Petits récits macabres - Nadège Carlesso - E-Book

Petits récits macabres E-Book

Nadège Carlesso

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Beschreibung

Une chevelure qui prend vie. D'étranges phénomènes se produisent dans une auberge depuis l'arrivée d'un client mystérieux. Un frère que tous croyaient mort revient d'un périple dont il n'a gardé aucun souvenir. Un doppelgänger prend sa mission de protection trop à coeur. L'homme en retard montera-t-il dans son train à temps? Comment vivre avec autrui lorsqu'on ne supporte pas les bruits qui sortent de leurs bouches ? Une Mère-Noël blasée doit affronter de mystérieux accidents au royaume de Noël. Tant d'âmes tourmentées et d'autres encore qui se retrouvent réunies au sein de ce recueil. Ils plongent dans les ténèbres, nous sautons avec eux.

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Seitenzahl: 191

Veröffentlichungsjahr: 2023

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Du même auteur :

Contes et légendes d'épouvante

Table

Ces défauts qui nous rongent

La chevelure

La belle sauvera-t-elle la bête?.

Légendes

Le revenant

La fontaine aux souhaits

Voyages en train

Le voyageur en retard

Carnet de suivi des douleurs

Huis clos physique, huis clos mental

Monologue intérieur

Confidences d’une faucheuse

Aller simple

Phobies et autres angoisses

L’interstice de la peur

Misophonie

La pression des fêtes de fin d’année

Accidents en série au royaume de Noël

Ces défauts qui nous rongent

La chevelure

On dit que la vanité est un défaut, le célèbre mythe de cet homme amoureux de son reflet dans l’eau s’en veut le symbole. Mais, pour ceux qui n’en seraient pas encore convaincus, laissez-moi vous conter une histoire dont on m’a fait part récemment. Je n’en ai pas été le témoin direct, mais je considère ma source comme parfaitement fiable puisqu’elle en est la protagoniste.

Nous nous sommes rencontrés il y a peu. Les hasards de la vie nous ont conduits à cohabiter pour le moment. Elle m’a autorisé à transmettre ce qui lui est réellement arrivé. Je sais que je peux me fier à elle et vous à moi. Trêve de bavardages, revenons, à ce qui nous intéresse, notre récit. Il débute au jour même de la naissance de ma nouvelle amie, notre actrice vedette.

Lorsque le bébé fut entièrement extrait du ventre de sa mère, une exclamation d’admiration se généralisa dans la salle d’accouchement.

— Quelque chose ne va pas ? A-t-elle un problème ?

— Non, bien au contraire madame, votre fille est… tout simplement magnifique.

On tendit la nouvelle née à sa mère qui comme chaque personne présente dans la pièce fut ébahie par la beauté de l’enfant.

Cette perfection résidait en un élément essentiel qui se distinguait : la masse chevelue qui recouvrait le dessus de son crâne. Épaisse, cotonneuse et douce, elle attirait toute l’attention. La femme charmée y plongea immédiatement les doigts. Elle les aima instantanément. Les jours qui suivirent, elle ne put s’empêcher de les caresser, de jouer avec la toison naturellement bouclée, d’entortiller les mèches. Elle se promit d’en prendre soin pour toujours.

En grandissant, Nerissa, c’est ainsi qu’elle fut nommée, suscita constamment la fascination et l’envie. Tous louaient la beauté de cette chevelure divine. Elle s’efforça pourtant de rester humble. Mais, tout change. Plus son âge avançait, plus sa modestie était mise à l’épreuve. Il fut plus difficile à mesure que le temps passait de résister à la tentation de la vanité qui cherchait à s’immiscer en elle.

Alors qu’elle était devenue une jeune adulte, sa mère, dont la fierté n’avait fait que gonfler au fil des ans, lui brossait les cheveux chaque matin et chaque soir pendant de longues heures. Tout en s’exécutant, elle vantait leur splendeur, elle prononçait en une seule et même phrase plus d’adjectifs et de superlatifs que n’importe qui d’autre en une année.

— Ils sont ton meilleur atout, tu le sais n’est-ce pas ? Ne l’oublie jamais.

— Oui, maman.

Comment rester modeste lorsque l’ego est flatté plus encore à chaque jour qui passe? Elle ne se fit ni arrogante ni prétentieuse, non, mais à présent elle avait pleinement conscience de son potentiel et de la beauté de sa crinière voluptueuse.

