Erhalten Sie Zugang zu diesem und mehr als 300000 Büchern ab EUR 5,99 monatlich.
Un préside antipathique d'une association d'Anciens Combattants, retrouvé mort lors de l'inauguration d'un carré militaire, un Secrétaire d'Etat inquiet par ce fait divers à la veille de quitter ses fonctions et un maire, administrant un charmant village sous l'oeil vigilant de son dragon d'épouse. Mélangez le tout et offrez ce cocktail explosif à la colonelle de gendarmerie Julia Tradisi, chargée des enquêtes criminelles pour les Hauts de France. Conforme à sa réputation, ses méthodes lpour élucider ce crime incongru, laisseront des traces dans les esprits chagrins mais lui permettront de croiser la route d'une pléthore d'êtres humains plus soucieux du bonheur de leurs proches que de de recevoir de vaines reconnaissances honorifiques éphémères.
Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:
Seitenzahl: 199
Veröffentlichungsjahr: 2024
Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:
Note de l'auteur
Ce roman est une fiction. Tous mes personnages sont issus de mon imagination et n'ont aucune exis-tence réelle. Toute ressemblance avec des personnes ou des situations existantes ou ayant existé ne saurait être que fortuite.
Mes remerciements à Christine pour le temps passé à essayer de corriger ce qui pouvait l'être.
Livre 3
Le cimetière des mécréants
Villers sur Somme
Vendredi huit mai deux mil vingt.
Onze heures trente.
Serré dans son vieux costume bleu marine, cintré comme un mannequin par le baudrier lui permettant de porter l'étendard du 113ème régiment d'infanterie coloniale, Roger contemplait le monument face à lui. Il s'était éclipsé discrètement de l'office religieux cé-lébré dans l'église du village voisin, comme à chaque fois. Pas athée, ni agnostique, rien. Même s'il appréciait la fraicheur de ces bâtiments religieux en été, il détestait les curés et davantage ces soi-disant parois-siens, tous plus hypocrites les uns que les autres. Il les honnissait et ne se privait pas pour le dire. Chacune de ces cérémonies commémoratives incluait systématiquement une messe contre laquelle tout le monde protestait. Il profitait de ces grands moments vindicatifs des personnes l'accompagnant pour leur dire vertement ce qu'il pensait de leur attitude, droit dans les yeux, car tous s'y précipitaient. Le doute subsistait dans leurs esprits chafouins quant à l'existence d'un autre monde ; L'enfer ou le paradis ! Les bigots et les grenouilles de bénitier étaient rhabil-lés pour la journée. Et pas avec de la soie. Il jouissait en voyant leurs visages se transformer en un brouil-lamini de frayeurs, de hontes et de colères parfois. Jamais il n'avait été menacé, insulté ou frappé. Une fois quand même. Lors d'un quatorze juillet aussi ennuyeux que les autres et auquel il participait en tant que secrétaire de mairie. La vieille madame Gousseroles avait levé son parapluie pour l'abattre sur sa tête avec un cri de chouette asthmatique que personne n'entendit à cause de la fanfare s'époumonant au travers d'une Marseillaise bien mal en point. Dans son élan, elle trébucha sur les pavés alambiqués de la mairie, partit en arrière en faisant des moulinets avec son bras gauche, le droit tenant toujours le parapluie malgré un thermomètre affi-chant les quarante degrés à l'ombre ; Ses gesticulations ne l'empêchèrent pas de s'effondrer de tout son long sur le dos. D'un poids indéterminé mais très confortable, ceux qui assistèrent à la scène pensèrent qu'elle allait rebondir. Mais ce fut sans compter les bordures de trottoir entreposées là depuis des années par son mari de maire qui comptait bien en faire quelque chose, mais quoi ? Néanmoins, ce fut sur celles-ci que la nuque de cette pauvre vieille s'écrasa. Consternation de courte durée de la foule présente, le vin d'honneur si apprécié surtout avec la chaleur ambiante, n'attendait que les convives. Les pompiers, évidemment présents, l'embarquèrent manu militari dans l'ambulance quasi neuve mais dont le circuit de refroidissement fuyait, obligeant ces braves sapeurs à s'arrêter trois fois sur le parcours menant à l'hôpital voisin pour permettre au moteur, affichant moins de trois mille kilomètres, de ne pas exploser. La lenteur des secours fut fatale à cette pauvre vieille et, vu les circonstances, elle fut déclarée décédée au cours de son transport vers l'hôpital local, suite à un coup de soleil. Aux funérailles rigoureusement religieuses de cette paroissienne patentée, Roger Zibowski apparut subrepticement dans la longue file des fidèles faisant la queue silencieusement pour aller bénir le cercueil dans lequel reposait la défunte. Méthode digne d'un professionnel de la communication. Comme à leur habitude, le personnel des pompes funèbres enca-drant ces divers protocoles, invitait d'abord les per-sonnes debout au fond de l'église à prendre place dans la file. Roger s'infiltrait hardiment vers la quinzième place pour être certain d'être vu par tout le monde, et toujours du côté passant devant les membres de la famille endeuillée, saluant au passage quelques individus n'osant pas refuser devant l'assemblée ses poignées de mains moites, voire ses accolades.
