Prëdas - F.B Charpentier - E-Book

Prëdas E-Book

F.B Charpentier

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Beschreibung

Arthur, orphelin, cherche ses parents. Sa quête l'entrainera dans un monde parallèle incroyable !

Arthur un adolescent de treize ans, orphelin, cherche à découvrir l’identité de ses parents.
Trop de mystères entourent sa naissance et trop de questions restent sans réponse.
Muni d’un disque d’or pour tout héritage et aidé de ses trois amis, il part à la conquête d’une terre nouvelle nommée Prëdas.
Ensemble, ils découvriront un univers parallèle incroyable, d’une beauté époustouflante, mais un paradis en danger ; un monde où même les êtres les plus intelligents et les plus pacifiques peuvent être dupes des apparences.
Cette quête conduira les adolescents à affronter un terrible conflit qui menace Prëdas de basculer dans la guerre.

Découvrez ce roman jeunesse qui offre une aventure époustouflante !

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F.B Charpentier

PRËDAS

Ô HOMME, TU AS EN TOI LE CIEL ET LA TERRE,TU PEUX FAIRE DE CE MONDEUN CIEL SUR TERRE

–Hildegarde de Bingen

LÀ OÙ RÈGNE L’AMOUR, POINT DE VOLONTÉ DE POUVOIR,LÀ OÙ RÈGNE LE POUVOIR, L’AMOUR N’A PAS SA PLACE.L’UN A L’AUTRE PORTE OMBRAGE ».

–Carl Gustav Jung

Pour mes ancêtres, puissent-ils être en Paix et en Joie

PROFËSI DUSTAËL

« In ëtre rasanblan tout lë karaktëristik dë pepl d’Astrhäle viindra o mond. Il sera rekonësabl a sa mark du Staël. Set mark asosië a la piër de lun ofërt par Unthrä, lui përmëtra de mëtr in tërm a un ger san ëkivalan.

Set profëti ne poura se rëalisë k’o condision suivant : k’il soi mi a l’abri dan le mond du desou et k’il ne soi jamë mi o kouran du rol k’il ora a jouë!».

Traduction de la « Prophétie du Staël » : Un être rassemblant toutes les caractéristiques des peuples d’Astrhäle viendra au monde. Il sera reconnaissable à sa marque du Staël. Cette marque associée à la pierre de lune offerte par Unthrä, lui permettra de mettre un terme à une guerre sans équivalent.

Cette prophétie ne pourra se réaliser qu’aux conditions suivantes : qu’il soit mis à l’abri dans le monde du dessous et qu’il ne soit jamais mis au courant du rôle qu’il aura à jouer.

PROLOGUE

L’entrée du Clavidum était située de l’autre côté du pic dit « de roche », à environ un kilomètre à pied de leur point d’arrivée. Il leur fallait contourner ce mur colossal, de pierres sombres, battu par les vents.

Malgré des rafales puissantes giflant leurs visages, ils l’atteignirent pourtant en quelques minutes, grâce à la protection et à la puissance magique émanant des incantations des leurs. Ils arrivèrent devant l’espace béant du Clavidum. Le seuil de cet abîme si souvent décrit par les anciens comme l’entrée de l’enfer, tant les bourrasques étaient impressionnantes. Elles s’abattaient comme des coups de fouet qui auraient été donnés par une main géante. Elles pouvaient infliger de rudes blessures, et parfois même défigurer atrocement les infortunés voyageurs. Et c’est dans ce lieu infernal qu’ils devaient déposer l’enfant qui, plus tard, peut-être, sauverait leur monde ! Ils faillirent renoncer, Eustache repoussa fortement son ami Ernest pour lui signifier qu’il voulait faire demi-tour, mais à cet instant un tourbillon d’une force irrésistible vint arracher des mains des deux mages le couffin où dormait l’enfant.

Celui-ci tourbillonna quelques secondes dans les airs, puis, il fut comme aspiré dans le ventre de la terre, par cette ouverture gigantesque semblable au cratère d’un puissant volcan ; le Clavidum. Et là, sous leurs yeux ahuris, les éléments se calmèrent soudainement, comme un ventre affamé apaisé par un copieux repas.

Restés bouche bée, les deux mages ne surent que penser, mais bientôt il leur sembla évident que ce tourbillon avait mis fin à leur dilemme ; la prophétie pouvait commencer !

PRËDAS

(Voiiaj sur lë Tër d’Astrhäle)

Le début de cette aventure se déroule dans un monde quelque peu similaire au nôtre. Par la suite, les personnages évolueront dans un univers très différent.

L’INSTITUTION SAINT-SÉBASTIENPREMIÈRE PARTIE

1LE DOSSIER

Arthur était décidément trop énervé pour retourner en classe comme si de rien n’était ! Il lui fallait réfléchir à une nouvelle stratégie, car il n’avait toujours pas obtenu de réponse. Il s’était pourtant adressé à toutes les personnes qui, selon lui, pouvaient lui venir en aide. Il était d’abord allé voir son professeur principal, Mme Cloque, en qui il avait une totale confiance. Puis, le Frère directeur de l’orphelinat et aujourd’hui, Mlle Cramsec, l’assistante sociale.

Il était particulièrement intelligent et savait pertinemment qu’il ne pouvait venir de la lune, et que de ce fait il avait des parents bien à lui, quelquepart…

Mais Mlle Cramsec, qui portait son nom à merveille tant son corps et son visage étaient décharnés, venait de lui crier au visage que ses parents de naissance n’avaient pas manifesté le désir de communiquer leurs identités ! Elle avait ensuite ajouté, sur le même ton, qu’il ferait mieux, dorénavant, de se concentrer sur ses devoirs et sur son avenir, plutôt que sur son passé. Ce qui plongea Arthur dans un état étrange, où le désespoir fit rapidement place à la colère, qui se transforma en ressentiment contre celle qu’il considérait dorénavant comme une vieille toupie braillarde !

Arthur redescendit mécaniquement le grand escalier de marbre, appelé escalier central, même si cette position n’était pas justifiée. Cette appellation s’expliquait par le fait qu’il s’ouvrait en grand, face à l’entrée principale de l’établissement, mais aussi parce qu’il se trouvait dans le bâtiment d’origine. Pour la petite histoire, l’orphelinat Saint-Sébastien avait connu depuis sa création de nombreuses extensions, jusqu’à occuper tout un pâté de maisons. C’était la raison qui légitimait que les escaliers tout comme les bâtiments possédaient une dénomination exclusive. La première bâtisse datait de mille sept cent quatre-vingt-douze et cette date était restée gravée sur une pierre, sous le porche d’entrée.

Soudain, une idée traversa l’esprit vif et inventif d’Arthur ; « et si j’allais fouiller dans les affaires de Mlle Cramsec! Peut-être que je trouverais quelque chose d’intéressant laissé par mes parents ; quelque chose qui expliquerait les raisons pour lesquelles ils n’ont pas pu s’occuper de moi ». En tout cas, Arthur était convaincu d’y trouver au minimum des informations ordinaires sur son état civil, et peut-être, dans le coin d’une feuille, une annotation, un commentaire, une piste… Mais il n’était pas non plus certain de trouver quoi que ce soit dans le bureau de l’assistante sociale. D’abord, peut-être devrait-il essayer d’explorer celui du Frère directeur. Le Frère directeur était un religieux d’une cinquantaine d’années, d’ordinaire disponible et chaleureux. Le problème était que, lorsqu’Arthur lui posait des questions relatives à son placement, il ne pouvait s’empêcher de prétexter, et ce, de façon systématique des rendez-vous improbables que sa mémoire lui rappelait ! Toutefois, Arthur était conscient qu’il ne serait pas possible d’entrer dans l’un ou l’autre des bureaux, à l’insu de leurs occupants. Cependant, il se remit à grimper machinalement les marches du grand escalier. Parvenu au troisième étage, il s’avança à pas feutrés sur le parquet ciré afin de ne pas le faire craquer. Il s’approcha lentement du bureau et s’arrêta devant la porte où était scotchée une simple feuille A4, sur laquelle on avait écrit au marqueur : Permanence de l’ASSISTANTE SOCIALE. La porte de chêne foncée était fermée. Arthur tapota doucement sur le vernis brillant et attendit patiemment une réponse. À ce moment précis, il ne savait toujours pas comment il allait s’y prendre.

