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L'intérêt pour la langue est un trait dominant de la philosophie contemporaine. Non que nos contemporains soient les premiers à découvrir le langage. Celui-ci a toujours été à la place d'honneur dans la philosophie, tant il est vrai que la compréhension que l'homme prend de lui-même et de son monde s'articule et s'exprime dans le langage ; les sophistes grecs sont sans doute les premiers à en avoir pris une conscience aiguë ; Socrate cherche les « définitions », c'est-à-dire le sens permanent de nos mots et de nos phrases ; Platon ...

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Veröffentlichungsjahr: 2015

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ISBN : 9782852297494

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Philosophies du langage

Introduction

L’intérêt pour la langue est un trait dominant de la philosophie contemporaine. Non que nos contemporains soient les premiers à découvrir le langage. Celui-ci a toujours été à la place d’honneur dans la philosophie, tant il est vrai que la compréhension que l’homme prend de lui-même et de son monde s’articule et s’exprime dans le langage ; les sophistes grecs sont sans doute les premiers à en avoir pris une conscience aiguë ; Socrate cherche les « définitions », c’est-à-dire le sens permanent de nos mots et de nos phrases ; Platon, dans le Cratyle, s’interroge sur la « justesse » des mots et établit, dans le Théétète et Le Sophiste, que c’est la structure complexe de la phrase, faite d’un entrelacs du nom et du verbe, qui seule permet la fausseté, qui est le pouvoir de dire faux, de dire ce qui n’est pas. Dans son traité Sur l’interprétation, Aristote établit que toutes les lois de la logique s’édifient sur les caractères de la proposition, laquelle consiste à affirmer ou nier « quelque chose au sujet de quelque chose ». La métaphysique prend ainsi appui sur une connaissance exacte du fonctionnement du langage. Il y a eu dans l’histoire plusieurs grandes époques pour la philosophie du langage : la dialectique des médiévaux et des discussions autour du nominalisme ; la théorie des signes du XVIIIe siècle, en particulier chez Condillac et chez Rousseau ; les conjectures et les discussions sur l’origine des langues, chez Herder et dans le grand idéalisme allemand. Ces recherches culminent chez Wilhelm von Humboldt, notamment dans son ouvrage posthume Über die Verschiedenheit des menschlichen Sprachbaues und ihren Einfluss auf die geistige Entwicklung des Menschengeschlechts (1836 ; De la diversité de structure des langues humaines et de son influence sur le développement spirituel de l’espèce humaine). Cette œuvre domine de haut le XIXe siècle ; c’est à elle que deux penseurs contemporains aussi différents que le linguiste Chomsky et le philosophe Heidegger aiment à se reporter.

Pourtant on se référera ici non à cette tradition philosophique, mais aux philosophies du langage, contemporaines de l’extraordinaire essor de la linguistique. On essaiera de faire comprendre que c’est la même époque, la nôtre, qui a produit la linguistique et des sortes de philosophies pour lesquelles la connaissance du langage est préalable à la résolution des problèmes fondamentaux de la philosophie, si l’on entend par là ceux qui sont hérités de la tradition et qui concernent non les signes, mais les choses mêmes, le monde, l’homme. L’idée qu’une théorie des signes puisse et doive précéder une théorie des choses est caractéristique d’une grande partie de la philosophie de notre époque. Certes, les philosophies qu’on peut appeler philosophies du langage ne sont pas toujours, ni même souvent, dérivées d’une réflexion sur la linguistique ; c’est même assez récemment qu’elles ont tenu compte des principes, des méthodes et des résultats de la linguistique. En dépit de ce défaut de communication entre linguistique et philosophie du langage, la convergence d’intérêts est saisissante et peut être tenue pour un trait dominant de la pensée actuelle.

1. Épistémologie de la linguistique

• Linguistique structurale et linguistique transformationnelle

Le Cours de linguistique générale de Ferdinand de Saussure (1916) a imposé la conception structurale du langage qui domine largement la linguistique contemporaine en dépit des conflits d’écoles. Mais un événement des plus importants, du moins pour la philosophie du langage, est l’apparition et le développement rapide d’une nouvelle méthode d’analyse du langage, celle de la grammaire transformationnelle de Noam Chomsky et de son école.