****
Mais, en ce jour particulier, face à ce monument in-signifiant qu'il détestait, il jubilait comme jamais. Ce jour resterait dans toutes les mémoires. Il en était certain. Il en tremblait de plaisir en entendant les premiers véhicules descendre la grande côte débou-lant du village voisin. Le vacarme habituel s'installait progressivement, embrayages malmenés, portières claquées, moteurs hurlants sans oublier quelques tôles froissées. Ces cérémonies étaient redoutées par les garagistes locaux. Pour beaucoup, ils abondaient dans le sens des explications données par les proprié-taires de ces véhicules endommagés dont les techno-logies embarquées se transformaient en monstruosi-tés inexplicables selon l'âge de ces anciens combattants. Et c'était sans compter le nombre de coupettes de champagne d'abord avalées de façon civilisée et courtoise puis ensuite renversées sur les chemises blanches, le contact entre le bord de ces verres et les lèvres du buveur devenant aléatoire au fil du vin d'honneur. Ces débordements tradition-nels et sans issue logique expliquaient la disparition subite et rapide des gendarmes chargés de la circula-tion à chacune de ces commémorations.
Roger regardait avec consternation ce ballet désor-donné et pitoyable. D'ailleurs, tenant à rester maître de lui-même, il n'avait jamais bu d'alcool en public. Apercevant les porte- drapeaux se déplacer vers lui, il se redressa, enfoncé dans son égo démesuré.
Personnage frêle, de petite taille, au visage buriné par les années, il ne laissait personne prendre autorité sur lui. Ni lui imposer une quelconque vérité. Mal-gré ses quatre-vingt cinq années, il refusait que l'on puisse toucher à son foutu étendard. C'est une promesse que j'ai faite au seul soldat de l'armée en dé-route qui m'a sauvé en 1940 racontait-il à qui voulait le persuader de ne plus porter ce lourd attribut. A chaque coup de vent, sa silhouette penchait dans le sens où il aurait dû tomber. Mais, campé sur ses jambes maigres, les doigts de pied accrochés à la se-melle intérieure de ses chaussures, il résistait comme aurait dû le faire l'armée Française lors de la dernière invasion, se plaisait il à cracher à la figure de tous, surtout des anciens faux combattants, comme lui d'ailleurs. Les sociétaires de l'association qu'il prési-dait depuis plus de quarante ans n'avaient jamais porté les armes. Si quelques uns avaient effectué leur service militaire en Algérie, la plupart étaient des militaires à la retraite n'ayant jamais pris part à un combat. Après une carrière blafarde, sans intérêt, fastidieuse à force d'ennui, beaucoup trouvaient dans ces associations l'impression de retrouver un prestige militaire qu'ils n'avaient jamais connu ou même ef-fleuré. Les plus forts en gueule de cette troupe hété-roclite se vantaient d'avoir commandé des milliers d'hommes qui n'étaient en fait que de pauvres hères, obligés de se travestir en militaire dans le cadre obli-gatoire du service national. Roger possédait au moins l'honnêteté de ne s'être jamais octroyé de faits d'armes de cet ordre. Seul lui importait d'honorer l'étendard qu'il tenait fermement dans ses mains rhumatisantes. Mais, en ce jour d'anniversaire marquant la fin de la deuxième guerre mondiale, l'heure était grave.