Il se dit qu’il devrait peut-être simuler une douleur et entrer dans le bureau en s’étalant de tout son long sur le sol. Mais il craint de ne pas être pris au sérieux ; il n’avait aucun talent pour le théâtre, lui. Pas comme son amie Ambre, en tout cas ! Elle, n’avait pas peur du ridicule ! D’ailleurs, personne ne se moquait de ses prestations sur les planches aménagées dans la grande salle polyvalente de l’orphelinat. Arthur se savait pourtant globalement apprécié pour sa bonne humeur et son rire communicatif, mais ses cheveux couleur mangue ainsi que ses bonnes notes étaient souvent brocardés par les mauvaises langues de la clique de Caroline. Rien ne l’embarrassait plus que de devenir un sujet de moquerie. C’était la raison pour laquelle il ne se lancerait pas dans cette mise en scène de fausses douleurs. Il réfléchit un moment quand une alternative traversa son esprit : « et, si je reformulais ma question différemment, de façon plus positive avec plus d’assurance et de conviction dans ma voix, j’obtiendrais certainement des renseignements... »

Quoique, il n’en était déjà plus tout à fait sûr. Comme toujours, ses sentiments et ses intérêts l’écartelaient : « C’est de ta faute, si on ne te dit rien » ou « Vas-y, entre et sers-toi, c’est ton droit de savoir ! ».

Prenant conscience du tiraillement qui agitait son esprit, Arthur se ressaisit et fit taire ses pensées négatives en criant un grand « STOP » dans sa tête. Il renouvela ses tapotements, sur le vernis foncé, en insistant davantage ; rien. Peut-être l’assistante sociale était-elle partie ? Toutefois, on pouvait lire sur la pancarte improvisée : permanence, les jeudis de 9 h à 11 h 30 et la pendule du couloir n’affichait que 9 h 30. Prenant une grande inspiration et avec une détermination nouvelle, il entrouvrit la porte précautionneusement et passa la tête dans l’entrebâillement. Il n’y vit personne.

Désormais, plus rien ne pouvait l’arrêter. Il était si décidé qu’il laissa de côté ses scrupules et entra. Il était tellement tendu qu’il aurait pu entendre une mouche voler s’il y en avait eu. Instinctivement, il s’approcha du bureau et souleva tous les documents qu’il y trouva, mais rien ne concernait les élèves de l’institution. Déterminé, il jeta un rapide coup d’œil circulaire autour de la pièce. Ce qu’il vit d’abord, c’était l’armoire métallique gris-bleu ouverte, avec à l’intérieur plusieurs rangées de dossiers suspendus. Il s’en approcha et vérifia minutieusement toutes les fiches classées dans les lettres L, D et A. Il s’agissait, en effet, des dossiers des élèves, mais le sien n’y était pas ! « Ce n’est vraiment pas mon jour ! Il repartit précipitamment vers la porte : « La Cramsec peut arriver à tout moment ! ». Aucun bruit ne parvenait du couloir. Il se tourna pour regarder une dernière fois la vaste pièce. Quelque chose l’intriguait, mais il n’aurait su dire ce que c’était ! Pourtant, son regard s’arrêta sur la photocopieuse.

« Pourquoi le voyant clignote ? ». « Voilà ! C’est la raison pour laquelle cette vieille toupie s’est absentée, bien sûr ! ». Il mit la main sur la poignée de la porte pour repartir, puis se ravisa. « Allez ! Juste un dernier coup d’œil ». Il revint sur ses pas, se plaça devant l’imposante machine et l’examina. Un mince paquet de feuilles était posé face retournée dans un bac entre l’appareil et le mur. Arthur les saisit une à une. « Génial ! », son nom était inscrit sur plusieurs d’entre elles : Arthur de Langloi !

Il dévora les pages des yeux, figé dans une sorte de transe et ce qu’il lut n’avait aucun sens, mais pour l’instant, peu lui importait ; son âme était ravie.

DOSSIER CLASSÉ

État civil : Arthur de Langloi

Sexe : masculin

Aspect physique : de peau blanche. Cheveux roux clair. Yeux verts.

Date de naissance :Néant

Nom des parents : Arfen et Mantille de Langloi ! (Prénoms originaux, inconnus)

Remarques : (Histoire incroyable)

Résumé des faits : (trop fantastiques pour être pris en compte)

« L’enfant a été déposé le 25 juin… au service de pédiatrie de l’hôpital Monfort dans le nord de la France par la dénommée Albine Charpentier. L’enfant présentait une forte fièvre qui est rapidement tombée et qui n’a été suivie d’aucune autre manifestation pathologique. L’enfant ou plutôt le bébé est finalement en bonne santé. Il mesure 67 cm et pèse 7 kg 500. Ce qui prouve qu’il est correctement proportionné et qu’il doit avoir dans les 6 mois ».

Signes particuliers : (tout le reste !)

Les vêtements que l’on nous a remis sont tricotés dans une laine épaisse. Le maillot de corps est en soie ainsi que le change composé de plusieurs épaisseurs de cette même étoffe.

Il possède, à l’intérieur de la main gauche, une petite marque (peut-être une cicatrice) en forme de lune.

Autour de son poignet, il porte un bracelet en or ciselé qui se déplie et laisse apparaître un message mal orthographié : Artur de Langloi fis d’Arfen et Mantille de Langloi në a Hingardia, le 28 frïle de l’an 54 de la M.R.S. Prëdian, Manïd.

Rapport établi sur la base des propos de ladite Albine Charpentier :

Lorsque nous avons trouvé Arthur, nous nous trouvions mon équipe et moi-même sur la côte est du Groenland. C’était le vingt-huit mars de cette année. Notre camp de base était situé sur le désert de glace à quelques kilomètres du mont Forel, où nous étudions les phénomènes de climatologie à l’aide de mesures que nous effectuons à même l’inlandsis, c’est-à-dire la calotte glaciaire. À ce moment-là, nous : moi, Jean et Laura étions occupés à prélever une carotte de glace ou plus simplement un échantillon de glace en forme de long cylindre extrait verticalement de l’inlandsis, lorsqu’un vent catabatique, descendant, particulièrement violent s’est mis à souffler. Venant de nulle part, nous avons vu, avançant vers nous à une allure impressionnante, un tourbillon d’air. Jamais encore, nous n’avions assisté à ce type de phénomène dans cette région. Le tourbillon s’est arrêté à environ cent mètres du lieu d’extraction et sous nos yeux stupéfaits s’est complètement dissipé ! Laissant juste une tâche grise posée sur la neige. Nous étions encore sous le choc de l’évènement lorsque mon maître de recherche Jean, le moins paniqué d’entre nous, s’est mis en route vers cette forme sombre nous intimant de rester là où nous étions. Affolées, nous l’avons néanmoins laissé partir. Il s’est d’abord approché de cette chose, puis il s’est retourné et nous a adressé de grands signes des bras.

