Pierre Yves Keralum - Christian Malégol - E-Book

Pierre Yves Keralum E-Book

Christian Malégol

0,0

Beschreibung

Pierre Yves Keralum, passe sa jeunesse à Quimper, devient com-pagnon du devoir puis architecte. De retour au pays, il rêve d'autre chose et entre au séminaire. Il devient missionnaire et part pour le Texas. Ici, il donne le meilleur de lui-même. Il construit des églises, des écoles, des couvents qui sont toujours en service aujourd'hui. Il est aussi au service de la population des deux côté du Rio Grande, où il donne les sacrements, parcourt inlassablement une région immense sur le dos de son cheval. Sa bonté, son humilité font de lui un homme apprécié de tous. El Santo Padre Pedrito, est une légende de son vivant. Actuellement encore, il y a une rue, une avenue, un square à son nom dans chaque ville. Il est confronté à de multiples tourments : des bandits mexicains, des aventuriers, des Indiens, la guerre de Sécession, l'esclavage, la faim, la pauvreté. Il disparait mystérieusement à 55 ans.

Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:

Android
iOS
von Legimi
zertifizierten E-Readern
Kindle™-E-Readern
(für ausgewählte Pakete)

Seitenzahl: 247

Veröffentlichungsjahr: 2023

Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:

Android
iOS
Bewertungen
0,0
0
0
0
0
0
Mehr Informationen
Mehr Informationen
Legimi prüft nicht, ob Rezensionen von Nutzern stammen, die den betreffenden Titel tatsächlich gekauft oder gelesen/gehört haben. Wir entfernen aber gefälschte Rezensionen.


Ähnliche


Avertissement

Ce livre est un roman, tous les personnages nominés ont néanmoins réellement existé et les lieux cités sont exacts. Cependant, les situations et les dialogues peuvent être fictifs et librement interprétés par l'auteur.

Table des Matières

Préambule

Chapitre I : Enfance à Quimper

Chapitre II : Compagnon

Chapitre III : Séminaire

Chapitre IV : Les Oblats

Chapitre V : Les religieux au Texas

Chapitre VI : La création de Brownsville

Chapitre VII : Le départ

Chapitre VIII : L'arrivée

Chapitre IX : L'institution particulière

Chapitre X : Les Missions

Chapitre XI: Les Indiens

Chapitre XII : Les Missions au Mexique

Chapitre XIII : La Lomita

Chapitre XIV : Cortina

Chapitre XV : La Guerre de Sécession

Chapitre XVI : Le Bâtisseur

Chapitre XVII : L'Evolution de la Mission

Chapitre XVIII : Correspondances

Chapitre XIX : Cachotteries

Chapitre XX : Disparition

Chapitre XXI : In Memory

Epilogue

Préambule

La Cavalerie du Christ

La Cavalerie du Christ était le nom donné au groupe de prêtres missionnaires de la congrégation des Oblats de Marie Immaculée (OMI) qui ont parcouru à cheval le Sud du Texas et le Nord du Mexique, durant la deuxième moitié du 19ème siècle. La zone qu'ils devaient visiter couvrait une surface de plus de 30 000 Km2 soit davantage que la Bretagne.

Territoire très peu peuplé lorsqu'il était Mexicain, le Texas le restera encore jusqu'au milieu du siècle. A partir de ce moment, une immigration de colons Américains et Européens se développe rapidement et change la démographie de l'Etat. Les Mexicains deviennent minoritaires, les prêtres catholiques en poste retournent au Mexique après l 'indépendance du Texas puis son rattachement aux Etats Unis.

La population autochtone est alors livrée à elle même pour son éducation religieuse. A San Antonio, les catholiques ont gardé deux prêtres mais le foyer le plus important de la religion se trouve le long de la vallée du Rio Grande. Ici, en l'absence de clergé, la plupart continue ce qui leur a été enseigné par leurs parents et poursuivent les traditions religieuses comme les autels familiaux à la maison ou la célébration de certaines fêtes qui leur permettent de garder un ancrage culturel.

