » de plastique bleu circule de l’un à l’autre, dans un discret clapotis d’eau. Chacun retrouve alors un coussin plié en deux ou son chèche roulé en boule et s’éloignant des murs de briques de sable, s’allonge au milieu de la pièce, au croisement imaginaire de deux fenêtres, dans l’espoir tout aussi imaginaire et rafraîchissant d’un courant d’air. Ces précautions instinctives ne permettent pas d’avoir moins chaud, elles évitent seulement d’ajouter quelques degrés de plus, là où il n’en ait plus besoin. Une bouteille d’eau emmaillotée de toile humide est glissée dans les plis d’une couverture, Graal perdu au milieu d’un champ de bataille. On sait qu’elle est là, c’est suffisant. Je sais déjà que pour boire, il faudra prendre la décision de bouger, que cette décision sera l’objet d’une sourde négociation entre un esprit qui veut encore se battre et un corps qui renonce. Je sais aussi que boire quelques gorgées provoquera aussitôt une suée dont l’unique intérêt sera d’offrir pendant quelques secondes une impression de fraîcheur si, et uniquement si, un souffle d’air vient à ce moment précis à m’envelopper. De sa capture buccale à sa fuite poreuse, je peux suivre le trajet de l’eau, trop précieuse en ces circonstances pour aller se stocker en quelque lieu de rétention. L’urgence, dans sa préciosité, ne se stocke pas. Il y a dans la vraie soif une notion d’immédiateté. Mais pendant les quatre à cinq heures à venir, quelque chose en moi se refuse à boire, comme si résister me rendait maître de la situation dans cette torpeur qui m’envahit. On reste là, à tourner sur le sol comme des pains dans un four de terre, à tomber de micro-sommeils en micro-réveils, dans un silence lui-même si comprimé par la chaleur qu’il en devient d’autant plus étrange et inquiétant, en pleine journée. Au bout de quelques heures, le repli de mon coude, fripé et ayant perdu son élasticité, m’alerte et me pousse enfin à boire quelques gorgées. Ne m’effleure même pas l’absence de potabilité de l’eau du camp. Je sais qu’elle ne répond pas aux normes de consommation animale dans les pays dits riches. Une responsable de la wilaya me l’a confirmé le jour où les camions d’approvisionnement ont dû doubler leur rotation pour subvenir à la consommation estivale. On allait donc distribuer deux fois plus d’eau impropre à la consommation pour satisfaire cette part de besoins primaires. Ce qui inquiète les services vétérinaires de certains pays inquiète ici les quelques médecins et infirmières sahraouis, abandonnés par l’aide médicale (principalement espagnole) pendant l’été. Je ne tiens pas à me distinguer de mes amis en ayant ma bouteille d’eau personnelle, du commerce. J’ai la chance de n’être pas plus cliniquement malade qu’eux en buvant l’eau impropre, salée, rouillée et sablée des camps. Mais être né dans les camps ou y avoir vécu quelques décennies et d’en avoir bu l’eau provoque chroniquement d’autres séquelles, du fait de ses propriétés anorexigènes ou de ses effets thyroïdiens… Quand on a vraiment soif, on ne s’arrête pas à ces réflexions. Le vrai problème est que ceux qui n’ont pas soif d’eau ou d’attentions ne s’y arrêtent pas non plus. Le jugement altéré des puissants ne désaltère pas les oubliés.