Alors qu’elle n’y avait pas prêté attention quand elle était plus jeune, qu’elle avait accueilli les éloges s’en y réfléchir plus que nécessaire, elle se surprenait maintenant à s’admirer longuement dans n’importe quel objet qui lui renvoyait son reflet. Obsédée par sa propre image, elle se répétait dans sa tête les compliments qu’elle entendait depuis l’enfance.

Un soir, sa mère avait dû s’attarder au bureau, Nerissa fut obligée de se brosser elle-même. Installée devant le miroir de la salle de bain, elle attrapa la brosse. Sa mère la lui avait offerte. D’une qualité exceptionnelle, elle avait coûté une somme importante, elle ne cessait d’ailleurs de le lui rappeler. Il faut bien prendre soin de tes cheveux, je suis sûre que ton futur dépendra d’eux, lui avait-elle répondu lorsque Nerissa avait remis en cause le prix plus qu’excessif.

Elle allait apposer l’ustensile sur la cascade de boucles, mais elle s’arrêta un instant pour s’observer. De sa main libre, elle attrapa une mèche qu’elle laissa retomber. Elle aimait cette chevelure qu’elle savait somptueuse, elle en était fière, trop même, elle changeait, elle s’en était rendu compte, elle se faisait orgueilleuse.

En parallèle de ce contentement constant, une pointe d’amertume subsistait au fond d’elle. Pourquoi donc être triste quand tout le monde vante votre beauté ? Tout bonnement, car elle aurait souhaité que les gens voient autre chose que son esthétique, qu’ils la regardent elle, la personne qu’elle était. Sa propre famille ne s’intéressait qu’à son paraître, jamais à sa personnalité. Qui était-elle au fond ? Le savait-elle elle-même?

Elle entama le brossage. Ballottée entre des pensées contradictoires, elle ne s’appliqua pas autant qu’elle aurait pu dans l’accomplissement de celui-ci. Elle n’employa pas la même minutie, la même finesse dans ses mouvements que sa mère le faisait. La brosse s’accrocha dans un nœud, elle chercha à le défaire, tira dans un geste brusque.

— Aïe ! s’écria une voix.

— Que… qui a dit ça ?

— C’est moi, qui veux-tu que ce soit d’autre ? Tu devrais faire plus attention, tu m’as fait mal. Qu’est-ce qui t’a pris? Pourquoi forcer avec tant de brutalité ? Il faut de la délicatesse pour défaire mes nœuds. Recommence en t’appliquant cette fois, sois douce !

Nerissa s’exécuta.

— Voilà, c’est parfait ainsi. Tu t’améliores. Continue !

— Qui es-tu ? interrogea Nerissa tout en poursuivant son labeur.

— Je suis ta chevelure bien sûr.

— C’est impossible. Les cheveux ne parlent pas, les cheveux n’ont pas de personnalité propre.

— Moi, si !

— Mais…

— Pas de mais ! Continue !

Quand sa mère rentra enfin, Nerissa n’avait toujours pas terminé sa tâche. Elle regarda l’heure. Elle se brossait depuis plus de trois heures. Désormais tirée de son état hypnotique, elle sentit la douleur qui se généralisait du haut de son épaule jusqu’au bout de ses doigts. Ses muscles avaient été mis à rude épreuve. En sortant, elle croisa sa mère.

— Veux-tu que je te passe un coup de brosse avant que tu ailles dans ta chambre ?

— Non, je me suis débrouillée toute seule.

— Tu es certaine ? Je suis frustrée d’avoir été privée de mon rituel avec eux.

— Oui, je suis fatiguée, je vais me coucher.

Elle s’allongea dans son lit, ses cheveux s’étalèrent autour d’elle en une mer ondulée.

— Je suis heureuse de ce moment partagé avec toi ce soir, lui souffla la voix. Nous devrions faire cela plus souvent, seulement toi et moi, juste toutes les deux, personne pour s’immiscer entre nous.

Le lendemain était le jour de la séance de coupe mensuelle de ses longueurs. Sa mère se chargeait toujours de cet entretien incontournable. Nerissa s’installa. La coiffeuse autoproclamée lui passa le tablier autour du cou et s’arma de ciseaux. Eux aussi lui avaient coûté une petite fortune. Elle se saisit d’une première mèche qui lui glissa entre les doigts. Elle en attrapa une autre qui s’échappa à son tour. À chaque essai, elle ne parvenait pas les garder en main. Elles se faufilaient, elles ne voulaient pas être empoignées, au contraire, elles souhaitaient se soustraire à toute emprise extérieure.

