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Le miracle, entendu comme toutes formes de phénomènes dont on méconnaît l’explication, doublé des positions parfois radicales de l’église, aboutit à la création d’humains ignorants et résignés. C’est du moins le point de vue de Mark Personne qui, atteint d’une maladie incurable et limitant son existence, décide d’acquérir par lui-même une solution. Essayant de trouver les réponses à ses questions, à savoir où commence la magie et pour quelle raison doit-il supporter autant de souffrance, il vous emmène où personne n’est jamais allé et vous fait comprendre, à travers son regard, sa vie et son parcours, que l’amour, l’amitié et la sincérité ont fait de lui bien plus qu’un homme.
À PROPOS DE L'AUTEUR
L’écriture permet à
Mark Personne de transcender sa pudeur. Il commence tout d’abord par des poésies, résumé de son mal être, ensuite, il traverse les épreuves et les décennies avec un stylo en guise d’arme.
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Seitenzahl: 343
Veröffentlichungsjahr: 2022
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Mark Personne
Pierre de lune
Volume I
Roman
© Lys Bleu Éditions – Mark Personne
ISBN : 979-10-377-5517-9
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivante du Code de la propriété intellectuelle.
Le hasard et les miracles n’existent pas,
Êtes-vous prêts à croire à la magie ?
Mark Personne
Avant d’aller plus loin, je tiens à vous préciser un détail : je suis mort. Comment écrire son histoire, si on ne fait plus partie de ce monde ? Je sais, j’ai moi-même un peu de mal avec le concept. Pourtant, aujourd’hui vous ne me croiserez plus. Je suis tranquillement assis à écrire, dans un monde bien réel et en pleine forme. Si vous me regardez de plus près, vous pouvez constater que ma peau a l’aspect de la pierre ; mais pas n’importe laquelle ! La plus dure que l’on a pu connaître. Ma force est supérieure à l’homme le plus costaud, ma résistance dépasse les plus grands pronostics et pourtant… Il y a trois ans, ma descente aux enfers commençait.
Après une visite chez un pneumologue à la mi-décembre, je voyais ma vie un peu bousculée ; voir… beaucoup. Le diagnostic tombait et me voilà avec un emphysème de stade quatre ; vingt-sept pour cent de capacité respiratoire seulement et bien sûr promu à une greffe certaine, des deux poumons. Pour un Noël, j’avais connu mieux. Baladé d’un médecin à l’autre, d’examen en examen, on me diagnostiquait deux mois plus tard, le syndrome de Raynaud. Mais je n’ai pas pour habitude de donner foi à la médecine et me mets donc à pratiquer l’escalade. Pour la petite histoire, les sports que l’on pratique dans notre vie ne sont pas anodins. J’ignorais pourquoi mais je surmontais les douleurs, me disant qu’il fallait en passer par là, pour avancer. Avec le temps, j’avais l’impression que mon corps devenait de plus en plus petit, je grandissais de l’intérieur mais mon corps lui restait pareil. Trois mois passèrent de plus et là, le mal frappait encore ; mais cette fois, c’était ma fille qui m’annonçait qu’elle avait un cancer. Elle nous quitta le quinze septembre, de la même année : quatre mois et demi plus tard.
Au début de ce même mois, j’étais parti consulter pour moi, et le diagnostic suivant fut : Sclérodermie Systémique, plutôt foudroyante, puisqu’elle avait évolué chez moi en sept mois, au lieu de sept ans chez les autres patients. Un examen et un mois plus tard, on me trouvait un cancer digestif ou plutôt des polypes cancérigènes. Bref ! Encore de quoi égayer mes soirées. Au bout de cette première année, on m’annonça le diagnostic final, en ce qui concerne mon pronostic vital : un à deux ans, tout au plus. Et… deux jours plus tard : mon père nous quittait. Croyez-moi, il y a des moments où on se sent petit devant un karma aussi pourri. Vous comprenez maintenant quand je vous dis que je suis mort. Il est difficile de s’en sortir… mais certainement pas impossible de trouver pourquoi cela m’arrivait, à moi et pas un autre. Je commençais à tourner tout cela dans ma tête ; à chercher une explication, mais n’en trouvais aucune. Sauf peut-être… accepter ce qui arrivait et faire de ces derniers mois une quête. Ma quête ! Celle de ma vie et le pourquoi de ma mort. Me dire que j’allais mourir, tout en connaissant le temps pour faire ce chemin ? Mais quelle absurdité de Dieu, de ne pas me prendre tout de suite… ou alors... Me laissait-il du temps pour laisser une trace de toute cette histoire ? Me donnait-il le privilège, d’être conscient de ma chance de vivre tout cela ? Je pense que oui. Aux vues du chemin parcouru, je suis sûr aujourd’hui : le hasard n’existe pas !
Quelle étrangeté d’écrire sur sa mort ; jour après jour. Mais ce qui m’arriva valait mille aventures que je vais vous narrer.
