Erhalten Sie Zugang zu diesem und mehr als 300000 Büchern ab EUR 5,99 monatlich.
Osberan est une planète perdue au fin fond de l’Univers.
Malerine, jeune femme âgée de vingt ans, vit à Polaris, un petit village isolé dans une région froide et inhospitalière.
Rejetée par les autres habitants, elle ignore tout de son passé. Un jour, des événements tragiques font basculer son univers, l’obligeant à partir à la recherche de ses origines. Seulement, elle est loin d’imaginer tous les dangers qu’elle devra affronter afin de survivre dans cet environnement hostile.
Quels mystères entourent Osberan ? Quels secrets se cachent derrière l’enfance mystérieuse de Malerine ? Parviendra-t-elle à aller au bout de cette quête périlleuse ?
À PROPOS DE L'AUTEUR
Antoine Joseph
Richard est né en 1980. Fasciné depuis sa plus tendre enfance par l’espace et les étoiles, il devient ingénieur mécanicien pour combler sa passion.
En 2006, il se lance dans la rédaction de "Osberan : Paradis infernal", son premier roman de science-fiction, qu’il publie aujourd’hui.
Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:
Seitenzahl: 419
Veröffentlichungsjahr: 2025
Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:
AJ Richard
Osberan Paradis Infernal
Tome 1
Dans vos mains, vous tenez le tome 1 de plusieurs années de travail et de réflexion, mais aussi l’expression de ma volonté d’écrire une histoire dans un univers qui m’ait cher.
J’avais envie de mélanger les genres. Un peu de science-fiction pour s’évader, et d’héroïque fantaisie pour revivre à l’ère des épées des lances. Et laisser libre cours à mon imagination pour produire des créatures autant merveilleuses que dangereuses.
Restait à développer mon récit. Je voulais évoluer aux côtés de mes personnages dans un monde exigeant et beau, et en même temps progresser dans cette époque des grandes découvertes pour la science qui courrait de la fin du moyen âge jusqu’aux temps modernes. Une ère de défis et de dépassement desoi.
Pour que cela puisse être encore plus intéressant, je me suis interdit l’utilisation de la magie, mais aussi des technologies dont auraient pu hériter mes héros et qui auraient permis de tout résoudre d’un claquement de doigts. J’ai donc créé Osberan, une planète tournant autour d’un système double, ayant pour particularité de réagir à presque toutes les manifestations de l’ingénierie actuelle avec fureur.
Suis-je en train de vous proposer de lire un énième livre dans lequel mon monde est doté d’une conscience propre ? Eh bien non, à cette interrogation, je peux tout de suite vous le dire, ce n’est pas cela. La réponse viendra peu à peu.
Avant cela, j’aimerais remercier ceux qui m’ont permis de finaliser ce travail.
À ceux qui m’ont soutenu moralement :
Ma famille, bien sûr, mes parents, ma femme et mes filles ! Grâce à qui j’ai pu gravir chaque marche de ce projet. Qui ont dû faire avec ce que je suis, et qui ont dû m’écouter lorsque je les sollicitais régulièrement pour tant de choses.
À mon parrain qui a pris le temps de lire moult fois pour corriger mon texte, pour l’ajuster,etc.
Merci aussi pour le soutien financier lors de ma recherche defond.
Merci doncà :
–Christelle Bohu.
Mes cousins et ma belle famille
–Famille Moreaux.
–Famille Du Mesnil.
–Famille Sanson-MarcelinGros.
–Famille Degeilh.
Mes parents directs
–Mon frère.
–Famille Richard-Dubois.
Et ceux qui se sont proposés, amis, collègues etautre
–John Picard.
–Nicolas Bogaert.
–Patrick Lefort.
–Corine Guyot Sailly.
–Bernard Pabion.
–Élodie Gonzalez.
–Pierre Fermon.
Et merci à Philippe Donn Punta Ballena, Departamento de Maldonado ; Uruguay pour l’image intégrée dans la couverture duT1
En l’an 500 de l’ère d’Osberan, dans un décor glacé et de neige, les prémices de la plus grande épopée de l’histoire de notre occupation débutent.
J’avais vingt ans. J’habitais dans un petit village isolé du nom de Polaris. Mes parents s’étaient lancés quinze ans auparavant dans une aventure qui allait leur faire découvrir les méandres de cette planète aussi belle que dangereuse.
Aiepe, le chef de Polaris, leur avait promis de prendre soin de moi s’il leur arrivait malheur. Depuis leur disparition, il m’avait élevée. Pourvoyant à tous les besoins de l’enfant que j’étais alors, tout en me laissant le choix de rester chez moi. Ce que jefis.
Malgré toute l’attention qu’il me portait, je m’étais toujours sentie seule. J’avais vite compris que les autres villageois ne tenaient pas mes parents en grande estime, leur reprochant une vie fantaisiste. Cette mauvaise réputation a glissé sur moi et m’a poursuivie toute ma jeunesse, comme si j’en étais responsable. Avec le temps, mes voisins les plus proches m’évitaient autant que possible. Ils me regardaient à peine et me traitaient comme un paria, simplement parce que j’avais eu le malheur de m’appeler Guesn.
Je n’avais qu’une amie à cette époque, Ptohely. Elle me manifestait un intérêt sincère et une passion débordante. Elle était plus jeune que moi, elle me rejoignait dès qu’elle le pouvait en se cachant de ses parents qui n’auraient pas aimé la savoir en ma compagnie.
Tout comme je viens de le dire, mes journées se résumaient à vivre dans la maison que mon père et ma mère avaient quitté un matin sans jamais revenir. Une petite bâtisse, un peu à l’écart du village, qui me permettait d’être tranquille, sans crainte d’être épiée ou jugée. Elle était mon unique refuge et le garant de ma solitude. M’enfermer au milieu de ces objets, c’était me cloîtrer dans un passé que j’imaginais sans savoir ce qu’il contenait. Je me surprenais à rêver de cette époque où mes parents étaient là avecmoi.
J’avais souvent songé à quitter cet endroit, mais jamais je ne trouvais la force de franchir le pas. Partir dans l’inconnu, sans repères, n’était pas possible. La nature tout autour était dangereuse, chaque mauvaise décision aurait pu me coûter la vie. Et malgré toute ma solitude, j’avais envie d’avancer.
Régulièrement, je regardais et fixais l’encadrement de cette porte d’entrée dans l’espoir d’y voir apparaître mes parents. Maintenant, cet espoir illusoire me retenait malgré moi. Je savais aussi que cette maison était le seul lien avec mes racines, un lieu mystique qui détenait la clef de leur disparition. Dans les moments de désespoir, je laissais sortir toutes les larmes de tristesse et de colère qui m’étouffaient. Je leur en voulais, mais je les aimais et je refusais de me faire à l’idée qu’ils soient morts.
