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Recette pour un polar (à consommer sans modération) Ingrédients : Une pincée de suspense ; Une dose de romantisme grâce à un héros, un commandant de police naturellement paré de toutes les vertus, et une héroïne, une belle jeune fille (il ne saurait en être autrement) ; Une intrigue : une absence inexpliquée, une enquête, quelques cadavres, trop peu d’hémoglobine et des mystères, résolus ou pas ; Des personnages atypiques pas toujours secondaires. Préparation : Faire disparaître un jeune homme sans mobile apparent. Organiser au même moment la rencontre des deux principaux protagonistes dans un commissariat et s’arranger pour que Cupidon les atteigne de ses flèches. Trouver des raisons pour expliquer cette disparition et celle de quelques morts suspectes. Ajoutez quelques enquêteurs intelligents et quelques personnes douteuses qui ne le sont pas moins. Mélangez et laissez macérer au moins une semaine. Vous n’avez alors plus qu’à déguster… Bon appétit !
À PROPOS DE L’AUTRICE
Membre de la Société des écrivains dauphinois et de l’Association des arts et lettres de France,
Annie Servant a un répertoire d’une vingtaine d’œuvres publiées. Ses réalisations littéraires lui ont valu de multiples récompenses dans diverses catégories, notamment le prix Antoine Chollier et le prix Charles Moulin. Avec
Pour quelques gouttes de ton sang…, elle explore l’univers policier autour d’une intrigue prenante.
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Seitenzahl: 446
Veröffentlichungsjahr: 2023
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Annie Servant
Pour quelques gouttes
de ton sang…
Roman
© Lys Bleu Éditions – Annie Servant
ISBN : 979-10-422-0172-2
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Cette histoire est une pure fiction née dans l’imagination de l’auteure. Toute ressemblance avec un événement passé, un lieu réel, ainsi qu’avec une personne vivante ou ayant vécu ne serait que simple coïncidence.
De même, toute inexactitude quant au déroulement habituel, légal ou juridique des enquêtes inventées par elle, ainsi que sur les données médicales est de sa responsabilité et elle plaide coupable à cet égard. Les erreurs – et il y en a pléthore selon toute vraisemblance – sont involontaires et n’ont été commises que pour illustrer et entériner le récit. Les faits, lieux, personnes physiques et supposés méfaits sont également rigoureusement illusoires.
Les notes explicatives en bas des pages ont été rédigées grâce à des emprunts aux encyclopédies d’aujourd’hui : merci Internet. Que les lecteurs qui n’auraient pas eu besoin de ces explications veuillent bien excuser l’auteure pour ces compléments d’information inutiles pour eux. Et utiles pour d’autres ?
Je continue à penser que la plus belle phrase du monde est : « Il était une fois… »
Raymond Devos
Je l’avais retrouvé sur le plancher, dans le grenier de la maison où nous venions d’emménager quelques semaines auparavant. La curiosité m’avait poussée un jour à jeter un coup d’œil à l’endroit et la chemise cartonnée m’avait interpellée au premier regard. Esseulée au beau milieu du galetas, elle paraissait attendre ma venue et je n’avais pas su résister à son appel. Comme ensorcelée, je l’avais ramassée, débarrassée de la poussière qui l’avait presque ensevelie et précieusement rapportée dans le bureau. Pour me plonger aussitôt dans la lecture des feuillets qu’elle protégeait. Soigneusement paginés. À croire que leur auteur voulait être sûr de la bonne compréhension de son texte par son lecteur futur…
Au travers des mots qui racontaient les événements vécus, qui décrivaient les protagonistes, qui ne laissaient planer aucun doute quant à leurs sentiments, on devinait aisément la trame de l’histoire ; son déroulé.
Mais il flottait un goût d’inachevé, car certains faits n’étaient que brièvement mentionnés. Des situations étaient simplement esquissées, sans que l’on puisse en connaître l’enchaînement détaillé. Des échanges de paroles étaient rapportés, puis interrompus. Et, surtout, le récit lui-même s’arrêtait brutalement. Impossible d’en connaître la fin.
Cependant, il s’agissait bien d’événements racontés. Tout portait à croire que c’étaient ceux vécus réellement par l’auteur ; le récit d’un pan de sa vie qu’il aurait souhaité léguer en quelque sorte. Un témoignage essentiel à ses yeux, bien qu’incomplet.
Enfin, c’est ce qu’il semblait au premier abord.
Car il y avait ces coupures inexpliquées, ces non-dits, cette absence d’épilogue. D’ailleurs, qu’est-ce qui avait motivé cette interruption avant cet « inachèvement » ? Quel avatar ou quelle fortune fâcheuse, ou heureuse ?
S’agissait-il simplement d’idées couchées sur le papier par un écrivain en mal d’inspiration pour son prochain roman ? Ou par un scénariste ? De simples notes prises par un policier lors d’une enquête ? Ou par un journaliste d’investigation ? De recherches effectuées par un historien sur ses ancêtres ? Quoique la probabilité de cette dernière hypothèse soit plus qu’aléatoire, car il s’agissait vraisemblablement de faits récents : les moyens employés et cités étaient résolument modernes et contredisaient singulièrement une ancienneté des événements.
Ne sachant quels locataires avaient occupé la demeure avant notre achat, toutes les spéculations étaient néanmoins plausibles.
Alors que faisait cette sorte de manuscrit dans un grenier ?
À qui était-il destiné ?
Et, surtout, depuis combien de temps traînait-il là ?
La couche de poussière qui s’était amassée laissait supposer un long, un très long moment. Mais cet indice était-il fiable ? N’était-ce pas qu’une tromperie de plus ? Une piste semée volontairement par son auteur pour nous induire en erreur ?
Qui était-il, cet homme qui l’avait un jour oublié dans un endroit aussi invraisemblable ? Ma seule certitude si on acceptait le fait que ce soit bien un récit autobiographique : c’était un homme. Une indication bien faible cependant.
Au fur et à mesure de la lecture des pages, je m’impliquais de plus en plus dans l’histoire. Je m’imprégnais du récit. J’en devenais à mon tour le narrateur. Je me métamorphosais en lui. Je réfléchissais comme lui. Je rêvais ses rêves. Je ressentais ses émotions. Au point de deviner à l’avance les pensées qui auraient traversé son esprit ou les sentiments qu’il aurait pu éprouver, alors même que ceux-ci n’étaient pas toujours précisés. Au mieux ébauchés.
De là à imaginer que j’avais réellement vécu les événements, à intégrer l’enveloppe corporelle du récitant, il n’y avait qu’un pas à franchir.
Je le couvris sans même en réaliser la portée. Au point de m’identifier totalement à ce Vlad, au point de vivre sa vie à sa place. Le manuscrit me racontait son passé, esquissait son présent. Il ne me restait qu’à imaginer son avenir.