Beaucoup d'Américains qui viennent d'arriver sont protestants et n'apprécient pas les traditions catholiques. Ils voient les Mexicains comme un peuple dégradé et inférieur. Ils leurs sont hostiles et les méprisent. Globalement, les Américains protestants, ont gagné la guerre contre les Mexicains catholiques et ils restent nombreux à penser que la victoire sur Santa Ana pour l'indépendance a aussi été un triomphe sur l'Eglise catholique mexicaine. Même les quelques catholiques Américains ne veulent pas se mélanger aux Mexicains et ils présentent une pétition aux évêques américains pour demander des prêtres anglophones, alors que la très grande majorité des catholiques du Texas parle espagnol. Cependant, cette demande ne reçoit pas de réponse favorable.

L’évêque du Texas à cette époque, se fait bien préciser par sa hiérarchie à Rome jusqu'où s'étend le territoire de sa juridiction. Il sait alors que son diocèse de Galveston sur le golfe du Mexique, va jusqu'au Rio Grande, bien plus au Sud que San Antonio. Cela signifie surtout que la plus grande part de la population catholique se trouve sur les bords du fleuve frontière et cela depuis plus de dix ans. Dix ans durant lesquels aucun prêtre n'est venu dans cette région.

L'évêque fait donc une demande de prêtres missionnaires en France d'où il est lui-même originaire pour venir évangéliser son territoire abandonné. Le clergé doit venir d'Europe car l'église catholique américaine ne forment pas encore suffisamment de personnel. Durant cinquante ans, c'est de France essentiellement que viendront les pasteurs qui parcourent cet immense état. Cette mission se basera à Brownsville, ville nouvelle à l'embouchure du Rio Grande.

Les premiers hommes d'église arrivent en décembre 1849, deux Oblats. Mais les Mexicains regardent avec méfiance ces nouveaux prêtres, les soupçonnant d'être de connivence avec les Américains puisqu'ils ne parlent qu'anglais. Les deux hommes mettent cependant du coeur à l'ouvrage, ils commencent l'apprentissage de l'espagnol, construisent une chapelle en bois et débutent l'enseignement de la religion. L'un d'eux part à cheval au ranch de Santa Rita tous les jeudis, à dix miles au nord-ouest de Brownsville pour prêcher. Ce père devient ainsi le précurseur de l'oeuvre missionnaire qui va valoir aux Oblats le nom de Cavalerie du Christ.

C'est surtout à partir de 1852 et à l'arrivée de plusieurs prêtres que se développe cette Cavalerie du Christ le long de la frontière pour visiter les ranchos disséminés sur une distance de plusieurs centaines de kilomètres jusqu'à Laredo et au moins cent kilomètres dans l'intérieur, des deux côtés du Rio Grande. Les Oblats visitent plus d'une centaine de ranchs du côté des Etats Unis mais aussi du côté Mexicain. En plus de Brownsville, ils ouvrent d'autres centres missionnaires, à Roma et La Lomita sur la route vers Laredo. Au Mexique, ils desservent les paroisses de Matamoros, de Victoria et d'Agualeguas.

Les prêtres qui arrivent à Brownsville après avoir séjourné à Galveston pour apprendre l'espagnol mais aussi pour savoir monter à cheval, comprennent très vite que leur ministère sera particulier. Ils ont à mener une double tâche, s'occuper de la population de la ville bien sûr, mais surtout, le plus gros de leur travail est missionnaire et itinérant. Ils ne sont pas souvent dans une église mais plutôt à cheval dans les plaines couvertes de cactus et de broussailles.