Nous étions une centaine de personnes à vivre dans mon village. Il se situait dans les confins des landes gelées du Grand Nord d’Osberan, bien au-delà du cercle polaire, ce qui était évidemment synonyme d’interminables nuits glacées. La plus longue s’étalait d’ailleurs sur plusieurs jours selon la conjoncture d’Aleya et Tylonia. Pour ne rien arranger, cette contrée était constamment balayée par des vents tumultueux et humides. La proximité de l’océan aurait pu adoucir les températures. Hélas, ce n’était pas lecas.
L’été n’était pas chaud non plus, bien que les plages de Polaris subissent l’assaut de souffles puissants venant du large et du sud. Fort heureusement, cette faible chaleur était suffisante pour nous permettre de maintenir une activité agricole et de l’élevage.
Mais cela n’allait pas durer. Pour notre plus grand malheur, et sans que nous puissions savoir pourquoi, les années étaient globalement toujours plus froides et plus sèches. Et ce n’est que bien plus tard que j’allais comprendre que notre départ était irrémédiable.
Alors que l’hiver débutait à peine, les récoltes engrangées à l’automne avaient déjà dangereusement diminué. Nous avions constaté avec le temps que nos réserves s’épuisaient de plus en plus vite dans la saison de glace. Aussi, tant qu’elle n’était pas encore trop marquée, nous pouvions chasser, cueillir des champignons et des fruits de givre et pêcher pour compléter nos ressources, mais cette solution n’était que provisoire. Certes, toutes ces activités nous permettaient de ne pas avoir à puiser dans nos stocks, mais cette stratégie pesait davantage sur notre écosystème et menait à la raréfaction du gibier. Le poisson était également bien moins abondant qu’à une époque antérieure. À plusieurs reprises, des équipes étaient parties en quête d’aide, mais n’avaient trouvé que des villages abandonnés. Nous prenions conscience que nous étions les seuls à être restés sur ces terres au climat hostile. Les derniers habitants des landes de glace.
Il faisait froid ce soir-là. Le vent soufflait en provenance du nord en soulevant des nuages de neige fine qui cinglaient le visage. Chaque bourrasque était un supplice. À grands pas, je traversais la place jusqu’à la salle commune, enveloppée d’une simple toge de lin épais qui à chaque instant se chargeait toujours plus de givre. Tout le monde s’y réunissait une fois par mois pour débattre des problèmes d’intendance. Mais ce soir, le sujet du rassemblement avait l’air de créer une certaine tension. Les anciens avaient insisté pour que tous les villageois soient présents ! Et cela leur faisait un peupeur…
J’étais devant le bâtiment, il s’agissait d’une sorte de hutte d’une vingtaine de mètres de diamètre. En y entrant, par la seule porte, je me retrouvais dans l’unique pièce immense et ronde. À l’intérieur, on ressentait immédiatement la chaleur d’un feu réconfortant qui crépitait au centre. Autour, trois personnes, tenant le rôle de cuisinier pour l’occasion, faisaient tourner un Barros au-dessus des flammes. Ces animaux faisaient partie du bétail, nous les élevions pour nous nourrir.
Le Barros était très docile, grand, trapu avec une tête massive dépourvue de corne. Sa mâchoire chaussait deux belles dents qui dépassaient de sa gueule, elles lui permettaient d’arracher les écorces des arbres dont il était friand. Nous nous servions également de sa peau qui nous offrait un cuir très épais. J’observais cette ambiance chaleureuse et vivante, elle était à l’opposé de ce que j’avais traversé pour venir jusqu’ici. Pourtant, au fond de moi, je savais que je n’étais pas intégrée, que je n’en faisais pas partie.
Des villageoises s’affairaient autour de la grande table circulaire entourant l’âtre. Elles y posaient des galettes de céréales et de graines pour agrémenter le souper.
Peu à peu, les convives arrivaient et prenaient place. Les plus jeunes, comme moi, s’asseyaient sur de gigantesques tapis de peau ou s’appuyaient contre les murs, un peu en retrait.
Personnellement, je préférais rester près de la porte d’entrée laissée légèrement entrebâillée, accoudée au montant de la fenêtre pour continuer de scruter l’extérieur. Les flocons dansaient, portés par le vent. Bientôt, la neige recouvrirait et effacerait les traces de pas des derniers arrivants. Cet enfer blanc me faisait peur, mais me fascinait par la quiétude et l’isolement encore plus grands qui s’installaient dans le village. Ce soir, hormis la Maison centrale où régnaient une tiédeur et une lumière chaude, tout était sombre et froid.
Les gens discutaient en petits groupes, essayant de rire et de plaisanter. Les enfants couraient un peu partout, égayant l’atmosphère de leurs jeux insouciants.
Aiepe, le chef, constatant que tout le monde était arrivé, se leva et demanda le calme de sa voix forte. Immédiatement, tous prirent place sur les sièges et les plus jeunes se rassemblèrent sagement dans leur coin. On entendait le grincement des chaises lorsqu’elles bougeaient, des petits se jetant sur les tapis dans un dernier cri comme pour expier le surplus d’énergie avant un moment solennel.
Une fois le silence obtenu, il prit la parole :
–Cette réunion, comme vous le savez, a pour but de faire le point sur notre situation actuelle qui, vous vous en doutez, n’est pas glorieuse. Seulement, elle pourrait rapidement devenir catastrophique si nous ne parvenons pas à trouver de solution. Ces dernières années, le climat ne s’est pas montré clément avec nous. Les étés sont plus courts et donnent des récoltes chaque fois moins importantes.
Il marqua un bref arrêt avant de reprendre en prenant volontairement une voix plus grave :
–Imaginez, nous ne sommes qu’au tout début de l’hiver ! Et déjà, nous avons lourdement entamé nos réserves ! La situation va très rapidement devenir dramatique. J’ai bien peur que nous ne tenions pas longtemps…
Pendant un court instant, il laissa un silence explicite s’installer. Puis il continua son monologue :
–Ce soir, ce que je vous demande, c’est de réfléchir, de trouver des solutions. Toutes les propositions seront les bienvenues.
Les propos d’Aiepe jetèrent un froid dans la grande Maison. Nous osions à peine respirer. Seul le feu ronronnant crépitait. Ils se regardaient tous sans prononcer un mot, ils étaient transis par l’angoisse montante. Elle nous saisissait de l’intérieur. Aucune phrase ne semblait pouvoir s’extraire de nos gorges nouées.
Je me suis avancée, malgré ma timidité, pour prendre la parole. Bien que paralysée par un trac qui m’envahissait devant l’œil accusateur de toutes ces personnes, qui vraisemblablement ne me portaient pas dans leur cœur, je me lançai avec une voix chevrotante :
–Pourquoi restons-nousici ?
Aiepe, surpris par mon intervention, me demanda de clarifier :
–Comment ça ? Où veux-tu en venir ?