Je me pris ainsi au jeu et effectuai naturellement des recherches sur Internet. Je remontai le plus loin possible dans les archives des journaux. Mais aucune citation d’une enquête policière se rapportant aux faits évoqués. Aucune mention non plus des parents de cet homme ; des parents pourtant connus au plan international selon ses dires. Aucune référence à des ouvrages qu’ils auraient écrits, à des scénarios qu’ils auraient signés. Encore moins de cette ville, soi-disant lieu où se sont déroulés les événements cités : elle n’existe pas. Sur aucune carte. Même si les noms avaient pu être volontairement changés, j’aurais dû trouver mention de faits ou de personnes offrant une ressemblance troublante avec l’histoire…
Mais, non : rien ! Nada !
En outre – et ce n’était pas le moins déconcertant –, le document, ainsi que je l’ai dit auparavant, citait des moyens de communication et de recherche très modernes. Trop modernes, trop réels pour justifier un récit ancien. Tel que le laissait supposer la poussière accumulée au grenier.
Ou alors, il s’agissait d’un ouvrage de science-fiction ou d’anticipation proche de notre monde réel actuel. Très proche. Dangereusement proche…
Miraculeusement proche…
D’ailleurs le personnage principal, celui qui raconte, ne laisse-t-il pas, lui aussi, planer le doute quant à la véracité de son récit ?
Je finis par renoncer, par abandonner l’idée de découvrir qui était l’auteur de cet écrit ? Le narrateur, le héros en quelque sorte…
Je cessais de m’interroger quant au comment, quant au pourquoi, ou au qui… Toutes ces questions sans réponse…
Et par croire que ce n’était pas tout à fait un hasard si j’avais été attirée dans ce grenier par une force quasi surnaturelle. Si ce manuscrit avait atterri entre mes mains. Si c’était moi qui avais acheté cette maison. Comme si j’avais été choisie dans ce but. Une manière de me dédouaner pour la suite.
Inconsciemment, je me sentais dépositaire d’un devoir : celui de transmettre cette histoire à mon tour. De la communiquer au plus grand nombre.
C’était plus qu’une obsession. Une sorte de drogue en fait qui emplissait mon esprit la nuit, occupait mes journées à remplir des pages de ses écrits mêlés aux miens. Au point de ne plus démêler ce qui relevait de l’original, ce qui était de mon fait.
C’est ainsi que je devins « lui » et que je me suis ingéniée à combler les blancs. À réinventer les événements pour qu’ils me correspondent. À imaginer les réactions des individus concernés. À échafauder un scénario et une fin possibles. Tout le reste est de sa main.
Réalité ?
Fiction ?
Quelle importance !
L’être humain vient au monde les poings fermés, comme s’il disait « La Terre m’appartient ». Il meurt les mains ouvertes pour dire « Je n’emporte rien ».
Proverbe yiddish
Je pourrais jurer sur la Bible, le Talmud, le Coran ou tout livre saint que vous me présenteriez (même si je ne suis pas croyant), sur mon honneur (si tant est qu’il m’en reste un aujourd’hui), sur mon âme (que j’ai donnée avec mon cœur à une femme), voire sur ma tête (et là, je prends des risques, vous le constatez, car elle est encore accrochée à mon corps au moment où j’écris ces lignes), que ce que je vais raconter est la stricte vérité. Aussi étrange, aussi inexplicable, aussi invraisemblable que cela puisse paraître.
Mais je ne le ferai pas, puisque je crains que, même avec cet argument ultime, vous n’osiez accepter ma version des faits.
Sans la contester.
Ni la mettre sérieusement en doute.
Et vous auriez peut-être raison… Finalement…
Ai-je vraiment vécu cette existence ? Ai-je tout inventé ?
Et aurais-je pu prendre d’autres décisions ? Agir différemment ? De toute façon, il est trop tard pour moi, bien trop tard pour avoir des regrets… ou des remords.
Les rapports de police que j’ai rédigés, les articles dans les journaux ont présenté à l’époque un compte rendu des faits scientifiquement avéré, prouvé, irréfutable.
Des jugements ont été rendus ; des prévenus condamnés.
Mais je resterai coupable d’avoir occulté une partie de la vérité. De cette vérité impossible à admettre pour des esprits humains rationnels.
Innocents, ils ne l’étaient pas. Il y aurait eu trop de victimes futures si je les avais ignorés. Et ça, il n’était pas question que je les laisse agir impunément.
Donc ils étaient coupables. Pas question qu’ils échappent à un châtiment en ce monde, si ce n’est dans un autre.
Je ne regrette rien…
Si tous les événements que je raconte sont véridiques, si on peut remplacer le conditionnel par l’indicatif, oublier tous ces « si », vous êtes alors en droit de vous demander pourquoi je tiens tant à narrer cette période de ma vie dans un livre. J’ai d’ailleurs longtemps hésité avant de m’y décider.
Certainement pas pour que l’intrigue serve d’enseignement dans une école censée former de futurs enquêteurs ; même si c’est un modèle classique d’investigation. Je ne suis pas un expert en criminologie, loin de là ! Je me targue d’effectuer correctement mon travail et de ne pas être le plus mauvais dans ce domaine. Ni le meilleur… Quoique…
Il ne s’agit pas non plus d’ajouter un énième volume aux nombreux ouvrages destinés aux jeunes adultes, férus de superhéros et d’êtres inhumains. Surtout surhumains. Je n’appartiens pas, à ma connaissance, à cette catégorie de personnes. Heureusement ?
Encore moins pour encenser ma personne et mettre en exergue mon existence que d’aucuns qualifieraient de banale… Enfin, de presque banale. Et c’est ce presque qui justifie – en partie – que je couche cette histoire sur du papier ; mon histoire (ou mon rêve ?) Juste pour démontrer qu’il ne faut jamais perdre espoir ; même lorsque l’avenir semble sombre et… sans avenir justement.
Jamais…
D’ailleurs si, en outre, la lecture de mon histoire vous fait passer un agréable moment, que demander de plus ?
Alors je vous propose de découvrir un pan de ma vie. Tel que j’aime (j’aimerais ?) à m’en souvenir…
Le vent a poussé les auvents ;
La crépitante averse
De milliers d’aiguilles traverse
Les nuages mouvants ;
Aux étangs morts, l’automne las
Boit dans ses mains noircies…
La cloche abandonne son glas
Aux brumes épaissies…
Jean Pèlerin, Le Bouquet inutile, 1923
Tout a commencé un lundi pluvieux de novembre… Un de ces jours gris et maussades, typiques du climat londonien. Un de ces jours où l’on se demande pourquoi on ne reste pas chez soi. Dans un fauteuil, près d’une cheminée où flamboie une bûche, à siroter du thé dans de la porcelaine fleurie (celle fabriquée par la Royal Crown Derby Porcelain Company naturellement) et le thé (l’authentique, celui qu’on laisse infuser dans de l’eau frémissante – et pas bouillante –, pas celui en sachets), le tout accompagné de scones dégoulinant de marmelade d’orange ou de confiture de fraises. Quitte à adopter une attitude « So British », typique du 19e siècle, voire du début du 20e.