Je me suis donc avancée prudemment avec Laura, quand nous avons entendu les cris d’un petit enfant. En effet, plus nous nous rapprochions de Jean, plus il était clair que ce que nous voyions était un grand panier. Jean s’est penché sur cet improbable berceau, et a pris dans ses bras ce qui ressemblait à un bébé. Celui-ci hurlait. Jean s’est mis à le bercer tendrement jusqu’à notre arrivée à sa hauteur. L’enfant ne semblait pas très couvert ; très vite nous avons craint qu’il ne prenne froid. C’est pourquoi nous ne nous sommes pas attardés à essayer de comprendre d’où il venait, et comment ce phénomène avait pu se produire. Nous avons fait demi-tour, puis nous sommes rentrés au campement. À notre retour, l’enfant s’était apaisé. Nous souhaitions signaler sa présence dans ce lieu insolite aux autorités, mais notre téléphone satellitaire était en panne depuis deux jours. Il ne nous restait qu’à envisager un déplacement vers le village le plus proche. Comme celui-ci se trouvait à des kilomètres de l’autre côté du fjord de Sermilik et qu’il n’était pas accessible par chiens de traîneaux, nous avons finalement abandonné l’idée. Pour finir, nous nous sommes occupés du bébé sur place et l’avons nourri avec de la poudre de lait mélangée à de la neige que nous faisions bouillir. Cette situation nous a fait réaliser combien nous étions éloignés du reste du monde. Par ailleurs, nous savions que l’enfant était en danger s’il était trop exposé au froid. Alors, nous nous sommes relayés pour nous en occuper. Nous étions persuadés que cela ne durerait que deux semaines, puisque nous devions rejoindre Nukk, la capitale du Groenland le 13 avril. Nous projetions de le déclarer aux autorités à ce moment-là. Mais, nous n’en avons pas eu l’occasion. Ce que nous ne savions pas, c’est qu’un avion avait été affrété pour nous ramener en France à notre arrivée à Nukk et que le départ était immédiat. Nous passâmes directement de l’hélicoptère à l’avion. C’est la raison pour laquelle nous avons emmené l’enfant. Néanmoins, nous étions heureux de n’avoir pas dû nous en séparer ; nous nous y étions attachés. Je ne souhaite pas justifier nos actes par ces paroles, et je me rends compte aujourd’hui que nous avons fait preuve de beaucoup d’insouciance dans cette histoire. Toutefois, même si cela ne justifie pas nos actes, ils nous semblaient évident, que l’origine d’Arthur est française. Comme vous pouvez le constater sur l’inscription de son identité gravée sur son bracelet. Même si l’orthographe utilisée est incorrecte.

Rentrés en France, nous nous sommes partagé son éducation. Seulement voilà, nous devions repartir effectuer des recherches à l’étranger et nous n’avions pas encore pris de décision à son sujet. Après en avoir discuté tous les trois, nous en avons conclu que nous ne pouvions pas le garder plus longtemps. Que ses parents étaient peut-être encore en vie. Qu’il était certainement recherché. Toutefois, nous n’arrivions pas à décider, qui d’entre nous allait signaler sa présence aux autorités. Nous étions inquiets, à juste titre, de l’accueil que vous feriez à son histoire si invraisemblable. Mais il y a peu, il a fait un très gros épisode de fièvre. Nous avons fait venir un médecin qui l’a revu à trois reprises et qui nous a finalement enjoint de nous rendre à l’hôpital. Nous avions pris un rendez-vous le 2 juillet avec le professeur Mancardi, mais son état nous inquiétait de plus en plus, car sa fièvre ne voulait pas baisser malgré les médicaments. J’ai donc pris l’initiative, comme j’étais à la maison ce jour-là, de l’amener plus tôt. Mes paroles pourront vous être confirmées par M. Steenbrend Jean et Melle Hangli Laura. Par ailleurs, et pour preuve de ma bonne foi, je vous ai apporté le couffin, ainsi que les vêtements singuliers que portait Arthur lorsque nous l’avons découvert.

Albine Charpentier

(Le sujet peut-être dépendant de produit stupéfiant : à vérifier)

Témoignage confirmé par ses collègues de travail, dont un scientifique de renommée internationale, M. Steenbrend !

***

Quand Arthur émergea de sa lecture, ce fut pour entendre entrer l’assistante sociale qui, passablement irritée par son intrusion, claquait la porte de son bureau. S’avançant à petits pas rapide vers Arthur, elle se campa devant lui les mains sur les hanches, et elle lui demanda d’une voix chargée de colère, légèrement suraiguë :

–Êtes-vous satisfait, monsieur de Langloi, par votre lecture ?

Arthur, dont le cœur battait la chamade depuis l’entrée spectaculaire de Melle Cramsec, n’arrivait pas à sortir le moindre son de sa gorge tant elle était nouée.

–Mmm ! Heu… fit-il en regardant le bout de ses chaussures.

–Très souvent lorsque Arthur était embarrassé il pouvait répéter ce « heu ! » plusieurs fois d’affilée.

–Oui, ch’ai pas !

Néanmoins, il reprit rapidement ses esprits. Il avait le sentiment que c’était peut- être là, sa seule chance de comprendre ce qu’il venait de lire ; il bomba le torse et exprima distinctement sa requête :

–En fait, non, mademoiselle ! Je ne suis pas satisfait par ce que j’ai lu. Je ne comprends pas tout, et j’aimerais que vous m’expliquiez !

À ce moment-là, la bouche de l’assistante sociale se tordit en un rictus déplaisant, puis d’une voix de plus en plus aigre, elle lui répondit :

–Ainsi monsieur, vous souhaiteriez que je vous explique ce que personne ici n’est en mesure de comprendre ! En disant cela, le visage émacié de Melle Cramsec s’était couvert de plaques rouges.

–Oui, répondit tranquillement Arthur. De plus, j’aimerais bien avoir accès plus souvent à mon dossier maintenant que je l’ailu.

C’est alors que, face à la désinvolture d’Arthur, l’assistante sociale se laissa emporter par sa fureur.

–Qu’est-ce que cela vous apportera de plus, pensez-vous ? RIEN ! hurla-t-elle, sans même lui laisser le temps de répondre. Vous m’entendez monsieur de Langloi ? RIEN ! Maintenant sortez gros nigaud. Que je ne vous reprenne plus à fouiller mon bureau ! Dehors ! Ouste !

Arthur, complètement sonné par la rage de l’assistante sociale, déambula dans les couloirs. Puis, il descendit le grand escalier central tout en retournant dans sa tête ce qu’il venait de vivre, mais surtout ce qu’il venait de lire. Perdu dans ses pensées, il n’aperçut pas tout de suite sa meilleure amie qui montait à sa rencontre. Ambre était une jeune fille aventureuse et une élève brillante. Comme Arthur, elle avait treize ans, mais elle en paraissait davantage. Peut-être à cause du choc qu’elle avait vécu lors de ses cinq ans ; ses parents étaient décédés dans un accident d’avion au moment où ils survolaient le Paraguay. Ils s’étaient rendus dans cette contrée lointaine afin d’y développer un commerce équitable de denrées alimentaires, de sucre de canne complet, de café et de chocolat. Après cet épisode tragique, Ambre était restée vivre un an chez son grand-père paternel. Quand celui-ci mourut de vieillesse – il avait alors quatre-vingt-un ans – elle fut confiée à l’orphelinat Saint-Sébastien pour y être logée et instruite par un personnel plus laïque qu’ecclésiastique. Ses cheveux mordorés étaient nattés jusqu’au milieu du dos ; seule marque de féminité dans son allure générale. Deux grands yeux lui dévoraient le visage. De couleur amande et légèrement penchés vers le coin externe, ils lui donnaient un côté mystérieux.

Ambre inquiète dévisagea Arthur.

–Ça ne va pas ? s’enquit-elle compatissante.

Il sursauta :

–Ah ! C’esttoi.

–Je suis venue te chercher. La récré vient de commencer…

–NON ! J’ai oublié de demander un mot d’excuse à cette peau de vache de Cramsec.

–Ça ne s’est pas bien passé ? Tu veux en parler ?

Arthur réfléchit un bon moment avant de lui répondre. Il savait qu’il avait toujours pu lui faire confiance. Qu’à l’occasion, elle pouvait garder au plus profond d’elle-même un secret. Il n’avait pas oublié le jour où elle lui avait servi d’alibi pour une entorse qu’il s’était faite en tombant d’un arbre. C’était un jour d’été, Arthur et Ambre avaient tous deux neuf ans. Ils participaient à une sortie au bois organisée par sœur Bénédicte, la responsable du dortoir des filles de CM1. La religieuse vigilante avait ordonné à son petit groupe, d’une dizaine d’enfants, de rester sur l’aire de jeux. Pour éviter toute désobéissance, elle avait menacé les contrevenants d’une interdiction de sortie d’un mois entier ! Mais Arthur, lassé de jouer sur les toboggans, petits murs d’escalade et autres ponts de singe, avait proposé à Ambre de grimper sur les branches accessibles d’un arbre en dehors de la zone autorisée. L’arbre en question, un saule appelé fragile, était ainsi nommé en raison de l’extrême fragilité de ses fins rameaux qui se cassaient avec un craquement sonore. Ambre, véritable garçon manqué, avait accepté le jeu. Les enfants s’étaient éloignés discrètement vers l’essence en question. Arthur s’était hissé sans difficulté sur le tronc principal. Arrivé à trois mètres du sol, il avait avancé les pieds sur une branche latérale. Et, lorsqu’il avait aperçu Ambre encore agrippée au tronc, il s’était mis à claironner fortement sa prouesse, la mettant au défi de le suivre. Ces quelques secondes de distraction lui furent fatales. Son pied gauche glissa sur une couche épaisse de mousse. Par réflexe, ses mains avaient saisi les premiers rameaux venus qui s’étaient brisés net, l’entraînant vers le sol environ trois mètres plus bas. La cheville gonflée, Arthur avait mis quelques minutes à se relever. Ambre avait alors pris seule la décision de le porter sur son dos jusqu’à l’aire de jeu autorisée. Ensuite, elle l’avait installé au bas d’un toboggan. Puis, elle était allée avertir sœur Bénédicte de l’accident, en précisant qu’Arthur avait glissé trop vite. La religieuse compatissante avait envoyé la jeune monitrice, qui l’accompagnait, chercher une voiture pour leur retour. Les enfants échappèrent tous deux à la punition.