Maintenant que la salle entière me regardait, mon stress était à son paroxysme. Le silence était pesant, mais je ne pouvais plus faire marche arrière. D’autant que, pour une fois, ils m’écoutaienttous.
–Nous sommes les derniers à vivre aussi loin dans le nord. Pour quelle raison resterons-nous ici ?
Tous se mirent à me dévisager, avec effroi, comme si j’avais annoncé leur mort prochaine. Je me sentais mal. Pourtant, ma question ne me semblait pas hors de propos.
À l’autre bout de la pièce, Ambdal, le forgeron, se leva. C’était un homme assez âgé, plutôt rustre, ayant peu de sympathie pour moi et m’évitant autant que possible en raison de mes origines. Il n’appréciait guère mes parents. Il regarda tout le monde puis me fixa, l’air furieux :
–Malerine, où veux-tu que nous allions ? Nos ancêtres se sont installés ici il y a plus de deux siècles. Nous avons nos maisons dans ce lieu, nos champs, nos bêtes, nos racines. Es-tu donc si folle ? Tu tiens bien de tes parents, mêmes propos loufoques.Pff !
La force de sa remarque était telle que personne n’osa dire le moindre mot pendant quelques secondes. Une fois l’effet quelque peu estompé, un premier murmure de mécontentement bourdonna à mes oreilles, puis un second et, peu à peu, une agitation générale envahit toute la salle. Je me sentais très mal à l’aise. Pourtant, je pensais être dans mon droit, convaincue que cette idée devait être discutée. J’estimais que notre seul espoir était de partir à la recherche d’un nouvel endroit pour vivre, quand on considérait la situation dans son ensemble. En voyant l’attitude de l’assemblée, ma gêne se transforma en colère. Il faut dire qu’Ambdal avait insulté mes parents et, pire, il faisait toujours preuve d’un mépris qui durait depuis des lustres et ne retombait jamais. Je repris la parole, dans un élan de confiance, je décidai de défendre mon point de vue et mon intégrité. Je haussai le ton et le regardai droit dans les yeux, en le montrant du doigt :
–Je ne te permets pas de salir l’image de mes parents, simplement parce que tu ne les comprenais pas. Moi aussi je fais partie de cette communauté. Mes parents, que tu crois fous, ont laissé des notes avant de disparaître et c’est justement en les lisant que cette idée m’est venue. Parce que, très clairement, ils s’attendaient à cela et qu’à la différence de beaucoup d’entre vous, ils ont anticipé l’inévitable !
D’un air dédaigneux, il rétorqua très ironiquement :
–Alors si tu te mets à feuilleter les textes qu’ils t’ont légués, tu as sûrement la solution, nous sommes sauvés.
Puis il ajouta avec toujours plus de mépris :
–Écoutons donc ce que tu vas nous proposer et disparaissons tout comme tes parents l’ont fait !
J’allais répondre, pleine de rage et de peine, mais un des anciens se leva et abattit son poing sur la grande table, faisant sursauter tout le monde :
–Cessez ces chamailleries ! Toute suggestion est bonne à prendre et pour le moment Malerine est la seule à en avoir fait une. Puisque nous sommes réunis pour en trouver, nous devons tout envisager, sans restriction. Cela inclut le pire ou l’improbable. Et plus aucun jugement tel que tu viens de le faire, Ambdal, ne sera toléré. Est-ce clair ?
Le forgeron me regardait, mécontent, et alors que l’ancien allait répéter, il tourna le dos à l’assemblée en ajoutant :
–Très clair !
Le vieux sage reprit la parole avec fermeté :
–Merci ! Malerine, ton idée semble relever de la folie, je te l’avoue ! Néanmoins, si nous retenons ta proposition, tu nous exposeras ce que tes parents ont trouvé.
Les murmures continuaient de siffler à mes oreilles et cela m’agaçait. Je ne faisais clairement pas l’unanimité, les discussions allaient bon train et un brouhaha s’installa très vite.
Aiepe se leva sèchement de son fauteuil de chef pour exprimer son impatience face à cette agitation. D’un pas colérique, il contourna la table pour se placer devant nous, au milieu de l’assemblée. Il interrompit brutalement toutes les conversations :
–Arrêtez ! Vous savez tous que la situation est dramatique !
Il avait mis tellement de conviction dans son appel que le silence se fit en une seconde, puis il redémarra de plus belle en appuyant sur chaque point :
–Nous n’avons pas le temps pour des disputes et encore moins de prendre en compte des rancœurs d’un autre âge. Nous devons trouver un moyen de nous en sortir et sans attendre. Je pense que vous n’avez pas réalisé l’urgence de la situation. Cessez de vous comporter comme des enfants, avançons unis, main dans la main, c’est notre seule chance de salut !
Aieden, un des anciens du village, se leva alors avec un peu de peine. Il faut dire qu’il était l’un des plus vieux, il devait bien approcher les quatre-vingt-quinze années. Il était très respecté et écouté pour sa sagesse. Il avait un point de vue qu’il ne basait que sur le factuel. Et c’est la raison pour laquelle, lorsqu’il prononçait quelque chose, personne ne le remettait en question dans ses choix. En prenant la parole, il se tourna d’abord vers Aiepe pour lui adresser un signe, ensuite il pivota face à nous tous pour demander calmement :
–Bien, il faut que nous sachions où nous en sommes véritablement. Quel est exactement l’état de nos réserves ? Pourrons-nous tenir jusqu’au printemps ?
Aphal, un homme vieux, mais solidement bâti, représentant les fermiers du village lors des réunions, exprima son point de vue d’une voix grave, sans précipitation et sans ménagement :
–Je ne vais pas tergiverser, nous avons de quoi tenir quelques semaines, tout auplus.
Par manque d’air, il se tut une seconde pour reprendre son souffle, il ajouta :
–Ah ! Et évidemment, c’est en rationnant notre alimentation ! J’insiste aussi sur un point, souhaitons que le froid ne soit pas trop intense. Pour la viande, nous allons devoir compter sur les ressources sauvages. Manger notre bétail serait certes possible, mais cela signifierait puiser dans nos réserves, avec, après cela, la menace de manquer de lait, d’œufs et finalement de tout ce qui est d’origine animale.
–Tu proposes que l’on chasse davantage ? interrogea Aiepe, interloqué. Tu sais bien que nos groupes partent déjà longtemps et bien trop loin, on ne peut réellement pas leur en demander plus sans leur faire prendre des risques incommensurables.
Aphal affirma d’un air désemparé :
–En résumé, il nous faudra beaucoup de chance pour aller jusqu’au printemps. Mais l’année prochaine, avec les conditions climatiques actuelles, nous ne passerons pas l’hiver.
–Bien ! rétorqua Aiepe, dépité. Nous allons donc étudier toutes les possibilités pour quitter cet endroit. Mais pas de précipitation, j’aimerais que nous puissions tenir jusqu’au retour des beaux jours.