Ce matin-là, je suis arrivé en retard au commissariat. Une femme patientait, la tête baissée, assise sur une chaise bancale à l’accueil, et…
Non !
Impossible !
Je ne peux débuter mon récit ainsi. Déjà que j’aurai le plus grand mal à vous persuader de sa véracité. Mais, en plus, cette histoire n’aura aucun sens si je n’explique pas pourquoi il était évident que nul autre que moi n’aurait pu en être l’un des protagonistes et, surtout, le narrateur.
Vous noterez au passage que je ne me présente pas comme le héros du récit. Un héros, cela suppose une conduite exemplaire, irréprochable, inattaquable, à tous les égards. Et si je suis sûr d’une chose, c’est bien de ne pas mériter ces qualificatifs. Je suis honnête, intègre certes, mais loin d’être parfait. Malgré les apparences, je commets des erreurs. Et « Errare humanum est, perseverare diabolicum » comme le disait Sénèque, ou Cicéron, ou Saint Augustin… Peu me chaut qui est l’auteur de cette célèbre maxime d’ailleurs. Faisons simple : comme l’enseignaient les philosophes.
Comme ils l’enseignent toujours ?
Quelle que soit la réponse à cette question, ce qui importe c’est que je commets des erreurs et que je me corrige. Le plus souvent ! Un défaut qui atteste de mon humanité. Et je pèse la valeur de ce dernier mot.
Je suis ainsi, hélas, bien loin d’être un héros.
Je suis un homo sapiens ordinaire.
Quoique certains pourraient y trouver à redire…
Mais je m’égare et vais essayer de reprendre mon récit depuis le tout début. C’est-à-dire depuis ma venue au monde, il y a un peu plus de trois décennies.
Trente-trois ans pour être précis.
Tiens comme le Christ au jour de sa mort. Mais toute référence à un fait historique ne serait que pure coïncidence naturellement. Et c’est le cas.
Mes parents – jusqu’à leur décès – et mon ami, mon presque frère, Julian, étaient les seuls jusqu’au début de cette histoire à m’avoir appelé Vlad.
Même si ce patronyme faisait référence à un psychopathe notoire.1
Bien que, au XVe siècle, les notions de sadisme et de psychopathie n’étaient certainement pas perçues de la même façon que maintenant. Je précise : perçues. Car je doute qu’elles aient fait partie du vocabulaire de l’époque !
Je suis Vladimir pour la plupart des autres. Pour toutes celles surtout qui ont partagé ou partagent, un temps, quelques-unes de mes soirées. Au mieux un week-end. Mais jamais plus. Pour être franc – et je me suis engagé à l’être –, au vu de ma situation amoureuse au début de cette histoire laquelle flirtait avec un désert abyssal, je ferais mieux de dire que « j’étais » Vladimir.
Mes collègues, quant à eux, me surnomment Dracula. Dans mon dos. Aucun n’a encore osé le faire face à moi. Aucun, sauf ma Supérieure hiérarchique. Je crois savoir que ce patronyme est celui que me décernent également tous ceux que j’ai eu le loisir d’arrêter et d’expédier derrière des barreaux. Une façon comme une autre de se dédouaner pour s’être fait prendre ; après tout, nul humain ordinaire n’est censé résister à un vampire, non ? À un être immortel, quasiment indestructible et doté de pouvoirs extraordinaires ?
Pourtant, comme je l’ai précisé en introduction, je ne suis qu’un simple individu, un mortel, un être voué à périr, et je n’ai jamais fait usage de mon arme de service, hormis lors des exercices d’entraînement.
Encore moins répandu le sang lors d’une arrestation ou d’une intervention.
Car j’ai le grade de commandant dans la police…
Avoir un père répondant au nom de Pierre Draculien2 et une mère à celui de Marguerite Bathord3, ajouter à cela le fait de porter le prénom de Vladimir (soit « celui qui dirige le monde » ou « celui qui fait régner la paix » selon les linguistes choisis qui ne pouvaient anticiper à quel point leur argutie prendrait un aspect si équivoque à l’époque de la rédaction définitive de cette histoire), et vous comprendrez aisément les problèmes auxquels j’ai été confronté dès ma prime enfance. D’autant plus que des recherches généalogiques poussées avaient prouvé que ma mère était bien l’une des descendantes de cette sanglante comtesse hongroise.
Sa famille paternelle avait émigré en France des siècles avant sa naissance, pour des raisons officiellement obscures. De fait volontairement obscurcies. Même si on pouvait les imaginer liées à la réputation sulfureuse de l’aïeule. Ils avaient également poussé le vice jusqu’à modifier leur patronyme, ce qui prouvait leur souhait de ne pas revendiquer cette succession. Il y a des hérédités lourdes à porter. Et il y en a certaines qui sont quasiment impossibles, voire impensables.
Pour mon malheur, j’appartiens à la seconde catégorie.
Comble d’ironie, les activités professionnelles exercées par mes géniteurs ne risquaient pas de minimiser lesdites difficultés. Bien le rebours !
L’un était un enseignant universitaire, spécialiste des langues et littératures anglo-saxonnes, et je n’ai jamais réussi à savoir réellement ce qui l’avait poussé à se consacrer particulièrement aux auteurs d’écrits sur les vampires. Hormis, peut-être, le fait que le patronyme dont il avait hérité faisait référence à cette espèce inhumaine.
Le choix de Pierre était compréhensible : c’était le saint correspondant au jour de son apparition dans un couffin, sur les marches d’une église. Déjà une arrivée dans notre société extraordinaire au sens propre. Il était nu comme au jour de sa naissance et aucune couverture, brassière ou médaille pour aider à découvrir ses origines. Quant au panier, il provenait de l’étal d’un marché quelconque. À croire que la personne qui l’avait abandonné avait réussi parfaitement à celer tous les indices susceptibles de mener à sa mère légitime. Et avait également pensé que la température clémente de l’époque (Saint-Pierre étant célébré à la fin du mois de juin) suffirait à le garder « au chaud » avant qu’une âme charitable ne le découvre.