— Mais, que se passe-t-il ?

— Un problème maman ?

— Je ne comprends pas, je n’arrive pas à tenir tes cheveux, ils n’arrêtent pas de retomber.

Elle effectua une ultime tentative. Cette fois, la mèche insoumise lui fouetta la peau.

— Ne la laisse pas me toucher, je t’en prie. Je ne le supporte plus. Tous ces gens qui tentent d’apposer leurs mains poisseuses sur moi… ils m’écœurent. Ils nous envient, je peux le deviner, je le sens. Elle en particulier. Elle nous jalouse. Regarde ses yeux brillants de passion. Elle aspire à me posséder. Hier, elle insistait pour te brosser. Elle était si alarmée que tu te sois occupée de moi toute seule. Elle t’en avait toujours empêchée avant. Ne trouves-tu pas cela étrange ? Je suis persuadée qu’elle ne me veut que pour elle. Si elle pouvait m’arracher à toi, elle le ferait, je le sais. Je n’accepte plus qu’elle pose ses doigts envieux sur moi, cela me rend malade.

Nerissa se leva violemment et extirpa sans plus tarder la paire de ciseaux des mains de sa mère.

— Je vais m’en occuper.

— Non, laisse, je m’en suis toujours chargée.

— Plus maintenant. Et, à partir d’aujourd’hui, c’est moi qui me brosserai les cheveux le matin et le soir. Je n’aurai plus besoin de ton aide. Plus jamais. Désormais, j’en prendrai soin moi-même.

Sans attendre la réponse de sa mère, elle se précipita dans la salle de bain. Elle passa les heures qui suivirent à soigner sa chevelure devenue indépendante. Elle la choya. Elles s’encensèrent l’une l’autre, glorifièrent leur beauté respective. Elle ne sortit pas pour manger et ne regagna sa chambre que tard dans la nuit. Satisfaite de sa nouvelle amitié, du lien solide qu’elle venait de créer avec cette autre qui la considérait réellement et voulait la protéger des profiteurs, Nerissa s’endormit un sourire dessiné sur ses lèvres.

Le lendemain, Nerissa se préparait.

— Tu devrais te faire une tresse, lui proposa la voix.

— Pourquoi ? J’ai toujours laissé mes cheveux détachés jusqu’à aujourd’hui.

— Fais-moi confiance. Tu sais que la seule chose que je désire, c’est nous préserver de ces parasites. Tous les jours, je devine leurs regards envieux sur moi, ils me mettent mal à l’aise. Je suis certaine qu’ils sont attirés par le parfum naturel que je dégage, ensorcelés, ils seraient prêts à tout pour nous avoir pour eux. Avec une tresse, nous capterons moins leur attention. Serre-la bien, ne laisse aucune mèche dépasser.

Nerissa obéit. Elle ne le regretta pas, elle se sentit plus à l’aise au cours de la journée. Elle devait faire confiance à sa récente alliée et suivre ses conseils.

Les jours défilèrent, Nerissa se renferma sur elle-même, privilégiant sa nouvelle relation à toute interaction avec autrui. Elle passait des heures à la caresser avec délectation, une manie qui ne la quittait plus. Un soir, sa mère la surprit en pleine discussion avec la chevelure dans la salle de bain.

— À qui parles-tu chérie ?

— À mes cheveux, comme tu le faisais. Qui sait peut-être qu’ils peuvent m’entendre et que cela les aidera à pousser comme les plantes.

— Tu as raison.

Lorsque sa confidente lui conseilla de ne plus sortir pour être à l’abri de tous ses yeux qui les dévoraient de loin, elle n’objecta pas. Elle prétexta être malade pour pouvoir rester à la maison. Elle se découvrit de grandes qualités de comédienne. Elle réussit à duper sa mère plusieurs jours.

Un matin avant de partir au travail, cette dernière pénétra dans la chambre de Nerissa. Ceci la contraria, comment osait-elle envahir son sanctuaire?

— Tu ne vas toujours pas mieux ma chérie ? Nous devrions contacter le médecin.

— Non ! hurla la voix.