****
Les automobiles continuaient à investir le village dans un tintamarre habituel, cherchant un endroit correct pour stationner et surtout pour pouvoir repartir sans trop de difficultés. Donc, pas trop près du monument aux morts situé entre la mairie et l'église, séparé de la route par une bande large de trois mètres, fraîchement bitumée aux frais de l'association. Ce qui n'avait pas été du goût de tous les sociétaires. Ni de Roger car il avait toujours eu en l'esprit de faire disparaître ce monument ou tout au moins de le transplanter dans un autre endroit. Mais en l'occurrence, il avait du s'incliner. Secrétaire de mairie indéboulonnable, il avait harcelé tous les maires durant leur mandature. Et tous avaient résisté, ce qui en soi était extraordinaire, arguant qu'il s'agissait du monument officiel de la commune. Mais cette fois-ci, il était presque arrivé à le faire bouger car il avait trouvé la faille. Les archives du Fort de Vincennes ayant été scannées, Roger avait pu se lancer sur internet dans des recherches sur un sujet assez sensible. Le monument, s'il reprenait les victimes de la deuxième guerre, comportait aussi les noms des familles décimées lors du premier conflit. Et ses doutes furent ainsi confirmés. En effet, sur le monu-ment reprenant les noms des citoyens du village, morts au cours des combats durant la première guerre mondiale, apparaissait des familles avec des prénoms différents. Evidemment, Roger savait que des familles avaient payé le prix fort, tous les mâles ayant été happés par la boucherie ambiante. Dans le cas présent, il eut la confirmation que plusieurs membres étaient représentés plusieurs fois, avec leurs différents prénoms. Il avait bien essayé auparavant d'éclaircir ces anomalies en épluchant les actes d'état civil de la mairie mais celle-ci connut plusieurs bom-bardements funestes détruisant une partie des documents communaux. L'évêché, miraculeusement, avait été épargné mais pour accéder à ces documents, il lui aurait fallu en faire la demande via le curé du coin qu'il détestait. L'homme d'église en avait autant à son encontre et sauterait sur l'occasion pour le ra-baisser ; Il en était hors de question. Ces recherches informatiques lui permirent de constater véritable-ment que certains hommes apparaissaient deux voire trois fois sur le monument. Roger débarqua chez le maire preuve en main mais celui-ci tint bon et refusa de l'écouter davantage. Décision appuyée par ma-dame la femme du maire, ce qui, Roger ne l'ignorait pas, devenait une décision inéluctable. Cependant, plusieurs membres de la famille de ce magistrat mu-nicipal apparaissaient sur ce monument dans les conditions décriées par Zibowski. Pour éviter tout scandale, un accord fut trouvé. Le monument muni-cipal serait restauré par l'association et Roger garderait pour lui ses découvertes. En contrepartie, il pourrait aménager à son idée le carré militaire dont il rêvait depuis des décennies, dans le cimetière du bourg, situé juste derrière l'édifice.
****
La météo étant favorable en ce début de mois de mai, la commune, organisatrice de cette cérémonie, n'avait pas lésiné sur les moyens pour la partie post hommage. Un grand chapiteau, prêté ou loué par le département, le doute subsistait, trônait sur la pelouse à l'arriére du monument. Evidemment, les mauvais coucheurs, au fur et à mesure qu'ils arrivaient et découvraient les lieux, déblatéraient sur l'honnêteté du maire. Cela n'a pas dû lui coûter cher, pouvait- on entendre. Bien qu'élu avec cent pour cent des voix, comme à chaque élection, il faisait régulièrement l'objet de rumeurs malveillantes en raison de la jalousie de ses administrés. Il était soupçonné, selon d'où venait le vent, d'être cul et chemise avec tout ce qui comptait dans le microcosme politique, éco-nomique et même écologique. Bon, la cour de son exploitation agricole avait été goudronnée en même temps que la route départementale traversant le vil-lage. Peut être y avait-il anguille sous roche. Et cela allait aussi avec la différence architecturale entre les deux principaux bâtiments du village. Si le bâtiment municipal apportait un lustre historique aux lieux avec sa façade portant fièrement la date de sa cons-truction, mil neuf cent, et ses pierres de taille fraî-chement nettoyées, il n'en était pas de même de l'église. L'édile, bien que de droite et catholique de surcroit, un euphémisme pour Roger, était d'une ra-dinerie telle qu'il n'aurait jamais versé un centime pour ce bâtiment religieux sans en avoir d'abord ob-tenu une subvention plus que conséquente pour le retaper. Au grand dam des bigotes du pays qui vo-taient quand même pour lui au cas ou un rouge, en-tendez un socialiste ou pire un communiste, par-vienne à se faire élire sans que l'on sache vraiment comment cela aurait pu être possible. De fait, la population ne pouvait que constater la présence d'un cube de pierres grises, mal jointées, protégé par un toit en deux pentes égales couvertes d'ardoises noires. L'entrée présentait un aspect presque attirant avec sa grande porte en bois à double battants sous un porche aux formes ovales, peu courante dans cette partie du pays. Le tout surmonté d'un haut clocher, d'un très haut clocher, incongru sur un tel édifice mais doté d'un beffroi permettant à son unique cloche de sonner les heures indiquées par son horloge, datant elle des années soixante dix, la pendule originale ayant été détruite par la foudre lors d'un orage mémorable.