Après ces paroles troublantes, un long silence s’installa. Le temps pour nous tous de nous faire à cette éventualité.
Ataline, un jeune bûcheron qui se trouvait au fond de la hutte, s’avança vers le feu d’un pas assuré. S’adressant à l’assemblée, il souhaitait faire part de son avis, de ses doutes, et justifier sa position. Sa réponse me surprit unpeu :
–Un départ est une suggestion possible pour notre survie. Après tout, pour le moment, malgré toutes les railleries que j’entends, c’est la seule proposition qui a été faite. Peut-être y en a-t-il d’autres ! Et je l’espère, mais actuellement ce n’est pas le cas. Pour résumer, il est vrai que ce qui nous entoure n’est que pierres, landes peu fertiles et températures froides la plupart du temps. Cependant, avant de nous précipiter, car j’en vois déjà qui bougonnent, nous allons devoir définir plusieurs choses. Où partons-nous ? Dans quelle direction ? Nous avons tous conscience que la région est dangereuse, nous connaissons ce que nous quittons, mais nous ignorons ce que nous allons trouver !
Ataline se révélait être un excellent orateur, il se tournait vers chacun de nous tout en nous parlant :
–D’autre part, il faut considérer les plus vulnérables du village, comme les enfants et les personnes âgées, ou encore les malades… Cela mène au second gros problème. Comment allons-nous partir ? Nos moyens de transport sont loin d’être appropriés pour un tel exode.
–Attendez ! Ce départ n’est qu’une suggestion.
Aiepe l’interrompit en le regardant droit dans les yeux. Puis ce fut au tour d’Ataline de le reprendre :
–Oui, mais, pour le moment, c’est la seule idée qui ait été émise… Maintenant, s’il n’existe pas d’autres solutions, envisageons celle-ci malgré ses lourdes conséquences, on ne pourra pas indéfiniment écarter cette éventualité.
–Je te remercie d’avoir mis en avant ton point de vue, nous y ferons bien évidemment attention lors des délibérations. Après cela, Aiepe demanda à l’assemblée :
–Quelqu’un a-t-il une nouvelle proposition ?
C’était la pire question possible, car cela amena un silence pesant. Le feu continuait de crépiter, nous éclairant d’une lumière chaleureuse. Dans la salle ronde, le temps semblait s’être suspendu.
Aiepe se leva sans bruit et contourna sans se précipiter encore une fois la grande table pour se positionner face aux flammes dorées, comme hypnotisé par leur danse. Il soupira profondément et plaça les mains dans son dos. Sans se retourner, il voulait nous faire part de ses réflexions. Je savais que cette posture indiquait chez lui l’inquiétude. Il semblait porter tout le poids du monde sur ses épaules légèrement voûtées :
–Malerine, viens ici ! Explique-nous ce que tu as lu dans les notes de tes parents. Et pourquoi as-tu pensé à cette solution ?
Je pris mon courage à deux mains et lançai un regard à Ataline tout en marchant vers le centre de la pièce. Je devais réussir à les convaincre :
–J’ai eu cette idée en trouvant des documents. Ils sont partis de nombreuses fois explorer les contrées éloignées et ont pris soin de répertorier ce qu’ils découvraient. Ils cherchaient un chemin vers le sud. Il faut croire qu’ils prévoyaient tout ce qui nous tombe dessus aujourd’hui. Toujours est-il que j’ai lu des descriptions minutieuses des lieux où ils sont passés. Les notes font mention d’une carte, mais je ne l’ai pas encore trouvée.
J’avais apporté un de leur carnet que je tendis à Aiepe.
Ambdal, agacé, reprit la parole :
–Et quoi, tu suggères qu’on se lance tous sur des sentiers sans avoir la moindre idée de ce qui nous attend, sans savoir où nous allons ? Tu ne crois pas que cela va être dangereux.
–Mais non, enfin, lui répondis-je en sentant grandir en moi une confiance que je ne me connaissais pas. Je pensais plutôt qu’un petit groupe pouvait partir en reconnaissance en suivant les documents que je mettrai bien sûr à disposition.
–Et de quand datent ces calepins, exactement ? Sont-ils fiables ? demanda Ambdal avec l’intention de semer le doute dans l’assemblée.
–Les notes de mes parents ne contiennent pas seulement les indications sur la route à prendre. On y trouve une multitude de remarques et de détails sur ce que nous allons rencontrer. Ils ont, en plus, réalisé une sorte de bestiaire qui recense tout ce qu’ils ont croisé, animaux et végétaux. Il me manque juste la carte à laquelle ils font référence, cela nous aidera pour nous guider.
J’avais l’impression qu’Aiepe commençait à croire en mon projet, même s’il faisait bien attention de ne pas trop le montrer. Il demanda alors que se forme une équipe de six volontaires pour cette mission.
Ambdal, convaincu que ma proposition était la pire folie à ne pas suivre, d’autant plus qu’elle émanait de moi, argumenta avec ardeur :
–Vous rendez-vous bien compte des dangers qu’il va falloir affronter ? Jamais je ne participerai à cette mascarade !
–Ça suffit, Ambdal, l’interrompit sèchement Aiepe. Il en va de notre survie à tous. Un groupe partira pour faire une reconnaissance et lorsqu’ils seront de retour nous aviserons. En attendant, nous réfléchirons à d’autres solutions. J’espère que vous aurez un peu plus d’idée que ce soir et la prochaine fois, ne critiquez plus si vous n’avez rien d’intéressant à proposer ! Pour en revenir au sujet, qui souhaite se porter volontaire ?
Ambdal était vexé et il prit la porte sans dire un mot, alors qu’un brouhaha satura rapidement l’atmosphère de la salle. Tout le monde se demandait qui allait être assez fou pour tenter une expédition vers l’inconnu, au début de l’hiver de surcroît. J’étais curieuse de savoir qui oserait se lancer dans cette aventure.
Je m’étais remise dans mon coin pour me reposer de nouveau contre ma fenêtre habituelle. Je regardais dehors. Le vent s’était calmé, les nuages, en disparaissant, me permettaient de revoir les deux lunes pleines qui brillaient fortement dans la nuit. Mon esprit vagabondait, je me retrouvais sur la piste que mes parents avaient prise des années avant. Je savais que bien des dangers existaient sur cette route, mais je me réjouissais de pouvoir partir. S’approchant lentement de moi, Ahelmina, une femme appartenant au groupe des chasseurs, me fit sursauter :
–Moi j’en serai, Malerine. Je veux changer d’air, ton idée me plaît. Nous trimons sans cesse pour faire nos réserves et chaque année nous luttons contre la faim. Je suis née ici et depuis quelque temps déjà, plus rien ne se passe comme il faut. Je sais que nous ne tiendrons pas jusqu’au printemps prochain si nous ne bougeonspas !
