Physiologie de l'employé - Honoré de Balzac - E-Book

Physiologie de l'employé E-Book

Honore de Balzac

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Extrait : "Qu'est-ce qu'un employé ? À quel rang commence, où finit l'employé ? S'il fallait adopter les idées politiques de 1830, la classe des employés comprendrait le concierge d'un ministère et ne s'arrêterait pas au ministre. M. de Cormenin, que la Liste Civile bénisse ! semble affirmer que le roi des Français est un employé à douze millions d'appointements, destituable à coups de pavé dans la rue par le Peuple, et à coups de vote par la Chambre."

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Seitenzahl: 87

Veröffentlichungsjahr: 2015

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EAN : 9782335054194

©Ligaran 2015

CHAPITRE PREMIERDéfinition

Qu’est-ce qu’un employé ? À quel rang commence, où finit l’employé ?

S’il fallait adopter les idées politiques de 1830, la classe des employés comprendrait le concierge d’un ministère et ne s’arrêterait pas au ministre. M. de Cormenin, que la Liste Civile bénisse ! semble affirmer que le roi des Français est un employé à douze millions d’appointements, destituable à coups de pavé dans la rue par le Peuple, et à coups de vote par la Chambre.

Toute la machine politique se trouverait ainsi comprise entre les trois cents francs de traitement des cantonniers ou des gardes-champêtres et les douze cents francs du juge-de-paix ; entre les douze cents francs du concierge et les douze millions de la Liste Civile. Sur cette échelle de chiffres seraient groupés les pouvoirs et les devoirs, les mauvais et les bons traitements, enfin toutes les considérations.

Voilà le beau idéal d’une Société qui ne croit plus qu’à l’argent et qui n’existe que par des lois fiscales et pénales.

Mais la haute moralité des principes politiques de cette Physiologie ne permet pas d’admettre une pareille doctrine. M. de Cormenin est un homme de cœur et d’esprit ; mais un très mauvais politique, et cette Physiologie ne lui pardonne ses pamphlets qu’à cause du bien immense qu’ils ont fait : n’ont-ils pas prouvé que rien n’est plus incivil qu’une liste civile ? Désormais les rois de France et de Navarre ne devront rien demander pour eux-mêmes à leurs sujets, il faut absolument leur donner des domaines et non des appointements.

La meilleure définition de l’employé serait donc celle-ci :

Un homme qui pour vivre a besoin de son traitement et qui n’est pas libre de quitter sa place, ne sachant faire autre chose que paperasser !

La question n’est-elle pas soudainement illuminée ? Cette définition explique les plus douteuses combinaisons de l’homme et d’une place. Évidemment le roi des Français ne peut pas être un employé comme le prétend implicitement l’illustre M. de Cormenin : il peut quitter le trône et se passer de la liste civile. La déclaration publique de M. le maréchal Soult est assez inquiétante pour l’état politique des maréchaux de France ; mais le peu de dextérité de ce grand général à la tribune, ne permet pas d’insister sur ce point.

Évidemment encore, un soldat n’est pas un employé : il souhaite trop quitter sa place, il est trop peu en place, il travaille trop et touche généralement trop peu de métal, excepté toutefois celui de son fusil.

D’après cette glose, un employé doit être un homme qui écrit, assis dans un bureau. Le bureau est la coque de l’employé. Pas d’employé sans bureau, pas de bureau sans employé. Ainsi le douanier est, dans la matière bureaucratique, un être neutre. Il est à moitié soldat, à moitié employé ; il est sur les confins des bureaux et des armes, comme sur les frontières : ni tout à fait soldat, ni tout à fait employé.

Où cesse l’employé ? Question grave !

Un préfet est-il un employé ? Cette Physiologie ne le pense pas.

 

1er AXIOME.

Où finit l’employé, commence l’homme d’État.

 

Cependant il y a peu d’hommes d’État parmi les préfets. Concluons de ces subtiles distinctions que le préfet est un neutre de l’ordre supérieur. Il est entre l’homme d’État et l’employé, comme le douanier se trouve entre le civil et le militaire.

Continuons à débrouiller ces hautes questions. Ceci ne peut-il pas se formuler par un axiome ?

 

2e AXIOME.

Au-dessus de vingt mille francs d’appointements, il n’y a plus d’employés.

1er COROLLAIRE. L’homme d’État se déclare dans la sphère des traitements supérieurs.

IIe COROLLAIRE. Les Directeurs Généraux peuvent être des hommes d’État.

Peut-être est-ce dans ce sens que plus d’un député se dit : – C’est un bel état que d’être directeur général !

Quatre directeurs-généraux font la monnaie d’un ministre.

Ainsi l’employé finit inclusivement au chef de division. Voici donc la question bien posée, il n’existe plus aucune incertitude, l’employé qui pouvait paraître indéfinissable est défini.

Être employé, c’est servir le gouvernement. Or, tous ceux qui se servent du gouvernement, comme M. Thiers, par exemple, l’emploient au lieu d’être ses employés. Ces habiles mécaniciens sont des hommes d’État.

Dans l’intérêt de la langue française et de l’académie, nous ferons observer que si le chef de bureau est encore un employé, le chef de division doit être un bureaucrate. Les Bureaux apprécieront cette nuance pleine de délicatesse.

Un juge étant inamovible et n’ayant pas un traitement en harmonie avec son ouvrage, ne saurait être compris dans la classe des employés.

Cessons de définir ! Pour parodier le fameux mot de Louis XVIII, posons cet axiome.

 

3e AXIOME.

À côté du besoin de définir, se trouve le danger de s’embrouiller.

CHAPITRE IIUtilité des employés démontrée

La matière ainsi vannée, épluchée, divisée, il se présente une autre question, non moins politique : À quoi servent les employés ?