****
Ce jour là, de violentes averses balayèrent la contrée. Tellement drues que quiconque ne pouvait voir sa main au bout de son bras tendu. Le village necomportant aucune déclivité, les caniveaux furent rapidement submergés. Les gouttières crachaient à plus d'un mètre de leurs gargouilles. L'eau tombant sur les toits des maisons passait au-dessus de ces mêmes gouttières provoquant des cascades s'écrasant sur les pots et les jardinières de fleurs installées au bas des façades. Pour Eugène, ce fut une bénédiction. Les géraniums ne supportèrent pas ces violentes on-dées. Hachés, pulvérisés, déchiquetés. Il n'aurait pas besoin de monter à l'échelle pour les installer devant chaque fenêtre de son habitation. Fort heureusement, la pluie cessa rapidement. Fort heureusement, il faut bien le dire, car tous ceux possédant une cave, se trouvaient occupés à l'intérieur de celles-ci à installer des parpaings, des briques ou tout autre objet per-mettant de rehausser les étagères trop basses. L'eau, après avoir envahi les rues, s'étalait sur les bordures herbeuses, arrivant au pied des habitations. Et les maisons au soupirail trop près du sol, se trouvaient menacées par ces eaux. A peine l'averse orageuse terminée, Jean-Henri sortit sur le pas de la porte pour constater de visu les dégâts qui ne devaient pas man-quer après un tel déluge.
-Reste pas devant là, Jeannot, qu'est-ce que tu vas voir ?
-Je ne peux pas sortir, c'est plein d'eau.
-Ben, mets tes bottes, gros malin.
-T'as raison la mère. J'y avais pas pensé. Tu sais où elles sont ?
-Là où tu les as laissées. Et parle mieux, sinon l'instituteur va te rappeler à Tordre.
Tout en maugréant, Jean-Henri referma la porte, se rendit tout au fond du couloir, ouvrit une autre porte donnant directement sur la remise. Ses bottes s'y trouvaient, bien sûr. Si Jean-Henri n'était pas très malin, il était surtout très paresseux. Et puis, se faire menacer par sa mère d'être rabroué par l'instituteur, lui déplaisait au plus haut point.
Il n'avait jamais aimé monsieur Lebroussard, ancien instituteur de l'école du village. Il n'avait eu à le supporter qu'une année mais ce vieux débris prenait un soin particulier à le surveiller et à lui rappeler les règles élémentaires de grammaire. Il soupçonnait sa mère d'avoir demandé elle-même ce service.
De cette remise, il pouvait, en penchant la tête, apercevoir ce qui se tramait à l'extérieur. Pas tout évidemment, et le risque de se retrouver nez à nez avec l'instituteur, était peu probable. Mais il existait. Sa curiosité l'emporta sur la prudence. Il ouvrit pré-cautionneusement la porte et fut ébloui par un soleil resplendissant.
-Alors Jean-Henri, tu viens constater les dégâts de cet orage, assez violent, je dois bien le reconnaître ?