***
Ayant quelques deniers de côté, je me décidais à investir dans un véhicule adapté à mon aventure. Pour cela un fourgon, serait le bienvenu. Classique, passe partout et surtout sans le savoir, très utile pour mes futures découvertes. Il va de soi qu’il fallait faire quelques transformations, pour mon confort et mon handicap à venir. Ne rien laisser au hasard, pas de temps à perdre, tout devait avoir un sens et cela se mettait en place. Les préparatifs finis, il fallait se décider à partir, mais où ? Ironique n’est-ce pas, de vouloir chercher une chose dont on ignore l’existence et où la trouver ? Le voyage semblait être déjà écrit. Un seul lieu pouvait m’attirer comme un aimant : ROME. Berceau d’une croyance millénaire, dans laquelle j’avais grandi et pour laquelle j’avais une colère bien réelle d’y avoir mené ma vie. Elle était détentrice d’écrits les plus fascinants les uns que les autres ; ses bibliothèques plus riches de lecture, que n’importe quel support informatique. Il me fallait trouver un début, un sens, une raison…
Je m’apprêtais à faire un voyage sans retour possible et découvrir des paysages de toute beauté. Savonna fut ma première ville en Italie où je décidais de m’arrêter. Après tout, la mort m’attendait au bout de cette aventure ; alors, je pris le temps d’admirer les moindres défauts que je trouvais et qui se transformaient en qualité au mélange des autres. Le mélange des couleurs qui composait les façades de toutes ces demeures. Elles auraient pu paraître mal ordonnées mais si l’on prenait le temps de les regarder de plus loin, on découvrait alors : une cascade de teintes éclairées par les rues, sur une nuit tombante pour se perdre à la mer. Il ne pouvait y avoir plus beau reflet pour un premier soir, passé loin des miens. À cela, rajoutez le charme de quelques femmes aux chevelures sombres et l’accent de la langue, pour comprendre pourquoi j’étais si envoûté. Mais il me fallait bien penser au lendemain.
La nuit me parut interminable ; une seule chose était à mon esprit : Rome, Rome, Rome. L’aube perçait à peine, que je me mettais en route pour la capitale, le berceau de mon éducation. Je ne pris même pas le temps de regarder autour de moi et avalais la route pour atteindre enfin ma destination. Que dire d’une ville qui renferme tant de beautés et de secrets, tant de mensonges et de complots, tant d’espoirs et de souvenirs. Je me perdais déjà dans le méandre des rues, pour essayer de trouver la raison de ma venue ici. Je ne savais où regarder jusqu’au moment où… Je me trouvais face à un bâtiment splendide par son architecture. Il ne faisait que rappeler, combien il était possible de bâtir de si belle chose. Le hasard n’existe pas. Sur sa façade était écrit : Biblioteca et pour aller encore mieux, juste devant, une place handicapée, qui n’attendait que moi. J’étais comme un enfant au matin de Noël, la peur au ventre de ne pas trouver mes cadeaux et l’envie plus grande encore de savoir. Nul doute possible, il me fallait entrer. Je me précipitais à l’intérieur. Enfin, façon de parler ! Deux maladies m’obligeaient à me déplacer avec une canne mais croyez-moi, j’avais l’impression de faire un sprint : monter les quelques marches qui me séparaient de l’intérieur, passer ces portes (qui auraient pu résister à un assaut de bélier pendant le moyen âge), pousser ensuite ses immenses portes vitrées et devant moi… mille raisons d’avoir fait ce voyage ! Une salle immense, tant par sa hauteur que par sa surface. Combien d’âmes, avait-il fallu pour arriver à un si beau spectacle ? Le sol était en marbre, rempli de motifs si captivants, que je n’osais marcher dessus, les premiers instants. Les murs de pierres avaient eux-mêmes une âme, qu’ils partageaient avec de magnifiques vitraux, eux-mêmes intercalés par des colonnes montantes, jusqu’à la naissance de ce plafond extraordinaire, que l’on aurait pu confondre avec la voûte céleste. Rien que pour cela, je ne regrettais pas d’être ici. Il me fallait faire les choses dans les règles de l’art, et me présenter à l’accueil pour accéder à ce puit de connaissances qui n’attendait que moi. Après moult explications pour arriver à m’inscrire (barrière de la langue), je pouvais enfin flâner dans ce sanctuaire, pour lequel il me venait un sentiment d’affection, comme si je l’avais quitté depuis trop longtemps. Je me sentis comme chez moi et me mis à marcher vers le fond du bâtiment. Je fus encore plus comblé, en voyant qu’il y avait un étage ouvert à la vue de tous. Un balcon avec pour y accéder des escaliers en colimaçon, un central et un autre à chaque extrémité. Tout était de bois sculpté ; magnifique, jusqu’aux bibliothèques elles-mêmes, qui arboraient les sculptures des plus fins menuisiers. Il était déjà l’heure de la fermeture, il me fallait quitter les lieux mais maintenant je savais où chercher. En me retrouvant sous le porche extérieur pour rejoindre mon véhicule, il me vint une sensation étrange, comme si on m’observait… Je tournais la tête de droite à gauche et là… vis un homme d’une trentaine d’années passer. Surpris en train de me fixer, il détourna le regard immédiatement. Il s’agissait d’un homme d’Eglise, mais rien de plus ordinaire.