La chaleur est difficilement supportable pendant toute l'année, l'eau se fait rare et les voyageurs doivent être vigilants pour leur approvisionnement. Les chemins ne sont pas trèsnombreux non plus et souvent il s'agit de sentiers de bétail qui peuvent être empruntés par erreur. Les missionnaires sont reçus par la population qui vit dans des conditions misérables. Les Mexicains sont pauvres, très pauvres mais s'occupent du mieux qu'ils peuvent du prêtre qui passe par chez eux. Les Oblats rendent visite dans les ranchs aussi souvent qu'ils le peuvent mais ces habitations sont éparpillés sur une surface immense et le voyage à cheval n'est pas très rapide dans de telles conditions. La venue d'un homme d'église est toujours un événement, il lui faut baptiser les enfants, célébrer les mariages parfois, dire la messe et inciter la population à vivre en bon chrétien.

Les Oblats de la Cavalerie du Christ accomplissent un travail énorme pour le développement de leur religion et ressentent un amour sincère pour les gens qu'ils visitent. Le prêtre vit, mange et dort comme les habitants qu'il sert, c'est dire qu'il doit se contenter de peu !

L'un d'entre eux, le père Keralum se distingue plus que tout autre par son humilité et sa serviabilité. L'itinéraire de la vie pleine d'aventures de ce petit homme chétif et affublé d'un défaut de prononciation est parsemé de péripéties plus étonnantes les unes que les autres. Natif de Quimper en Bretagne, il est menuisier, charpentier puis architecte avant de rejoindre le séminaire et devenir prêtre à Marseille. Il arrive au Texas en 1852 et commence sa vie de missionnaire et de bâtisseur de cathédrale tout en se confrontant àl'esclavage, aux Indiens, en subissant les méfaits de bandits, de la guerre de Sécession, des épidémies de fièvre jaune ou des dissensions dans sa communauté. Il devient une légende dans cette région et un modèle à suivre.

Pour beaucoup il reste El Santo Padre Pedrito et un Cavalier du Christ.

Regardons le film de sa vie.

Chapitre I

Enfance à Quimper

Les cloches de la cathédrale Saint Corentin sonnent à toute volée pour annoncer la fin de la grande messe. C'est dimanche, Jeanne Jacquette Colcanap vient d'accoucher de son dixième enfant, nous sommes le deux mars 1817, l'hiver tire doucement sur sa fin. Un pâle soleil envoie quelques rayons dans la chambre de la maison de la rue de Kerfeunteun. Jeanne Jacquette regarde son bébé et dit tout haut en s'adressant à la sage-femme :

— Il n'est pas bien gros celui-ci, j'espère que le bon Dieu nous le laissera.

Elle lève la tête vers son mari qui vient d'entrer dans la pièce. Marc Yves Keralum se penche vers sa femme, l'embrasse et regarde l'enfant qui vient de naître.

— En effet, dit-il, mais je suis content d'avoir un autre gars encore après les deux filles. François notre premier fils est grand maintenant, il travaille bien avec moi mais il a presque vingt ans et va bientôt partir alors un autre garçon me fait très plaisir.

Il appelle son fils aîné et lui dit :

— François, tu as un nouveau petit frère, garde tes soeurs Clémence et Gillette pendant que je passe à la mairie et je vais voir à la cathédrale aussi, puisque la messe est terminée. Je vais chercher un prêtre pour baptiser le bébé assez vite parce qu'il est bien frêle et nous avons peur que le bon Dieu veuille le prendre aussi celui-ci. Il faudra le mettre sous la protection de la Sainte Vierge, elle, peut être, prendra soin de lui.

François regarde son père et sa mère, s'avance vers eux et leur présente le berceau qu'il a fabriqué pour son petit frère qui vient de naître.

— Eh ! Mais il est très beau ce berceau ! lui dit sa mère.

— Ah oui, reprit son père, tu as drôlement bien travaillé, c'est donc cela que tu restais faire le soir dans l'atelier ? C'est du très bon travail que voilà ! continua son père en examinant l'oeuvre de son oeil expert. Pas un clou, tout en assemblage, vraiment très bien fait !

— Mais, Papa, lui dit François, tu sais que c'est dimanche aujourd'hui ? La mairie est fermée !

— Ah oui, tu as raison, lui répond Marc Yves, bon je passe tout de même à la cathédrale, elle est certainement ouverte.