Son frère, Eden, affirma à son tour :
–J’y vais aussi ! Je la suivrai sans discuter.
Aeliana s’avança versmoi :
–Je n’ai plus rien à perdre. Mon mari repose dans ce village depuis cinq ans, mais je souhaite vivre, je n’ai pas envie d’attendre de mourir sans rien faire. Surtout de faim, c’est une fin atroce.
Shyr se leva à son tour. Aiepe regardait son fils venir à moi avec un mélange de tristesse et de fierté dans les yeux :
–Je dois faire partie du voyage, notre famille doit être représentée ! Et toi, Malerine, seras-tu des nôtres ?
La salle entière voulait entendre ma réponse et fit donc silence. Un moment suspendu. Ils attendaient de savoir si j’allais avoir le cran d’affronter les dangers et de prendre mes responsabilités après avoir lancé monidée.
–Bien entendu que je vais y aller. Mais pour l’instant, le plus urgent est de retrouver la carte dont j’ai parlé tout à l’heure. Je vais avoir besoin d’aide pour la chercher. Ptohely, peux-tu m’accompagner ?
–Oui, je vais venir, Malerine.
Mon amie me répondit en regardant ses parents avec une certaine défiance. Ces derniers ne montrèrent pas leur mécontentement, le soutien de leur fille devant servir la communauté.
Comme à l’accoutumée, la question du jour étant à peu près réglée, le repas put commencer.
Jusqu’aux lueurs du matin suivant, tout le monde resta dans la salle pour ne pas prendre le risque d’affronter l’obscurité et les dangers qui s’y terraient même au cœur du village.
Les enfants s’endormirent sur des tapis tandis que les adultes discutaient ou somnolaient. La tiédeur de la bâtisse était devenue agréable. À nous regarder ainsi, calmes et presque pleins d’espoir, on aurait pu croire que nous étions une grande famille.
Au petit matin, aux premiers rayons des soleils, l’épaisse couche de neige étincelait, magnifique et pure. Seules quelques traces de rongeurs montraient qu’il y avait de la vie dans cette lande. Les villageois commencèrent à déblayer les allées qui serpentaient entre les maisons. Je me dirigeai, accompagnée de Ptohely, vers celle de mes parents. Les chasseurs étaient allés préparer les affaires pour l’expédition.
–Malerine ! appela Aeliana en nous rejoignant. Peux-tu me confier les notes dont tu nous as parlé hier soir ? Nous n’avons aucune idée du chemin à prendre. Et toute cette neige ne nous aidera pas à nous y retrouver. J’aimerais étudier ces documents avant de partir.
–Bien entendu ! Demande déjà à Aiepe qu’il te transmette celui que je lui ai donné. Après quoi, rejoins-nous chez moi pour que je te passe tous ceux que j’ai encore à la maison.
–Est-ce qu’il y en a beaucoup ? Nous devons nous alléger autant que possible.
–Non, il s’agit au plus de deux ou trois manuscrits, je n’ai rien trouvé d’autre pour l’instant. Dès que possible, nous les regarderons ensemble, c’est très important que nous nous accordions sur la route à prendre. Mes parents ont tellement voyagé que tous les chemins qui partent du village sont répertoriés.
–Si tu pouvais mettre la main sur cette fameuse carte, Malerine, nous gagnerions du temps et éviterions de nous perdre, affirma Ahelmina qui nous avait à l’instant retrouvées.
–J’en ai bien l’intention. En attendant, venez avec moi, j’ai déjà pas mal de choses.
Pour arriver à ma maison, nous devions traverser une partie de forêt clairsemée en empruntant un sentier tapissé de tant de neige qu’il en était presque invisible. J’apercevais ma petite bâtisse au bout du chemin, elle était plantée au beau milieu d’une parcelle déboisée, elle donnait l’impression d’être à l’abandon tant elle était recouverte par la végétation. Shyr venait régulièrement pour m’aider à la maintenir sur pied. Il entreprenait de temps à autre des travaux de réparation du toit par exemple. Heureusement, car puisque je n’ai jamais rien fait pour m’en occuper, elle aurait déjà dû tomber. À l’intérieur, il régnait un désordre infini, ce qui sembla surprendre Aeliana et Ahelmina. En voyant leurs grimaces, je me sentis obligée de me justifier :
–Tout est tel que mes parents l’ont laissé, je n’ai jamais voulu ranger la maison. J’espère que cela ne vous pose pas de problème.
–Non bien sûr, me répondirent-elles toutes les deux sans conviction.
–Seulement ça ne va pas être une mince affaire de retrouver la carte dans tous ces dossiers et ce désordre, soupira Ptohely.
Je m’avançai vers la table pour prendre les livres, puis je me tournai vers Aeliana, pour les lui transmettre :
–Les voilà, ils ne sont pas lourds, tu vois. C’est un peu compliqué de suivre la méthode avec laquelle mes parents les ont rédigés. Les notes semblent avoir été jetées en vrac. Ah ! Regardez, c’est celui-ci qui m’a donné l’idée de partir, dis-je en feuilletant un des ouvrages. Ici, ils ont dépeint un lieu chaud et agréable à vivre avec peu de prédateurs dangereux et où, d’après ce que je lis, la nourriture doit être abondante. Prenez-les et essayez déjà de vous faire des repères avec tout ce qui est écrit. Pendant ce temps, nous allons chercher la carte avec Ptohely.
–Espérons que ces textes seront suffisants pour nous guider, au moins au départ, ajouta Ahelmina.
Les deux femmes rejoignirent le reste de l’équipe au village. Elles étudièrent les notes des manuscrits, et plutôt que de se fier uniquement aux tracés, décidèrent de partir scruter les alentours pour comparer les descriptions de mes parents avec la réalité et juger de leur pertinence. Après tout, nous nous lancions dans une aventure à l’aveugle, avec pour seule référence ce qui se trouvait dans ces carnets. Il fallait bien se rassurer un minimum sur la faisabilité de l’expédition dont dépendrait notre avenir àtous.
Les conditions climatiques étaient très clémentes ce jour-là. Les deux soleils réchauffaient agréablement l’air. Cela permit au groupe d’avancer assez vite, au regard de la saison. Le soir, ils établirent leur campement près d’une rivière et pêchèrent leur repas. C’était idéal pour économiser les vivres. Ils se remirent en route le lendemain, dès l’aube, toujours en quête d’informations. Les correspondances n’étaient pas, jusque-là, très évidentes à faire, mais, finalement, la petite troupe découvrit quelque chose de troublant :
–Shyr ! Rejoins-moi, j’aimerais te faire voir quelque chose ! lança Ahelmina, en s’arrêtant brusquement. Regarde ces traces au sol. Je pense que nous ne sommes pas seuls.
Elle pointait du doigt des empreintes de pas fraîches, dont elle était incapable d’en définir les propriétaires. En les observant, Shyr, très perplexe, lui demanda :
–Combien peut-il y avoir de personnes d’après toi ?