Mais Draculien ! Lui-même n’avait jamais su pour quelle raison on le lui avait attribué. Mon père était un enfant trouvé qui aurait pu se voir gratifié de n’importe quel autre nom : celui de la ville où il avait été abandonné quelques heures après sa naissance (sic le diagnostic médical de l’époque), de la rue dans laquelle se trouvait l’église en question ou l’orphelinat qui l’avait recueilli au début. Voire du mois, ou de la saison. Les options ne manquaient pas pourtant ! Il n’y avait aucune explication logique à cette désignation de Draculien ! Un quelconque employé administratif voulant faire preuve d’originalité ? Ou féru de littérature gore ? Ou adepte de films d’horreur anciens ? Voire membre d’une secte vampirique inconnue ? Et sa décision entérinée par un supérieur également original, ou dans un état d’ébriété très avancée au moment de la signature ?
Toujours est-il que ce nom avait été dûment inscrit sur les registres de l’époque et que j’en avais hérité.
Le second de mes géniteurs était un professeur d’histoire et de géographie qui avait abandonné ses élèves lycéens après quelques années d’enseignement pour se consacrer à l’écriture de romans d’épouvante ou de scénarios du même genre pour le septième art. Quoique, dans son cas, le choix du sujet « sanglant » s’expliquait vraisemblablement à partir de ses origines familiales.
À dire vrai, je les soupçonne d’avoir choisi mon prénom un jour d’ivresse, rêvant de me voir endosser les vêtements et l’apparence – en l’occurrence la cape et les crocs – des sommités qui avaient légitimé leur union. Des personnages qui allaient également bercer mon enfance et mon adolescence. Certains s’endorment en se prenant pour le Prince Charmant, Zorro ou Peter Pan ; moi, c’était l’enchanteur Merlin ou Nosferatu4. Quand ce n’étaient pas Sauron, le Seigneur des Ténèbres chez Tolkien ou « Celui dont on ne doit pas dire le nom » à Harry Potter.
On a les héros qu’on mérite !
L’homme qui m’avait engendré était donc un enfant abandonné, car il y a encore de ces rejets ou refus de nos jours même s’ils sont plus rares heureusement. Un enfant dont nul enquêteur n’avait pu découvrir l’identité de la mère, et encore moins, a fortiori, celle du père. Il avait navigué de foyers d’accueil en centres d’hébergement de mineurs au cours de son enfance, n’ayant jamais eu la chance d’être recueilli par une famille aimante. Car ayant manifesté par son comportement toujours « limite » son souhait de ne pas être « adoptable ». Une situation qui valorisait d’autant son parcours universitaire réussi avec l’aide de bourses et de petits boulots estudiantins.
Ma génitrice, une enfant unique ayant perdu accidentellement ses parents à l’âge de 5 ans et élevée par un oncle célibataire, diplomate, archéologue à ses heures perdues, ostensiblement misogyne, qui la sortait du pensionnat où elle était placée le temps de quelques vacances pour l’emmener sur des sites « remarquables » ou des lieux de fouilles.
Oserais-je ajouter que nous demeurions à Versailles, une ville ô combien riche au plan historique. Non loin du château, qui plus est. Un choix dûment justifié par mes parents à maintes reprises au cours de ma période d’apprentissage par cette seule explication : où voulais-tu que nous logions sinon dans cet endroit ?
Dans un cimetière peut-être ?
Évidemment, je n’avais pas cet argument à leur opposer enfant. Et lorsque l’âge m’aida à relativiser leurs assertions, je réalisais qu’ils avaient certainement fait le choix qui s’imposait.
Vivre au fin fond du Gévaudan ou au cœur des montagnes de Transylvanie aurait nui à la carrière de mon père, enseignant universitaire à Paris XXX (peu importe le numéro). Ainsi qu’à celle de ma mère dont les déplacements incessants en dehors des frontières – tant départementales que nationales – nécessitaient une proximité de ce qu’on nomme vulgairement aéroports, gares ou autoroutes.
Donc nous demeurions dans une grande bâtisse en pierre à deux étages du début du siècle (le siècle précédent naturellement), plus haute que large ; ce qu’on dénomme habituellement une « maison de ville ». L’entrée ouvrait directement sur une avenue le long de laquelle s’alignaient de chaque côté des maisons semblables, et où le fait de trouver une place pour stationner un véhicule ne présentait pas les mêmes difficultés que maintenant. Certaines de ces demeures avaient été transformées en petits appartements, alors que la nôtre avait gardé sa vocation première de « maison de maître ». Le grenier, où logeaient à l’origine les domestiques et qui était éclairé par deux minuscules lucarnes, avait été transformé par mes géniteurs en bureaux et bibliothèque. Il y avait deux chambres, deux salles de bains et une lingerie au premier et, comme il se doit, séjours, cuisine et cellier au niveau de la rue. Rien de bien extraordinaire si ce n’est qu’une entrée à l’arrière donnait sur une minuscule cour cernée par des murs atteignant les premières tuiles : une sombre courette qui servait plus de « chambre froide » pour certaines denrées l’été et pour d’autres l’hiver. Et, par voie de conséquence, des pièces sur l’arrière de la maison où les rayons du soleil ne pénétraient que rarement ; une atmosphère qui ne troublait pas mes géniteurs. Fort heureusement, la partie séjour en bas et les chambres du premier donnaient sur l’avenue et bénéficiaient du réchauffement et de l’éclairage du seigneur Phébus le jour.
Toutes ces remarques expliquent néanmoins pourquoi je n’ai pas vraiment connu une enfance banale, aucun des deux n’ayant gardé de la leur une image conventionnelle.
Les réunions de familles autour des gâteaux d’anniversaire, les soirées cinéma devant le dernier Disney, le nouveau Pixar ou, par la suite, les aventures des superhéros Marvel, les Noëls traditionnels avec cadeaux sous le sapin, les vacances hivernales à la neige et estivales à la mer : pas trop leur truc. C’étaient plutôt visites guidées des musées, des grottes, églises et autres châteaux extraordinaires (toujours au sens premier du terme évidemment). Sans oublier les soirées au théâtre et au cinéma devant des spectacles de l’étrange ou dits d’horreur, et les randonnées « en mode survie » – ainsi que je me plaisais à les nommer – au fin fond des Alpes autrichiennes, dans les Balkans, les Carpates, les tourbières irlandaises ou les Highlands Écossaises.
Quant aux nuits d’Halloween où mes parents rivalisaient d’ingéniosité avec les plus grands scénaristes, elles ont marqué mon enfance d’une façon indélébile.
Par contre, même si j’ai eu une jeunesse atypique, même si je ne calcule plus le nombre de fois où ils ont oublié de venir me rechercher à la crèche, puis à l’école, puis à la sortie d’un entraînement sportif, je comptais pour eux. Ils étaient contraints, à leur arrivée tardive, de subir les foudres des garants provisoires de l’enfant honteux que je devenais alors, s’excusaient obligeamment. Et je leur pardonnais à chaque fois. Car ils avaient cette façon si particulière de me prouver leur affection, que je ne pouvais m’empêcher de les absoudre.