Considérant qu’il n’avait rien à perdre en racontant ses découvertes de la matinée à Ambre, Arthur acquiesça à sa proposition.

–Ce que j’ai appris chez Cramsec est bizarre ! Je veux bien t’en parler, mais pasici !

–Allons dans la salle d’étude, il n’y a personne à cette heure, proposa-t-elle.

Arthur accepta, la suivit tout au fond du long et sombre couloir du deuxième étage, à l’est de l’établissement. Puis, ils entrèrent dans l’immense salle composée uniquement de rangées de tables et de bancs rongés par les années. Ils s’assirent en face l’un de l’autre.

Arthur, qui n’avait aucun mal pour relater les évènements en règle générale, commença péniblement le récit de sa matinée dans le bureau de Mlle Cramsec. Toutefois, rassuré par l’empathie que lui manifestait son amie, il n’omit aucun détail.

Ambre était fascinée par ce qu’il lui apprit sur le contenu de son dossier personnel. Elle trouvait l’histoire extraordinaire, incroyable, mais comprenait en même temps qu’Arthur fut si déçu. Il lui sembla même un moment que jamais plus il ne recouvrerait sa joie de vivre ; cette joie qu’il manifestait d’ordinaire en toute circonstance, ponctuée par son rire communicatif. Arthur était pour Ambre un véritable modèle vivant. Elle le trouvait curieux, réfléchi et doué en tout. Et, en effet, rien ne l’ennuyait ; il avait une vraie soif de découvrir et d’apprendre de nouvelles connaissances.

À aucun moment, Ambre ne douta de ce qu’elle entendait. Les propos d’Arthur étaient ahurissants, mais elle savait à quel point il était un garçon honnête. Elle savait d’ailleurs que, de tous ses amis, c’était celui qui s’attachait toujours à être le plus objectif possible.

–Ambre, qu’est-ce que tu en penses ? demanda Arthur d’un ton grave en grattant de l’ongle le vernis écaillé sur le dessus de la table. Cramsec a hurlé que ça ne m’apporterait rien de plus d’avoir accès à mon dossier. Elle a même précisé que personne ne le comprenait !

–Je ne sais pas, répondit-elle mal à l’aise.

Cependant, en voyant la mine pitoyable d’Arthur, elle se ressaisit, et lui assura que le peu d’éléments qu’il avait maintenant en sa possession lui servirait à l’avenir.

Arthur n’était pas du même avis. Au contraire, il se disait que plus rien n’avait de sens. Il était même en train d’imaginer que le compte rendu, qu’il avait lu sur sa découverte au Groenland, était un canular monté par cette femme dont il avait lu le nom ; Albine Charpentier. Il fit part de ses craintes à Ambre.

–Je me demande quand même si toute cette histoire n’aurait pas été inventée !

–À quoi tu penses Arthur, exactement ?

–À un enlèvement ! lâcha-t-il la voix tremblante.

Ambre se concentra un instant avant de lui répondre en laissant son regard se perdre dans la cour deux étages en dessous :

–Tu m’as pourtant dit avoir lu que tous les renseignements avaient été vérifiés !

–Oui, mais quand même ! C’est totalement antirationnel !

–Irrationnel ! le reprit-elle gentiment.

–Oui, irrationnel ! répéta Arthur agacé. C’est pour ça que personne ne m’a jamais parlé de mon dossier ! Et s’ils avaient mis un terme à l’enquête parce que des personnes importantes étaient impliquées… comme ce scientifique de renommée internationale ?

–Ambre était inquiète ; jamais elle n’avait vu Arthur d’aussi mauvaise humeur. L’état d’esprit de son meilleur ami était passé du positif au négatif en l’espace d’à peine deux heures. Elle réfléchit, à nouveau, un moment avant de lui répondre.

–C’est pourquoi il te faut reprendre l’enquête !

–Comment ! s’exclama Arthur ahuri. Quelle enquête ?

–C’est à toi désormais d’aller interroger cette personne, Albine… je ne sais plus comment. Elle te confiera peut-être des éléments qu’elle n’a pas pu dire à la police.

–Albine Charpentier. Mais tu veux rire ! Si elle est dans la combine !?

–Si tu veux mon avis Arthur ! s’écria Ambre pour le faire réagir, il n’y a pas de combine comme tu dis ! Tu es secoué par les évènements et ce que tu ressens est normal. En tout cas, si tu essayes de rencontrer cette femme, je t’aiderai, je te le promets !

La colère d’Arthur fut stoppée net par la réaction d’Ambre. Il avait toujours admiré sa perspicacité. Ses paroles avaient eu un écho au plus profond de lui-même ; il savait qu’elle avait certainement raison.

–Il n’y a qu’une chose qui me motive maintenant, annonça-t-il d’une voix redevenue calme, et grâce à toi j’en prends conscience ; je veux retrouver mes parents s’ils sont encore en vie !

–Ambre soupira, consciente d’avoir réussi à apaiser son meilleur ami, pendant qu’Arthur passait le dos de la main sur la table et faisait tomber les écailles de vernis qu’il avait grattées avecrage.

– C’est important pour moi, tu sais. Je veux savoir qui je suis ! D’où je viens ! Qui sont mes parents ! Quelle est leur histoire ! Mais surtout pourquoi ils m’ont abandonné ! Je n’ai jamais supporté cette étiquette d’orphelin sans passé, tu sais ?

–Et sans laisser à Ambre le temps de répondre quoi cesoit.

–D’abord, je trouverai le moyen de contacter cette Albine Charpentier.

Ambre était enfin rassurée sur l’état d’esprit d’Arthur, mais elle sentait qu’il aurait besoin d’être véritablement épaulé pour poursuivre ces recherches.

–Tu devrais commencer par chercher son numéro de téléphone, lui dit-elle.

Arthur se sentait maintenant complètement apaisé. Cette discussion avec Ambre lui avait fait du bien. Il se dit qu’il avait décidément beaucoup de chance de l’avoir pour amie.

À cet instant, la sonnerie indiquant la reprise des cours se mit à retentir, ne leur laissant que quelques minutes pour rejoindre leur classe au premier étage.

Ils sortirent tous deux en trombe de la salle d’étude, longèrent en courant l’interminable couloir jusqu’au grand escalier, le dévalèrent et se glissèrent dans la file muette des élèves revenant de la cour de récréation. Le groupe, composé d’une petite trentaine d’individus, s’avançait vers l’extrémité ouest du bâtiment. Les élèves entrèrent, les uns après les autres, sans hâte, dans la pièce où se trouvait déjà Mme Cloque, la professeure de mathématiques. Seuls, quelques gloussements de moquerie, provenant d’un petit groupe de filles, troublaient la sérénité des lieux.

Un claquement de mains fit revenir le silence dans les rangs.

La classe était profonde comme toutes les salles de l’établissement et semblait sortir d’un autre âge avec son mobilier de chêne foncé, ses armoires imposantes ornées de rosaces sculptées, ainsi que ces bureaux à pupitre et à banc pour deux. Arthur et Ambre s’assirent à la place qui leur était attribuée pour ce trimestre, près de la deuxième fenêtre correspondant exactement au deuxième rang. Puis, ils sortirent leurs cahiers de leurs tiroirs. Lorsque tout le monde fut installé, Mme Cloque frappa à nouveau dans ses mains et démarra son cours.