Marc Yves met sa veste, descend la rue de Kerfeunteun, passe le champ de foire et prend la rue Royale, tourne à droite vers la place au Beurre, rejoint la rue des Boucheries, puis il longe la rue du Guéodet pour revenir sur la place St Corentin, où il arrive devant la mairie et se dirige vers la cathédrale qui fait face.

Comme tous les dimanches, il y a du monde dans les rues de Quimper surtout maintenant après la messe. Les femmes qui se sont apprêtées avec leurs habits du dimanche et leurs plus belles coiffes discutent par petits groupes en essayant, en vain, de retenir les enfants, pendant que les hommes se dirigent vers les cabarets pour boire une chopine.

Au sortir de l'époque Napoléonienne, Quimper est toujours une ville enfermée dans ses traditions et enserrée dans ses remparts, à l'étroit. Ses rues sont plutôt des ruelles tortueuses et pas très propres, quasiment restées telles qu'elles étaient au moyen-âge, avec des maisons à colombages, pittoresques, certes, mais sombres, insalubres et surpeuplées. Les liens avec les communes environnantes demeurent étroits, l'économie est rythmée par les foires et les marchés qui attirent les foules et font vivre les petits commerces et les artisans. L'industrie est peu développée et surtout destinée au marché local à l'exception notable des faïenceries qui exportent leurs productions dans toute la Bretagne.

Marc Yves se demande quand la ville allait enfin se moderniser en traversant la place Saint Corentin et en voyant les échoppes anciennes et typiques adossées à la cathédrale.

Il entre dans l'église et se dirige vers la sacristie, son chapeau à la main, où il rencontre le père Bucaille. Ce dernier lui fait la remarque que l'on ne l'avait pas vu à la messe du matin. Marc Yves explique au prêtre que sa femme venait d'accoucher et qu'il vient justement le voir pour procéder au baptême du nouveau né assez rapidement car le bébé ne semble pas bien costaud et qu'il vaut mieux lui donner le sacrement sans tarder. Le prêtre lui indique qu'il lui faut passer à la mairie avant de pouvoir procéder au sacrement. Le nouveau papa lui répond qu'il a prévu d'y aller à la première heure le lendemain matin. Il est donc convenu que le baptême aura lieu après, lundi en fin de matinée. Marc Yves remercie humblement le vicaire, lui confirme une nouvelle fois qu'il passera voir le maire avant de lui présenter l'enfant. Le nouveau papa s’arrête un instant pour une courte prière devant la statue de la Vierge afin de lui demander de veiller sur son bébé.

Marc Yves et sa femme Jeanne Jacquette sont très croyants. Depuis leur mariage à la fin du siècle dernier, en 1798, seul François né en 1799 est resté en vie jusqu'à la naissance des filles qui ont maintenant cinq et trois ans. Les six autres enfants qu'ils ont eus dans les quinze premières années de ce siècle étaient morts en bas âge, que ce soit avec eux ou en nourrice à la campagne. Mais leur foi les aide.

Et ils ne sont pas les seuls, car la mortalité infantile est importante, la vie est dure pour tout le monde, cependant Marc Yves est un bon artisan menuisier-charpentier et il gagne très correctement sa vie.

Le lundi trois mars, Marc Yves accompagné de son fils François qui porte son petit frère, se rend à la mairie pour déclarer la naissance de son dernier né. Ils y retrouvent Pierre Jean Keralum, le neveu de Marc Yves et donc le cousin de François et de son petit frère nouveau né, ainsi que Jean Marie Goardet, une relation de la famille. Tous deux acceptent d'être les témoins de la déclaration de naissance faite auprès de René François Huo adjoint de la mairie de Quimper délégué ce jour là pour remplir les fonctions d'officier public de l'état civil. Marc Yves et son neveu Pierre Jean, qui donne son premier prénom à l'enfant, signent le registre des naissances de la mairie. Ils doivent être vigilants quand M. Huo rédige l'acte de naissance car si leur nom se prononce « kéralin », il s'écrit Keralum, avec UM à la fin, comme si c'était du latin dit Marc Yves en souriant. Puis la compagnie prend congé pour se rendre à l'église, en face de la mairie, de l'autre côté de la place St Corentin.