Il me fallait maintenant trouver où loger : puisque je devais rester ici à chercher, autant avoir le confort. Je compris vite que la capitale faisait flamber les prix et décidais donc de me tourner vers un camping, le plus proche possible et me permettant de laisser mon véhicule sur place. Chose faite, je venais de trouver un charmant mobil-home, au fond d’un camping ombragé. Agréablement surpris par le prix, je n’hésitais pas un instant. Je n’avais pas de quoi faire le difficile. Je réussis à m’expliquer avec le propriétaire, encore ces langues étrangères qui me faisaient défaut !
Je pris enfin possession de mes quartiers. Il me fallait encore attendre une nuit, avant de pouvoir plonger dans les ouvrages de cette bibliothèque. Une nuit, qui me sembla interminable.
J’étais prêt avec le soleil et d’humeur joyeuse, mais il fallait d’abord sortir du camping à pied et me rendre à la station de tramway la plus proche ; une mission pour moi et mon corps. Le plaisir était au rendez-vous, traverser la ville de cette façon, me laissait plus de temps à pour admirer l’architecture et réfléchir à mes recherches. Arrivé à destination, je contemplais encore ce bâtiment et m’engouffrais à l’intérieur. Direction le premier étage, c’était là que tous les livres, sur les phénomènes étranges, étaient stockés. Je trouvais rapidement la travée que je cherchais et fut encore étonné : la majorité des œuvres étaient rédigées en italien. Magnifique ! me suis-je dit, reste plus qu’à apprendre la langue ! Cependant, tout un rayon était réservé aux auteurs étrangers et notamment les Français, ce qui pourrait pour l’instant me satisfaire, faute de mieux et surtout le temps de trouver un traducteur. Certains étaient encore écrits en Latin et ma curiosité fut récompensée. J’ignorais me souvenir aussi bien de cette langue, que j’avais pratiquée en dix ans de scolarité chez les curés. Je me mis à engloutir les livres, moi qui me refusais à toute lecture, et appréciais cela. Les jours passés, mon attention était toute à eux et surtout à l’apprentissage de la langue, grâce aux applications que l’on trouvait sur internet. Lors de ces journées, je ressentis à nouveau que l’on m’observait, et je ne fus pas étonné de voir l’homme d’Église, croisé à mon arrivée, en train de me regarder d’en bas. Il esquiva mon regard pour vaquer à une occupation que seul lui trouvait crédible. Le surlendemain, en prenant le tramway pour rentrer au camping, en fin de journée, je fus surpris cette fois de le trouver dans le même wagon que moi. Le soir tombant, je décidais de rentrer pour encore apprendre de ce monde. Je ne prêtai plus attention à mon curé mais lui ne perdit rien de moi, dans les jours qui suivirent. Il ne se cachait plus et je ne le considérais pas comme une menace, sa présence m’apaisait. Que dire de tout cela ? Juste qu’il surveillait que ses ouailles étaient heureuses. Presque deux semaines déjà que j’arpentais les rayonnages, souvent la tête en l’air pour lire les titres sur les plus hauts ouvrages. Aussi maladroit qu’un enfant, je butai dans l’échelle, trébuchai et perdis ma canne, sous l’étagère la plus basse. Je me redressai et regardai autour de moi, personne… me voilà moins ridicule comme cela. Je ramassai le livre que je portais pour le déposer à sa place et réalisai que je me tenais à la bibliothèque pour marcher. Ma canne ? Où donc était passée ma canne ? Je me mis à chercher et là, j’aperçus le bout en caoutchouc qui dépassait à peine. Je me baissai temps bien que mal et la saisis. En essayant de la ressortir, elle bloqua d’un coup, mon pommeau de canne s’accrochait quelque part. Je tirai et sentis sa résistance, mais je n’avais d’autre choix que de la récupérer. Marcher sans ? Impossible ! Dans un dernier effort, je la débloquai d’un coup. Soulagé et surpris je venais de sortir un sac en tissus, pas bien grand, la grosseur d’un livre, pas plus. À l’odeur qui s’en dégageait, j’en déduis qu’il était là depuis longtemps. Sans même me relever, j’ouvris l’emballage. Il ne s’agissait que d’un morceau de tissus, enrobant un vieux livre en cuir, tout aussi vieux que les murs. Gravé dessus une inscription un peu ternie par le temps mais bien visible : « Et custodiet mea ». Je veille sur les miens. Drôle de titre. Ma surprise ne fit que grandir quand je découvris que c’était un écrivain français. Sur la première page, on pouvait lire le nom de l’auteur : je m’appelle Guy Ouspoulous, sculpteur, et ceci relate ma vie. Encore plus surpris, je cachai le linge à sa place et pris le livre à ma table pour en faire lecture. La curiosité m’envahissait à nouveau. Pourquoi un tel ouvrage se trouvait-il si bien caché ? Un mélange de vieux français et de latin composait les textes. Il racontait son chemin