Professeure dans l’établissement depuis quinze ans, elle transmettait son savoir avec bienveillance et compréhension pour tous les esprits, même antimathématiques.

Elle était grande et aussi large que haute. Sa démarche chaloupée et ses chaussures à talons qui résonnaient sur le carrelage faisaient souvent glousser les garnements dans son dos.

Mme Cloque était férue de cirque et appréciait tout spécialement les clowns dont elle vantait sans cesse les qualités ; sujet qui pouvait surprendre, intéresser, amuser, ou bien encore ennuyer ses élèves.

Ce jour là, au lieu de commencer le cours comme d’ordinaire, elle fit passer à l’ensemble de la classe des prospectus annonçant la représentation prochaine d’un spectacle de cirque contemporain. Ce qui n’étonna pas ses élèves ; chaque année, ils y avaient droit ! Spontanément, ils rangèrent le document dans leurs pupitres. Mais Mme Cloque, les ayant vu faire, les interpella :

–Attendez avant de ranger ce document. Je comprends que tout le monde ne peut être sensible à la poésie du cirque ! ajouta-t-elle avec une pointe de malice. Alors, pour ceux qui sont intéressés, je me tiens à votre disposition pour accompagner un petit groupe d’élèves le mercredi 10 octobre, dans exactement trois semaines. Je vous laisse y réfléchir. Vous me donnerez vos réponses positives avant la fin de la semaine, afin que je puisse m’occuper des réservations en temps et en heure.

Caroline, une jeune fille exubérante s’écria :

–J’peux pas y aller à vot’cirque, j’ai pas d’fric pour payer ! Et tout en disant cela, elle s’esclaffait en lançant des clins d’œil à sa voisine de table.

Mme Cloque, indulgente à l’égard des difficultés réelles de Caroline, lui répondit que l’institution offrait le prix de la sortie.

–D’autre part, indiqua Mme Cloque, une autre sortie au théâtre sera programmée dans l’année pour ceux que le cirque n’enchante pas.

–Théophile, tu pratiques toujours la jonglerie ? demanda-t-elle.

–Ouais, m’dame et l’équilibre sur objet, répondit un gamin dégingandé.

–Très bien, je peux déjà te noter alors.

–Oh ouais, m’dame !

Considérant qu’elle avait fait le tour de la question, elle frappa dans ses mains et démarra le cours sans plus attendre.

Deux heures plus tard, Arthur et Ambre se retrouvaient à la cantine de l’orphelinat devant une assiette anglaise accompagnée d’un potage maison plutôt clair, mais néanmoins désaltérant. Arthur se jeta sur son repas et ne prit pas le temps de saluer Jérémie et Théophile qui s’approchaient de leur table avec chacun un plateau dans les mains.

Âgés tous deux de quatorze ans, ils faisaient partie du cercle de copains fidèles d’Arthur et Ambre. Cela faisait cinq ans que Jérémie, un garçon assez enveloppé et très brun, était à Saint-Sébastien. Il vivait auparavant chez un vieil oncle qui fit un arrêt cardiaque, le laissant seul et sans autre famille. Ses parents étaient décédés lorsqu’il avait quatre ans, dans un accident de voiture. Jérémie fut épargné grâce à une opération des végétations qui l’avait obligé à passer la nuit dans un hôpital. Souvent grognon, mais très attaché à ses amis, il savait toutefois prendre la vie du bon côté. Son pire défaut était sa gourmandise ; il volait régulièrement de la nourriture à la cantine et s’empiffrait en secret.

Théophile, lui, portait les cheveux plus ou moins au carré. Une sorte de touffe blonde rendue épaisse par le nombre de nœuds qui s’y promenaient. Ses amis appréciaient son caractère espiègle et farceur, mais ses ennemis – les malheureuses victimes de ses pitreries – se vengeaient de lui en l’appelant le clodo, en référence à sa coiffure négligée. Pourtant la seule chose qui aurait vraiment pu l’énerver aurait été de diminuer son prénom ; il avait horreur qu’on l’appelle Théo ! L’aspect de son caractère, qui lui valait parfois des remontrances de son professeur de français, était sa mauvaise habitude de contracter ses mots lorsqu’il était ému ou en colère.

Tout comme Arthur, il était un enfant né sous X et n’avait de ce fait aucun renseignement sur l’identité de ses parents, mais il ne s’en inquiétait pas. Il préférait de loin philosopher sur la question, en disant que le jour où le Bon Dieu voudrait le lui faire savoir, il le saurait. Théophile fut placé à Saint-Sébastien après avoir séjourné dans une pouponnière tenue par des religieuses.

Jérémie et lui avaient redoublé et s’étaient attachés à Arthur et Ambre, dont ils admiraient tous deux la facilité déconcertante qu’ils avaient à retenir tous les cours auxquels ils assistaient, même les plus ennuyeux !

Théophile et Jérémie s’installèrent à leurs côtés en criant un « salut les loulous !» à l’attention d’Arthur et Ambre et sans attendre de réponse, ils engloutirent leur repas.

Son assiette terminée, Théophile s’écria :

–J’ai encore méga faim, c’est à croire qu’ils le font exprès de nous affamer !

–C’est vrai ! soupira Arthur.

Jérémie, les yeux rivés sur son assiette, ne répondit rien, mais Ambre s’indigna :

–Ça ne peut plus durer, on n’est plus des bébés quand même ! J’en attrape des crampes hyper douloureuses l’après-midi. Bon ! Qui se désigne volontaire aujourd’hui ?

Théophile regardait Jérémie mâchouiller son dernier morceau de rosbif froid quand, sans crier gare, il jeta l’assiette de son copain à terre. En tombant, l’assiette fit un clac sonore retentissant. Toutes les têtes se tournèrent vers leur table. Jérémie s’écria :

–Mais, qu’est-ce qui’ t’ prends Thé... ?

Il ne finit pas sa phrase, car il venait de comprendre ce qu’attendait de lui Théophile. Il se leva, avala bruyamment le morceau de viande qu’il avait en bouche, ramassa son assiette, prit son air le plus penaud et se rendit à la cuisine. Là, timidement, il raconta qu’il avait glissé sur quelque chose de gras sur le sol, et demanda si on pouvait lui échanger son assiette qu’il dit n’avoir pas encore commencée.

Pris en pitié par Mme Camanete, la dame de cuisine qui ne croyait pas un seul instant à son histoire, mais qui désapprouvait le régime frugal réservé aux adolescents, il se retrouva avec une nouvelle assiette garnie.

Mais derrière elle, interpellé par le vacarme qui avait précédé, arrivait Frère Aristide, un moine à l’air revêche. Le moine ouvrit la bouche pour donner de la voix et proférer quelques menaces à l’encontre de Jérémie, mais il fut stoppé d’un geste de la cuisinière qui le tira par le tablier pour lui montrer l’état du carrelage :

–Ch’tiot à faillit ch’esquinter su’l’dainne ! Argarder, y’est tout crapé ! (le petit a failli se blesser sur le carrelage ! Regarder comme il est sale !)

L’air mécontent, le moine austère grommela quelques mots incompréhensibles, puis il repartit d’un pas rapide vers ses fourneaux. Mme Camanete, flanquée, depuis l’irruption de Frère Aristide, d’un tout petit chien marron qui ne cessait d’aboyer – un teckel – posa discrètement une grosse miche de pain dans la main de Jérémie en lui lançant un clin d’œil entendu.

Les joues cramoisies, mais avec un immense sourire, Jérémie regagna sa place auprès de ses amis, qui l’accueillirent en martelant la table de leur enthousiasme. Il partagea, une fois n’était pas coutume, avec équité son assiette de charcuterie et sa miche de pain. Ce qui eut pour résultat de faire revenir le calme à la table un petit moment !

Rassasiés, les amis discutèrent de choses et d’autres jusqu’à ce que Jérémie, qui venait de se souvenir qu’Arthur devait voir l’assistante sociale, le questionne à ce sujet.

–Arthur, ce n’est pas ce matin que tu devais voir Mme Cramsec ?

–À l’évocation du nom de l’assistante sociale, Arthur ressentit une vive bouffée de rancœur qu’il préféra taire.