Pour le baptême de Pierre Yves Keralum, trois coups de cloche retentissent. A ce signal du bedeau qui annonce aux fidèles la naissance d'un petit paroissien, le père Bucaille se dépêche de revêtir le surplis, de passer l'étole de sa fonction et va accueillir la petite troupe qui arrive sous le porche de l'église.

Devant les fonds baptismaux, il met quelques grains de sel consacré sur les lèvres du nouveau né et répète à voix haute le nom de Pierre Yves, faisant gonfler de fierté la poitrine de son cousin. Puis, l'eau bénite est versée sur le front de l'enfant et le prêtre lit un chapitre de l'évangile en tenant le bout de son étole et sa main droite étendue sur la tête du bébé que lui présentent le parrain et la marraine. La marraine est Françoise Yvonne Keraro arrivée entre temps, et le parrain son cousin Pierre Jean Keralum déjà témoin à la mairie tout à l'heure. Marc Yves lui, est resté un peu en retrait, un peu honteux ou du moins en donnant l'impression.

C'est le Père Bucaille qui devance tout le monde à la sacristie où est enregistrée la cérémonie dans le livre des fidèles et dans lequel sont apposées les signatures des présents qui savent écrire. Là encore, Marc Yves explique au prêtre l'orthographe de son nom, la terminaison UM et c'est le vicaire qui fait la remarque que c'est comme du latin, faisant à nouveau sourire la petite assemblée. Le bedeau fait sonner les cloches à toute volée, pendant que la famille, sauf Jeanne Jacquette, restée à la maison, se dirige vers un cabaret du champ de foire pour partager le repas traditionnel qui suit le baptême, avec les membres de la famille, oncles et tantes qui ne sont plus très nombreux, mais aussi les cousins heureux de se retrouver.

Deux ans plus tard, Germain qui fait son apparition dans la famille Keralum et dans leur nouvelle habitation de la rue des Reguaires, près de la boucherie du beau frère Mathias Gouezou. Il reste cependant l'atelier et le jardin rue de Kerfeunteun. Là encore, le baptême a lieu suivant le même cérémonial.

Mais au début du mois de juin 1819, un mal mystérieux s'empare de Marc Yves, subitement. Alors qu'il se trouve dans son atelier, il est pris de douleurs abdominales intenses puis de tremblements incontrôlés. Son fils François qui travaille à ses côtés le transporte jusque sur son lit. Jeanne Jacquette appelle le médecin, un traitement lui est administré mais en vain, son état ne s'améliore pas. Tout l'entourage est inquiet, à juste raison car le 21 juin 1819, Marc Yves Keralum décède après avoir perdu connaissance trois jours plus tôt. Un nouveau coup du sort terrible s'abat sur la famille.

Hormis François qui a alors vingt ans, Jeanne Jacquette se retrouve avec quatre jeunes enfants entre sept ans et quatre mois et un avenir incertain. Heureusement, les époux ont mis quelques économies de côté et ont acquis des biens, fruit de leur labeur. De plus, le travail ne manque pas à l'atelier, François continuera à le faire fonctionner bien qu'il soit encore jeune pour prendre en charge toute la famille.

Quelques jours plus tard, la journée s'annonce belle en ce lundi 12 juillet qui sera malgré tout morose. Il est 9 heures lorsque Joseph Nicolas Le Bour accompagné de son collègue Jézéquel, frappe à la porte de la boutique de menuiserie de la rue des Reguaires. Les deux notaires Royaux de Quimper viennent exécuter une tâche de routine pour eux, mais jamais agréable : faire un inventaire après décès. Aujourd'hui c'est celui du menuisier Marc Yves Keralum à la demande de sa veuve.