Ferdinand de Saussure. Ferdinand de Saussure (1857-1913), dont l'œuvre, essentiellement orale, fut transmise par ses élèves qui éditèrent son Cours, a posé les fondements scientifiques de la linguistique structurale, et déterminé par là une nouvelle approche des sciences de l'homme. Portrait de F. de Saussure, par F.H. Jullien, 1909. (AKG)

La linguistique structurale

Ferdinand de Saussure

Saussure isolait la langue, comme système social, de la parole, comme exécution individuelle ; dans la langue, il éliminait la « substance » sonore et psychique pour ne retenir que la « forme », c’est-à-dire les rapports purement différentiels et oppositifs entre éléments, qu’il s’agisse des phonèmes ou des valeurs lexicales ; pour appréhender la langue dans la solidarité systématique de ses éléments, il disjoignait la linguistique synchronique, portant sur l’étude des éléments simultanés du système, de la linguistique diachronique, renvoyée à l’étude des changements d’un état de système à l’autre. La plupart de ses principes avaient été aperçus par ses contemporains et prédécesseurs, Jan Baudouin de Courtenay et Kruszewski ; cependant Saussure leur avait donné une forme épurée et une expression claire ; les principes du Cours de linguistique générale sont devenus le bien commun de la linguistique. Mais, en même temps, il livrait à la postérité un grand nombre d’énigmes non résolues. La première concerne le signe lui-même ; Saussure tenait les signes pour les « identités » sur lesquelles repose le système ; il avait fini par adopter la conception stoïcienne du signe verbal comme phénomène à double face composé du signifiant perceptible et du signifié intelligible ; il éliminait ainsi le rapport à la chose qui tombe hors du domaine linguistique, pour ne retenir qu’une différence interne au signe lui-même ; mais, en même temps, il continuait de donner une interprétation psychologique du signifiant et du signifié, le premier étant conçu comme image acoustique et le second comme concept, la langue elle-même étant comme un trésor inconscient déposé en chaque individu. Quant au rapport entre signifiant et signifié, il n’hésitait pas à le tenir pour tout à fait arbitraire, en dépit de ses remarques sur la motivation relative qui restreint l’arbitraire, en particulier dans la composition et la dérivation des mots ; on a pu lui reprocher d’avoir confondu le rapport du signe à la chose avec le rapport du signifiant au signifié, lequel contient plus de facteurs « iconiques » qu’il ne l’avait souligné. En outre, Saussure affirmait la linéarité du signifiant avec la même vigueur que l’arbitraire du signe. Mais tout est-il linéaire dans le langage ? La linguistique postsaussurienne, comme en témoigne l’œuvre d’Émile Benveniste, insiste sur le caractère hiérarchique et architectonique du langage qui impose la forme du tout aux éléments. Lorsque l’auteur du Cours aborde, à la fin de celui-ci, le « mécanisme de la langue », c’est-à-dire le fonctionnement et non plus l’identification et le classement des unités, il montre, après Kruszewski, que les opérations de combinaison supposent deux sortes de relations : la première, reposant sur la sélection parmi des termes semblables et absents, était dite associative ou paradigmatique ; la seconde, fondée sur la combinaison entre termes présents, était dite syntagmatique. Les séries paradigmatiques sont-elles aussi arbitraires que le dit Saussure ? Quant aux relations syntagmatiques, n’exigent-elles pas une théorie de la phrase qui n’est pas faite dans le Cours et qui remet en question l’opposition tranchée entre langue et parole ? Plus que tout, ce que Saussure laisse à l’état d’énigme, ce sont les dédoublements et les antinomies sur lesquels repose son œuvre : langue et parole, identité linguistique et système, synchronie et diachronie, signifiant et signifié, linéarité et hiérarchie, paradigme et syntagme. La linguistique postsaussurienne est en grande partie marquée par les efforts progressifs tendant à concilier ces dualités internes.

Mais, auparavant, la consolidation des principes de base de la linguistique structurale avait été l’œuvre de l’école de Prague et de celle de Copenhague.

Les écoles de Prague et de Copenhague

Le Cercle linguistique de Prague, fondé en 1926 sur l’initiative de V. Mathesius, avec la participation de trois linguistes russes, S. Karcevskij, R. Jakobson et N. S. Troubetzkoy, présenta ses thèses au Ier Congrès international de linguistique de La Haye en 1928. De la publication des actes de ce congrès date le début de la carrière internationale de la linguistique structurale : conception de la langue comme système fonctionnel, primat de l’analyse synchronique, application à la diachronie de l’hypothèse de l’évolution convergente. Mais l’école de Prague est surtout connue pour le traitement structural de la phonologie, qui exclut de la linguistique les faits physiologiques objectifs au profit des relations entre phonèmes réduites au rôle d’entités différentielles (Troubetzkoy, « Fondements de la phonologie », in Travaux du Cercle linguistique de Prague, 1939). Néanmoins, ce privilège de la phonologie ne saurait faire oublier les vastes intérêts littéraires et culturels qui s’expriment dans les huit volumes des Travaux du Cercle (1929-1938) ; plusieurs de ces travaux traitent de la langue littéraire et poétique selon les méthodes des formalistes russes de l’école de Propp, qui avaient démontré la construction simple des contes de fées et des légendes populaires russes en fonction d’un répertoire limité d’éléments dramatiques.

