Physiologie de la femme entretenue... par moi - Jacques Arago - E-Book

Physiologie de la femme entretenue... par moi E-Book

Jacques Arago

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Beschreibung

Extrait : "Y a-t-il des choses qu'on écrit et qu'on n'oserait dire à haute voix? Oui, sans doute, car les oreilles sont moins chastes que les yeux : celles-là perçoivent, les autres cherchent, fouillent, étudient."

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Seitenzahl: 41

Veröffentlichungsjahr: 2015

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EAN : 9782335034097

©Ligaran 2015

I

Y a-t-il des choses qu’on écrit et qu’on n’oserait pas dire à haute voix ? Oui, sans doute, car les oreilles sont moins chastes que les yeux : celles-là perçoivent, les autres cherchent, fouillent, étudient.

La plume ne balbutie pas comme la langue ; la plume ne rougit pas comme les joues et le front ; la plume est une folle, une écervelée qui va, qui va, pareille à un coursier de Nubie, et qui ne s’arrête que lorsque l’encre et le papier lui font défaut. Le papier, c’est l’arène de la plume.

J’ai là sur mon bureau deux rames d’excellent raisin et un énorme paquet de bouts d’aile ; en outre, je cesse d’être paresseux et je vois passer devant moi une jeune fille du nom d’Augustine. Hier elle s’appelait Bathilde, demain on la nommera Louise, après-demain Judith, et elle changera ainsi de patronne jusqu’à ce qu’elle ait épuisé le calendrier.

Tandis que sa silhouette gracieuse s’efface dans l’ombre, tandis que je suis de l’œil et du cœur cette créature à laquelle se rattachent quelques-uns de mes souvenirs de bonheur, de regrets et de honte, on sonne à ma porte.

Mon domestique ouvre et introduit auprès de moi un monsieur aux manières polies, au langage élégant, qui, de prime abord et après m’avoir légèrement salué de la main, me dit :

– Voulez-vous me permettre d’éditer un de vos livres ?

– Votre proposition me flatte ; mais lequel de mes ouvrages désirez-vous ?

– C’est une publication nouvelle que je vous demande.

– Politique ?

– Rêves.

– Philosophie ?

– Erreur.

– Morale ?

– Hypocrisie.

– Roman ?

– Meurtre, sang, ennui, dégoût

– Enfin de quoi, de qui voulez-vous donc que je vous parle ?

– De quoi ? Du cœur et de la tête. De qui ? Cherchez, prenez un type. Je m’en rapporte à vous.

– Bravo ! j’accepte. Avocat, homme de lettres, auteur dramatique, journaliste, diplomate, tout cela est vieux, usé, mort, à dix pieds sous terre ; n’en parlons plus, cherchons autre part.

– Vous avez raison.

– Attendez ; tout à l’heure, là, sous ma croisée, passait une délicieuse enfant glissant sur le trottoir comme une suave pensée au cerveau, jolie de ses yeux noirs à demi baissés, de sa tournure gracieuse comme celle d’un palmier… Si je parlais d’elle ?

– Que fait-elle donc ?

– Des dupes.

– Ses yeux pourtant, m’avez-vous dit, se baissent modestement ?

– Ses yeux mentent comme sa bouche, et son élégante tournure est d’une coquetterie à désespérer les bayadères.

– Quel état dans le monde ?

– Point d’état.

– Ses parents ?

– Comme ceux de ses semblables, des concierges.

– Vous m’avez dit qu’elle était élégante.

– Quand la fille dont je veux vous parler est devenue ce qu’elle est, elle change d’allure et de ton ; elle n’a plus de parents ou du moins elle ne les connaît pas. Elle se dit alors fille ou veuve d’un colonel, d’un magistrat, nièce d’un pair de France ; toujours enlevée par un duc, un prince ou un milord russe, tandis que le plus souvent elle est arrivée de la campagne en sabots, apportant avec elle la candeur et l’innocence, qu’elle échange bientôt contre la paresse, l’impudeur et l’effronterie ; ainsi elle s’appauvrit de tout ce qu’elle gagne.

– Elle est enfin quelque chose dans le monde ?

– Oui.

– Quoi donc ?

– Femme entretenue.

– Je vous laisse, monsieur ; j’accepte votre type : je suis sûr que vous possédez la matière à fond.

– Vous ne croyez pas si bien dire. Matière, tout est matière chez cette classe de femmes. À fond, je m’en défie moi-même, moi qui les ai si bien étudiées.

– Il y aura donc un peu de scandale dans vos pages ?

– Point, un portrait. Si toutes les folles qui prendront ce livre pour une personnalité l’achètent, faites tirer à vingt mille, et illustrez : il y a de l’argent au bout de tout cela.

– Je vous vole votre temps, adieu. Quand aurez-vous achevé ?

– Demain.

– À demain donc.

Augustine repassa et je la suivis. Elle entra aux Bains Rivoli, où trône au comptoir une jeune Anglaise belle comme une belle vignette de Johannot et sage à briser toutes les espérances. Augustine demanda une plume, du papier, écrivit un petit billet, fit appeler un commissionnaire et disparut dans le corridor. J’avais une heure devant moi, je marchai sur les traces du messager. Celui-ci avait reçu un franc pour sa course ; il entra dans un cabaret, et après une petite libation, il sortit, mit la main dans sa poche, la retira et laissa tomber le poulet confié à sa fidélité. Ce fut moi qui le ramassai, et dussiez-vous me jeter la pierre, je l’ouvris et je le lus.

Vous mentez si vous dites que vous n’en auriez pas fait autant. Peut-être eussiez-vous essayé de corrompre le Mercure auvergnat ; moi, je profitai seulement du hasard qui me souriait. Quoi qu’il en soit, voici le billet :

« Monsieur doit venir me rejoindre à la reppetticion. J’en sortirai avant la fin et nous irons satisfaire la nôtre dans un cabinet des Chants-et-lisez. Trouve-toi au passage Choiseul, attends-moi chez le paticier, et pas de brioches. Monsieur est jaloux comme un aigre. »