Joachim Lanveur, le commissaire priseur arrive en courant, essoufflé. Toujours un peu en retard, pour une fois, pas trop !

Jeanne Jacquette Colcanap ouvre la porte, elle tient Germain, le petit dernier dans ses bras. Elle fait les présentations en désignant Mathias Gouézou, son beau frère, qui est boucher de l'autre côté de la rue et qui est venu l'assister. Puis Jeanne dépose Germain dans son berceau et présente aussi son fils ainé, François, le gaillard de vingt ans qui travaillait avec son père et qui va devoir prendre seul la relève de la boutique avec l'aide de sa mère lorsqu'elle le pourra, bien occupée déjà avec ses petits frères et soeurs. Clémence et Gillette sont blotties l'une contre l'autre dans un coin de la cuisine. A sept et cinq ans, elles s'occupent tant bien que mal de leur petit frère, Pierre Yves qui, à deux ans, ne reste pas en place. Il n'est pas bien grand, il n'est pas bien gros mais il bouge tellement qu'il ne risque pas de l'être.

Voilà maintenant trois semaines que Marc est décédé, emporté en une huitaine de jours par cette maladie qui n'a pas laissé la moindre chance à ce père de famille dont le dernier enfant est un bébé de quelques mois. Ces messieurs adressent leurs condoléances à Jeanne Jacquette. Celle-ci remercie en disant que c'est la volonté de Dieu qui les a déjà mis à l'épreuve du deuil de nombreuses fois puisqu'ils ont déjà perdu plusieurs enfants depuis une quinzaine d'années. Elle ira encore régulièrement à la cathédrale, prier la Sainte Vierge pour les siens, comme elle le fait depuis des années, ça ne les fera pas revenir dit-elle, mais ça aide de penser qu'ils sont tous au ciel.

L'inventaire va débuter, il faut tout sortir des armoires, l'énumération commence. Les notaires se sont répartis les rôles, Jézéquel énonce, Lanveur, le commissaire priseur évalue et Le Bour rédige l'acte. Le trio a de l'expérience, les tâches sont bien réparties.

Dans la cuisine : trois trépieds : trois francs, deux poêles à frire : trois francs, une poêle à crêpes : quatre francs. Deux chaudrons, deux casseroles, des bassines, trois chandeliers de cuivre et six chandeliers d'étain avec deux mouchettes et un porte mouchettes. L’énumération continue, trois douzaines d'assiettes, douze tasses en faïence, une table et deux bancs, un buffet et son vaisselier, un bois de lit garni d'une paillasse, couette de balle, traversin de balle et une couverture de laine verte.La voix du notaire continue de réciter comme une prière et le commissaire priseur lui répond. Dans la chambre : un bois de lit, un pot de chambre, un autre lit avec sa garniture, des oreillers, des armoires, une pendule, un miroir, un coffre, tous les vêtements et autres linges de maison...

Tous les objets de la maison y passent puis ces messieurs se déplacent dans la boutique et la cérémonie se poursuit : un coffre, une table et ses tréteaux, trois futailles, un établi et les outils de menuiserie avec les divers bois. A dix heures trente, l'inventaire de la maison de la rue des Reguaires est terminé. Il faut maintenant se porter dans la maison de la rue de Kerfeunteun : des outils de charpentier et menuisier, du bois dans la boutique et sur la rue, en dehors, des planches dans le grenier, un chariot et une barrique, trente ruches d'abeilles dans le jardin et dans la cour.

Les notaires et le commissaire connaissent bien leur travail, ils passent d'un objet à l'autre sans perdre de temps si bien qu'à midi, ils sont de retour rue des Reguaires chez Jeanne Jacquette pour finaliser le document définitif à signer et prendre congé.

— Voilà, ça c'est fait ! dit Jeanne Jacquette. A table maintenant les enfants !

Pendant que les notaires officiaient sur Kerfeunteun accompagné de son fils François et de son beau-frère, Jeanne Jacquette a préparé le repas constitué de la viande que Mathias lui avait apportée, avec quelques légumes du jardin, le tout cuisiné avec l'aide de sa belle-soeur, Marie Renée, la soeur de Marc Yves.