Jeannot sursauta à l'énoncé de son prénom. Sans saluer le vieil homme, il fit comme si de rien n'était. Et resta silencieux. Au moins, il ne se ferait pas re-prendre systématiquement par cet imbécile. Il le dé-testait d'autant plus que ce triste bonhomme était le seul à l'appeler par son véritable prénom. Jean-Henri. Il ne fallait pas avoir de chance dans la vie pour être affublé de tels prénoms. Là, ce n'était pas la faute de l'instituteur mais du curé. Selon lui, reprendre les prénoms de ses grands parents était une façon de les honorer et de respecter leur mémoire. Tu parles d'une mémoire. Le prénommé Jean, père de son père, était mort dans la Somme, non pas au cours d'une de ces batailles sanglantes et inutiles mais en tombant de l'affut d'un canon, totalement ivre. Il fut inhumé dans le cimetière du village en toute discrétion et son nom ne fut jamais inscrit sur le monument aux morts, à la grande honte de la famille. Quant à Henri, le père de sa mère donc, perdit la vie en tombant sur la fourche de son voisin, Gustave, l'ayant surpris en train de copuler avec sa femme. La cérémonie fut moins dis-crète car ce drame en avait réjoui plus d'un. La femme de Gustave, selon la rumeur, se trainait une sacrée réputation. Quand même, drôle de cadeau du curé à ce pauvre garçon. Il faut dire aussi que la lé-gende voulait que le curé ait été réjoui de la dispari-tion d'un concurrent. Jean-Henri n'avait pas compris ce que cela voulait dire et sa mère se refusa à toute explication supplémentaire à ce sujet.
****
Il avisa d'abord les eaux de pluie se retirant des bordures puis de la route. Les caniveaux, toujours débordants, laissaient courir une eau boueuse. Levant les yeux, il aperçut d'autres gros nuages noirs mena-çants. Lebroussard les vit aussi. Evidemment, si les caniveaux avaient été nettoyés correctement comme le souhaitait le maire, monsieur Partinot, l'eau de pluie n'aurait-elle pas envahi aussi vite les bas côtés herbeux. C'est ce que lui fit remarquer Lebroussard. Jeannot haussa les épaules. Sur ce, le curé apparut à la porte du presbytère, situé en face de l'église et à proximité de la maison de Jean-Henri. Toujours vêtu de sa soutane noire, il l'apostropha également.
-Heureusement que ton père travaillait mieux que toi. Regarde-moi ces caniveaux, pleins de graviers, de boues, de paille. C'est quoi ce boulot de cochon Jean-Henri ! Les gargouilles de l'église, elles, n'ont pas débordé. Mais toi, tu n'es pas fichu de donner un coup de pelle correctement.
-Who, ho, ho. J'ai pas que ça à faire.
-Je n'ai pas que cela à faire, dit d'une voix puissante Lebroussard. Tu pourrais au moins parler correcte-ment quand tu t'adresses au curé.
-A monsieur le curé, rectifia l'homme d'église.
Il ne manquait plus que sa mère. A son grand dé-sarroi, telle une poule protégeant sa progéniture, elle l'avait suivi jusque dans la rue, l'invectivant pour son impolitesse face à ces deux personnages représen-tants, à ses yeux, la culture et la connaissance. Le maire au moins, le laissait tranquille mais les trois autres ! Pourtant, c'était grâce au maire s'il était devenu employé communal et aussi bedeau par la force des choses. Pour faire plaisir au curé qui avait fait en sorte que les obsèques de son père soient très pieuses. Sa nomination improbable à ce poste venait presque normalement en raison des causes de la mort de ce-lui-ci. Couvreur réputé, très demandé et peu regar-dant sur le temps réel passé sur un toit, il retapait, régulièrement les toits de la mairie, de l'église, du presbytère et occasionnellement de la maison du maire gratuitement. Malheureusement, il avait un penchant très marqué pour la bouteille, surtout le dimanche. Et comme c'était le jour où il travaillait gracieusement pour son village, le mélange fit qu'un jour, il oublia être monté sur la pointe du clocher pour redresser la girouette qui n'avait rien demandé. La chute lui fut fatale et les obsèques religieuses grandioses avec l'orgue et la chorale des vieux et des grenouilles de bénitier. Jean-Henri devint ainsi le premier et le seul employé communal de ce petit vil-lage de la Somme. Pas très malin, pas très courageux, pas agressif, pas méchant et peu porté sur la bou-teille. Et en ce jour d'orage, il immortalisa à jamais l'horloge vieillissante du clocher.
-Ne reste pas là à bailler aux corneilles, va au moins nettoyer les grilles des caniveaux. Un nouvel orage s'annonce.
Jean-Henri leva les yeux au ciel. Les nuages noirs et menaçants se déplaçaient vers eux. Au lieu d'écouter le curé, il se dirigea vers le perron de l'église, pataugeant dans l'eau des caniveaux.
-C'est pas pour ici. Il faut que je remonte l'horloge.