–Mademoiselle Cramsec !Si !

–Eh alors, qu’est-ce qu’elle t’adit ?

–Heu ! Je ne comptais pas en parler ce midi parce que c’est un peu compliqué,mais…

Et Arthur finit par raconter à Jérémie et Théophile sa mésaventure du matin.

Tous deux le regardèrent stupéfaits. « Comment c’est possible ? T’as été trouvé dans le Grand Nord, au Groenland en plus ! Brrr ! Et t’as été déposé par un tourbillon de vent ! C’est Fou !», commentèrent sesamis.

Laissant de côté les autres aspects de l’histoire d’Arthur, Théophile lui demanda si par hasard il avait un pouvoir quelconque comme celui de léviter au-dessus du sol. Toutefois, Arthur n’était pas d’humeur à plaisanter :

–Mon histoire est assez bizarre comme ça ! N’en rajoute pas! Par contre, Ambre m’a donné ce matin une idée intéressante.

–Ah, oui – ouais ! Quelle idée ? demandèrent en chœur Jérémie et Théophile.

–De téléphoner à la personne qui m’a déposé à l’hôpital, Albine Charpentier. Le seul nom que j’ai pu retenir en plus d’Arfen et Mantille, mon père et ma mère, précisa-t-il mal à l’aise.

–Mais, c’est une super idée Arthur, le rassura Théophile qui projetait des miettes de pain sur la veste d’un jeune garçon absorbé par la lecture d’une bande dessinée qu’il cachait sous la table.

–Oui, mais il y a un problème ! ajouta Jérémie avec l’air important qu’il prenait lorsque son humeur devenait maussade. Pour téléphoner à quelqu’un d’extérieur, il faut demander au secrétariat. Et il faut avoir une bonne raison. Enfin une raison importante. Enfin tu me comprends !

–Je sais ! dit Arthur à présent plus sûr de lui et j’ai uneidée.

–Ah, oui !!!

–Vous avez entendu qu’il y a une sortie dans trois semaines avec Mme Cloque ; et je ne sais pas exactement comment faire, mais je me dis que je dois profiter de l’occasion.

–Oui ! s’exclama Ambre en sortant de sa torpeur digestive. Tu achètes une carte de téléphone et tu appelles d’une cabine. C’est tout bête !

–Jérémie avait très envie de sucreries. Le dessert composé d’une unique pomme lui avait rouvert l’appétit. Et comme souvent dans cette situation, il devenait grognon.

–Super idée ! Ironisa-t-il. Et si cette Mme Charpentier n’est pas chez elle, hein ! Tu y as pensé.

–C’est simple, il lui écrira !

–Je n’ai pas son adresse, Ambre, répondit Arthur.

–Si tu trouves son téléphone dans le bottin, tu trouves aussi son adresse, expliqua Théophile qui avait découvert l’usage de l’annuaire le jour où il avait voulu s’inscrire à une émission de télévision qui recherchait de jeunes talents.

–Super ! On va voir.

–En vitesse alors, ça va sonner, dit Ambre qui n’aimait pas être en retard pour la reprise des cours.

–Zut ! s’écria Arthur. Il faut que je passe d’abord au secrétariat signer mon absence au cours d’histoire de ce matin. Cette fichue Cramsec ne m’a pas donné de billet d’excuse !

L’après-midi se déroula de façon monotone comme à l’accoutumée, mais cette fois Arthur semblait en ébullition, prompt à répondre à la moindre question que posaient ses professeurs.

Le soir venu, les quatre amis étaient en possession de l’adresse et du numéro d’Albine ; il ne manquait plus qu’une carte de téléphone. Ils avaient devant eux trois bonnes semaines pour se la procurer. Ils se rendirent dans la salle de jeux, proche du réfectoire. Là, ils décidèrent de faire une partie de ping-pong, quand arriva Frère Baudoin, le responsable du dortoir des garçons de cinquième. Toujours de bonne humeur, le moine âgé d’une quarantaine d’années, qui était aussi l’homme à tout faire dans l’établissement, s’invita dans la partie de tennis de table et leur dévoila les quelques rudiments de technique qu’il avait acquis lorsqu’il était adolescent. Il laissa ensuite les jeunes gens s’exercer un peu, avant d’annoncer l’heure du coucher. Ils étaient les derniers ce soir-là, à grimper jusqu’au quatrième étage où ils se saluèrent et se séparèrent ; Arthur, Jérémie et Théophile se dirigèrent vers l’aile est, et Ambre partit vers l’aile ouest réservée aux filles.

Cette nuit-là, Arthur dormit d’un sommeil agité. Il se voyait en train de bavarder avec Albine Charpentier au sujet de ses parents. Elle lui apparaissait extrêmement sympathique, et douce. Il était suspendu à ses lèvres, mais il n’arrivait pas à comprendre tout ce qu’elle lui disait, car dans le même temps, il se voyait juché sur le dos d’un drôle d’animal piquant. Puis, il fit un bond dans les airs, en entendant une femme crier d’une façon stridente. Émergeant de son sommeil avec difficulté, il se retourna sous les couvertures et se boucha les oreilles afin d’atténuer le bruit de la sonnerie du couloir. Sans se poser de questions sur la raison qui l’avait déclenché, il essaya de se détendre quelques minutes afin de retrouver la présence rassurante de la jeune femme de son rêve. Puis, retentit la voix tonitruante de Frère Antoine, surnommé l’E.M.P par les élèves, annonçant la fermeture à clef du dortoir. Pour une raison qu’Arthur ne connaissait pas, l’acariâtre moine surveillant remplaçait ce matin-là Frère Baudoin. Paniqué, Arthur se leva d’un bond, courut se rafraîchir à l’évier, s’habilla à toute vitesse et claqua la porte derrièrelui.

Dans l’escalier, il aperçut Jérémie et Théophile, tous deux assis sur la rampe d’escalier en métal doré, prêts à se laisser glisser. Quand Jérémie vit Arthur arriver, il agrippa vivement Théophile qui venait de se lâcher. Théophile, saisi par le choc, se retint d’aboyer sur son copain quand il constata la présence d’Arthur. Simultanément, les deux galopins lui proposèrent une petite descente sur rampe de lancement improvisée, avec pour objectif d’arriver en bas en une seule traite, et si possible en un seul morceau. Pour toute réponse, Arthur prit place derrière eux. Les trois téméraires amis s’usèrent, une fois de plus, les fonds de pantalon et terminèrent leur course, les uns sur les autres, entassés au bas de l’escalier sur d’antiques dalles de marbre glacées. Lorsqu’ils pénétrèrent dans la salle du réfectoire, ils riaient encore de leur chute tout en se massant les fesses. Ils croisèrent Frère Baudoin qui leur montra sa main bandée :

–Désolé ! Je ne serai pas opérationnel pour les prochains matchs de ping-pong, plaisanta-t-il. Mme Bastien m’a même interdit de réparer quoi que ce soit pendant au moins deux semaines!

–Oh, désolé pour vous ! Mais, vous pourrez vous occuper quand même du dortoir ? demanda Jérémie inquiet ; il s’était fait rudement houspiller ce matin par son remplaçant, après avoir oublié d’éteindre la lumière de sa chambre.

–Bien sûr ! Mme Bastien n’a rien dit à ce sujet ! répondit Frère Baudoin sur un ton badin.

Ambre, plus matinale que les garçons, terminait son petit déjeuner en compagnie d’Éva, une fille de la classe qu’elle appréciait pour sa simplicité. Quand elle vit arriver ses imprudents amis, elle comprit aussitôt quel exploit ils venaient d’accomplir sur la rampe de l’escalier central et c’est avec une expression amusée qu’elle les accueillit. Éva, qui n’appréciait pas du tout la présence de ceux qu’elle appelait les « garnements », se leva et alla rejoindre son groupe de copines assises près des fenêtres. Ambre informa les garçons qu’Éva irait repérer la cabine téléphonique la plus proche. Cette dernière sortait chaque semaine de l’orphelinat pour se rendre à un cours de danse classique. Néanmoins, il restait toujours le problème de l’achat de la carte de téléphone. Solidaires, Théophile, Jérémie et Ambre proposèrent à Arthur de réunir leurs économies. À eux quatre, ils n’auraient pas de mal à rassembler cinq euros ; coût d’une carte de téléphone au secrétariat de l’orphelinat.