de vie à travers l’Europe, pour y créer ses sculptures, à la demande bien souvent, de l’Eglise. Il détaillait tous ses travaux, année après année, lieu après lieu. J’avais l’impression de vivre une époque oubliée, il y a bien longtemps. Le récit se poursuivait jusqu’à l’endroit même où je me trouvais. Étrange ! N’est-ce pas ? J’avais la sensation que cet homme et moi avions la même destinée. J’arrivais aux pages qui relataient sa venue dans ces murs. Ses travaux se comptaient déjà au nombre de trois. Bizarrement, il donnait un nom à chacune de ses statues. Pour celles se trouvant ici, il les nomma : Goliath, Romulus et Rémus. Plutôt comique, me disais-je avec un sourire. Dans les dernières pages écrites, il y avait comme un marque-page. Dessus un texte que je ne comprenais pas. J’avais beau le lire et le relire dans ma tête, je n’en comprenais pas le sens. Un mélange de langue qui ne voulait rien dire. Je me mis à le lire à voix haute à plusieurs reprises, me disant que j’allais mieux en saisir le contenu en l’entendant. Hélas, rien ne me venait à l’esprit. Toujours dans mes pensées, je relevai les yeux et vis mon curé debout. Il me fixait avec des yeux tellement écarquillés, que j’en voyais sa peur d’où je me trouvais. Il reculait, cherchant les tables pour s’appuyer, en butant dessus. Il marmonnait des phrases en italien, mais je ne comprenais toujours pas la langue. Il finit par se retourner et sortit en courant, bousculant tout et tout le monde sur son passage, comme si le diable s’était présenté à lui. Sur l’instant, je me souviens avoir eu de l’empathie pour lui, en croyant qu’il travaillait trop. Mais le vacarme qu’il avait mis avait fait passer un autre évènement sous silence. Il se faisait tard. Je décidais de prendre le livre dans ma musette en toute discrétion ; puisqu’un tel ouvrage n’était pas répertorié, il ne manquerait pas à l’inventaire. Qui plus est, il me fallait finir de lire ces pages. Je pourrai toujours le ramener plus tard.
De retour au mobil home ce soir-là, j’étais un peu perturbé par cet homme d’Église et une grande fatigue se mêlait à tout cela : l’émotion sûrement… Je décidais de manger et me reposer. Il y avait bien longtemps que je ne dormais plus sereinement. La maladie m’imposait son rythme, plutôt rapide et violent par moment. La nuit était souvent entrecoupée par des réveils douloureux, qui donnaient l’impression que l’on me déchirait la peau ; ce qui était, hélas, le cas. La sclérodermie allait trop vite, aurai-je le temps d’aller au bout de cette quête ?
***
Le matin suivant, je repris ma routine quotidienne ; me préparer et aller prendre mon tramway pour rejoindre avec grand plaisir mon antre de travail. La douceur du printemps, me donnait une impression de bien-être, le soleil me réchauffait derrière les vitres et me laissait penser que la maladie m’oubliait un peu. J’avais décidé de laisser, le livre trouvé la veille, sur mon chevet. Je ne souhaitais pas le ramener pour le moment, je n’en avais pas fait le tour. Une intuition ou la chance ? Car en arrivant à la bibliothèque une surprise de taille m’attendait. À peine étais-je entré, que tous les regards se posèrent sur moi. Tout le personnel, la police et même mon cher curé étaient là. Je ne comprenais pas ce qu’il se passait. Ils parlaient tous en italien, quelle galère pour moi ! Ce fut encore plus gênant, quand les policiers et le curé se dirigèrent vers moi tout en parlant, d’un air accusateur, pour mon homme d’Église. La police m’interpella et voyant que je ne comprenais rien pour être français, me fit signe de m’asseoir et attendre. Une demi-heure plus tard, une traductrice se présenta à moi. Elle m’expliqua la situation :
— Bonjour, je m’appelle madame Catherine Bianchi. La nuit dernière, la bibliothèque a été victime d’un vol. Un vitrail a été cassé et quelques statues sur le haut des colonnes ont disparu.
— Je ne comprends pas, en quoi suis-je concerné ? répondis-je.
Elle m’expliqua alors que trois statues, en me montrant l’endroit, avaient disparu de leurs socles.
— Elles ont une valeur inestimable par leur ancienneté et le père Mancini, ici présent, dit à qui veut l’entendre que vous êtes l’auteur du vol.
Je regarde alors toutes les personnes présentes autour de moi et commence à expliquer :
— Je souffre d’un problème de santé, j’arrive à peine à me déplacer normalement et vous m’accusez d’avoir escaladé un mur de cinq mètres, cassé un vitrail, grimpé le long des colonnes pour redescendre avec une statue plus lourde que moi… Et ceci à trois reprises ? Je pense qu’il va vous falloir trouver mieux. J’ai passé la nuit chez moi à dormir. Pour tout renseignement, adressez-vous à mon logeur : il vous le confirmera, ainsi que la caméra de surveillance des entrées.