C’est l’école de Copenhague qui, avec V. Brøndal (fondateur, en 1939, des Acta linguistica du Cercle linguistique de Copenhague) et surtout avec Louis Trolle Hjelmslev, porte à sa pureté formelle et abstraite les thèses maîtresses du Cours. Les Prolégomènes à une théorie du langage (1943), publiés pour la première fois en anglais en 1953, définissent les conditions rigoureuses de la théorisation dans le domaine linguistique, en la soumettant aux exigences de l’empirisme logique. C’est parce qu’à chaque processus correspond un système que l’on peut isoler le schéma de la langue du texte et de la parole ; et c’est parce que la langue met en jeu, tant au plan du contenu qu’au plan de l’expression, tout un appareil logique de combinaisons, tout un réseau de fonctions en relation de dépendance et d’interdépendance que la logique est possible comme théorie au sens fort. C’est ainsi que Hjelmslev, éliminant tout résidu psychologique ou sociologique, conçoit une algèbre de la langue, dont on a pu toutefois se demander si elle permet de décrire une langue sans un recours constant à l’intuition.

La linguistique américaine

Pendant ce temps, la linguistique américaine accentuait ses caractères spécifiques par rapport à la linguistique européenne : plus grand souci de la description effective, attention aux langues parlées sans tradition écrite, méfiance à l’égard de la sémantique (accusée de « mentalisme » et d’esprit métaphysique), recours à des techniques mathématiques de segmentation, de distribution par fréquences. Alors qu’Edward Sapir (Language, 1921) avait encore su appliquer son génie de la synthèse souple aux faits linguistiques et embrasser les multiples aspects de la « forme linguistique » (fonction symbolique des mots, structure grammaticale, configuration formelle, référence au monde des concepts, etc.), Leonard Bloomfield (Language, 1933) imposait une conception mécaniste et béhavioriste des faits linguistiques, fondée sur le célèbre schéma stimulus-réponse : un stimulus externe S, agissant sur un premier locuteur, le pousse à parler (r) ; cette première réponse linguistique constitue un stimulus linguistique s chez le deuxième locuteur qui provoque chez lui une réponse pratique R ; les idées, concepts, images, intentions auxquels le « mentaliste » a recours ne sont que des manières vulgaires et abrégées de désigner des mouvements corporels d’une extrême complexité ; il en résulte que le signifié du langage doit pouvoir se réduire à l’ensemble des événements pratiques auxquels est lié un énoncé. Bloomfield tentait par là d’aligner la linguistique sur le discours des sciences naturelles ; comme on voit, c’est l’idée même de scientificité appliquée à la linguistique qui est en jeu ; pour être scientifique, faut-il être mécaniste et béhavioriste ? En tout cas, le philosophe ne manquera pas de remarquer que la linguistique issue de Bloomfield est la seule dont on puisse dire qu’elle est antiphilosophique, antimentaliste et antisémantique, en y ajoutant peut-être Hjelmslev ; ni Saussure ni les fondateurs du Cercle linguistique de Prague n’avaient tracé une frontière aussi nette entre la linguistique, d’une part, la psychologie et la phénoménologie, d’autre part. En revanche, l’école de Bloomfield ne rompait nullement l’unité de la linguistique structurale : comme dans la linguistique européenne, les faits grammaticaux sont décrits en termes purement formels (forme liée et forme libre, forme composante et forme complexe, etc.). Ainsi, dans les années quarante, le structuralisme américain d’inspiration bloomfieldienne s’est concentré sur les phénomènes de « distribution » à l’intérieur de la chaîne parlée, donnant ainsi la priorité à l’étude de la structure syntagmatique ; l’application mécanique des règles précises de segmentation et de classification se révéla particulièrement féconde pour la description de langues peu connues ou inconnues comme les langues amérindiennes ; mais, si cette définition par distribution se montre fort précieuse dans le cas des catégories syntaxiques, elle ne semble pas avoir rencontré en sémantique le même succès. À cet égard, le manuel de Zellig Harris (Methods in Linguistics) représente, aux environs de 1950, la synthèse la plus complète et la plus rigoureuse de la linguistique d’inspiration bloomfieldienne ; tout ce qui n’est pas différence formelle ou distributionnelle des éléments linguistiques est rigoureusement banni. Ainsi arrive à maturité l’analyse taxonomique à laquelle réagira la théorie transformationnelle.