2 LE SPECTACLE DE CIRQUE

(mercredi 10 octobre)

Trois semaines plus tard, la journée avait commencé péniblement pour Arthur. D’abord, il lui manquait deux euros pour acheter sa carte de téléphone, alors qu’il avait mis à contribution tous ses amis. Ensuite, Ambre lui avait annoncé qu’Éva n’avait trouvé aucune cabine téléphonique dans les alentours de l’institution. Puis comme d’habitude, la faim le tenaillait. L’inquiétude le gagna ; il commençait à appréhender la discussion ou plutôt l’absence de discussion avec Albine Charpentier : « Et si elle n’était pas chez elle ? Jérémie m’a mis en garde ! Si elle ne veut pas me parler ? ». Ce dernier aspect l’alarmait comme si sa vie en dépendait.

Ce jour-là, Mme Cloque vint prendre son petit déjeuner avec les élèves participant à la sortie. Elle fit rapidement un tour de table pour vérifier que personne ne manquait à l’appel et donna les consignes de déplacement. Le trajet se ferait à pied de l’orphelinat – situé dans les vieux quartiers – au champ de mars, lieu où se trouvait le chapiteau du cirque, à environ deux kilomètres. Le départ avait été fixé à quatorze heures, dans le hall de l’orphelinat.

Après avoir ajouté qu’aucun retardataire ne serait attendu, Mme Cloque claqua des mains et commença son repas. Dès qu’elle eut fini, elle remercia la tablée pour son accueil et son attention. Elle se leva et se dirigea vers ses collègues, attablés au fond de la salle sous une large baie en plein cintre, martelant le carrelage blanc décoré de fleurs stylisées bleues de ses escarpins noirs.

Les cours se succédèrent jusqu’à onze heures trente. Arthur et ses amis s’étaient donné rendez-vous au réfectoire pour mettre au point les derniers détails de leur propre organisation sur la sortie de l’après-midi. Théophile dont les cheveux en bataille formaient une touffe informe sur le sommet de son crâne vint se planter devant Arthur, un sourire narquois sur les lèvres et cria un : « Ça va ma poule ? ». Il enchaîna aussitôt sur le fait qu’il était navré pour le manque d’argent nécessaire à l’achat de la carte téléphonique. Quand soudainement, il éclata de rire au moment où arrivaient Ambre et Jérémie, les bras chargés de leurs plateaux, qui le regardèrent avec étonnement. Arthur réprimanda gentiment Théophile, sentant bien que cette joyeuse démonstration annonçait la fin de ses soucis. Et en effet, Théophile retira d’une pochette verte, qui ressemblait davantage à une trousse de maquillage qu’à un porte-monnaie, les deux euros qui faisaient défaut. Il les tendit à Arthur qui les rangea dans son portefeuille, en grommelant ironiquement des paroles malveillantes sur la façon dont Théophile avait pu se les procurer. Théophile, secoué à nouveau par son fou rire, lui répondit d’une voix chevrotante que sa poche n’avait plus de fond. Que les pièces de monnaie tombaient invariablement dans la doublure de son blouson. C’était la raison pour laquelle, précisa-t-il en affectant une expression dédaigneuse, il se trimbalait désormais avec cette horrible pochette verte, en attendant de trouver mieux. Tout en parlant, il avait pris le blouson incriminé, et l’avait retourné en le secouant vigoureusement afin d’en extraire d’autres pièces qui y cliquetaient encore. Le comique de la scène avait eu raison de l’humeur morose d’Arthur. Les quatre amis détendus purent manger de bon appétit. Plus tard, ils se rendirent dans leurs dortoirs respectifs, et terminèrent de se préparer pour la sortie. Enfilant blousons chauds à capuche et écharpes, car en ce début d’octobre pluvieux et venteux il valait mieux être correctement couvert.

Arthur signala à ses amis qu’il les rejoindrait dans le hall ; il devait encore acheter la carte de téléphone au secrétariat. Théophile lui rappela de prendre un plan de la ville, « Au cas où ! ».

Tout en ceinturant son trench-coat, Mme Cloque la mine réjouie apprit à son petit groupe composé d’une quinzaine d’élèves qu’après le spectacle ils étaient tous conviés à une collation en compagnie des artistes. De ce fait, elle les encourageait vivement à poser toutes les questions sensées qui leur passeraient par la tête, avait-elle précisé. Puis s’adressant en particulier à Théophile.

–Profites-en, car ce sont des professionnels, ils pourraient t’apprendre des choses intéressantes. Puis frappée de stupeur par un aspect qu’elle venait de remarquer, elle ajouta.

–Tu aurais pu te peigner pour une fois Théophile ! De retour à l’orphelinat, j’aimerais que tu ailles demander un rendez-vous chez le coiffeur au secrétariat. C’est entendu ?

–Heu ! Ouais j’irais, marmonna-t-il.

–Très bien ! Alors, j’en prends note !

Le petit groupe se mit en marche et parcourut les ruelles de la ville. Ils traversèrent un boulevard et passèrent un pont qui enjambait un canal. Puis, ils longèrent un bois et arrivèrent sur un terrain où se trouvaient des chapiteaux ; vaste espace servant d’ordinaire de parking à la grande cité. Jusque-là, ils n’avaient trouvé aucune cabine téléphonique. Cependant à leur arrivée, Théophile s’écria à l’intention d’Arthur :

–Eh ! Regarde là- bas, au croisement, tu la vois ?

–Hein ! Tu crois que c’en est une ! Elle est un peu loinnon ?

–Bah ! Après la représentation je t’accompagnerai si tu veux, lorsqu’ils seront tous occupés à manger et à se pâmer d’admiration devant les AR-TIS-TES !

–Non, non ça va aller !

–Arthur trouvait que ses amis en avaient déjà fait beaucoup pour lui. De plus, il craignait tellement de se faire surprendre qu’il préférait s’y rendre seul.

–Théophile, les yeux ronds, regardait son ami d’un air boudeur.

–Tu ne veux pas que je t’accompagne !?

–Non ! Ce n’est pas ça, mais madame Cloque va s’apercevoir de ton absence ! Et puis tu dois être content de rencontrer des gens qui font ce que tu aimerais faire plustard.

–Je n’ai pas envie de faire du cirque plus tard, je veux être acteur ! T’inquiète pas, je m’amuserai sûrement mieux avec toi qu’avec ces vieux schnocks. Et je te promets que je me ferai discret. Juré ! craché !

Arthur, rassuré, accepta le soutien de sonami.

–Au cas où la prof nous chercherait, je vais demander à Ambre et Jérémie de la distraire en attendant qu’on revienne.

Le spectacle de cirque contemporain fut un véritable enchantement ; il avait été conçu autour du thème de l’amitié qui était, par la mise en scène, véritablement célébré. Le tout servi par des compositions musicales choisies pour déclencher un maximum d’émotions. Les artistes complets exprimaient tout le panel des sentiments humains, avec beaucoup de délicatesse et d’adresse acrobatique. Tantôt, ils vociféraient à tue-tête des paroles incompréhensibles, tantôt ils se câlinaient en gloussant des sons risibles. À d’autres moments, ils couraient, grimpaient, voltigeaient dans les airs ou se contorsionnaient en tous sens comme de la guimauve bien tendre. Ils pleuraient aussi beaucoup ; des litres certainement, lors de réconciliations très démonstratives. Le tout formait un ensemble burlesque extrêmement attachant.

Les numéros s’enchaînèrent jusqu’à ce qu’un équilibre paisible s’établisse entre les acteurs. Les spectateurs pris à témoin exultaient littéralement. Peu avaient envie de se lever pour sortir à la fin de la représentation, et ceux qui étaient debout, l’étaient pour approcher les protagonistes de la scène qu’ils venaient de voir. Les encouragements ainsi que les félicitations fusaient de toutes parts.