J’argumentais solidement le fait que cela ne pouvait pas être moi et d’un autre côté, personne ne pouvait prouver ma culpabilité. Je regardais ma traductrice et lui fit comprendre que si rien n’était retenu contre moi, je souhaitais prendre l’air et visiter la ville puisque l’établissement était fermé. Elle fit la demande auprès des autorités présentes, pour savoir si je pouvais partir. La police me demanda de rester dans le secteur et m’accorda le droit de vaquer à mes occupations. Une matinée forte en émotion, mais qui me laissa pensif sur mon avenir. En quittant les lieux avec madame Bianchi, qui en avait fini elle aussi, le père Mancini me poursuivit en me pointant du doigt. Il débitait des phrases à une vitesse impressionnante. Mme Bianchi m’expliqua que le curé me traitait de sorcier, que je serai jugé devant l’éternel et bien d’autres choses encore. Je saluais le père Mancini, remercia et pris congé de madame Bianchi.
Je me mis à visiter la ville dans tous les sens, l’architecture me plaisant énormément, je me trouvais où il fallait, pour une excursion enrichissante. La journée passait agréablement, mais toujours avec cette sensation d’être surveillé. J’avais beau regarder, je ne voyais pas mon cher homme d’Église ; ce devait être le stress qui me jouait des tours. La fin de journée arrivant, je décidais de rentrer au camping. La nuit était tombée.
Au mobil-home, je repensais à cette journée lorsque quelqu’un tapa à ma porte. Encore ce fichu curé ! Il commença à s’exprimer comme un 78 tours. Petit à petit, tout en me parlant, sa voix devenait caverneuse… comme si je m’évanouissais. Je le fixais sans bouger et lui, continuait son laïus. Cela faisait cinq minutes qu’il parlait et d’un coup, sa voix changeât pour redevenir audible. J’avais l’impression de sortir d’une grotte et le plus inquiétant, c’est qu’à ce moment seulement, je comprenais tous ses mots. Mon regard fixait le sien : il dut ressentir quelque chose et s’arrêta de parler. Je lui demandais à mon tour :
— Pourquoi vous acharnez-vous sur moi, comme ça ? De quoi m’accusez-vous ?
La peur s’affichait sur son visage.
— Vous me comprenez ? me dit-il. Vous parlez très bien et vous me comprenez ?
Je ne savais quoi lui répondre, je voulais être sûr, alors je lui dis :
— Pourriez-vous me laisser tranquille ? Je n’ai rien fait et souhaiterais pouvoir me promener tranquillement dans cette ville.
Je parlais très bien l’italien… incompréhensible ! Le père Mancini redoubla de colère et me traita à nouveau de sorcier et d’autres noms encore, tout en partant. La peur le faisait reculer et je dois dire que cela me convenait très bien. La curiosité me poussa, une fois à l’intérieur, à prendre mon téléphone et regarder des textes sur internet rédigés en italien. Tout était clair, mais mon esprit lui, était perturbé de ne comprendre comment j’avais fait ce tour de magie.
***
Au beau milieu de la nuit, un bruit à l’extérieur me réveilla. Je pensais que c’était encore mon curé. Je décidais de sévir et sortis pour l’intimider une fois pour toutes. Enfin dehors, mon visage buta contre un rocher. Comment était-il arrivé là ? Je levai alors les yeux et découvris une statue d’une tête de plus que moi, et presque deux fois ma largeur. Arborant un sourire, elle me regarda et me dit : bonsoir ! C’eût un effet anesthésiant et me fis tomber dans les pommes.
À mon réveil, j’étais à l’intérieur du mobil-home, je croyais à un cauchemar, jusqu’au moment où je tournais la tête pour voir encore la même chose. Il me sembla inévitable qu’il me fallût engager la conversation et lui répondis donc à mon tour : bonsoir ? Ce qui eut pour réaction, un grand sourire de sa part et il souffla de soulagement. Il commença à se présenter :
— Je m’appelle Goliath, me dit-il.
Je l’interromps :
— Goliath ? J’ai déjà entendu ça quelque part !
— S’il vous plaît, ce n’est déjà pas facile pour moi.
— Et pour moi ? répondais-je ; je me fais agresser pas un curé, je me mets à parler italien comme si tout était normal et pour finir, je papote avec une statue qui a… Ah oui… qui a des ailes ! Et que je comprends parfaitement… Je devrais me poser la question si je ne suis pas schizophrène… C’est cool ! Continue, je t’en prie…
Goliath retire sa tête d’entre ses mains, plutôt griffues, et se remet à parler :
— Je pense qu’il me faut vous expliquer comment on en est arrivé là.
— Ce ne serait pas une mauvaise idée, rétorquai-je. Et à ce moment-là, je lis l’embarras sur son visage, enfin, je crois… n’étant pas trop habitué aux expressions de pierre. Il reprit :
— Nous avons été sculptés, il y a quelques centaines d’années, pour certains d’entre nous. Mais hélas, aucun ne put prendre vie. Nous sommes le travail de Guy Ouspoulous, un sculpteur français.
— J’ai justement son mémoire ici, lui dis-je.
— Je sais, c’est grâce à vous que tout devient possible aujourd’hui. Vous vous souvenez d’avoir lu le livre à la bibliothèque ? D’avoir lu un morceau de papier à plusieurs reprises ? D’avoir vu un curé partir en courant ?