–Je ne sais pas. À première vue, j’ai l’impression qu’ils ont voulu marcher les uns derrière les autres dans cette direction, comme pour masquer leur nombre, dit-elle en montrant l’horizon.
–En revanche, je trouve qu’elles sont plus appuyées que les nôtres, ils doivent être chargés. Confirmes-tu mon analyse ?
–Ton raisonnement se tient, mais la vraie question est, amis ou ennemis ?
Derrière nous, Eden revenait de sa mission d’éclaireur. Il nous fit part de son point devue :
–Ils sont une dizaine, et regardez ! lança-t-il en pointant du doigt et en examinant des traces un peu plus loin. On voit qu’un autre groupe avec des Véloces s’est ajouté. Restons vigilants.
La main sur le pommeau de son épée, Ahelmina rétorqua :
–Tout ce que je peux vous dire, c’est que nous n’étions pas encore nés quand les derniers visiteurs ont été aperçus par ici. Ne prenons aucun risque.
–Nous devrions suivre leurs traces, nous saurons au moins s’il y a lieu de s’alarmer, décidaShyr.
Ils choisirent donc de voir où les empreintes les mèneraient. Ce qui était assez facile dans la neige.
Pendant toute la poursuite, le groupe prit garde à ne faire aucun bruit et s’ils avaient besoin de communiquer, ils le faisaient par signes. Tous étaient préoccupés par la raison qui avait poussé des hommes à venir jusqu’ici. Ils se demandaient aussi pourquoi les inconnus semblaient avoir volontairement effectué un détour pour éviter le village. Cela ne rassurait pas les chasseurs. D’où arrivaient ces étrangers, où allaient-ils, avaient-ils de bonnes ou de mauvaises intentions ?
Eden et Ahelmina, pisteurs émérites, furent les premiers à entendre les intrus, ils se trouvaient devant eux. Les sons étaient de plus en plus nets en s’approchant. Les conversations étaient un peu plus compréhensibles. Ils s’étaient arrêtés sous le couvert d’un gros rocher. Eden et Ahelmina l’escaladèrent avec peine par la face opposée à cause de la neige qui le rendait glissant. Ils se mirent en embuscade juste au-dessus d’eux pour les observer.
De leur point de vue, l’espionnage était aisé. Le groupe comptait une quinzaine de personnes armées qui buvaient. Les véloces étaient harnachés un peu à l’écart. Ces gens étaient donc des mercenaires. Et par chance, ils étaient saouls.
Tous les deux redescendirent silencieusement pour rejoindre les autres et les informer de ce qu’ils avaient découvert.
Eden s’alarma :
–Vous avez vu que nous sommes très près du village à présent. En prenant par le pont, il ne nous faudrait qu’à peine une heure. Pensez-vous qu’ils savent où ils vont ? Qu’en dites-vous ? S’ils le traversent, le message sera très clair, c’est bien pour venir nous visiter qu’ils sont là.
En l’occurrence, il avait une très vieille structure, assez mal entretenue. Il enjambait une petite rivière gelée à cette période de l’année. Le fait de passer dessus démontrait leur objectif, car il ne menait nulle part ailleurs.
–C’est vrai, répondit Shyr, continuons de les suivre, s’ils le parcourent, nous aviserons.
Tous les quatre étaient très perturbés, cela faisait si longtemps que personne n’était venu si loin dans le nord. Et puis l’attitude de ces inconnus ne présageait rien debon.
Après deux heures à s’arsouiller, chanter et hurler à tue-tête, les mercenaires se relevèrent et prirent la direction dupont.
Étonnée, Ahelmina demanda :
–Quelque chose m’intrigue et je suis persuadée que je ne suis pas la seule, mais je ne pense pas qu’on n’ait vu personne depuis des années. Je n’imaginais presque plus qu’il existe des gens au-delà de nos terres, et pourtant ils semblent parfaitement savoir où ils vont. Croyez-vous qu’ils espionnaient le village ?
–C’est la réflexion que je me faisais aussi, acquiesçaEden.
–J’en ai bien l’impression, oui, rétorqua Shyr. Aeliana, tu n’as prononcé aucun mot depuis que nous nous sommes remis en route. Qu’en penses-tu ?
Le visage fermé, la doyenne du groupe nous fit difficilement part de son point devue :
–Je ne sais pas. Comme vous, je suis inquiète, ils paraissent dangereux, mais tant que nous les avons à l’œil, nous avons une longueur d’avance, nous pourrons réagir si besoin.
–Nous devrions moins parler et rester très discrets, chuchota Ahelmina.
–Tu as peur ? lui demanda Shyr.
Ce à quoi elle répondit :
–Pas vraiment ! Mais ne prenons pas de risque, ils ont peut-être envoyé des éclaireurs.
–Tu ne crois pas qu’ils nous seraient déjà tombés dessus si c’était lecas ?
–Non Shyr ! Cette approche ne serait pas stratégique. S’ils avaient formé un tel groupe, celui-ci serait composé de deux personnes tout au plus. Auquel cas ils ne tenteraient pas de nous attaquer sans de très grosses précautions et vu leur attitude pataude, ils n’ont même pas imaginé que quelqu’un pourrait les surprendre. Ou alors ils agissent ainsi pour que nous baissions notre garde et, dans ce cas, l’embuscade n’est pas impossible. Plus nous resterons discrets, plus nous pourrons en apprendre sur leurs intentions.
–Tu as raison, limitons nos discussions au maximum et suivons leurs traces à bonne distance.
Au loin, les mercenaires disparaissaient dans les bosquets recouverts de neige.
Ahelmina se tourna vers les autres, le cœur palpitant :
–Je pense que nous devons prévenir le village, ces hommes ne me disent rien qui vaille.
–La route la plus courte est celle dans laquelle ils s’engagent, si nous voulons passer par le pont, nous serons automatiquement repérés. Ahelmina, tu as raison, reprit alorsEden.
–Nous allons devoir les contourner et traverser par le lit de la rivière un peu plus loin pour avoir une chance d’arriver avant eux. Mettons-nous en chemin sur-le-champ, décida Shyr.
Dans les heures qui suivirent, ils jouèrent à cache-cache avec les mercenaires, mais à aucun moment ils n’eurent l’occasion de les dépasser sans courir le risque d’êtrevus.
Cela faisait deux jours que les quatre explorateurs étaient partis. Au village, la vie avait retrouvé son calme habituel, même si je voyais bien qu’on m’évitait encore plus. Avoir suggéré cette idée de fuir n’était définitivement pas du goût des autres habitants.