Nous sommes cinq dans cette pièce, dont un bébé complètement recouvert d’un tissu. Parfois, pour n’avoir pas vu le moindre mouvement, il m’est arrivé de soulever le voile comme on le ferait d’un linceul. Nous sommes des milliers dans ces camps à être recroquevillés dans une manifestation géante que le monde ignore. Nous sommes des milliers dans ces cercles de silence spontanés en plein désert. Et nous sommes pourtant si seuls, chacun avec sa bouche sèche, sa salive déposée en pâte au palais ou sur l’émail des dents, ses mouches venant au coin des yeux ou des lèvres comme sur la margelle d’un puits à sec. Si nombreux et si seuls au bord de cette torpeur, comme si dans un instinct de survie, chacun devait laisser croire à la mort qui passe qu’il l’est déjà et qu’il n’est pas besoin du coup de grâce. Si nombreux et si seuls à répondre à cet appel au calme en nous-mêmes lancé par ce souffle si chaud qu’on le croirait sorti d’un four. Autant la chaleur peut sembler acceptable, autant l’air brûlant ne semble pas naturel. La chaleur est dans son rôle, aussi paroxystique soit-il. Le souffle d’air et parfois le vent en bourrasques semblent avoir trahi leur mission de fraîcheur ou d’atténuation de fortes chaleurs. Ils sont passés à l’ennemi. L’humidité relative annuelle inférieure à 20 % peut descendre jusqu’à 5 % pendant l’été. 10 % d’hygrométrie, 49° à l’ombre (rajoutez une dizaine au soleil), auxquels il faut ajouter l’effet déshydratant du vent, voilà pour les chiffres. Mais ni les chiffres ni les mots ne pourront jamais traduire l’effet ressenti de cette sensation éprouvante alors que j’ai la chance d’être en bonne santé et de ne passer qu’une partie de mon temps ici. Notre corps a une aptitude à oublier l’épreuve ou la souffrance, au mieux notre esprit a la capacité de l’approcher en imagination, et le témoignage n’en est qu’un si terne reflet… Comment concevoir alors ce que peut ressentir un nouveau-né, un vieillard, un malade ou une personne ayant simplement du mal à supporter la chaleur lorsque pendant plusieurs mois la température diurne avoisine 50 à 60° et la nocturne les 30° ? Comment raconter ces longues heures perdues où le maton solaire vous exhorte à rester confiné en position couchée ou assise dans l’ombre d’un mur ou d’une tente. Comment expliquer le corps qui se met en veille et l’esprit qui s’évade, deux seuls moyens de pouvoir s’adapter.
Nous avons tous eu chaud ou soif à un instant de notre vie. Nous en avons souffert, plus ou moins longtemps, plus ou moins intensément. Ces instants ont pu être oubliés ou nous sont restés simplement en mémoire. Ici, dans les camps, la chaleur et la soif font plus que s’inscrire dans les mémoires. Elles s’inscrivent dans les corps, dans l’affaiblissement, dans la maladie et parfois même dans la folie. Comme l’injustice, elles poussent chacun dans ses limites. Quels crimes ont commis ces enfants, ces femmes, ces hommes, ces vieillards pour mériter d’endurer depuis plus de 40 ans ces conditions ?
Faudra-t-il un jour leur demander comment survivre, lorsque notre folie mondialiste et destructrice amènera les générations à venir à vivre ces conditions, parce que nous n’aurons pas su respecter les droits humains et notre environnement ? Et je n’ai fait qu’évoquer la chaleur et la soif, en faisant appel aux souvenirs de chacun. J’aurais pu faire de même en évoquant la faim, la malnutrition, la maladie, l’ennui, l’absence de perspectives et d’espoir qui nous ont également tous touchés un jour et qui les touchent, eux, tous les jours.
Jamais les Sahraouis ne laisseront un inconnu sans l’ombre bienfaitrice de l’hospitalité, sans l’offrande d’un bol de lait coupé d’eau ou des trois verres de thé traditionnels. Que leur offrons-nous en retour ?
Le quatrième thé de Tfarah
Juste au-dessus de sa tente, symboliquement, le soleil rendait les armes. À distance, je commençais les salutations d’usage. De l’intérieur, sa voix répondit aussitôt, nuancée d’une intonation signifiant qu’elle m’avait reconnue. Sans lui avoir jamais serré ou effleuré la main, nous nous saluâmes avec cette réserve complice qui valait toutes les embrassades. Il est des êtres dont la capacité de retenue suggère bien plus que toutes les formes d’expression. Tfarah est de ceux-là. Je l’ai trouvée amaigrie. L’opération une fois de plus était reportée, ses résultats d’examens n’étant pas bons.
Premier enfant perdu. Santé perdue. Travail perdu. Pays perdu. Tfarah a tout perdu. Tout ce qui représentait l’avenir, elle l’a un court instant bercé, soigné, enseigné, visité…, si peu, mais si intensément espéré. Puis tout ce qui a été tendu a été retiré ! Seule dans sa tente où sont juste empilés quelques couvertures et quelques livres, elle attend, malade, le retour de son mari, travaillant toute la semaine dans un autre camp. Elle s’excuse et sort quelques minutes pour préparer les braises pour le thé, ramener quelques dattes et une petite cruche de gouffia, un peu de farine de maïs difficilement diluée dans l’eau. Elle s’intéresse à ma famille et à mes amis, demande des nouvelles de chacun, reprend la conversation où nous l’avions laissée, il y a quelques mois lors de ma dernière visite, s’excuse de n’avoir pas plus progressé en français, faute de pratique.