Tout cela me revenait à l’esprit et je réalisais mon implication.
— Le papier était une formule, dit-il ; certains disent, un sortilège. Quand vous l’avez répété à voix haute : vous nous avez permis de prendre vie. Nous étions en haut des colonnes au-dessus de vous et c’est cela qu’a vu le père Mancini. Avec le vacarme qu’il faisait, personne n’a entendu la croûte de pierre qui s’effritait de nos corps, tombant sur le sol. Nous sommes restés là, jusqu’à la nuit ; Mais nous devions tout faire pour vous retrouver. Sortir par le vitrail était le seul moyen, hélas. Pour la suite, c’était simple, le fait de nous avoir fait prendre vie, a créé un lien entre vous et nous ; nous savons toujours où vous trouvez.
Je l’arrête un instant :
— Pourquoi es-tu toujours en train de dire nous ? Et là, une voix venant de l’extérieur dit : aller c’est le moment-là ; Goliath me regarde sans rien dire, je le fixe et lui demande alors, combien sont encore dehors ? Il me fit signe : deux avec la main.
— Entrez, leur dis-je, sans même en être étonné.
— Romulus et Rémus… me dit Goliath.
Moi je les appelle les jumeaux. Ils sont quasi pareils. Ils étaient comme des enfants découvrant leur nouvelle maison. Ils étaient fascinés par tout, surtout Rémus, qui avait l’air nettement plus intelligent que son jumeau. Goliath les rappela à l’ordre, pour pouvoir continuer à m’expliquer.
— Notre père accomplissait un travail important à travers l’Europe, sous l’apparence d’un humain ordinaire ; mais un jour, un abbé le soupçonna d’être un sorcier. Ce qui d’une certaine façon, était un peu vrai. Il n’eut pas le choix et cacha son mémoire avant d’être arrêté et emprisonné. Il n’eut aucun mal à s’évader, mais savait qu’il ne pourrait plus jamais revenir. Nos yeux étaient ouverts et notre esprit à l’écoute du monde ; en nous créant, il mettait une partie de lui en nous, il était bon et son âme saine, c’est pour cela que nous sommes à son image. Sauf peut-être Romulus, qui taperait plutôt avant de parler.
Une question me trottait dans la tête :
— Il est mort depuis longtemps ?
Les jumeaux rigolèrent. Mort ?! dirent-ils en même temps.
— Pas possible, reprit Goliath. C’est un ange déchu ou plus communément appelé démon. Mais il n’en reste pas moins un ange avec de magnifiques ailes et une conscience.
— Où est-il ? Puisque vous me dites qu’il est vivant, pourquoi n’allez-vous pas le rejoindre ?
— Nous devons t’accompagner, puisque c’est toi qui nous ramèneras à lui. Peu importe le temps, nous resterons avec toi.
Je ne pus m’empêcher de penser tout haut en disant :
— Pas longtemps, croyez-moi…
Ils avaient remarqué mes problèmes de santé, mais n’en disaient rien ; par respect ou pudeur peut-être. Goliath posa sa main sur la mienne. Je ressentais sa chaleur à travers la pierre.
— Le temps d’une vie mon ami, me dit-il avec un sourire.
Je repris mes esprits et ne pus m’empêcher de demander ce que le père Mancini venait faire dans cette histoire ?
Rémus prit la parole avec une voix d’intellectuel, qui lui allait plutôt bien d’ailleurs :
— Il n’est pas le premier à avoir arpenté les couloirs de la bibliothèque. Après la fuite de notre père, l’Eglise était persuadée qu’il reviendrait. Le Vatican décida alors de mettre une sentinelle et une autre et une suivante. Et cela depuis son départ, jusqu’à votre arrivée. Il ne vous laissera plus tranquille maintenant qu’il a vu. Il doit en apporter la preuve.
— Me voilà avec un problème en plus on dirait ? Je repris aussitôt en demandant à Goliath :
— Comment ai-je pu parler avec lui tout à l’heure et comment puis-je vous comprendre maintenant ?
— Nous ne sommes pas que de pierre, mon ami ; il a mis de lui en nous et cela nous rend uniques et bien plus forts. Nous avons des notions différentes et d’autres semblables. Le pouvoir des langues appartient à Rémus ; il peut le partager avec qui il souhaite et pour le temps qu’il désire.
Je me tourne vers Rémus qui fièrement me regarde, me salue en s’inclinant et me dit :
— Pour vous mon ami, aucune langue ne sera plus une barrière et cela pour le reste de votre vie et notre quête.
Je le remerciais juste en inclinant la tête. Mais cela voulait dire que je pouvais lire tous les ouvrages utiles à mes recherches de guérison ou d’éternité ! Il venait de m’offrir un bien beau cadeau. J’étais épuisé après de telles émotions et je leur dis que j’avais besoin de sommeil.