Chaque matin, je passais chercher Ptohely très tôt. J’en profitais pour rendre visite à Aiepe et récupérer de quoi manger. Il s’assurait toujours que j’ai quelque chose pour me remplir le ventre. C’était bizarre de traverser la grand-place à côté d’elle alors que jusque-là nous cachions notre amitié. Ses parents n’ont jamais apprécié notre relation. Sur le chemin, nous discutions toutes lesdeux.
Nous avions fini par retourner presque toute la maison, poussant au-dehors les meubles qui nous encombraient et les papiers inutiles. Mais nous n’avions toujours pas trouvé la moindre carte. Le découragement nous guettait.
–Malerine, regarde ça ! s’exclama Ptohely
–Qu’y a-t-il ?
–Regarde, là, dit-elle en me montrant une lanière de cuir sortant du sol, tu ne m’en as jamais parlé.
J’étais surprise par cette découverte. Comment, en ayant toujours vécu ici, ai-je pu ne jamais la remarquer ? Probablement que le désordre perpétuel dans la maison y avait contribué.
–Non, en effet, mais c’est parce que je ne savais pas qu’elle existait.
–Viens, donne-moi un coup de main pour la dégager.
Il y avait tellement de poussière accumulée depuis toutes ces années que la trappe ne se devinait que grâce à cette lanière que Ptohely avait vue par hasard. Elle était imposante, mais à l’aide d’un mécanisme ingénieux constitué de poulies, elle était très facile à ouvrir. En la levant, on découvrit juste en dessous un frêle escalier jonché de toiles d’araignée qui menait en bas, dans une obscurité totale. Nous prîmes des torches pour nous engager, non sans peur, vers ce trou sombre et peu accueillant. L’une derrière l’autre, nous progressions lentement, sans savoir ce qui nous attendait dans cette cave. Partagées entre l’inquiétude et l’excitation, qu’allions-nous y trouver ? Une odeur nauséabonde nous agressa et nous fit presque reculer, mais notre curiosité nous poussait à avancer.
Une fois en bas, ce que nous vîmes nous laissa sans voix quelques minutes. La lumière des torches nous révéla un spectacle surprenant.
Dans cette salle borgne et enterrée, mes parents avaient entreposé sur des étagères des dizaines de bocaux dans lesquels flottaient des bestioles singulières conservées dans du liquide. Au centre de la pièce se trouvait une table percée d’un trou d’évacuation. Sur des bibliothèques de fortune étaient entassés des papiers, des livres, des calepins de notes. Nous les ouvrîmes. Tous étaient rédigés dans une langue quelque peu différente de la nôtre. Curieusement, cet endroit ne m’était pas tout à fait étranger et j’éprouvais un sentiment de déjà-vu. Mes parents s’étaient attelés, dans ce laboratoire, à l’étude et à la description minutieuses de tout ce qu’ils avaient pu rapporter de leurs voyages, comme ils en avaient l’habitude pourtout.
Ce qui me surprenait vraiment, c’était le nombre de contenants de toutes tailles dans lesquelles baignaient toutes ces créatures que je ne connaissais pas. Je m’interrogeais aussi. Comment était-il possible que j’en ignore son existence alors que j’ai vécu ici avec eux et encore très longtemps après ?
J’attrapais des cahiers au hasard pour les feuilleter. J’y trouvais des illustrations représentant des animaux et des plantes, ainsi que des annotations indiquant si elles étaient comestibles ou dangereuses. Ils ont même fait des recherches sur les propriétés médicinales de certains organismes. Et pour couronner le tout, un index avait également été élaboré au début de ces carnets. Cela me permit rapidement de naviguer dans ces documents.
Un de ces recueils portait la mention « hybride » sur sa couverture.
–Pto, as-tu vu ? Le titre de celui-là est étrange, « hybride », qu’est-ce que cela peut bien vouloir dire ?
Intriguée, elle s’approcha de moi et en se baissant au-dessus de mon épaule, elle se mit à frôler la page de garde avec ses doigts.
– Observe à l’intérieur.
–Je l’ai fait, mais j’ai beaucoup de mal à déchiffrer ce qui est écrit. Les dessins montrent des animaux avec des sortes de plantes greffées sur ledos.
–Peut-être en croiserons-nous au cours de notre voyage !
J’admirais l’enthousiasme de Ptohely.
–Malerine, regarde ce livre, je ne comprends pas ce qui est inscrit. Je ne peux pas l’ouvrir, il est fermé à clef !
J’attrapais l’ouvrage qu’elle me tendait. Cette inscription me disait elle aussi quelque chose, mais j’étais incapable de m’en souvenir ; pourtant cela me semblait familier et me mettait un peu mal à l’aise.
Nous passâmes des heures dans la cave, nous nous habituions à l’atmosphère chargée qui y régnait. En remontant, nous étions surprises de découvrir que la nuit était déjà tombée. Même si la distance d’ici au village était courte, Ptohely ne pouvait plus envisager de traverser la forêt. Ses parents allaient être inquiets et sans aucun doute en colère, mais il était plus sage qu’elle reste ici avec moi jusqu’au lendemain.
Nous nous installâmes donc dans ce qui servait de salon, au fond de la maison, pour allumer un bon feu dans la cheminée. Affamées, nous partageâmes la nourriture que j’avais récupérée le matin. C’était l’occasion de feuilleter quelques-uns des ouvrages que nous avions trouvés dans la pièce du bas. Le foyer crépitait doucement, apportant une certaine quiétude.
–Regarde, me lança Ptohely, qui me montrait une illustration dans un des livres. Cette créature est marrante, elle est toute ronde. On dirait un ballon avec des petites pattes.
En l’observant à mon tour, je constatai qu’elle ressemblait en effet à une boule de poils.
–Oui, c’est vrai ! Elle n’a pas l’air agressive, elle est toute mignonne, presque attachante.
Je regardai alors Ptohely tenter de comprendre, avec peine, ce qui était écrit juste àcôté.
–C’est dommage qu’on ne puisse pas déchiffrer.
À ma grande surprise, alors qu’elle paraissait ne rien pouvoir décrypter, il en était autrement pour moi :
–Mes parents ont dû m’apprendre cette langue, je reconnais certains signes. Mais je suis incapable de me rappeler leur signification, c’est tellement loin, ça fait plus de quinze ans que je n’ai plus vu aucun de ces symboles. Et tout autant qu’ils ne sont plus avec moi. Je crois qu’ils m’avaient parlé d’un héritage de famille. Cela provenait du père de mon père, il me semble.
Après une minute de silence à réfléchir, certains souvenirs remontèrent − surgirent même dans mon esprit. Je les extériorisai avec force :
–Oui, c’est ça ! Pto, je sais que quelque part, il existe, rangé, une sorte de dictionnaire. Il pourra nous aider à traduire cette langue !
Tout doucement, les choses me revenaient en tête. Je fouillais dans ma mémoire pour y retrouver des souvenirs que j’avais sans le vouloir enfoui au fond de moi. Où donc avais-je vu ce livre à l’époque ? Il ne nous restait qu’à chercher dans le grenier. C’était une nécessité de mettre la main sur ce dictionnaire, il allait grandement nous simplifier la vie pour la compréhension de tous ces documents.