Unique, étrange, certes…
Mais, de leur amour pour moi, je n’ai jamais douté.
Oui, je le réalise d’autant mieux maintenant qu’ils ont disparu, lors d’un accident d’avion, alors qu’ils se rendaient à une énième conférence dans un jet privé appartenant à un mécène. Ajoutant ainsi une ultime page à leur légende puisque l’appareil ayant pris feu en plein vol, leurs corps ne furent jamais retrouvés.
À l’époque, j’étais déjà adulte et largement « responsable » ainsi qu’il est coutume de le dire.
Et puis, histoire de ramener un peu de normalité dans mon enfance peu commune, il y avait nos voisins et – surtout – Julian, leur fils unique, que j’ai connu à la maternelle et n’ai quasiment pas quitté à partir de ce moment. Julian, qui demeurait dans une maison semblable à la nôtre, juste de l’autre côté de l’avenue. Une bâtisse identique à ce détail près qu’en lieu et place de la courette, l’arrière de la maison ouvrait sur un grand jardin bien ensoleillé au fond duquel deux arbres judicieusement placés nous autorisaient un entraînement intensif pour les « tirs au but ». Mettant ainsi en commun notre « absence » de fratrie et suivant la même scolarité jusqu’à l’université. Je ne dénombre plus les jours où j’ai partagé des repas dans la cuisine de ses parents, voire dormi dans sa chambre, quand ceux qui m’avaient engendré étaient appelés à l’autre bout de la France ou du monde pour animer des conférences, des séminaires ou participer à des festivals. Pour – ce que j’appelais pompeusement lors de ma période ado rebelle – leurs « entretiens publics avec des vampires »5 ou leurs « bals des sorcières »
Il faut reconnaître que les gènes physiques qu’ils ont eu la bonté de me transmettre ne pouvaient que les conforter dans l’idée que j’étais un enfant hors norme.
Le miroir de ma salle de bains reflète tous les matins l’image d’un homme jeune (à 33 ans depuis quelques jours à peine on est encore jeune, non ?), grand (il me manque un centimètre pour atteindre le 1,90 m), la carrure d’un sportif (vu toutes les activités que j’ai pratiquées depuis l’enfance et pratique encore, cela n’a rien de surprenant), avec aucune once de graisse pour enlaidir l’ensemble (toujours cet amour de la culture physique) et à la peau très blanche. Une dernière originalité due au fait que je suis à la fois « réfractaire » aux coups de soleil (ce qui serait plutôt à ajouter dans la colonne des éléments positifs) et à toute tentative de bronzage (ce qui serait par contre à ajouter aux négatifs, en termes de « canons » de la mode actuelle).
Oui, le miroir, car contrairement aux idées colportées sur les vampires, je ne crains pas d’y chercher mon reflet. Et il m’est déjà arrivé de pénétrer dans une église, de faire un signe de croix et de tremper un doigt dans le bénitier sans me transformer en tas de cendres, même si mes parents n’ont pas jugé utile de me faire ondoyer. Circonstance qui nécessita à une époque une discussion délicate avec le curé responsable du baptême de l’enfant appelée à devenir officiellement ma filleule. Je réussis – non sans une âpre discussion – à éviter l’adhésion à sa religion, obtenant l’acceptation par ce brave ecclésiastique de mon statut de parrain, quoiqu’athée notoire selon ses principes.
Ajoutez à cela un visage qu’auraient pu m’envier Brad Pitt ou Robert Redford dans leur jeunesse (tout aux bonnes proportions et même pas une petite cicatrice pour dénaturer la « façade »), un nez droit et de bonne dimension (ni trop long, ni trop court, ni trop fin, ni trop…), des prunelles si noires qu’on n’en distingue pas l’iris (ce que Julian m’a fait souvent remarquer) et une chevelure également sombre.
Des cheveux épais, légèrement ondulés et juste un peu trop longs pour accentuer leur caractère romantique (selon ma dernière petite amie en date qui a utilisé cet argument pour me plaquer du jour au lendemain en faveur d’un « mec plus viril »). Enfin, petite amie est un terme exagéré, qui sous-entendrait une liaison autre que purement physique. C’était une jeune femme avec laquelle j’avais eu une sorte de relation pendant une période assez longue, s’appuyant sur des rencontres occasionnelles censées libérer nos pulsions sexuelles respectives. Soit une liberté qui convenait aux deux parties et où n’interférait aucun sentiment autre que ceux basés au-dessous de la ceinture, si vous voulez bien pardonner ces termes légèrement grivois.
N’empêche, j’ai été vexé, je l’avoue. Il me semblait bien pourtant lui avoir donné la preuve de ma virilité à maintes reprises ; aussi sa remarque me paraissait-elle incongrue… Du moins, j’ai préféré le croire. Je le reconnais humblement : la modestie n’est pas toujours la première de mes qualités.
Complétez cette description de ma personne par une vision frôlant les 11/10ème de chaque œil et une ouïe plus développée que la normale, et par le fait que je privilégie la couleur noire dans le choix de mes vêtements. Voilà, vous avez désormais une idée de ce à quoi ressemble le dénommé Vladimir Pierre Draculien.
Bref, et sans vouloir me vanter, je suis l’archétype du vampire séducteur de ces deux derniers siècles : vous savez, celui qui attire irrésistiblement tous les jupons qui passent à sa portée. Quoiqu’à l’époque actuelle, le terme de jupon me semble inapproprié ; celui de jean moulant ou mini-jupe le serait vraisemblablement plus. Mais fi de ces détails vestimentaires ! Je me range dans la catégorie des hommes retenant l’attention ; et ce sans aucune vanité excessive. La gent féminine se retournant à mon passage depuis l’apparition de mon premier bouton d’acné m’a conforté dans cette idée. Mais, rassurez-vous, je n’en ai pas abusé… Du moins, juste ce qu’il fallait pour avoir connu les plaisirs et les déboires d’un trentenaire encore célibataire.
Plus de déboires que de plaisirs d’ailleurs, ce qui explique mon statut à l’époque de mon récit. Je ne suis pas un Don Juan à vouloir collectionner les aventures d’un soir, malgré ce que j’ai dit au début et qui pourrait vous le faire croire. Car, si je suis apparemment physiquement romantique (sic la dernière petite amie dont je vous ai déjà parlé), je le suis aussi moralement, attendant encore la rencontre avec cette âme sœur dont nous bassinent les grands écrivains des siècles passés. Celle que je n’ai pas encore approchée.