— Non ! gronda Nerissa

— Chérie, je sais que quelque chose te tracasse en ce moment. Je suis certaine que tu n’es pas vraiment malade. Que t’arrive-t-il ?

— Rien, rétorqua Nerissa essayant de retenir son agacement. Laisse-moi s’il te plaît, j’ai besoin de repos.

Mais, sa mère persista. Au lieu de sortir, elle s’avança plus près du lit.

— Dis-moi, insista-t-elle tout en s’asseyant sur le bord du matelas.

Nerissa s’écarta. Une main s’approcha de la chevelure répandue en soleil sur l’oreiller.

— Toujours, aussi magnifiques. Je ne les ai pas caressés depuis tant de temps. Cela m’a manqué.

— Ne la laisse pas faire, pitié, implora la masse épaisse.

— Ne les touche pas ! aboya Nerissa en repoussant les doigts intrusifs. Je sais ce que tu as en tête, tu les veux pour toi n’est-ce pas ? Que vas-tu faire ? Me les arracher et te le coller sur le crâne ? Ils ne t’iraient pas, tu es laide, tu les rendrais aussi laids que toi.

La gifle qu’elle reçut brûla ardemment, sa joue picotait, elle la sentit s’empourprer, pulser. La douleur décupla sa rage.

— Comment oses-tu nous toucher avec ta pitoyable main répugnante ?

— Qui est ce nous dont tu parles ? Tu as perdu l’esprit. Tu es complètement hystérique ma pauvre chérie.

Nerissa la propulsa au sol et s’enfuit dans la salle de bain dans laquelle elle s’enferma. Elle fut suivie au pas de course. La mère frappa sur la cloison avec force et colère.

— Ouvre immédiatement ! ordonna-t-elle.

— Jamais. Va-t’en !

Lorsqu’elle n’entendit plus de bruit, elle crut que sa poursuivante s’était lassée. Nerissa entrouvrit la porte, sa mère se jeta dessus sans attendre l’élargissant en grand. C’est là que Nerissa aperçut les ciseaux qu’elle tenait.

— Tu es devenue bien trop prétentieuse ma fille. Je n’aurais pas dû te vanter autant toute ta vie. Je vais te raser la tête, cela te fera peut-être redescendre sur terre.

— Elle va me tuer ! cria son amie.

— Je ne te laisserai jamais faire maman.

Sa mère se précipita sur elle.

— Sauve-moi !

— Reste calme sinon je vais te faire mal. Tout ira mieux après.

— Lâche-moi maman !

— Empêche la Nerissa.

— Ne bouge pas Nerissa.

— Laisse-moi maman !

— Attrape les ciseaux.

— Nous allons nous blesser ma chérie.

— Arrête maman

— Tue-la ! Tue-la ! C’est le seul moyen.

Au bout d’une bataille acharnée entre mère et fille, Nerissa parvint en fin de compte à se saisir des ciseaux. Son adversaire s’échoua lamentablement à genoux sur le carrelage tandis que Nerissa brandissait l’arme.

— Pose ça ma puce. Tout ça n’est qu’un malentendu. Je suis désolée de m’être emportée et de t’avoir menacée. Nous devons régler ça de manière réfléchie. Nous irons voir des spécialistes, ils pourront t’aider.

— Fais-la taire.

Sans hésiter, Nerissa plongea l’accessoire aiguisé dans la gorge de sa mère avec énergie, une première fois, puis une deuxième, puis encore une et encore, avec ardeur, jusqu’à ce que le sol ne ressemble plus qu’à une mare ensanglantée.

Alors, que pouvons-nous penser de ce récit que je viens de vous exposer ? Certains diront que Nerissa a tout inventé, qu’elle était folle. Nerissa, elle, considère que c’est la vanité qui a donné vie à sa chevelure. Les louanges, l’adoration démesurée des autres, son propre orgueil, ont permis de donner naissance à cette entité indépendante et prétentieuse.

Elle m’a confié que depuis son arrivée ici, avec ce qu’ils lui font avaler, elle ne lui avait plus parlé. Elle en était peinée, car malgré tout, même en dépit de ce qu’elle l’avait poussait à faire, elle lui manquait. Elle se retrouvait seule à nouveau.

Pourquoi pas ? Moi, je crois en son hypothèse, je ne suis pas le seul, ma poupée Gisèle est aussi de cet avis.

La belle sauvera-t-elle la bête ?