Mais, par manque de motivation, nous repoussâmes cette tâche au lendemain. Sans nous y attendre, nous nous endormions épuisées sur le sol à côté du feu réduit à quelques braises.
Nous ouvrîmes les yeux au petit matin. Il ne restait que des cendres dans l’âtre. Il devait être encore tôt. J’allais rallumer le foyer quand Ptohely me demanda :
–Malerine, sens-tu cette odeur ?
–Oui, ça empeste le brûlé en effet !
Nous nous précipitâmes dehors. L’air était chargé de cet effluve et une brume obscure nous entourait, laissant à peine passer les rayons des deux soleils. C’était une ambiance de fin du monde, la lumière qui nous parvenait avait des reflets rougeâtres, des nuages épais et noirs saturaient le ciel. Nous avions de la peine à comprendre ce qui arrivait. En nous tournant en direction du village, nous remarquâmes rapidement que la neige avait un peu fondu au loin, et alors que des bises glacées nous poussaient dans cette direction, je ressentais comme de la chaleur sur mon visage. L’inquiétude nous étreignit, nos gorges se nouèrent et une douleur sourde nous prit au ventre. Ptohely ne tenait plus en place :
–Il faut aller voir ce qu’il se passe, Malerine !
La peur commençait à me ronger de l’intérieur, m’empêchant d’exprimer une quelconque pensée :
–Oui !
Nous nous précipitâmes à en perdre haleine à travers la forêt. Plus nous avancions, plus l’air se chargeait et la chaleur devenait étouffante. Le visage de Ptohely laissait paraître de plus en plus d’angoisse. Une vision d’horreur nous stoppa net alors que nous dépassions la lisière. Ce n’était pas un simple brasier qui avait eu lieu. Tout le village gardait les stigmates d’un incendie ravageur. Nous ne parvenions même pas à exprimer notre souffrance, nous étions donc contraintes d’écouter un silence bien trop pesant. Seul le bruit des toits des bâtisses qui s’effondraient ainsi que le crépitement des restes fumants le déchirait. Nous apercevions au loin des Massus d’élevage. Il s’agissait d’énormes animaux de presque 300 kg d’ordinaire plutôt paisibles et assez protecteurs. Ils semblaient pris de panique, ils couraient dans tous les sens. Avec leurs grosses cornes, ils cassaient les rares installations encore debout autour d’eux.
À mesure que nous approchions du village, l’air se faisait brûlant et irrespirable, vicié par une odeur que nous ne connaissions pas.
Les dernières flammes finissaient de consumer ce qu’il restait des maisons. On pouvait aussi voir des corps calcinés éparpillés sur la neige. Cette dernière était souillée de sang, c’était une vision tellement insoutenable pour nous. J’étais choquée au point de ne plus pouvoir parler ni même pleurer. Nous avancions sans pouvoir réfléchir. Malgré nous, l’effroi de la découverte laissait place à l’accoutumance, et la raison put alors revenir. Ptohely et moi nous décidâmes de nous séparer pour essayer de trouver quelqu’un. Avec horreur, je remarquai des flèches-torches plantées de-ci de-là. Je comprenais que le village avait été attaqué. Mais par qui ?
Tout se mélangeait dans ma tête, je n’arrivais pas à mettre mes idées en ordre, je ne savais plus quoi penser. Tous semblaient morts. Subitement, je me souvins que Ptohely était en train de chercher ses parents et j’imaginais le chagrin qu’elle allait ressentir. Le désespoir commençait à m’envahir. Je courais dans ce décor macabre pour la retrouver, avant qu’une rencontre malheureuse ne se produise.
Un râle me sortit de la torpeur qui me tétanisait. Il restait quelqu’un quelque part. Je fouillais du regard, tout autour de moi, scrutant les maisons détruites. Par chance, je vis un corps respirer légèrement. En m’avançant, je compris que c’était Aiepe. Il était blessé, en partie brûlé. Il tenta de se redresser avec difficulté pour me faire face, mais, finalement, il ne put que me tendre la main. Il accompagna ce geste de quelques mots :
–Malerine, viens ! Approche-toi demoi.
Je m’accroupis auprès de lui, sans savoir quoi faire. Il était faible, la douleur déformait ses traits, il chuchotait plus qu’il ne parlait.
–Aiepe, que puis-je faire ? Comment dois-je faire pour te déplacer, tu ne peux pas rester ici. Veux-tu boire de l’eau ?
Le découvrir dans cet état m’affectait terriblement, je me suis même surprise à laisser couler quelques larmes.
–Il est trop tard pour moi, Malerine. Je suis content de te voir avant de mourir. Non, ne pleure pas, s’il te plaît. Tu dois m’écouter attentivement. Tes parents m’ont confié quelque chose pour toi. C’est un secret, un objet que j’ai caché et que tu dois à présent récupérer, car il te revient.
Aiepe marqua un temps d’arrêt pour reprendre son souffle. Il avait si mal qu’il semblait prêt à s’évanouir à tout moment.
Il s’adressa à moi tout en fixant un arbre qui avait miraculeusement échappé aux flammes au milieu de la place.
–Regarde. En haut de cet arbre, tu trouveras ce dont je te parle. J’y ai caché une boîte il y a des années, à la vue de tous, si tant est qu’on sache qu’elle est là, mais personne d’autre que moi n’était au courant.
Je lui demandai alors, intriguée :
–Qu’est-ce que c’est ?
–Je n’en ai pas la moindre idée. J’ai juré à tes parents de ne jamais regarder dans cette boîte. Ils disaient que je devais en savoir le moins possible. Que c’est toi qui me la montrerais si tu le voulais !
–Aiepe, tiens bon ! Je vais chercher Ptohely et nous allons te sortir delà.
–Malerine, c’est terminé, dit-il avec ce qui lui restait de forces. Je t’ai aimée comme ma fille. Et parce que je te considère ainsi, je t’implore de partir. Trouve cette boîte et va retrouver les autres avec Ptohely. Et j’oubliais, tes parents t’ont laissé un vieux grimoire, je ne sais pas où il se trouve, mais cherche-le.
Alors que je me relevais, intriguée par toutes ses révélations, il m’interpella pour me dire encore une chose :
–S’il te plaît, dis à Shyr que je suis désolé, que je l’aime et que je suis fier de ce qu’il est devenu.
Je n’eus même pas le temps de lui répondre qu’il avait déjà fermé les yeux. Je sentis dans sa main, que je tenais contre mon cœur, que toutes ses forces s’en étaient allées. L’espace d’un instant, je ne pus retenir quelques larmes. Aiepe avait été un père pour moi, la seule personne qui m’ait acceptée et aimée depuis la disparition de mes parents.