Pas encore…
Celle que je ne côtoierai peut-être jamais…
Néanmoins, je vis dans l’espérance qu’un jour prochain je croiserai la route de cette femme qui m’est destinée depuis la nuit des temps, toujours selon les dires de ces mêmes auteurs. Car ainsi que l’écrivait Dostoïevski : « vivre sans espoir, c’est cesser de vivre ». Une jeunesse occupée à dévorer tous les livres meublant les étagères de notre maison, ou à fréquenter assidûment la bibliothèque voisine a justement légitimé mes aspirations !
Je l’ai déjà laissé entendre. Effectivement, mes géniteurs ne m’ont pas gratifié d’un frère ou d’une sœur, estimant peut-être que j’étais une telle réussite selon leurs critères très particuliers que toute autre tentative ne pourrait que s’avérer décevante. Malgré le fait que je les ai fortement déçus en embrassant une carrière de policier, eux qui me voyaient déjà « marcher » sur leurs traces.
Ils se sont consolés, par la suite, en réalisant que mes « dons » particuliers aideraient grandement à la résolution des énigmes que la Société humaine me proposait. De fait, j’ai toujours adoré le côté mystère ou puzzle des enquêtes policières. Ce doit être mon penchant Sherlock Holmes6 ou Hercule Poirot7. Je vous ai déjà dit que mon père était spécialiste des auteurs anglo-saxons. Bien qu’Arthur Conan Doyle ou Agatha Christie ne soient pas forcément en tête du programme universitaire !
Et – surtout – ils m’aimaient assez pour respecter mes choix. Voire pour ne pas cacher leur fierté de me voir réussir dans cette voie.
Si j’en crois leurs assertions, ce sont les sujets respectifs de leurs thèses universitaires qui les avaient rapprochés. Des sujets hautement spécialisés et peu banals, qui leur avaient valu très tôt une notoriété internationale sur les phénomènes paranormaux, et, accessoirement, justifié qu’ils se retrouvent un jour « intervenants » à ce propos dans un même lieu.
Bien que, selon eux, les Parques8 n’avaient pas dû être totalement étrangères à cette rencontre. Ces trois déesses ou un autre personnage inhumain ? Je n’ai pas cherché à creuser plus avant cette hypothèse ; celle des Parques me convenait.
Le premier avait, en effet, disséqué les œuvres d’auteurs britanniques tels que John Polidori, Le Fanu, Mary Shelley et Robert Louis Stevenson9. La seconde avait examiné les cas avérés – ou non – de vampirisme et de sorcellerie aux siècles derniers en Europe, et leurs répercussions sur la vie quotidienne dans les campagnes à l’époque.
Un coup de foudre, un aspect physique plus qu’engageant de chacun avait facilité leur rapprochement. La ressemblance frappante de ma mère avec sa lointaine aïeule, considérée à juste raison comme l’une des plus belles femmes de son époque, avait naturellement conforté l’attrait de celle-ci sur mon père au fait de son existence légendaire. Une évidence ! Comme mon père affichait, de son côté, une ressemblance troublante avec une statue antique d’Adonis, ce jeune mortel à la beauté inégalable si on s’en réfère aux textes mythologiques, l’issue de leur rencontre était facile à deviner…
Puis vint la rédaction et la publication d’ouvrages communs sur le sujet par la suite, et – en prime – moi, qui étais né quelques mois plus tard. Oserais-je préciser que ma venue au monde réel a eu lieu un deux novembre, le jour des morts et, circonstances aggravantes, au crépuscule ? Ça ne s’invente pas ! Un vendredi de surcroît, soit le jour de la semaine où Eve aurait offert la pomme à Adam, une nuit à venir qui est traditionnellement celle du sabbat des sorcières et des diables. Un vendredi, jour de pendaison autrefois pour les criminels en Angleterre, journée durant laquelle on évite d’enterrer les morts en Bretagne, etc., etc. Une coïncidence qui conforta ceux qui m’avaient engendré dans l’idée que j’étais un être remarquable et qui confirmait leurs théories et hypothèses sur l’existence parmi nous des inhumains !
J’ai donc passé les premières années de mon existence au milieu d’ouvrages sur les vampires, loups-garous et autres sorcières des temps passés. C’est d’ailleurs dans ces livres que j’ai appris à lire très tôt.
Je me souviens encore de l’indignation de mon institutrice de CM1 lorsque j’avais osé déclarer en classe que le Petit Poucet était un vampire. Déjà que je l’avais mise dans une situation plus que difficile quand il lui avait fallu expliquer aux chers bambins innocents de sa classe ce qu’était un vampire. Je vous laisse imaginer son dilemme. Pourtant je ne faisais que répéter ce que mes parents m’avaient enseigné entre autres, à savoir que le 7e fils a en lui le gène du buveur de sang. Je n’étais pas présent lors de l’entretien qui suivit entre mon père et l’institutrice, mais je me souviens encore du long discours qu’il m’a tenu à son retour :
Ce mot ne faisait pas encore partie de mon vocabulaire ; je n’avais que 9 ans à l’époque. La question m’avait échappé ; je savais pourtant que mon père ne me répondrait pas explicitement et que je devrais avoir recours à un dictionnaire si j’espérais un éclaircissement. Cette démarche était la base de leur méthode d’éducation… Enfin de l’éducation qu’ils me donnaient.
Le fait est que l’incident ne fut plus jamais mentionné en classe à mon soulagement. Mais la leçon avait porté ses fruits et je fis attention par la suite à ne pas évoquer certains sujets devant des tiers étrangers au cercle d’amis proches de mes parents. C’est-à-dire ceux partageant la même passion pour le paranormal.
Par contre, c’est de ce jour-là que mes camarades me baptisèrent Dracula, jouant sur la correspondance avec mon patronyme et mon intérêt ainsi révélé pour les suceurs de sang. D’ailleurs, l’époque foisonnait de films et de livres sur les vampires, sorciers et autres personnages du même acabit. Et ma remarque eut au moins pour conséquence de les inciter à lire. S’ils avaient eu vent, en plus, de la profession de mes parents, je vous laisse imaginer où leur créativité aurait pu les mener ! Considérant qu’il valait mieux ne pas les inciter à davantage, je ne m’opposais pas à ce sobriquet qui me resta au cours des années qui suivirent. Et comme Julian n’était pas du genre à trahir mes secrets…
Un surnom qui se perpétue encore comme je l’ai avoué.
Voilà, je vous avais promis d’être honnête. Vous savez tout de moi désormais, ou presque.
Julian ? Ah, oui ! Il est clerc de notaire, propriétaire d’un petit pavillon en banlieue parisienne et d’un chien, marié et heureux en ménage et – incroyable, mais vrai, pour paraphraser une ancienne émission de télé – toujours mon meilleur ami. Sa femme Lucille, une secrétaire de mairie pour laquelle j’ai beaucoup d’affection – affection réciproque – attend un héritier (ou une deuxième fille, ils ne savent pas encore) pour le printemps prochain.