Durant trois ans, la vie se déroule tranquillement chez la famille Keralum, le fils ainé travaille, la mère s'occupe de ses enfants plus petits et de son foyer. Jusqu'au samedi 23 février 1822, jour où le malheur frappe une nouvelle fois. Germain le petit dernier, décède lui aussi à l'âge de trois ans. Il était beau pourtant ce bébé, bien joufflu, grassouillet, il paraissait aussi grand que son frère Pierre Yves qui avait deux ans de plus que lui et qui restait d'un aspect chétif bien qu'il n'était jamais malade. Jeanne Jacquette une nouvelle fois abattue, continua d'aller prier à la cathédrale, elle était bien soutenue par les prêtres qui compatissaient à sa situation.

Pierre Yves a maintenant cinq ans, il est toujours vif, intelligent, curieux de tout et surtout, infatigable. Sa mère commence à lui apprendre à lire et à écrire comme elle l'avait déjà fait pour son frère ainé et ses deux soeurs, un prêtre de la paroisse passe également de temps en temps pour leur apprendre le catéchisme. Le religieux inscrit Pierre Yves à la nouvelle école communale des garçons qui vient d'ouvrir à cet automne 1824 et s'est installée en haut de la rue du collège dans les locaux de l'ancienne maison prébendale. L'homme d'église a vite remarqué l'intelligence et le potentiel de l'enfant et veut lui donner une chance d'être instruit. De plus, cette nouvelle école qui s'ouvre a besoin d'élèves. L'école est gratuite et réservée aux seuls élèves de Quimper, elle sera placée sous le patronage de Saint Corentin et se développera rapidement puisqu'en dix ans, en 1834, elle compte 350 élèves.

L'an 1825 est une année de joie avec le mariage de François qui épouse le 22 août à la cathédrale, Louise Bastien, une quimpéroise de quatre ans sa cadette qui lui donnera de nombreux enfants. Francois continue de faire prospérer l'affaire de son père qu'il a reprise en main il y a six ans et il parvient ainsi à faire vivre toute la famille sans trop de difficulté. D'autant que la maison de Kerfeunteun a été mise en location et rapporte donc un pécule mensuel.

Pierre Yves fréquente l'école, très assidu, il est toujours curieux et intéressé par ce qui l'entoure. Il s'est souvent arrêté à son retour de l'école pour voir les gros travaux en bas de la rue Royale, le tracé est en grande partie modifié pour ouvrir la rue sur la place St Corentin, l'ancienne rue Obscure devient enfin un peu plus claire. La construction de l'Hotel de Ville depuis 1829 est un autre chantier important sur cette place qui verra bientôt les échoppes adossées contre la cathédrale être démolies également.

Bien souvent, au retour de l'école, Pierre Yves va sur ce chantier. Il est curieux de tout ce qui concerne l'édification de ce grand bâtiment et l'architecte, François Lemarie, qu'il suit partout et qui l'a pris en affection, lui montre les différents plans et lui explique la manière dont sont montés les murs, posée la charpente. Pierre Yves est vraiment très intéressé par l'architecture, il en oublie sa timidité et pose beaucoup de questions, avec son défaut de prononciation qui prêterait à sourire en temps ordinaire mais les interrogations venant de ce petit bonhomme sont si pertinentes que personne ne s'y laisse aller. Son père aurait été content de voir sa ville évoluer enfin !

Ses études primaires terminées, il est maintenant apprenti à temps plein dans l'atelier de son frère qu'il fréquente en fait depuis toujours. Il est très doué de ses mains, comprend très vite grâce à son esprit très vif et réalise déjà du bel ouvrage. Durant son temps libre, il va retrouver les prêtres pour un apprentissage plus approfondi du catéchisme. A l'image de sa mère, Pierre Yves est très pieux et il est persuadé que la Vierge veille sur lui depuis sa naissance comme le lui a dit sa maman. Là aussi il se montre très intéressé et assidu à cet enseignement et il restera conditionné par cette éducation pour toute sa vie.