Vingt-et-une heures venaient à peine de sonner lorsque la cloche de la porte retentit. Nami n’attendait aucun client ce week-end ni la semaine qui suivait. Ce devait être ses premiers jours de congés tant espérés puisqu’elle n’en avait pas eu depuis des années. Elle sursauta face à cet avertisseur strident et agressif annonçant l’arrivée d’une personne.

Elle détestait le son qui s’échappait de ce carillon. Il lui semblait sinistre, annonciateur de mauvais présages. Elle voulait le changer depuis un moment déjà, mais gérer seule une auberge, même de petite taille, était une charge très lourde et à chaque fois qu’elle avait eu l’intention de s’en occuper, une autre tâche plus importante l’en avait empêchée. Après un temps de surprise, elle s’avança dans le hall et ouvrit la porte.

À l’entrée, un homme, trempé par l’averse, tentait de s’abriter sous le toit marquise.

— Bonsoir, vous reste-t-il des chambres pour la nuit ?

Au moment où il engagea la conversation, la bouche de l’inconnu attira son attention. Le mouvement des lèvres était à peine perceptible alors que l’individu parlait, elles étaient pincées, presque collées. Était-ce un ventriloque ? Le son sortait-il réellement de cette bouche qui ne se mouvait quasiment pas ?

— Excusez-moi ! Est-ce que vous m’entendez?

Un mime ? Y avait-il vraiment quelqu’un devant elle ? Était-ce une personne réelle ?

Il se racla la gorge avec force pour attirer son attention.

— Je vous présente mes excuses, j’ai eu comme une absence…

— En effet ! répondit-il sèchement.

— Que puis-je faire pour vous ?

— J’aurais besoin d’une chambre. En reste-t-il une de disponible?

— L’auberge était censée être fermée, j’avais suspendu une pancarte à l’entrée de l’allée qui conduit jusqu’ici… Toutefois, vu l’heure tardive et la pluie, je ne vais pas vous laisser dehors, entrez.

— Je vous remercie.

Sa voix était abrupte et cassante malgré les remerciements qu’elle exprimait.

— Ne vous inquiétez pas pour cela, lança Nami par pure politesse.

Elle rejoignit le comptoir, se saisit d’une clé, puis elle l’invita à la suivre, ils montèrent les escaliers et elle le guida vers la dernière chambre du couloir. Elle lui fit visiter la pièce qui était simple, mais chaleureuse comme le reste de l’auberge. C’était ainsi que Nami l’avait imaginée dès le début.

Lorsqu’elle lui demanda s’il avait déjà pris son repas, il lui répondit par la négative. Elle le convia à venir dîner avec elle dans la salle à manger, ce qu’il accepta. Quelques minutes plus tard, il la retrouva afin de partager le dîner qu’elle s’était préparé pour le soir même. Par chance, elle en avait fait en plus grande quantité.

À présent complètement sec, il ne ressemblait plus à un chien mouillé. Ses traits tirés et stricts ressortaient plus qu’avant. Tout était allé très vite, elle ne lui avait même pas réclamé son nom pour le registre, elle n’osait pas. Elle avait trouvé le paiement de la location en liquide posé près de la caisse en allant chercher leurs plats.

L’atmosphère autour de la table était pesante, le silence lourd créait un malaise. Son attitude sévère ne donnait pas envie d’engager le dialogue. En dépit de cela, Nami qui était plutôt quelqu’un de loquace à l’accoutumée ne put se retenir et entreprit d’amorcer la conversation.

— Je m’appelle Nami. Et vous quel est votre nom ?

Sa réplique resta sans réponse, l’homme ne prit même pas la peine de remonter les yeux vers elle, il garda le regard figé sur son assiette. Loin de se décourager, Nami décida de poursuivre.

— Êtes-vous venu ici pour des raisons professionnelles?

Encore une fois, ses paroles semblaient s’être perdues en chemin et n’avoir jamais atteint son interlocuteur.

Soudain, il la toisa d’un œil glacial.

— Parlez-vous toujours autant ?

Blessée dans son orgueil, elle se leva sans un mot, débarrassa ses affaires et se dirigea vers la sortie.

— Vous pouvez déposer votre vaisselle dans la cuisine qui se situe dans la pièce à côté, je m’en chargerai demain. Sur ce, bonne nuit monsieur, lança-t-elle avec ressentiment tout en quittant les lieux sans se retourner.