Il mène une vie que d’aucuns qualifieraient d’effroyablement banale et qui semble parfaitement lui convenir.
Bref, tout mon contraire, théoriquement.
Ce qui prouve bien que les contraires s’attirent !
D’ailleurs, je suis le parrain de leur petite Romy, démonstration qu’ils m’aiment bien. Même si je ne les vois pas souvent depuis notre éloignement géographique.
Depuis que j’ai été muté dans cette petite ville de province…
Enfin pas si petite puisque l’une des deux localités les plus peuplées du département.
On rencontre sa destinée
Souvent par des chemins qu’on prend pour l’éviter.
L’Horoscope, Livre VIII, fable 16
Jean de la Fontaine (1621-1695)
Tout a donc commencé un lundi pluvieux de novembre… Un de ces jours gris et maussades, typiques du climat londonien. Un de ces jours où l’on se demande pourquoi on ne reste pas chez soi. Dans un fauteuil, près d’une cheminée où flamboie une bûche, à siroter du thé dans de la porcelaine fleurie (celle fabriquée par la Royal Crown Derby Porcelain Company naturellement) et le thé (l’authentique, celui qu’on laisse infuser dans de l’eau frémissante – et pas bouillante –, pas celui en sachets), le tout accompagné de scones dégoulinant de marmelade d’orange ou de confiture de fraises. Quitte à adopter une attitude « So British », typique du 19e siècle, voire du début du 20e.
Et encore du 21e ?
Ce matin-là, je suis arrivé en retard au commissariat. Une femme patientait, la tête baissée, assise sur une chaise bancale à l’accueil, et c’est à peine si je lui ai accordé un regard.
Je vous vois hausser le sourcil. Voire les deux. Chaise bancale : ça fait banal, commun, si quelconque ! Cliché comme disent les jeunes de nos jours ! Attendez plutôt avant de soupirer. Je vous ai promis la vérité et ce n’est pas ma faute si la chaise en question était effectivement bancale ! Cela faisait des semaines que nous souhaitions la changer – elle n’était d’ailleurs pas la seule dans cet état au sein du bâtiment – mais les crédits alloués en matière de mobilier au petit commissariat où je travaillais restaient aussi maigrelets que la taille de l’immeuble. De ce fait, le renouvellement des sièges n’était pas en tête de liste des priorités budgétaires.
Quant au bâtiment lui-même, il n’aurait su être qualifié de moderne. C’était l’ancienne résidence d’un nobliau local, une construction datant du début du siècle précédent. Comme la demeure de mon enfance d’ailleurs : simple coïncidence ? Deux étages surmontés d’un grenier aménagé pour les archives principalement, des caves reconverties en cellules dotées du confort moderne (on n’arrête plus le progrès !), il isolait de la rue par un mur haut de quelque trois mètres un parc où, à la belle saison, deux bancs judicieusement installés par les occupants précédents sous des arbres vraisemblablement centenaires, autorisaient des pauses détente ou fumeurs bien agréables. Voilà pour son côté patrimoine culturel. Un portail électrique permettait l’accès des véhicules audit parc transformé partiellement en parking et une porte adjacente dotée d’un interphone, celle des visiteurs, tandis qu’un ascenseur desservait les trois étages. Voilà pour son côté modernisme.
Mais passons sur ces détails et pardon pour toutes ces digressions… Je reprends le fil de mon histoire : une femme patientait…
Je n’aurais su dire de prime abord si elle était jeune ou vieille ; une erreur notable pour un enquêteur chevronné ! Quoique, à ma décharge – il faut bien que je me trouve une excuse, même discutable – la capuche rabaissée d’un anorak empêchait toute conclusion hâtive à cet égard. Et malgré le fait – également – que ce genre de vêtement augurait plus d’une jeune fille que d’une sénior. D’autant que le jean noir et les chaussures classiques de même couleur qui étaient visibles n’étaient pas censés me renseigner plus avant. Mais ce n’était pas mon problème dans l’immédiat. C’était celui du fonctionnaire préposé à l’entrée du bâtiment auquel je fis un signe de tête accompagné d’un grognement incompréhensible supposés exprimer mon salut matinal, et je ne m’attardais pas plus à tenter de résoudre cette question, la reléguant dans un coin de mon esprit pour plus tard. C’est-à-dire quand la migraine cesserait un peu de tambouriner sur mes tempes.
La journée qui m’attendait consisterait à mener des interrogatoires, à superviser les rapports des membres de mon équipe, à contacter les sommités judiciaires et hiérarchiques qui nous avaient confié l’enquête en cours. En bref, la partie invisible de l’iceberg : principalement l’administratif, la paperasserie. Ce moment que je considère comme le plus fastidieux dans notre métier, d’autant qu’aucune erreur n’est acceptable à ce niveau de la procédure. Ouvrez une brèche, voire une minuscule fissure, et les avocats de la défense ont tôt fait de s’y engouffrer et de démolir le bel ordonnancement que vous avez mis des heures à bâtir !
Donc, un jour ordinaire dans ce commissariat de Y… ville de quelque 30 000 âmes. Une bourgade perdue au milieu de nulle part, où il ne se passe rien de mémorable, où les matins succèdent aux matins et les soirs aux soirs, et ce suivant une régularité et une monotonie remarquables. Pour citer les reproches usés et abusés généralement par les compagnes désabusées de mes collègues, les fois où elles se plaignent des absences répétées et – selon elles – injustifiées de leurs moitiés pour raisons professionnelles. Soit, une journée sur trois au moins ! Je parle de compagnes, mais l’inverse est valable dans ce cas, cela va sans dire.
L’appel du policier de permanence à l’accueil m’arrêta alors que je me dirigeais vers l’escalier au fond du hall, aspirant à un café bien tassé accompagné d’un ou deux cachets d’aspirine, cette recette étant susceptible de venir à bout de cette migraine tenace depuis mon réveil. Ledit réveil ayant sonné après une nuit très raccourcie durant laquelle nous avions – enfin – réussi à mettre la main sur une bande de malfrats adeptes des intrusions nocturnes chez des particuliers. La bande en question se composait de deux individus, ce qui fait que le mot bande n’est peut-être pas judicieux et que duo serait vraisemblablement plus approprié ; mais aucun autre ne me vient à l’esprit. Et puis, au plan de la communication envers la presse, ou à celui des statistiques, bande sonne mieux que duo !