***
Au matin, ils se tenaient toujours là, dans la pièce à vivre. Ce n’était donc pas un rêve, me dis-je dans ma tête et immédiatement Rémus me répondis à voix haute en disant :
— Non mon ami, nous sommes bien réels. Surpris encore une fois, je le fixais et il reprit aussitôt :
— Entendre les pensées fait aussi partie de mes dons.
Ils étaient maintenant ma réalité et je devais m’habituer à leurs présences. Je décidais qu’il était temps pour moi de lire les ouvrages que je ne pouvais comprendre avant. Je demandais donc à mes nouveaux amis de pouvoir les laisser pour me rendre à la bibliothèque ; il me fallait encore apprendre. En sortant du camping ce matin-là, je croisais le propriétaire, le saluais, lui demandant s’il allait bien et en continuait ma route. Il resta subjugué de m’entendre parler et me répondit en balbutiant. Cela m’importait, j’avais d’autres priorités.
Arrivé dans mon antre de lecture, je me rendis directement au premier étage pour me mettre au travail ; hélas c’était sans compter sur le Père Mancini, toujours aussi têtu et mordu de vérité. Il me fixait ouvertement, essayant à sa manière de m’intimider. Mais que pouvait-il espérer après mes dernières rencontres, il ne faisait pas le poids. Je compris à cet instant, qu’il ne me laisserait plus tranquille. Il me fallait trouver une solution ! Tout en réfléchissant, je tripotais mon téléphone… Me vint l’idée de prendre tous les ouvrages manquants en photo. Cela sera plus rapide et me permettrait de ne plus revenir ici, donc, d’éviter mon cher curé. Je me mis tout de suite au travail, et ce toute la journée jusqu’à la fermeture, mais le temps me manquait, je n’avais pas pu finir. Je décidais de rentrer directement pour retrouver mes amis.
J’étais toujours suivi et cela commençait à me peser. Enfin chez moi, je racontais mes problèmes aux Gargouilles. Romulus se redressa et me dit :
— Dois-je m’occuper de lui ? tout en me faisant signe avec les mains de l’étrangler.
Je ne fus même pas étonné de sa réaction et lui fis signe non de la main. Dans le même temps Rémus, lui asséna une claque derrière la tête. Romulus eut une réaction similaire et leur chamaillerie commença. Il fallut l’intervention de Goliath pour me permettre de reprendre la parole.
Je leur expliquais qu’il me fallait une journée de plus à la bibliothèque pour finir les photos et qu’ensuite nous quitterions la ville.
— Pour aller où ? me demanda Goliath. A-t-on une direction précise à suivre, ou partons-nous à l’aventure ?
— Nous ne partirons pas au hasard, dis-je, j’ai lu un texte qui a attiré mon attention. Il s’agirait d’une nymphe des montagnes, se trouvant en Grèce et ayant la faculté de guérir les pires maux.
Ce qui serait pour moi une option à ma maladie.
— Es-tu sûr que cette femme existe ? me demanda Romulus. Ne nous entraînerais-tu pas vers un mythe ?
Je pris un air plus sévère et lui dit :
— Il y a deux jours, j’ignorais que vous existiez, je ne parlais pas une seule langue étrangère et je ne croyais même plus en Dieu, que je sache ! Vous voilà devant moi, vous qui avez été créés par un ange déchu et je parle avec toutes les personnes queje croise ; cela répond-il à ta question ?
Romulus inclina la tête :
— Pardonnez-moi mon ami, je ne m’étais pas mis à votre place.
Je le repris et sur un ton moins sec :
— Arrête de me vouvoyer ; je m’appelle Mark, si ça peut rendre la chose moins cérémonieuse à mon égard ; nous allons faire un morceau de chemin ensemble.
Au même moment, on tapa à la porte. À peine sorti sur la terrasse, je me retrouvais nez à nez avec le Père Mancini.
— Bonsoir, que me vaut votre visite ?
— Je sais qu’ils sont avec vous, me réplique-t-il, je ne vous laisserai pas partir avec eux ; je ferai tout ce qui est humainement possible et bien plus, dit-il, en montrant le ciel du bout du doigt. Quoi que vous fassiez, je vous arrêterai.
Je mis court à cette conversation, le salua et lui souhaita une bonne soirée en français, pour feindre de n’avoir rien compris à ses dires.
Il fallait organiser notre départ du lendemain au plus vite. Me voilà autour de la table avec trois statues vivantes, en train de dresser un vrai plan d’évasion… Cela ne me posait aucun souci ! Je me mis à penser que j’étais fou et en même temps je vis Rémus me sourire.
— Voilà ce que nous allons faire : demain matin, je me rendrai à la bibliothèque pour la dernière fois. Je ferai au plus vite pour les derniers ouvrages. Je reviendrai ensuite régler la note pour que l’on puisse partir dans la nuit. Cela sera plus simple pour nous.
Tous d’accord, il nous restait plus qu’à nous reposer après un bon repas préparé par Rémus. Je n’osais pas lui demander si cela faisait partie de ces dons…
Comme convenu, le matin suivant je partais finir ma quête. Je me mis au travail sans la moindre pose, je voulais oublier ce personnage qui me suivait partout.