Au moins, personne ne pouvait lui reprocher de ne pas s'occuper de l'horloge de l'église. Quotidienne-ment, il grimpait dans le clocher d'une propreté re-marquable, et actionnait les deux manivelles permet-tant aux contre poids de faire fonctionner ce monument du temps. Les pigeons, légions dans ce village comme dans tous les bourgs du canton, n'avaient pas droit de cité dans ce lieu étroit et pas mal venteux. Jean-Henri y passait des heures à rêver en admirant les toits du village. Souvent, d'en bas, il surveillait la grande aiguille pouvant se mettre à tres-sauter selon les changements de temps. Et d'aussitôt, il montait dans le clocher remettre le tout d'aplomb. Puis, se sachant seul, il exhumait une petite boite en fer cachée entre les chevrons opposés à ceux soute-nant l'horloge. Caressant doucement le couvercle autrefois rouge carmin, il l'ouvrait précautionneuse-ment et en sortait les photos. Elles représentaient la petite Rosalie, la fille de Lebroussard dont il avait toujours été secrètement amoureux. C'était elle qui les lui envoyait chaque année même après s'être mariée. Quand il avait appris cet heureux évènement par l'instituteur, larme à l'œil car il avait eu la petite sur le tard, Jean-Henri ne fut ni déçu ni triste car Rosalie venait au village chaque année et à chaque fois, ils montaient dans le clocher clandestinement. Et là, elle déposait un léger baiser sur ses lèvres et après, met-tant son doigt sur sa bouche, elle lui disait, chut, c'est notre secret. Même après avoir eu ses enfants, la belle Rosalie pensait toujours à lui. Mais ce jour là, il n'eut pas le temps d'aller caresser cette jolie boite.
Des morceaux de ciel d'un bleu limpide apparaissaient entre les nuages sombres et noirs filant à toute vitesse vers le nord est. Pris d'une envie subite d'admirer une fois de plus ce symbole du temps qui passe, il recula de quelques pas.
Un violent coup de tonnerre éclata au-dessus d'eux, suivi d'un éclair que chacun put voir à des kilomètres à la ronde.
La foudre s'abattit sur la girouette dans une lueur électrique surréaliste. Jean-Henri ne perdit pas une miette de cette vision fantastique. Il n'avait jamais vu le clocher sous cet angle ni avec ces couleurs. Des volutes de fumées blanches commencèrent à sortir des aérations du clocher quand, tout à coup, dans un crissement strident, la pendule pencha en avant, len-tement puis se bloqua retenue par des fils d'acier. En dessous, le jeune homme restait ébahi, la bouche ou-verte. Puis, il fit un pas en arrière non pas pour se sauver mais pour mieux voir ; Il était quand même très curieux. Trébuchant, il se retrouva sur les fesses. Et la grand aiguille, arrivée presque au sommet du cadran, se détacha, se retourna pointe en avant, et, dans un silence spectral, plongea brutalement vers le bas embrochant proprement Jean-Henri, tout droit, tout net, dans la poitrine. Une pluie d'orage éclata, trempant la victime de ce phénomène atmosphérique, éteignant en même temps le début d'incendie du clocher.
Jean-Henri fut enterré avec tous les honneurs dus à son rang en tant que bedeau et surtout en tant qu'employé municipal décédé en service. Ce jour là, l'église fut trop petite pour accueillir tout le monde. Les circonstances de sa mort furent pour beaucoup dans ce déplacement humain. Surtout que le curé parvint à faire déplacer l'évêque du coin et trois autres officiants, une cohorte d'enfants de chœur, la chorale du diocèse et une fanfare qui joua la Marseil-laise dans le cimetière lors de la descente du cercueil dans le caveau familial, au grand dam du maire pen-sant qu'il ne fallait quand même pas trop exagérer. Etant célibataire, son salaire ne profita à personne bien que mort en service actif. Gros soulagement pour le maire auquel la mère de Jeannot, à quelques jours de son dernier soupir peu après cet incident macabre, parvint à lui arracher la promesse d'entretenir le monument. Cette promesse fut suivie d'effets durant quelques années par tous les maires suivants sans déclencher les habituelles mauvaises humeurs de la part d'une population ignorante de certe histoire. Lebroussard décéda quelques jours plus tard d'un arrêt cardiaque dû à son âge. Ce jour là, Rosalie apprit le décès de Jean-Henri.
****