Cela étant posé, ces individus étaient suffisamment discrets pour ne pas réveiller les propriétaires des lieux et disparaître avec leur butin en moins de cinq minutes. Ce qui confirmait que leur forfait n’était jamais accompli par hasard : seule une surveillance de plusieurs jours en amont de l’endroit et de ses occupants permettait une telle intrusion. Des objets volés aussi introuvables ensuite que les malandrins qui les avaient dérobés. Du moins jusqu’à ces dernières heures. Un renseignement anonyme nous avait aiguillés au bon endroit et au bon moment. Il émanait d’un ancien complice floué dans un partage, ou de quelqu’un qui s’était « embrouillé » avec l’un des deux « composants » de ladite bande, ça, on ne le savait pas encore précisément. Mais, dans l’immédiat, l’important était que l’information en question s’était avérée exacte. Et sacrément profitable pour nous autres, les policiers, puisqu’on avait ainsi pris sur le fait les deux voleurs en question. Une merveille de flagrant délit ! La récompense de longues heures d’attente dans des voitures, le lieutenant Thomas Grandet, des agents et moi-même, suivie de l’arrestation des malchanceux (car pris sur le fait !) quidams, et de leur « départ » vers les chambres d’hôtel au confort certes moderne – comme dit auparavant – mais néanmoins spartiate du commissariat. Puis une nouvelle attente, devant la même maison, de deux agents et toujours moi, désormais esseulé, avant l’arrivée des propriétaires. La discussion – bien longue – qui avait suivi et, enfin, le retour vers ma « sweet home » au beau milieu de la nuit. Enfin, presque à sa fin pour être précis.
La Lieutenante Sandrine Marceau était la dernière mutée dans l’équipe ; une équipe composée de cinq enquêteurs en plus de moi-même. Elle avait été nommée en remplacement d’un autre lieutenant qui avait obtenu son transfert à la Crim’. Oui ! Vous avez bien compris. La Crim’ ! Paris ! L’ex 36 ou le Quai des Orfèvres10, pour paraphraser les titres de films culte et vieillots ! Le Scotland Yard français ! Le Graal pour un enquêteur ! Ce qui vous laisse augurer de la valeur de celui qu’elle avait remplacé.
Et pourquoi pas moi à ce poste tant brigué, me direz-vous ?
Tout simplement parce que je ne m’étais pas inscrit sur la liste des postulants. Je préférais de loin être le numéro un d’un petit groupe, que celui quelconque d’un ensemble plus important. Même si une maîtrise de droit et un diplôme universitaire de criminologie obtenus avant l’école de police dont j’étais sorti premier de ma promotion étaient à même de m’ouvrir une « voie royale » vers Paris. Nul n’avait compris à l’époque pourquoi j’avais opté pour une petite ville après ces premières années supposées de formation dans un commissariat de la banlieue lyonnaise. Des années qui m’avaient d’ailleurs permis de gravir les échelons rapidement. Bien plus rapidement que la moyenne ; mais je n’en tirais aucune vanité. Facile de bien faire quand on a choisi un métier qui nous plaît. N’avais-je pas tout simplement appliqué à la lettre l’adage disant que « la valeur n’attend pas le nombre des années » ? J’étais ainsi devenu, à force de résultats (considérés comme remarquables et en conséquence remarqués), et de concours internes, le plus jeune commandant titularisé pour l’année concernée. Voire depuis ? Peu importe depuis combien d’années ? Ceci étant dit – et je me plais à le répéter, car c’est la stricte vérité – sans aucune prétention ni vantardise de ma part. C’était un fait. Cette nomination était survenue peu de temps après la disparition brutale de mes parents et, lorsque la liste des postes disponibles et correspondant au grade que j’avais atteint avait été dévoilée. Le choix de Y… semblait alors évident. Sans que je puisse l’expliquer. Comme si les Parques de mon enfance avaient écrit sur leur toile que je devais officier à cet endroit. Et compte tenu de l’éducation que j’avais reçue, j’étais assez réceptif à certains signes de mon inconscient pour leur obéir.
Ça et un zeste d’orgueil de ma part ? Un ersatz de prétention ? Un manque d’ambition tout simplement ? La raison exacte ne m’importait aucunement. Je me satisfaisais pleinement de mon sort de commandant dans un modeste commissariat de province… Du moins pour l’instant.
Au titre de dernière venue, la Lieutenante Marceau était donc la préposée d’office à ce type de demande. Je n’avais eu aucun remords à lui confier cette tâche dès son arrivée, car, même si son dossier attestait d’une compétence confirmée en région francilienne, je dois reconnaître que le courant n’était pas passé entre nous. Son arrogance envers moi –, comportement que j’aurais pu accepter, et encore il y a là matière à discussion – mais, et surtout, envers les quatre autres membres de l’équipe, m’avait positivement irrité. Irrité est d’ailleurs un euphémisme dans ce cas ; mais je ne voudrais pas employer des termes grossiers dans ce livre. Et ce bien que l’un des « anciens » de ladite équipe soit effectivement moins expérimenté qu’elle.
D’autant qu’elle n’avait pas vraiment expliqué la raison qui l’avait poussée à quitter un grand commissariat proche de la capitale pour venir « s’enterrer » dans une petite ville de province. D’ordinaire, c’est l’inverse qui se produit. Mais pas de famille ni de souvenirs d’enfance rattachés à notre région déclarés. Une sanction disciplinaire paraissait hautement improbable au vu justement de son dossier plutôt élogieux et, qu’il ait été trafiqué, encore plus. Du harcèlement ? Mais, en cette période où ce genre d’attitude était systématiquement dénoncé, je n’y croyais pas trop. Restait – mais ce serait beaucoup plus mesquin de la part de ses supérieurs et je ne plaçais cette hypothèse qu’en toute dernière position – une façon de lui faire comprendre que le tatouage n’était pas forcément tolérable au sein de cette vénérable institution qu’est la Police Judiciaire.
D’accord, vous allez argumenter que, dans les séries télévisuelles, les enquêteurs arborent fièrement des tatouages « très » voyants. Mais cela relève du domaine de la fiction et, dans la petite ville où je travaillais, il semblerait que ce genre de décorations à même la peau ne soient pas bien considérées. Même s’ils sont tolérés, à condition d’être partiellement cachés.
Pas que dans ma ville d’ailleurs.
Ça fait un peu archaïque ce genre de considération certes, mais l’Administration a parfois des exigences de cet ordre.
De là à affirmer que c’était la raison pour laquelle Marceau avait débarqué chez nous, j’en doutais fortement. Car sinon, on n’aurait pas plus toléré son tatouage ici qu’à la capitale.
Pas n’importe quel dessin d’ailleurs. Un discret, celé aux regards, n’aurait pas suscité la curiosité, ni certainement la réprobation des cadres rétrogrades, parfois sectaires de l’Administration, comme je viens de l’expliquer.
Alors que celui qu’elle arborait était loin d’être sobre.