Je repris le tramway pour la dernière fois en direction de mes amis et à peine arrivé, j’allais régler ma note et prendre congé de mon logeur.
Je pris la route, au volant de mon fourgon. Aux portes de la ville à la nuit tombée, la police m’arrêta pour un soi-disant « simple contrôle ». Il était évident que le Vatican exerçait une certaine influence en ce pays. Ils commencèrent par un contrôle de papiers et me demandèrent d’ouvrir les portes. Je jouais un peu le rebelle et allais vers l’arrière du fourgon. Je finis par m’exécuter et je pus lire la surprise sur leurs visages, seules mes affaires étaient à l’intérieur. Je me tournai avec un rictus sur le visage et demandai à mes chers policiers s’ils étaient satisfaits. L’un d’eux me fit signe de reprendre la route, contrarié. Je vis ensuite ce cher Père Mancini, en train de se débattre avec un supérieur hiérarchique, présent pour l’occasion.
À quelques centaines de mètres, au milieu de la nuit sombre, trois silhouettes volaient dans le plus grand silence, dans la même direction que la mienne… Bari, où le ferry nous emmènerait vers notre prochaine quête.
Bari, le point de notre prochain rendez-vous. J’arrivais sur place à la lueur de l’aube. Il nous fallait à tout prix quitter l’Italie, prendre le ferry pour Durres, Albanie. Comment faire, pour passer inaperçus avec trois colosses de pierre ? Les Gargouilles venaient de me rejoindre. Par chance, le jour se levait à peine et peu de monde était dehors à une heure aussi matinale. Rémus avait entendu ce qui me préoccupait pour l’heure. Il posa sa main sur mon épaule avec un sourire et me dit :
— Ne t’inquiète pas pour cela mon ami, Romulus a la solution à ce problème.
— J’en suis ravi, lui dis-je, j’avoue que je ne vois pas comment faire rouler le fourgon avec vous dedans.
— Laisse le camion ici avec nous et va payer le voyage. À ton retour, tout sera en place. Fais-nous confiance.
Je tourne alors la tête et vois Romulus me faire un énorme sourire, canine du bas dehors, fier d’être le centre d’intérêt pour cette fois, et moi en stress de savoir que c’est de lui que tout dépend. Je m’exécute et pars pour enregistrer le véhicule. Chose faite, je retourne auprès de mes amis pour leur faire savoir qu’il faut embarquer et compter quelques heures pour la traversée. En arrivant, je ne pus m’empêcher de faire le tour pour les chercher. Rien ni personne, je me mis à les appeler :
— Goliath ? Les jumeaux ? Vous êtes où ?
— À l’intérieur, me répondent-ils.
J’ouvre la porte arrière et les vois tous trois en lévitation et la Rémus m’explique :
— Romulus a le don de déplacer les objets ou les gens juste par la pensée. Une attention de notre père, pour lui permettre de méditer et en même temps un don qui aurait un moindre mal pour son entourage.
— Qui l’eut cru, dis-je en rigolant.
— Nous resterons dans cet état le temps du voyage, le fourgon roulera sans encombre.
Romulus était comme un enfant, à flotter et poussait ses frères comme des ballons gonflés à l’hélium. Installés comme des lits superposés, je lisais déjà l’envie de Goliath de taper son frère et en même temps, cela me donna le sourire de les voir comme une vraie fratrie. Ils paraissaient tellement plus humains que certains d’entre nous. Une fois embarqué, je me mis sur le pont pour essayer de mieux respirer et profiter de la vue. Tout aller bien, jusqu’au moment où je vis un visage familier : Père Mancini ! Comment avait-il fait pour me retrouver aussi vite. Il me salua de la tête, fièrement, pour me faire comprendre que quoi qu’il arrive, il serait sur mon chemin. Après être retourné à mon véhicule, je fis part de la nouvelle aux Gargouilles. Il était clair qu’il nous fallait trouver une solution pour débarquer sans encombre. Romulus montra sa colère et me dit :
— J’aurais dû m’en débarrasser la dernière fois.
Il se déconcentra, ce qui eut pour effet de les faire tomber tous les trois, les uns sur les autres et sur le sol du fourgon. Le résultat fut immédiat, le camion s’affaissa d’un coup à faire toucher le pare-chocs arrière par terre. Rémus eut le bon réflexe :
— Reprends-toi Romulus, dit-il, d’un ton autoritaire.
Il se concentra à nouveau et tout rentra dans l’ordre. Il était temps de se cacher ailleurs, jusqu’à la nuit. Ils décidèrent d’aller dans la cale du ferry à l’abri des regards, jusqu’au débarquement total des passagers. Arrivé à Durres, je fus contrôlé comme tout le monde. Le Père Mancini n’en perdit pas une miette et sa déception fut grande quand encore une fois il vit le fourgon vide de tout occupant. Il me fallait partir au plus vite direction la frontière Grecque. Je me mis à rouler en sachant que je pouvais mettre de la distance entre mon cher curé et moi. Et de toute façon, les Gargouilles pouvaient me retrouver n’importe où. Atteindre la forêt qui sépare les deux pays, c’était pour moi le but de la journée.
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