Le petit groupe de Mme Cloque se leva et la suivit jusqu’à un espace aménagé sous un petit chapiteau rouge et blanc. Les élèves se servirent alors abondamment en jus de fruits, friandises et autres pâtisseries, disposés sur des petites tables faites de planches et de tréteaux, recouvertes de nappes en papier blanc. Une joyeuse animation emplissait l’espace ; les conversations autour de la représentation allaient bon train. Arthur et Théophile, restés à l’entrée du chapiteau, se concertèrent du regard ; le moment était idéal pour leur petite escapade. Ils sortirent rapidement, refermèrent leurs blousons, et se couvrirent la tête de leurs capuches, car la pluie commençait à tomber.

Ils se mirent à courir, mais le sol était déjà glissant et troué de petites flaques d’eau. Ce qui ne les dérangea pas, au contraire. Très vite leur progression, sur le terrain de terre battue recouverte partiellement de gravier, se transforma en jeu. Leur but étant d’arriver le plus vite, mais surtout le moins trempé. Ils poursuivirent ainsi jusqu’à la cabine téléphonique.

À la course, Théophile était imbattable, toutefois à l’arrivée il ne fut pas le plus sec ; Arthur ayant pris soin de rester sur les graviers, ses chaussures semblaient plus confortables que les baskets transformées en éponges de son ami. Ils réussirent de cette façon à oublier la punition qu’ils encouraient si leur escapade venait à être découverte.

Ils s’enfermèrent dans la cabine en haletant, le souffle court, et en hoquetant de rire. Arthur le premier reprit son sérieux et avertit Théophile qu’il avait besoin d’un peu de concentration pour rassembler ses idées. Il sortit le numéro de téléphone d’Albine Charpentier puis, sans attendre le composa sur le cadran. Théophile le regardait hébété comme s’il avait été pris en faute. Il était, en fait, très concentré et souhaitait le moins possible déranger Arthur, même par le bruit de sa respiration. Attentifs, Arthur et Théophile écoutèrent chaque sonnerie retentir, jusqu’à ce qu’une voix leur adresse un «Bonjour, vous êtes bien sur le répondeur d’Albine Charpentier, veuillez… crshhh », un petit crachotement les avertit qu’une personne prenait la communication :

–Allo ? dit une voix de femme.

–Heu !… Bonjour madame… Voilà, je m’appelle Arthur. Je suis le garçon que... que vous avez trouvé au Groenl….. La voix ne lui laissa pas le temps de terminer sa phrase :

–Arthur !

–… ?

–C’est toi… Arthur !? dit la voix pleine d’exaltation.

–Mmm ! c’est moi… heu qui moi !? bafouilla Arthur imaginant que son interlocutrice le prenait pour un autre.

–Arthur de Langloi ?

–OUI !... Vous vous souvenez de moi !?

–Bien entendu ! affirma la voix avec gentillesse.

–Ah bon ! Je craignais qu’il y ait une erreur, répondit-il pour se rassurer.

–Ne t’inquiète pas Arthur, il n’y a pas d’erreur du tout ! Je ne connais aucun autre Arthur. Tu peux me tutoyer. D’où appelles-tu ?

–Je suis… dans une cabine téléphonique.

–D’accord ! En fait, ce que je voulais dire, c’est dans quelle région tu vis maintenant ?

–Heu oui ! Dans le nord. À Lille ! Arthur était embarrassé ; il ne savait pas comment orienter la conversation sur le dossier qu’il avait trouvé.

–Ce n’est pas possible ! s’exclama Albine.

–Heu ! Si !

–Où es-tu ? Enfin, la cabine où se trouve-t-elle ?

–Heu ! bafouilla Arthur, mécontent de laisser cette femme, qu’il ne connaissait pas et dont il se méfiait, diriger la discussion. – Sur une place… à côté d’un… duBois.

–À Lille ! s’écria-t-elle. À côté du bois de Boulogne! La place face à l’entrée du parking ?

–Heu ! Oui ! Vous connaissez ?

–« TU » connais ! Tu parles ! J’habite à deux pas ! Est-ce que tu peux m’attendre deux minutes si je te rejoins ?

La situation prenait une tournure qu’Arthur n’avait pas du tout envisagé. Il se sentait beaucoup trop intimidé et pour cette raison, il n’avait aucune envie de la rencontrer. Néanmoins, il bafouilla brièvement une réponse :

–D’ac-cord ! Heu…! Je vous… je t’attends, mais co-comment je te reconnais ?

–Facile ! Je suis très brune et je porte une veste orange avec une écharpe verte. Vert absinthe précisément. Tu ne peux pas te tromper, car on dit que mes tenues sont… très originales !

Arthur entendit la femme rire, puis un petit clap lui signala la fin de la communication ; elle avait raccroché sans crier gare. Il avait le sentiment que le sol était en train de se dérober sous ses pieds. Théophile le regardait l’air ahuri :

–Que s’est-il passé ?

–Elle arrive ! répondit Arthur qui n’en revenait toujours pas d’avoir accepté de la rencontrer.

–C’est tout ? Elle n’a rien ajouté ?

–Elle dit qu’elle se souvient parfaitement de moi, ajouta Arthur l’air hagard. On la reconnaîtra facilement, car elle porte un manteau vert clair, je crois… et une veste brune… quelque chose dans le genre.

–Tu es sûr pour la veste brune !? Ce ne serait pas plutôt ses cheveux qui seraient bruns ? Parce qu’avec tout ça, elle doit avoir drôlement chaud !

–Heu ! Oui, tu as raison ce sont ces… la… la… la voilà, de l’autre côté de la rue, viens !

–Ouais ! j’viens et pourquoi j’viendrais pas ! bougonna Théophile qui s’était pris la porte de la cabine, qu’Arthur avait laissée se reclaquer, sur le nez et se le maintenait comme s’il allait tomber.

Albine Charpentier était une femme grande, effectivement habillée de façon singulière, très colorée. « Elle est belle ! », se dirent Arthur et Théophile. Elle se présenta simplement et regarda longtemps Arthur, comme si elle cherchait à reconnaître ses traits. Elle dut admettre pour elle-même que c’était impossible, car il était âgé de sept mois la dernière fois qu’elle l’avaitvu.

Son regard se posa alors sur la chevelure tendrement flamboyante, et sur les yeux verts rappelant les fougères des sous-bois. Puis, observant la main que lui tendait Arthur, elle y reconnut la marque pâle dont la forme rappelait une lune décroissante. Cette marque qui l’avait tant intriguée lorsqu’elle avait pris le bébé dans ses bras. Il lui avait alors semblé qu’elle scintillait. Elle saisit la main suspendue devant elle, et vissa ses yeux dans ceux d’Arthur en lui assurant avec sincérité qu’elle l’aurait reconnu entre mille.

Arthur désemparé parvint quand même à prononcer quelques mots. Il présenta son ami Théophile qui souriait maintenant bêtement tout en gardant une main sur son nez. Albine fit semblant de n’avoir rien remarqué. Elle leur proposa d’aller se réchauffer dans une des petites brasseries autour de la place.

Ils s’installèrent sur des banquettes profondes en simili cuir et commandèrent trois chocolats chauds. Théophile ôta discrètement basquets et chaussettes et ramena ses pieds sous lui pour les réchauffer. Arthur intimidé ne prononçait plus un mot, mais Albine au contraire lâcher des flots de paroles intarissables.

Elle leur raconta tous les souvenirs qu’elle avait d’Arthur lorsqu’il était bébé ; ses mimiques, ses éclats de rire fréquents, sa curiosité, ses gazouillis, bref le genre d’information qu’il aurait préféré apprendre dans un contexte plus intime. Théophile pouffait en imaginant Arthur sucer des bouts de tissus ou les doigts des adultes qui s’occupaient de lui. Mais Arthur était aussi très ému. Il osait à peine regarder Albine ; la jeune femme le couvait tendrement des yeux. Elle semblait heureuse de le revoir ; il le ressentait.

Il avala d’une traite son chocolat chaud et décida de sortir de son mutisme ; trop de questions lui encombraient l’esprit. Il commença par expliquer à Albine qu’il avait, il y a peu, eu accès à son dossier et qu’il y avait trouvé son nom ; que c’était la raison pour laquelle il l’avait contactée !

Albine sembla soudain contrariée. Arthur embarrassé par des larmes qu’il discernait dans les yeux de la jeune femme détourna son regard et attendit. Théophile ne riait plus maintenant, il se taisait, impatient lui aussi d’entendre ce qu’Albine allait leur apprendre.