Elle avança d’un pas décidé vers sa propre chambre tout en maudissant l’homme pour son impolitesse. Elle ne parvenait pas à décolérer. Elle ne comprenait pas les gens. En société, pour que les relations se passent bien, il fallait témoigner d’un minimum de courtoisie. Les mauvais jours arrivaient à tout le monde bien sûr, mais afficher une humeur exécrable, déverser sa frustration sur autrui était quelque chose d’inconvenant.

Vivre en communauté impliquait de faire la différence entre le privé et le public, en public on se devait d’arborer une attitude neutre, celle qu’elle s’efforçait d’adopter à chaque discussion avec des inconnus.

Après s’être lavée, elle s’installa dans son lit, attrapa son ordinateur, ses écouteurs et elle lança un vieux film d’épouvante en noir et blanc. Une demi-heure plus tard, elle entendit la porte du fond du couloir claquer. Il avait rejoint sa chambre. Son attention fut attirée, elle fit pause, en suspens, mais tout redevint silencieux, elle revint à son occupation.

Aux alentours de minuit, un fracas assourdissant la sortit de sa concentration. Un orage ? Elle appuya sur la barre espace de son clavier afin d’interrompre le film, le silence régnait. Elle relança. Le bruit se répéta : quelque chose que l’on brisait, des déchirures, des raclements. De nouveau, elle arrêta la diffusion.

Cette fois-ci, elle se leva et entrouvrit la porte de sa chambre. Elle était certaine d’avoir entendu quelque chose et cela ne provenait ni du film, ni de chez elle, ni de l’extérieur, mais du fond du couloir. Elle resta un instant à l’affût. Au moment où elle allait refermer, l’écho ressurgit de manière plus faible.

Nami se faufila dans le couloir, s’efforçant d’être la plus discrète possible. Elle ne voulait pas passer pour une personne qui espionnait les autres. En tant que propriétaire d’une auberge, elle ne devait pas se faire trop curieuse de la vie de ses clients, cela ne pourrait que lui apporter une mauvaise publicité si ce genre d’indiscrétions s’ébruitaient.

Pourtant, le vacarme ne pouvait qu’attirer son attention et il émanait de la chambre louée. Elle continua à progresser sur la pointe des pieds. Nami se positionna devant la porte, accola son oreille avec douceur pour ne pas faire craquer le bois sensible. Le tumulte avait cessé. Le calme auditif laissa place à autre chose, une émanation putride qui se dégagea de sous la porte. Peu à peu, l’odeurse hissa jusqu’aux narines de Nami qui se pinça le nez. Mais c’était trop tard, l’infection l’avait déjà gagnée, elle la sentait à l’intérieur de sa bouche comme si elle s’y était nichée.

Une nausée survint, elle avança péniblement en direction de sa chambre espérant contenir suffisamment longtemps le vomi qui remontait de son estomac, jusqu’à sa gorge et qui était proche d’envahir sa bouche. Alors qu’il ne lui restait que peu de pas avant d’atteindre sa destination, elle fut obligée d’accélérer sa foulée qui se transforma en course. Elle rentra dans la pièce, ferma la porte. Sans pouvoir rejoindre la salle de bain, elle rendit l’intégralité de son repas sur le parquet.

Même après s’être en quelque sorte libérée, l’odeur écœurante subsista dans son nez, elle avait l’impression d’étouffer de l’intérieur. Elle alla ouvrir la fenêtre. Ce n’est qu’après avoir respiré l’air frais de la nuit qu’elle put faire disparaître de son esprit la puanteur.

Avant de s’endormir, elle réfléchit longuement. Quelle pouvait bien être l’origine du désordre et des effluves? Devait-elle en parler au principal intéressé le lendemain ? Ne serait-ce pas trop intrusif ? Ne ferait-elle pas preuve d’une curiosité trop poussée ?

Au matin, elle se sentait beaucoup mieux. Après avoir déjeuné seule, elle eut envie d’aller faire une promenade à l’extérieur. L’atmosphère pure et sereine, les couleurs du jardin, le soleil qui lui chauffait la peau lui apportèrent du réconfort et un sentiment de sécurité contrastant avec son malaise de la veille. Elle déambulait à travers les arbres et plantes qui peuplaient son parc et dont elle était si fière, elle se laissa aller à des rêveries.