Car

Si l’employé ne sait faire autre chose que paperasser, il ne doit pas valoir grand-chose comme homme. Or, on ne tire rien de rien.

Ô ennemis de la bureaucratie ! jusques à quand direz-vous ces phrases aussi vides de sens que peuvent l’être les employés eux-mêmes ?

Quand vous ramassez une vis, un écrou, un clou, une tige de fer, une rondelle, un brin d’acier, vous n’y voyez aucune valeur, mais le mécanicien se dit : – Sans ces brinborions, la machine n’irait pas.

Cette parabole tirée de l’Industrie, pour plaire à notre époque, explique l’utilité générale de l’employé.

Quoique la statistique soit l’enfantillage des hommes d’État modernes, qui croient que les chiffres sont le calcul, on doit se servir de chiffres pour calculer. Calculons ? Le chiffre est d’ailleurs la raison probante des sociétés basées sur l’intérêt personnel et sur l’argent, où tout est si mobile que les administrations s’appellent 1er mars, 29 octobre, 15 avril, etc. Puis rien ne convaincra plus les masses intelligentes qu’un peu de chiffres. Tout, disent nos hommes d’État, en définitive, se résout par des chiffres. Chiffrons.

On compte environ quarante mille employés en France, déduction faite des salariés : un cantonnier, un balayeur des rues, une rouleuse de cigares ne sont pas des employés. La moyenne des traitements est de quinze cents francs. Multipliez quarante mille par quinze cents vous obtenez soixante millions.

Or, faisons observer à l’Europe, à la Chine, à la Russie où tous les employés volent, à l’Autriche, aux républiques américaines, au monde, que, pour ce prix, la France obtient la plus fureteuse, la plus méticuleuse, la plus écrivassière, paperassière, inventorière, contrôleuse, vérifiante, soigneuse, enfin la plus femme de ménage des administrations passées, présentes et futures. Il ne se dépense pas, il ne s’encaisse pas un centime en France qui ne soit ordonné par une lettre, demandé par une lettre, prouvé par une pièce, produit et reproduit sur des états de situation, payé sur quittance ; puis la demande et la quittance sont enregistrées, contrôlées, vérifiées, par des gens à lunettes. Au moindre défaut de forme, l’employé s’effarouche. Les employés, qui vivent de ces scrupules administratifs, les entretiennent et les choient ; au besoin, ils les font naître et sont heureux de les constater, pour constater leur propre utilité.

Rien de ceci n’a paru suffisant à la nation la plus spirituelle de la terre !

On a bâti, sur le quai d’Orsay, dans Paris, une grande cage à poulets, vaste comme le Colisée de Rome, pour y loger les magistrats suprêmes d’une cour unique dans le monde. Ces magistrats passent leurs jours à vérifier tous les bons, paperasses, rôles, contrôles, acquits à caution, paiements, contributions reçues, contributions dépensées, etc., que les employés ont écrits. Ces juges sévères poussent le talent du scrupule, le génie de la recherche, la vue des lynx, la perspicacité des Comptes jusqu’à refaire toutes les additions pour chercher des soustractions. Ces sublimes victimes des chiffres renvoient, deux ans après, à un intendant militaire, un état quelconque où il y a une erreur de deux centimes.

Ô France, pays le plus spirituel du monde, on pourra te conquérir, mais te tromper ?… Ah ! ouin ! jamais. Tu es bien du genre féminin.

Ainsi l’administration française, la plus pure de toutes celles qui paperassent sur le globe, a rendu le vol impossible. En France, la concussion est une chimère.

Ô fortuné contribuable, dors en paix. Si tu payais un franc de trop, le premier président Barthe, si faussement accusé de n’y pas voir clair, d’y voir même si peu qu’il ne se voit plus carbonaro, le verrait, te le renverrait, et tu le reverrais, ce franc ! Je te le répète, dors en paix.

Ici, cette Physiologie s’adresse à tous les industriels, commerçants, débitants, accapareurs, cultivateurs, entrepreneurs de la belle France, et même à ceux des autres pays du globe, car ce livre veut se donner un but d’utilité scientifique, et mettre un grain de plomb dans ses dentelles. Quel est le négociant habile qui ne jetterait pas joyeusement, dans le gouffre d’une assurance quelconque, cinq pour cent de toute sa production, du capital qui sort ou rentre, pour ne pas avoir de coulage ! Tous les industriels des deux mondes souscriraient avec joie à un pareil accord avec ce génie du mal appelé le Coulage. Eh bien ! la France a un revenu de douze cents millions, et le dépense : il entre douze cents millions dans ses caisses, et douze cents millions en sortent. Elle manie donc deux milliards quatre cents millions, et ne paye que soixante millions, deux et demi pour cent, pour avoir la certitude qu’il n’existe pas de coulage.

Le gaspillage ne peut plus être que moral et législatif, les chambres en sont alors complices, le gaspillage devient légal. Le coulage consiste à faire faire des travaux qui ne sont pas urgents ou nécessaires, à bâtir des monuments au lieu de faire des chemins de fer, à dégalonner et régalonner les troupes, à commander des vaisseaux sans s’inquiéter s’il y a du bois et de payer alors le bois trop cher, à se préparer à la guerre sans la faire, à payer les dettes d’un état sans lui en demander le remboursement ou des garanties, etc., etc. Mais ce haut coulage ne regarde pas l’employé. Cette mauvaise gestion des affaires du pays concerne l’homme d’État. L’employé ne fait pas plus ces fautes que le hanneton ne professe l’histoire naturelle ; mais il les constate.

Cette page profondément gouvernementale est inspirée par les misères de l’employé, si cruellement menacé par la Presse, attaqué par la Chambre, et sur qui tombent incessamment ces mots : la centralisation ! la bureaucratie !