Les années passent lentement, rythmées par le travail à l'atelier, les promenades avec ses soeurs le long de l'Odet ou à la campagne, tantôt vers Kerfeunteun, tantôt vers Locmaria pour voir les bateaux à quai et le déchargement leurs marchandises au port. Là, il y a souvent de l'animation. Malgré tout, il a l'impression de tourner en rond. Quimper est une petite ville, trop petite pour satisfaire sa curiosité et sa soif d'apprendre qui est grande. Les bateaux le font rêver d'aventure, il entend des hommes parler des langues inconnues.

Chapitre II

Compagnon

En 1835, Pierre Yves a dix huit ans, il décide de s'engager chez les Compagnons du devoir pour continuer à apprendre, voir d'autres régions. Il quitte alors sa ville natale pour faire son Tour de France. Il rejoint de jeunes artisans de diverses contrées de France qui ont le désir de se perfectionner, le besoin de voyager et de s'instruire et qui, surtout, ont l'intelligence et le courage pour cela. Après deux, trois, quatre ans de voyage pendant lesquels ils ont travaillé, appris et amélioré leurs capacités dans leurs métiers chez différents maîtres artisans, dans différentes villes, en général, ils rentrent dans leurs foyers et se mettent à leur propre compte et sont très bien considérés car leur savoir est reconnu.

Les compagnons sont le plus souvent des ouvriers de dix huit à vingt cinq ans et ils se renouvellent en permanence. Mais les voyages sont longs. A cette époque, il faut vingt quatre heures pour aller de Quimper à Nantes en diligence. Ils restent en général entre six mois et un an dans chacune des villes qu'ils rejoignent. Mais c'est surtout à pied que les jeunes compagnons se déplacent.

Chez les Compagnons Pierre Yves découvre une vie en communauté, une vie d'entre-aide, de solidarité, de camaraderie. C'est aussi une vie entièrement dévolue au travail, chez le patron dans la journée, les compagnons rentrent à la maison dans la soirée où la Mère qui dirige l'institution les attend pour le repas. Ensuite, il y a encore les études spécifiques à chaque métier ou un peu de temps à l'atelier de la maison pour maitriser les gestes les plus complexes enseignés par les plus avancés dans leur apprentissage ou des maîtres compagnons de la ville qui viennent transmettre leur savoir. Les journées sont longues, fatigantes mais enrichissantes.

Les bagarres ne sont pas rares non plus entre les différentes confréries lorsque quelques verres de trop ou quelques filles courtisées ont échauffé les esprits. Pierre Yves y participera parfois même s'il réprouve la violence comme la religion le lui a appris, d'autant qu'il n'est pas le mieux placé pour y participer avec son physique fluet.

Cette vie lui plait, sans temps mort, c'est la vie enseignée par les prêtres, celle où l'on aide son prochain, et cela lui parle. Il est aussi confronté à des cultures différentes, ces compagnons viennent de toute la France, ils ont d'autres coutumes, d'autres façons de faire, certains ont d'autres croyances religieuses ou politiques, parlent d'autres langues que le français. Pierre Yves pense que ces échanges sont enrichissants, lui permettent de réfléchir, le confortent dans ses convictions et il garde son esprit ouvert.

En 1837, Pierre Yves qui est chez un patron à Bordeaux, revient sur Quimper, il a vingt ans et doit passer au conseil de révision du canton de Quimper pour éventuellement accomplir ses obligations militaires. Il est réformé pour défaut de taille car avec son mètre cinquante, il lui manque six centimètres pour avoir la taille minimale requise et être incorporé dans l'armée. Il a toujours été petit ! Il échappe ainsi à six années de vie militaire, durée prévue à cette époque du service aux armées. Mais là aussi, Pierre Yves aurait très bien pu trouver un esprit de camaraderie qui pouvait lui plaire.